[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] 673 M. de Menou. Plus M. Blin a bien mérité de nous par ses qualités de bon citoyen et par la sagesse de ses opinions, plus nous devons désirer qu’il soit puni lorsqu’il s’est aussi manifestement écarté de celte sagesse. J’insiste fortement sur ma motion. M. de Fumel demande la question préalable. M. de Montlosier propose de diviser cette question, et de rappeler seulement M. Blin à l’ordre. M. l’abbé Maury. Il ne faut pas mettre trop d’attention à des expressions qui, dans la chaleur d’une discussion importante, échappent à un orateur. La question préalable est mise aux voix, et l’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer. M. de la Calisson nière. II peut échapper à un opinant des expressions d’une grande inconvenance; mais un désaveu aussi formel que celui * de M. Blin doit les faire oublier. M. de Foucault. Je vais parler un langage qui doit plaire à tout le monde, celui de la liberté. Inscrire un membre sur le procès-verbal pour une opinion individuelle, ce serait établir une nouvelle servitude. Cette punition est purement scholastique; elle ne m’empêchera jamais de développer mon opinion. Il s’agit ici d’uue expression désavouée dans le sens qui pourrait être coupable, à l’instant où elle a été prononcée. M. le comte de Mirabeau appuie la demande de la division : la question n’est pas divisée. — La motion de M. de Menou est adoptée à une très grande majorité. M. le Président, a M. Blin. L’Assemblée vous rappelle à l’ordre pour les expressions dont vous vous êtes servi; elles ordonne que ce fait soit consigné dans le procès-verbal. M. Blin. Je me soumets à la justice de l’Assemblée, et je lui demande, comme une grâce, que l’explication que j’ai donnée soit retenue sur le procès-verbal. Cette demande est accordée. % On revient à l’ordre du jour. L’ajournement est demandé sur la motion de M. Le Chapelier. — Il est rejeté. L’Assemblée rend le décret suivant, rédigé par M. Rœderer, et amendé par M. de Lafayette : « L’Assemblée nationale rendra demain, sans discussiohs ultérieures, sauf les amendements, un décret concernant la tranquillité publique, et immédiatement après l’Assemblée s’occupera du rapport du comité féodal. » La séance est levée à cinq heures et demie. � PREMIÈRE ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 22 février 1790. Opinion de M. de Robespierre sur le projet de loi relatif au rétablissement de la tranquillité publique (extrait du journal le Point du jour). Messieurs, plusieurs lois martiales dans une lre Série. T. XI. seule session, c’est beaucoup pour 1rs restaurateurs de la liberté, pour les représentants du peuple. Avant de décréter celle-ci, il faut voir dans quelle circonstance et sous quels auspices elle vous est présentée : on vous a lu un mémoire de M. le garde des sceaux qui vous représente l’empire français désolé par les plus horribles calamités; il ne vous a pourtant cité d’autre fait que celui de Béziers. Vous avez donné des marques de sensibilité à cet événement malheureux et vous avez pris en considération la motion ministérielle au point de charger votre comité de constitution de vous présenter un projet de loi sur cet objet. D’abord est -ce bien le moment de porter une loi sur cette espèce?... Il faut que l’on me pardonne de n’avoir pu concevoir encore comment la liberté pouvait être établie ou consolidée par le terrible exercice de la force militaire qui fut toujours l’instrument dont on s’est servi pour l’opprimer, et de n’avoir pu concilier encore des mesures si arbitraires, si dangereuses, avec le zèle et la sage défiance qui doivent caractériser les auteurs d’une révolution fatale au despotisme. Je n’ai pu oublier encore que cette révolution n’était autre chose que le combat de la liberté contre le pouvoir ministériel et aristocratique. Je n’ai point oublié que c’était par la terreur des armes que l’un et l’autre avaient retenu le peuple dans l’oppression, que c’était en punissant tous les murmures et les réclamations même des individus, comme des actes de révolte, qu’ils ont prolongé, pendant des siècles, l’esclavage de la nation , honoré alors du nom d’ordre et de tranquillité. Quelques désordres ont été commis dans le royaume; mais de quellenature sont-ils ? Rendent-ils nécessaire le plus violent de tous les remèdes? Les troubles du Quercy et de quelques autres cantons se réduisent à l’incendie de quelques châteaux. Dans l’Agénois, cet accident n’est point tombé sur les ennemis du peuple, mais sur des députés nobles qui se sont montrés constamment ses défenseurs, et qui ont réclamé à cette tribune que de pareils événements ne devinssent point un prétexte de provoquer contre le peuple des mesures violentes et fatales à la liberté. On sait d’ailleurs que les désordres de ces provinces viennent des étrangers sorti d’un pays qui est l’asile de ceux qui ont fui la France au moment où elle devenait libre. Ainsi, adopter une loi martiale, ce serait courir le risque de remplir peut-être les intentions secrètes de ces fauteurs du despotisme, qui auraient pu provoquer de pareils désordres. On vous en a cité de plus répréhensibles qui ne sont pas alarmants pour la tranquillité du royaume, tels que des paiements de droits seigneuriaux refusés et des injures adressées à certains seigneurs. Ce n’est donc pas, comme on vous l’a dit, une disposition générale du peuple à violer tout les principes de l’ordre social; l’événement de Béziers tient à l’aversion qu’inspire l’impôt odieux de la gabelle... Nous ne sommes pas réduits à des moyens aussi violents que ceux qu’on vous propose ; je croirais trahir mon devoir si je ne repoussais les injustes préventions que l’on voudrait inspirer contre le peuple. J’invoque d’abord cette province même où se sont élevés des troubles populaires, dont on vous a entretenu dans la dernière séance. Rappelez-vous avec quelle difficulté les partisans de l’aristocratie ont réussi à exciter une fermentation locale parmi les habitants des campagnes trompés sur vos décrets et sur vos intentions. 43 674 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 févvrier 1790.] Rappelez-vous avec quelle facilité elle s’appaisa, et comment des citoyens vertueux, reconnaissant cette odieuse surprise, vinrent désavouer l'acte séditieux qu’ils avaient souscrit... Je laisse les ennemis du peuple déclamer éternellement contre quelques actes violents, commis à la première époque de cette révolution ; au moins, j’observe que jamais un plus grand spectacle ne s’est offert aux yeux des hommes, que celui d’un peuple immense, qui, maître de sa destinée, voyant tous les pouvoirs qui l’avaient opprimé, abattus autour de ui, est rentré de lui-même dans le calme et dans 'ordre, malgré ses misères et ses victoires... S’il a été commis quelques désordres et quelques voies de fait contre la propriété des seigneurs, soit par ignorance de vos décrets qu’on lui cache, soit par de funestes préventions contre certains droits, pardonnez quelques erreurs en faveur de tant de siècles de servitude et de misère. S’il a été trompé, il faut punir ceux qui l’ont égaré par de fausses insinuations et non pas promulguer des lois terribles que désirent les ennemis du bien public ; si ces désordres sont commis par des bandits étrangers, il ne faut point exposer les citoyens par une loi rigoureuse. (M. de Robespierre pensait que les milices nationales, gardiennes naturelles de la tranquillité intérieure, étaient le premier moyen de chasser les brigands et d’assurer la propriété, sans que la liberté fût compromise, surtout dans un temps où les municipalités nouvelles ne laissaient plus de prétexte aux projets sinistres; il voyait un second moyen dans la formation des districts et des départements.) Mais, ajoutait-t-il, ignorez-vous que le parti populaire et le parti aristocratique se disputent les places nouvelles pour devenir les maîtres de la Constitution? N’est-il pas possible que des départements soient composés d’un plus grand nombre d’aristocrates, et que l’intrigue, fortifiée par l’ascendant du pouvoir exécutif, introduise dans la législature prochaine un plus grand nombre de fauteurs de l'aristocratie , que d’hommes vraiment attachés aux intérêts du peuple? Alors, ne vous y trompez pas, toute insurrection, toute réclamation serait impossible, car le pouvoir exécutif aurait repris tout son ancien empire; le peuple resterait avec son ignorance, ses préjugés, sa timidité ; ses en nemis armés des richesses, de la force et de la terreur...,, que devient alors la liberté? Or, la loi martiale nous conduit à ce malheur, pendant le temps des élections. Une loi martiale servirait à faire triompher le parti aristocratique ; il y en a déjà des exemples. Oui, Messieurs, cette révolution ne peut être achevée, si le peuple est retenu dans le néant par la terreur ; tous ses ennemis doivent tendre à le rendre nul et à vous ménager son influence. (M. de Robespierre termine son discours en observant que c’est au moment des élections qui vont former les districts et les départements, qu’on demande d’armer le gouvernement contre les citoyens.) J’admire ces heureuses combinaisons de la politique ministérielle; mais je serais bien plus étonné encore de notre confiance, si nous étions assez faciles pour les adopter. Je n’ai pas besoin de discuter les projets de MM. de Cazalès et Duval d’Eprémesnii : il faudrait désespérer de la France, si leurs idées avaient seulement besoin d’être combattues. Les moyens de rétablir la paix sont des lois justes et des gardes nationales. 2e ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 22 février 1790. Opinion de M. l’abbé de Bonneval (1) sur le décret à rendre pour le rétablissement de la tranquillité publique (2) . Messieurs, votre comité de constitution a mis sous vos yeux deux projets de décrets relatifs au rétablissement de la tranquillité publique. Je ne discuterai ni l’un ni l’autre. Je me bornerai uniquement à établir le principe qui, dans mon opinion, doit être l’âme de ce décret et en déterminer les dispositions. Les troubles se multiplient dans le royaume; l’esprit de brigandage et d’insurrection s’introduit dans plusieurs de nos provinces. Ses progrès, aussi rapides qu’ils sont effrayants, menacent les propriétés, l’existence même des propriétaires de la plus terrible des invasions. Quelle est la cause de ces mouvements convulsifs qui font appréhender aux bons citoyens une subversion totale dans l’empire? Ne la trouve-t-on pas facilement, Messieurs, cette cause dans l’inaction forcée du pouvoir réprimant, inaction qui, pour notre malheur, ne dure que depuis trop longtemps. Les tribunaux sont muets, les pouvoirs civils sans appui, les troupes réglées ignorent, pour ainsi dire, quel est leur chef. Dans ce vaste silence de toute autorité, est-il étonnant que l’insubordination, fière de ses succès et de l’impunité qui les accompagne, étende plus loin chaque jour ses prétentions et ses ravages? L’autorité qui fait la loi, celle qui applique la loi, ne peuvent pas se suffire à elles-mêmes. Elles ont besoin d’une autre autorité qui les protège et les appuie l’une et l’autre. Cette troisième autorité réside exclusivement et sans partage dans le pouvoir exécutif. Sans lui, tout languit dans le corps politique, ou plutôt sans lui le corps politique n’existe pas. 11 est donc évident qu’un pouvoir exécutif est nécessaire. Il est éga ement évident qu’il doit être intimement lié à la constitution et en être une partie intégrante. Quelle doit être sa nature? Doit-il être simple et réuni dans une seule et même main? Doit-il être complexe et réparti entre différents agents? Cette question se résout, ce me semble, par la mesure de l’espace que le pouvoir exécutif est chargé de parcourir. Peut-être qu’un Etat concentré dans l’enceinte d’une ville et dans les limites d’un petit territoire, peut, quel que soient la combinaison et le jeu de ses ressorts, confier le pouvoir exécutif à plusieurs dépositaires et les mettre en rapport avec la chose publique par les liens d’une simple corrélation, plutôt que par les liens d’une véritable dépendance. Mais, dans un vaste empire, dont les forces motrices doivent avoir d’autant plus d’intensité qu’elles ont un plus grand espace à parcourir et de plus grandes résistances (1) L’opinion de M. l’abbé de Bonneval, n’a pas élé insérée au Moniteur. (2) Cette opinion devait être prononcée dans la séance du lundi 22 février ; mais ayant été piacé le 37® sur la liste de la parole il ne m’a pas été permis de monter à la tribune. Ce n’est pas la première fois depuis le commencement de l’Assemblée nationale, que m’étant préparé à différentes discussions sur dés objets qui me paraissaient d’une haute importance, il m’a été impossible de parler (Note de M. l’abbé de Bonneval).