592 [Assemblée nationale.] Or, comme l’intérêt de la nation n’est pas ici compromis, je demande la question préalable pur l’ajournement, et que le projet de décret soit mis aux voix. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement et adopte le projet de décret des comités.) M. Bonnegens, au nom du comité des domaines , propose à l’Assemblée de faire un rapport sur l’échange de la forêt de Biix, en Normandie. (L’Assemblée décrète que ce rapport sera mis à l’ordre du jour au commencement de la séance de mardi prochain, au soir.) M. Achard de Bonvouloir demande la parole pour soumettre à l’Assemblée quelques observations relativement à l'état de l’armée. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour et demandent qu’on passe à la discussion sur les domaines congéables. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) V Assemblée passe à la suite de la discussion sur les domaines congéables. M. Lanjuinais lit une opinion sur celte matière et propose uu projet de décret. M. Tronchet combat le projet de décret présenté par M. Lanjuinais. La suite de la discussion est renvoyée à la séance de lundi soir. M. le Président lève la séance à 10 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 28 MAI 1791, AU SOIR. Observations sur l’état de l’armée, par M. Achard de Bonvouloir, député du département de la Manche, ci-devant Cotentin. J’ai demandé plusieurs fois la parole sans pouvoir l’obtenir, pour réveiller la sollicitude de l’Assemblée sur l'état de l’armée; elle me fut cependant accordée par M. de Puzy, président, dans la séance du 28 mai au soir ; mais, au moment où j’étais à la tribune pour en profiter, un opinant réclama l’ordre du jour. "Ur les domaines congéables, et quoique j’insistasse pour conserver la parole, en annonçant l’objet important et urgent de ma motion, elle me fut ôtée. Ne pouvant prévoir quand j’obtiendrai la faculté de parler pour remplir un devoir que je regarde comme très pressant, je me détermine à faire imprimer ce que j’eusse dit, et à le distribuer aux membres de l’Assemblée. Je crois devoir à mes collègues cet avertissement; à ma pairie, à mes commettants, au militaire dont je me glorifie d’avoir longtemps fait partie, à moi-même, cette exposition publique de mes sentiments. Dans un moment où tout annonce que nous allons avoir besoin de l’armée pour défendre les 128 mai 1791.] limites de l’Empire, tout nous invite à prendre, dans une sérieuse considération, le maintien de la discipline et la position affreuse où se trouvent les officiers qui en sont le nerf. Jamais peut-être la France n’a eu plus de besoin d’avoir de bonnes armées; et jamais ses armées, tant de terre que de mer, n’ont été dans un état plus critique. Une armée sans discipline n’est qu’un ramassis d'hommes incapables de résistance. Occupons-nous donc de cetie grande considération, afin que nos ennemis, voyant notre contenance, renoncent à des projets qu’ils n’ont p> ui-êire fondés que sur la supposition de notre faiblesse, dans un moment où les liens de la discipline paraissent avoir été brisés exprès pour nous livrer à leur discrétion. Empresson—nous de les rétablir. Si nous tardons, nous n’aurons réellement plus d’armée; nous l’aurons détruite nous-mêmes. Et si quelque partie de ce beau royaume devient la proie de nos voisins, nous devons eu être responsables. Nous pouvons avoir à combattre demain des armées aguerries et disciplinées. Il serait insensé de se flatter qu’il suffit du nombre, du courage des individus et de quelques séductions pour les vaincre. C’est l’ensemble, et non la multitude, c’est l’ordre et la tactique qui gngnent les batailles. Ce sont les batailles qui décident du sort des Empires. C’est la discipline qui conserve les armées. C’est la conduite des officiers et l’obéissance des soldats qui les rend victorieuses. Ceux qui vous diraient le contra re, ceux qui croiraient pouvoir impunément démonter tous les ressorts de la force publique et les rétablir à leur gré, ceux qui vanteraient des ressources justement suspectes, comme si elles étaient éprouvées; ceux qui hasarderaient de vous laisser ainsi à découvert devant un ennemi entreprenant et ne craindraient pas d’exposer d’aussi grands intérêts : ceux-là seraient les véritab es ennemis de la patrie, qu’ils compromettraient par malice ou par ignorance, mais toujours de fait. Ce seraient des traîtres ou des insensés également d’accord avec vos ennemis pour vous livrer sans défense. Cette discipline, qui fait la force des armées, n’est point le fruit d’un moment. Elle a pour base les mœurs; elle se mûrit par l’habitude; elle dépend beaucoup de l’upinion. Ce n’est qu’à la longue qu’un officier acquiert la confiance de sa troupe ; ce n’est qu'à la longue que l’esprit de corps se forme et qu’un régiment devient bon. Tous les jours, nous entendons le récit de nouveaux attentats. Tous les jours, on cite des soldats révoltés, des officiers massacrés. N’est-il pas temps d’arrêter le cours de tant de crimes? Tous ces excès dérivent de la même source et se perpétuent par la même cause. Des factieux les commandent, et notre indifférence les autorise. Les officiers du régiment de Beauvoisis, attaqués, blessés, mis en fuite par leurs soldats: M. de Macnemara, massacré par des grenadiers; Je brave Mauduit, coupé en morceaux par son propre régiment, dont les remords ne peuvent réparer la perte ; et cent autres traits pareils qui nous ont étédénoncés,dem< urent sans vengeance. On dirait que, dans ces temps malheureux, le crime seul trouve des défenseurs; il trouve au moins des apologistes qui savent le pallier ; et personne n’élève la voix pour l’ordre et la justice!... Faut-il le dire enfin? Les jurés militaires ne trouvent pas un coupable, surtout lorsque le crime est capital. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.