[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] 601 Les citoyennes qui ont présenté cette offrande ont été admises à l’honneur d’assister à la séance de l’Assemblée, et il a été arrêté que leurs noms seraient inscrits dans le procès-verbal ; les voici : Ce sont les dames Girardin, Macosse, Jacob, Glavée, Ghéron et Bordeaux. L’un des trésoriers des dons patriotiques a déclaré à l’Assemblée que les huissiers à cheval du Châtelet de Paris offrent à la patrie 51 marcs d’argenterie et 5,400 livres en billets sur le gouvernement ; que les huissiers à verge offrent un contrat de 50 livres de rente, une somme de 1,150 liv. 6 d., une écritoire et une sonnette d’argent, et qu’ils proposent en outre leurs services à l’Assemblée. L’Assemblée a arrêté qu’ils seraient remerciés. M. de Virieu a annoncé le don d’un contrat tontine de 300 livres par un vieillard qui n’est pas nommé. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CAMUS. Séance du vendredi 30 octobre 1789 (1). La séance a été ouverte par la lecture du procès-verbal de la séance de la veille, et de diverses adresses de villes et communautés, portant adhésion aux différents décrets de l’Assemblée nationale, et dont la teneur suit: D’une délibération et adresse de la ville de Saint-Sever en Guyenne, où, en faisant de nouveaux remerciements à l’Assemblée nationale de ses glorieux travaux, elle adhère à tous ses décrets, et notamment à celui du 6 du présent mois, concernant la contribution pati iotique du quart dés revenus de chaque citoyen; D’une délibération et adresse, du même genre, des représentants de la commune de Besançon ; D’une adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville de Duras en Agénois. Le comité permanent et le régiment national s’engagent à travailler sans relâche et de concert à maintenir le bon ordre, et à assurer la tranquillité publique et la perception des impôts; D’une délibération des officiers municipaux et habitants de la ville de Saint-Claude en Franche-Comté, par laquelle ils adhèrent de la manière la plus formelle au décret concernant la contribution patriotique du quart des revenus de chaque citoyen, et réclament la sanction pure et simple, et ia promulgation des arrêtés des 4 août etj jours suivants, notamment de celui qui abolit sans indemnité les mainmortes, tant réelles que personnelles; D’une délibération de la communauté de Bali-ros en Béarn, contenant l’adhésion la plus entière aux arrêtés des 4 août et jours suivants, notamment à celui qui abolit les privilèges particuliers des provinces, et plusieurs observations sur la justice criminelle ; D’une adresse des officiers municipaux et conseil permanent de la ville de Lamballe en Bretagne. Ils présentent à l’Assemblée Phommage de leur respectueuse reconnaissance sur ce que, environnée d’obstacles et de dangers, elle est parvenue à rétablir l’homme dans sa dignité. Ils rassurent qu’il n’est point de véritables Français qui puissent résister aux sollicitations touchantes qu’elle leur a adressées pour faire des sacrifices dont le prix doit être le salut de tous, la gloire et la prospérité d’une nation puissante. Ils la conjurent de poursuivre la glorieuse entreprise dont l’exécution lui réserve le bonheur d’un peuple innombrable, et de rappeler ceux que de vaines alarmes ont dispersés dans leurs demeures; que séante dans une cité superbe, dont l’heureuse influence assure aujourd’hui la liberté française, elfe ne peut que mépriser les coups de l’envie qui s’élèvent contre son ouvrage; mais que si, par les plus terribles coups, ses ennemis portaient jusque dans son sein l’abattement et le désespoir, elle daigne tourner ses regards sur tous le braves citoyens, sur une jeunesse vaillante et nombreuse, prêts à verser leur sang pour sa défense et l’exécution de ses décrets. Pour mettre le comble à tous leurs vœux, ils la supplient encore de créer dès à présent, ou du moins; après l’établissement de la Constitution, un comité de législation civile, qui dorme à la loi cette uniformité, cette simplicité qui lui impriment son véritable caractère. Et enfin, d’une adresse de quatre religieux bénédictins de la communauté du prieuré de Saint-Nicolas d’Acy, proche Senlis, qui, à l’exemple de leurs confrères de Saint-Martin-des-Champs, offrent à l’Etat les biens et revenus dont ils jouissent, pleins de confiance que l’Assemblée leur adjugera la pension viagère demandée par ces derniers. Le procès-verbal portait que la question agitée dans la dernière séance avait été renvoyée à la séance de mardi. Un membre de l’Assemblée a représenté que, quoique le lundi fût un jour de fête, il était possible de s’assembler après le service divin, et que la nécessité d’achever promptement la Constitution ne permettait pas de perdre un jour. L’Assemblée a décidé que la discussion de la veille serait reprise lundi, M. Barbou, curé d’Isle-les-Villenoy, député de Meaux, et M. Moyon, recteur de Saint-André-des-Eaux, député de Nantes, ayant donné leur démission, M. de Ruallem, abbé de Saint-Faron, et M. Binot, principal du collège d’Ancenis, leurs suppléants, dontles [pouvoirs avaient été précédemment vérifiés, sont admis à les remplacer. M. le comte de Tracy, député de la noblesse de Moulins, dit que M. le comte deDouzon, député nommé par la noblesse de ce bailliage, a donné sa démission pour cause de maladie ; il propose, de concert avec ses co-députés, qu’il soit remplacé par M. Regnard, premier suppléant nommé parles communes. L’Assemblée agrée cette proposition et l’applaudit vivement. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les motions relatives à la propriété des biens du clergé. Plusieurs membres parlent successivement sur cette question dans l’ordre suivant : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 602 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] M. Lebrun (1). Messieurs, la propriété des biens dont quelques citoyens, quelques corporations sont investis sous le nom de clergé, a déjà fait la matière de discussions profondes et intéressantes. Cependant, j’ose croire que la question est encore entière. Un long abus des mots et des choses nous domine malgré nous, et jette sur les vérités les plus simples une obscurité qui les dérobe aux esprits les plus justes et les plus pénétrants. Ce que nous appelons le clergé ne forma point dans l’origine, n’a dû jamais former un ordre particulier, une corporation dans l’Etat. Une église n’a jamais été, n’a dû jamais être qu’une assemblée de citoyens réunis par la même croyance, liés par un culte commun, et supportant en commun les dépenses du culte public. A leur tête, un magistrat de leur choix, ne formant qu’un avec eux, consacré au plus saint des ministères, revêtu d’un caractère auguste, investi d’une mission divine. Entre le magistrat d’une église et le magistrat d’une autre église, point de lien politique, point d’autre relation civile que celle de citoyen. Chaque église, chaque section de citoyens unis par la même foi, unis par un même culte, habitant dans le territoire d’une même église, ont eu à soutenir une dépense commune, et durent former pour cette dépense des revenus communs. Sous l’empire d’une religion qui met le devoir d’aimer les hommes à côté du devoir d’aimer Dieu, ces revenus communs furent encore, furent surtout le patrimoine de ces individus déshérités que l’indigence et les maladies condamnent à la pitié de leurs semblables. Des offrandes volontaires fournirent d’abord à la décence du culte, à l’entretien des ministres, à cette dette sacrée que la religion et la nature imposent également à l’homme riche en faveur de l’homme qui est dans le besoin et dans l’infortune. Mais des offrandes volontaires ne présentaient qu’une ressource précaireet incertaine, qui pouvait fuir avec le zèle qui l’avait enfantée. De là des contributions régulières, de là la dotation des églises, de là une portion du revenu des citoyens consacrée à ces dépenses sous le nom de dîmes. Dè ces fonds administrés en commun, une sage économie forma et agrandit le patrimoine des églises et des pauvres. Au sein de chaque église, des hommes, des femmes se vouèrent au service de l’église et de l’indigence. De là l’origine de ses sociétés religieuses, qui appartinrent et durent appartenir à l’église dans le territoire de laquelle elle s’étaient formées. Elles travaillèrent pour elle, elles acquirent pour elle ; leurs biens, attachés à la masse commune, durent s’y réunir et s’y confondre du moment où leur agrégation serait dissoute. Dans des temps postérieurs, les terreurs de l’avenir, l’horreur delà corruption générale, l’ef-lroi du despotisme, précipitèrent des chrétiens dans les déserts. Là, des travaux communs leur créèrent des propriétés. Leurs déserts mêmes devinrent leurs propriétés, par le droit primitif d'occupation, par le droit plus sacré de la culture. Autour d’eux et par eux s’étendirent la population, l’industrie et le bonheur. (1) L’opinion de M. Lebrun est incomplète au Moniteur. Toutes ces colonies furent soumises à l’église qui les renfermait dans son enceinte. Leurs biens ne furent qu’une portion de son patrimoine, consacrée comme ce patrimoine au culte des autels et au soulagement de l’humanité. L’oubli des principes détacha ces établissements de l’Eglise mère, qui les avait vus naître, les affranchit du magistrat spirituel dans le territoire duquel ils étaient placés, créa au pontife de Rome un nouvel ordre de sujets, une sorte de féodalité qui énerva la discipli ne, dénatura les idées, changea les rapports religieux et politiques, et devint un des grands fléaux de l’Europe. Au milieu de notre antique anarchie, dans ces temps où il n’v avait ni Trône ni nation, nos rois, pour recrée!’ l’autorité souveraine, empruntèrent les droits de la suzeraineté, et par ce frêle lien ils rattachèrent à leur couronne toutes les petites puissances qui s’étaient formées des débris de la puissance publique. Ils y rattachèrent surtout les églises et leurs propriétés. Mais, au milieu de tous les citoyens esclaves, il ne se montrait d’hommes libres que des seigneurs de liefs, des pasteurs, des prêtres, des religieux. Les pasteurs, administrateurs nés des propriétés ecclésiastiques, en furent investis par le pouvoir souverain; et représentants des propriétaires, l'abus et l’ignorance les transformèrent en propriétaires réels. Ce fut à ce titre de représentants d’une propriété qui n’était pas la leur qu’ils s’assirent dans nos premiers Etats généraux. Là, ils consentirent sur cette propriété des impôts qui pesaient uniformément sur toutes les propriétés. Nos Etats généraux cessèrent; mais dans le silence de la nation opprimée, les représentants des propriétés ecclésiastiques surent se faire entendre, et, convoqués pour l’intérêt de la religion, ils s’unirent pour des intérêts temporels, formèrent un corps politique avoué par le souverain, mirent des propriétés éparses et isolées sous la protection d’une association générale, et fixèrent ou du moins prétendirent fixer dans cette association le domaine de ces biens, dont ils n’étaient tout au plus que les défenseurs et les gardiens. La nation se tut, et le souverain eut intérêt à ne rien approfondir. Contre une autorité qui doutait d’elle-même, tout se défendait, ou par des raisons ou par des préjugés. Le prince craignait qu’on ne sondât ses droits, et n’osait mesurer les droits des autres. Ainsi la noblesse jouit encore d’une exemption abusive, quand elle eut cessé de jouir d’une exemption légitime. Ainsi le clergé, fort de sa réunion, invoquait comme siens des titres qui étaient ceux des églises, et le monarque avouait ces titres qu’il n'aurait pu attaquer qu’en réveillant les titres de tous. Je n’accuserai point un abus qui a cessé : le clergé, même en abusant, veillait encore pour les principes de notre Constitution, et en réclamant des droits qui ne lui appartenaient pas, il nous avertissait des nôtres. Mais sortons des erreurs de l’ignorance, des fictions de la monarchie absolue, et rentrons dans la vérité des principes. Ce que nous avons appelé le clergé n’est point, n’a jamais été propriétaire des biens dont étaient investis les membres qui le composaient. Les citoyens dont la réunion formait ce que nous appelions autrefois le clergé n’ont jamais [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.J 603 été, n’ont jamais pu être les propriétaires des biens attachés à leurs bénéfices. Ces biens sont la propriété commune, indivise, des citoyens qui, réunis dans la même croyance, exerçant le même culte, forment une église. Sous cet aspect, ces biens sont une propriété publique, mais ils ne sont pas une propriété nationale. Ils appartiennent à un diocèse, ils n’appartiennent point à une provinee, ils appartiennent encore moins à la collection des provinces. La nation ne peut exercer sur ces biens que sa puissance législative. En vertu de cette puissance, elle peut prescrire les règles de leur administration, mais elle ne peut pas les administrer ni les faire administrer pour elle. Elle peut déterminer la mesure de la subsistance des pasteurs et des ministres; elle peut déterminer la mesure de la dépense que le culte public exige ; elle peut déterminer en faveur des pauvres l’emploi du patrimoine des pauvres. Ainsi, au lieu de ces charités stériles et partielles qui ne soulagent que la misère d’un jour, elle attachera ces revenus à des institutions fécondes qui empêcheront la misère de naître. Elle les attachera à des manufactures publiques, à des travaux publics. Le travail, dans tous les genres, est le patrimoine du pauvre. Faire naître le travail et le payer est une dette publique, et les biens des églises sont une portion de la richesse des pauvres, consacrée à la subsistance des pauvres. La nation pourra ordonner, elle ordonnera sans doute que, d’une partie de ces revenus, on achète des propriétés au citoyen indigent et laborieux ; nous verrons, au lieu de ces vaines couronnes de roses, distribuer des terres à la vertu. Ainsi, nos campagaes s’enrichiront d’une population nouvelle qui, créée par les mœurs, se conservera par les moeurs ; et la religion aura guéri une des grandes plaies que le despotisme, le luxe et toutes les passions malfaisantes aient faites à l’humanité. La nation pourra, par des lois salutaires, augmenter ces revenus, créer encore une sorte de propriété pour cette foule de citoyens qui ne peuvent en acquérir. Et certes, Messieurs, il faudra bien que vous les prépariez, que vous les établissiez, ces lois importantes. L’intérêt public vous le commande, et vos propres décrets vous en imposent la nécessité. En prononçant le remboursement des rentes seigneuriales, le remboursement des rentes foncières, vous les avez proscrites. Le malheureux qui n’a pas de propriété, n’a plus de moyens d’acquérir une propriété. Ce n’est plus qu’en autorisaut, qu’en nécessitant des baux à longues années, que vous pourrez corriger l’influence de vos décrets, et fixer celte population fugitive qui s’évanouit dans nos campagnes. La nation peut supprimer, la nation supprimera les bénéfices inutiles. Elle le peut. Personne n’oserait lui en contester le droit. Elle le doit, parce qu’ils sont souvent la proie de l’intrigue; parce que, jadis, instruments de l’autorité absolue, ils peuvent redevenir encore, dans les mains d’une autorité limitée, des instruments de corruption et de servitude. La nation peut dénaturer les revenus ecclésiastiques : elle peut ordonner qu’ils soient remplacés par d’autres revenus; mais la nation ne peut les supprimer. La nation ne peut pas, de la contribution particulière des églises, faire une contribution nationale. Ainsi, Messieurs, vous avez sagement décrété que la dîme serait remplacée; vous ne l’avez pas supprimée, vous n’avez pas pu la supprimer. La dîme est la propriété des églises, telles que je les ai définies. De pareilles agrégations ne peuvent être dissoutes. Nécessairement vous aurez des citoyens. Nécessairement les citoyens auront un culte public, une morale publique. Sans culte public, sans morale publique, vous seriez bientôt les sauvages des forêts. Nécessairement, parmi vos citoyens, il y aura des citoyens pauvres et malheureux. Nécessairement, pour soulager l’indigence et le malheur, il faudra une contribution publique. Vous n’avez pas converti la dîme en un impôt national; vous n’auriez pas pu l’y convertir. Eu effet, du moment où vous l’auriez prononcé, il aurait fallu qu’elle en prit le caractère et la forme; il aurait fallu qu’elle fût partout égale, partout proportionnelle; que tous les biens y fussent assujettis. Ce serait alors, mais seulement alors, que vous auriez pu la considérer comme une propriété confuse entre toutes les provinces, parce qu’elle eût été la contribution commune et uniforme de toutes les provinces. Si, dans le remplacement, vous suivez la mesure actuelle et locale de cette contribution, il faut que le remplacement soit irrévocablement affecté à chaque église, à chaque paroisse. Ni les églises, ni les paroisses, ni les provinces ne consentiront à une contribution inégale, et au partage égal d’une inégale contribution. Tout ce qui appartient à mon église est aussi une portion de ma propriété individuelle. Vous ne pouvez l’altérer sans altérer ma proppiété : vous ne pouvez la communiquer à d’autres églises, sans priver le territoire de la mienne des moyens de prospérité qui lui sont assurés. Les revenus des bénéfices, les revenus des monastères supprimés rentreront, par le fait même de la suppression, dans le patrimoine des églises au territoire desquelles ils appartiennent. Je les réclame, Messieurs, au nom de mes commettants, et au nom de l’église dout je suis membre. Au nom de mes commettants et de mon église, je réclame la résidence des titulaires des bénéfices simples existants, dans le lieu même où ces bénéfices sont situés. C’est là qu’ils doivent l’exemple des vertus ; là qu’ils doivent la consommation des revenus assignés à leur subsistance; là, enfin, qu’ils doivent au pauvre tout ce qui n’appartient pas à la décence du culte et à l’entretien des ministres. La nation peut défendre aux églises de posséder des biens-fonds : mais elle ne peut pas fixer un prix à ces biens-fonds, sous peine de violer la propriété des églises. Elle ne peut pas, sous la môme peine, ordonner que le produit de ces biens soit versé dans le Trésor public. Elle ne peut pas assigner à ces biens des acquéreurs de son choix. Les églises forcées de vendre ne doivent recevoir de loi que de leur intérêt, et ne doivent de préférence à personne. Donc les auteurs de la motion de M... (1) ont (1) Je n’ai point l’honneur de connaître M. L. D.; il 004 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1789.] égaré son zèle et trompé son esprit public. J’ajoute qu’ils ont abusé de sa confiance. Si celte motion reparaît, il sera aisé de démontrer que ce n’était pas aux créanciers actuels de l’Etat qu’elle destinait les biens des églises ; que ces créanciers, que la majeure partie du moins de ses créanciers, par leur position, par les limites de leurs créances, sont dans l’impuissance d’acquérir des biens-fonds ; que des spéculateurs dévoraient déjà le patrimoine des pauvres; qu’il devait nécessairement être la proie d’une compagnie de traitants. Mais les créanciers de l’Etat ..... les créanciers de l’Etat sont les nôtres. Si nous les investissons du patrimoine des pauvres, les pauvres redeviendront à leur tour nos créanciers, et nous n’aurons fait que déplacer des gages et des dettes. Sans doute les propriétés des églises sont aussi le gage de la dette publique, mais elles ne le sont que comme les nôtres et pas plus que les nôtres. Elles ne doivent aux dépenses publiques qu’une contribution égale et proportionnelle à celle des autres propriétés, et nous sommes injustes envers les pauvres si nous rejetons sur leur patrimoine une partie du fardeau’ que nous devons supporter. Cependant le cri de la patrie se fait entendre et ce cri est irrésistible. Une grande calamité pèse sur tous les citoyens, mais elle pèse encore plus sur le pauvre. Il faut donc pour l’intérêt même du pauvre sacrifier une partie des revenus que la religion lui avait destinés. Le commerce, le retour de la confiance, le retour de la paix et de la sécurité, lui rendront avec usure le prix d’un sacrifice momentané, et tous les citoyens par des secours plus abondants leur payeront l’intérêt des sommes qu’ils auront prêtées à la chose publique. Je pense donc, Messieurs, que chaque église, comprise dans (es limites de ce qu’on appelait autrefois le clergé de France, doit payer sa portion de la dette du clergé ; Que chaque église doit payer la dépense de son culte public, la dépense de ses ministres actuels, et l’éducation de ceux qui se destinent à le devenir ; Que le patrimoine des églises doit être encore affecté aux travaux de charité dans les limites de leur territoire, aux encouragements des manufactures locales ; A l’achat, dans les temps de calamité, des grains nécessaires pour la subsistance des pauvres ; y a trente ans que je respecte le nom qu’il porte, comme celui de la loyauté et de la vertu. La motion qu’il a proposée m’a paru réprouvée par les principes, et certainement il n’a point voulu blesser les principes. Elle m’a paru capable d’altérer l’union des provinces, et il n’a pas voulu altérer l’union des provinces. Il me paraît enfin démontré que les créanciers de l’Etat ne pouvaient pas être les acquéreurs des biens des églises. J’ai dû croire qu’il existait une arrière-motion qui révélerait les vrais acquéreurs. M. L. D. n’a certainement pas vu comme moi; il aurait réprouvé cette pensée. Il est donc démontré pour moi qu’il n’est pas l’auteur de la motion ou du moins qu'il a été entraîné par des impressions étrangères, et que son zèle pour l’Eglise et pour l’Etat a saisi, sans l’examiner sous toutes ses faces, la ressource qu’on lui a présentée. Au reste l’homme qui a su se taire pendant six mois, et qui jamais n’a répondu à une injure, ne saurait être soupçonné d’avoir voulu faire une injure. A des primes, pour encourager l’importation de ces grains ; A la dotation des hôpitaux, tant que nos mœurs et nos calamités rendront nos hôpitaux nécessaires ; A l’éducation publique. Et j’observerai, Messieurs, que pour avoir une éducation nationale, \ pour donner aux citoyens des connaissances utiles et des vertus, il en coûtera beaucoup moins qu’il n’en coûte aujourd’hui pour avoir une éducation partielle, vague, insignifiante, pour donner aux citoyens de vaines connaissances, des goûts frivoles', des préjugés et des vices. Enfin, j’ose espérer (et j’en ai pour garant le zèle de tous les citoyens, j’en ai surtout pour garant le zèle des pasteurs, administrateurs nés et premiers gardiens du pairimoine des églises), j’ose espérer que toutes les églises consentiront à affecter pendant vingt ans aux besoins de l’Etat un revenu annuel de 20 millions. Je fixe le terme de vingt années, parce que, dans vingt ans, vous devez être la nation la plus riche, la plus heureuse de l’univers, ou vous aurez cessé d’être une nation ; Ce revenu, les églises le trouveront dans une meilleure administration de leurs biens; Dans la vente de leurs biens morts, de leurs fonds stériles, dans la réunion des évêchés et des paroisses; Dans la suppression actuelles des corporations inutiles ; Dans la suppression successive des abbayes et des bénéfices simples. J’ai dit la suppression successive et j’ai dû le dire. Tout titulaire jouit en vertu d’un contrat public, et ce contrat fait sa propriété. Si nous voulons être libres, soyons justes; soyons-le, s’il le faut, jusqu’à la faiblesse. Que les titulaires qui n’auront pas le courage d’être citoyens jouissent tant qu’ils vivront des abus que vous avez proscrits, et que les lois de l’Eglise avaient proscrits avant vous. Qu’aucun Français enfin n’ait à gémir d’être libre. Craignons, craignons surtout de soulever les paroisses contre les paroisses, les églises contre les églises, les provinces contre les provinces, le royaume entier contre lui-même, et, tandis que nous courons à la liberté et au bonheur, de n’arriver qu’à la dissolution. M. le vicomte de Mirabeau (1). Messieurs, les biens du clergé appartiennent-ils à la nation? dans quel sens lui appartiennent-ils? est-il libre à la nation de vendre ces mêmes biens pour acquitter la dette nationale ? ses représentants feront-ils une chose juste en décidant ces diverses questions dans le sens adopté par M. l’évêque d’Autun? C’est ce qui a été longuement et savamment discuté dans cette Assemblée et surtout dans plusieurs ouvrages qui nous ont été présentés sur cet objet (2)". Je ne traiterai point cette question du juste ou de l’injuste; je me bornerai au calcul de l'avantage ou de la perte : car est-il nécessaire, en faisant une opération de ce genre, de la faire lucrative? (1) Le discours de M. le vicomte de Mirabeau est incomplet au Moniteur. (2) Les considérations politiques sur les biens temporels du clergé, par l’évêque de Nancy ; l’ouvrage savant de l’abbé de Rastignac ; le discours éloquent de l’abbé Maury, etc.