4a0 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 octobre i790.] Le projet du comité des rapports est ensuite adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture de la lettre adressée par les membres du directoire du département de l’Aude, par laquelle ils exposent : « 1° Les mouvements séditieux qui se sont manifestés parmi le peuple de la cité haute de Carcassonne, ainsi que parmi les habitants de campagnes voisines de cette ville; « Les entreprises coupables par lesquelles des mal intentionnés ont voulu s’opposer à la libre circulation des grains ; « 3° Les démolitions et incendies qui ont détruit plusieurs des bâtiments et ouvrages nécessaires à l’entretien du canal de Languedoc et à la liberté du cours de la navigation dans cette partie; « Déclare que les citoyens qui se sont portés à de tels excès seront poursuivis et punis suivant la rigueur des lois; « Approuve la prudence et la fermeté qui ont caractérisé les démarches des administrateurs du département de l’Aude, ainsi que le zèle qu’ont témoigné tant les gardes nationales que les régiments de Médoc et de Noailles, et la maréchaussée; « Charge son président de se retirer par devers le roi, à l’effet de supplier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour qu’il soit incessamment envoyé dans le département de l’Aude des troupes de ligne en nombre suffisant pour procurer le rétablissement de l’ordre public et l’exécution des décrets. » M. le Président. M. Louis-Joseph-Philippe d’Orléans, inculpé dans la procédure du Châtelet demande la parole. (L’Assemblée décide qu’il sera entendu.) M. d'Orléans. Compromis dans la procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre, désigné par ce tribunal comme étant dans Je cas d’être décrété, soumis au jugement que vous aviez à porter pour savoir s’il y avait ou n’y avait pas lieu à accusation contre moi, j’aicru devoirm’abstenirdeparaître au milieu de vous dans les différentes séances où. vous vous êtes occupés de cette affaire. Plein de eon-liance dans votre justice, j’ai cru, et mon attente n’a pas été trompée, que la procédure seule suffirait pour vous prouver mon innocence. M. de Biron a pris hier, en mon nom, l’engagement que je ne vous laisserais aucun doute, que je porterais la lumière jusque dans les moindres détails de cette ténébreuse affaire. Je n’ai demandé la parole aujourd’hui que pour ratifier cette obligation. Il me reste en effet de grands devoirs à remplir; vous avez déclaré que je n’étais pas dans le cas d’être accusé; il me reste à prouver que je n’étais pas même dans le cas d’être soupçonné. Il me reste à détruire ces indices menteurs, ces présomptions incertaines répandues avec tant de complaisance par la calomnie, et recueillies avec tant d’avidité par la malveillance. Mais ces éclaircissements nécessaires devaient être donnés en présence de tous ceux qui auront intérêt cle les contredire, et devant ceux qui auront droit d’en connaître. Telles sont les obligations que je viens de contracter en ce moment. Je me dois de les remplir; je le dois à cette Assemblée, dont j’ai l’honneur d’être membre, je le dois à la nation entière. Il est temps de prouver que ceux qui ont soutenu la cause du peuple et de la liberté; qtie ceux qui se sont élevés contre tous les abus ; que ceux qui ont concouru de tout leur pouvoir à la régénéra-tion de la France; il est temps de prouver que ceux-là ont été dirigés par le sentiment de la justice, et non par les motifs odieux de l’ambition et de la vengeance. Ce peu de mots que j’ai mis par écrit, je v&is les déposer sur le bureau, pour y donner toute l’authenticité qui dépend de moi. (On applaudit à plusieursreprises dans la grande majorité de l’Assemblée et dans toutes les tribunes.) M. Garesclié demande qu’on mette à la discussion le compte à régler entre la caisse d’escompte et la nation. M. d’Aitdf*é. Cette discussion fl’a pas utf caractère d’urgence. Je propose de la renvoyer à Une séance du soir. (Cette motion est adoptée.) M. Dupont (de Nemours). La discussion sur l’impôt est pressante, mais avant de traiter de l’impôt pour l’année prochaine, je crois qu’il faut finir ce qui concerne le remplacement de la gabelle, impôt de l’année courante. M. le Président consulte l’Assemblée qui donne la parole à M. Dupont pour un troisième rapport sur le remplacement de la gabelle et des droits sur les cuirs , les fers, les huiles , les savons et les amidons. M. Dupont (de Nemours ) (1). Messieurs, M. de Biauzat et les autres honorables membres de cette Assemblée, qui avaient fait des observations dans vos précédentes séances, sur le projet qui vous a été proposé par le comité des finances, relativement au remplacement de la gabelle, ont eu deux conférences, l’une avec le rapporteur, l’autre avec le comité. Ces conférences ont montré que les opinions et les principes étaient beaucoup plus rapprochés qu’ils ne paraissaient l’être, et que l’ou ne demandait de part et d’autre que l’exécution littérale de vos décrets du mois de mars, qui ordonnent que la consommation servira de règle à la répartition : ce qui laissait seulement lieu à la question de savoir si la consommation locale était mieux connue par les ventes locales que différents versements actifs ou passifs pouvaient rendre et rendaient illusoires en plus d’un côlé et en moins de l’autre; ou si cette consommation était mieux connue d’après le prix du sel, l’habitude générale qui en résultait et le nombre des consommateurs. C’est un fait constant que dans les parties des pays de grandes gabelles, qui touchent ceux des pays de petites gabelles ou de gabelles locales, les ventes étaient plus faibles que ia consommation qui se trouvait fournie dans une forte proportion à un prix mitoyen entre celui des deux gabelles : prix qui était iui-même une imposition pour les habitants qui s’approvisionnaient ainsi par contrebande, et qui, néanmoins, les laissait dans un état de délit vis-à-vis de la nation, pour l’imposition dont ils esquivaient une partie, (1) Le Moniteur a mentionné ce rapport «ans le reproduire. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 octobre 1190. j m lorsque leurs concitoyens plus honnêtes acquittaient la totalité de leur contribution. Au contraire, dans les parties des provinces de petites gabelles ou de gabelles locales, qui avoisinaient les pays de grandes gabelles, le produit des ventes excédait celui de la consommation de toute la quantité du sel destinée à la contrebande ; et il serait visiblement injuste de punir les honnêtes gens qui sont Je plus grand nombre des habitants de ces provinces, du délit commis par le petit nombre de mauvais sujets qui s’y livraient à un commerce illicite. Dans l’intérieur même des grandes gabelles et hors de la portée de la contrebande, les ventes des greniers situés dans des villes qui ont des foires ou des marchés considérables, sont au-dessus de la consommation réelle de leur arrondissement, parce que les particuliers des arrondissements voisins qui viennent à la foire et au marché, trouvent plus commode de remporter du sel, que de se détourner de leurs travaux pour aller s’approvisionner au grenier de leur propre arrondissement. Par la même raison, les ventes des greniers qui sont de moindres centres de commerce, sont au-dessous de la consommation qui se fait dans leur arrondissement, et dorrt une portion y était apportée par le retour des greniers des villes où les foires et marchés appellent un plus grand commerce. Les honorables réclamants ont vu avec satisfaction que le comité n’avait point négligé, comme ils le croyaient, de se procurer les états des ventes faites dans chaque direction et par chaque grenier, et que le tableau de ces ventes avait été une des principales bases de son travail; Qu’il en était résulté que le comité n’avait point confondu, comme on l’avait supposé, la consommation des pays de petites gabelles, ou de gabelles locales, avec celles des pays de grandes gabelles ; Que le comité, au contraire, avait eu égard à la plus forte consommation qui avait naturellement et nécessairement lieu dans les pays de petites gabelles ou de gabelles locales, en raison de la modicité du prix ; Que, prenant ainsi chaque division du royaume soumise au même prix de sel, comme l’objet d’une opération spéciale, le travail et la proposition du comité avaient eu ensuite pour but de prévenir l’injustice dans laquelle on aurait pu tomber à l’égard des pays ou des cantons que la diversité du prix du sel” entraînait ou exposait à faire ou à recevoir des versements clandestins qui pouvaient induire en erreur sur les conséquences que l’on aurait voulu tirer des états de vente pris pour élément unique de la consommation de chaque canton, sans avoirégard aux circonstances locales. Il a été remarqué que, dans les pays de petites gabelles, en Dauphiné, en Provence, l’obligation de se pourvoir à tel ou tel grenier n’était pas spéciale ; que des marchands autorisés y transporlaien t sur toute l’étendue du pays, selon qu’il convenait le mieux à leur commerce, le sel qu’ils avaient pris danâ les greniers de la ferme ; de sorte qu’il y a dans ces provinces un grand nombre de lieux dont on ne peut pas dire que leur consommation fasse ni ait fait partie des ventes de tel dü tel grenier, plus que de tel ou tel autre. On sait seulement que la totalité de la consommation de ces pays a été fournie par la totalité des greniers, ce qui ne laisse d’autre moyen d’approcher de la connaissance de la véritable consommation de chaque département et de chaque district, qu’en la supposant moyenne ou à peu près, et en calculant le nombre des consommateurs; forme d’évaluation qui ne peut conduire s aucune injustice sensible, quand il s’agit d’une imposition diminuée de près de moitié, ou dans la proportion de quarante à soixante-seize et trois cinquièmes. Il a encore été reconnu qu’il serait d’une extrême difficulté d'évaluer la consommation des villes, et de la séparer de celle des campagnes, conformément à votre décret du 22 mars, si l’on n'estimaitpas cetteconsommation par la population de ces villes. On ne pourrait, en effet, s’en former une juste idée par le produit des ventes au grenier; car il n’y a aucun grenier qui ne fournisse, outre la consommation de la ville dans laquelle il est placé, celle d’un grand nombre d’autres villes, paroisses et communautés; et l’on ne ne peut établir, entre tous ces lieux différents, une règle de répartition qui ait quelque équité, qu’en comparant la consommation générale avec la population générale, parvenant ainsi à connaître, par approximation, la consommation par tête, qui est à peu près égale, et jugeant de la consommation de chaque lieu, de laquelle doit résulter sa part contributoire, par sa population. Enfin, Messieurs, le comité des finances a représenté que le travail de la répartition se trouvait fait d’après Je principe qui lui avait paru devoir conduire plus sûrement et plus équitablement à l’exécution de vos décrets du mois de mars, et regrettant beaucoup qu’il y ait déjà eu sept semaines de perdues depuis que ce travail est terminé, et qu’il a pu vous en faire le rapport, il a exposé aux honorables réclamants que ce ne serait qu’avec une extrême douleur qu’il verrait recommencer un nouveau travail, dont les difficultés lui semblent plus grandes que celles qu’il a été obligé de vaincre pour conduire à sa perfection celui qu’il a eu l’honneur de vous soumettre. Ce n’est pas, Messieurs, que même en partant d’un principe général très équitable, et apportant les soin-s les plus vigilants dans son application, on ait pu échapper à tout inconvénient; votre comité des finances vous en a exposé plii-sieurs qui subsistent encore, qu’on ne pourrait éviter dans aucun système, et auxquels il faut pourvoir par des mesures locales. C’est pourquoi le comité vous a préparé nn fonds destiné à faire les frais de remises ou du moins imposé que l’on trouverait juste d’accorder à quelques départements, quelques districts ou quelques cantons, à raison de leurs circonstances locales ; ce qui forme l’objet des dispositions de l’article 3 du premier décret qu’il vous propose. M. de Biauzat a jugé que cette mesure était indispensable dans tous les cas ; mais qu’il était convenable de l’annoncer dès le premier article du décret. Il a en conséquence fait une rédaction de la dernière phrase de oet article, qui a été adoptée par le comité. MM. les députés de Lorraine ont fait remarquer que, quoiqu’il parut y avoir sept mois au premier avril que les venies de leurs greniers fussent presque cessées, leur pays n’avait cependant point été approvisionné par du sel étranger, mais par du sel national tiré des gabelles d’Alsace ou de Franche-Comté, à environ moitié prix do celui des gabelles de Lorraine; qu’il n’avait pu être approvisionné autrement ; et que cet approvisionnement, qui avait soutenu les ventes et le débit des gabelles d’Alsace et de 428 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 octobre 1790.] Franche-Comté, avait été, pour la Lorraine, une véritable contribution de gabelle, seulement à prix inférieur; ce qui ne laissait les habitants de cette province en débet vis-à-vis de la nation, que de la différence du prix des deux gabelles. Calcul fait de la recette qui a dû résulter de ces approvisionnements faits pour la Lorraine en Franche-Comté et en Alsace, on a reconnu que leur valeur pouvait se monter à celle d’un approvisionnement de quatre mois, qui aurait eu lieu à l’ancien prix des gabelles de Lorraine. Il a paru juste, en conséquence, de n’en demander aux contribuables de cette province le remplacement, qu’à raison de douze mois, au lieu de seize dans toutes les parties limitrophes de l’Alsace et de la Franche-Comté. Le même effet pouvant avoir eu lieu, quoique d’une manière moins complète dans l’ancienne province des trois évêchés, et dans les parties de Lorraine qui s’y trouvaient enclavées, et qui, touchant à l’étranger, ont pu et dû être approvisionnées, partie par le sel étranger, partie par le sel étranger, partie par le sel de l’Alsace : il a paru raisonnable, si la Lorraine éprouvait une modération de quatre mois, d’en accorder une des deux aux trois évêchés, à la portion de Lorraine y enclavée, et au Clermontois ; c’est à quoi le comité vous propose de pourvoir par quelques changements de l’article 3 du projet de décret. Les députés de Franche-Comté ont représenté que non seulement leur province n’avait point cessé jusqu’au premier avril de fournir le même revenu à la nation par la consommation du sel, mais que même, depuis le premier avril jusqu’à présent, lo sel des autres provinces n’a point, ou presque point pénétré dans la leur, et que les habitants ont continué de s’approvisionner aux salines presqu’au même prix que par le passé, de sorte qu’il est possible, ajoutent-t-ils, que la nation n’ait rien perdu sur le débit de son sel dans cette province. Le rapporteur en expliquant vos intentions d’après vos principes, a déclaré à Messieurs les députés de Franche-Comté que pourvu que les contribuables de leur province eussent fourni au Trésor public depuis te premier avril, à raison de la consommation du sel, les deux tiers de ce qu’ils lui payaient anciennement, vous les regarderiez comme quittes, puisque vous n’avez voulu imposer que sur ce pied : de sorte que vous ne leur demanderiez, en aucun cas, que la différence. � Il leur a fait observer que c’était le sens positif de la dernière disposition de l’article 3 du projet de décret qui fait la réserve suivante: « sauf « pour chaque département, chaque district et « chaque communauté, en tout pays de gabelles, « les sommes que l’on justifierait avoir payées « depuis l’époque indiquée, au grenier de son « arrondissement, lesquelles seront passées en « moins imposé et attribuées dans chaque com-« munauté aux contribuables qui justifieront «■ avoir pris le sel au grenier. » Il est très certain qu’en vertu de cet article, si les trois départements de Franche-Comté se trouvent avoir pris aux salines pour sept cent quinze mille livres de sel, ce qui formera la valeur des deux tiers de ce qu’ils y prenaient dans le même espace de temps, ils recevront en moins imposé la valeur totale de leur contribution. MM. les députés du département du Cantal et de celui de la Haute-Loire ont exposé que le prix du sel dans leurs départements n’était baissé que d’environ un sixième, de sorte que s’ils étaient obligés de remplacer la gabelle sur le pied des deux tiers ou seulement de moitié de leur ancienne contribution, ils éprouveraient un dommage manifeste. La même réponse, le même recours à votre justice; la même participation au moins imposé, préparé par votre prévoyance, selon le droit que les faits locaux donneraient à leurs provinces, leur ont été offerts par votre comité. Les difficultés qui s’étaient présentées, Messieurs, sont donc aplanies; et si elles ne l’étaient pas toutes, on aurait encore, pour empêcher qu’il résultât aucun mal de celles qu’on n’aurait pu prévenir, le baume salutaire du moins imposé qui peut s’appliquer à toutes les réclamations fondées, et dont votre comité s’applaudit d’avoir pu vous procurer les moyens sans diminution sensible de la recette totale. Il finira en vous faisant remarquer que dans l’état où sont les choses et les recettes de 1790 approchant au point où elles le sont de l’ouverture des impositions de 1791, chaque semaine de retard, occasionne pour les finances une perte inévitable et peut-être une perte irrépara nie de trois millions. Les amendements, convenus dans les conférences que vous aviez ordonnées, portent sur le premier et sur le troisième article du premier décret. Les autres articles subsistent t els qu’ils ont été imprimés. M. le Président consulte l’Assemblée pour savoir si elle entend discuter le projet de décret immédiatement. L’affirmative est prononcée. M. Dupont (de Nemours ), rapporteur, lit l’article 1er en ces termes : « Art. 1er. Les diverses impositions établies par les décrets des 1.4, 15, 18, 20, 21 et 22 mars, pour indemnité de la suppression des gabelles, pour l’abonnement du droit de la marque des fers, du droit de la marque des cuirs, et pour le remplacement du droit de fabrication sur les amidons et sur les huiles, et des droits de circulation sur les huiles et savons, seront réparties conformément auxdits décrets, entre les départements et les districts qui formaient autrefois les provinces soumises à ces droits. « La répartition de l’indemnité pour chaque espèce de gabelle et pour chaque nature de droits sera faite entre toutes les anciennes provinces qui étaient soumises au même prix du sel, et à la même nature des droits, à raison de leur population. » M. Gaultier de Biauzat. Cet article est inadmissible dans ses dispositions actuelles et j’en propose ou le rejet ou la modification. Un membre dit qu’il suffit de supprimer le deuxième paragraphe. Cette proposition est appuyée et adoptée. L’article 1er est en conséquence mis auxvoix et décrété ainsi qu’il suit : « Art. 1er. Les diverses imnositions, établies par les décrets des 14, 15, 18, 20, 21 et 22 mars, pour indemnité de la suppression des gabelles, pour l’abonnement du droit de la marque des fers et du droit de la marque des cuirs, et pour le remplacement du droit de fabricatipn sur les amidons et sur les huiles, et des droits de cir-| culation sur les huiles et savons, seront réparties