463 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1789.] en nous y soumettant avant aucune des provinces du royaume. Ici, aujourd’hui, aux yeux de la première cité de l’Europe, en présence des citoyens patriotes qui nous entendent, que chacun de nous dévoue à la patrie la part qu’elle exige, la portion qu’elle attend de notre amour ! Auteurs de la loi qui commande à tous, honorons-nous d’être ses premiers sujets; marchons à la tête des bons citoyens, non pour les dominer, non pour les devancer, mais pour les guider et les unir. Une nouvelle époque commence pour la France. Si elle date de ce jour l’ère de sa régénération, c’est à nous de marquer aujourd’hui, par l’obéissance à la loi que nous avons faite, la translation du trône, et celle du Corps législatif. Formons-nous en bureaux; que sur les listes des membres qui les composent, notre hommage patriotique vienne, en présence de la vérité et de notre conscience, se placer à côté de nos noms. Que l’Assemblée nationale en corps, précédée de son président et de ses officiers, aille présenter respectueusement au Roi ce tribut digne de son cœur ; et que la France apprenne que si la crainte d’une dissolution totale nous a déterminés à imposer des sacrifices, nous avons aussi été les premiers à nous immoler sur l’autel de la patrie. Pardonnez, Messieurs, si mon âme s’est emparée de ce premier mouvement. C’est aux vôtres de le conduire à bien. Depuis cinq mois, j’écoute les hommes de génie qui siègent parmi vous; le zèle m’a inspiré quelquefois; c’est lui seul qui vous parle en ce moment. Accordez de l’indulgence à son faible organe. Puissé-je la mériter en vous adressant avec effusion, ce qu’un citoyen d’Athènes disait à un grand orateur : je conseille LA VERTU, ET C’EST VOUS QUI LA COMMANDEZ ! Il est ensuite décidé que ce ne sera poiut une députation, mais l’Assemblée tout entière qui se rendra auprès du Roi pour le complimenter. M. le Président lève la séance, ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du \ 9 octobre 1789. Lettre h M. le président de l’Assemblée nationale sur les avantages politiques à retirer d'un premier décret concernant les municipalités et les districts, par M. Brun de Lacombe. Versailles, le 17 octobre 1789. Monsieur le président, Permettez que j’aie l’honneur de vous communiquer mes idées sur un moyen d’empêcher les ennemis du bien public d’abuser des décrets de l’Assemblée nationale, pour fomenter dans les provinces l’esprit de mécontentement et d’insurrection. Ce moyen paraît consister, dans le moment, à former sur les municipalités un premier décret, dont les sages dispositions «ôtent tout prétexte aux détracteurs des réformes les plus sensées, et confirment les peuples dans la conviction, que quiconque travaille à leur inspirer de la défiance contre les décisions de votre auguste Assemblée, est un vrai perturbateur du repos public, et l’ennemi secret de la nation. C’est dans cet esprit, Monsieur le président, que j’ai projeté les articles suivants du premier décret dont il s’agit. Vous verrez, par une simple lecture, qu’d sera facile à la sagesse de l’Assemblée de modifier les premiers, ou de les remplacer même entièrement, sans que les autres cessent d’offrir un calmant utile aux peuples et un préservatif efficace contre tous les efforts de la méchanceté intrigante. Idée d’un premier décret de l’Assemblée nationale sur l’organisation des municipalités et sur la formation des districts. Art. lear. Les villes de plus de 800 feux seront divisées en deux ou plusieurs quartiers, comprenant chacun au plus 800 feux. Art. 2. Tout citoyen domicilié et contribuable, soit dans le lieu de son domicile, soit dans une autre commune, sera censé former un feu. Art. 3. Les communes de 800 feux et au-dessus, ou chefs-lieux de district, auront le titre de villes , et leur premier officier public, celui de maire. Les communes de moins de 800 feux, porteront la dénomination générale de communautés. Celles de 40 feux, ou au-dessus, le titre de villages; et les autres, celui de hameaux. Art. 4. Il y aura une municipalité dans toutes les communes et communautésdu royaume sauf à réunir les hameaux de moins de trente feux sous l’une des municipalités circonvoisines, et à n’établir qu’une municipalité au centre de plusieurs communautés, dont le circuit ne serait que de trois lieues, ou au-dessous, pourvu toutefois que la position des lieux permette aux habitants de consentir à ces réunions. Art. 5. Toutes les municipalités auront un conseil qui sera composé, et de membres sortant de charge, et de candidats, en nombre égal à celui des officiers municipaux, et qui, après eux, auront réuni le plus de voix. Art. 6. On élira, dansles quartiers de ville et dans les municipalités, au moins trois officiers publics, et au plus neuf; savoir; un syndic, un juge de paix, et un juré, pour 200 feux ou au-dessous ; deux syndics, deux juges de paix et deux jurés, pour 400 feux et au-dessous ; et trois syndics, trois juges de paix et trois jurés pour plus de 400 feux. Art. 7. Dans les villes non divisées en quartiers, le nombre des olliciers municipaux, sera de neuf; dans celle de deux ou plusieurs quartiers, il y aura autant d’officiers municipaux que de quartiers et huit en sus. Art. 8. Les officiers municipaux seront tous élus au scrutin, à la majorité des suffrages, et renouvelés en entier de deux en deux ans. Art. 9. Dans les villes de deux ou plusieurs quartiers, l’élection des officiers municipaux se fera dans une assemblée de ville, composée des officiers en exercice, et des représentants de chaque quartier, lesquels y seront envoyés en nombre proportionné àla population, tant delà ville que de chaque quartier en particulier. Si la ville n’Ia que deux quartiers, chacun enverra pour ses représentants la moitié de ses chefs de feu ; si elle en a trois, chacun enverra pour ses représentants le tiers de ses chefs de feu ; si elle en a quatre, chacun en enverra le quart, et ainsi de suite, dans cette double proportion, sans avoir égard à l’excédant du plus grand nombre de feux, qui sera exactement divisible par deux, ou trois ou quatre, etc. Art. 10. Ces représentants seront élus, ainsi 464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1789.] que tous les officiers municipaux, dans des assemblées composées de tous les contribuables domiciliés, âgés au moins de vingt-cinq ans, Français ou régnicolesdepuiscinq ans, et irréprochables aux yeux de la loi, et lesquels seront à la fois tous électeurs et tous éligibles, en vertu seulement de leur mérite. Art. 11. Lorsque les communes et communautés auront élu leurs officiers municipaux, elles tiendront une assemblée de ville et de communauté, dans laquelle il sera arrêté, à la majorité des suffrages, de demander à faire partie du district, ou département, que le voisinage et la facilité des communications feront préférer. Le chef de chaque municipalité, s’adressera, pour cet effet, au maire de la ville chef-lieu dudit district, qui en délibérera avec sa municipalité, et enverra copie de la délibération en réponse, à qui de droit. Art. 12. La règle qui devra diriger ces délibérations, concurremment avec celle tirée des raisons locales, c’est que les moindres districts devront comprendre au moins cinquante municipalités, et les plus forts en comprendre au plus cent ; observant surtout qu’un homme puisse dans un jour aller de sa commune au chef-lieu du district, et en revenir sans effort. Art. 13. Les maires de chaque ville désignée par les demandes des communes pour être le chef-lieu d’un distric, enverront à l’Assemblée nationale un état du nombre des municipalités de leurs districts respectifs; et, après la réception de tous ces états particuliers, l’Assemblée nationale arrêtera un plan général de division de tout le royaume en tant et tant de districts ou départements. Art. 14. Dans le temps que les communes se prépareront ainsi à faire partie des arrondissements les plus convenables à leur position particulière, l’Assemblée nationale arrêtera : 1 un mode constitutionnel de représentation nationale; 2 un nouveau plan de finances destiné à extirper à jamais les gabelles, les aides, toutes les entraves de la circulation dans l’intérieur du royaume ; et tandis que ce plan sera ensuite mis à exécution, l’Assemblée nationale décrétera les règles d’administration provinciale qui-devront être suivies dans toutle royaume, et combinées de manière à concilier l’intérêt national avec l’intérêt et les besoins locaux de chaque ville et province ou canton particulier. Mais en attendant, l’Assemblée nationale décrète que les divisions et subdivisions existantes pour l’administration de la justice et le recouvrement des impôts, subsisteront en entier, jusqu’à ce que l’extirpation radicale de l’hydre du fisc, et la réforme effective des tribunaux de. justice, aient achevé d’apprendre aux peuples qu’ils peuvent, sans aucun inconvénient et avec un très-grand avantage, toucher aux susdites divisions et subdivisions... J’ai l’honneur de vous observer, Monsieur le président, que la substance de ce décret est consignée dans une brochure où l’on trouve la suite de l’organisation générale des administrations provinciales, l’organisation des Assemblées nationales, et une idée du grand tribunal français, après l’établissement duquel la nation soupire depuis si longtemps et avec tant d’ardeur. Il a été distribué à MM. les députés environ trois cents exemplaires de cette brochure, connue sous le litre de Réponse laconique relativement à la meilleure destination des biens ecclésiastiques et au perfectionnement de la nouvelle Constitution. DISCOURS que M. le marquis de Sillery devait prononcer à l' Assemblée nationale le lundi 19 octobre 1789 (1). Messieufs, dans les circonstances orageuses où l’Assemblée nationale s’est trouvée depuis le commencement de ses séances, vous avez conservé le calme et la tranquillité qui doivent être inséparables de vos délibérations (2). Les malheurs de la France étaient à leur dernier période, et l’ascendant de la puissance ministérielle était tellement enraciné, que même en convenant de la position dangereuse où l’Etat se trouvait, les fauteurs de l’autorité arbitraire s’opposaient aux moyens d'y remédier par la crainte de perdre une partie de leur influencé. Votre courage, votre énergie, secondés du patriotisme de tous les citoyens de cette immense cité, ont jeté les fondements de cette liberté si universellement désirée, et encore si méconnue. Nous avons forcé les barrières qui eussent été insurmontables sans votre constance, et je crois dans ce moment remplir également les devoirs de citoyen, de sujet fidèle et de représentant de la nation, en vous mettant sous les yeux, les détails de nos malheurs passés, et des grandes destinées qui sont promises à cet empire. Mais il faut, pour le bonheur de la nation entière, abjurer, avant tout, toute prévention particulière, tout intérêt personnel. Que le seul amour de la patrie enflammant tous les cœurs, dicte les décrets des représentants de la nation ; et que le peuple qui nous entoure se persuade que dévoués entièrement à ses plus chers intérêts, nous sommes également inaccessibles à la séduction et à la crainte. Jusqu’à présent, Messieurs, chaque fois que je suis monté dans cette tribune, j’ai eu une tâche pénible à remplir : il est douloureux pour un citoyen de n’avoir que des abus à dénoncer. Egalement éloigné de tout esprit de parli, j’ai toujours défendu la liberté, mais je dois également m’opposer à la licence. Un législateur doit dire la vérité aux souverains et aux peuples. J’ai l’espoir qu’un nouveau jour va luire sur la France, et que notre vertueux monarque, écoutant les conseils de sa nation fidèle, va devenir le point de ralliement de toutes les opinions. Ce n’est plus le moment de vouloir opposer à la cause commune un système différent ; l’impulsion est donnée, les plus grands obstacles sont vaincus. Les chefs augustes de la nation ont prononcé eux-mêmes, que c’était avec plaisir et confiance qu’ils se trouvaient au milieu de nous ; et maintenant le plus saint de nos devoirs est de leur prouver qu’ils ne seront pas trompés dans leurs (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Dès que l’Assemblée nationale eut décidé de se transporter à Paris, je conçus le projet de profiter de cette circonstance favorable pour parler aux citoyens de cette ville, et les rassurer sur les maux qui ne sont que trop souvent exagérés; je crus que rien ne pouvait mieux convenir qu’un discours entièrement patriotique. En conséquence, j’avais demandé la parole, et elle m’avait été accordée. Au moment où je suis monté dans la tribune, je me suis aperçu qu’il y avait une rumeur considérable pour m’empêcher de parler. J’ai demandé l’aveu de l’Assemblée, lequel ayant décidé que l’on s’occuperait, suivant l’ordre du jour, des municipalités, je m’y soumis avec respect, et n’ai pu être entendu ; mais comme je serais fâché d’avoir eu une seule pensée pendant ma légation à l’Assemblée nationale, dont le public ne pût être juge, j’ai cru devoir faire imprimer ce discours.