70 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] Je propose donc à l’Assemblée de décréter le retranchement des mots : « Dans le tribunal ordinaire qui avait d’abord connu en dernier ressort. « (Cette motion est décrétée.) M. Martinean. Je demande que les ministres soient tenus de présenter incessamment au comité des finances leurs vues sur l’organisation de leurs bureaux, ainsi que le tableau des dépenses nécessaires, pour que, sur le rapport du comité, il soit statué par l’Assemblée ce qu’il appartiendra. M. Briois-Beaumetz appuie cette motion. (L’Assemblée décrète la motion de M. Martineau.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation de la marine (1). M. Inouïs Itlonneron (2). Messieurs, l’objet qui vous occupe est certainement d’une grande importance, puisqu’il est question de statuer sur les réclamations de la marine marchande, à qui nous devons la prospérité du royaume. Comme je diffère, Messieurs, des vues de ce corps et de celles de votre comité, je réclame pour un moment votre attention. Les réflexions que je vais vous présenter sont le fruit de 29 voyages sur mer, dans l’espace de 25 ans, sur des vaisseaux militaires et de commerce. Il faut à des nations maritimes et commerçantes, dit le rapporteur du comité, une armée de mer, pour protéger leurs côtes, défendre leurs colonies et leur commerce , source de richesse et d'industrie . Une marine militaire et permanente est donc nécessaire à la France, que la nature avait appelée à tenir le premier rang dans ce rapport, et il est douteux qu’elle tienne le second. Mais en supposant l’existence de sa marine, telle qu’elle est aujourd'hui, composée de 75 à 80 vaisseaux de ligne, 60 frégates, et 35 à 40 corvettes, avec un état-major d’environ 1,000 officiers, supposés instruits, elle peut et elle doit protéger ses côtes, ses colonies et son commerce sans exciter des inquiétudes parmi les nations maritimes qui l’avoisinent. Ce n’est pas en organisant votre marine différemment de ce qu’elle est aujourd’hui, que vous atteindrez ce but. Qu’il y ait quelques offi-ciers généraux de moins, suivant les divers plans qui vous sont présentés, la machine n’en sera pas mieux organisée. L’instruction, la pratique et la discipline : voilà les trois grandes bases qui doivent ramener la marine a ce qu’elle était sous Louis XIV, qui en a été le créateur, et qui t’a maintenue dans un état de gloire et de prospérité pendant 60 ans. Je vais donc, Messieurs, me borner à discuter l’objet sur lequel les opinions sont le plus divisées, qui est de savoir le rang que doit avoir la marine marchande, si dans un mouvement de guerre l’Etat réclame ses services. On ne voit pas que l’Angleterre, dont la marine matérielle est au moins le double de la nôtre, et dont l’état-major, cependant, n’est pas proportionné à celui destiné à notre marine, ait recours, (1) Voy. ci-dessus, séance du 13 avril 1791, page 15. (2) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. en temps de guerre, au service de sa marine marchande. Mais, sans s’arrêter aux motifs qui peuvent la déterminer, j’observerai que votre comité croit devoir établir une différence, en disant : Que Vart de la guerre de mer n'est pas le môme que l'art de la navigation. Un membre de ce comité a ajouté : que , dans tous les temps, un intervalle immense séparait la marine militaire de la marine marchande ; que la marine marchande n'est pas habituée aux manœuvres militaires; que la profession du commerce est absolument étrangère au métier de la guerre. Quant à moi, Messieurs, je pense qu’il y a une similitude complète. Le marin marchand reçoit, dans toutes les villes maritimes, les premiers principes d’hydrographie, comme le marin guerrier, dans les ports de la marine militaire. En mer, il a, sur ce dernier, l’avantage de faire tout par lui-même, de s’amalgamer avec son état, par la nécessité du travail continuel qu’exigent le chargement ou déchargement de son vaisseau ; la direction de sa route, la manœuvre, les observations astronomiques, les relèvements; enfin, tout ce qui tient à l’art de la navigation. La guerre survient, le marin marchand se trouve dans la position, ou d’éviter l’ennemi, ou de le combattre. Dans le premier cas, il emploiera toutes les ressources de son art à calculer ses avantages ou ses désavantages ; dans le second, il aura sous ses ordres, des hommes instruits à manier le canon, puisqu’ils servent également sur des vaisseaux militaires; il arrive enfin dans un port de France, et il arme un corsaire. Ce n’est point ici une image de la guerre; c’est la guerre même dans tous ses détails et dans toutes ses fureurs. Après une ou plusieurs campagnes dans lesquelles il a développé les plus grands talents et le plus grand courage, je demande à l’Assemblée, j’interpelle même tous les généraux de la marine, instruits et dégagés de préjugés, s’ils croiraient qu’un vaisseau de ligne confié à un pareil homme ne serait pas en bonnes mains, surtout s’il avait à son choix des officiers subalternes pour le seconder? On m’objectera qu’il y a une grande différence entre le commandement d’un vaisseau ordinaire et d’un vaisseau à deux batteries. Je répondrai que cette différence n’existe point; que la manœuvre est partout la même; que les officiers destinés à la commander et les bras destinés à la servir sont en proportion des difficultés à surmonter. On a cru apercevoir que tel homme qui s’est distingué dans une affaire particulière, n’a pas justifié sa réputation lorsqu’on lui a confié le commandement d’un vaisseau de guerre. Je suis bien convaincu que, si sa justification n’eût pas été étouffé, elle aurait été complète. Vous en avez une preuve récente dans l’adresse que vient de vous présenter la fille du capitaine Thurot. Si le service de l’Etat exige, Messieurs, qu’un homme de cette classe soit employé pendant la guerre, il ne doit pas l’être en qualité d’enseigne comme votre comité vous le propose; on devrait lui confier le commandement d’un vaisseau, en lui laissant le choix de ses officiers; et, à la paix, il lui serait libre de prendre son rang dans la marine militaire, à compter de la date de son brevet. Si vous adoptez le projet du comité, vous ne verrez jamais un officier de mérite se présenter pour être admis en qualité d’enseigne; les sujets qui se présenteront, seront des capitaines sans talents, qui aviliront leur premier état au lieu de l’élever et de l’ennoblir, et qui parviendront cependant à une décoration qui ne