172 ARCHIVES NATIONALES - CONVENTION NATIONALE Charente-Inférieure; Burges-les-Bains (ci-de-vant Bourbon-l’Archambault), l’Ailier; Calvis-son, Gard; Cap-Brutus (ci-devant Cap-Breton); Castelnau-Montratier, Lot; Castres, Bec-d’Am-bès; Cavaillon, Vaucluse; Cécile-Montagnarde (Sainte-Cécile); Cervières, Loire; Cette (sic pour Sète), Hérault; Champigny-le-Sec, Vienne; Charente; Charmes, Vosges; Chateau-Chalon, Jura; Chély (ci-devant Saint-Chély), Lozère; Chesne-la-Réunion (ci-devant Le-Chesne-le-Populeux), Ardennes; Cheylard, l’Ardèche; Cité-sur-Aulne, Civray, Carvin, Pas-de-Calais; Claire-Fontaine (ci-devant Saint-Leu-Tarvemy), Seine-et-Oise; Cluis-Dessus, Indre; Coublevie, l’Isère; Corbigny, Nièvre; Courtonne-la-Ville, Calvados; Crepy, Aisne; Cruzier-le-Vieux, Damery, Marne; Dozullé, Dun, Meuse; Dedangu, Entraigues, Vaucluse; Emilion-la-Montagne (ci-devant Saint-Emilion), Bec-d’Ambès; Espalion, l’Aveyron; Etoile, la Drôme; Eymet, Dordogne; Fresne, l’Eure; Fronzac, Bec-d’Ambès; Frontenay, Gannat, l’Ailier; Grignols, Dordogne; Gap, Hautes-Alpes; Garancières, Seine-et-Oise; Gerbe-la-Montagne, l’Aisne; Germain-la-Montagne (ci-devant Saint-Germain-l’Herm), Puy-de-Dôme; Graveson, Bouches-du-Rhône; Grand-Pré, Ardennes; Grand-Pressigny, Indre-et-Loire; Gra-villet, Tarn; Grillon, Vaucluse; Guémené, Morbihan; Herlies-en-Deviéres, Nord; Ingwil-ler, Bas-Rhin; Issy-la-Montagne (ci-devant Is-sy-l’Evêque), Saône-et-Loire; .Ivry, Côte-d’Or; La Bruyère, Tarn; La Chapelle Taillefer, Creuse; La Côte-André (ci-devant La-Côte-Saint-André), Isère; Lamballe, Côte-du-Nord; La Montagne, ci-devant Saint-Pierre, Ardèche; La Montagne, ci-devant Saint-Martin, Pas-de-Calais; La Mothe, Conderon, Bec-d’Ambès; Lanemeron, Hautes-Pyrénées; Lannion, Côtes-du-Nord; La Réunion-sur-Seudre (ci-devant La Tremblade), Charente; Latour, Puy-de-Dôme; Lavit, Gers; Lectoure, Gers; Lagny-sur-Senin, Yonne; Limonest, Rhône; Loches, Aube; Lodève, Hérault; Londinières, Seine-Inferieure; Longchaumois, Jura; Longuyon, Moselle; L’ Ormont, Bec-d’Ambès; Mezat, Puy-de-Dôme; Marat (ci-devant Saillans), Vaucluse; Marat (ci-devant Saint-Nazaire), Charente-Inférieure; Marseillan, l’Hérault; Le Mas-d’Age-nais, Lot-et-Garonne; Masevaux, Haut-Rhin; Matha, Charente-Inférieure; Mauvaisin, le Gers; Mazamet, Tarn, Médard-de-Guizières (ci-devant Saint-Médard-de-Guizières), Bec-d’Ambès; Menât, Puy-de-Dôme; Mezel, Puy-de-Dôme; Mivallon-de-Galaure (ci-devant Châ-teauneuf-de-Galaure), la Drôme; Monastier, Haute-Loire; Monrelar, Lot; Montadour, le Gers; Montagnac, Mont-d’Arrast, le Gers; Mont-l’Egalité (ci-devant Faremoutiers), Seine-et-Marne; Montech, Haute-Garonne; Montesquieu, Mont-Ferme (ci-devant Saint-Rambert), l’Ain; Mont-Lespinasse, Lot; Mont-Libre, l’Aisne; Montmort, la Marne; Moussars, Mayenne; Mormant, Seine-et-Marne; Moulins, la Nièvre; Mussidan, Nassardre; Nesle, la Somme; Nieppe, Nord; Nolay, Côte-d’Or, Ober-nec, Bas-Rhin; Occoches, la Somme; Ons-en-Bray, l’Oise; Ozon (Saint-Symphorien-d’Ozon), l’Isère; Pavilly, Seine-Inférieure; Pech-Bon-nion, Haute-Garonne; Parois, l’Hérault; Pierre (ci-devant Saint-Pierre), Saône-et-Loire; Pon-cin, l’Ain, Pontaillier, Côte-d’Or; Pont-de-Veyle, l’Ain; Pont Scorff, Morbihan; Pont-sur-Aisne (ci-devant La-Neuville-au-Pont), Marne; Port-la-Hougue (ci-devant Saint-Vaast-la-Hou-gue); Poulaine, l’Indre; Pouilly-sur-Loir, Poussac-la-Montagne, Haute-Vienne; Privas, l’Ardèche; Rabastens, Tarn; Recey-sur-Ource, Côte-d’Or; Rieux, Haute-Garonne; Roche-chouart, Haute-Vienne; Rochefort, Puy-de-Dôme; Rochepierre (ci-devant Saint-Pierre-en-Grandvaux), Jura; Roquemaure; Saëns (ci-devant Saint-Saëns), Seine-Inférieure; Chaumont, la Loire; Saix, Tarn; Sarrazac, Lot; Sauve, Gard; Sauveterre, Bec-d’Ambès; Sanail-lange, Puy-de-Dôme; Savesne; Scey-sur-Saône, Haute-Saône; Sellières, Jura; Tain, Drôme; Target, l’Ailier; Thermignon, Thomières (ci-de-vant Saint-Paul), Tonneins, Lot-et-Garonne; Tullius, l’Isère; Temon et Tupin, Vehaud, Gard; Vabre, Tarn; Val-Libre (ci-devant Saint-Val-lier-sur-Rhône), Drôme; Valmont, Seine-Inférieure; Vatan, Indre-Libre; Vence, Var; Verteil, l’Aveyron; Vernantois, Jura; Vestric, Gard; Vichy, l’Ailier; Villefagnan, Charente; Villars-de-Lans, l’Isère; Villefranche, Haute-Garonne; Villefranche-d’ Aveyron, l’Aveyron; Ville-franche-sur-Saône, Rhône; Villeneuve, l’Ardèche; Villeneuve-du-Lot, Lot-et-Garonne; Villers-Bocage, Calvados; Villeveyrac, l’Hérault; Vinay, Isère; Vouvray-sur-Loire, Indre-et-Loire; Vouziers, Ardennes (102). 56 Depuis quelques jours, les motions d’ordre relatives aux circonstances dans lesquelles se trouve la République, avoient cessé, et les membres de la Convention paroissoient résolus d’attendre en silence, le rapport général des trois comités. Cependant Petit, qui vient d’essuyer une longue maladie, dont il ne paroit pas encore parfaitement rétabli, n’a pas voulu perdre son tour; il a donc fait aussi sa motion d’ordre (103). [. Discours prononcé dans la séance du 28 fructidor, par Edme PETIT] (104) Citoyens, J’ai aussi plusieurs vérités à vous dire, plusieurs propositions à vous faire dans ces grandes circonstances : j’emploierai le moins de paroles qu’il me sera possible. Au reste, je ne me courbe point pour solliciter l’indulgence; j’attends debout l’arrêt d’une nation franche et libre, que Ton ne sert point en s’avilissant. Non, citoyens, la nuit du 9 au 10 thermidor, cette nuit où vous avez eu le courage d’atten-(102) Bull., 28 fruct. (suppl.). (103) Mess. Soir, n° 757. (104) Débats, n° 730, 575-582; Moniteur, XXI, 756-759. SÉANCE DU 28 FRUCTIDOR AN II (14 SEPTEMBRE 1794) - N° 56 173 dre la mort à la place que le peuple vous avoit marquée; cette nuit où sous le fer des bourreaux du peuple, vous avez eu la sainte audace de les déclarer hors la loi; cette nuit quoi qu’on en dise n’est pas si éloignée de l’instant où nous sommes. Sans doute la saine politique a dû repousser avec indignation les accusations dirigées contre quelques-uns d’entre-nous, par rapport aux actes du pouvoir suprême au milieu des événemens qui ont précédé ou accompagné cette nuit tout à la fois glorieuse et terrible : ils ont bien manœuvré, puisqu’ils ont avec nous arraché à la tempête le vaisseau de l’Etat. Cela est incontestable, mais citoyens, il est incontestable aussi que le devoir le plus sacré nous ordonne de rechercher avec soin pour les détruire les élémens de cette tempête qui pouvoit être si funeste à la liberté, et qui pourroit s’élever encore. Est-il bien possible qu’une nation fïère et généreuse, un peuple de 26 millions d’hommes, brisant spontanément les chaînes dont on l’a-voit chargé depuis quatorze cents ans, un peuple dont les talens et le génie étonnent le monde éclairé de ses lumières, un peuple qui, embrassant dans ses conceptions hardies le bonheur de l’espèce humaine, proclama les droits de l’homme et les douceurs de l’humanité; un peuple enfin qui triomphe de dix nations liguées contre sa liberté; est-il bien possible qu’un tel peuple, dans de telles circonstances, ait pu se courber sous le joug de quelques petits brigands qui ne savoient que mentir et égorger?... Mais comment cela s’est-il donc fait ? Quelles ont été les causes de ce phénomène effrayant pour la liberté? Oui, citoyens, telles sont les questions que l’intérêt du peuple exige que nous résolvions en présence même du peuple; et pour les résoudre, il suffit de les aborder avec franchise. Citoyens, la tyrannie se compose toujours de forfaits impunis. Si César, Crassus et Pompée eussent subi la peine qu’ils méritoient, dès l’instant du premier triumvirat qu’ils osoient former entr’eux, jamais ils n’auroient formé de second triumvirat; jamais la trop fameuse bataille de Pharsale n’auroit affligé l’humanité, et sans doute la liberté romaine existeroit encore après tant de siècles. Si dès l’instant où, après avoir fait entourer d’une force armée considérable la Chambre des commîmes, Cromwell eut l’audace de dicter aux vrais représentans du peuple anglais des lois que la crainte d’un déchirement total de leur patrie les obligea de subir en silence; si, dès cet instant, Cromwell eût été puni pour ce forfait inoui jusqu’alors, Cromwell ne fût jamais devenu le protecteur royal de l’Angleterre; jamais le honteux fléau d’un roi n’eût reparu dans cette contrée, et sans doute, aujourd’hui même, la liberté française n’auroit pas de plus sincère ami que le peuple anglais. Vous le savez, citoyens, tous les ursupa-teurs, illustres ou vils, commencèrent par s’emparer de la force publique pour s’assurer, au moins pour quelque temps, l’impunité de leurs premiers crimes. Telle fut leur politique constante, qu’ils essayèrent sans cesse à cacher des forfaits anciens par des forfaits nouveaux; qu’ils organisèrent des insurrections populaires pour maîtriser le peuple par le peuple même, et contenir l’indignation de tous par la force de quelques-uns. Mais c’étoit peu pour eux d’avoir le droit de se proclamer innocens, parce qu’ils avoient enchaîné le droit de les accuser; il falloit encore qu’ils transformassent leurs crimes en vertus, pour s’élever un trône au milieu des peuples qui s’agitoient en tous sens pour leur liberté; et pour y parvenir, il a fallu qu’ils eussent le secret de dénaturer peu-à-peu les principes de la morale publique; il a fallu qu’ils augmentassent sans cesse l’obscurité qui entoure tous les objets dans un mouvement général des hommes et des choses; il a fallu qu’ils ralentissent ou accélérassent ce mouvement au gré de leurs desseins. C’est dans cet art de causer ou de diriger les mouvemens utiles à la tyrannie, que consiste principalement la différence qu’il y a d’un tyran à un autre; et c’est pour cela qu’il y a une distance immense de Robespierre à Cromwell. Il a fallu que parlant sans cesse au peuple de ses droits et jamais de ses devoirs, ils le subjugassent en le flattant, et obtinssent ainsi de sa part la plus aveugle confiance; il a fallu que faisant au peuple la pompeuse injure de lui attribuer leurs propres crimes, ils lui ôtassent le pouvoir et même la volonté de repousser cette accusation d’un genre tout nouveau; enfin, il a fallu qu’ils parvinssent à s’arroger le droit de dire au peuple : « La liberté est ici, ou elle est là. » Citoyens, nous en sommes à cet instant de la révolution où la vérité seule peut sauver la République, où toute complaisance pour les mensonges accrédités sont des attentats à l’existence même du Peuple français. Lorsque Robespierre, et ses pareils, et ses vils suppôts, et ce monstre dont les moindres titres au mépris et à l’exécration publique furent une naissance équivoquement royale et l’orgueil insolent et mal-adroit de se faire appeler Egalité, et de vouloir parvenir au trône par le moyen de ceux-là même qui préten-doient à la dictature; lors, dis-je, que ces scélérats furent vomis par l’intrigue dans la Convention nationale, on sait que déjà ils avoient tenté d’exercer la dictature sur l’Assemblée législative; on sait qu’ils s’étoient souillés de crimes; on sait que dans ces jours que tout homme à qui il est resté quelque humanité ne peut compter sans frémir au nombre des jours de notre révolution, le forfait le plus inoui comme le plus lâche avoit été commis par eux, et que peu s’en fallut que leur infamie et leur atrocité n’obscurcissent la gloire immortelle dont le Peuple français s’é-toit couvert le 10 août 1792. On sait cela aujourd’hui, mais la grande masse de la Convention nationale, mais le Peuple français ne le savoient pas alors. Nous arrivions de nos départemens, où l’on ne connaissoit de ces scélérats que leurs vertus imprimées : cependant on les jugea mieux en les voyant de plus près, en profitant des lumières de ceux qui avoient été témoins de 174 ARCHIVES NATIONALES - CONVENTION NATIONALE leurs forfaits; et si leurs phrases contre-révo-lutionnairement révolutionnaires continuèrent à séduire quelques-uns d’entre nous, toujours est-il vrai qu’ils devinrent un objet d’horreur pour la grande majorité de la Convention nationale; majorité pressée par la conscience publique de les livrer au glaive des lois. Ils s’en apperçurent, et se dirent dans leurs âmes atroces : Commettons tous les crimes, et nous échapperons au supplice, et nous parviendrons à envahir le pouvoir suprême. Déjà la force armée de Paris étoit dans leurs mains; ils mirent tout en œuvre pour s’en assurer davantage encore, et pour s’opposer à ce que la première autorité de la République, la Convention nationale, pût s’assurer au moins l’entière liberté de ses délibérations; la commune de Paris, cette commune dès-lors composée en grande partie de leurs agens, leur étoit dévouée; elle tiroit journellement et à leur profit, sous prétexte de donner du pain à ce bon Peuple qu’elle vexoit et tourmentoit en tous sens, des millions du trésor national. Ainsi ils eurent en leur pouvoir de la force et de l’argent; et sur ces premières bases d’impunité et de tyrannie, ils commencèrent à élever leur odieuse domination. Mais ceux qui, dans la Convention nationale, pouvoient révéler le secret de leur conduite, ceux qui joignant leur voix courageuse aux accens de l’humanité plaintive et de la morale publique outragée, demandoient la punition des crimes qu’ils avoient commis, qui indiquoient les officines ténébreuses où se fabriquoient les pétitions de leurs fondés de pouvoirs, devinrent les objets de leurs calomnies et de leurs fureurs. Au milieu des débats scandaleux pour le Peuple qui n’étoit pas dans le secret, couvrant leurs propres crimes du voile d’une erreur imputée outrageusement au Peuple, ils obtinrent et réobtinrent une sorte d’amnistie, qui, quoique plusieurs fois arrachée à la Convention nationale, ne les absolvoit, ni devant le Peuple, ni devant elle. Les reproches s’élevoient de plus en plus contre eux, les soupçons se changeoient en certitude, leurs accusateurs étoient encore là, ils vivoient! la grande majorité de la Convention nationale soupiroit après la liberté d’être juste; que firent les coupables? Ils formèrent le dessein d’assassiner une partie de la Convention nationale, et de comprimer l’autre par la terreur. Vous le savez, citoyens mes collègues, ce dessein devoit être exécuté le 10 mars 1793; et lorsqu’il fut éventé par le courage des commissaires de plusieurs sections de Paris, Pache vint en donner mystérieusement et mi-nistériellement connoissance à la Convention nationale. Vous le savez aussi, citoyens, par quelles manœuvres l’instrument que vous aviez choisi pour frapper les auteurs de ce crime fut brisé dans vos propres mains; vous savez quelle espèce d’insurrection, appelée sainte à cette tribune par le plus immonde des ex-capucins, et à la tête de laquelle étoient les Hanriot, les Pache, les Robespierre, les Fabre d’Eglantine, les Lacroix (d’Eure-et-Loir), les Danton, les Chabot, les Cloots, les Saint-Just, les Couthon, arracha pour un moment les coupables au supplice qui les attendoit plus tard. Vous connoissez aussi les moyens séducteurs, inquisitoriaux et barbares employés par eux pour empêcher la vérité de parvenir dans nos départemens, pour y comprimer, pour y punir par les cachots et par la mort le désir manifesté de briser le joug odieux sous lequel ils tenoient la représentation nationale et la République, pour désigner à l’exécration de tous les citoyens ceux qui demandoient que cette infâme commune, que vous avez mise hors de la loi le 9 thermidor, rendit compte des sommes immenses qu’elle avoit latrocinées au peuple; ceux qui demandoient que les crimes de ces scélérats fussent punis; tous ceux enfin qui, par pensées, par paroles ou par gestes, avoient montré leur répugnance à les diviniser, à fléchir le genou devant ces fétiches de boue et de sang. C’est alors que le funeste éclat de leurs succès acheva d’obscurcir leur raison; c’est alors qu’ils commencèrent à vouloir se partager la patrie, dont ils croyoient avoir fait leur propriété; c’est alors que l’esprit de domination les tourmentant tous au même degré, les divisions les plus réelles s’établirent entr’eux, et qu’ils se livrèrent en détail au bourreau; c’est alors enfin que les plus astucieux (105), les Robespierre, les Couthon, les Saint-Just, qui, dans la mort de chacun des brigands de leur bande, avoient vu un degré pour s’élever au triumvirat, crurent le moment arrivé de s’emparer du pouvoir suprême, et de se débarrasser, par un massacre général, de cette immense majorité de la Convention nationale, qui, par sa seule force d’inertie, soutenue de la grande masse du peuple, pouvoit d’un regard les pulvériser. O délire du crime triomphant, jusqu’à quel excès d’extravagance et d’audace ne peux-tu pas porter les têtes humaines ! Faut-il s’étonner, au milieu de tant de désastres, de voir le hideux monarchisme relever la tête, ressaisir ses espérances, aiguiser ses poignards ? Faut-il s’étonner de voir l’erreur et la malveillance quelquefois séparées, quelquefois réunies, entreprendre dans plusieurs endroits la division de la République, et nous commander, dans la complication de nos maux des remèdes presque aussi terribles que nos maux eux-mêmes, et se joindre aux autres élé-mens du 9 thermidor? Oui, citoyens-collègues; je vous le dis, je le dis à la France entière, je le dis aux nations qui s’agiteront un jour pour leur liberté, et qui doivent profiter de nos malheurs; oui, le 9 thermidor doit sa puissance à l’impunité des attentats commis successivement contre l’humanité, contre le peuple français et contre la Convention nationale; et je le soutiens, le seul récit véritable des faits de la révolution, peut tout à la fois prévenir semblable impunité, et (105) Moniteur, XXI, 758, dit audacieux. SÉANCE DU 28 FRUCTIDOR AN II (14 SEPTEMBRE 1794) - N° 56 175 repousser les injures des vils détracteurs de la Convention. N’oublions pas, citoyens, que cette impunité elle-même ne fut pas seulement l’ouvrage de la force malveillante ou séduite, elle fut celui de l’établissement d’une corruption presque générale de tous les principes sociaux, au milieu de laquelle et sous prétexte de révolution, tous les crimes remuans devinrent autant de vertus, à-peu-près comme ce qu’il y a de meilleur dans un cadavre, ce sont les vers qui le rongent. Que d’efforts Robespierre et ses pareils ne firent-ils pas pour corrompre la morale publique, pour détruire tous les élémens du juste et du vrai parmi nous, pour semer les divisions et les haines dans la Convention nationale et dans la République, pour donner du peuple même une si fausse idée, que la minorité factieuse pût sans cesse menacer et frapper partout la majorité des citoyens? Sans doute Robespierre parla de la vertu; mais suivant Robespierre la vertu étoit en minorité sur la terre. Vous vous rappelez encore, citoyens, que j’eus, il y a bientôt deux ans, le bonheur hardi de combattre avec quelque succès devant vous ce sophisme brillant et injurieux au peuple : sans doute Robespierre parla de la liberté, de l’égalité; mais ce fut de manière à ce que tout fût soumis à Robespierre, de manière à ce que Robespierre n’eût point d’égaux : sans doute il parla de patriotisme, mais ce sentiment n’étoit autre chose suivant lui, que l’amour qui lui étoit dû et le respect que l’on devoit avoir pour ses agens : sans doute Robespierre parla de la République : mais cette République, c’étoit Robespierre lui-même, c’étoit Couthon, c’étoit Saint-Just. Il parla de la vérité; mais il employa presque sans cesse le mensonge pour nuire, et n’a jamais dit la vérité que quand elle pouvoit être nuisible : il a réclamé la liberté des opinions; mais cette liberté fut seulement pour lui et ses pareils, le droit de débiter leurs extravagances insidieuses et sanguinaires : il a parlé de justice, mais dans son code affreux les soupçons furent des preuves, les demi-pensées des actions, et les malheurs des crimes : il a parlé de raison, mais il avoit tellement pris ses mesures, que sous peine de mort il fut défendu en France de joindre deux idées ensemble, et d’éprouver un mouvement involontaire de répugnance pour les suprêmes décisions de la fureur et de la force : il a parlé de probité tout en illustrant les voleurs; d’humanité sur les cadavres sanglans de ceux que ses sicaires avoient égorgés; enfin, il a osé parler de Dieu, et ce fut pour porter le dernier coup de la scélératesse et de l’hypocrisie à la morale publique. Ne séparons jamais Robespierre des dignes émules sans lesquels ce brigand à courte vue n’eût jamais été terrible. Rappelons-nous qu’à commencer par le mot révolution, ils ôtèrent à tous les mots de la langue française leur véritable sens. Rappelons-nous qu’après avoir ainsi jeté par-tout le trouble, l’incertitude et l’ignorance, ils introduisirent dans le langage une foule de mots nouveaux, de dénominations avec lesquelles ils désignoient à leur gré les hommes et les choses à la haine ou à l’amour du peuple trompé. Rappelons-nous citoyens, les homélies de cannibales en délire, que tant de fois ils prononcèrent à cette tribune sous le nom de rapports du comité de Salut public, ces discours où après avoir paré la vertu d’un éclat trop brillant pour être le sien, et mis sous les yeux du peuple, au lieu de cette liberté chérie pour laquelle nous combattons depuis si longtemps, une licence effrénée que nous combattrons toujours, au lieu de la véritable égalité, l’égalité des droits, la seule égalité possible, une chimère composée de grands principes et de proverbes, ils s’efforçoient de souffler l’extravagance dans les esprits, et le crime dans les cœurs; ces discours qui, en dernière analyse, se réduisoient à ces mots : Assassinez, tuez, volez, que nous importe, pourvu que Robespierre, Couthon et Saint-Just restent vos maîtres ? Rappelons-nous, dis-je, ces discours qui tant de fois ont excité votre indignation comprimée par la terreur, et plus encore par la prudence qui sauva la République. Rappelons-nous que ces discours étoient relus et répétés avec emphase dans toutes les sociétés populaires affiliées, c’est-à-dire soumises à cette trop fameuse Société, laquelle étoit soumise à Robespierre; et nous aurons une juste idée de la manière dont la morale infernale de Robespierre et de ses semblables fut propagée, et comment elle leur assura l’impunité qui les conduisit de crimes en crimes jusqu’à leur dernier forfait. La direction de la force armée confiée en des mains perfides, les plus grands forfaits, les attentats commis contre la représentation nationale, restés impunis et légalisés; la morale publique outragée, les événemens de la révolution dénaturés avec audace en présence même de ceux sous les yeux desquels ils se sont passés, et devenus le texte des condamnations et des proscriptions; l’horreur du crime déclarée un crime, la majorité de la Convention nationale, désignée par des sobriquets injurieux, livrée au petit nombre de traîtres qui dirigeoient l’opinion et s’étoient emparés de la force; la proscription des ta-lens et du génie par l’ignorance, la médiocrité et la bêtise; la langue française défigurée par des mots nouveaux, inventés par le crime pour lui servir de mots d’ordre, les mensonges, les principes faux répandus dans les discours prononcés au nom du gouvernement. Telles furent les causes du 9 thermidor. Plusieurs sont détruites; mais plusieurs existent encore, et peuvent rendre à celles-là l’existence et l’activité. La dictature a perdu ses chefs apparens; mais elle n’a pas renoncé à ses projets; elle n’a plus la force en main; mais elle emploie la ruse pour s’en ressaisir : vous lui avez arraché le glaive des lois; mais vous le voyez, elle se sert du poignard des assassins : elle n’ose plus proposer audacieusement de mettre 176 ARCHIVES NATIONALES - CONVENTION NATIONALE à l’ordre du jour la terreur et la mort; mais elle veut sous prétexte d’une réaction peu dangereuse, avec de la prudence, vous inspirer une crainte stupide et féroce : à l’entendre, il n’y a eu que des patriotes d’incarcérés depuis le 9 thermidor mais elle donne elle-même la signification au mot patriote, et s’oppose à ce que la liberté soit rendue aux malheureuses victimes qui gémissent encore dans ses bastilles; ses agens, ses affidés et ses dupes sont encore par-tout placés dans les autorités constituées, dans les Sociétés populaires; ses mots de ralliement déhonorent encore la langue française; et ceux qui, pendant son règne, se sont couverts de crimes, et tous les voleurs qu’elle tenoit à ses gages, et tous ces scélérats qui jouent l’extravagance, pour continuer à égorger le peuple, mettent en œuvre toutes les inventions de l’enfer pour empêcher, dans la République, l’établissement de la justice juste qui doit les envoyer à l’échafaud, il faut le dire aussi, la terreur règne encore parmi les gens de bien; ils craignent que la vertu d’aujourd’hui ne soit demain un crime. Citoyens, fondateurs de la République, c’est à nous de leur rendre courage en même temps que nous en recevons d’eux. Immense majorité, unanimité de la Convention nationale, étemel désespoir des rois, c’est toi qui es la véritable massue du peuple français; lève-toi dans ton majestueux silence, laisse dans leur coin quelques crimes assis, et achève d’écraser tous les ennemis de l’humanité, de la justice et de la vertu : ce sont là les vrais ennemis de la République. Voici le projet de décret que je vous propose : La Convention nationale décrète : Art. premier - Il est défendu à tous les membres de la Convention nationale, sous peine de réclusion jusqu’à la paix, d’employer à compter de ce jour, dans leurs rapports ou dans leurs discours, les mots inventés pour exciter dans la Convention nationale et dans la République le trouble et les divisions, de se servir de dénominations de partis, de corporations ou de factions, qui ne tendent qu’à avilir la majorité de la Convention nationale et la majorité de la nation; ces mots sont ceux de Montagne, de Plaine, de Marais, de modérés, de Feuillants, de Jacobins, de fédéralistes, de muscadins, d’alarmistes. Art. II. - Ceux à qui ces mots seraient échappés en improvisant seront rappelés à l’ordre par le président, et en cas de récidive, condamnés à la peine portée par l’art. Ier. Art. III. - Chacun des membres de la Convention nationale sera tenu, dans un mois à compter de ce jour, de faire imprimer le compte de sa fortune et de ses moyens d’existence, de ses bénéfices ou de ses pertes, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’à ce jour; à ce compte sera joint l’historique abrégé de ce qu’il a pu faire pour la révolution. Le tout sera imprimé aux frais de la République. [A ces mots la Convention toute entière se lève et de toutes parts on crie : aux voix! aux voix ! PETIT demande à finir son projet] (106). Art. IV. - Le comité d’instruction publique est chargé de rédiger un ouvrage périodique destiné à donner aux mots qui composent la langue française leur véritable sens et à rendre à la morale républicaine sa véritable énergie. Art. V. - Les comités d’Agriculture, de Commerce et des Finances, sont chargés de présenter à la Convention nationale dans le plus court délai, les moyens de rendre la liberté au commerce, et de faire diminuer le prix des denrées de première nécessité. On demande à aller aux voix sur la proposition faite par Petit, pour que chaque membre rende compte de sa fortune. L’Assemblée se lève par acclamation au milieu des applaudissements (107). PELET demande la parole : l’Assemblée, dit-il, vient d’accueillir avec enthousiasme la proposition de faire rendre compte à ses membres de l’état de leur fortune; mais que la Convention se rappelle que déjà cinq fois cette proposition lui a été faite; une fois entre autres, elle excita une vive discussion; et Cam-bon démontra qu’elle ne seroit favorable qu’aux fripons [s’il y en avait dans l’assemblée] (108) qui sauroient bien se mettre en mesure pour cacher tout ce qu’ils ne voudroient pas mettre au grand jour. Quant à plusieurs autres des articles qu’on vous a soumis, je les crois beaucoup plus propre à enflammer les passions qu’à les éteindre. Il me semble absurde de proposer un journal, fait par le comité d’instruction publique, et soumis à la Convention, pour définir les mots dont nous nous servons depuis cinq ans. Ce n’est pas à nous non plus à faire le récit apologétique de notre conduite depuis la révolution; c’est à nos actions, c’est sur-tout aux bonnes lois qui émaneront de la Convention. Pour ce qui est de faire diminuer les denrées, d’assurer la prospérité du commerce, il n’est personne ici qui n’en soit pénétré, qui ne doive s’en occuper. La proposition expresse est propre à populariser le membre qui l’a faite... PETIT : Ne me prêtez pas de mauvaises intentions. PELET : Si le préopinant ne m’eût pas interrompu, j’allois rendre justice à ses intentions : je déclare que je les crois très pures; mais ce n’est pas des intentions qu’il s’agit, mais des principes. Une proposition dangereuse n’en doit pas moins être combattue, (106) Rép., n° 269. Plusieurs journaux dont Ann. Patr., n° 622, C. Eg., n° 757, J. Mont., n° 138, signalent ce mouvement d’enthousiasme. Le Mess. Soir, n° 757. en fait une présentation plus nuancée : « Le second (cette gazette donne une version écourtée du projet de décret et cet article correspond à l’art. 3 des autres présentations) article du projet a été pour la cinquième fois, depuis deux ans, décrété par acclamation, et rapporté ensuite, ou écarté par l’ordre du jour, après un instant de réflexion ». (107) Moniteur, XXI, 762. (108) Moniteur, XXI, 763.