[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] « Paris, 14 avril 1791. « Monsieur le Président, « J'ai l’honneur de vous adresser copie du compte de la caisse de l’extraordinaire à l’époque du 31 mars dernier. Quoiqu’il soit à l’impression depuis le 10 de ce mois, j’ai lieu de craindre qiril ne puisse être achevé de plus de huit jours. Je me suis en conséquence déterminé à mettre cette copie sous les yeux de l’Assemblée; et, pour satisfaire plus promptement au désir qu’elle doit avoir d’en connaître le résultat, je joins ici un résumé très succinct qui lui présentera les progrès des diverses recettes de la caisse de l’extraordinaire et l’état des remboursements. « L’Assemblée nationale 'apprendra sans doute avec plaisir qu’au moyen des mesures prises en exécution des articles 7 et 8 du titre II de la loi du 15 décembre dernier, les espèces sonnantes reçues par les receveurs de districts pour le compte de la caisse de l’extraordinaire et dont ils ont adressé les bordereaux depuis le 1er du mois dernier jusqu’à ce jour compris, s’élèvent à la somme de 2,488,250 livres dont le service du Trésor public a été aidé dans les départements au moyen desrescriptionsdes receveurs de la caisse de l’ex traordinaire. « Je suis, etc... « Signé : ÂMELOT. »> M. le Président. Voici le résumé du tableau joint à la lettre de M. Amelot : Les domaines nationaux ont produit jusqu’au 30 mars, savoir : Les fruits, depuis le 1er janvier 1791 ....... 8,889,698 1. 6 s. 6 d. Les capitaux, depuis la même époque ...... 45,971,552 7 » Les recettes extraordinaires .............. 193,386 » 9 Total ......... 55,054,636 1. 15 s. 5 d. 11 a été brûlé jusqu’à la fin de mars 42 millions d’assignats; le 1er avril 10 millions, le 8 avril 6 millions et le 14 avril 10 millions. En total 68 millions d’assignats brûlés. La contribution patriotique, produite jusqu’au 31 mars, est de 35,213,800 1. 3 s. 11 d. dont le Trésor public a touché à compte sur les 35 millions ordonnés devoir lui être versés, par la loi du 15 décembre .............. 33,525,885 9 10 De sorte qu’il ne lui revient que .......... 1,687,320 1. 14 s. 1 d. Un membre du comité d'aliénation propose un projet de décret portant vente de biens nationaux à diverses municipalités. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait, au nom de son comité d’aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites par les municipalités ci-après, déclare vendre aux-dites municipalités les biens nationaux compris dans lesdites soumissions, et ce, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790. 91 Département de l'Oise. À la municipalité de Formerie, pour ....... 26,456 1. A celle de Roy-Boissy 37,150 A celle de Choisy-au-Bac .................. 84,749 A celle de Clairoix . . 7,591 A celle de Longueil-sous-Tourotte ........ 40,524 A celle d’Allercy . . . . 660,586 5 s. 8 d. H » » » b » 4 2 Département de la Haute-Marne. A la municipalité de Sommermont ......... 5,531 18 2 Département de Maine-et-Loire. A la municipalité de Vernantes ............ 84,725 » » Département d'Indre-et-Loire. A la municipalité de Tours ................ 19,286 19 » Le tout payable de la manière déterminée par le susdit décret du 14 mai 1790. » (Ce décret est adopté.) M. le Président lève la séance à trois heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 14 AVRIL 1791, AU MATIN. Opinion de M. Barrère (Y), député du département des Hautes-Pyrénées , sur la dictature ministérielle proposée par le comité de Constitution dans le projet de décret sur V organisation du ministère (2). Messieurs, si je pouvais penser qu’une Assemblée d’hommes ordinaires pût adopter les articles (1) Cette opinion n’a pas été prononcée. (2) Suivent les dispositions du projet de décret du comité de Constitution relatives à la sûreté de l'Etat: « Art. 37. Dans les cas qui intéresseront la sûreté de l’Etat, ou la personne du roi, le ministre de la justice aura, pour toute l’étendue du royaume, le caractère et l’autorité de juge de paix, en matière de police de sûreté. « Art. 38. En quelqne lieu que les prévenus soient domiciliés, le ministre de la justice pourra, sous sa responsabilité, délivrer un mandat d’amener , et les interroger lorsqu’ils comparaîtront devant lui. « Art. 39. Si les réponses des prévenus laissent subsister des charges annonçant un délit de la nature de ceux qui doivent être portés à la haute cour nationale, après avoir délivré un mandat d'arrêt , il dressera l’acte d’accusation, qu’il transmettra sur-le-champ à la législature, si elle est assemblée. Si le Corps législatif est en vacance, il fera conduire les prévenus dans la maison d’arrêt, pour y être détenus jusqu’à ce que la législature ait prononcé. «c Art. 40. Si , d’après les réponses du prévenu , le délit paraît un simple délit ordinaire, le ministre de la 92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] du comité, je ne proposerais qu’un seul amendement : Ja reconstruction de la Bastille et la suppression du comité des lettres de cachet. Mais je parle à des représentants d’une nation à la liberté de laquelle il n’est plus possible d’attenter et je demande que vous ne délibériez pas sur la proposition qui vous est faite. En m’élevant contre les articles du comité, je crois défendre la liberté civile, empêcher qu’on déshonore la Constitution par une tyrannie absurde, et qu’on avilisse même le pouvoir exécutif par la concession d’un droit aussi dangereux, aussi funeste pour lui-même que pour la nation. Du moins, dans la Constitution, les ministres du roi ne doivent être armés que d’une sévérité indispensable, d’une autorité responsable et limitée. Officiers nécessaires d’un pouvoir légitime, ce n’est que par leurs propres abus qu’ils peuvent exciter l’indignation et les plaintes publiques; mais, dans le système du comité, les ministres peuvent facilement devenir odieux par la seule autorité qu’il leur concède; ils peuvent donner des ordres injustes; ils peuvent, à chaque instant, devenir les instruments d’une violence arbitraire et d’une tyrannie insupportable. Sans entrer dans le détail des abus innombrables d’aulorité auxquels le système du comité peut donner lieu, il me suffira de prouver que le droit que le comité de Constitution veut donner au ministre de la justice est inconstitutionnel, immoral, inutile et surtout dangereux et destructif de la liberté civile et de la liberté de la presse. . Et d’abord, il est inconstitutionnel. En effet, on vous propose d’ériger un ministre en juge de paix, c’est-à-dire de le faire participer aux fonctions judiciaires. Quel est donc cet homme qu’on appelle à cette magistrature vraimentpopu/aû-e? C’est un ministre du roi , ou plutôt le roi responsable; et cependant la Constitution défend au roi l’exercice du pouvoir judiciaire. Du moins, dans les justices de paix, la Constitution a voulu que ces juges changeassent tous les deux ans, pour corriger, pour tempérer la grande autorité des juges de paix : ici, au contraire, ces fonctions dureront autant que celles du ministre, c’est-à-dire qu’elles seront perpétuelles comme le ministère. Dans les justices de paix, un canton suffit à l’autorité d’un juge; ici, au contraire, le royaume entier n’est qu’un canton pour le ministre de la justice. Dans l’ancien régime, 20 ou 30 bastilles suffisaient pour enfermer les citoyens dénoncés au despotisme. Sous le règne delà liberté, comment peut-on faire du royaume une seule et vaste prison d’Etat? Certes, si le comité avait voulu rendre le ministère odieux par une concession aussi extraordinaire, j’admirerais son ouvrage : il aurait atteint son but. Mais s’il a cherché à consolider, àaugmenter le pouvoir ministériel, en lui donnant l’effroyable droit d’attenter à la liberté des citoyens, dans toute l’étendue du royaume, il faut justice, après avoir délivré son mandat d'arrêt , fera conduire le prévenu dans la maison d’arrêt du district où la poursuite devra être faite, conformément à ce qui a été décrété sur la justice criminelle. « Le ministre de la justice pourra requérir la force publique pour l’exécution de ses mandats d’amener et d’arrêt. « Art. 41. Les réclamations sur les abus de ce pouvoir imputés au ministre de la justice seront portées à la législature. » proscrire ce projet du comité avec cette énergie qu’inspire la haine du despotisme. 11 faut surtout le proscrire, lorsqu’on voit que le comité a couvert d’un nom respectable, l’énorme pouvoir qu’il donnait au ministre; lorsqu’on voit que, pour lui donner le droit de délivrer les mandats d’amener et d’arrêt, il a cru devoir lui conférer le caractère et le nom de juge de paix. On était en peine, sans doute, du mode par lequel on transmettrait cette dictature au ministre, et on l’a déguisée sous l’autorité du juge de paix. C’est là une profanation d’un nom sacré, c’estune subversion intolérable de fonctions et de principes. Le système du comité est inutile. Quel en est l’objet ? La sûreté de l’Etat et la personne du roi. Eh! qu’avons-nous besoin des ministres du roi pour que l’Etat soit en sûreté? 11 est curieux de voir que les défenseurs des Empires, les surveillants des ennemis de l’Etat soient les ministres. D’ailleurs, est-ce au milieu des gardes nationales, des tribunaux, des assemblées administratives répandues sur toute la surface du royaume, que la sûreté de l’Etat réclame la vigilance d’un seul homme absorbé par des détails journaliers d’exécution et de correspondances législatives? Voyez même ce qui se passe au sein d’une révolution longue et orageuse; voyez ce qui s’est passé au milieu d’une anarchie inévitable quand on fait une Constitution ; les ministres étaient heureusement sans pouvoir; mais les fonctionnaires du peuple, mais les bons citoyens veillaient, et la sûreté de l’Etat n’a pas été un instant compromise. Si nous examinons ce qui concerne la personne du roi, je rappellerai une journée malheureusement tropcélèbre. Lorsque, le 28 février, ontrouva dans le palais du roi des hommes couverts d’armes de toute espèce, où étaient alors les ministres? ..... Et sans le courage prudent des gardes nationales, que seraient devenus le roi et la Constitution? Parlera-t-on encore de la sûreté du roi? N’est-il pas défendu par tous les amis de la Constitution et des lois? Si quelqu’un voulait attenter à sa sûreté, ne verrait-on pas s’élever contre lui autant de plaintes qu’il y aurait de fonctionnaires publics, ou plutôt de Français? Mais d’ailleurs, quoi de plus rare que ces crimes contre la sûreté de l’Etat ? Et si, au milieu de nos nombreux accusateurs publics, au milieu du cortège nombreux des commissaires du roi, avec le secours imposant des tribunaux criminels, d’une haute cour nationale et des procurateurs de la nation, on se plaignait encore de l’insuffisance des moyens, il faudrait croire que la France ne serait remplie que de rebelles, de factieux et de Catilinas ; il faudrait croire qu’un pays où les mœurs sont douces, où la Constitution a éloigné toutes les ambitions folles et tous les projets incendiaires, ne serait plus aujourd’hui que la patrie des conjurations, que le repaire de vils conspirateurs : Et alors il faudrait armer toutes les mains de mandats d’arrêt et de mandats d'amener. Mais ce serait là faire une supposition aussi honteuse et aussi fausse qu’elle est injurieuse à la nation. Concluons que la nouvelle autorité dont on voudrait armer le ministre de la justice est un inslrument inutile. J’ajoute qu’il est immoral. En créant ce pouvoir, vous entoureriez le ministre de la justice de pièges de toute espèce, de rapports infidèles, de délations absurdes; vous exposeriez cet officier royal, dont tous les pas doivent être marqués par la sagesse, à violer (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 179 1.] 93 imprudemment la liberté du citoyen, et à l'arracher à ses juges naturels, à ses foyers, aux preuves même de son innocence, pour le traduire dans des prisons lointaines, parce qu’on aura élevé quelques doutes sur la sûreté de l’Etat ou celle du roi. C’est d’ailleurs un pouvoir plus immoral encore par la latitude effrayante qu’on lui donne; qui est-ce qui circonscrira l'exercice de ce pouvoir dans les diverses circonstances? Est-il rien de plus tyrannique que d’infliger des peines , lorsque les différentes nuances du délit ne sont pas marquées ? Et n’est-ce pas un des plus grands et des plus justes reproches qu’on ait à faire à la tyrannie des empereurs romains, que d’avoir laissé sans définition et sans bornes les crimes de lèse-na-tion et de lèse-majesté. Une cause d’immoralité se présente encore, elle est prise de la responsabilité même dont on veut tirer un argument favorable au système du comité. Le ministre étant exposé à des réparations et à des dommages-intérêts envers le citoyen qu’il aura imprudemment ou faussement accusé, amené ou arrêté, pourrait être partagé entre le calcul et la tentation de la subornation des témoins, et sa condamnation à des dédommagements considérables. Que sera-ce si l’on ajoute à cette arithmétique immorale le calcul de l’amour-propre et de toutes les passions qui circonviennent un ministre? Voilà cependant ce qu’aura produit la délégation imprudente d’une autorité vraiment étrangère aux fonctions et aux devoirs des ministres du roi. Je soutiens enfin que ce pouvoir qu’on ose proposer pour le ministre est un des plus dangereux. Que sous l’empire corrompu de l’ancien gouvernement on ait trompé les rois, même les mieux intentionnés, au point de leur persuader que les prisons d’Etat et les ordres arbitraires qui les peuplaient, sont un accessoire inséparable du gouvernement et uu instrument nécessaire au maintien de l’ordre public comme à celui de la Couronne, il n’y a là rien qui puisse surprendre. Il suffit de connaître l’avilissement cruel des hommes de cœur et la servitude insolente des anciens ministres ; mais qu’on veuille persuader à des représentants du peuple, à l’Assemblée nationale qui a proscrit à jamais les ordres arbitraires, qu’on veuille lui persuader qu’il importe à la sûreté de l’Etat et de la personne du roi, de donner à un seul homme, souvent choisi par l’intrigue, quelquefois par l’opinion publique, mais jamais par le peuple, un droit terrible sur la liberté et l’honneur de tous les citoyens, un droit que l’Assemblée nationale frémirait elle-même d’arroger à un de ses comités le plus nombreux, c’est ce qu’il est incivique de penser, et qu’il est nécsssaire de proscrire par la question préalable sur les articles inconstitutionnels proposéspar le comité de Constitution. Non, Messieurs, il n’est pas permis à l’Assemblée nationale de puiser dans la source des pouvoirs du peuple, pour les transporter sur la tête d’un ministre. Le droit de nommer des juges de paix appartient constitutionnellement au peuple; c’est à lui d’élire des fonctionnaires chargés des fonctions judiciaires ; c’est à lui de désigner ceux qui auront le droit de décerner des mandats d'amener et des mandats d'arrêt. C’est par un tel principe que vous avez décidé, il y a peu de jours, que vous ne pouviez déléguer au Corps législatif le droit de nommer le régent dans certains cas, parce que, disait M. Thouret, ce droit appartient au peuple et ne peut lui être ravi. J invoque, contre le comité, les principes du comité lui-même. Mais à ce principe, il s’en joint un autre aussi impérieux ; le voici : Il n’y a ni Constitution ni liberté dans un pays où il est permis au roi ou à ses ministres (ce qui est la même chose) de frapper directement un citoyen; un pays où le roi et les ministres peuvent sévir contre des citoyens qui lui sont dénoncés, autrement qu’en ordonnant à ses commissaires dans les tribunaux, ou aux accusateurs publics de les poursuivre devant les juges avec les formes légales. C’est surtout dans les cas où un citoyen serait dénoncé au gouvernement pour avoir attenté à la sûreté de l’Etat, que doit être circonscrite l’autorité ministérielle par le grand principe que je viens d’établir ; autrement le moindre écrit accusé d’être incendiaire sera puni par le mandat d'arrêt , et voilà une censure effrayante s’élevant dans le royaume, ou plutôt l’anéantissement de la liberté de la presse. La défense énergique de la Constitution et de la liberté par un citoyen généreux, la dénonciation à l’opinion publique d’un corps ou d’un citoyen, ou d’un fonctionnaire public plus voué au gouvernement qu’au maintien de la Constitution, sera aux yeux du ministre un trouble apporté à l’ordre public, ou un attentat à l’autorité des corps ou du repos des citoyens, qui font la sûreté de l’Etat, et voilà l’anéantissement de la liberté civile. Dans l’ancien régime, l’honneur des familles, l’autorité des pères, la sûreté publique, le respect dû à l’autorité, étaient les motifs des proscriptions ministérielles. A ces noms sacrés, les bastilles s’ouvraient ; les formes légales eussent été trop lentes. Aujourd’hui tout sera crime de lèse-majesté ou de lèse-nation. La liberté civile sera violée toutes les fois qu’on voudra prononcer ces mots : sûreté de l'Etat , sûreté de la personne du roi. Du moins sous le gouvernement si regretté des bastilles, et sous le régime si juste des lettres de cachet, on n’arrêtait presonne sans avoir observé une espèce de formalité; on consultait un intendant; on faisait informer secrètement par un subdélégué ; on demandait le vœu des familles. Ici, c’est un homme seul, sans procédure préalable, sans examen intermédiaire; c’est uu ministre à qui l’on donne pouvoir d’attenter à la liberté d’un citoyen, de le faire traîner du fond du royaume avec la prévention du crime etl’appareil des scélérats. Quelle idée s’est-on donc formé des droits du citoyen? N’obéissant, comme tous les pouvoirs, qu’à la loi seule, fort de sa liberté et de son égalité politique, la volonté générale peut seule l’atteindre par les formes qu’elle a établies et dans les cas qu’elle a déterminés. Mais comment déterminer tous les cas où un ministre pourra lancer ses mandats d'arrêt ; ses mandats d'amener ? Gomment livrer à un seul homme, non élu par le peuple le droit de disposer de la liberté de ce même peuple, dans des cas indéterminés et avec des dispositions vagues et arbitraires? Gréez donc des dictateurs, des vizirs, oubliez la Constitution française. Oubliez surtout cette sublime et touchante institution des juges de paix, cette magistrature vraiment paternelle, établie, pour ainsi dire, sur les foyers de chaque citoyen, et dont chaque citoyen reçoit tous les jours l’influence en bé- [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 179-1. J 94 nissant ses auteurs. Pourquoi couvrir de ce nom chéri des peuples l’autorité ministérielle? Pour-uoi revêtir une lieutenance générale de police es couleurs populaires? Je ne dirai pas qu’avec le beau titre déjugé de paix, et ce terrible pouvoir d’arrêter et d’amener d’un bout du royaume à l’autre, le ministre de la justice pourra donner des entraves à la justice même; qu’un grand coupable sera soustrait au jugement des tribunaux établis sur les lieux; que les juges du peuple seront paralysés par les ordres naturellement et inévitablement arbitraires. Je sais qu’on m’oppose la responsabilité, ce frein utile si souvent écrit dans nos lois, si rarement employé dans nos tribunaux ; mais j’v aperçois un danger de plus pour la liberté et pour les vertus civiques. Le ministre livre un mandat d’arrêt; le ministre peut être trompeur ou trompé dans l’expédition de ce mandat. L’accusé innocent réclame une réparation, une indemnité. N’y aura-t-il pas quelque ministre qui calculera entre les indemnités qui peuvent être prononcées et la corruption des juges et des témoins? Je m’arrête : ce crime ne serait pas celui du ministre, ce serait celui de l’autorité dont la Constitution l’aurait investi. Epargnons des crimes à la loi ; je conclus à la question préalable sur les articles proposés par le comité de Constitution. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHABROUD. Séance du jeudi 14 avril 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. Un d$ MM. les secrétaires donne lecture des adresses suivantes : Adresse des municipalités de Rive-de-Gier et des communautés voisines , qui remercient vivement l’Assemblée de la suppression des aides. Adresses de la garde nationale de Honfleur , de celle de Longwy et de la Société des amis de la Constitution établie à Amiens , qui, pénétrées d’une douleur profonde au sujet de la mort de M.de Mirabeau, ont fait célébrer en son honneur un service solennel. Adresse de MM. Sa-uer et Briatte, tendant à offrir à la nation la découverte de la ductilité et de la malléabilité du métal des cloches, et de sa conversion en monnaie, à très peu de frais. L’Assemblée en ordonne le renvoi au comité des monnaies, pour en rendre compte avec les autres offres qui ont été laites à ce sujet. Adi'esse du sieur De fer, concessionnaire du canal destiné à conduire les eaux de V Yvette à Paris ; il se plaint de l’interruption de cette entreprise, occasionnée par les violences des communautés riveraines, qui ont détruit une partie des travaux commencés, ont comblé plusieurs parties exécutées et coupé ou arraché 7,000 pieds d’arbres qui garnissaient les francs bords du canal. Il demande d’être autorisé par l’Assemblée nationale à poursuivre l’entreprise du canal de l’Yvette et, quedès ce moment, les constructions, plantations et approvisionnements relatifs à cet objet soient mis sous la sauvegarde de lois. (L’Assemblée renvoie cette adresse au comité d’agriculture et de commerce, pour que, d’après les renseignements qu’il recevra du département de Paris, il puisse rendre compte de cet objet.) Adresse des membres composant le district de Pont-à-Mousson, qui annoncent qu’ils ont fait célébrer un service solennel pour le repos de l’âme de M. de Mirabeau. Adresse de la Société des amis de la Constitution séant à Clermont, qui assure l’Assemblée qu’elle usera de vigilance et d’activité pour déjouer les projets et les trames contre la patrie. Adresse des électeurs du district de Cusset, qui ont repoussé une factionxle 13 curés, réfractaires à la loi du serment. Suit un extrait de cette adresse : « Nous venons d’effacer la honte qu’une faction de 13 curés, réfractaires à la loi du serment constitutionnel, s’efforçait de répandre sur un district vraiment patriotique. Sans doute la plupart de ces insermenlaires n’ont été égarés que par l’influence d’un mauvais voisinage. Cependant après avoir vainement attendu aussi longtemps que la prudence pouvait le permettre, que la réflexion et l’exemple de nos prêtres citoyens amenassent à résipiscence ces aveugles ou perfides dissidents, on leur a enfin donné pour successeurs des vicaires éprouvés, de mœurs pures, d’un caractère ferme, et qui les feront bientôt oublier. « Qu’elle paraisse maintenant cette bulle ultramontaine, fabriquée avec des intentions si perverses dans les fallacieux bureaux du Vatican, tous nos fonctionnaires publics sont prêts à la combattre avec les armes d’une saine doctrine, et nous, à la fouler aux pieds ..... Ils sont passés ces temps où des prêtres fanatiques, l'oeil en pleurs, le visage en convulsion, montrant une poitrine desséchée, un crucifix en main, entraînaient sur leurs pas un peuple trop crédule. « Nous ne respirons plus que l’égalité et la liberté que nos représentants nous ont donnée... « C’est surtout dans les campagnes que la Constitution nouvelle a fait de rapides progrès. Ce sont ces hommes que l’orgueil flétrissait du nom de paysans et de vilains, qui ont embrassé avec le plus d’ardeur cet immortel et sublime ouvrage. C’est là qu’en dépit des détracteurs intéressés, vous trouverez autant de défenseurs de vos lois qu’il y a d’individus. . . « Quelques dévotes abandonnées du monde pourront encore se laisser attendrir, mais fanatiques et dévotes seront conspués et chassés par nos seuls enfants; et nous vous jurons que nous mourrons plutôt que de laisser porter la moindre atteiDie à la personne de nos représentants, ou aux lois bienfaisantes qu’ils ont si courageusement substituées au régime le plus barbare et le plus oppresseur. » M. le Président. M. Poinçot, libraire, rue de La Harpe, demande à offrir à l’Assemblée nationale sa belle collection des œuvres de J.-J. Rousseau. M. Poinçot est admis à la barre et dit : « L’hommage que la nation française a rendu à l’auteur du Contrat social était digne d’elle et de lui. C’était aux régénérateurs de notre Empire qu’appartenait le droit d’apprécier le génie de Rousseau. Le monument le plus durable de sa gloire sera [sans doute celui qu’il s’est élevé lui-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.