716 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 février 1791.] « 9» Au décret du même jour, relatif à l’achat d’une maison ou couvent des Augustins, pour remplir le service ordinaire de l’administration du département du Gard ; « 10° Au décret du 22, relatif à la circonscription des paroisses de la ville d’Amiens ; « 11° Enfin, au décret du même jour, concernant la somme de 34,000 livres, que le receveur des revenus publics comptera provisoirement, et en deux payements égaux, de quinzaine à autre, pour être employée aux réparations les plus urgentes des digues de ûol, département de l’Ille-et-Vilaine. t Le ministre de la justice transmet à M. le président les doubles minutes de ces décrets, sur chacune desquelles est la sanction du roi. « Signé: M.-L.-F. DüPORT. « Paris, 29 janvier 1791. » L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur les jurés. Après quelques observations, les articles 18, 19 et 20 du titre VII sont adoptés comme suit : Art. 18. « Le président avertira les jurés de se retirer dans leur chambre; ils y resteront sans pouvoir communiquer avec personne; le premier inscrit sur le tableau sera leur chef. Art. 19. « Le juré n’aura à prononcer que sur ce qui est porté dans l’acte d’accusation, quelle que soit la déposition des témoins. Art. 20. « Il aura à prononcer, d’abord, s’il y a, ou non, délit constant; ensuite, si l’accusé est, ou non, convaincu. » M. Duport, rapporteur. L’article suivant a besoin d’une courte explication, qui servira à la délibération. Nous avons renfermé dans un même article plusieurs circonstances très différentes, mais qui se trouvent souvent attachées à un procès; ainsi il arrive quelquefois qu’un délit est certain, que l’accusé est convaincu de l’avoir commis, que ce délit est involontaire; il est évident alors qu’il ne peut pas être l’objet d’une punition et que les jurés doivent être appelés à le déclarer. Ensuite il peut arriver qu’un délit ait été commis sans intention de nuire, et c’est la même chose qu’un délit involontaire ; jusque-là il n’y a point de difficulté. Mais voici un autre cas qui est également important à prévoir : un acte d’accusation qui est rendu hors de la présence de l’accusé, peut porter que l’accusé est prévenu d’un assassinat prémédité. Vous venez de décréter que les jurés ne peuvent donner leur délibération que sur ce qui est porté dans l'acte d’accusation ; mais cependant la défense de l’accusé peut avoir altéré, dérangé ce qui a été porté dans l’acte d’accusation; elle peut l’avoir atténué de manière que lorsqu’il est accusé d’assassinat prémédité, elle puisse prouver que c’est un simple assassinat dans une rixe. Voici un autre exemple : un homme est accusé d’avoir commis un vol avec effraction, parce qu’il y a vol et effraction ; mais comme il n’a pas été entendu lors de l’accusation, il dira lors du débat : Il est prouvé que j’ai fait ce vol ; et quant il’effraction, elle était antérieure au vol; ainsi je n’en suis point coupable. Et il y a dans ces deux crimes une telle différence, qu’il est du plus grand intérêt pour l’accusé de pouvoir les séparer. Nous avons donc pensé qu’il fallait, en prononçant sur ce qui est porté dans l’acte d’accusation, que le juré puisse cependant prononcer une atténuation du genre de délit, suivant ce que la défense de l’accusé aura pu effectivement opérer sur ce crime. Voici le texte que nous vous proposons : « Art. 21. 11 y aura une troisième déclaration d’équité que les jurés pourront faire sur les circonstances particulières du fait, d’après l’indication qui leur en aura été donnée parle président, à l’effet de déterminer si le délit a été commis volontairement ou involontairement, avec ou sans dessein denuire ; si l’accusé est excusable ou non, ou pour prononcer en atténuation du même genre de délit, comme si l’accusation d’assassinat prémédité se trouvait réduite à un homicide dans une rixe ou celle du vol avec effraction à un vol simple. » M. Bnzol. Il me semble que l’article 21 qui vient d’être lu fait dépendre absolument du président du tribunal criminel l’appréciation des circonstances qui peuvent tendre à rendre l’accusé plus ou moins excusable ; et c’est, ce me semble, une très grande imperfection dans cet article. En effet, s’il résulte des circonstances que l’accusé est ou non excusable, ii ne faut pas en remettre absolument le discernement au président : autrement vous feriez dépendre, sous ce rapport, le sort de l’accusé de son discernement, de sa bonne ou mauvaise volonté. Il me semble qu’il ne faut pas ôter aux membres du juré la faculté de faire les indications; et alors le sort de l’accusé ne dépend pas absolument du président. J’ai sur ce même article une autre observation à faire : il me semble qu’il y a 4 à 5 mots d’inutilisés, je veux parler de ceux-ci : avec ou sans dessein de nuire ; il me semble qu’ils sont parfaitement exprimés par ceux-ci : volontairement ou involontairement. Je ne voudrais pas non plus que la loi renfermât les deux exemples qui se trouvent à la fin, il y a du danger à les limiter, pour ainsi dire, dans l’article même de la loi ; et cela doit faire partie du règlement qui pourra détailler cette même loi. Mais de toutes ces observations, la plus importante est celle qui peut faire dépendre delà bonne ou mauvaise volonté du président, le sort de l’accusé, d’après les circonstances mêmes qui résultent des dépositions des témoins. Je voudrais donc, et j’insiste particulièrement sur cette observation, que les jurés qui, d’après leur propre conscience, doivent juger si une circonstance est bonne ; je voudrais, dis-je, que les mêmes jurés pussent faire eux-mêmes ce que selon l’article ils ne peuvent faire que d’après l’avis du président. M. Oarat Vaîné. Tout homme peut être bon pour juger d’après des témoignages humains, si le matériel d’un fait est ou non prouvé ; mais il s’agit ici, Messieurs, de la moralité d’un fait, de l’intention d’une action : si vous réfléchissez un peu. Messieurs, sur cette question, vous sentirez, vous reconnaîtrez qu’il est plus de droit que de fait ; aussi veut-on en Angleterre, quoi que le juré soit autorisé à décider un fait reconnu et suffisamment prouvé, et à en apprécier l’intention ou le dessein ou la moralité, aussi veut-on, dis-je, que les jurés, lorsqu’ils seront embarrassés [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 février 1791.1 717 sur la moralité d’un fait, puissent s’en remettre entièrement aux juges de la loi, pour juger tout à la fois et le fait et la moralité de la question. Cela est attesté, Messieurs, par Bakstown, dans son code criminel, traduit par l’abbé Golier. Cela est attesté d’abord par la Constitution anglaise, au chapitre des jurés. Je demande que la même réserve soit faite aux jurés, et que les jurés français, sans habitude aucune de juger la moralité des faits, lorsqu’ils se trouveront embarrassés, puissent à cet égard, comme en Angleterre, s’adresser aux juges de la loi. M. Duport, rapporteur. Voici ce qu’on oppose : on dit qu'il serait fâcheux de laisser le président le maître de déclarer, d’indiquer ou de proposer l’indication. Prenez donc garde, Messieurs, que le président agite une seule cause d’atténuation. Ainsi il dira aux jurés : Vous avez entendu un tel, qui a soutenu qu’il avait commis involontairement un crime, qui a proposé telle excuse : mais le juré est là pour lui dire : Cela n’est pas; ce n’est pas là l’excuse qu’il a proposée. Je crois donc, Messieurs, qu’il n y a aucun inconvénient dans la pratique, à ce que le président résume ainsi la question. Je réponds à l’observation de M. Garat, savoir que ce ne devrait pas être au juré à déterminer la moralité d’un fait. Je sais, Messieurs, qu’en Angleterre les juges sont plus particulièrement appelés à déterminer la moralité d’un fait ; mais je crois que cela est une grande erreur. Les juges doivent bien examiner la culpabilité ; c’est-à-dire qu’en rapprochant le fait de la loi, ils doivent déterminer si le crime est défendu par la loi, et par conséquent si l’accusé est vraiment criminel. Voilà l’espèce de moralité que les juges doivent déterminer; mais pour savoir si le crime a été fait volontairement ou sans dessein, je ne vois dans les juges aucun caractère de plus que dans les jurés pour le déterminer. M. de AKontlosier. Je suis entièrement de l’avis de M. le rapporteur ( Rires à gauche.) que le jugement de la moralité des actions doit être entièrement laissé aux jurés et non pas aux juges; mais je ne peux pas être de son avis, lorsqu’il rend le président du juré l’arbitre souverain, exclusif, de la manière dont les jurés doivent prononcer sur les moyens d’atténuation ; c’est-à-dire que l’accusé interpellant le président d’avoir égard à tel moyen d’atténuation, si le président ne veut pas y avoir égard, je dis que c’est au juré alors à prononcer sur les égards qu’ils peuvent et qu’ils doivent avoir aux moyens d’atténuation qui ont été fournis par l’accusé; aussi je voudrais que dans l’article on ajoutât une clause par laquelle le président ne fût pas exclusivement le maître de faire prononcer le juré sur les moyens d’atténuation ; et cette clause serait d’effacer entièrement les mots : d'après l'indication qui en aura été donnée par le président. Je conclus donc à l’adoption de ramendement proposé par M. Bu-zot, qui paraît extrêmement nécessaire, à moins que jvous ne vouliez faire juger les citoyens par un nomme et non par le juré. (L’article est adopté avec l’amendement de M. Buzot.) M. Duport, rapporteur. On pourrait ajouter à l'article la disposition suivante : « L’accusé, l’accusateur public ou chacun de3 jurés qui croirait que l’indication faite par le président n’est pas exacte ou n’est pas suffisante, pourra proposer celle qu’il croira devoir lui être substituée. » M. de Montlosier. Si l’accusé et l’accusateur n’ont que le droit de proposer, et que le président juge souverainement, nous retombons toujours dans le même inconvénient. Cette rédaction est infidèle. Plusieurs voix à gauche : Cette rédaction est adoptée. Voix à droite : Cela n’est pas. M. de Follevtlle. On vous demande, Monsieur le président, si cette chose est jugée ou non1? On vous a dit qu’elle l’était, et qu’elle ne l’était pas; et j’observerai qu’il est digne de vous qui mettez toutes les idées à leur place, d’y mettre aussi toutes les actions. Je demande que toutes les fois qu’il y aura un amendement notable qui changera la rédaction, vous ayez la boaté de faire lire la rédaction avant que l’on décrète l’article. M. le Président. J’ai voulu vous laisser exposer votre morale parce qu’elle est très bonne; mais elle est superflue en cette occasion, l’article avait été lu. M. Chabroud. Je propose que la rédaction qui me parait en effet n’être pas bien claire, soit renvoyée au comité pour la rapporter demain. Je ne crois pas que M. le rapporteur y résiste ; mais dans ce cas je ferai une observation. Il me semble que l’objet de l’article n’a pas été de rendre le président despote dans la partie des renseignements à donner aux jurés sur les diverses circonstances. Je crois que l’intention du comité a été d’obliger le président à donner aux jurés des indications qu’ils n’auraient pas saisies, mais non pas de priver le juré du droit d’aller lui-même à la découverte, lorsque le président n’aura pas saisi toutes les circonstances propres à atténuer la déclaration. J’estime que la rédaction qui vous est proposée ne répond pas aux intentions du comité. M. Duport, rapporteur. Je ne vois pas l'objet de ce renvoi. M. de Montlosier dit que j’ai rendu le président despote, je n’en ai pas eu ridée plus que lui. Par la nouvelle rédaction, nous avons donné à toutes parties intéressées, et même aux juges, le droit de redresser le président, de proposer l’indication telle qu’elle est présentée. On m’a dit : mais si le président obstiné ne veut pas absolument donner connaissance de ce qui lui est indiqué par l’accusé ou leurs jurés? Je réponds à cela que si les jurés l’ont proposé, il est certain qu’alors ils peuvent eux-mêmes prononcer. (L’Assemblée renvoie au comité la rédaction de cet article.) Art. 22. « L’opinion de 3 jurés suffira pour faire déclarer, soit que le délit n’est pas constant, soit que l’accusé n’est pas coavaincu, soit qu’il y a lieu à l’excuse ou à l’atténuation. » M. Robespierre. Cet article donne lieu à une des questions les plus importantes que vous puissiez décider. Je vous propose d’adopter la loi anglaise, qui veut qu’aucun jugement de condamnation ne soit prononcé qu’à l’unanimité. Si.vous