SÉANCE DU 14 VENDÉMIAIRE AN III (5 OCTOBRE 1794) - N° 58 325 de la nation française pour m’accorder un poste militaire dans quelqu’une de nos places. Citoyens représentans, je dois vous observer qu’avant mon fâcheux accident, j’ai géré pendant trois mois avec un zèle infatigable et à la satisfaction de tous mes camarades, la place d’adjudant, provisoirement et sans en toucher la paie, ce que j’ai fait avec la plus grande exactitude sans que cela eut préjudicié en rien à mon service de maréchal des logis en chef, qui étoit alors mon grade. Salut et fraternité. Marneur. La dite pétition du citoyen Joseph Marneur ayant été renvoyée au comité de Salut public le 1er vendémiaire, le dit citoyen en attendant la décision que le comité de Salut public portera sur sa demande, réclame un secours provisoire pour qu’il puisse se retirer au sein de sa famille pour achever son entière guérison. Le dit citoyen représente que depuis sa blessure il n’a reçu aucune indemnité. Salut et fraternité. Marneur. [. Rapport du comité des Secours ] (103) Le citoyen Joseph Marneur, maréchal des logis en chef, au dixième régiment des hussards, a eu un bras emporté en combatant pour la cause de la liberté dans l’affaire qui a eu lieu à Templeuve près Tournai le 3 prairial dernier. A sa pétition est joint un certificat de l’officier de santé de son régiment, visé par d’autres officiers de santé de l’hôpital ambulant et par le conseil d’administration du dépôt du même régiment, datté de Laon le 24 fructidor dernier ; tous ces certificats et celuy du représentant du peuple envoyé en mission dans le département de l’Aisne ne vous laissent aucun doute sur la vérité du fait dont il s’agit. Ils attestent d’ailleurs la bravoure et le civisme de ce citoyen. Il demande des secours pour le soulager dans sa convalescence en attendant que sa penssion soit réglé, je croi qu’il y a lieu à les luy accorder. Je demande pour luy une somme de 500 livres. Na II avoit servi 9 ans à l’époque de la révolution et avoit fait les campagnes des Indes. Présenter à la Convention nationale le spectacle touchant d’un soldat républicain qui a payé par la perte de l’un de ses membres la dette qu’il a contracté envers sa patrie en combattant courageusement pour elle; c’est assez réveiller sa solicitude pour la déterminer à assurer une récompense à celuy qui en fut la victime : Joseph Le Marneur avoit déjà servi l’espace de 9 ans, il avoit fait toutes les campagnes de l’Inde lorsque ce cri de la liberté vint encor stimuler son courage. Il s’arma de nouveau pour la déffence des droits du peuple et s’enrôla dans le dixième régiment de hussards où il n’a cessé de servir (103) C 321, pl. 1331, p. 8-9. Minute non signée. dans le grade de maréchal des logis en chef, jusqu’au 3 prairial, époque où il eut le bras gauche emporté à l’affaire qui a eu lieu à Templeuve près Tournai. Ce citoyen s’est présenté à votre comité des secours muni des certificats les plus authentiques pour réclamer en sa faveur l’exécution de vos loix. Le comité s’est convaincu de la légitimité de la demande de ce citoyen et c’est en son nom que je viens vous proposer le projet de décret suivant : La Convention nationale, sur le rapport de son comité des Secours, décrète qu’au vu du présent décret, il sera payé par la Trésorerie nationale au citoyen Joseph Le-mameur la somme de 400 livres, à titre de secours provisoire, imputable sur la pension à laquelle il a droit de prétendre. Le présent décret ne sera point imprimé; il sera seulement inséré au bulletin de correspondance (104). 58 GOSSUIN, au nom du comité Militaire : La Convention nationale a décrété, le 18 fructidor, que ses comités lui rendraient successivement compte, chaque décade, du résultat de leurs opérations, pour faire marcher sans obstacle le char révolutionnaire. Le comité Militaire s’empresse aujourd’hui de remplir cette tâche. Dès l’instant de sa réorganisation, il s’est bien pénétré des nouveaux devoirs qui lui étaient imposés, et, après s’être occupé des règlements relatifs à sa police intérieure et à l’ordre de ses travaux, ses premiers regards se sont portés sur les quatorze armées triomphantes de la république, et sur la garde parisienne confiée immédiatement à sa surveillance. Jamais objet n’avait plus sérieusement mérité la sollicitude de la Convention que la force armée de cette grande et remarquable commune. Dans l’intervalle du 14 juillet 1789 au 9 thermidor, à quelles épreuves n’a-t-elle pas passé! Commandée par des chefs amis de la royauté, elle a néanmoins vu naître sous ses yeux une constitution républicaine; soumise aux lois, pleine de confiance dans la représentation nationale, elle répond à la France et à l’univers du dépôt sacré qui existe dans cette arche placée au milieu de nous. Le comité Militaire désire remplir dignement sa mission; il reçoit journellement, le matin et le soir, et par écrit, le rapport de l’état-major sur l’exactitude du service des citoyens de Paris; il en règle les détails; prononce sur les difficultés ; veille à l’établissement et au maintien du bon ordre parmi eux ; il entend et voit par lui-même; il visite les postes, et il ne trouve pas de meilleurs amis à (104) P.-V., XLVT, 305. C 321, pl. 1331, p. 36, minute de la main de Texier. Décret anonyme selon C* II 21, p. 6. Bull., 15 vend, (suppl.). 326 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fréquenter que ces braves pères de famille, qui laissent dans le sommeil leurs épouses et leurs enfants pour veiller à la sûreté de tous. Mais, citoyens, les principaux anneaux de la force parisienne n’ont pas toujours répondu à l’activité, au dévouement, et aux bons principes de ceux qui la composent ; Hanriot se bornait à conspirer, dans le silence, contre l’égalité, et la force armée était dénuée des choses les plus indispensables à son service; si ce traître à la patrie eût fait approvisionner les corps de garde et postes militaires d’effets et d’ustensiles ; s’il eût, par des instructions suivies, averti les citoyens de la manière dont doit se faire le service ; s’il eût veillé à ce que les emplacements de corps de garde pussent contenir tous les hommes du poste; s’il eût, en exécution de la loi du 24 mai 1793, donné ses soins à ce que chacun fît son service en personne ; s’il eût établi, près de l’état-major, des secrétaires patriotes et intelligents, le comité Militaire n’aurait pas à vous entretenir des différents arrêtés qu’il a pris pour remédier à tous ces abus et en prévenir d’autres. Le comité s’occupe aussi, dans ce moment, d’un règlement sur tout ce qui intéresse le service de la force armée de Paris. Comme ce travail ne doit pas être imparfait, il prend, avant de le mettre au jour, toutes les notions et renseignements qu’exige son importance; Hanriot avait à sa disposition des papiers utiles, actuellement sous le scellé à la maison-commune ; le zèle de la commission par vous établie la portera sûrement à adhérer à la demande du comité de les faire restituer sans délai dans le bureau du nouvel état-major. Le comité Militaire ne perd pas de vue que le concert entre vos comités, surtout dans des circonstances impérieuses, ne peut qu’être très-avantageux; sa correspondance et ses conférences avec ceux de Salut public et de Sûreté générale ne sont pas négligées. Ces jours passés, lorsque la malveillance paraissait vouloir agiter Paris, vos trois comités s’accordèrent sur la nécessité d’établir momentanément des réserves dans chaque section ; le service s’est fait activement ; aussitôt l’essaim venimeux est allé au loin s’isoler. L’intention de la Convention nationale n’a sûrement pas été, en confiant à l’un de ses comités la surveillance de la force armée, qu’une administration particulière, celle du département de Paris, puisse, dans aucun cas, déplacer ni disposer de la gendarmerie, tant à pied qu’à cheval, sans une autorisation par écrit du comité; ce principe incontestable l’a déterminé à prescrire à l’état-major et à tous les chefs de corps de n’exécuter d’autres ordres, à cet égard, que ceux par lui visés et approuvés. On doit un éloge aux chefs des bataillons et autres officiers auxquels la loi confie alternativement le commandement général; ils font le service avec activité et intelligence, et ils applaudiront sûrement à l’arrêté pris par le comité Militaire, portant invitation à celui de Sûreté générale de se faire rendre compte, le plus tôt possible, du civisme et de la moralité de chacun d’eux; l’homme sans reproche ne craint jamais l’épuration. Paris, que nous devons justement surnommer la vedette républicaine, avait entendu dernièrement, avec une sorte d’inquiétude, le bruit des armes à feu; bientôt les citoyens furent rassurés lorsqu’ils apprirent que c’étaient les élèves du camp qui exécutaient de grandes manoeuvres; l’arrêté pris à cet égard par le comité aura son exécution; l’avis qui lui en sera donné par ses collègues près l’Ecole de Mars sera toujours mis à l’ordre deux jours avant ces exercices utiles. Tous ces détails, citoyens, ne vous paraîtront pas minutieux lorsque vous saurez que, le 25 fructidor, l’intrigue avait persuadé que la nuit suivante il devait se faire, dans la section de l’Unité, une fausse patrouille composée de cinq hommes, dont quatre en uniforme armés de fusils, et le cinquième en écharpe. Nous ne ferons aucune réflexion à cet égard; les mesures de police ont été prises alors; ceux qui s’étaient chargés de répandre et de faire germer ces semences de divisions n’avaient pas besoin [d’être] dans Paris ; vous les en avez éloignés. Le comité Militaire a considéré que les plus grands objets de surveillance du service de la force armée de Paris sont la garde et la conservation des dépôts d’armes, de bouches à feu, de machines et munitions de guerre; il a vu par lui-même, et il a pris, pour assurer à cet égard le succès de ses démarches, les arrêtés nécessaires. C’est sur la police de l’arsenal de Paris qu’il a plus particulièrement fixé son attention. Le règlement très-étendu qu’il a dû rendre pour tranquilliser les citoyens sur la sûreté de ce grand dépôt sera mis sous vos yeux. Le comité a aussi à vous entretenir de ses travaux relatifs aux armées, en ce qui concerne son attribution. Les lois militaires sont tellement multipliées depuis trois législatures, que le comité se fait un devoir de les réviser entièrement avec toute l’application convenable, pour en former un seul code auquel chacun de nos frères d’armes puisse facilement avoir recours ; il ne se dissimule pas que quelques-unes de ces lois ont été rendues avec une telle précipitation qu’elles exigent une foule d’interprétations ; que d’autres doivent être nécessairement refondues; celle sur les commissaires des guerres, par exemple, est de cette dernière classe ; tout y est à recréer. Disons-le avec franchise; le mauvais choix, l’insouciance, l’inexpérience ou les déprédations semblent avoir constamment marché de front avec plusieurs de ces agents militaires; le comité s’occupe à cet égard d’un plan d’organisation qu’il vous soumettra avant peu. Tout ce qui tient à la partie des charrois mérite encore un profond examen; il existe dans cette administration un système de mauvaise foi qu’il faut promptement détruire. Le comité a pris en conséquence, comme mesure préparatoire, un arrêté qui sera joint avec les autres à la suite de ce rapport. Un plan général de travail sur cet objet va vous être également présenté. Les hôpitaux militaires, l’organisation des SÉANCE DU 14 VENDÉMIAIRE AN III (5 OCTOBRE 1794) - N° 58 327 troupes, la discipline, la gendarmerie nationale, la police des tribunaux militaires, la solde, le mode d’avancement, les remontes des troupes à cheval, sont autant d’objets, parmi ceux de l’attribution du comité Militaire, qui ont provoqué sa sollicitude. La loi lui interdit de prendre à cet égard des arrêtés, sous prétexte de mesures exécutives; mais il doit vous dénoncer les abus ; il sera prochainement à même de vous proposer les moyens d’y remédier ; déjà le comité de Salut public, sur divers avis qu’il a reçus de lui, et qui sont consignés dans les procès-verbaux de ses séances, a paré à quelques-uns. Le comité se fait rendre compte, par les commissions compétentes, des mesures qu’elles prennent pour l’exécution des lois; sa correspondance, sur cet objet, est active ; il se fait remettre les renseignements et notions utiles à sa surveillance, et pour préparer des projets de lois. Mais, citoyens, par quelle fatalité l’activité des employés aux commissions et le dévouement à la patrie, qui animent douze cent mille bras armés sur les frontières, n’atteignent-ils pas également une poignée de salariés par la république, qui ne semblent exister que pour lui porter une haine implacable? Non, vous n’entendrez pas indifféremment le cri d’un nombre considérable de défenseurs de la patrie, incarcérés depuis longtemps pour de légères fautes, sollicitant vainement leur jugement! Cependant il existe des commissions militaires. Vous avez, sur le rapport de votre comité de la Guerre, rendu une loi qui recrée les tribunaux militaires, et prescrit leur devoir; il en est qui le remplissent : le comité attend d’ultérieurs renseignements pour vous en mettre la liste sous les yeux. N’avez-vous pas à vous récrier également sur la conduite de plusieurs officiers qui, au mépris de la loi, s’isolent, sans permission et sans prétexte, de leurs garnison, détachement, camp ou cantonnement; on sait qu’il est déjà résulté de grands malheurs d’une pareille infraction. Un petit nombre de militaires, qui manient avec plus d’habitude et de plaisir la plume que la baïonnette, inondent vos comités et vos commissions de réclamations dictées par l’intérêt personnel, et souvent sur des lois dont ils feignent de ne pas comprendre le sens. Voilà, citoyens, quelques abus que vos décrets ont prévenus, mais qui s’alimentent par la malveillance. Il faut vous dire encore que, malgré la vigilance des représentants du peuple aux armées et l’exactitude de votre comité de Correspondance dans les envois, les travaux de la Convention nationale ne sont pas assez connus dans les bataillons, que les papiers et bulletins n’y sont pas distribués avec soin, et que cela a plusieurs fois excité les justes réclamations du soldat. Est-il croyable, enfin, que malgré votre volonté bien prononcée depuis deux ans qu’il soit procuré aux militaires malades ou blessés dans les combats tous les soulagements que commandent l’humanité et la justice de leur cause, on ne soit pas encore parvenu à garnir les armées de voitures suspendues pour leur transport aux hôpitaux? Les soins, les recommandations et les démarches du comité avaient été sans succès jusqu’à présent. Les arrêtés du comité de Salut public paraissaient méconnus; mais la commission des convois, qui est trop récemment en activité pour lui adresser les reproches d’un retard aussi coupable, a promis au comité qu’avant deux mois il serait construit un nombre suffisant de ces voitures, d’après les modèles ingénieusement traités et adoptés par des artistes célèbres; déjà il s’en travaille trois cents à Bruxelles, par ordre des représentants du peuple ; un train de berline, qui voiturait mollement un insolent marquis dans quelques orgies, ne sera-t-il pas mieux employé à transporter dans des hôpitaux soignés un républicain vertueux, blessé en défendant sa patrie? C’est l’usage que l’on fait dans ce moment des carrosses d’émigrés, en y substituant des caisses utiles à des caisses.de luxe. Il est bon que le soldat républicain soit instruit que, pendant qu’il recueille des lauriers au delà de nos frontières, la Convention nationale porte un oeil attentif sur la conservation de sa propriété. Les juges de paix, d’après les dispositions de la loi du 11 ventôse, apposent avec soin les scellés sur les meubles et effets des citoyens décédés dont les militaires sont héritiers; le comité surveille aussi, avec rigueur, l’exécution de cette loi, et il en a prévenu la commission du mouvement des armées. Le comité Militaire laisse à celui de Salut public le soin de vous instruire du bon esprit et des principes qui animent les armées. L’évacuation du territoire français par l’ennemi, nos victoires au dehors, vous en sont à l’avance un sûr garant. On n’ignore pas que, dans les camps, deux cris se font généralement entendre : « baïonnette et république »; baïonnette lorsque le républicain armé regarde Vienne et Londres ; république lorsqu’il fixe ses regards sur sa patrie. Le comité Militaire continuera, conformément au voeu de la loi, de vous faire part de ses opérations : comptez, citoyens, qu’il ne négligera aucun des moyens qui sont en son pouvoir pour seconder le dévouement des troupes et répondre à votre confiance. On applaudit. La Convention nationale décrète l’insertion de ce rapport au bulletin (105). Le comité Militaire, par l’organe d’un de ses membres, rend compte du résultat des opérations du comité, conformément au décret du 18 fructidor, et des mesures prises pour l’exécution des lois. La Convention décrète l’insertion du rapport au bulletin (106). (105) Moniteur, 164-165; Débats, n° 749; Bull., 15 vend. (suppl.); M. U., XLIV, 268-272. Mention dans Ann. Patr., n°643; F. de la Républ., n° 15; J. Fr., n” 740; J. Univ., n° 1779; J. Paris, n" 15; J. Perlet, n 742; M. U., XLIV, 218. (106) P.-V., XLVI, 305. La Convention ordonne l’impression de ce rapport de Gossuin (décret mentionné par C* II 21, p. 6).