7$ [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.1 vous n’avez rien innové; cette déclaration suffit, elle ne peut laisser subsister aucune alarme. Il est seulement juste de l’accompagner d’une disposition propre à rassurer les colonies contre ceux qui, par de coupables intrigues, chercheraient à y porter le trouble, à y exciter des soulèvements; ces hommes qu’on a trop affecté de confondre avec de paisibles citoyens occupés à chercher par la réflexion les moyens d’adoucir la destinée de la plus malheureuse portion de l’espèce humaine, ces' hommes, dis-je, ne peuvent avoir que des motifs pervers, et ne peuvent être considérés que comme des ennemis de la France et de l’humanité. C’est à ces différents articles, Messieurs, que se réduit le projet du décret que votre comité vous propose. La partie sur laquelle nous avons cru devoir surtout arrêter votre attention, est celle qui concerne les formes indiquées pour constituer les colonies. La justice et la confiance nous ont paru la seule politique qui pût convenir à elles et à vous ; la justice est désormais le garant de tous les traités, le fondement de toutes les puissances; rien, Messieurs, n’a pu faire douter de l’attachement des colonies à la métropole ; mais rien n’est plus propre à l’affermir que la marche que nous vous proposons. Si la franchise et la bonne foi conviennent dans toutes les transactions à la majesté d’un peuple libre; si, dédaignant les ressources d’un art qui n’appartient qu’à la faiblesse, vous voulez suivre désormais la marche qu’indique votre loyauté et qui sied à votre puissance, vous ne balancerez point à l’adopter avec des frères, des concitoyens, des Français comme vous. Ah! puisqu’aujourd’hui la liberté nous donne à tous une existence nouvelle; puisque, pour la première fois, nous sommes appelés à remplir la dignité d’hommes, à exercer, comme peuple, les droits des peuples, renouvelons, confirmons les liens qui nous tiennent unis avec les Français des colonies. Disons-leur dans notre épanchement : «Vous avez partagé notre oppression, notre servitude, partagez aujourd’hui notre bonheur et notre liberté 1 vous ne sauriez exister dans une indépendance absolue ; soyez-nous à jamais unis, et nous jurons de vous associer à tous les bienfaits de notre destinée! « Tout a changé parmi nous, une nouvelle administration vient de remplacer celle dontvous eûtes tant à vous plaindre; nos nouvelles lois sont toutes dirigées à votre avantage; toutes tendent à honorer, à faire fleurir l’agriculture, le commerce, les manufactures; toutes tendent à rendre nos relations commerciales les plus avantageuses qui puissent exister, nos relations politiques les plus franches, les plus équitables dont aucun peuple ait donné l’exemple. « Vous ayez en France vos’ femmes, vos enfants, votre première patrie. Cet attachement ineffaçable et cet orgueil du nom français, que vous professâtes dans des temps où les mots de nation et de patrie étaient sans force parmi nous, quelle énergie nouvelle n’acquerront-ils pas dans vos âmes toujours brûlantes, quand vous recueillerez avec nous les fruits d’une glorieuse liberté ! 0 vous, que l’univers a vu dans les guerres les plus mallieu-reuses, au comble de notre détresse, partager sans murmure notre destinée, et préférer, à tout ce qui vous était offert, l’inaltérable fidélité; le moment est venu de renouveler l’auguste serment qui réunit au corps national toutes les parties de la domination française. Venez donc aujourd’hui le prêter comme nous, et qu’il soit désormais le premier article de tous les traités entre la métropole et les colonies !» Voici, Messieurs, le projet de décret que votre comité a unanimement arrêté de vousfproposer : décret. L’Assemblée nationale, délibérant sur les adresses et pétitions des villes de commerce et de manufactures, sur les pièces nouvellement arrivées de Saint-Domingue et de la Martinique, à elle adressées par le ministre de la marine, et sur les représentations des députés des colonies, Déclare que, considérant tes colonies comme une partie de l’empire français, et désirant les faire jouir des fruits de l’heureuse régénération qui s’y est opérée, elle n’a jamais entendu les comprendre dans la constitution qu’elle a décrétée pour le royaume, et les assujettir à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs convenances locales et particulières. En conséquence, elle a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er Chaque colonie est autorisée à faire connaître son vœu sur la constitution, la législation et l’administration qui conviennent à la prospérité et au bonheur de ses habitants, à la charge de se conformer aux principes généraux qui lient les colooics à la métropole, et qui assurent la conservation de leurs intérêts, respectifs. Art. 2. Dans les colonies où il existe des assemblées coloniales, librement élues parles citoyens, et avouées par eux, ces assemblées seront admises à exprimer le vœu de la colonie : dans celles où il n’existe pas d’assemblées semblables, il en sera formé incessamment pour remplir les mêmes fonctions. Art. 3. Le roi sera supplié de faire parvenir, dans chaque colonie, une instruction de l’Assemblée nationale, renfermant ; 1° les moyens de parvenir à la formation des assemblées coloniales, dans les colonies où il n’en existe pas; 2° les bases générales auxquelles les assemblées coloniales devront se conformer, dans les plans de constitution qu’elles présenteront. Art. 4. Les plans, préparés dans lesdites assemblées coloniales, seront soumis à l'Assemblée nationale, pour être examinés, décrétés par elle, et présentés à l’acceptation et à la sanction du roi. Art. 5. Les décrets de l’Assemblée nationale, sur l’organisation des municipalités et des assemblées administratives, seront envoyés auxdites assemblées coloniales, avec pouvoir de mettre à exécution la partie desdits décrets qui peut s'adapter aux convenances locales, sous la décision définitive de l’Assemblée nationale et du roi, sur les modifications qui auraient pu y être apportées, et la sanction provisoire du gouverneur, pour l’exécution des arrêtés qui seront pris par les assemblées administratives. Art. 6. Les mêmes assemblées coloniales énonceront leur vœu sur les modifications qui pourraient être apportées au régime prohibitif du commerce entre les colonies et la métropole, pour être, sur leurs pétitions, et après avoir entendu les représentations du commerce français, statué par l’Assemblée nationale , ainsi qu’il appartiendra. Au surplus, l’Assemblée nationaledéclarequ’elle n’a entendu rien innover dans aucune des branches du commerce soit direct, soit indirect de la France avec ses colonies; met les colons et leurs propriétés sous la sauvegarde spéciale de la nation ; déclare criminel, envers la nation, quiconque [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mars 1790.] 73 travaillerait à exciter des soulèvements contre eux : jugeant favorablement des motifs qui ont animé les citoyens desdites colonies, elle déclare qu’il n’y a lieu contre eux à aucune inculpation; elle attend de leur patriotisme le maintien de la tranquillité, et une fidélité inviolable à la nation, à la loi et au roi. (Le rapport et le projet de décret sont accueillis par des applaudissements dans toutes les parties de la salle.) M. le comte de Mirabeau, à la tribune. Je demande à parler sur ce rapport. — (La voix de l’orateur est immédiatement couverte par les cris répétés : Aux voix! aux voix! — M. le vicomte de Mirabeau et M. Pétion de Villeneuve demandent également la parole. ( Voy . leurs discours annexés à la séance). — L’Assemblée, moins quelques membres, témoigne sa ferme volonté d’aller aux voix et se lève tout entière. — M. le comte de Mirabeau se décide enfin à descendre de la tribune.) M. le Président. La volonté de l’Assemblée nationale paraît unanime et formelle. Je mets aux voix le projet de décret présenté par le comité colonial et dont il vous a été donné lecture. Le décret est adopté. M. Arthur Dillon, député de la Martinique , présente la motion suivante : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera par devers le roi pour le supplier d’accorder sa sanction au décret qui vient d’être rendu, ainsi que de faire expédier immédiatement une corvette pour porter ce décret aux colonies; Que M. le président est autorisé à écrire dans chaque colonie une lettre accompagnant le décret qui les concerne; Que le comité des colonies proposera le plus tôt possible à l’Assemblée le projet d’instruction et de règlement annoncé dans le décret de ce jour; Que les colons actuellement résidents à Paris, seront admis à la barre à l’une des premières séances du soir, pour y prêter le serment civique. » (Celte motion est mise aux voix et adoptée.) M. Guillaume, secrétaire , donne lecture d’une lettre qui vient d’être déposée sur le bureau et qui arrive de Nantes. Elle annonce que neuf vaisseaux sont arrivés de Port-au-Prince et des Cayes-Saint-Louis ; que les nouvelles de la colonie sont très satisfaisantes; que le commandant général et les troupes ont prêté le serment civique, qu’il n’y a aucun mouvement parmi les nègres et que la récolte des sucres est très abondante. M. le baron de Cernon observe que la formation des assemblées administratives est ralentie par les députés qui n’ont pas encore remis et signé la carte de leurs départements; en conséquence, il propose le décret suivant qui est mis aux voix et adopté : « L’Assemblée nationale décrète que MM. les députés remettront, dans deux jours, au comité de constitution, la carte signée de leurs départements respectifs; que, passé ce délai, le comité est autorisé à former provisoirement les délimitations des départements qui sont en retard, et qu’on procédera à l’organisation des assemblées administratives. » La discussion du décret concernant l'abolition des droits féodaux est ensuite reprise. Un membre propose un article à ajouter à ceux présentés par le comité féodal, et qui est conçu en ces termes : « Seront dans la classe des droits rachetables, toutes les redevances seigneuriales qui ne représentent aucune trace de mainmorte, mais une concession de fonds ou d’usages dans les bois et pâtures communs sur lesquels le seigneur n’a conservé aucun droit de triage, à la charge par les propriétaires desdites redevances deproduire, à défaut de titre primitif, la preuve d’une possession non contestée pendant quarante années. » M. Tronchet, membre du comité féodal, observe que cet article ne peut pas recevoir une application générale, et qu’il pourrait avoir de grands inconvénients dans les pays d’allodialité; il demande en conséquence qu’il soit renvoyé au comité pour y être examiné. Cet avis est adopté. M. Merlin, rapporteur , annonce que les domaines congéables, sur lesquels il s'était d’abord proposé de présenter un article à la suite de l’article 2 ci-dessus, feront la matière d’une loi particulière, dont le projet sera incessamment présenté à l’Assemblée; en conséquence il demande que dans l’article 7 du titre II, l’Assemblée veuille bien substituer aux mots ci-après, ces mots : par une loi particulière. Cette modification est adoptée. M. Merlin donne ensuite lecture de l’article 3 du titre III, ainsi conçu : Art. 3. Aucune municipalité, aucun district, aucun département, ne pourra 4 peine de nullité, de prise à partie et de dommages-intérêts, prohiber la perception d’aucun des droits seigneuriaux dont le paiement sera réclamé, sous prétexte qu’ils se trouveraient implicitement ou explicitement supprimés sans indemnité, sauf aux parties intéressées à se pourvoir, par la voie de droit, devant les tribunaux ordinaires. Quelques membres présentent des observations sur cet article. Après quelques débats, le rapporteur en modifie la rédaction et il est décrété ainsi qu’il suit : Art. 3. « Aucune municipalité, aucune administration de district ou de département ne pourra, à peine de nullité, de prise à partie, et de dommages-intérêts, prohiber la perception d’aucun des droits seigneuriaux dont le paiement sera réclamé, sous prétexte qu’ils se trouveraient implicitement ou explicitement supprimés sans indemnité, sauf aux parties intéressées à se pourvoir par les voies de droit ordinaires devant les juges des lieux. » M. Merlin donne lecture de l’article 4. « Les propriétaires de fiefs dont les archives et les titres auraient été brûlés ou pillés à l’occasion des troubles survenus depuis le commencement de l’annéé 1789, pourront, en faisant preuve du fait, tant par titres que par témoins, dans l’année de la publication du présent décret, être admis à établir, soit par acte soit par la preuve testimoniale d’une possession de trente ans, la nature et la quotité des droits qui leur appartiennent. »