380 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1791. j troupes qui y sont, que je crois devoir annoncer à l’Assemblée que je porte à la main une adresse du Conseil général de la communeetdes citoyens de Saint-Malo, qui demandent pour grâce à l’Assemblée de rester les défenseurs de leurs remparts, tant et si longtemps que les frontières auront besoin de troupes de ligne. Ils forment 2 bataillons de gardes nationales qui ont rempli le service militaire avec une activité continuelle. Ils ont rétabli toutes leurs batteries; 100 pièces de canon bordent leurs remparts, et ils vous assurent que l’aspect de leurs citoyens effraierait encore plus leurs ennemis que les bouches de leurs canons, (Applaudissements.) Je demande que leur adresse soit renvoyée au comité mili taire, et que l’Assamblée autorise son président à leur écrire une lettre de satisfaction . M. Baudouin. On n’a pas lu l’adresse de la ville de Saint-Malo ; j’espère qu’elle n’est pas dans le sens d< s anciens malouins qui étaieat dans l’habitude de garder exclusivement leur ville et de ne recevoir de troupes de ligne dans leurs remparts qu’autant qu’ils le voulaient. M. Defermon. Je vais la lire, je l’ai à la main. Plusieurs membres : Non! non! (L’Assemblée, consuliée, ordonne le renvoi de l’adresse de la commune de Saint-Malo, au comité militaire pour en rendre compte au premier jour.) M. Prieur. Je demande que l’on nous donne l’état de l’organisation de la gendarmerie nationale. Dans beaucoup de départements, les gendarmes nationaux ne se sont pas encore présentés aux corps administratifs, par l’obstination des colonels. On fait tout ce qu’on peut pour retarder cette organisation. Un excellent officier de mon département qui pouvait y être employé sur-le-champ, a été envoyé à 200 lieues de son domicile. M. Le Chapelier. Voilà comme on détruit la subordination de l’armée, en entravant, par des dénonciations, la marche de l’administration. Le ministre a eu le droit d’envoyer un officier dans telle brigade qu’il a jugée convenable. Je demande que l’on passe à l’ordre du jour. M. Prieur. J’observe àM. Le Chapelier que j’ai été le premier à conseiller l’obéissance à l’officier dont je viens de parler. (L’Assemblée, consultée, passe à l’ordre du jour.) M. le Président. Voici, Messieurs, un don patriotique de la somme de 600 livres de M. l'évêque du département de l'Orne , séant à Séez, tant en son nom qu’au nom de son presbytère. « Enfants de la Constitution, dit l’évêque pour lui et ses coopérateurs, nous aiderons nos braves militaires par l’ardeur de nos vœux et en répétant nos offrandes. » Voici un autre don patriotique de 205 livres fait par un jeune écolier de la ville de Douai ; il s’ap - pelle Joseph Glaro. Voici la lettre d’envoi : Messieurs, « Les hommes riches se taisent; ils ont étouffé ces semences d’amour pour la patrie que la na ture avait jetées dans nos cœurs pour y germer. Il faut donc que les moins fortunés paraissent, consolentda patrie et lui fassent oublier les torts des autres. « Nous étions 6 frères, dont 4 dans la garde nationale ; les 2 autres encore trop jeunes, mais impatients d’y entrer. L’aîné vient de mourir, le second vient de prendre le produit de ses épargnes consistant en 205 livres et l’offre à la patrie afin qu’elle ne se sente pas de la perte d’un de ses enfants. « Jeunes gens, réjouissons-nous de l’époque de notre vie : nos pères n’ont jamais connu le plaisir d’avoir une patrie; jamais leurs cœurs n’ont senti les émotions délicieuses que procure son feu sacré. « Illustres législateurs, tel est le fruit de vos travaux. ( Vifs applaudissements.) « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble, etc... « Signé : Joseph Claro. « Douai, le 8 août 1791. » Voici encore un autre don patriotique d'un assignat de J .000 livres par M. Milanais , à Beaujeu , département de Rhône-et-Loire, pour remplir l’engagement qu’il a pris depuis 2 mois, sur le registre du district de Lyon, de fournir à l’entretien des gardes nationales sur les frontières. (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention honorable de ces dons dans le procès-verbal.) M. Dupont. Le patriotisme du jeune homme de Douai est remarquable aulant qu’intéressant ; je propose que l’Assemblée autorise M. le Président à lui écrire un mot. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète que son Président écrira une lettre de satisfaction à M. Joseph Claro.) M. le Président. Un citoyen, nommé Lanthenas, fait hommage à l’Assemblée d’une dissertation imprimée, sur la liberté indéfinie de la presse, dont il envoie six cents exemplaires. Un autre citoyen, nommé d’Obsonville, fait hommage d’une brochure intitulée : Eveil du patriotisme, sur la Révolution. (L’Assemblée agrée ces hommages et ordonne qu’il en soit fait mention dans le procès-verbal.) M. Leclerc, au nom du comité des assignats , fait un rapport sur la disposition qu'il convient de faire des formes qui ont servi à la fabrication du papier des assignats ; il propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des assignats, décrète que les commissaires de l’A?semblée nationale et du roi pour surveiller la fabrication des assignats, sont autorisés à faire découdre les filigranes et lettres qui sont sur les formes de papier d’assignats, disposés par 2 et par 3 à la feuille, sur de nouvelles formes disposées par 4; et les anciennes formes ainsi dépouillées, pourront rester à la manufacture de papier. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Leclerc, rapporteur , rend ensuite compte à l’Assemblée de l’empressement avec lequel les ouvriers papetiers ont obéi aux dispositions du décret concernant la police des papeteries. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de Constitution. M. le Président. Je rappelle à l’Assemblée [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1791.J 381 u’elle a renvoyé, à aujourd’hui, la suite de la iscussion de l’article 7 de la 2° section du chapitre 1er du titre III. La parole est à M. Thouret, rapporteur. M. Thouret, rapporteur. Messieurs� je crois essentiel de vous rappeler quel était l’état de la délibération quand la séauce fut levée hier. On avait proposé, coutre l’article des comités, la question préalable par la raison qu’il contenait un changement des dispositions constitutionnelles précédemment décrétées, et que l’Assemblée ne pouvait pas se permettre la moindre altération aux décrets qu’elle avait précédemment rendus comme constitutionnels. Cette question préalable, soumise à la délibération de l’Assemblée, fut rejetée par un décret, c’est-à-dire que l’Assemblée a admis à la délibération, la proposition des comités, et rejeté l’objection, on accorda même la priorité aux comités sur différentes propositions, ensuite se succédèrent divers amendements. Il faut s’entendre d’abord sur ce que ce serait que changer la Constitution. A l’égard du corps constituant, dans la position où il se trouve, changer la Constitution serait en changer les bases, les dispositions fondamentales qui îurment le caractère et pour ainsi dire la physionomie du gouvernement qu’il a instituée : or, par la proposition des comités, rien de tout cela n’est changé ; tout ce qui est essentiellement constitutionnel en ce sens reste entier : Je gouvernement représentatif, et par conséquent, le régime électif, le principe de l’élection médiate, et cet autre principe, si nécessaire après le précédent, d’établir en faveur du corps social une garantie contre les erreurs des corps électoraux partiels, qui ne le sont pas pour eux, mais pour la nation entière, tout cela subsiste ; seulement le mode de précaution, le mode de garantie, paraît non changé dans son essence, mais déplacé. Vous avez trouvé d’abord que la garantie sociale était suffisamment établie dans le parti de n’exiger des électeurs qu’une contribution de 10 livres, à condition qu’ils ne pourraient élire que des citoyens payant le marc d’argent : le seul changement qui s’opérerait maintenant en révisant le mode de garantie, serait de le rendre infiniment meilleur en le déplaçant, c’est-à-dire en le retirant du degré de représentant, où il est évident qu’il ne sert presque à rien, pour le placer avec une latitude convenable sur le degré des électeurs. Il n’est donc pas vrai de dire que par là la Constitution serait changée. Des législatures qui se permettraient de taire un pareil changement auraient altéré la Constitution, car elles n'ont pas le pouvoir de changer la moindre disposition d’un article de détail de la Constitution ; mais le corps constituant, qui a lait pendant deux ans et à diverses reprises le travail de la Constitution par partie, ne changerait pas la Constitution; lorsqu’au moment de la révision il se déciderait, par des raisons constitutionnelles, à apporter quelques, changements, non pas aux bases qui ont déterminé la nature du gouvernement, mais à quelques parties de détail. Aussi les adversaires de la proposition des comités ont moins placé la force de leurs objections dans la considération que ce serait taire un changement àia Constitution qui ne nous serait pas permis, que dans la crainte qu’ils ont eue et manifestée, que quelques changements sur le point actuel n’entraînassent dYautres changements sur les parties plus essentielles du régime constitutionnel. Ici, Messieurs, je remarquerai, sans aucune amertume, que le fondement de cette espèce d’objection renferme un germe de défiance et même de division {Murmures.) nuisible au fruit du grand travail de la révision dont nous nous occupons, et pour lequel Userait désirable qu’on se rapprochât. Si c’est contre les comités que l’objection a été élevée, elle disparaît à la seule inspection du travail qu’ils ont présenté. Les comités l’ont fait avec toute la franchise qu’ils doivent à l’Assemblée et qu’ils se doivent à eux-mêmes. ( Rires à l’extrême gauche.) M. Darnaudat. Il faut lever la séance, si ces Messieurs interrompent sans cesse. M. Goupilleau. Je demande la parole. M. le Président. On ne peut pas interrompre le rapporteur. M. Thouret, rapporteur. Je dis donc. Messieurs, que le travail des comités est publié depuis 10 jours, qu’il est dans vos mains à tous, que vous avez pu y vérifier par les articles qu’on Y trouve, ceux qu’ils regardent comme constitutionnels, qu’on voit avec la même évidence par les articles qu’ils n’y ont pas compris ceux qu’ils regardent comme ne devant pas être constitutionnels ; par conséquent, ils ne peuvent pas être soupçonnés de vues ultérieures. Un membre à l'extrême gauche : Sans doute, et c’est ce qui les a fait connaître. M. Thouret, rapporteur. Qu’est au reste ce travail? Un simple projet, une proposition sur laquelle l’Assemblée ne peut se tromper ni être trompée, et par-dessus laquelle elle reste toujours avec son droit éminent de prendre toutes les délibérations qu’elle trouve justes dans sa sagesse. On doit se tranquilliser sur ces prétendues craintes, et examiner cet objet en lui-même, ce que les comités ont proposé est tellement bon en soi et tellement désirable, que je ne fais aucun doute que, non seulement, la grande majorité de l’Assemblée, mais je dis le plus grand nombre des adversaires de la proposition, conviennent sincèrement entre eux qu’ils voudraient que le changement proposé ne fût pas maintenant un changement, et que la propo ition eût été décrétée il y a 2 ans... {Murmures.) Je montre par cette considération très simple que le marc d’argent, condition exigée pour l’éligibilité aux fonctions de représentant, et qui est la garantie jugée nécessaire à la société contre les erreurs des élections partielles, ne garantit point du tout ce que l’on a cherché ; car il est indubitable que si les corps électoraux sont mal composés et ne sont pas en état de bien choisir, ils présentent des chances inquiétantes par la corruption et la séduction ; ils ont, malgré le marc d’argent imposé à la fonction de représentant, une telle latitude pour faire de mauvais choix, qu’en nommant tous individus payant le marc d’argent, ils pourraient composer la plus détestable législature. Certes il n’y a point là véritablement de garantie, et par conséquent le marc d’argent, en ne faisant pas le bien désiré, reste avec le mal qu’il opère, en établissant une exclusion au degré de représentation, degré auquel l’intérêt de la loi appelle tous les citoyens, 3gg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 août 1791] quelles que soient d’ailleurs leurs facultés pécuniaires. De toutes ces objections une seule m’a frappé : c’est celle qui a été faite sur l’éveil donné à l’Assemblée par M-Dauchy, relativement à un objet dont certes la plus grande partie des membres de l’Assemblée n’était pas bien instruite, le résultat de la contribution mobilière appliquée aux fermiers. Certainement les comités n’ont jamais été dans l’intention d’exclure de l’éligibilité aux fonctions électorales une classe très pure, très saine, très utile en morale, celle des cultivateurs... (Oh! oh! — Murmures à l’extrême gauche.) Mais à moins d'avoir approfondi très sérieusement, dans les résultats, l’effet de la base que vous avez décrétée pour la contribution mobilière dans les campagnes, on ne pouvait pas soupçonner qu’un fermier, avec 4, 5 q-i 6,000 livres. d’ex-ploiiation, avec un capital de 30 ou 40,000 livres, ne payerait pas à la chose publique une contribution égale à la contribution intiniment modique que nous proposons pour être électeur.., (Murmures.) Nous, Messieurs, qui renfermés dans la partie constitutionnelle que vous nous avez Gonflée, n’avions pu avoir ce soupçon, nous n’avions pas envisagé que tel pût être à l’égard des fermiers le résultat de la proposition, et, quoique plusieurs membres d’autres comités aient pu donner plus de soin à cette partie du travail, il est cependant juste de dire que les résultats échappaient à un trè8 grand nombre. Nous avons été obligés de reprendre hier en considération ce résultat dénoncé; effectivement il se trouve que d’après le système des contributions mobilières dans les campagnes, un fermier infiniment riche, ayant une grande exploitation, peut bien ne pas payer môme 20 livres. (Murmures et interruptions.) Gela devient infiniment grave, je ne dis pas sous le rapport de la finance, parce que je n’en suis pas instruit, et j’espère, par la sagesse que Messieurs des contributions publiques ont dû mettre dans leur travail, que leur produit n’en sera pas altéré; mais cela devient intiniment important au moins quant à l’application de la base de la contribution aux droits publiques des fermiers ; il devient indispensable de réformer quant à eux les bases actuelles, et de mettre leurs droits politiques à l’abri des systèmes de finance. Ainsi, Messieurs, nous avons été obligés de faire un autre travail que celui qui nous avait d’abord paru nécessaire, et nous vous annonçons que pour mettre ces droits politiques des agriculteurs fermiers à l’abri dans la Constitution cè n’est plus par la base de la contribution que vous pouvez régler leurs droits de citoyen, mais par la valeur des loyers de la chose qu’ils exploitent; car il n’y a quant à eux aucun autre moyen certain de régler leurs droits politiques. (Applaudissements,) Nous croyons donc, en insistant sur la considération majeure qui nous a déterminés à vous faire la proposition de reporter du degré de représentant au degré d'électeur, le mode de garantie dont la société a besoin contre les erreurs des choix, en insistant pour que cette garantie soit établie d'pne manière tellement solide qu’elle préserve et la liberté publique, et la Constitution, et le gouvernement de toutes les secousses qui arriveraient si les corps électoraux n’étaient pas d’une composition meilleure qu’on ne les a présentés jusqu’ici. Nous croyons qu’il faut, dans cette occasion, concilier autant qu’il est possible avec la sûreté générale la latitude qu’on peut donner à l'exercice des droits politiques. On ne peut pas aller trop ayant dans cette latitude, parce qu’on détruirait l’intérêt prédominant de la sûreté générale; mais en prenant les combinaisons qui peuvent accorder ces 2 objections, je ne doute pas que l’Assemblée fera Ge qu’elle a de plus intéressant à faire dans la révision de la Constitution, car elles touchent aq ressort fondamental de l’organisation politique et de tout le mouvement que recevront par la suite l’administration, les tribunaux, la législature, Ainsi, Messieurs, nous pensons que, dans les villes au-dessus de 6,000 âmes, la cote à exiger pour être électeur doit être celle que nous vous avons proposée, 4Q journées de travail, modifiables par les législatures, qui détermineront de 6 ans en 6 ans la valeur de ja journée de travail ; ce qui se modifie encore entre Je maximum, et le minimum, dans les départements moins aisés, et dans ceux qui le sont davantage, par les administrateurs lopaux-Nous croyons que, dans les petites villes au-dessous de 6,000 âmes, par conséquent dans les bourgs et dans les campagnes, il n’y a aucune espèce de raison à se refuser à ce que la contribution exigée pour être électeur soit de 30 journées de travail; et sur cela, je fais une distinction : quant au propriétaire, cela doit être sans inconvénient; mais quant au fermier cela prend une nouvelle face, çar les 30 journées de travail n’atteindraient pas même les fermiers les plus opulents dans beaucoup de contrées, U faut aonc abandonner ici dans les campagnes, quant aux fermiers, la base de la contribution. Nous proposons de régler, que dans la classe dps fermiers, la condition d’éligibilité sera celle d’exploiter, par ferme, une terre du revenu de 400 livres. Un membre : S’il n’y en a pas ? M. Oomberf. 20 journées de travail. M. Thouret, rappooteur. Dans les pays de petite culture, beaucoup de fermiers n’ont pas une ferme de 400 livres de revçou; mais, suivant tous les éclaircissements qui nous ont été donnés par des députés des pays de petite culture, le pins grand nombre des fermiers a aussi de petites propriétés, et ppur peu que le fermier ait une petite propriété, avec la contribution mobilière , qu’il payera pour sa terme, il payera suffisamment pour être éleceur. Je fais une seconde observation ; c’est qu’il y a d'ailleurs un intérêt à ce que ces petits fermiers ne puissent pas toujours être électeurs. Dans les pays de petite curture. ün propriétaire de 2,000 livres de repte aura 40 op 50 fermiers dépendant absolument de lui ; par conséquent, il aurait autant de voix à lui acquises dans les assemblées électorales, et la société ne peut permettre que dans les élections qui se font pour elle et en son nom, il s’introduise desgroupes de 30 ou40hommes à la clépendanced’un seul. Dans les pays de grande culture, au contraire, toutes les exploitations étant en grandes masses, comme les fermiers de 4, 5 ou 6,000 livres, un fermier de 400 livres est évidemment dans la dernière classe de cette espèce. Or, Messieurs, comme la justice vous oblige à abandonner à l’égard des fermiers la base de contribution, et quYil faut rentrer nécessairement par rapport à eux dans la valeur du loyer dont ils sont chargés, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1791.] 383 qui dépose par conséquent des moyens de garantie que vous devez exiger pour la société, il est indispensable d’admettre ce mode; et en le fixant ainsi que les comités le proposent, il me semble que nous avons atteint la proportion qui dans l’Etat, antérieurement, aurait donné pour cette classe l’éligibilité. De cette manière, Messieurs, il n’y aura plus d’exclu de la faculté d’être électeur que ceux à qui l’exercice de cette fonction ne peut convenir; et en examinant à quoi se trouve réduite cette portion exclue de l’éligibilité, s’évanouit complètement la crainte d’une secousse dans les campagnes et dans les villes par le mécontentement de ceux qui auraient précédemment joui de l’éligibilité à cette fonction d’électeur, et qui ne l’auraient plus. Par les mémoires qui nous ont été envoyés au comité, et par les faits que chacun de nous connaît, il est certain que vous ne porterez point de mécontentement en rendant un peu plus difficile la faculté de l’éleciorat. Dans cette classe, ceux qui sont nommés, et c’est un fait indubitable, ou ne se rendent pas aux assemblées électorales, ou les abandonnant dès le premier ou le second jour, et il est arrivé que les intrigants, qui s’attendent à ce dégoût prochain, font perdre ces 2 ou 4 journées des élections par des incidents ; après quoi l’élection reste abandonnée à ceux qui veulent s’en emparer, ( Applaudissements .) M. Salle. Allons donc, vous calomniez les Français. M. Thouret, rapporteur. Non, je ne calomnie point ; la majorité de cette Assemblée, pour ne pas dire l’universalité, a cette connaissance que les corps électoraux ont été fort travaillés jusqu’à présent de cette manière ( C'est vrai ! C'est vrai ! Applaudissements.) Voici d’après les éclaircissements que je viens de donner la nouvelle rédaction que les comités vous proposent pour l’article : « Nul ne pourra être électeur, s’il ne réunit aux conditions nécessaires pour être citoyen ac-tit, celle de payer, dans les villes au-dessus de 6,000 âmes, une contribution directe de 40 journées de travail; dans les villes au-dessous de 6,000 âmes, et dans les campagnes, de 3Q journées de travail, ou d’exploiter, en qualité de fermier, une terre d’un revenu égal à la valeur de 20 setiers de blé, mesure de Paris. » M. l’abbé Grégoire. J’aurai, je crois, rempli mon but si je parviens à établir que l’Assemblée nationale ne doit pas transiger avec les décrets qu’elle a rendus, et qu’elle ne doit se permettre d’en réformer aucun. {Applaudissements à l’extrême gauche. — Murmures à gauche et au centre.) J’ai été le premier à combattre le décret du marc d’argent avant qu’il fut rendu; mais, Messieurs, rappelez-vous les principes que vous avez établis dans cette Assemblée; c’est que vos décrets ne devaient pas être réformés, et toutes les fois qu’à cette tribune un opinant s’est permis de parler sur un objet qui de lui-même paraissait porter quelque atteinte aux décrets rendus, on n’a pas manqué de le rappeler à l’ordre. Je prie l’Assemblée de considérer dans quelle étonnante contradiction on veut la jeter I Quand M. Malouet a demandé la parole contre un décret constitutionnel... {Murmures.) M. Malouet. Toutes les fuis qu'on proposera de changer un mauvais décret j’applaudirai et je serai de cet avis. M, l’abbé Grégoire. Lundi dernier, quand M. Le Chapelier, s’empressa de lui dire, et l’As-� semblée y applaudit, qn’il n’était pas question de réformer un décret, qu’il s’agissait seulement d’examiner le classement, et non de changer des dispositions constitutionnelles, {Murmurer à gauche et au centre.) A l'extrême gauche ; Silence donc ! M. d’André. Monsieur le Président, maintenez la liberté dns opinions, et imposez silence à ces Messieurs {Montrant les membres de l’extrême gauche.) qui font un bruit épouvantable, M. Robespierre. M-d’André veut devenir despote. M, le Président. Messieurs, c’est avec juste raison que de tous les côtés on se plaint et l’on murmure. Lorsque M. Thouret était à la tribune, du bout de |a salle partaient des murmures : M. l’abbé Grégoire y est maintenant; l’autre pai> tie de la salle murmure à son tour. Je demande à tous les membres individuellement de l'Assemblée le plus profond silence, et de ne pas oublier, d’une part, l’importance de l’objet qui nous occupe, et de l’autre, le caractère imposant dont ils sont revêtus-M. l’abbé Grégoire. Messieurs... {Nouveaux murmures au centre.) 11 est aussi facile de murmurer qu’il est impossible de détruire l’éYidenoe d’un bon raisonnement. Si l’on pot revenir contre un seul de vos décrets, Messieurs, il eu résulte donc, que vous aviez non pas des riécreis, mais des projets de décret; il en résulte, que vous pourrez revenir sur tous les articles constitutionnels; je ne dis pas seulement sur ceux qui ne sont pas révisés, mais sur ceux mêmes que vous avez déjà classés dans l’acte constitutionnel. Et qui pourra prévoir le terme de tous les changements qu’on pourra encore proposer! Il est possible que pendant que toute la France attend avec le plus grand empressement la fin de vos travaux, il est possible, dis-je, que cette discussion sur ie fond se prolonge de six semaines, et peut-être davantage, il est certain qu’alors même vous ne pourriez pas vous refuser aux réclamations qui pourraient vous venir des dif� férentes parties du royaume afin de solliciter le changement, la modification de beaucoup de décrets; et je vous demanderai, comme faisait nn jour M. Barnave dans une autre circonstance : « Achevons-nous la Constitution, ou en faisons-nous une nouvelle? « {Applaudissements à l’ex - rême gauche.) La Constitution est faite... {Applaudissements.) Et quand j’ai parlé, Messieurs, des réclamations qu’on pourrait faire, que serait-ce donc s’il se trouvait parmi nous des gens qui, au lieu de faire une Constitution pour la nation, voulussent faire une Constitution pour eux-mêmes. {Rires à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche.) Toutes les réflexions qu’a présentées M. Thou-ret sur les inconvénients qui pourraient résulter du décret que vous aviez rendu précédemment, s’appliquent à tous les systèmes. J’observerais encore, en passant, qu’il n’a pas parlé de l’application qu’on pourra en faire aux pays vignobles. Moi qui connais la ci-devant province dont je suis 384 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1191. J député, j’atteste, comme on l’a dit hier pour d’autres, qu’il est diftérents cantons où l’on ne pourra pas trouver d’électeurs ; etqu’arrivera-t-il de là? C’est que la plupart même des citoyens actifs ne voudront pas fréquenter les assemblées primaires : ils sont déjà trop dégoûtés malheureusement dans beaucoup d’endroits, ainsi qu’on le voit par la négligence qu’on a mise dans la capitale pour assister aux assemblées primaires. Effectivement, Messieurs, la plupart ne se soucieront pas d’aller assister à une assemblée dans laquelle ils ne pourront pas espérer de parvenir au grade d’électeur, et ils ne seraient là en quelque sorte que pour se nommer des maîtres. {Applaudissements à l’extrême gauche.) Des dispositions de ceite nature ne sont propres qu’à corrompre le caractère national, qu’à étouffer l’émulation, les vertus et le feu de la liberté. Il en résulterait qu’à la fin les lois, au lieu d’être l’expression de la volonté de tous, de la majorité de la nation, ne seraient réellement que le vœu de la minorité. Il en résulterait, comme on vous l’a dit hier, que les électeurs se perpétueraient dans une certaine classe, dans un certain nombre de familles; et cet inconvénient augmentera d’autant plus que l’impôt diminuera. Alors, Messieurs, le pouvoir législatif se trouvera placé dans un certain nombre de familles. On a tant parlé d’aristocratie, eh bien, la voilà, l’aristocratie ! {Applaudissements à l'extrême gauche.) Vous concentrerez la représentation entre quelques citoyens riches et grands propriétaires. Et qu’on ne dise pas que les citoyens peu fortunés seront dédommagés par l’éligibilité à la législature; les électeurs riches descendront-ils, pour faire leur choix, parmi les simples habitants des campagnes? Vous verrez une nouvelle noblesse renaître ; vous verrez des patriciens, et vingt millions de plébéiens sous leur dépendance ! Un membre : Des patriciens à 120 livres ! M. l’abbé Grégoire. Od dit que la condition qu’on propose est le seul moyen d’avoir un bon Corps législatif ; mais les communes de France n’ont-elles pas montré un courage inébranlable contre tous les genres de despotisme, de séduction et d’aristocratie? N’ont-elies pas elles seules assuré notre liberté? Gomment avez-vous été choisis, Messieurs? Par des citoyens qui, la plupart, ne payaient pas une contribution équivalente à trente journées de travail, par des hommes qui, en faisant le bien, ne pensaient pas qu’on les dépouillerait de leurs intérêts les plus chers, que vous immoleriez leurs droits! Je demande la question préalable sur tout ce que vous proposent les comités, et je demande encore, comme je le disais hier, que l’Assemblée consacre solennellement aujourd’hui l’universalité de tous ses décrets. {Applaudissements à l’extrême gauche.) M. Guillaume. Messieurs, je conviens avec le préopinant, qu’il y aurait de graves inconvénients à révoquer, tout à coup, des décrets constitutionnels qui auraient été reçus avec applaudissements et jurés, avec enthousiasme, dans tout l’Empire. Mais à quels décrets applique-t-il ces réflexions? c’est au décret qui, pour rendre un sujet éligible, dans les assemblées primaires, c’est-à-dire pour lui confier la plus importante des fonctions politiques, n’exige de lui qu’une contribution égale à la valeur de 10 journées de travail ; c’est au décret qui, pour admettre un citoyen à la représentation nationale, lui demande, non une grande réputation de talents et de probité mais une propriété foncière, et le payement d’une contribution directe de la valeur d’un marc d’argent. Messieurs, que ces lois aient été reçues de nos concitoyens avec une soumission respectueuse, c’est une preuve des progrès qu’a faits en France l’esprit public; mais qu’elles aient eu l’assentiment du plus grand nombre, c’est ce que personne n’osera soutenir dans cette Assemblée : nos bureaux, nos comités, sont pleins d’adresses qui démentiraient une telle assertion. La grande majorité de la nation vous demande, au contraire, depuis 18 mois, d’affranchir de toutes entraves l’admission au Corps légis atif et de faire porter sur les électeurs une partie des conditions exigées jusqu’à ce moment des éligibles. {Murmures à l’extrême gauche.) M. le Président. Hé bien, Messieurs, de quel côté partent les murmures ? M. Guillaume. C’est donc, en quelque sorte, Messieurs, le vœu national fortement prononcé que vos comités vous proposent dans l’article qu’ils vous soumetteut.Comment donc vous refuseriez-vous à l’adopter? Que les hommes, amis de la paix qui vous ont fait craindre les grandes secousses que ce changement soudain pourrait occasionner dans l’Empire ; que ces hommes, dis-je, se rassurent. Deux années s’écouleront avant que ce décret soit dans le cas de recevoir son exécution, et le peuple n’a pas besoin d’un si long temps pour s’éclairer sur ses véritables intérêts. Voyons donc, mais voyons, abstraction faite des craintes dont, dans toutes les circonstances importantes, on a voulu nous environner; voyons, dis-je, s’il importe véritablement à la nation , que l’on maintienne l’ordre établi par vos premiers décrets, ou s’il est plus avantageux pour elle que vous adoptiez la réforme qui v vous est proposée par vos comités. Messieurs, le véritable intérêt du peuple dans un gouvernement tel que le nôtre, est d’avoir la meilleure représentation possible ; or, pour obtenir cet avantage, 3 conditions sont indispensablement nécessaires ; la première, qu’aucun obstacle ne s’oppose à ce que le citoyen, quel qu’il soit, qui réunit la probité aux lumières, puisse devenir un des législateurs de son pays; la seconde, que les hommes chargés de l’investir de ces honorables fonctions, puissent et veuillent faire de bons choix. Pour remplir la première de ces conditions, il faut révoquer le décret qui exige de l’éligible au Corps législatif, une propriété foncière et une contribution directe équivalente à un marc d’argent, car le grand mérite ne marche pas toujours avec la fortune : inutilement, appelleriez-vous aux législatures la vertu indigente, si vous ne composiez pas vos corps électoraux d’hommes faits pour la discerner et pour la rechercher. Or, pour pouvoir discerner le mérite obscur, il faut, sinon une éducation distinguée, du moins des mœurs et des habitudes que ma pas en général la classe infinie du peuple ; il faut, surtout, que les électeurs soient libres, et ils ne le sont pas quand ils se trouvent obsédés par le besoin. Pour rechercher cette vertu obscure, dont l’apanage ordinaire est la modestie, il faut avoir un intérêt à la mettre en action; or, supposerez-vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 385 (12 août 1791. cet intérêt à l’homme qui, n’ayant rien, ne peut espérer de propriété que par le renversement d’une Constitution qui les garantit toutes ? La seconde condition requise pour la perfection de la représentation nationale exige donc l’apurement des corps électoraux. A Dieu ne plaise que j’adoptasse l’avis des comités, s’ils vous proposaient de concentrer dans la classe opulente des citoyens, l’éligibilité dans les assemblées primaires : cette caste est, en général, aussi corrompue que le dernier ordre des citoyens est corruptible; mais qu’on ne puisse admettre dans les corps électoraux que des hommes, qui ayant, soit en propriété, soit en industrie, un revenu de 100 à 180 livres, c’est une mesure infiniment sage, et que je me fais gloire d’adopter. A l’égard des fermiers, je proposerai toutefois un amendement ; je demande que pour êtreélecteurs, ils exploitent des biens supportant une contribution foncière égale à la valeur de 60 journées de travail : c’est, à mon sens, le moyen de partager l’imposition entre le propriétaire et le fermier. L’article serait donc rédigé comme suit : « Nul ne pourra être électeur, s’il ne réunit aux conditions nécessaires pour être citoyen actif, celle de payer, dans les villes au-dessus de 6,000 âmes, une contribution directe de 40 journées de travail ; dans les villes au-dessous de 6,000 âmes et dans les campagnes, de 30 journées de travail, ou d’exploiter, à titre de fermier, des biens supportant une contribution foncière égale à la valeur de 60 journées de travail ». M. Goupil-Préf eln . Gomme je n’ai pas l’heureuse facilité de parler avant d’avoir raisonné, je m’abstiendrai de discuter le nouveau projet que les comités vous ont présenté ; je me contenterai de faire des observations générales sur le fond de la chose, et sur le changement qu’on vous propose. Le décret dont il s’agit est-il ou n’est-il pas constitutionnel? — On a employé ici bien des tournures pour répandre des doutes sur la vérité ; il faut y aller plus rondement : tout ce qui détermine les droits politiques des citoyens est constitutionnel. Cette vérité est parfaitement indubitable (. Applaudissements .) ; qu’on cesse donc de nous présenter à cet égard de ridicules évasions. Et maintenant, pouvons-nous modifier un décret constitutionnel solennellement rendu par l’Assemblée? — Voici dans quels termes les comités ont rédigé le serment civique : « Je jure d’être fidèle à la Constitution décrétée aux années 1789, 1790 et 1791. » — D’après cela, vous voyez que tous vos décrets constitutionnels doivent être maintenus. Je n’ai pas oublié les étranges considérations qu’on a fait valoir hier pour nous engager à adopter l’article du comité. On nous a parlé, avec emphase des Grecs et des Romains et de leurs Assemblées populaires, mais qu’a de commun ce verbiage avec notre Constitution politique, qui ne ressemble en rien à celle de ces temps reculés et de ces peuples antiques ? Comment veut-on avec des généralités et des sentiments de vanité, nous répéter qu’il ne suffit pas de vouloir être libre, qu’il faut aussi savoir l’être ? Et moi aussi j’ai longtemps médité sur les États et sur les gouvernements politiques. J’ai vu que ce n’était pas en dépouillant le peuple de ses droits qu’on parve-4re Série. T. XXIX. nuit à le mieux gouverner ; mais, an contraire, en respectant ses droits et en leur apprenant à en jouir et à les exercer. C’est une singulière méthode de dire que le peuple ne sait pas élire pour se priver, sous ce prétexte, de sa souveraineté. On demande une garantie I Mais les 10 jour» nées sont une garantie que vous avez décrétées. Je vois un plus grand danger à changer sans cesse de principes, c’est de ne donner jamais de la confiance pour les lois déjà faites. Qu’est-ce qui fait la force des lois anglaises, si ce n’est le respect qu’a tout Anglais pour sa Constitution, quoiqu’il sache qu’il pourrait y avoir des réformes à faire. Mais, a-t-on dit, le décret sur le marc d’argent a été universellement réprouvé par la nation. Il est bien étrange, Messieurs, que l'on ose parler de la sorte à cette Assemblée qui a repoussé 4 ou 5 fois différentes les tentatives qui ont été faites contre ce décret. J’avoue que, dans tous les temps, j’ai cru et je crois encore que le décret du marc d’argent est raisonnable, juste et sage. Si quelque chose a pu un instant suspendre la fermeté d’assentiment avec laquelle j’étais persuadé de la bonté de ce décret, c’était de voir le grand nombre de personnes qui y étaient opposées; et je me disais à moi-même -.mais est-il bien possible que je ne me trompe pas, puisque voilà tant de personnes qui s’élèvent contre? Je ne puis vous le dissimuler : en examinant la chose de plus près, en suivant les faits�avec plus d’attention, en prenant des informations et dans les provinces et dans les différents écrits qui ont été publiés soit en France, soit dans les pays étrangers, sur nos affaires domestiques et présentes, j’ai reconnu qu’il s’en fallait bien que ce soulèvement contre le décret du marc d’ar-gentfût général. Il faut dire la vérité telle qu’elle est : c’est dans la capitale, c’est dans les groupes tumultuaires seulement que cette improbation s’est manifestée, et cela parce que les oracles avaient dit qu’il était mauvais. Le premier caractère des lois est la sainteté dont on les environne. Messieurs, si vous voulez que votre Constitution soit respectée, qu’elle soit chérie, commencez par la respecter vous-mêmes. Je ne prétends pas qu’elle soit immuable; aucun ouvrage humain ne peut l’être; mais donnez-lui toute la stabilité que la faiblesse des hommes et des choses humaines peut lui donner. Cette question du marc d’argent a fait le plus grand éclat; elle a été agitée dans toutes les parties de l’Empire. Beaucoup se sont élevés contre, il est vrai ; mais plusieurs en ont pris la défense; et, après une controverse fort agitée, ceux mêmes qui désapprouvaient ont fini par dire : eh bien! c’est une chose réglée, il faut s’y soumettre. Considérez que si vous vous laissez arracher le décret sur le marc d’argent, vous aurez perdu un des grands moyens pour défendre la stabilité de vos décrets, et vous ne pouvez pas calculer uelles seront les conséquences de la démarche ans laquelle on veut vous engager aujourd’hui. On vous annonce en effet d’autres changements; on veut vous faire revenir sur la rééligibilité des députés; et c’est après nous avoir dit qu’on ne pourrait rien toucher à la Constitution, après avoir repoussé les mains profanes qui s’en approchaient, que les comités pensent peut-être qu’ils sont les seuls à qu’il y soit permis d’y changer quelque chose. Non, Messieurs I je conclus à la question préalable sur les propositions du comité et je demande qu’il y soit substitué les dispositions du 25 lAf-stiJihh'e nationale.] ARCHIVES l'ARLEMEM’ AIRES. |12 ao4t 1791. j 386 décret du 22 décembre 1789. ( Applaudissements .) M. le Président. Lu parole est à M. d’André. M. d’André. Messieurs... M. Merlin. Je demande la parole pour une motion d’ordre. M. le Président. Je donne la parole à M. Merlin pour une motion d’ordre. M. Merlin. Je crois qu’il est essentiel, avait t tout, de mettre sous les yeux de l'Assemblée eu décret qui est décisif sur la question acfdëlie: C’est celui de la création du comité. Ori a proposé la question préalable sur le projet dt-s comités; Ile t évident que cette question préalable nuit être adoptée, si les comités n’ont pas le droit de voüs proposer des changements à votre Constitution. Or, il existe un ne vos décrets qui leur ô e formellement ce droit; c’est celui que vous avez rendu le 23 septembre 1790; le Voici : « L’ Assemblée nationale décrète qu’il sera adjoint aii comité de Constitution 7 membres élus parmi tous les membres de l’Assemblée pour, concurremment avec le comité de Constitution, examiner tous lés décrets rendus par l’Assemblée nationale, séparer ceux qui forment proprement la Constitution de deux qui ne sont que législatifs oü réglementaires, faire en conséquence un Corps des lois constitutionnelles, réviser la rédaction des articles, afin do rectifier les erreurs qui auraient pu s’y glisser. » Voilà à qüoi étaient bornées les fonctions du comité (Applaudissements); il a donc évidemment outrepassé les bornes de son pouvoir. M. Vadler. Je demande que le comité soit rappelé à l’ordre. M. lie Chapelier (1). Il est fort étrange qu’un membre du Corps législatif nous transporte, pour ainsi dire, au barreau et veuille donner à nos délibérations des formes quasi-judiciaires. (Murmures à l'extrême gauche.) Ce n’est pas le pouvoir du comité qui n’én a d’autre que celui de répondre de son mieux à votre confiance, que M. Merlin attaque dans ce moment; c’est le voire, Messieurs. Certes, si le décret que vous avez rendu jadis sur le mare d’argent, si ce décret contre lequel il y a eu des réclamations presque universelles ..... (Murmures.) Plusieurs membres : Cela n’est pas vrai ; il n'y a que Paris et non pas les provinces. M. Ce Chapelier. Est-ce ainsi que ces Messieurs maintiennent fa liberté des opinions. M. Dariiaucîat. Je demande, Monsieur le Pié-Skk-ffi, que vous leviez la séance. (Murmures.) M. Ce Chapelier. C’est ici le despotisme des gens qui ne répondent jamais, qui crient toujours. Si vous avez pris des cris pour base de votre délibéfatior», il est inutile que nous y 'sellions. (Murmures à l’extrême gauche.) M. le Président. Messieurs, j’ai ôté la parole à M. d’André à qui elle appartient de droit; Vous avez Louve très bon qu’on la lui enlevât (l) Membre du comité de Constitution. pour une motion d’ordre. Je réclame cette impartialité, cëttc liberté de suffrages que vous demandez sans cesse, je la réclame pour M. le Chapelier. M. Ce Chapelier, C’est moi, Messieurs, qui ai rédigé le décret que l’on vient de vous lire tout à l’heure; c’est moi, si l’Assemblée se le rap-I e'io, qui le lui ai proposé. J’ai bien eu dès ce moment l'intention d’ôter aux malveillants les moyens d’attaquer les principes de votre Constitution ét d'empêcher qu’on ne se servît du mode de révision pour attaquer les bases de l’ouvrage que vous avez fait; mats je n’ai pas prétendu, dès lors, qu’en donnant votre confiance à un comité, il fut obligé de ne pas présenter ses idées pour le perfectionnement de quelques articles constitutionnels, tout en conservant la Constitution même. Et je répète, Messieurs, l’observation que je viens de faire tout à l’heure : c’est à votre pouvoir qu’on en veut en ce moment ; c’est votre autorité que l’on conteste ; car nous, certes, nous n’en avons pas, nous n’avons que lé devoir de vous proposer ce que nous croyons le meilleur, lé plus utile au maintien de la Constitution et aux droits des citoyens ; et nous attestons ici (Murmures à l’extrême gauche) et les droits des citoyens et la liberté, que ce que nous vous proposons est le plus utile à l’un et à l’autre. Et permfettex-moi, Messieurs, de vous faire une remarque : c’est qu’il est par trop étrange que ce soient ceux-là qui ont fait d’éternelles réclamations contre le mare d’argent, ceux-là qui n’ont cessé d’élever la voix pour la réformation de ce décret, ceux-là qui les premiers nous ont éclairés sur les vices de cette disposition, que ce soient ceux-là, dis-je, qui viennent aujourd’hui en réclamer là conservation I (Murmures à l’extrême gauche.) A l’extrême gauche. Oui, parce que ce que vous nous proposez est plus mauvais, M. ILc Cfcisf»eSfc#*. Ce sont ceux-là, Messieurs, qui lorsqu’ils faisaient alors ces réclamations ne croyaient par manquera leur serment de fidélité à la Constitution. Ce sont ceux-là encore, et. j’en atteste tous mes collègues des comités de Constitution et de revi'ion, qui, lorsqu’on a parié du révision, nous ont presque tous demandé, un à un: que faites-vous du décret du marc d’argent? Ils voudraient bien que nous le supprimions, le marc d’argent; mais ils ne voudraient pas qu’on le remplace par aucune autre garantie. (Murmures à l'extrême gauche ) Ahl si nous eussions proposé de supprimer purement et simplement le marc d’argent, nous aurions passé alors pour des hommes extrêmement populaires et yous nous auriez applaudi, Messieurs ! /I l'extrême gauche : Non ! non ! (Rires à gauche.) M. Ce Chapelier. Je prends acte de ces non pour accuser d’impopularité ceux qui veulent aujourd’hui la rejeter s-ur nous et qui prétendent que le marc d’argent est conforme au droit des citoyens et à la liberté publique. Non, Messieurs, il ne l’est pas; et puisque ce décret est maintenant mis en problème et en question, j’ai le droit de dire qu il attaque à la fois et la liberté et les droits des citoyens. Quand il aura été confirmé par votre décision, je m’y soumettrai comme tout [Assemblée nationale.] ARCHIVES P AB non citoyen ; mais, dans ce moment, nous agitons la question de savoir si ce décret peut être consenti, et je me joins à tous les citoyens éclairés, à tous les hommes qui ont dit que ce décret ne pouvait pas être conservé. Ce décret blesse les principes, et ce qui les blesserait encore davantage, c’est que ceux qui n’ont pas un droit, mais une fonction d’élire, ne présentent pas à la nation une garantie suffisante qu’ils feront des élections conformes aux intérêts de la nation. Voilà l’erreur dans laquelle on a voulu sans cesse entraîner ceux à qui on a dit qu'il ne fallait pas augmenter la garantie des élections, en leur répétant que c’étaient les droits du peuple que vous attaquiez. Non, Messieurs ; les droits du peuple sont d’élire et de pouvoir être élus. (Applaudissement à l'extrême gauche.) Oh ! vous m’entendez bien... (Murmures.) Oui, ces Messieurs qui m’ont donné de feints applaudissements m’entendent parfaitement. Ils entendent bien que c'est aux 2 extrémités que je place, dis-je, le droit du peuple : à la qualité de citoyen actif élisant dans les assemblées et à la faculté d’être élus pour l'Assemblée représentative de la nation. Mais quant à la fonction d’électeur, c’est une fonction comme celle d’être juge et d’être administrateur ; ce n’est pas là du tout un droit politiq-ue. Vous avez établi une représentation, avec une machine politique qui est le corps électoral; vous n’avez pas établi une représentation immédiate. Eh bien! Messieurs, permettez-moi une dernière réflexion ; c’est que si vous aviez suivi le système américain en établissant une représentation immédiate, vous auriez exigé, pour ceux qui auraient composé le corps social, une contribution aussi considérable que celle que nous vous proposons d’attacher à ceux qui seront habiles à être électeurs. Nous vous proposons donc, beaucoup moins que ce que l’Amérique a établi, beaucoup moins que ce qui existe en Angleterre, où le système est beaucoup plus pur; nous vous proposons de mettre moins pour la fonction électorale, que les Américains n’oni mis pour la qualité de citoyen, Or, certes, nous nous attachons alors à tous les principes du système représentatif. Messieurs, me bornant à répondre à la motion incidente de M. Merlin, qui n’est qu’une véritable fin de non-recevoir (Murmures.), je dis que la discussion doit continuer si l’Assemblée ne se trouve pas suffisamment éclairée; je dis enfin, qu’avec les modifications que nous avons apportées, d’après les réflexions de détail qui ont été faites hier, et qui, véritablement, méritaient attention, maintenant, il n’y a pas le moindre inconvénient; et il y en eût d’énormes à avoir des électeurs qui, n’ayant, pour la plupart, aucune espèce de propriété et point assez de revenus industriels pour pouvoir consacrer leur temps à venir aux assemblées, vous demanderaient à être payés; ce qui, à mon avis, dérangerait la Constitution et serait onéreux à l’Etat. Ainsi, si vous décrétez que les électeurs resteront soumis à l’imposition de 10 journées de travail, moi je demande, d’une part, que vous les payiez; d’une autre part, que vous imposiez une amende à celui qui ne s’y rendra pas. Il est notoire, Messieurs, qu’à Paris l’assemblée électorale s’est vue réduite à 200 membres. Il est notoire encore, que dans le département de la Seine-Inférieure, le plus riche du royaume après Paris, où les agriculteurs sont très aisés, où le commerce est très en activité, sur 700 élec-.EMEN'fAlRES. [12 août 1791.J 3$J teurs, 160 seulement se sont trouvés aux dernières élections et encore, parce que les élections ont duré 3 jours; dans le département de la Gironde, qui compte 8 à 900 électeurs, 300 seulement se sont rendus à l’assemblée électorale. Voyez, Messieurs, si vos élections ne sont pas livrées à un petit nombre d’intrigants qui parviendront à s’en emparer. 11 est certain aussi, . que partout les électeurs ont demandé à être payés; que, dans plusieurs endroits, ils ont forcé de les payer; et que si vous ne les payez pas vous n’en aurez pas. Eh, Messieurs, pourquoi ne veut-on pas accueillir le système que nous vous proposons? Ne nous le dissimulons pas, c’est parce que l’on craint que cette Constitution si excellente, si heureuse dans ses bases, mais qui peut pécher dans quelques détails, ne soit perfectionnée par vous-mêmes, de telle sorte qu’il ne soit plus besoin d’appeler bientôt une nouvelle convention nationale, objet des désirs de beaucoup de gens dans plusieurs systèmes. Voilà ce que je veux éviter; je veux sans doute la Révolution, mais je veux aussi que le calme des esprits soit la conséquence du calme du gouvernement; je veux que la Révolution soit finie, que la Constitution le soit aussi, et que le retour des conventions nationales ne nous livre poiut aux tentations de changer de gouvernement. (Applaudissements à gauche.) Je demande donc l’adoption du nouveau décret des comités. M. d’André. Les personnes qui s’opposent à l’avis des comités, invoquent des raisons de fond et des raisons de forme. Leurs raisons sur le fond sont, qu’en augmentant la contribution pour les électeurs, on établit une espèce d’aristocratie pour les gens riches, parce que les électeurs choisissant toujours parmi eux formeront une classe particulière et privilégiée. Il n’est point douteux en effet, que si vous augmentez le taux de contributions, vous diminuez le nombre des éligibles aux assemblées électorales. Voilà je crois, tout leur argument : il faut toutefois en ajouter un autre, qui est la conséquence du premier : c’est qu’il y aura dans les campagnes très peu de gens qui puissent parvenir aux 30 ou 40 journées proposées par le comité et, par conséquent, très peu d’éligibles à la fonction d’électeur. Un beaucoup plus grand nombre de personnes trouvent le décret bon dans le fond; elles pensent qu’il serait juste, équitable ; mais dans la forme, elles pensent que le marc d’argent étant constitutionnel, nous ne pouvons revenir sur ce décret après avoir fait serment de maintenir la Constitution. Gomme cette dernière opinion réunit beaucoup plus de partisans, j’aime à me ranger en partie dans leur sens, puisqu’en effet, il est heureux de voir que le projet du comité, réunit l’assentiment foncier, et que si nous n’étions pas liés par un décret, ce projet passerait presque à l’unanimité dans l’Assemblée. Gela posé, je crois pouvoir avancer quelques réflexions sur le décret en lui-même pour prouver aux personnes qui peuvent encore le croire mauvais dans son essence, que ce décret, dans mon opinion du moins, est plus avantageux à la classe pauvre des campagnes que celui dont on demande le maintien. Et, en effet, quelle est la place la plus éminente à laquelle puisse, parvenir un citoyen, quelle est la fonction, s’il est bon patriote, s’il est instruit et éclairé, s’il veut sincèrement le bien de ses [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1791.) 388 semblables; quelle esl, dis-je, la fonction à laquelle il doit désirer le plus de parvenir? c’est certainement celle de représentant de la nation : l’intérêt de la nation est aussi que les représentants puissent être choisis sur un plus grand nombre de personnes afin qu’y ayant plus de prétendants à cette fonction éminente, elle puisse être mieux remplie. D’un autre côté, il est incontestable que les représentants de la nation, ayant été et ayant dû être déclarés inviolables dans l’exercice de leurs fonctions, aucun d’eux ne pourra individuellement être jamais poursuivi pour ses opinions, et que le Corps législatif en masse, ne pouvant pas non plus être poursuivi dans ses décrets, il s’ensuit qu’il faut nécessairement, dans les individus qui composent le Corps législatif, une responsabilité quelconque, qui assure la nation que ses députés ne voteront point contre ses intérêts. Car, si d’un côté, il n’y avait point de moyen de poursuivre un représentant pour ce qu’il a dit dans l’Assemblée, ni de poursuivre le Corps législatif pour ses décrets, et que de l’autre, on ne fût pas assuré qu’il n’arrivera au Corps législatif, que des gens de mérite, et qui auront une responsabilité personnelle, des gens qui ne seront pas intéressés au bouleversement des lois et des propriétés, des gens qui seront intéressés à la tranquillité publique : si, dis-je, cela n’existait pas, nous n’aurions pas d’assurance que nos lois soient bonnes et que nos propriétés soient conservées. Il faut donc, puisqu’il n’y a point de responsabilité, ni personnelle, ni en masse, qu’il y ait une responsabilité de propriétés, si je puis le dire, qui porte, ou sur les membres eux-mêmes du Corps législatif, ou sur ceux qui les nommeront. Vous avez pensé par votre décret du marc d’argent, auquel je n’ai pas contribué, — j’étais alors absent,— que la garantie devait être établie sur les membres du Corps législatif, puisque vous avez exigé d’eux une contribution d’un marc d’argent et une propriété quelconque; mais par là il est évident que vous avez infiniment restreint le nombre de ceux qui peuvent être nommés, puis-qu’en effet, il n’y a pas un nombre très considérable de citoyens qui payent un marc d’argent et qui possèdent une propriété quelconque ; si, au contraire, la garantie était portée sur les électeurs, il en résulterait évidemment que les gens qui auraient intérêt à la chose publique, ne nommeraient ou que des gens qui auraient le même intérêt, ou que des gens dont le mérite et les vertus formeraient une responsabilité non équivalente, mais infiniment supérieure à celle provenant de l’imposition. Il est donc très certain, que la garantie peut être portée sur les électeurs comme sur les éligibles : voilà un principe qui ne peut être contesté ; après cela, examinons le principe posé si, dans l’hypothèse des comités, il e-t vrai que l’on diminue le nombre des personnes, qui vont parvenir aux places, et examinons surtout si l’on fait tort aux habitants pauvres qui n’avaient pas ci-devant le moyen de venir au Corps législatif. Il est très certain que par l’avis des comités vous diminuez considérablement la garantie, qui était demandée par le décret du marc d’argent ; si vous diminuez cette garantie, vous augmentez doue nécessairement le nombre des personnes qui peuvent parvenir à être éligibles à la législature; donc, par là, ii s habitants des campagnes ne perdent point, au contraire y gagnent. On me , répond à cela : on ne les élira pas. Mais on les élira bien moins s’ils n’ont pas le droit d’être élus, tant que vous laisserez exister un décret qui porte que, pour être élu, il faudra payer une contribution de 50 ou 54 livres, et en outre avoir une propriété, il est bien certain que ceux qui | ne payeront point cette quotité, et qui n’auront pas de propriété, non seulement, ne seront pas élus, mais ne seront pas même éligibles ; ainsi donc, il est évident que d’après le plan des comités, vous faites pour les citoyens qui ne payent pas la valeur de journées de travail beaucoup plus que ne pourrait faire le marc d’argent ; il est évident que vous agrandissez le cercle des élections et que vous ôtez un des freins les plus redoutables pour la liberté, celui qui eût porté sur les élections, puisqu’en effet vous ne réduisez pas seulement le marc d’argent à 40 journées, pour être éligible, mais que vous le réduisez à la simple qualité de citoyen actif, de sorte que tous les citoyens actifs du royaume sans aucune exception, tous ceux qui ne pouvaient pas même devenir électeurs, qui à plus fort!1 raison ne pouvaient pas parvenir à la législature sont aujourd’hui susceptibl s d’y être nommés. Vous étendez donc le bénéfice et le bienfait de l’éligibilité à tous les citoyens actifs duroyaume. Donc, tandis que d’un côté on veut restreindre l’éligibilité à 40, 50 ou même 100,000 personnes, de l’autre, le plan des comités a l’avantage de faire reverser l’éligibilité sur tous les citoyens du royaume. ( Murmures à l'extrême gauche.) J’ajoute, Me.-sieurs, que quelque issue que puisse avoir cette délibération, il est très essentiel que l’on connaisse les véritables motifs qui fontparler les personnes qui soutiennentl’avis des comités; car il ne faut pas qu’on suppose, comme on ne l’a que trop dit, que l’on veut établir une aristocratie de gens riches et que l’on veut anéantir la classe pauvre des citoyens, tandis que nous rendons tous les citoyens actifs, c’est-à-dire 4 ou 5 millions de citoyens français, propres à être députés. ( Murmures à l’extrême gauche.) Je dis donc, moi qui ne suis pas des comités, que l’avis des comités ouvre la porte de toutes les places, de fouies les fonctions publiques, de la législature ; en un mot, de tous les postes auxquels la confiance des citoyens peut appeler, à 5 millions de citoyens, et que l’avis contraire en réduit le nombre à 60 ou 80,000 citoyens éligibles. Voilà, Messieurs, ce que .je, pense sur le fond. Je n’entrerai pas dans les détails des opinions par lesquels on a cherché à jeter de la faveur ou de la défaveur sur les propositions des comités, je passe au décret du marc d’argent et je dis avec plusieurs préopinants que ce décret a été attaqué non pas par la majorité du royaume, je ne la connais point, mais par la très grande majorité des citoyens réunis en société et par presque tous les corps administratifs. Il est constant qu’il nous est parvenu des pétitions sans nombre à cet égard; et je vous prie de remarquer, Messieurs, qu’il y a à peine 15 jours, sur un décret rendu ici à la majorité de 980 voix contre 10, on a dit qu’il fallait consulter la nation; -or, si, à l’occasion d’un pareil décret qui était pourtant fondamental, il y avait quelques personnes qui pouvaient penser qu’il fallait connaître le vœu de la majorité de la nation, je ne sais pourquoi, ces mêmes personnes s’opposeraient aujourd’hui à ce qu’on acquiesçât à c e vœu, alors qu’il est clairement prononcé. Voilà ma seule objection sur ce décret. Rappeh z-vous, Messieurs, ce que l’on vous faisait craindre. On désignait cerlaines personnes [12 août 1791.J [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. comme voulant mettre le décret sur la noblesse parmi les décrets réglementaires. Eh bien, il a été mis dans la Constitution. On accusait les mêmes gens de vouloir détruire vos décrets sur l’égalité des citoyens; eli bien, celle égalité est consacrée par l’acte constitutionnel. Ne vous arrêtez donc pas aux avis des iibellistes, examinez les choses en elles-mêmes, avec impartialité, sans considération de personne; examinez si l’avis des comités n’est pas plus conforme au principe de l’égalité que le décret du marc d’argent, puisqu’il enlève toute condition d’admission au Corps législatif et rend légère celle de l’éligibilité au corps électoral. Et si la majorité de l’Assemblée était convaincue, qu’en effet, cet avis est beauc oup plus sage, plus conforme à l’égalité, plus constitutionnel en un mot, elle devrait l’adopter; car cela seul est constitutionnel qui est conforme aux bases de la Constitution et quand nous avons juré de maintenir tout ce qui était conforme àia Constitution. ( Exclamations à l'extrême gauche ) ..... Je demande à ces Messieurs qui viennent de faire une exclamation bien éloquente et pleine de sensibilité, je leur demande pourquoi ils n’ont pas honoré hier l’honorable M. Robespierre de la même exclamation, quand il a conclu à la révocation du marc d’argent. Eli! soyez donc justes et impartiaux, soyez égaux pour tout le monde. ( Murmures à l'extrême gauche.) Monsieur le Président, j’ai du moins la consolation de voir qu’il n’y a que quelques personnes qui font ce tapage là. Je dis, Messieurs, que d’après le développement des principes que je viens d’exposer, nous pouvons être tranquilles sur le sort de la délibération. ( Rires ironiques à l'extrême gauche.) M. le Président. Si vous voulez, Messieurs, je vais consulter l’Assemblée pour savoir si elle veut continuer d’entendre M. d’André, ou si elle entend qu’il interrompe son opinion. M. d’André. Jem’oppose à celaMonsieur le Président. Je disais donc que nous pouvons être parfaitement tranquilles sur le sort de la délibération et que, pour ma part, elle ne m’inspire aucune crainte. Ou l’avis des comités sera adopté, et j’aurai apporté alors ma faible portion de secours pour le faire passer; ou l’avis des comités sera rejeté, et alors on reconnaîtra, je ne dis pas les motifs cachés, mais les motifs réels de tous P s membres qui ont opiné pour et contre ; et lorsque, daus peu de temps d’ici, vous verrez des réclamations reparaître contre le décret du marc d’argent, lorsque vous verrez des corps électoraux mat composés ou déserts... (Murmures.) Plusieurs membres : Ils le sont déjà. D’autres membres : Non ! cela n’est pas. M. d’André. Je ne conçois pas comment on s’étonne que je me seive du mot « déserts » et comment on nie des faits qui ont été avancé' dans l’Assemblée, qui n’y ont point été contestés, qui sont reconnus par tout le monde et dont je suis moi-même un exemple; croyez-vous, en effet, que j’eusse jamais été nommé substitut de l’accusateur public à Paris, s’il y avait eu plus de 190 votants dans Rassemblée électorale! Je finis, Messieurs, en disant que, d’après ces considérations, si l’avis des comités passe, j’y obéirai de tout mon cœur; s’il ne passe pas, je 389 désire, pour le bien de mon pays, que ceux qui l’auront empêché ne s’en repentent pas. Voilà mon unique souhait, et je pense qu’à présent on peut mettre l’article aux voix. M. Hegnand (de Saint-Jean-d' Angély). Je demande que la discussion soit fermée, attendu que depuis 2 jours que cette question est traitée, elle doit être connue. (Murmures à l'extrême gauche.) Plusieurs membres : Oui! oui! M. 'Vernier. On vient de faire marcher l’arrière-garde ( t le corps de réserve, et l’on demande à présent de fermer la discussion et d’aller aux voix; c’est sans doute une grande tactique, mais j’ai le droit d’être entendu et je vais parler avec franchise. Les comités ont sans doute quelque motif pour nous proposer le changement d’un décret constitutionnel; or, si ce changement présente de très grands avantages, je puis démontrer que ces avantages sont aussi rares que les inconvénients sont nombreux. Messieurs, d’abord il n’est pas évident, comme les comités te prétendent, que le changement qu’ils proposent ait un si grand avantage; je vous supplie, Messieurs, de remarquer qu’en transportant sur les électeurs le marc d’argent, il s’en suivra, qu’il est nécessaire pour être électeur et pour être élu. Par là, vous privez tout à la fois le reste des citoyens et de la faculté d’élire et d’être élu; car il ne faut pas nous le dissimuler; quiconque connaît ce qui se passe-dans ces assemblées, voit que, s’il en est déjà ainsi, tout va se concentrer en eux de plus en plus, et le droit d’élire et le choix des élus. Ainsi nous qu’on accuse, du moins ceux qui sont dans notre opinion, de vouloir restreindre les droits, nous les étendons au contraire, en ce que ne donnant pas à plusieurs la faculté d’être éligibles, nous les rapprochons davantage en les nommant électeurs. Devons-nous penser d’ailleurs que l’esprit public fera assez peu de progrès, alors que ses progrès sont déjà si sensibles aujourd’hui, pour que les choix ne soient pas bons. Et maintenant qui est-ce qui répondra à l’en-convéuient grave, à l’inconvénient insurmontable de diré : nous allons réformer ce qui a été fait? Car, Messieurs, quelque subtilité qu’ait employé les comités, ce n’est pas leur zèle ni leur travail que je blâme, mais c’est leur erreur, parce que personne n’est plus pénétré que moi de la sagesse de leurs vues. Je vais plus loin, je suppose que les comités aient raison, que le décret qu’ils nous présentent soit le meilleur : ce n’en n’est pas moins un changement de décret constitutionnel qu’on vous propose. Les avantages que présentent leurs avis sont-ils assez grands, pour que nous nous permettions un si grand écart? Est-il des inconvénients incomparables à celui de changer un décret constitutionnel? Et qu’est-ce qui me dira que c’est la seule innovatiou de cette espèce? Ne voyez-vous pas que si nous consentons une fois à ce changement nous ne savons pas où nous nous arrêterons ? Demain ne pourra-t-on pas vous dire vous avez porté atteinte à ce décret, vous l’avez changé, donc vous pouvez le faire pour tel autre ?, On pourra vous faire changer la Constitution entière. Or, notez bien que quand on vous proposera des changements, on ne les proposera que 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 112 août 1791.1 comme des choses avantageuses. (Applaudissements.) Si l’on veut connaître une opinion impartiale, je vais vous dire la mienne. Vous croyez donc ici l’opinion des comités la meilleure ; eh bien ! admettons cette hypothèse. Quand je verrai un travail de 2 ans attaqué ainsi, ne craindrai-je pas que les autres décrets ne le soient également? Qu’est-ce qui me rassurera? Je demande, Messieurs, que vous ajourniez l’article qui nous occupe jusqu’à la fin du travail de la révision. ( Applaudissements au centre.) MM. Barnave et d’André appuient l'ajournement. M. Thonret, rapporteur. Au nom des comités, je ne mets aucune opposition à l’ajournement. M. Salle. Je m’y oppose. M. Rœderer. L’ajournement préjuge la question ; il semble indiquer que les décrets peuvent être changés. Plusieurs membres : Non ! non ! cela ne préjuge rien. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ajournement de l’article jusqu’à la fin du travail sur la révision delà Constitution.) M. Thouret, rapporteur , Nous passons, Messieurs, à la troisième section du chapitre lor du titre III : Section III. Assemblées électorales. — Nomination des représentants. « Art. 1er. Les électeurs nommés en chaque département se réuniront pour élire le nombre des représentants dont la nomination sera attribuée à leur département, et un nombre de suppléants égal au tiers de celui des représentants. » J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée que, sur cet article, elle a renvoyé aux comités une motion de M. Buzot tendant à assurer la formation des assemblées primaires et électorales dans le cas où ceux qui seraient chargés d’en faire la convocation le négligeraient. Nous avons eu hier une conférence à cet égard ; les comités sont d’accord avec M. Buzot; mais le résultat des deux dernières séances ne nous a pas permis de mettre la dernière main à la rédaction : comme cette rédaction doit modifier l’article premier nous vous proposons de ne décréter cet article que sauf rédaction. M. Gonpillean. M. le rapporteur nous a dit que rien ne nuisait davantage à la chose publique que la défiance ; pour la détruire il faut dire franchement quand on en a; or, je remarque, tout d’abord que les comités n’ont pas inséré dans cette section, le décret qui veut que les députés ne puissent être choisis que parmi les citoyens éligibles du département. Je remarque encore que les comités proposent de retrancher de l’article constitutionnel l’article qui veut qu’on ne puisse être élu à pius de deux législatures consécutives. Ges deux moyens combinés me donnent à Craindre qu’il ne s’établisse des législatures perpétuelles. D’abord si on ne rétablit pas l’article omis il s’en suivra que chaque individu peut être nommé dans tous les départements du royaume, et vous aurez des gens qui courront cabaler dans plusieurs départements et qui multiplieront les intrigues pour être nommés, sinon dans l’un, du moins dans l’autre. Je demande donc le rétablissement de cet article dans la section qui nous occupe actuellement; quant à la question de la rééligibilité, j’attendrai que nous y soyons arrivés pour demander le maintien de l’article décrété. . . Plusieurs membres : Il y est. M. Goupilleau... et la radiation de la note des comités qui est une note inconstitutionnelle et injurieuse pour le patriotisme et les lumières de l’Assemblée. M. Thourei, rapporteur. 11 est évident que les observations du préopinant n’ont aucune relation avec l’article premier. Quant aux additions il me semble que l’Assemblée devrait prendre pour règle de décréter d’abord les articles de chaque titre et de renvoyer ensuite à la fin du titre les additions qu’ou veut proposer; sans cela, il n’y a plus d’ordre dans la discussion. En ce qui concerne l’article de la rééligibilité, il est en toutes lettres dans le projet. La note qui y est jointe n’a pas pour objet de proposer à l’Assemblée de ne pas remployer, mais elle sert à faire connaître l’avis des comités et on ne peut pas désapprouver les comités de révision et de Constitution réunis, d’avoir mis une note pour constater une opinion individuelle qu’ils avaient lors de la première discussion, alors qu’ils persistent à penser la même chose M. Salle. J’observe sur le premier article de la section, que les élus ont deux caractères, celui de député de leur département, et celui de représentant delà nation. Quant ils sont réunis au lieu de la législature, le titre de député disparaît, celui de représentant commence à exister. Je demande qu’il soit fait à l’article premier le changement du mot représentants en celui de députés sauf à faire le même changement dans l’article 7. M. Babey. Je propose d’ajouter à la fin de l’article présenté par les comités, la disposition suivante : « Les uns et les autres ne pourront être élus que parmi les mitoyens domiciliés depuis un an dans l’éiendue du département. » M. Leïeu de la Yille-anx-Bois. Permettre de choisir les députés dans toute l’étendue du royau me, c’est laisser une faculté qui peut donner lieu à l’intrigue et à la corruption ; restreindre l’éligibilité aux éligibles de chaque département, c’est éviter au contraire le retour de faits qui se sont produits. Dans nos assemblées bailliagères, nous avons vu, en effet, l’intendant des finances, de M. d’Orléans, déclarer en pleine réunion qu’il venait jouer le rôle de candidat comme dans la République romaine et s’exposer au grand jour; il est venu nous demander une place de député par deux fois différentes : ces faits sont dans le cas d’être attestés par 60 personnes. La seconde fois qu’il s’est présenté, il a fait des propositions que certainement on ne peut jamais supposer venir de celui dont il était l’agent; les