382 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 octobre 1789.] ter à la tyrannie un prince qui se trouverait a la merci de l’Assemblée nationale. Par là on ne travaillerait pas pour la liberté, mais contre la liberté. Je prouve ainsi que l’article est inadmissible. Il faut donc l’amender ; la question préalable sur les amendements doit donc être rejetée. — Ou la nation doit, ou elle ne doit pas : si elle doit, peut-elle conférer à ses représentants la faculté d’arrêter le payement de la dette ? Il suffit que les impôts d’administration puissent être retirés dans le cas où l’on s’en servirait pour attaquer la sûreté, la liberté, la propriété. La dette nationale est le prix de la sûrete dont nous avons joui jus-u’à ce moment. Votre droit et votre devoir sont onc uniquement d’empêcher que la contribution destinée à ce payement ne soit employée à vous opprimer. M. d’Aigalliers. 11 ést constitutionnel de dire que la dette sera garantie ; la réserve ne blesse pas le principe. M. Duport. Par le décret du 17 juin, vous avez décidé le payement de la dette et la cessation des impôts. Vous avez déjà établi le principe: la cessation de l’impôt n’est qu’un moyen comminatoire. M. Pétion de Villeneuve. L’Angleterre vote tous les ans dés impôts destinés à payer la liste civile et les intérêts de la dette ; toute distinction entre les divers besoins publics serait illusoire : pouvons-nous soupçonner que les législatures soient tentées de refuser la liste civile ou les intérêts delà dette ? Userait impossible de faire ce refus sans refuser tous les subsides, et la nécessité ne s’en présentera jamais que dans une de ces crises violentes qu’on ne peut ni prévenir, ni prévoir. Etablissons simplement le principe ; nous arrêterons par la .suite les fonds nécessaires pour la dette et pour la liste civile ; nous annoncerons que nous avons entendu qu’ils soient fournis, et nous donnerons toute la France pour assignai aux créanciers. Un autre assignat pqurrait toujours être suspendu ou retiré dans une crise violente; il est donc inutile, et ne tendrait qu’à établir des impôts perpétuels. M. de Eubersac, évêque de Chartres. Vous devez vous rendre maîtres de tous les impôts pour assurer la liberté de la nation. — ' L’article est sagement rédigé, etdoitêtre adopté sans amendement. M. de Beaumetz. Voudrions-nous pour une rédaction, et quand on est d’accord sur les principes, compromettre le crédit, dont la nécessité est si démontrée ? Demande* t-on si la dette est sacrée ? L’honneur répond, et votre décret du 17 juin a consacré ce qu’il vous a inspiré. 11 s’agit donc seulement de donner un assignat ou annuel ou immuable; mais la dette est sujette à une mobilité progressive : l’assignat deviendrait progressivement trop fort. La liste civile peut s’accroître, et l’assignat qui y serait affecté deviendrait alors trop faible. Si iine législature imprudente voulait refuser le payement de l’une et de l’autre, elle reprendrait aussi facilement l’assignat qu’elle refuserait l’impôt : il faut donc seulement décider ce qui l’est déjà par la raison, qu’aucune législature ne pourra arrêter ni le payement de la dette ni celui de la liste civile. Cette disposition ne sera qu’un décret de comptabilité. Je propose un amendement dans ces vues. On présente encore un très-grand nombre d’amendements. La discussion est fermée. La question préalable ayant été invoquée sur les amendements, on délibère, et il est décidé qu’il y a lieu de délibérer; , La priorité est demandée pour ceux de MM. de Mirabeau, de Lameth, Barnave et de Beaumetz. Elle leur est successivement refusée. Celui de M. de Lameth est enfin adopté, et l’article est décrété comme il suit : « Art. 6. Aucun impôt ne sera accordé que pour le temps qui s’écoulera jusqu’au dernier jour de la session suivante : toute contribution cessera de droit à cette époque si elle n’est pas renouvelée. Mais chaque législature votera, de la manière qui lui paraîtra la plus convenable, les sommes destinées soit à l’acquittement des intérêts de la dette, soit au payement de la liste civile. La séance est levée à quatre heures et demie, et ajournée à demain. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE CHAPELIER. Séance du jeudi 8 octobre 1789, au matin . M, l’abbé d’Eymar, secrétaire, fait lecture d’une lettre de M. Mounier, Président, par laquelle il déclare que sa santé ne lui permet pas de remplir les derniers jours de sa présidence. En l’absence de MM. les deux derniers présidents, M. le Chapelier, qui les avait précédés dans cette place, y est appelé. La séance est ouverte. M. Démeunier, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la_séance d’hier 7 octobre. M. Pons de Soulages dénonce une faute très-grave commise par l’imprimeur dans le procès-verbal n° 81. Le décret y est ainsi imprimé : « Aucun acte du Corps législatif ne sera considéré comme loi... s’il n’est fait par les représentants de la nation, légalement et librement élus par le monarque. » Cette addition, par le monarque , provoque une violente censure contre l’imprimeur. L’Assemblée décrète que le numéro sera réimprimé avec la correction demandée, qui consiste à ajouter ces mots : et s’il est sanctionné, avant ceux-ci, par le monarque . M. le Président dit ensuite qu’on trouvera au secrétariat l'indication des bureaux où s’assembleront les généralités , pour nommer les membres du comité des domaines. M. Robespierre demande que la lettre de deux Anglais, présentée hier, soit traduite pour être lue à l’Assemblée et ensuite livrée à l’impression. (Adopté.) M. Dufraisse-Duehey expose un fait dont il a été le témoin. Nommé pour accompagner mardi le Roi à Paris, il est parti avec cinq de ses collègues dans une voiture de Sa Majesté. En passant au Point-du-Jour, une foule de peuple leur a fait des menaces, et les a étendues à beaucoup de membres de l’Assemblée. M. Goupil de Préfeln. Je dois vous tran- [8 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] quilliser sur les conséquences de ce fait. J’ai entendu comme un autre faire des menaces contre des membres que nous honorons ; mais elles ont été blâmées par tous les honnêtes gens qui rendent à ces députés la justice qu’ils méritent. M. Tronchet raconte qu’ayant demandé à plusieurs citoyens de Paris que les districts de cette ville s’expliquent et fassent connaître s’ils désirent la translation de l’Assemblée nationale dans la capitale, ces districts, après avoir témoigné qu’ils ne l’avaient ni demandé, ni désiré, ont trouvé qu’il n’y avait lieu à délibérer. M le duc de Liancourt. Persuadé qu’en vous déclarant inséparables du Roi, vous êtes déterminés à tenir vos séances à Paris, s’il restait dans la capitale, j’ai demandé à Sa Majesté si elle y demeurerait en effet. Le Roi m’a répondu que l’Assemblée devait prendre ses mesures pour tenir ses séances à Paris. M. l’abbé Grégoire. La translation de l’Assemblée nationale à Paris doit être la matière des plus sérieuses délibérations. Sans parler des alarmes que des personnes mal intentionnées pourront répandre dans les provinces en voyant leurs représentants livrés à la merci d’un peuple armé, pense-t-on que les députés du clergé puissent se rendre à Paris, et braver en sûreté les outrages et les persécutions dont ils sont menacés ? Cependant, Messieurs, quel est le délit des ecclésiastiques de cette Assemblée, car ils ont partagé avec vous tous les périls de cette régénération ? La plupart sont de respectables pasteurs, connus par leur zèle et leur dévouement patriotique. C’est un ecclésiastique qui a déterminé l’Assemblée à nommer un comité pour s’occuper des moyens de pourvoir à la subsistance du peuple. Les curés sont venus les premiers renoncer par une réunion courageuse aux préjugés absurdes de leur ordre. C’est parmi ces respectables pasteurs que se sont trouvés de zélés défenseurs des droits de la classe opprimée.M. l’abbé deGler-get, député du bailliage d’Amont, dans un écrit, le Cri de la raison , aussi éloquent que profond, a plaidé victorieusement la cause des malheureux mainmortables, et concouru puissamment à leur affranchissement par les lumières qu’il a répandues. Les dîmes ont été abandonnées. Les curés ont renoncé à leur casuel ; ils ont souscrit les premiers à la loi qui défendait à l’avenir 4 pluralité des bénéfices ; ils s'y sont soumis à l’instant, quoiqu’elle n’eût pas d’effet rétroactif. Ils ont avec empressement porté dans la caisse patriotique des dons plus proportionnés à leur zèle qu’à leurs facultés. C’est quand on oublie ce qu’ils ont fait, et quand une aveugle effervescence les menace, qu’il faut parler pour eux. Serait-il encore temps de montrer la vérité pour rappeler à la justice ? Quel est le prix qu’ils en reçoivent ? Le peuple de Paris les outrage et leur fait les menaces les plus effrayantes. Il n’y a pas de jour que des ecclésiastiques ne soient insultés à Paris. Vous penserez, Messieurs, que pour l’honneur de la nation française, pour le succès de cette Révolution, l’Assemblée doit prendre des précautions, pour mettre en sûreté les députés du clergé dont vous avez déclaré la personne inviolable et sacrée. 383 Si vous croyez devoir tenir vos séances à Paris, je demande que l’Assemblée nationale fasse de nouvelles proclamations pour la sûreté des personnes des députés du clergé. M. de Montlosier. On a insulté l’Assemblée ici même, lorsqu’elle se rendait chez le Roi. M. le vicomte de Mirabeau. Il est bon de rappeler en ce moment que, dans l’adresse pour l’éloignement des troupes, M. le comte de Mirabeau a dit qu’il ne suffisait pas que l’Assemblée fût libre, mais qu’il fallait encore qu’elle fût crue libre. Beaucoup de membres réclament l’ordre du jour. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’elle reprendra la discussion de son ordre du jour concernant le projet d’ organisation du Corps législatif. L’article 7 est adopté en ces termes : « Art. 7. Le Corps législatif présentera ses décrets au Roi, ou séparément, à mesure qu’ils seront rendus, ou ensemble à la fin de chaque sessions. » L’article 8, sur lequel un seul amendement a été présenté, est également adopté ainsi qu’il suit : « Art. 8. Le consentement royal sera exprimé, sur chaque décret, par cette formule signée du Roi : le roi consent et fera exécuter ; le refus suspensif sera exprimé par celle-ci: le roi examinera. » M. le Président. L’article 9 proposé par le comité est ainsi rédigé : « Après avoir consenti un décret, le Roi le fera sceller, et ordonnera qu’il soit adressé aux tribunaux, aux assemblées administratives, aux municipalités, pour être lu, publié, inscrit dans les registres, et exécuté sans délibération, difficulté ni retard. » M. Robespierre. Vous venez de fixer la forme du consentement; vous-allez déterminer celle de la promulgation ; il faut, en même temps, en établir la formule. Vous ûe pouvez adopter ni celle des arrêts du conseil, ni celle des déclarations ; vous rejetterez sans doute ces expressions du despotisme : de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale ; car tel est notre plaisir. La liberté doit exister dans les mots par lesquels vous exprimez les choses, et dans la forme de la | loi, comme dans la loi même. Je demande qu’on | s’occupe en ce moment de cette formule. M. Duport. Il faut d’abord déclarer le nom qu’aura la loi, et qu’il soit uniforme. Elle pourrait être dorénavant appelée décrets nationaux ou lois nationales. Mais lois est trop général, et ce terme est purement métaphysique. M. Démeunier attaque cette dernière observation. Le mot loi exprime tout ce qu’il y a de plus imposant, puisqu’il annonce l’acte auquel tous les peuples doivent être soumis. M. Fréteau. Il est à propos de diviser la délibération sur cette formule, en deux parties : le préambule, et la conclusion de l’acte promulga» tif. Dans le préambule, il faut ajouter à ces mots : Louis, par la grâce de Dieu ceux-ci : et par la loi du royaume, roi des Français. C’est le titre donné ARCHIVES PARLEMENTAIRES.