INTRODUCTION « Un esclave ne doit rien, parce qu’il n’a rien en propre ; un homme de cœur sortira bientôt d’un pays où le despotisme sera établi : s’il ne le-peut pas, il sera bientôt dégradé. Où la patrie n’est rien, on ne lui doit rien, parce que les devoirs sont réciproques. Le gouvernement qui appartient à un seul homme dispose de tous les autres pour son plaisir, son caprice ou son intérêt ; dès lors, chaque individu a la permission tacite de s’avantager autant qu’il le pourra sur le souverain. En justice réglée, il ne saurait y avoir de trahison dans un état despotique, parce que l’esclave ne peut être ni créancier ni débiteur. On ne saurait enfreindre des lois et des règles dans un gouvernement dont l’essence est de n’en avoir point; et ce défaut de règles est le vice qui doit tout détruire; car rien ne se conserve et ne se reproduit dans la nature que par des lois fixes et invariables. » Telles sont les paroles que Mirabeau, du fond d’un cachot, adressait au despotisme dans sou ouvrage sur les lettres de cachet. Veut-on que leur vérité devienne plus frappante, il suffit de relire l’histoire des derniers excès du despotisme en France. Des dettes énormes et un crédit public anéanti, des impôts dévorants, un peuple aigri par ses malheurs, prêt à se refuser à leur exaction, d’impuissantes lois substituées violemment à nos lois antiques... de nouveaux magistrats, à la fois investis de l’opprobre et de leurs dignités ; un militaire éperdu, indécisentre Fordredes ministres et la voix de la conscienee, effrayé de la désobéissance, mais plus effrayé encore des assistances qu’on lui commande ; des provinces entières prêtes à repousser la violence par la violence, unies encore à la couronne par l’habitude de leur attachement pour leur roi, mais confédérées par leur haine et leur mépris pour les ministres : ce tableau donne l’image exacte des derniers règnes et des commotions qui suivirent les dernières fureurs de la tyrannie, obligée de recourir aux remèdes dont la violence devait la détruire. Une longue servitude avait flétri toutes les âmes. Il fallait que l’excès du despotisme vînt les tirer de l’engourdissement léthargique dans lequel elles étaient plongées : il fallait nous donner de la colère pour nous rendre un peu de ressort. Les formes de la justice anéanties, des enregistrements forcés, des exils, deux cent mille citoyens arrachés de leurs foyers, jetés dans des cachots ou bannis pour de misérables querelles de théologie; des lettres de cachet sans nombre achetées et surprises à l’autorité, souvent vendues par des courtisanes; deux banqueroutes ouvertes et authentiques; des milliers d’infractions à la foi publique, palliées par des ruses de chevaliers d’industriç; nouveaux vingtièmes; augmentation de taille; réunion arbitraire au domaine ; surcharge sur les denrées de première nécessité, etc. Tous ces prodiges de tyrannie ne suffirent pas pour nous irriter. Le peuple se reposait même avec la confiance de la sécurité sur le recours des Parlements. Le chancelier Maupeou ne tarda pas à lui montrer sur quels roseaux fragiles il avait mis son appui. Ils furent tous cassés, leurs membres exilés, relégués et dispersés dans tout le royaume, pour apprendre à la France entière combien était redoutable la vengeance d’un ministre. On murmura dès lors, mais on n’osait encore opposer aucune résistance, et l’on n’était que faiblement attaché à des corps uniquement occupés de leurs prétentions ambitieuses. Le despotisme avait commencé sous Richelieu ; la dégradante servitude succéda à la franchise du règne de Henri IV. II voulut asservir jusqu’au génie. C’est lui qui persuada aux rois qu’ils pouvaient oser tout ce qu’ils pouvaient exécuter. Cette détestable leçon égara Louis XIV. L’intrigant et avare Mazarin n’était pas propre à réparer le mal. Il n’avait pas, comme Richelieu, les vices d’un grand caractère, mais les basses passions d’une âme fausse et avide. II vexa le peuple, l’accabla d’impôts, accumula dés trésors et éleva sa famille. Deux passions funestes aux peuples dominèrent Louis XIV : le faste et l’ambition. La première obligea les courtisans à d’énormes dépenses, et les conduisit à. s’avilir pour y suffire. L’intrigue multiplia ses ressorts pour avoir de l’argent, et devint moins scrupuleuse sur le choix des moyens. Mais la prétention de dicter des lois à l'Europe soumise, et de la courber sous le joug, le voua à des guerres interminables. De ses orgueilleux [ire. Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! 20 triomphes naissait le germe de la vengeance; et de ses revers, l’espoir d’être enfin .vengé. Le luxe de sa cour, la magnificence de ses bâtiments en tout genre, les travaux exécutés à Brest, à Toulon, à Rochefort, à Dunkerque, étaient déjà plus que suffisants pour dessécher le trésor royal; l’entretien de ses armées épuisa ce royaume. Mazarin avait administré arbitrairement; les troubles et les guerres qui désolèrent la France pendant la minorité de Louis XIV lui avaient donné la facilité de s’enrichir au point de faire désirer son alliance par des princes. Ceux qui administraient sous lui avaient, comme lui, concouru à épuiser le Trésor dans la proportion de leur faveur et de leurs places ; en sorte que Colbert trouva, en 1661 , les finances dans un désordre effrayant. A l’époque du règne de Charles VII, les dépenses de la cour n’avaient jamais passé 94,000 livres. C’est avec le besoin ou la manie des grandes armées, avec l’établissement de la marine militaire, mais surtout avec la corruption des cours, que s’accrurent le besoin des finances, dans une proportion plus que décuple de l’accroissement naturel qu’eussent pu apporter dans les impôts l’extension du territoire et la multiplication des métaux précieux. Aussitôt que l’épidémie des croisades eût entraîné les Français loin de leurs frontières; aussitôt que des ennemis étrangers se portèrent en force sur la France, il fallut des fonds réguliers et considérables. Les rois auraient bien voulu ordonner eux-mêmes ces contributions; plus d’une fois ils le tentèrent. La réclamation des gens éclairés les avertit de leurs usurpations, et les révoltes des peuples les forcèrent à y renoncer. 11 fallut reconnaître que cette autorité appartenait à la nation assemblée, et n’appartenait qu’à elle; ils jurèrent même à leur sacre que ce droit sacré, inaliénable, serait à jamais respecté ; et ce serment eut quelque force durant plusieurs siècles. Pendant tout le temps que la couronne n’avait eu d’autre revenu que le produit de son domaine, c’étaient ses sénéchaux, ses baillis, qui, chacun dans leur département, étaient chargés du recouvrement des deniers publics. 11 fallut établir un nouvel ordre de choses, lorsque les impositions devinrent générales dans le royaume. Soit que les taxes portassent sur la personne ou sur les maisons des citoyens, soit qu’on leur demandât le cinquième ou le dixième de leurs récoltes, le cinquantième ou le centième de leurs biens meubles et immeubles, soit qu’on fît d’autres combinaisons plus ou moins heureuses, c’était une nécessité d’avoir des gens pour recueillir ces différents tributs; et le malheur de l’État voulut qu’on les allât chercher en Italie, où l’art de pressurer les peuples avait déjà fait des progrès immenses. Ces financiers, connus sous le nom de Lombards, ne tardèrent pas à montrer un génie fertile en inventions frauduleuses. Après leur expulsion, les États généraux, qui ordonnaient les subsides, se chargèrent d’en faire la levée ; et cet arrangement continua jusqu’à Charles Vil, qui, le premier, se permit d’établir un impôt sans le consentement de la nation, et qui s’appropria le droit de le faire percevoir par ses délégués. Sous le règne deLouisXH, le revenu public, qui s’était accru par degrés, fut porté à 7,950,000 livres. Cette somme représentait 36 de nos millions actuels. A la mort de' François Ier , le fisc recevait 15,730,000 livres; c’était 56 de nos millions. Sur cette somme, il fallait prélever 60,416 livres 3 sous 4 deniers pour les rentes perpétuelles créées par ce prince, et qui, au denier douze, représentaient un capital de 725,000 livres : c’était une innovation. Ce n’est pas que quelques-uns de ses prédécesseurs n’eussent connu la funeste ressource des emprunts, mais c’était toujours sous la caution de leurs agents, et l’État n’était jamais engagé. Quarante ans de guerres civiles, de fanatisme, de déprédations, de crimes, d’anarchie, plongèrent les finances du royaume dans un désordre dont il n’y avait qu’un Sully qui pût les tirer. Ce ministre économe, éclairé, vertueux, appliqué, courageux, éteignit pour 7 millions de rentes, diminua les impositions de 3 millions, et laissa à l’État 26 millions grevés seulement de 6,025,666 livres 2 sous 6 deniers de rentes, toutes charges déduites : il entrait donc 20 millions dans le trésor royal, 151 millions 500 mille livres suffisaient pour les dépenses publiques , et les réserves étaient de 4,500,000 livres. La retraite forcée de ce grand homme fut une calamité publique;' la cour s’abandonna d’abord à des profusions qui n’avaient point d’exemple dans la monarchie, et les ministres formèrent dans la suite, des entreprises que les forces de la nation ne comportaient pas. Ce double principe d’une confusion certaine ruina de nouveau le fisc. En 1661, les impositions montèrent à 84,222,096 livres; mais les dettesabsorbaient52,377,172 livres : il ne restait par conséquent, pour les dépenses publiques, que 31,844,924 livres, somme évidemment insuffisante pour les besoins de l’État. Tel était l’état des finances lorsque l’administration en fût confiée à Colbert. 11 commença par reconnaître les revenus et les’ dettes de l’Etat pour établir un meilleur ordre dans l’administration des finances, et il réussit à rendre son travail si simple et si clair, qu’il était à la portée du roi, qui écrivait chaque mois de sa propre main le montant de la recette et de la dépense, et la balance de l’une et de l’autre. En 1662, il trouva que les dettes en anticipations, en emprunts sur les receveurs généraux, et les aliénations montaient à 451,354,033 livres. Pendant son administration, il paya non-seulement ces dettes, mais il augmenta successivement tous les revenus [lre Série, T. 1er.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 21 publics, supprima une infinité de charges onéreuses à l’État et au peuple, diminua le nombre des privilèges, fit des remises sur les tailles, le sel, les aides, réduisit les charges à 23,735,274 livres; elles montaient en 1661, à 52,377,184 livres. Il porta les revenus, qui ne s’élevaient, à la même époque de 1661, qû’à 81,200,000 livres , à 116,053,374 livres. Le trésor royal n’avait pas 32 millions de revenus quand il prit les finances : en 1683, il en avait plus de 92. Malgré ses économies, ce grand administrateur encouragea les scienc-es, le commerce et l’industrie, et les faisait tous fleurir. Son principe était celui de Sully, c’est-à-dire de consulter l’intérêt du roi et celui* des sujets. Leurs successeurs n’ont été guidés que par le besoin d’argent et la nécessité d’en trouver pour rester en place. C’est à Colbert que'la France dût les puissantes - ressources qui lui restèrent pour se réparer, .savoir : les grandes manufactures de Lyon, de Tours, de Nîmes; celles de Vaurobais, Sedan, Louviers et Elbeuf; celles des Gobelins et des Glaces. Mais la révocation de l’édit de Nantes, et la persécution des protestants nous firent perdre une partie des fruits du génie de Colbert. Les successeurs de Colbert, au lieu d’éteindre, à sou exemple, des rentes et des offices à gages, en créèrent sans mesure, puisqu’en 1715, ils avaient chargé l’État de plus de 73 millions de rentes; leur incapacité et les désastres de la vieillesse de Louis XIV mirent le royaume à deux doigts de sa perte. Après sa mort, le discrédit devint bientôt universel; les banqueroutes se multiplièrent; l’argent disparût; le commerce fut anéanti ; les consommations diminuèrent; on négligea la culture des terres; les contrats sur l’hôtel de ville ne se vendaient que la moitié de leur valeur. Louis XIV, sur la fin de ses jours, eut un besoin pressant de 8 millions ; il fut obligé de les acheter par 32 millions de rescriptions : c’était prêter à 4 cent p. cent. L’État avait, il est vrai, 115,389,074 livres de revenu, mais les charges emportaient 82,859,504 livres; et il ne restait pour les dépenses du gouvernement que 32.529,570 livres, à 30 livres 10 sous 6 deniers le marc. Encore ces fonds étaient-ils consommés d’avance pour plus de trois années ! Lorsque le duc d’Orléans prit les rênes du gouvernement, ses vrais amis désiraient qu’il assemblât les États généraux : c’était un moyen infaillible de conserver, d’augmenter même la faveur publique, alors ouvertement déclarée pour lui. Philippe se prêtait, sans efforts, à cet expédient : malheureusement les perfides confidents qui avaient usurpé trop d’empire sur ses pensées, réprouvèrent un projet où leurs intérêts particuliers ne se trouvaient pas; il fut abandonné (1). (1) On trouvera plus loin des notes historiques soir A la mort de ce prince, l’État était endetté de 2,471 ,000,000 de livres, l'argent étant à 27 livres le marc, ce qui ferait de nos jours plus de quatre milliards; encore est-on étonné que la dette ne soit pas plus énorme, quand on compare les dépenses en tous genres et tous les revers de son règne, avec la modicité de ses revenus. Pour le concevoir, il faut convenir que Colbert a trouvé d’immenses ressources dans ses opérations , et surtout dans le commerce qu’il ouvrit avec les quatre parties du monde. Ce ne fut qu’après la mort de Louis XIV que la plaie publique fut bien connue. Ce monarque, qui en avait imposé à la fortune, et qui avait soutenu en grand homme les revers les plus accablants, masquait d’un fantôme de grandeur les accès de l’abîme ; mais qu’il parût profond quand on n’eût plus que sa mémoire à admirer ou à censurer et qu’on éprouva les terreurs qui précèdent la guerre civile! Si le testament du feu roi n’avait pas été cassé, que serait devenu le vaisseau de l’État sous la main impuissante du duc du Maine ? Le génie du duc d’Orléans pouvait seul rassurer les esprits. Il corrompit les mœurs, mais il sauva le royaume, et entreprit le hardi projet d’éviter le déshonneur d’une banqueroute presque évidente. Le régent, voulant opérer une liquidation à peine possible, avait besoin demoyens plus qu’ordinaires; il saisit avec avidité le système captieux de l’Écossais Law, au moyen duquel on devait satisfaire aux engagements publics avec des billets, et se rembourser sur les immenses profits que produirait la découverte de la Louisiane, du Missis-sipi, etc. Malheureusement les bénéfices étaient fantastiques. Cependant, d’après ces spéculations , on établit en 1716 une banque dont le prix des actions était hypothéqué sur les produits et bénéfices du commerce du Sénégal ; elle acquit le privilège de l’ancienne compagnie des Indes , fondée par Colbert, et prit les fermés générales. Qn courut avec fureur acheter des actions qui semblaient porter sur d’aussi vastes fondements. Elle montèrent dix , vingt fois peut-être au-dessus de leur première valeur. Les plus grandes fortunes furent bouleversées , et des agioteurs, des intrigants, en firent d’immenses dans l’espace de quelques mois. Law, enivré de l’ivresse publique, créa tant de billets, qu’en 1791, la valçur chimérique des actions valait quatre-vingts fois tout l’argent qui pouvait circuler dans le royaume. On remboursa en papier les rentiers de l’Etat. En soutenant le taux des dividendes , l’illusion se soutint quelque temps encore; mais le régent, emporté malgré lui par le mouvement rapide d’une machine aussi grande que compliquée, ne les tentatives faites pendant la Régence et sous le règne de Louis XV pour une convocation des Etals généraux. [1» Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |Introduction.] 22 put empêcher le masque de tomber, et le crédit tomba tout d’un coup avec lui. Le duc d’Orléans voulut en vain le relever par des arrêts qui l’anéantirent. Il fallut suspendre les payements. Les porteurs de-billets devinrent créanciers de l’État, et l’on fut obligé de réduire l’intérêt au centième denier de la primitive valeur. A la majorité de Louis XV, le gouvernement, déchargé de l’énormité du fardeau de la dette, et dirigé par la main timide et pacifique du cardinal de Fleury, se montra avec splendeur. Les trente premières années de ce règne furent brillantes et heureuses. Mais les ministères de Machault et d’Argenson furent les derniers de cette époque, et les dernières années de Louis XV furent le long opprobre d’un trop long règne (1). M. de Ghoiseul, quoique doué d’une certaine élévation et d’un caractère plus franc, mérite plus l'animadversion de l’histoire. Il sera cité comme un des corrupteurs de son maître, toujours aux aguets avec le duc de Richelieu pour étouffer les remords qui auraient pu le rendre à ses devoirs. Il avait cependant un coup d’œil juste, une énergie peu commune à la noblesse française, et une parfaite connaissance du caractère national et de l’art de manier les hommes. Les cours de Vienne, de Pétersbourg et de Berlin n’osèrent tenter le partage delà Pologne sous son ministère, quoiqu’elles en cherchassent alors les moyens. Ceux qui l’accusent d'avoir le premier porté un coup mortel au militaire français, en contrariant les anciennes ordonnances, lui font hommage des deux plus étonnantes révolutions que les annales du monde puissent offrir ; il prépara la révolution d’Amérique, et celle-ci amena la révolution de France. On a vanté les réductions qu’il avait faites dans ses départements, mais ce fut d’abord l’effet naturel de la réunion des ministères dont il était le chef : car un même homme représentant trois ministères, peut, sans beaucoup de mérite, porter en économie ce que l’envie de se distinguer dans son département fait demander au-dessus du nécessaire au ministre qui n’en gère qu’un; quand on passerait ces économies, seront-elles comparables à sa dissipation reconnue, aux augmentations de dépenses faites par lui ? Ne sait-on pas qu’il donnait de toutes maius ? Pour réparer le trésor royal, il réduisit les provinces à la misère en accaparant tous les blés, pour en faire le commereee (1) On peut et l’on doit regarder la vie dissolue du roi comme une des principales causes de la déprédation des finances. On évalue à 500 millions ce qu’il en a coûté à l’Etat, sous ce règne, pour les dépenses que leur nature honteuse rendait essentiellement secrètes ; des milliers de familles leur durent l’opprobre et la fortune, et puisèrent dans le trésor public, les unes le prix attaché aux plus avilissantes faveurs, les autres le dédommagement de leur humiliation; mais qui peut calculer au juste ces mystères? Aussi le Parlement de Paris remontra-t-il que, sôus Louis XIV, les bons non motivés ne s’étaient jamais élevés à plus de 10 millions, et que les siens passaient déjà cent, exclusif au nom du roi. M. de Ghoiseul avait des talents, mais surtout le ton tranchant qui les fait ressortir (1). Après la paix de 1762, l’abbé Terray, homme d’un caractère ferme, mais dur et sans moralité, ne pouvant avoir d’argent, en vola au nom du roi : il ruina tous les citoyens qui avaient fourni aux frais de la guerre, en réduisant à deux et demi pour cent les intérêts de leurs créances, soit sur les fermes, les colonies, les pays d’états, billets, etc. Tout le monde sait combien le gouvernement et le ministre de ces exactions devinrent odieux. Le produit en fut bientôt dévoré : c’était une faible •pluie d’or, il en aurait fallu un fleuve. A la mort de Louis XV, le revenu public s’élevait à 375,331,873 livres; mais Jes engagements, malgré cette foule de banqueroutes qu’on s’était .permises, montaient à 190,858,531 livres : il ne restait donc de libre que 184,473,343 livres. Les dépenses de l’État exigeaient 210,000,000 de livres : c’était par conséquent un vide de 25, 526, 657 livres dans le trésor de l’État. A son avènement au trône, le jeune roi, auquel, par mépris pour Louis XV autant que par flatterie, les Parlements et les princes voulaient donner le nom de Désiré , qu’il refusa, appela auprès de lui les hommes qu’on lui désigna pour les plus vertueux ou les plus habiles. Le comte de Maurepas devint son conseil intime, son tuteur. Ce choix était un malheur ; courtisan disgracié de la cour de Louis XIV, on crut qu’il porterait ses ressentiments intéressés à établir un nouvel ordre de choses, à briguer le titre de régénérateur : il n’apporta au ministère que l’intrigue et la corruption, l’égoïsme d’un vieillard courtisan, joint à la légèreté et à l’esprit futile de sa jeunesse. M. le comte de Maurepas commença par s’occuper des Parlements exilés depuis près de cinq ans. Leur rappel fut regardé comme une des plus grandes fautes de son ministère. Le maréchal de Muy, ministre de la guerre, stoïcien sévère, mais auquel on n’attribuait pas tous les talents nécessaires à sa place, l’apostropha en plein conseil, lui reprochant de déshonorer sa vieillesse et d’abuser de la jeunesse du roi. La suite a prouvé que le maréchal avait raison, au moins dans le système du despotisme de la cour. Le roi eût été (1) On trouvera plus loin une notice plus étendue du caractère personnel et des opérations des ministres les plus marquants qui se sont succédés sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Nous avons pris le fond de la plupart de ces portraits dans des ouvrages imprimés avant la Révolution, et publiés par des hommes qui avaient été à même d’avoir une connaissance particulière des faits. Nous ne nous sommes servis que pour quelques-uns d’un ouvrage imprimé depuis la Révolution; c’est celui de M. Sénac de Meilhan, qui contient diverses Sarticularités sur les ministères de M. de Calonne et de t, Necker. Nous en avons tiré les détails les plus frappants, sans prétendre cependant ni en garantir la vérité, ni partager toutes ses opinions sur des persofinages vivants, et qui ne. doivent encore être jugés que comme hommes publiés. [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] bien pins tranquille, bien moins tracassé par les cours souveraines; il aurait pu faire entrer dans les nouveaux Parlements ceux des exilés qui auraient mieux aimé s’accommoder aux circonstances que de végéter dans leurs terres. On accusa aussi le chancelier d’avoir laissé échapper un moment très-favorable au maintien des chambres qui lùi devaient leur existence. Si, quand Louis XVI monta sur le trône, il avait demandé à ce jeune monarque la levée de toutes les lettres de cachet, tous les membres des Parlements qui, dans leur exil, formaient encore une compagnie formidable, ou qui avaient encore un grand parti dans la nation, seraient rentrés comme. de simples particuliers dans le sein’de leurfamille. ' Isolés, sans titre et sans fonction, ils n’auraient osé s’assembler : n’étant plus malheureux, l’intérêt qu’on prenait à leur disgrâce aurait insensiblement diminué, on se serait accoutumé à les voir sans robe et sans fonction. Gette démarche était un coup de parti pour le chancelier ; son défaut de prudence entraîna sa chute : il fut envoyé dans ses terres. Louis XVI remit d’abord ses finances dans les mains de Clugny, ancien intendànt des colonies, administrateur borné, avare et intraitable; celui-ci eut pour successeur M. Turgot, intendant du Limousin, connu par une administration pure, vivifiante et heureuse. Il déploya dans le ministère de la probité et des vues utiles ; mais il fallait s’exposer à déplaire pour opérer des réformes nécessaires : il déplut et se retira. M. Necker, connu par son Éloge de Colbert et par son habileté dans la bauque, fit entrevoir au vieux Maurepas la possibilité de créer du crédit et de se donner de l’aisance. Il fut nommé directeur général des finances. Ce nouveau ministre, découvert de toutes parts à l’envie, annonçant un système nouveau et un peu de stoïcisme, dut avoir des prôneurs enthousiastes et des détracteurs frénétiques. Ses censeurs lui reprochent d’avoir établi la ressource illusoire et désastreuse des emprunts ; d’avoir pris pour principes de son administration qu’il faut à un État un crédit pécuniaire, comme à un banquier, et de n’avoir pas vu que le banquier s’enrichit d’un crédit qu’il a l’art de faire valoir à son profit, que les emprunts actifs du banquier augmentent sa fortune, tandis que les emprunts passifs d’un gouvernement le ruinent. Ils disent qu’il a tout soumis aux capitalistes, qu’il a négligé l’agriculture. Ils l’accusent d’ambition ; et prenant pour juge la discussion ouverte entre lui et M. de Galonné, ils le taxent d’avoir trompé dans son Compte rendu (1). (1) Il résulte du Compte rendu, qu’en 1781 les revenus de l’Etat excédaient de 10 millions les dépenses fixes; mais, comme il existait à la mort de Louis XV un Vide de 25 millions entre la recette et la dépense, il faudrait donc que M. Neker eût remboursé, malgré la guerte, A son avènement au trône, Louis XVI avait rendu un premier hommage à la justice et à l’opinion publique, en rappelant à leurs fonctions les anciens magistrats devenus chers à la France par les maux d’un long exil. Elle acquit un nouveau degré d’énergie, lorsqu’un ministre philosophe annonça le projet de préparer la nation au grand bienfait de la liberté, par l’établissement des administrations provinciales, et la suppression prochaine des intendants, de ces pachas créés par le visir Richelieu, qui s’engraissaient de la substance des peuples et les affaiblissaient par les corvées, les exactions, la misère et la faim pour les contenir dans l’obéissance. On se crut déjà libre, lorsque M. Necker, dissipant les nuages épais que l’impéritie et la rapacité de ses prédécesseurs avaient assemblés sur les finances, mit sous nos yeux l’état de la fortune publique, rendit compte des diverses branches des revenus du royaume, des frais, du mode de leur perception, et de l’emploi des contributions nationales. A cette lumièrer imprévue, cette troupe de traitants qui s’abreuvaient dans l’ombre du sang des victimes humaines, frémit de rage. Favoris, ministres, courtisans, tous ces parasites qui cachaient dans une nuit profonde et leurs sourdes rapines, et leur nullité absolue ; ces prétendus hommes d’Etat, qui se flattaient d’être de grands intrigants, crièrent au sacrilège, et représentèrent la révélation des mystères du cabinet comme un attentat contre la majesté du trône. Ils se réunirent de concert contre un administrateur qui avait, quelle que fût son ambition particulière, su montrer l’énergie d’un citoyen. Il fut disgracié avec tous les honneurs du triomphe décerné par la reconnaissance publique. Elle ne pouvait trop éclater ; c’est le célèbre Compte rendu, dont l’idée absolument neuve dans un pays monarchique, a eu tant d’influence sur le crédit et sa durée, qui a réveillé les Français de leur long assoupissement ; c’est son mémoire sur les assemblées provinciales qui leur a communiqué la première étincelle de l’amour de la liberté. Ce projet n’était pas absolument nouveau : il avait été proposé à M. le duc de Ghoiseul qui le goûtait assez, mais les clameurs de la finance le forcèrent à l’abandonner. Le plan de M. Necker présentait un moyen facile de soulager les peuples sans diminuer la recette du trésor royal; de préparer la nation à la liberté politique, en l’accoutumant peu à peu à traiter elle-même ses propres intérêts ; de créer des hommes, en forçant les talents de se développer par ses seules économies et l’extension ' des revenus fiscaux, le capital de ces 25 millions de déficit ; ce qui, joint aux 10 millions d’excédant qu’il annonce, donnerait une augmentation dé 35 millions de revenus. Cela paraît difficile : M. de Calonne prétend au contraire qu’il existait, en 1781, un déficit considérable. [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 24 dans la discussion des affaires publiques. Mais il dévoilait les vices du régime oppresseur des intendants, les abus du système financier, l’esprit de corps des Parlements; c’en fut assez pour le faire marquer du sceau de la proscription : et ce mémoire, qui, appuyé de l’opinion publique, aurait pu faire le bonheur de la France, et amener sans crise la régénération de l’Etat, demeura secret entre le roi et son ministre. On fit dans deux provinces l’essai de cette nouvelle forme d’administration, et elle obtint le plus grand succès, malgré les obstacles de tout genre qu’on ne manqua pas de lui opposer, En 1781, Monsieur voulut lire ce mémoire; M. Necker le lui confia. On le lut, on le vola, et il tomba entre les mains de M. Gromot. Ce dernier, qui se croyait au moins le rival de M. Necker, persuadé qu’il avait trouvé l’occasion qu’il cherchait depuis longtemps d’écarter du ministère le seul homme qui l’empêchait d’y parvenir, tire à la hâte des copies de ce mémoire, s’empresse de les faire parvenir aux intendants, aux Parlements, chefs de la finance, c’est-à-dire à tous ceux dont l’intérêt particulier repoussait toute innovation pour l’intérêt public. M. Necker était sans appui contre une masse d’ennemis aussi redoutables ; comme il ne pouvait avoir dans ce temps-là son entrée au conseil, il ne travaillait môme jamais seul avec le roi , et M. de Maurepas, qui était toujours en tiers, s’était déclaré contre lui. La gloire que le Compte rendu avait procuré à son auteur lui avait donné de l’ombrage, et il ne pouvait lui pardonner de n’avoir pas fait de lui dans cet ouvrage une mention honorable. On attaquait au conseil tous les plans du directeur général, et comme il n’y était pas présent, on morcelait, on rejetait ses plans. On avait suivi la même marche pour perdre Turgot. M. Necker demanda donc au roi, non pas une place au conseil, mais au moins la liberté d’y entrer, pour discuter ses opérations. Après une mûre et profonde délibération, on lui promit cette faveur, à condition qu’il abjurerait solennellement le calvinisme; c’est ce que le Saint-Père et le sacré collège auraient pu exiger de lui, s’il avait demandé le chapeau de cardinal. Comme il ne prétendait point aux honneurs de la pourpre , mais à celui de faire prévaloir ses plans de finance, il quitta le ministère en 1782, emportant dans sa retraite les regrets du public, et en consacrant son loisir au célèbre ouvrage de VA d-ministration des finances. On ne put supposer ni talent ni vertu à celui qui osa remplacer un ministre honoré de la confiance de la nation, et dont l’élévation était regardée comme le fruit des intrigues de la cabale qui n’était déclarée contre lé premier. Deux impôts et un emprunt onéreux signalèrent la courte admi-sistration de M. Joly de Fleury ; il retrancha les sous, deux sous et quatre sous pour livre, dont les impositions étaient surchargées, et pour que sa comptabilité fût plus productive êt plus simple , il chargea indistinctement tous les impôts de dix sous pouï livre de la valeur de leur primitive imposition. Il greva la ville de Paris de droits sur le sucre, etc., et il sortit de place avec des pensions et du mépris. Un jeune homme d’une probité reconnue, M. d’Ormesson, donna, pendant quelque temps, des espérances. Il fut bientôt obligé, à son tour, de déposer un fardeau trop pesant. Son brillant successeur, avec tous les avantages de la supériorité, n’avait pas celui de l’opinion publique. Nommé commissaire dans l’affaire de M. de La Chalotais, au lieu de l’impartialité d’un juge, il avait servi l’acharnement des ennemis puisssants de ce courageux magistrat, uniquement pour en obtenir de la faveur. Mal famé d’ailleurs, il ne lui restait de droits à la confiance que de l’esprit et l’art de l’insinuation. On fut consterné de voir M. de Galonné remplacer M. d’Ormesson, de voir les richesses de l’Etat entre les mains d’un homme qui avait dilapidé son patrimoine ; d’un homme qui, inconsidéré par caractère, immoral par système, avait déshonoré ses talents par ses vices, ses dignités par l’opprobre de sa conduite; qui, étant procureur général du Parlement de Douai, s’était avili jusqu’à se rendre l’espion d’un ministre auprès du procureur général du Parlement de Bretagne, et avait eu l’impudeur de devenir juge du magistrat dont il avait été le délateur; qui, depuis, vieilli dans les intrigues amoureuses et dans les intrigues de la cour, chargé de honte et de dettes, venait, avec la troupe avide de ses protecteurs, fondre sur les richesses du royaume, comme pour dévorer les finances, sous prétexte de les administrer. Mais il fallait à la cour un ministre fécond en ressources, habile à couvrir de palliatifs la brèche ouverte par les dissipations, et qui ne se laissât point effrayer par l’abîme : on crut l’avoir trouvé dans M. de Galonné. En effet, rien n’était au-dessus de ses talents et de son audace ; il plut au roi, et le subjugua par ses manières spirituelles; il plut par sa prodigalité à ceux auxquels un ambitieux avait principalement besoin de plaire. Depuis le mois d’octobre 1776, jusqu’au mois de mai 1781, M. Necker avait emprunté 530 millions; en deux ans, son successeur avait emprunté plus de 300 millions ; mais M. de Calonne les surpassa l’un et l’autre; ses emprunts montèrent à plus de 800 millions. Ainsi, en dix ans, l’Etat s’est chargé de la rente d’un capital d’un milliard 630 mil-, lions (1). Gomment, en supposant l’exactitude du Compte (i) Remontrances du Parlement de Paris, du 24 juillet 1787. fl re Série, T. Ier. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] rendu, c’est-à-dire 10 millions d’excédant, et 25 millions de capitaux éteints, M. de Galonné avait-il élevé le déficit, en trois ans et quatre mois, à 140 millions (1) ? Gela paraîtrait inconcevable, si l’on ne savait pas qu’indépendamment des charges de l’Etat, source primitive du déficit (2), le trésor royal était ouvert à toutes les fantaisies, accessible à toutes les intrigues. Les dons, les pensions, les gratifications volèrent au-devant de tous les services réels ou supposés; les dettes des princes furent liquidées; on acquitta même des créances simulées. On faisait acheter au roi Rambouillet, et Saint-Gloud à la reine ; on engageait, on échangeait les domaines de la couronne. Jamais la cour n’avait été si brillante, ni le prince si magnifique ; jamais on n’avait vu tant d’activité dans la circulation ; le ministre se changeait en pluie d’or ; enfin il établissait une caisse d’amortissement pour éteindre la dette nationale : les emprunts se multipliaient en même temps, il est vrai, mais on annonçait dans de brillants préambules que le contrôleur général avait trouvé le secret de libérer le royaume; qu’avant vingt ans la France aurait remboursé tous ses créanciers, et serait parvenue au plus haut degré de splendeur et de gloire. Tous les édits portant création de nouveaux emprunts ne manquaient pas de le promettre. Les agioteurs, dont la malfaisante activité s’alimente de la multiplicité des effets publics, de l’accumulation et du discrédit des emprunts, chantaient la louange d’un ministre qui servait si bien leurs désirs. Cependant la facilité des emprunts, qui tenait principalement à la confiance qu’avait inspirée M. Necker, ne fut plus la même lorsqu’on eut remarqué les dissipations de son successeur. Aussi les premiers emprunts de M. de Galonné ne rendant point ce qu’on avait attendu, il fallut en ouvrir de nouveaux à des conditions plus avantageuses pour le prêteur, jusqu’à ce que les engagements devinssent enfin si onéreux, qu’il n’y eût plus moyen de déguiser l’impossibilité de les remplir. M. de Galonné, parvenu à cette extrémité, fit convoquer les notables; il espéra imposer par l’audace, et séduire par les ressources de l’esprit ; mais on ne tarda pas à s’apercevoir que les hommes rassemblés s’électrisent puissamment, que la philosophie et la révolution d’Amérique (1) Taux auxquels les notables l’ont évalué. (2) M. Mallet, premier commis des finances sous M. Des-marets, a démontré que, dans l’espace de deux siècles, on amis forcément sur les peuples plus de 100 millions de levées nouvelles et perpétuelles, pour remplir les enga--gements de gages et de rentes auxquels a obligé la vénalité des charges, et qui étaient doublement onéreuses, puisqu’elles éloignaient les titulaires des spéculations utiles du commerce, par lesquelles leurs capitaux auraient pu être une source de richesses pour l’Etat, et les exemp-- taient de l’impôt. 25 avaient donné des prétentions nouvelles, et qu’il ne faut souvent qu’ouvrir une issue à l’énergie, pour qu’elle fasse une orageuse explosion. Les premiers moments de son ministère séduisirent par des promesses et par un instant d’aisance qui en imposa : c’était un songe flatteur; mais le réveil en fut terrible. La convocation des notables fut un coup de foudre qui tira tout à coup la nation étonnée de cette incroyable sécurité. M. de Galonné voulut reculer, il n’était plus temps ; il voulut dissoudre l’assemblée par des lettres de cachet, mais rien ne pouvait plus surmonter l’opinion ; elle planait déjà sur la force exécutrice, et annonçait la puissance qui crée les lois, qui brise en un instant les ehtraves des antiques abus. L’indignation publique fut égale à la surprise lorqu’on entendit annoncer un déficit de MO millions. M. de Galonné, prévoyant, par la résistance des notables, qu’il aurait plus d’un assaut à livrer au Parlement, mina sourdement dans l’esprit du roi le faible garde des sceaux, qui lui donna bientôt lui-même occasion de l’attaquer ouvertement. Le contrôleur général ayant soutenu au grand comité des notables que le trésor royal n’était pas, au moment de la retraite de M. Necker, dans l’état d’opulence qu’il avait annoncé, le roi désira d’avoir sur ce fait le témoignage de M. Joly de Fleury, son successeur. Sa réponse ne se trouvant pas conforme aux vues et aux assertions de M. de Galonné, celui-ci jugea plus à propos de la supprimer que de la combattre : mais l’ex-ministre avait envoyé en même temps au garde des sceaux un double de la lettre qu’il avait adressée au contrôleur général. M. de Miromesnil en parla au roi. Une infidélité de cette nature devait décider de la perte de celui qui s’en était rendu coupable ; mais le rusé courtisan sut en tirer avantage : il attaqua vivement le. chef de la justice, provoqua une rixe, et finit par en imposer au monarque. M. de Miromesnil eut tort, car il perdit sa place, mais il retrouva la paix et gagna l’estime publique, par la fermeté avec laquelle il soutint sa disgrâce; il écrivit au roi une lettre noble et touchante, en lui renvoyant les lettres patentes par lesquelles il l’avait nommé chancelier. Dès que la retraite de M. le garde des sceaux fut assurée, M. de Galonné proposa au roi M. de Lamoignon, comme l’homme le plus capable, dans des circonstances difficiles, de remplir les importantes fonctions de chef de la magistrature : son choix fut agréé. On avait congédié les notables pour se débarrasser de leur importune présence, mais ils semèrent dans les provinces la plainte et le soupçon. S’il était facile de trouver un successeur à M. de Galonné, sous le rapport de la probité, il ne l’était pas de lui donner un successeur qui l’égalât en talents ; et l’archevêque de Toulouse surtout, auquel on n’attribua d’autre mérite que la pfé- 26 [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j Introduction. somption d’un ambitieux et les fausses ardeurs de l’impuissance, ne lui parut pas supérieur en vertus. Il avait prévu la chute prochaine de M. de Galonné, et dirigé toutes ses démarches, tous ses discours sur le plan combiné de son élévation future. Le silence politique qu’il affecta n’en imposa à personne : on souleva même le voile mystérieux dont il couvrait ses prétentions ; mais il louvoyait habilement sous les auspices de l’abbé de Ver-mont, et fut servi si chaudement, qu’il fut admis au conseil, immédiatement après le renvoi du contrôleur général. De l’esprit naturel, une élocution facile, mais un génie étroit, un corps usé par les plaisirs ; un caractère énervé, une vanité exaltée par les fades adulations de quelques littérateurs à gages, quelques idées vagues d’administration qu’il prenait pour un plan, des lumières et de l’expérience, tels étaient les moyens avec lesquels il entrait dans le ministère. Il avait à peine produit un instant d’illusion que ses vues courtes et inconséquentes l’avaient détruit aussitôt. Il proposa au Parlement les mêmes impôts que M. de Galonné avait proposés aux notables, l’impôt territorial et celui du timbre, quoique, comme notable, il se fût formellement élevé contre euXî Les magistrats, grevés par le premier impôt, profitèrent de l’odieux du second pour éluder l’équité de celui qui aurait porté également sur toutes les propriétés. De là ce combat d’ordres et de refus, d’injonctions, de remontrances et d’arrêtés, qui finit par l’exil du Parlement de Paris à Troyes. Cet acte d’autorité fut le premier sigoal de la guerre, et décida l’opinion publique. Elle se manifesta peu de jours après à l’égard des deux princes qui furent envoyés pour le même enregistrement, l’un à la chambre des comptes, l’autre à la cour des aides, avec une énergie qui étonna également les amis de la liberté et les fauteurs du despotisme. La mission des deux frères du roi était la même. Cependant, Monsieur, qui s’était déclaré ouvertement contre M. de Galonné,, à l’assemblée des notables et aux différentes assemblées de chambres que tint ensuite le Parlement, fut reçu dans Paris aux acclamations du peuple, et reconduit après la séance dans son palais du Luxembourg, au milieu des bénédictions d’une foule immense, qui s’empressait de lui présenter des bouquets et de jeter des fleurs sur son passage. M. d’Artois, au contraire, qui s’était cru, par reconnaissance sans doute, obligé de défendre les opérations du ministre disgracié, reçut, dès la barrière de la Conférence, des marques du mécontentement public. II se manifesta d’une manière effrayante pour sa personne, au Palais, lorsque ses gardes firent un mouvement pour se mettre en défense; un homme blessé par imprudence où par accident augmenta le tumulte et le danger. 11 en fut cependant quitte pour la peur. Lorsqu’il sortit de la cour des aides, il fut assailli par de nouvelles clameurs, et poursuivi par les huées de ce môme peuple, dont il avait été l’idole, jusque vers la statue d’Henri IV, dont la vue dut être pour lui un nouveau reproche. Un cordon de troupes, disposé sur le Pont-Neuf, ferma le passage à la multitude, et donna au prince la facilité de continuer librement sa route, après une leçon effrayante dont il eût vraisemblablement mieux profité, sans les conseils perfides de ceux qui l’entouraient. ' La nation était trop éclairée pour que les Parlements renouvelassent l’absurde prétention de tenir le roi en tutelle et de porter la main au gouvernail. Pour cette fois, réduits à la seule vérité pour sortir d’embarras, ils adoptèrent l’avis d’un conseiller, M. d’Eprémesnil, qui leur représentait avec force qu’il était inutile de circuiter insidieusement ; que la vérité de leur incompétence était aperçue et sentie, qu’il fallait se faire un mérite d’un aveu nécessaire. Us confessèrent donc n’avoir pas le droit de sanctionner l’impôt, que ce droit appartenait aux seuls États généraux, qui avaient celui de le consentir, et ils en demandèrent la prochaine convocation. Les ministres furent entièrement déconcertés et de l’étrange aveu et de la demande dangereuse du Parlement. En effet, elle fut si vivement accueillie, répétée avec tant d’enthousiasme, que le roi se vit obligé de l’accorder ; il s’y engagea par une promesse solennelle. Les Parlements ont donc rendu un service réel à l’Etat? Oui; mais il s’en faut de beaucoup que leur gloire soit pure ; ils ne surent pas même pallier les motifs déterminants de leur résistance et l’aveu de leur incompétence : l’intérêt de corps et l’intérêt personnel percèrent de toutes parts. Dans la crise violente où l’on se trouvait, le conseil n’imagina rien de mieux que de nommer l’archevêque de Toulouse principal ministre; mais un nouveau titre, ne peut donner un nouveau talent, et le principal ministre ne fut ni plus habile, ni plus heureux que ne l’avait été le chef du conseil des finances. L’entêtement et la faiblesse présidant à toutes les opérations, d’imprudences en imprudences il amena les choses au point qu’il était également dangereux pour l’autorité royale d’avancer ou de reculer, et lui fit faire l’un etl’autre: heureusement pour la monarchie française, le Parlement ne fut ni plus politique ni plus prudent. L’enregistrement de la prorogation du deuxième vingtième, pendant son exil, montra qu’il n’était pas moins inconséquent qu’incompétent, et le roi, en le rendant à la capitale, lui fit perdre pour toujours l’importance qu’il avait usurpée dans l’administration. La mauvaise foi avait préparé l’accommodement [lre Série, T. Ie-r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,] simulé des ministres et des magistrats; la mauvaise foi amena une nouvelle rupture. L’archevêque, à qui la voie des impôts était fermée, tenta celle des emprunts, et elle lui eût peut-être réussi sans la perfidie de quelques magistrats et la gaucherie du garde des sceaux. M. de Lamoignon avait engagé Je principal ministre à entrer en négociation avec les membres du Parlement qui avaient le plus d’influence dans leur compagnie. Tous convinrent des besoins du gouvernement et de la nécessité de lui trouver de l’argent. Le ministre crut la circonstance favorable pour établir une cour plénière imposante, qui lui donnerait les moyens de se passer des Parlements. Cette cour devait être composée des princes, des pairs, des maréchaux de France et de quelques magistrats ; c’eût été vraiment la cour plénière du despotisme. En même temps, le garde des sceaux Lamoignon se vengeait du Parlement, en créant, dans chaque généralité, des bailliages auxquels il donnait des pouvoirs très-étendus, tant au civil qu’au criminel. Tous les Parlements firent une levée de boucliers terrible ; ils se con-fédérèrent, et conclurent un pacte de résistance qu’ils sanctionnèrent d’un serment. Pendant qu’on recueillait les voix, le garde des sceaux, s’apercevant que la majorité ne serait pas pour les projets ministériels, monta au trône pour avertir le roi d’en faire cesser le récolement, et de déclarer ses volontés; ce qui fut fait (1). Le duc d’Orléans s’étant permis de demander au roi si c’était un lit de justice ou une séance royale qu’il entendait tenir, et de protester contre l’enregistrement, fut exilé ainsi que deux autres conseillers, MM. Fré-teau et Sablier de Cabre, qui avaient parlé avec courage. Le premier mouvement du roi fut de les faire arrêter au milieu de la grand’chambre ; on prévint cette démarche, qui n'aurait' fait qu’aigrir les esprits. Les ministres n’en furent pas moins poursuivis avec plus de fureur encore par les cris de l’indignation publique, dès que l’ordre d’exil fut connu. M. d’Eprémesnil avait donné l’idée d’un emprunt successif : la déclaration du roi, libellée sur son plan, resta plus de huit jours entre ses mains, et la séance royale ne fut arrêtée au conseil que l’orsqu’on se crut assuré du consentement des magistrats. La veille, tout changea : on prétendit que des �membres du Parlement avaient eux-mêmes présenté des mémoires pour demander à distraire du ressort de leur cour plusieurs provinces, et proposé d’y établir des conseils supérieurs. M. d’Eprémësnil fut désigné comme devant être premier président d’un de ces nouveaux tri-(1) Quand M.de Lamoignon entra au parquet, M. Sé-guier lui-demanda s’il était vrai qu’il fût décidé à enr registrer sans prendre les voix. — Sans doute, lui répond le garde des sceaux; est-ce que vous voulez que le rôt ne soit qu’un conseiller au Parlement? ti bunaux; d’un autre côté, quelques propos indiscrets de l’archevêque l’ayant fait soupçonner de mauvaise' foi, les intéressés craignirent d’être compromis, et lui manquèrent de parole. Cependant une grande majorité s’étant déclarée pour l’enregistrement, dans la séance royale, il ne restait que deux partis à prendre : l’un de faire retourner le roi à Versailles, et de laisser consommer la délibération à la pluralité de voix, puisque le Parlement y attachait tant d’importance; l’autre, d’accorder sur-le-champ les États généraux. Mais M. de Lamoignon pensa que le roi devait suivre aussi strictement les déterminations de son conseil, qu’un premier président les arrêts de la cour. 11 ne sentit pas que l’assemblée des représentants de la nation était désormais indispensable, et qu’il valait mieux, pour la gloire et pour l’intérêt du prince, qu’elle parût un bienfait de sa part plutôt qu’un sacrifice arraché par la nécessité. Peut-être aussi n’eût-il pas le courage de braver le ressentiment du premier ministre. L’emprunt ne se remplit point, l’Etat périssait; mais les affaires particulières des ministres prospéraient. L’archevêché de Sens et une riche abbaye furent la récompense des brillants succès du principal ministre, et le garde des sceaux reçut pour prix de son habileté 200,000 livres pour marier sa fille. On résolut de perdre M. de Lamoignon ; pour y réussir, on fatigua la cour d’arrêtés, de députations , de remontrances. L’inflexible garde des sceaux faisait parler le roi avec la hauteur d’un sultan. Les Parlements répondaient avec une fermeté respectueuse, et faisaient de leur cause la cause de la nation ,[enfparaissant combattre le despotisme ministériel, uniquement pour assurer la liberté publique. Cependant la résistance qu’ils opposèrent à l’établissement des assemblées provinciales leur donna de la défaveur ; et les scènes qui se passèrent au Palais, lors de l’édit qui accordait l’état civil aux protestants, l’humble confession de M. d’Eprè-mesnil, la scission dont plusieurs membres menacèrent la compagnie, jetèrent du ridicule sur leurs délibérations. Encore deux lois justes et agréables à la nation, et les ministres triomphaient. Mais leur impéritie et leur audace les perdirent tous deux. Un comité de jurisconsultes philosophes s’occupait, sous les yeux du chef de la justice, de la réforme de la jurisprudence civile et criminelle. Le garde des sceaux, toujours pressé d’agir, voulut faire en quatre mois ce qui demandait plusieurs années de méditation et de travail. Le principal ministre, jaloux de partager sa gloire, se joignit à lui, et ils arrêtèrent d’opérer une révolution au mois de mai, comme on arrêtait un voyage de Compiègne ou de Fontainebleau. Tout h coup les ordres sont donnés. Tous les [lr8 Série, T. I««\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 28 militaires sont rappelés sous leurs drapeaux; des officiers généraux et des conseillers d’Etat partent pour les provinces, ignorant eux-mêmes l’objet de leur mission. Le même jour, à la même heure, ils doivent ouvrir des paquets cachetés qui renferment le sort de la France. Une imprimerie était dressée à Versailles, une foule de presses y gémissaient jour et nuit, et un triple rempart de bayonnettes dérobait le secret des ministres aux regards indiscrets. Cet appareil nouveau de despotisme avait semé l’alarme. M. d’Epremesnil vint à bout de découvrir le mystère, et fit jurer les magistrats et les pairs du royaume de se refuser à tout projet qui émanerait des presses ministérielles. Le ministre, furieux, lance une lettre de cachet contre l’auteur de la découverte et contre un jeune magistrat qui avait dénoncé leurs vexations dans la perception des vingtièmes. Ceux-ci échappent aux satellites porteurs de la lettre, se réfugient au Palais, et le Parlement les met sous la sauvegarde du roi et de la loi. Les pairs s’assemblent, le peuple se porte en foule à la grand’salle ; une députation solennelle part pour Versailles et va supplier le roi d’écouter dans sa sagesse de meilleurs conseils. Cependant un homme est surpris dans l’enceinte même du Palais, vendant des exemplaires falsifiés du fameux arrêté du 3 mai. Les portes de la grand’chambre s’ouvrent, et la cour, les pairs y séant , condamnent aux flammes ces imprimés d’imposteurs, après avoir fait lire au peuple l’original même de leur délibération. Cette circonstance échauffe les esprits ; la fermentation augmentait d’heure en heure, tout Paris attendait avec une curiosité inquiète la suite d’un événement qui devait décider si le Palais allait devenir un lieu d’immunité, d’où tout conseiller pourrait désormais braver les foudres de Versailles, ou si les ministres, au risque d’encourir l’exécration de la France, emploieraient la violence pour faire exécuter les lettres de cachet. 11 était minuit, lorsque plusieurs bataillons sous les armes, précédés de leurs sapeurs, la jiache sur l’épaule, accourent au Palais à pas précipités, prêts à briser les portes en cas de résistance ; le sieur Vincent d’Âgoult les commande. Il entre dans la cour des pairs et demande les victimes désignées. Nous sommes tous Goiflard et d’Epré-mesnil, répondent les magistrats. Tous les Français furent ce jour-là pour d’Eprémesnil. Ils ne savaient pas qu’il n’était que l’ennemi du ministre et non l’ami de la liberté. Le marquis d’Agoult montra ses ordres ; mais comme ils n’étaient que ministériels, on refusa de les reconnaître. 11 fallut donc retourner à Versailles, éveiller le roi pour lui faire signer un ordre que l’on doit croire avoir été contraire à ses dispositions naturelles. Vers les cinq heures de la même nuit, les deux conseillers furent enfin enlevés. M. d’Agoult, conduisant comme en triomphe ces deux magistrats en robe, à la tête de deux mille homme armés, reçut tout, le long de la route les témoignages de l’indignation publique et contre sa personne et contre les ordres dont-il était porteur. Comme il avait fait une espèce , de siège du Palais et failli emporter la grand’chambre d’assaut, on lui donna le gouvernement de la place qu’il avait conquise. Ce dernier acte de despotisme était trop violent ; il devait paraître trop odieux à la nation pour que les deux ministres ùe qui il émanait conservassent leur place. Comme il ne leur restait plus sur la terre de dédommagement que celui des richesses et des titres, on les en combla. M. de Lamoignon eut une grosse pension, et l’archevêque obtint tout ce qu’un roi de France peut donner , afin de proportionner , autant qu’il était possible , les grâces à la haine publique. — Il emporta pour près de 800,000 livres de pensions et de bénéfices. Il faut reconnaître que dans leur lutte avec le ministère, les Parlements ont servi puissamment la révolution sous laquelle ils succombèrent. Ils ont averti la nation qu’elle avait des droits puissants à exercer, de longues réclamations à faire valoir. La volonté personnelle du roi étant nulle devant l’influence des ministres qui la dirigeaient à leur gré, ils ne trouvaient point d’antres juges à prendre, entre les ministres et eux, que le peuple ; et forcés de le faire intervenir dans leurs querelles, ils le mirent bientôt à portée de s’instruire par lui-même de ses droits qu’ils avaient l’air de défendre. Par leur prétention d’être partie-essentielle de la législation, ils se sont exposés à l’examen, à la surveillance, à la critique; et l’on vil qu’ils avaient abusé du mot pour usurper les droits et s’attribuer la puissance des grands Parlements, c’est à dire des États généraux, quoiqu’en 1484, aux États tenus pendant la minorité de Charles VIII, le premier président la Vaquerie eût expressément déclaré au régent « que le Parlement était pour rendre la justice au peuple ; que les finances, ta guerre et le gouvernement du roi n’étaient pas de son ressort. » L’on reconnût bientôt en effet qu’ils n’avaient montré d’énergie qu’autant que leurs prérogatives, leurs prétentions ou leurs intérêts étaient compromis. Ont-ils poursuivi les crimes d’État dans les ministres déprédateurs ou fripons, dans-les despotes subalternes qui commettaient, au nom de Louis XVI, toutes sortes d’horreurs ? Ont-ils préservé, ou même essayé de préserver le peuple de l’oppressive progression des impôts ? Selon l’auteur de l’Éloge du chancelier de l’Hôpital, ils ont corrompu et ce qu’il y a de plus sacré sur la terre et le seul bien que les gouvernements puissent faire aux hommes, la justice et les lois. Cependant le peuple, qui ne voyait que les motifs flre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] apparents, avait conservé longtemps pour cette vieille idole un respect fanatique ; et dans ces derniers temps, il regardait encore les douze Parlements répandus dans le royaume comme autant d’égides qui protégeaient les citoyens et les propriétés. Peu de jours après la scène du Palais, parurent les fameux édits du 8 mai 1788 (1). Peut-être eût-on vu d’un œil tranquille l’établissement de grands bailliages ; quoique dangereux dans l’état où se trouvait alors la législation française, ils ne pouvaient manquer d’être utiles et agréables aux provinces. Mais la haine de la cour plénière réunit la nation aux Parlements, et ceux-ci, forts des sentiments excités dans tous les cœurs, tant par la courageuse résistance du peuple de Rennes et les, écrits vigoureux de la commission intermédiaire des États de Bretagne, que par la conduite ferme, mesurée et vraiment patriotique du Dauphiné, triomphèrent de la puissance royale indignement prostituée, de la force militaire, ébranlée par l’usage déshonorant qu’on en voulait faire, et renversèrent enfin les grands bailliages, ta cour plenière et leurs ineptes auteurs. C’est â M. d’Artois que l’on prétend que la France dut être délivrée de l’archevêque de Sens -, il ouvrit les yeux ou roi et à la reine sur la situation déplorable des affaires du royaume, sur l’incapacité du ministre, et la nécessité d’en prendre un autre dont le choix fût agréable à la nation. 11 s’offrit à aller lui-même demander sa démission ; on l’arrêta en lui promettant d’avoir égard à ses représentations. Quelques personnes de la cour avaient déjà fait sentir au principal ministre que M. Necker était le seul homme qui pût retirer le royaume de l’abîme où il était plongé ; il en avait parlé au roi. Le prélat consentait à lui abandonner en entier le département des finances. Mais l’ancien administrateur refusa d’entrer dans le ministère tant que l’archevêque y resterait. La retraite de celui-ci fut donc résolue. La reine voulut en vain Je préparer à cet événement; il s’était arrangé pour tenir toujours les rênes du gouvernement, et ne comprit rien à ces discours. 11 fallut que l’abbé de Yermont allât les lui expliquer le jour de Saint-Louis dans la matinée. Sa conduite pendant son ministère est une nouvelle preuve de la vanité des réputations ; il n’imagina rien que la cour plénière. La manière dont il travailla à soutenir cette opération fut plus honteuse encore que l’opération même : pendant quatre mois il ne chercha qu’à tromper le roi et la nation. Toute la France fut instruite qu’il avait persuadé au roi que le Châtelet de Paris avait enregistré avec joie son érection en grand bailliage (2). (I) Ces édits sont rapportés en entier dans le courant de cette Introduction. (2) La reine, sur sa parole, l’avait annoncé à Mesda-29 Jaloux de M. Necker, dont il se croyait le rival de gloire, et, dont il craignait l’ascendant sur le roi, il favorisa constamment les ennemis de cet administrateur. M. Panchaud, qui eut beaucoup de part à une réponse de M. de Galonné au Compte rendu de M. Necker , trouva dans les bureaux du contrôleur général toutes les facilités imaginables pour faire des recherches sur son administration, et son ouvrage fut vendu publiquement et sans obstacle dans un temps où mille entraves gênaient la liberté de la presse (1). Il jeta le premier entre les trois ordres ces funestes germes de division qui depuis ont mis l’État à deux doigts de sa perte ; il jeta également le plus grand désordre dans les finances par les sacrifices immenses qu’il fut obligé de faire pour soutenir ses projets. Les sommes répandues pour soulever le peuple, acheter des juges .pour les grands bailliages, les marches et contre-marches des troupes, la baisse du changé, la suspension du payement des impositions, les frais d’espionnage, etc. coûtèrent à la France plus de cent millions. Il marcha toujours au hasard et sans but déterminé. « Parmi cette foule d’événements qui se succèdent avec tant de rapidité, il n’est pas possible, disait-il, qu’il n’en survienne quelqu’un qui nous soit favorable ; il ne faut qu’une chance heureuse pour nous tirer d’affaire. » Une personne qui l’écoutait, lui fit observer que la guerre civile pouvait être une de ces chances. — « Nom avons calculé là-dessus , » répondit-il froidement. Dans les derniers temps de son administration, ses mauvais succès l’avaient aigri, la moindre contradiction le mettait en fureur, il ne méditait que des violences. Il était à la veille de s’emparer de tout l’argent qui était en dépôt chez les notaires, et d’y substituer du papier. Sa retraite prévint ce nouveau crime et la ruine d’une foule de familles. La réforme des tribunaux, les jugements par jurés en matière criminelle, l’instruction publique des procès, un conseil donné aux accusés, la suppression absolue de la torture et des supplices atroces et une foule d’autres règlements utiles mes; deux heures après, leur médecin étant venu à Bellevue, leur apporta l’arrêté de cette compagnie, et mit le comble à leur surprise et à leur indignation. (1) C’est une chose remarquable que la prodigieuse rapidité avec laquelle le despotisme s’est enraciné dans l’esprit de ce ministre : « Concevez-vous, disait-il un jour, rien de pareil à l’extravagance de ces Bretons? Ils ne font que nous harceler de mém.oires, nous fatiguer de députations; les voilà ici cinquante et tant pour en demander douze qui sont à la Bastille. J’ai voulu bonnement raisonner avec eux : Messieurs, leur ai-je dit, il est vrai que vos compatriotes sont à la Bastille; mais on les y traite avec toute la distinction et tous les égards possibles. — Eh! monseigneur, s’est écrié un d’eux (une bête qui était derrière les autres), ce ne sont pas des égards que nous sommes venus demander ici pour eux, c’èst la liberté. — Ma foi, je suis resté confondu, moi; que voulez-voulez qu’on dise à des animaux de cette espèce-là? » u« Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 30 pour l’administration de la justice, entraient dans le plan de travail dont s’occupait sous ses ordres le comité de législation qu’il avait établi. Comme il fallait, pour faire passer la cour plénière, offrir au public quelques lois propres à balancer et à couvrir i’odieux de ce nouveau divan, _on s’empara du tfavail du comité, on le tronqua, on le morcela pour le faire cadrer avec l’opération principale. L’abbé Maury fut chargé des préambules et des discours, et le garde des sceaux de les prononcer. Après la retraite de l’archevêque, la démission qu’offrit M. de Lamoignon ne fut point sur-le-champ acceptée. Il se flatta un moment de conserver sa place ; mais la haine du Parlement de Paris l'obligea de hâter de deux jours le moment fixé pour sa retraite. Cette cour, avant de se rendre à Versailles pour le lit de justice disposé par M. le garde des sceaux, avait pris un arrêté vigoureux contenant une dénonciation contre lui, et avait chargé son président d’en faire lecture en présence de Sa Majesté ! Sur des copies que l’on eut de cet arrêté, le lit de justice fut contremandé : M. de Lamoignon renvoya les sceaux du roi, et les Parlements furent réintégrés dans leurs fonctions, sans lit de justice. On n’a jamais su au juste quel traitement lui avait fait la cour. Il est mort (1) avec des dettes. 11 avait été magistrat intègre ; ministre, il bouleversa la magistrature et le royaume. Il laissa un exemple frappant à cette foule d’ambitieux qui convoitent les grandes places, sans s’embarrasser d’avoir les talents nécessaires pour les remplir. La jeunesse de Paris ayant appris le départ du principal ministre, alla demander au lieutenant de police la permission de se divertir, c’est-à-dire de donner des marques publiques de la joie que lui procurait cet événement. Elle s’assembla donc à la place Dauphine, et promena un mannequin vêtu d’une robe d’évêque, dont trois cinquièmes étaient de satin, et les deux autres de papier, en dérision de l’arrêt du conseil du 16 août, qui autorisait les différentes caisses à faire en papier les deux cinquièmes de leurs payements. On le jugea ensuite -, il fut condamné au feu, apparemment comme coupable de l’avoir mis aux quatre coins du royaume. Un ecclésiastiqne qui passait fut arrêté; on lui donna le nom de l’abbé de Vermont, et il fut chargé de confesser son protégé. Cette cérémonie achevée, le mannequin fut brûlé en grande cérémonie, et chacun se retira. Le lendemain le peuple voulut recommencer ; mais le chevalier Dubois, commandant du guet, s’y opposa. Il aurait pu facilèment prévenir le (1) Le genre de mort de M. de Lamoignon a fait croire qu’elle était volontaire. Il fut tué par la détente d’un fusil de chasse qu’il avait en main, étant dans une grotte de son jardin. tumulte, et même l’affluence à la place Dauphine, en s’emparant de bonne heure de cette place, et en faisant garder toutes ses avenues par de nombreux détachements ; c’est ce qu’il ne fit pas. Il s’imagina que vingt cavaliers, soutenus par une cinquantaine de fusiliers, lui suffiraient pour disperser plus de 20 mille personnes. Sa présence ne lui paraissant pas en imposer au peuple, il ordonne dé fondre sur lui à coups de sabres, à coups de bayonnettes, ét de charger indistinctement tout ce qui se rencontre sur son passage. Plusieurs personnes de marque furent blessées ; quelques autres, tant hommes que femmes, perdirent la vie. A la vue des morts et des blessés, le peuple, quoique sans armes, se rallie, la fureur succède au premier désordre, et les satellites du petit tyran subalterne sont mis en fuite avec leur chef. On force le corps de garde placé au pied de la statue de Henri IV; on dépouille les soldats qui y étaient cantonnés, on s’empare de leurs armes, on brûle leurs habits, et on les renvoie avec des sentiments de commisération dont ils s’étaient rendus indignes. Une foule d’artisans et d’ouvriers se répandent ensuite dans la ville, et brûlent divers corps de garde isolés, sans se permettre de faire aucun mal à ceux qui s’y trouvaient. C’était un désordre punissable, sans doute ; mais n’était-il pas occasionné par la violence et l’ineptie du commandant du guet ? On crut réparer un premier crime par un autre plus grand encore. Lorsque cette jeunesse indisciplinée se porta sur la Grève, des corps de troupes que l’on y avait postés, et que la nuit couvrait de son ombre, firent des décharges redoublées et étendirent sur la place un grand nombre de ces malheureux, dont on jeta les cadavres dans la rivière pendant la nuit. Le lendemain, le calme reparut dans la ville, mais il était bien loin d’être dans les cœurs. La retraite de M. de Lamoignon fit recommencer les mômes scènes. On le brûla comme l’archevêque après avoir ordonné qu’il serait sursis pendant quarante jours à son exécution, par allusion à son ordonnance sur la jurisprudence criminelle. Des brigands et des hommes soudoyés par les ennemis personnels des deux ex-ministres, se mêlèrent dans la foule, et l’excitèrent à la vengeance. Des troupes de furieux partent de la place Dauphine pour aller mettre le feu à leurs hôtels et à la maison du chevalier Dubois. M. de Brienne, frère de l’archevêque et ministre de la guerre, arrivait de Versailles à l’instant où ces forcenés, armés de torches brûlantes, s’approchaient de son hôtel. Il va sur-le-champ chercher du secours. On eût pu faire marcher un bataillon de gardes françaises et un corps de grenadiers qui en auraient imposé à cette multitude désarmée : on trouva plus court de la massacrer [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] impitoyablement. Deux corps de troupes entrent à la fois par deux extrémités de la rue Saint Dominique, chargent à coups de bayonnettes tout ce qui se trouve entre eux sans aucune distinction, et couvrent le pavé de cadavres. La même scène se répétait dans la rue Meslay où demeurait le chevalier Dubois, et deux rues de Paris furent inondées de sang. Sur la dénonciation de ces assassinats, le commandant du guet fut mandé par le Parlement. Le major comparut en son nom, et présenta un ordre supérieur. Le chevalier Dubois fut obligé de fuir de la capitale : sa sûreté personnelle exigea le sacrifice de sa place. Le mal était tel, qu’il fallait pour les finances un homme qui fut riche de l’opinion publique, plutôt qu’un ministre habile. Les facultés d’un seul homme auraient pu à peine mesurer l’abîme; il fallait le concours de 25 millions d’hommes pour le combler. M. Necker fut rappelé, parce qu’il n’y avait que lui qui eût un crédit personnel, qui pût servir d’une immense caution. Le rappel de ce ministre et le rétablissement des tribunaux qui en fut la suite répandirent la joie et une sorte d’enthousiasme qui soutint momentanément le crédit. La première chose que fit M. Necker fut d’obtenir la grâce des exilés, et de faire réitérer la promesse de la très-prochaine convocation des États; mais les Parlements, voulant se ménager une retraite, demandaient qu’ils fussent convoqués dans la même forme que ceux de 1614, c’est-à-dire en nombre égal de députés de chaque ordre, et d’après un mode d’élection qui assurât l’entrée de la chambre des communes aux officiers ministériels, aux baillis, sénéchaux, officiers municipaux et.de justice qui, ayant eu en 1614 le droit d’y entrer, étaient toujours du parti de la cour qui les nommait. Tel était aussi le vœu de la noblesse et du clergé; mais la grande majorité des Français, quelques nobles même rejetèrent cette tyrannique prétention. Le-Dauphiné venait de donner à la France un grand exemple. Il résista aux violences ministérielles; ses représentants délibérèrent avec courage à Ymile, au milieu des bataillons dont ils étaient environnés, sous le feu de plusieurs batteries dirigées contre eux, et forcèrent par leur sagesse, leur constance et leur énergie, le ministère à reconnaître le droit éternel qu’ont tous les peuples de régler eux-mêmes leur existence politique, de former des assemblées nationales pour discuter leurs intérêts et assurer la tranquillité publique. L’assemblée de Romans fut convoquée par le roi, à l’effet de dresser un plan de constitution pour les États du (pays, dont l’ancienne forme, repoussée par l’opinion et le sentiment universel, ne pouvait plus convenir. 31 Les deux premiers ordres, sacrifiant les misérables prétentions de la vanité à cet esprit de pa-- triotisme, toujours équitable lorsqu’il est éclairé, s’empressèrent de renoncer à des distinctions aussi injustes qu’onéreusès pour le peuple ; et afin d’établir entre tous les citoyens cette unité d’intérêts qui seule peut affermir l’union, et former de toutes les parties de l’État un ensemble, arrêtèrent que l’ordre du tiers état aurait aux États de la province une représentation égale à celle des deux autres réunis; que l’assemblée serait une, qu’on y délibérerait par tête, et que les subsides seraient proportionnellement répartis entre tous les citoyens sans distinction. Ces bases avaient déjà été établies par les notables convoqués pendant le ministère de M. de Galonné, et adoptées . pour toutes les administrations provinciales créées par cette assemblée. . Ils statuèrent : 1° que l’octroi des impôts serait absolument, et en dernier ressort, attribué aux États généraux, ainsi que leur répartition entre les provinces; 2° que cette attribution serait exclusive, et que nul impôt ne pourrait être établi dans la province avant-que les députés en eussent délibéré dans l’assemblée des États généraux. Enfin, ils établirent la nécessité du peuple, en arrêtant que toute loi nouvelle, avant son enregistrement dans les cours, serait communiquée aux procureurs généraux syndics, afin qu’il en lut délibéré, etc. Ils consommèrent leurs travaux patriotiques, en déclarant que, dans aucun tempe, on ne pourrait changer cette constitution sans le concours d’une pareille assemblée nationale générale ; en demandant enfin que les États généraux de la France fussent formés sur les mêmes bases d’équité, et qu’on les suivît dans la nomination des députés. Le Dauphiné devint l’admiration et le modèle du royaume. Les provinces qui n’avaient point d’États voulurent s’en former sur ces principes. Toutes les municipalités de Bretagne, les trois ordres du Velay, du Languedoc, du Yivarais, le tiers état de Provence, envoyèrent des députés porter au pied du trône le vœu des peuples. Le gouvernement , embarrassé entre ces demandes et les arrêtés des Parlements, s’empressa de rassembler l’ancien conseil des notables. La noblesse bretonne, alarmée pour ses privilèges, protesta aussitôt contre une assemblée qui n’était point constituée par la loi, et dont les membres, n’étant ni librement élus ni chargés d’aucun man-/ dat spécial de la nation, ne pouvaient la représenter ni la lier par leur délibération. Il eût peut-être été facile au ministre de décider contre les Parlements qui commençaient à devenir suspects ; mais il crut plus sage de faire convoquer de nouveau les notables, pour leur présenter ce nœud à couper. Les corps et les ordres l’emportèrent encore; car, de tous les bureaux, celui de üfem- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Introduction.] 32 sieur fui le seul qui vota pour que le tiers état eût des représentants en nombre égal aux deux premiers ordres. Cette délibération, qui fit autant d’honneur à Monsieur que les opinions connues du comte d’Artois en faisaient peu à ce dernier, fut celle que le roi et son ministre adoptèrent. Mais cette seconde assembléedes notables avait deux points essentiels à déterminer, savoir: dans quelles proportions territoriales ou de district on députerait, et comment voteraient les députés. Si on députait suivant l’ancien cadastre des élections, il s’ensuivait que de petits départements auraient une nombreuse représentation, tandis que des provinces riches et peuplées n’obtiendraient qu’un petit nombre de représentants. La justice était encore évidente ici ; mais l’évidence n’existe point pour les passions. Si on suivait l’ordre naturel de la pQpulation et de la propriété, la grande question de voter par ordre ou par tête semblait préjuguée; et l’on sait combien le clergé et la noblesse tenaient au domaine aristocratique des privilèges. Ils crièrent que la France était perdue si on touchait à leurs droits ; que les formes antiques devaient être sacrées. Ils cabalèrenl tant que M. Necker crut faire beaucoup que d’obtenir pour le peuple l’égalité de représentation, et de poser la base de la population pour règle de députation; mais il n’osa pas trancher la dernière conséquence au sujet de la forme de voter. Cette arrière-question resta à décider aux jjtats généraux eux-mêmes ; mais pendant que les notables et les Parlements travaillaient à étouffer, sous le poids de leur autorité, les réclamations universelles, à arrêter les vues bienfaisantes du roi et de son ministre, des écrivains philosophes remontaient aux principes des sociétés, démontraient que le véritable intérêt de l’Etat est nécessairement lié avec le bonheur de la nation, que les institutions sociales ne peuvent être utiles qu’autant qu’elles sont justes, et qu’elles ne peuvent être justes, si elles ne sont fondées sur les droits naturels et imprescriptibles de tous les hommes. , M. de Kersaint eut la gloire de ramener les principes du Gouvernement et de l’ordre politique aux lois éternelles de la raison, dans un ouvrage intitulé Bon sens, que les évêques, les conseillers et les marquis s’efforcèrent de proscrire. Les Observations sur l’histoire de France , cette production que son vertueux auteur aimait avec prédilection, comme le dépôt des titres de la nation contre le despotisme des rois, des grands et des corps, ce testament (c’est ainsi que l’appelait l’abbé de Mably), dicté par le génie de la liberté en faveur de la France, était entre les mains de tous les citoyens. MM. Target et Cerutti, dans deux ouvrages volumineux sur les droits du tiers état et la forme des États généraux, défendaient avec éloquence les droits du peuple français. M, Mounier dépouillait les anciennes archives des États généraux, et prouvait par l’autorité des faits et des exemples, ce qui était déjà démontré par les premières notions de la justice, la légalité de la double représentation, la nécessité de l’unité de l’assemblée et de la délibération par tête. M. d’Entraigues s’élevait avec force contre les abus de la noblesse héréditaire, le plus épouvantable fléau qui puisse frapper une nation libre, peignait en traits de feu les fureurs de la tyrannie, et nous faisait frémir, en nous présentant l’effroyable Louis XI, tout dégoûtant du sang français, armant la justice d’un poignard , habitant au Plessis-les-Tours, au-dessus des cachots où il enchaînait les victimes qu’il réservait à des tourments obscurs, vivant familièrement avec le bourreau qu’il appelait son ami et son compère, et mourant au milieu des re-fnords, des frayeurs et des angoisses, voyant sous ses pieds le désespoir et les douleurs, autour de lui la trahison, la terreur, la haine, sur sa tête l’implacable colère du ciel. Tous les cœurs bouillonnaient de la haine tjes tyrans et du désir d’une sage constitution; le patriotisme se propageait avec les lumières, lorsque l 'Essai sur les privilèges parut, ainsi que le livre intitulé � Qu’est-ce que le tiers étaiï qui en est la suite et le complément ? Cette production porta le dernier coup à tous les genres de despotisme, et la Révolution fut consommée dans l’opinion publique (1). Parmi les nombreux écrits publiés à cette époque, le plus influènt, parce qu’il joignait aux armes de la raison celles de l’autorité et de l’ascendant d’un ministre en crédit, fut le rapport fait parM. Necker, au conseil du roi, sur les résultats des délibérations de la deuxième assemblée des notables, rapport dans lequel les raisons qui militaient, en faveur de la double représentation du tiers état étaient développées avec une telle énergie qu’elles déterminèrent l’opinion du roi. La convocation des États généraux fut ainsi fixée dans cette forme, pour le 27 avril 1789. Ce rapport au conseil fut un coup de foudre pour les privilégiés. Ils jurèrent dans ce moment la perte d’un ministre qui osait préférer à leurs prérogatives les droits du grand nombre, et prétendre que 24 millions d’hommes formaient le corps de la nation, et n’étaient pas moins citoyens que cent mille oisifs décorés. Les États du Dauphiné inscrivirent ce rapport sur leurs registres comme un monument également honorable pour le prince et pour son ministre. Toutes les provinces méridionales réclamaient à leur exemple contre le système oppresseur de leur ancien gouvernement, et les trois (1) On trouvera à la fin de cette Introduction une notice plus détaillée des principaux ouvrages qui parurent à cette époque. [1" Série, T. I«.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ordres réunis contre les. barons et les évêques suppliaient le roi de leur accorder, pour leur administration particulière, le bienfait de cette juste et sage représentation annoncée à la France comme devant être la base des opérations relatives à la convocation des États généraux. Les seigneurs des fiefs luttaient encore en Provence contre la noblesse, le tiers état et le clergé -, ils avaient violé le titre fondamental de l’assemblée des Etats, en ne se conformant point aux lois établies pour le nombre de leurs représentants, et en se rendant en corps à une assemblée où ils ne devaient assister que par députés : ils avaient pour eux le Parlement et l’archevêque d’Aix, et contre eux la justice et l’éloquence tonnante de Mirabeau. Ils ne purent , manquer d’être vain-cus(l). Les Etats de Bretagne, du Béarn et du Dauphiné avaient formé ensemble un pacte de défense contre le despotisme ministériel ; néanmoins on espéra pouvoir engager les provinces à tourner leurs efforts contre un administrateur qui menaçait le royaume d’une constitution libre qui était un attentat contre la constitution actuelle des Etats. Les Béarnais se laissèrent séduire, et écrivirent aux Etats du Dauphiné pour les exhorter à s’unir avec eux pour la défense-des privilèges. Cette lettre fut pour ceux-ci une nouvelle occasion de donner des preuves du patriotisme éclairé qui avait dirigé toutes leurs démarches, et ils acquirent une nouvelle gloire en déclarant que leur premier titre était celui de Français et de citoyens ; que les prérogatives des ordres et des provinces n’étaient précieuses à leurs yeux, que lorsqu’elles pouvaient être considérées comme des barrières à opposer au despotisme du gouvernement arbitraire; mais que le sacrifice des privilèges était le premier qu’on devait faire à la liberté publique. Les négociants de Grenoble ne se firent pas moins d’honneur en répondant aux principales villes du royaume, qui les sollicitaient de se (1) Ce fut dans les assemblées d’Aix et de Marseille que l’éloquence de Mirabeau commença à se développer avec le plus grand éclat, et lui concilia l’admiration publique. La noblesse, à qui il faisait ombrage, l’exclut provisoirement de ses séances, en élevant une contestation générale contre les non possédant fiefs; elle eut bientôt à se repentir de l’avoir forcé à porter la fougue de son génie électrique dans l’assemblée des communes, où il eut toutes les occasions de se venger de la haine des ordres privilégiés. A Aix, la jeune bourgeoisie lui assigna une garde d’honneur; à Marseille, sa voiture fut traînée parle peuple. Pendant son séjour dans cette ville, des feux de joie et des danses perpétuelles lui donnaient sous ses fenêtres le spectacle de l’allégresse publique. On lui destina une place particulière à la comédie ; enfin on lui posa une couronne sur la tête au milieu des plus vives acclamations. Devenu l'idole de ses concitoyens", il en était aussi l’arbitre, et il avait une telle influence, que M. de Caraman, commandant de la province, craignant les suites d’une effervescence qui commençait à se manifester, lui écrivit le 20 mars pour le supplier d’interposer l’ascendant qu’il avait sur le peuple pour calmer les esprits, et il y réussit en effet avec le secours de M. Antonelle. lre Série. T. 1er. 33 : joindre à elles, afin d’obtenir aux États généraux une représentation particulière pour le commerce; que les membres de cette assemblée devaient être les députés de la nation, et non ceux des corporations particulières qui la composent; que leur force ne pouvait résider que dans leur unité, et que ce serait la rompre que de substituer une foule d’intérêts particuliers à l’intérêt commun qui devait les unir. _ Les divisions qui, depuis près de trois mois, déchiraient la Bretagne, ranimèrent les espérances des aristocrates. Les Bretons, ces vieux amis de la liberté, toujours divisés entre eux, mais toujours réunis contre l’oppression et la tyrannie, avaient vu renaître la discorde au milieu des fêtes qu’ils célébraientpour honorer leur triomphe et le rétablissement des lois et des magistrats. Des abus sans nombre s’étaient glissés dans leurs assemblées nationales; le tiers état n’y était point représenté, car il ne pouvait regarder comme son mandataire des officiers municipaux qui avaient acheté du roi un droit que le monarque n’avait pas lui-même, et qu’on ne pouvait recevoir que du choix libre de ses commettants. Le clergé du second ordre était exclu des Etats, et la noblesse en totalité y siégeait depuis plus de deux siècles par le seul droit de sa naissance. Cependant cette affluence de noblesse qui, dans les dangers, accourait de toutes parts pour la défense de la patrie, donnait aux Etats de Bretagne une apparence de force qui en imposait aux minisires, et dans l’assentiment général, ils avaient conservé un simulacre de liberté que le despotisme même respectait. Dans toute autre circonstance, on se serait borné à demander la réforme des abus criants, et l’on aurait respecté une constitution si souvent consacrée par l’assentiment de tous les ordres; mais on commençait à réfléchir sur la justice et les avantages d’une représentation proportionnelle : la conduite des Etats de Romans, les principes qui les avaient guidés , les bases qu’ils avaient posées, et sur lesquelles on désirait de voir établir le système général du gouvernement, l’importance d’adopter pour l’universalité des provinces un plan d’administration uniforme et corrélatif à celui du royaume, la nécessité de réunir enfin en un seul corps toutes ces provinces qui formaient vingt nations dans une : toutes ces considérations furent vivement senties dans les villes de Bretagne, oùlaprésence des Etats et leurs contestations fréquentes contre la cour, avaient accoutumé les esprits à discuter les intérêts nationaux, à concevoir quelques principes d’indépendance politique, et les avaient préparés aux orages de la liberté. Toutes les municipalités de Bretagne s’assemblèrent; et afin de propager les grandes impulsions données par le Dauphiné, envoyèrent au roi 3 [lr* Série, T. Ï#M ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 34 une députation nombreuse, pour porter au pied du trône les réclamations de la province sur les vices de l’organisation de ses Etats, Cet exemple fut suivi par une foule de villes et de provinces ; on n’entendit parler que d’assemblées municipales, d’adresses au roi, de pétitions de corps, de communautés, et le prince fut investi des députés du peuple. La noblesse bretonne, surprise de ce mouvement universel, au moment où elle venait de rendre à la patrie des services signalés, crut voir dans ce concert unanime du peuple une insurrection contre elle, excitée ou fomentée par le ministère, en représailles de la protection qu’elle avait accordée aux Parlements (1), Telle était la disposition des esprits, lorsque les Etats furent convoqués à Rennes le 29 -décembre 1788, Le tiers état n’avait qu’un moyen de prévenir l’influence de la coalition des deux premiers ordres : c’était d’obtenir une représentation suffisante dans l’assemblée avant qu'elle fût constituée, de manière à pouvoir se lier par ses décrets. Il la demanda, et profita, pour parvenir à son but, de la première formalité à laquelle il devait concourir. Les délibérations des Etats de Bretagne n’étaient regardées comme légales que lorsque le registre sur lequel elles étaient portées avait été chiffré, signé et paraphé, page par page, par des commissaires des trois ordres-Cette commission s’appelait la commission de la chiffrature: elle devait être nommée le troisième jour de la tenue des Etats. Toutes les communautés de la province défendirent d’un commun accord à leurs représentants deprocéder à cette nomination, avant qu’on eût fait droit à leur demande ; et pour déterminer plus efficacement l’assentiment des Etats, elles suspendirent toutes les administrations intérieures de la province, en refusant de continuer, comme cela était d’usage à l’époque des élections, les pouvoirs de leurs députés membres des commissions intermédiaires qui représentaient les Etats. Aussi la noblesse et le clergé réunirent tous leurs efforts pour contraindre le tiers à franchir ce pas décisif. Mais celui-ci se maintint avec une fermeté inébranlable dans le système d’inaction qu’il avait adopté, et ni les instances des privilégiés, ni les ordres mêmes des commissaires du roi, ne purent le faire chanceler. Le 7 janvier, le commandant de la province apporta à l’assemblée un arrêt du conseil qui suspendait les séances des Etats jusqu’au 3 février, et enjoignait aux députés du tiers de se retirer vers leurs commettants, et de leur demander de (1) On prétendit que l’archevêque de Sens avait répandu des sommes considérables pour armer les roturiers contre les nobles, faire écraser la noblesse par la peuple, afin d'écraser ensuite le peuple sous le poids immense de l’autorité royale. nouveaux pouvoirs. Le procureur générai syndic protesta en présence de M. Thiard contre un aet® d’autorité contraire aux droits de la province et aux droits des Etats. Les présidents et les orateurs des premiers ordres conjurèrent le tiers état. 11 répondit qu’il n’entendait prendre aucune part aux délibérations des Etats, et qu’il avait arrêté d’obtempérer a l’arrêt du conseil Le chevalier du Suer, pour arrêter les communes, fait jurer tous les gentilshommes et le clergé qu’ils n’entreraient jamais dans aucune administration publique autre que celle des Etats formée et réglée - selon la constitution actuelle. Mais ce serment ne produisit aucun effet sur le tiers ; et le 9 janvier, après avoir intimé de nouveau sa résolution à l’assemblée, il se retira ; les deux premiers ordres résolurent de proroger la séance, sans désemparer, jusqu’au 3 février. Le plus grand nombre des députés du tiers se rendit à Paris, persuadé que ce serait à la cour que l’on chercherait à frapper les plus grands coups. Cependant les diverses corporations et communautés s’assemblaient conformément à l’arrêt du conseil, pour délibérer sur le parti qu’elles devaient prendre dans des circonstances aussi difficiles. Le Parlement qui, jusqu’alors, avait gardé le silence, vint se mêler à la querelle, et décréta d’ajournement personnel les syndics des communautés. Cet arrêt, auquel ils ne jugèrent pas à propos d’obtempérer, augmenta l’erreur de part et d’autre; et une étourderie de quelques partisans outrés des ordres privilégiés, occasionna des scènes sanglantes, des catastrophes, qui menacèrent la province d’un massacre général et faillirent imprimer au nom breton une infamie éternelle. Pendant le ministère de l’archevêque de Sens, on avait imaginé de jeter du ridicule sur ces opérations, en les parodiant : on avait installé sous les fenêtres du commandant un grand bailliage figuré par des portefaix et desgagne-deniers en simares. Les mêmes acteurs paraissant également propres à jeter du ridicule sur les assemblées des corps de métiers et des communautés, on résolut de les employer. Des billets furent en conséquence distribués dans les dernières classes du peuple, pour les inviter à se rendre à une assemblée indiquée au champ deMontmorin : elles y accoururent eu foule. Un laquais fut l’orateur de ces nouveaux comices, une table fut sa tribune aux harangues. Il représenta à ses auditeurs, avec toute l’éloquence du genre qui leur convenait, que c’étaient les Etats qui les faisaient vivre ; que le but évident du haut tiers était d’en abolir les assemblées , qu’alors ils mourraient de faim, ce qui n’était pas douteux, puisque J§ pain était hors de prix. Il conclut à ce que l’assemblée se transportât au Palais pour déclarer au Parlement qu’elle était de l’avis de la noblesse ; et prier les magistrats demettre le pain à bon marché. [1*« Série, T, 1er,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] I�a multitude courut au Palais sur les pas de son tribun. Celui-ci harangua le Parlement, qui promit de faire droit sur sa plainte. Toute la troupe enorgueillie de ses démarches patriotiques, pleine de joie et de vin, se répandit dans la ville, armée de bâtons, et maltraita plusieurs jeunes gens assemblés dans un café. Cet attroupement annoncé depuis plusieurs jours n’avait pas été ignoré du Parlemënt; le grand prévôt avait surpris et porté au président plusieurs des billets répandus avec-profusion pour ameuter le peuple. C’était un gentilhomme, disait l’un, qui avait distribué des bâtons aux assassins ; d’autres prétendaient avoir reconnu, sous des habits de livrée, des membres des Etats et du Parlement. Une foule de faits et de détails presque tous altérés et exagérés par la colère, augmentaient parmi la bourgeoisie l’indignation et la soif de la vengeance. Le lendemain, la jeunesse de la ville, armée d’épées, sabres et pistolets, partagée en divers groupes, parcourait les places et les rues. Une querelle entre deux hommes du peuple vint rallumer la fureur générale et précipiter l’explosion. L’un d’entre eux, blessé d’un coup de couteau, s’écrie que son ennemi est un gentilhomme travesti. La rage était au comble; dans les transports qu’elle excite, on attribue aux douze cents gentilshommes qui composaient les États le projet d’assassiner toute la bourgeoisie. ûn les saisit au moment où ils sortaient de leurs auberges pour se rendre aux États. On les attaque, on les poursuit, on les presse de toutes parts. Ils se défendent avec courage, Chaque rue devient un champ de bataille, le sang coule, deux gentilshommes sont tués. Les femmes mêmes des deux partis viennent se mêler dans ces scènes barbares. Le tocsin sonne, tous les citoyens accourent , la foule augmente le désordre ; les magistrats sont insultés; entin le commandant se jette au milieu des combattants, et leur -ordonne, am nom du roi et de la patrie, de mettre bas les armes. Sa présence et sa voix suspendent la fureur du peuple, l’Hôtel-de-Ville s’assemble et la noblesse rentre aux Etats. Les gentilhommes ne pensent plus qu’aux moyens de se mettre en défense. Les Etats tenaient leurs séances dans une salle des Cordeliers : dans le cloître était une boutique d’armurier; ils s’emparent des armes, et se partagent les différents postes. Des troupes étaient entrées dans Rennes1; mais elles n’en imposaient point au peuple. L’Hôtel-de-Ville était toujours assemblé; mais la noblesse refusa d’entrer en composition. Enfin M. de Tbiard, commandant de la province, également cher aux deux partis, parvint à leur faire accepter un ac-m commodément. On convint que la noblesse sortirait sans autres armes que son épée de la salle des Etats, et l’on promit de part et d’autre de ne point troubler la tranquillité publique. A la première nouvelle des événements qui venaient de soulever Ja capitale de la province, les citoyens de tous les ordres s’émurent, les nobles campagnards quittèrent le timon de la charrue, ceignirent la vieille épée de leurs aïeux,* ornement de leur cabane, et coururent 'à Rennes pour défendre leur ordre. Les villes de Nantes et de Saint-Malo firent marcher l’élite de leur jeunesse pour soutenir la cause commune ; les villes de Caen, d’Angers et plusieurs autres, leur offrirent des secours. Rennes vit aussi à ses portes une troupe de partisans qui venaient donner à M. Bies-Ha, leur seigneur, des marques toüchantes de leur affection, et lui offrir le secours de leurs bras pour venger la mort de son fils, tué dang l’émeute du 26 janvier. M. de Thiard, alarmé de tous ces mouvements, marche, à la tête de quelques troupes, à la rencontre des légions citoyennes. Quelques-unes, après s’être assurées du rétablissement de la tranquillité, consentent à retourner dans leurs foyers; d’autres qui, pour n’être pas à charge à ceux qu’elles venaient secourir, s’étaient fait suivre de plusieurs chariots remplis de vivres et de munitions, refusent de traiter avec le commandant des troupes du roi, entrent dans la ville, confèrent avec des commissaires nommés par les jeunes patriotes, déposent leurs armes dans les magasins, où ils établissent des corps de garde, et se décident à attendre les événements. Le commandant, ne prévoyant que nouveaux désastres, donna aux Etats l’ordre ou le conseil de se séparer, jusqu’au moment où le calme renaîtrait et permettrait de les rassembler. Tous les ordres sentirent la nécessité de cette séparation. L’inaction des députés du tiers, et les démarches courageuses et soutenues de toutes les villes de Bretagne, durent faire présager la fermeté dés États généraux et le triomphe des amis de la liberté sur les partisans du despotisme. On attribua ces désastres à l’insouciance ou à la malveillance du parlement. Tous frémissaient à l’approche de cette assemblée qui allait détruire leur existence politique. Deux fois celui de Grenoble sembla vouloir revenir sur ses pas et commencer la guerre contre les Etats; deux fois les menaces du peuple le forcèrent à garderie silence. Le Parlement de Besançon ne fut pas plus heureux dans les actes de despotisme qu’il se permit contre trente-deux membres des deux' premiers ordres de la province, qui avaient eu le courage de s’élever contre leurs collègues et de renoncer aux prérogatives. Un arrêt du conseil flétrit l’arrêt tyrannique de cette cour souveraine ; et pour la première fois peut-être on vit un acte de pouvoir [l*e Série, T. Ier,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 36 arbitraire employé à protéger la Mberté individuelle des citoyens. Tous les membres de la noblesse de Franche-Comté avaient également déclaré dans leur assemblée, tenue à Quingey, le 1er octobre 1788, qu’ils. étaient citoyens avant d’être gentilshommes. Mais ils employèrent par-dessous main toutes sortes de manœuvres pour anéantir Fégalité proportionnelle • d’influence à laquelle le tiers état avait le droit reconnu de prétendre dans les assemblées de la province. Le serment > qu’ils avaient proféré le 10 septembre de ne jamais adopter d’autres assemblées que celle des anciens États, dont ils ne pouvaient cependant se dissimuler les monstrueux abus ; la coalition du haut clergé qui n’avait pas rougi d’appuyer leur demande, et de soutenir leur imposture auprès du monarque, en avançant faussement que le tiers exprimait le même vœu*, leur contenance à persévérer dans leurs trois cris de ralliement : trois ordres!... trois chambres !... avaient occasionné une scission qui allait devenir le germe d’une division éternelle entre le peuple et les privilégiés. Heureusement pour la province la cour se défia de leurs intentions, et l’arrêt du 1er novembre qu’ils en obtinrent prévint les vexations qu’ils voulaient perpétuer, en ne permettant la convocation des Etats, dans leur ancienne forme , qu'afin d’avoir un avis plus éclairé sur la meilleure manière de constituer dorénavant cette assemblée. Les privilégiés du Dauphiné continuèrent égale-ment à mettre leur mauvaise foi et leur ambition à découvert de la manière la plus honteuse. Après avoir paru approuver la nouvelle constitution que se donnèrent les États, ils firent tous leurs efforts pour la renverser-; l’archevêque d’Embrun les engagea à tenir une séance particulière dans laquelle il les exhorta, dans les termes les plus pressants, à revenir sur leurs pas, et à dissoudre les Etats. 11 vint ensuite à Paris, où il publia des mémoires, et parvint à réunir une assemblée de quatre-vingt-trois gentilshommes, qui prétendirent avoir ledroit de députer aux États généraux (l). Les ministres et les États généraux s’obstinèrent à méconnaître tant de vertu et de patriotisme, et à ne répondre que par des sifflets à ce dévouement héroïque. Les communes et le bas clergé de Bretagne s’assemblèrent par bailliages, et nommèrent leurs députés aux États généraux. Les deux ordres privilégiés assemblés à Saint-Brieuc par ordre du roi, déclarèrent qu’ils renonçaient à tous leurs privilèges pécuniaires ; mais que, n’étant pas réunis en corps d’état, ils ne pouvaient nommer de députés à l’assmblée nationale du royaume. Leur motif était la crainte qu’on ne délibérât par tête à cette (1) M. de Calonne vint aussi d’Angleterre se mettre sur les rangs pour acheter des deniers de ses épargnes les Suffrages au bailliage de Bailleul! L’indignation publique le força bientôt de fuir. assemblée, et qu’on voulût y réformer la constitution bretonne. Le Parlement de Rouen, à l’exemple de celui de Besançon, signala sa tyrannie en décrétant un citoyen, pour avoir osé élever la voix dans son bailliage contre les abus du despotisme parlementaire. Enfin le Parlement de Paris, tantôt poussé par l’esprit' de corps, tantôt entraîné par le torrent de l’opinion publique, ne prouvait s’arrêter à aucun système; il se montrait populaire ou aristocrate selon l’impulsion du jour et les passions de ses orateurs. Le 5 décembre, il parut disposé à défendre la liberté; au mois de janvier suivant, il voulut se faire dénoncer le rapport de M. Necker au conseil ; peu de temps après, il laissa pénétrer et son véritable esprit, et son impuissance, par la démarche la plus impolitique. Le docteur Guillotin, médecin de la faculté de Paris, ayant fait un plan dè cahier connu sous le titre de Pétition-des citoyens domiciliés à Paris, qui fut adopté par les six corps, et déposé par eux chez un notaire pour recevoir les signatures de tous les citoyens qui voudraient lui donner cette marque de leur approbation, fut mandé à la grand’chambre, ainsi que l’imprimeur et les syndics des notaires. Ils y arrivèrent au travers d’une multitude immense, curieuse d’apprendre les suites de cette affaire. Au moment où le Parlement s’en occupait, une foule de citoyens signaient la pétition dans les salles du Palais ; ce qui prouvait aux magistrats qu’il était de la prudence d’avoir égard aux circonstances délicates dans lesquelles ils se trouvaient. L’auteur de cet écrit, interrogé d’un ton sévère sur ses principes et ses opinions, soutint avec courage la cause qu’il a dû défendre, et les juges n’osèrent ni le condamner ni l’absoudre. Le peuple, qui remplissait la grand’salle, et attendait avec impatience son intrépide défenseur, le reçut avec de grandes acclamations, le couronna de fleurs et le reconduisit en triomphe. Le Parlement était, comme le public, divisé en deux partis : l’esprit de corps et les antiques préjugés luttaient avec force contre l’esprit national et les vrais principes des droits des hommes. C’était l’image du combat de la lumière et des ténèbres. Les lettres de convocation pour la ville de Paris, retardées par des difficultés locales et par les prétentions réciproques du prévôt des marchands et du prévôt de Paris, parurent enfin. Contre l’usage constant de cette ville où les élections s’étaient toujours faites dans des assemblées de communes, les trois ordres furent convoqués séparément, et tinrent des assemblées particulières. Les premiers regards dans ces assemblées se tournèrent vers les commissaires envoyés par le prévôt des marchands pour les présider. C’étaient, d’après un édit du conseil, des conseillers du Châtelet, pour la noblesse, et des conseillers de ville, [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 37 pour le tiers état* Tous, comme de concert, senti-. rent la nécessité de ne point se laisser maîtriser par aucune influence étrangère dans l’élection de leurs représentants; tous refusèrent de reconnaître les hommes qui n’étaient pas de leur choix, et les assemblées se formèrent sous la présidence des doyens d’âge, qui, d’une voix unanime, prirent la place des commissaires. C’est alors que Paris fut partagé en soixante districts. Les cabales et les brigues, pendant les élections, s’y montrèrent avec plus de fureur encore que dans les provinces. Les grands qui n’avaient pu, dans leurs bailliages, réussir à se faire députer aux États généraux, accoururent à Paris et employèrent toutes les ressources de l’intrigue pour parvenir à maîtriser *les suffrages. Les amis de la liberté triomphèrent dans les assemblées de la ville ; il n’en fut pas de même dans celles de la prévôté. M. d'Eprémesnil y fut élu le premier à pareil jour où l’année précédente il avait été arraché du Palais, Les assemblées de la commune furent très-tumultueuses; la défiance, l’animosité et l’esprit de parti prolongèrent pendant plus d’un mois la durée de leurs séances. L’approche du jour fixé pour l’ouverture des Etats, qui semblait devoir être un point de ralliement pour tous les électeurs, ne fit qu’irriter toutes les petites passions auxquelles ces séances étaient entièrement livrées, et les élections ne furent achevées que quinze jours après la cérémonie de l’ouverture. Le clergé de Paris se déshonora par la bassesse, l’ignorance et le fanatisme qui régnèrent dans toutes ses délibérations : il se déclara ouvertement pour le dogme de l’obéissance passive. On crut être encore au temps de la Ligue lorsqu’on vit des énergumènes crier au despotisme, à l’hérésie, à l’athéisme contre le petit nombre de prêtres qui soutenaient que la puissance publique vient de la nation; mais on se crut dans' l’antichambre d’un ministre, conversant avec ses laquais, quand on-entendit un ecclésiasliqde dire tout haut qu’il était de l’opinion de monseigneur, non-seulement sur ce qu'il avait dit , mais encore sur tout ee qu'il pourrait dire. « Qu’on décerne à l’opinant un habit de livrée, » s’écria un membre de l’assemblée. Toute la capitale fut de son avis. Malgré les troubles qui agitèrent la France d’un bout à l’autre pendant la tenue des assemblées pour les élections des députés, l’opinion publique ne fut point ébranlée. On ne tarda même pas à s’apercevoir que le flambeau de la discorde jeté au milieu du peuple ne servait qu’à l’éclairer sur ses véritables intérêts. Aussi, malgré la précipitation avec laquelle les cahiers des différents bailliages furent rédigés, ils présentèrent un ensemble frappant de réclamations, d’observations et d’idées régénératrices. C’est là surtout qu’il faudra recourir pour connaître l’étendue des abus qui régnaient sur la France, et le premier effet de la Révolution (1). Ce fut alors que se manifestèrent, des mouvements dans les faubourgs de la capitale. Un citoyen estimé, M. Réveillon, fabricant de papiers, qui entretenait continuellement trois cents ouvriers, qui les faisait vivre lors même que la rigueurde la saison Suspendait les travaux, devint tout à coup l’objet delà fureur de la multitude, dont il avait auparavant l’affection. On suggéra aux ouvriers de lui demander des augmentations exorbitantes de salaire, on les ameuta contre lui, de l’argent fut distribué pour les porter à un soulèvement. Les auteurs de cette conjuration n’avaient contre cet honnête citoyen aucun sujet de haine personnelle. Mais son nom était connu du peuple, il avait pn procès criminel contre un fripon audacieux ; c’en était assez pour leur objet ; il leur fallait un prétexte pour assembler des troupes ; il leur fallait des crimes, afin d’exercer les troupes sur les scélérats pour frapper ensuite sur les gens de bien. Voilà le mot de cette terrible énigme qui a si longtemps épouvanté tous les esprits. On commença par répandre le bruit que M. Réveillon avait proposé de réduire à 15 sous la paye des ouvriers ; qu’il avait dit hautement que le pain de froment était trop bon pour ces gens-là, et qu’il fallait les nourrir de farine de pomme de terre, etc. Depuis quelques jours il entrait dans la ville une foule de gens sans aveu. Leur nombre s’étant multiplié au point désiré, sans aucune opposition de la police, ces malheureux s’attroupèrent, portant au milieu d’eux un mannequin de paille auquel ils donnent le nom d e Réveillon. Us lisent sur la place Royale un prétendu arrêt du tiers état, qui le condamne à la mort : delà ils se répandent en tumulte dans la ville. L’effroi les précède, les boutiques sont fermées sur leur passage, et l’on ne se met nullement en peine de les dissiper. M. Réveillon, alarmé, court implorer l’assistance du lieutenant de police. On lui promet de puissants secours, et on lui envoie, pour garder une maison immense et dévastés jardins, une poignée de soldats. Cette troupe de vagabonds, qui avait jeté la terreur dans toute la ville, passe la nuit dans les cabarets et se dispose par de brutales orgies aux crimes du lendemain. Au point du jour ils courent dans les manufactures, emmènent de gré ou de force tous les ouvriers, répandent l’argent à pleines mains, et marchent, en (1) Il en a été fait un résumé général en trois volumes in-8°, avec une table raisonnée, au moyen de laquelle on connaît, au premier coup d’œil, soit l’unanimité, soit le nombre des bailliages, en faveur de chaque demande contenue dans les cahiers. L’étendue de ce travail ne nous a pas permis de le rapporter. Mais on en trouve les principales bases dans le cahier du tiers état de Paris, dont nous donnons un extrait à la fin de cette Intrd-i duction. 38 [ire Série, Tt 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] poussant de grands cris, vers la demeure de l’infortunée victime qu’on avait dévouée à leur fureur. Quelques soldats contiennent pendant cinq heures cette foule de forcenés qui rompent enfin de trop faibles barrières et s’emparent de la maison. Tout fut brisé, dévasté, les glaces rompues, les meubles précieux jetés par les fenêtres et livrés aux flammes, les cave.s ne furent pas oubliées : Ces misérables s’y gorgèrent de vin et de liqueurs ; quelques-uns y trouvèrent la mort, en avalant à longs traits de l’acide nitreux et des drogues destinées à la teinture, C’est alors seulement que les secours arrivent. Les soldats reçoivent l’ordre d’écarter la foule et de repousser la force par la force. C’était leur ordonner d’arrêter la foudre dans sa chute, ou plutôt c’était leùr commander' un massacre général. Cette multitude, ivre de vin et de fureur, se fait des armes de tout ce qui tombe sous ses mains. Des charrettes chargées de pierres, et un bateau chargé de cailloux et de bâtons, paraissant avoir été destinés à cet usage, avaient été interceptés dans la journée ; ils firent pleuvoir un grêle de tuiles et d’ardoises sur les gardes françaises et les Suisses, et Ge ne fut qu’après qu’ils en eurent été cruellement fatigués, qu’on leur ordonna de tirer. La vengeance fut terrible ; tout ce qui se trouva sur’les toits fut tué à coups de fusil, et tout ce qui était dans les caves et dans les appartements, abandonnés à labaïonnette. Cependant cette foule désarmée se défendait avec vigueur. La nuit et le canon dirigé sur le faubourg Saint-Antoine mirent fin au carnage. Le 5 mai 1789 sera éternellement une dès époques les plus mémorables dans nos fastes. Ce fut en ce jour que l’on vit, après cent soixante quinze ans d’interruption, recommencer enfin ces États généraux, demandés avec tant d’instance par toute la nation ; ces Etats dont elle attendait sa destinée. Le tableau qu’ils offrirent sera longtemps présent à la mémoire de ceux qui en furent spectateurs. Une vaste salle construite et décorée d’un grand goût, soutenue par vingt, colonnes doriques, exécutée dans toutes ses parties en style du même ordre ; mille à douze cents représentants de la France, divisés en trois ordres, occupant le fond de la salle ; le clergé d’un côté, dans son plus riche costume, de l’autre, les députés de la noblesse, couverts de plumes ondoyantes sur des chapeaux de forme féodale, et de manteaux noirs éclatants de dorures et d’une coupe à la fois élégante et théâtrale, tous l’épée au côté. Dans le fond, â gauche, lés cinq ou six cents députés du tiers état, sans épée, en noir, habits et manteau de laine, cravates blanches ét chapeaux rabattus; un trône avec toute la richesse et la pompe royale s’élevant au fond de cette salle ; le roi rendant un compte public de l’état du royaume aux députés du peuple : tel fut le tableau qüé Cette première journée présenta; Après l’ouyerture dès États, les députés des communes se rendirent dans la salle d’assemblée, conformément à l’ajournement fixé par le roi ; ils attendirent en vain le clergé et la noblesse ] le génie. de la discorde les rassemblait dans des salles Séparées, et c’est sur cet isolement et la désunion qui en devait résulter, due les enüeibis du nouveau système des Etats fondaient l’espérance de leur entière dissolution. Le tiers état leur envoya députation sur députation, joignit la prière aux bonnes raisons, pour les persuader. On leur répondait par des phrases vagueg assaisonnées de la morgue qu’on appelle dignité. Pour paraître vouloir concilier les esprits, on tint chez le garde clés sceaux une assemblée conciliatoire , composée de commissaires pour le roi et de députés des trois ordres. Cette assemblée n’opéra rien ; on connut seulement que les ministres prétendaient avoir de l’influence dans les États. Ce fut alors que le tiers état, aussi ennuyé que rebuté par les refus de la majorité du clergé et de la noblesse, sentit la nécessité de se constituer en assemblée des communes, et qu’il se déclara représentant de la nation. Il se tenait des assemblées chez Mme de Polignac et ailleurs, où l’intrigue méditait la déposition des représentants du peuple français. Les princes (1), ayant M. le Comté d’Artois â leur tête, firent paraître un manifeste adressé au roi, contre les prétentions du tiers état, dans lequel, après avoir refusé â celui-ci jusqu’aux talents et aux lumières, ils prédisaient au monarque tous les malheurs, s’il ne s’empressait de réprimer les atteintes qu’on se disposait â porter â la noblesse. Le comte d’Artois ne se contenta pas de ce premier manifeste; il en donna un second, qui menaçait d’une insurrection générale de la part de la noblesse, et qui laissait voir que le chef ne serait pas difficile à trouver. - Cette protestation n’eût d’autre effet que de couvrir ses auteurs de la haine et du mépris qui les suivirentpeu après, lorsqu’ils se bannirent eux-mêmes de leur patrie, pour aller porter aux rois étrangers leurs projets de vengeance. Les députés des communes ne regardèrent ces résistances que comme un motif de prendre plus d’énergie, ét leur assemblée proclama la résolution d’opérer seule la régénération de la France, si les deux autres corps continuaient à s’y opposer. Cet acte d’autorité força ceux-ci à changer de système. L’archevêque de Bordeaux fut un de ceux qui influa le plus dans son ordre, par le raisonnement et l’exemple, pour la réunion. Dans la chambre de la noblesse, les apôtres de la réunion avaient toujours été les plus nombreux (1) M. le duc d'Orléans et le duc de Penthièvrô refusèrent de signer le mémoire, [1* Sérié, Té I*».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flntrodtiction.J et les plus puissants. Le duc d’Orléans était à leur tête, et son nom faisait déjà uû grand poids dans la balance ; mais le duc de La Rüchefoucault et quelques autres montraient plus de zèle encore, causaient moins d’enthousiasme et méritaient plus d’estime. La haute noblesse et le clergé s’opiniâtraient seuls à la résistance. L’archevêque de Paris alla à Marly supplier le roi d’intervenir et de dicter ses volontés suprêmes. En conséquence, la séance royale fut indiquée pour le 23 juin. Elle devait être le prélude de la dissolution des États. Il fut enjoint aux députés de cesser leur séances, pour que l’on pût décorer la salle. Ils sentirent ce que ce prétexte avait d’illusoire, et s’assemblèrent dans un jeu de paume ; ainsi, tandis que l’on décorait le lieu qui avait paru digne des députés de la nation rassemblée pour qu’il le fût de la présence du roi, une.académie de jeu devenait une espèce de temple environné de tout l’éclat de l’enthousiasme public, et oûla patrie reçut les plus augustes serments. § I». * Observations générales sur la constitution française et sur les assemblées nationales, sous la première race des rois. La souveraineté était exercée par la nation et le roi rëunîst — Constitution primitive de la nation. Plus on monte vers les premiers âges de la monarchie, plus on trouve de liberté, de privilège et des droits dans la nation française. C’est une assemblée nationale qui élit des rois, ou plutôt des compagnons de conquêtes, qui les montrent à l’armée en les élevant sur un par vois. A cette époque, il n’appartient point encore au chef de cette nation de convoquer quand il lui plaît ni de désigner le lieu où il lui plaît de célébrer cette assemblée. Champ âè Mars. La nation elle -même s’assemblait tous les ans dans ses Champs de Mars, soit avec le consentement, soit sans le consentement de ses rois. La on dressait des lois ; on y traitait de la paix et de la guerre; on partageait le butin par le sort; on y expliquait la loi qui avait besoin de commentaire. Succession du trône non déterminée. Quant à la succession au trône, il parait qu’elle appartenait à tous les enfants des rois, et surtout dépuis îè roi Clovis ; car on n’avait pas encore reconnu l’indivisibilité de la couronne, puisque les quatre enfants de ce roi la partagèrent entre eux. 69 Lès inconvénients d’une pareille division n’étaient pas même encore connus ; les rois n’avaient pu encore ordonner l’indivisibilité en faveur de l’aînê des mâles et de ses descendants, et les sujets n’avaient point reconnu les abus d’une aussi grande succession partagée. La nation, quoique gouvernée par quatre rois, était cependant indicible en elle-même ; car les quatre royaumes s’assemblaient également en champ de mars pour les affaires générales. Mais le roi ne pouvait encore, de son autorité absolue, rien ordonner ni terminer. La France assemblée était son conseil et ses ministres ; et pour bâtir même l’église Sainte-Geneviève, le roi avait besoin du consentement de la nation, comme pour fonder l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, à laquelle Ghildebert 1er ne donna une portion de ses domaines que de l’avis des Français et des Neustriens. La nation jouissait souverainement du pouvoir de juger et de déposer ses rois; les dissolutions de Ghildéric suffirent à la France pour l’exclure du trône : les seigneurs s’assemblent, et donnent le gouvernement à Gilon. Thierri III, roi de Neus-trie et de Bourgogne, fut encore, pour sa conduite arrogante, détrôné, rasé et renfermé ; et si Ghildéric remonta sur le trône, c’est parce qu’il-y. fut rappelé par l’assemblée de la nation, Il était bien juste en effet qu’une troupe de capitaines, qui créait des rois en élevant sur un bouclier l’un des compagnons de leurs conquêtes, se conservât le droit de l’en précipiter, quand il ne se comporterait pas comme un bon mo narque. De nos jours on a vu les Aragonais, dans l’é lection ou l’intronisation de leur souverain, lui prêter un serment qui annonce que tous les peuples n’ont point voulu se vendre à l’autorité royale, ni laisser perdre de vue que les rois doivent la couronne à leurs sujets. Nom qui valons autant que toi , disent les Aragonais à leur souverain, nous te faisons roi pour nous gouverner avec justice et selon nos lois ; sinon, non. Une autre observation, c’est qu’au commencement de la monarchie, il ne fut pas toujours prescrit d’être fils du roi pour lui succéder. Ainsi Clodion n’était pas père de Mérovêe, qui lui succéda. Sous les règnes suivants, la loi qui veut qu’un roi succède à un roi son père se fortifia. Cependant, en 715, les Français assemblés préférèrent le fils de Ghildéric 11 à Thierri, fils de Dagobert, leur roi; et Pépin fut créé roi, élu roi, nommé roi, sacré roi, au préjudice de Ghildéric, son prédécesseur, déposé, rasé et renfermé à la diète de êoissons, en 752, quoique sa race eût régné dans les Gaules prés de trois cents ans. Les rois même qui succédèrent à leur pérô devaient être reconnus ou portés par les grands sur 40 [lr® Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] le pavois. Ainsi Childebert fut proclamé roi du consentement des nations sur lesquelles son père Sigebert avait régné. Clotaire ne fut reconnu qu’a-près certaines conditions qu’il consentit. Dagobert Ier, pour succéder à son père, eut besoin que les grands le reconnussent avec le serment des députés de la nation. Il y avait encore, dès ce temps-là, des officiers de la nation près du roi p�tir réprimer son pouvoir. Charges et places nationales. Tels étaient les maires du palais ; c’était la nation qui les créait, ou bien les rois eux-mêmes, mais du consentement des Français. Ainsi Clotaire, avec le consentement des grands, créa maire du palais Radon, dans l’Austrasie, et fit Herpon duc au delà du Jura. En 626, le même Clotaire fait assembler les grands pour élire un maire à la place de Garnier, qui était mort. La plupart des maires du palais abusaient de ce pouvoir qu’ils tenaient de la nation ; car on voyait souvent roi contre roi : à la mort de Garnier les grands n’en voulurent plus, et prièrent le roi d’en faire l’office lui-même. Clovis assemble aussi les grands en 642, à Orléans, pour l’élection de Flzocat, maire du palais, et les plus anciens documents nous montrent que cet officier était*établi pour servir de contre-poids à l’autorité royale. Peu à peu la nation abandonna à ses souverains l’exercice du pouvoir de cet officier qui était si souvent à charge à l’État, dont le gouvernement d’un seul était la base et l’essence. Condition des personnes. La condition des personnes, après la conquête de Clovis, ne fut pas telle que tout fû.t esclave en France. Clovis, aussi habile politique que conquérant redoutable, traita, pour ainsi dire, avec la nation, et fit des conditions avec elle pour obtenir qu’elle se laissât gouverner. Il trouva des cités policées, un peuple éclairé, une religion pleine d’humanité, de charité, qui était la gardienne des mœurs, des sciences et des arts : il adopta toutes ces institûtions. Le barbare du Nord brisa même ses divinités et se fit baptiser ; il protégea les chrétiens et s’appuya de leur fidélité et de leur attachement. Il leur laissa la législation établie dans les Gaules, les droits des cités, les formes municipales et les assemblées générales de la nation auxquelles ils étaient accoutumés; il appela auprès de sa personne des prélats ; il présida à leurs conciles, il voulut paraître dévot aux saints qui étaient alors en vénération ; il voulut agir avec eux dans leurs institutions canoniques; il promit d’en poursuivre l’exécution et de les défendre. . L’ordre admirable que Clovis trouva dans la constitution politique des Gaules retint même ce conquérant barbare dans de telles bornes de respect, que ce monarque ordonna de garantir du pillage un grand, nombre de villes dont la plupart subsistent encore : elles conservèrent leurs privilèges, leurs usages, leurs lois; et malgré sa barbarie et son caractère atroce, ayant réuni une partie des Gaules à son armée de France, ce ne fut que de leur avis et par leur consentement qu’il fit la guerre contre les Visigoths ; il avait déjà traité et composé avec ses sujets unis dans l’assemblée de 506. Lois. Les peuples gaulois, quoique vaincus et soumis, ne cessèrent donc pas d’être gouvernés par le vainqueur selon leurs anciennes lois; ils étaient jugés selon ces lois, et celles que les premiers monarques établissaient étaient telles qu’elles n’obligeaient pas toujours tous les sujets indistinctement, car on laissait aux peuples le droit d’être jugé selon ses anciennes lois ; il n’était donc pas rare de voir un Franc jugé selon la loi nouvelle, et son voisin selon la loi ancienne : ce qui montre que les peuples les plus barbares ont respecté dans leurs conquêtes les lois et les usages établis; on sait que le barbare, qui ne connaît que la force a le cœur compatissani et débonnaire à la vue des peuples conquis, et il n’est donné qu’au despote vicieux et réfléchi de tenter la destruction des privilèges qui traversent ses idées. Quant aux subsides qui étaient perçus dès le commencement de la monarchie, il faut distinguer les domaines des rois d’avec les domaines de l’Église ; il y avait aussi des domaines qui appartenaient encore aux Gaulois, et des bénéfices. . Le domaine de l’Église fut toujours sacré pour les rois. Quand un des souverains de la première race voulut imposer sur le clergé des subsides, le seul évêque, nommé Injuriosus, qui s’y opposa dans une assemblée, en empêcha la collecte. Les domaines des Français étaient francs aussi de toute imposition, les peuples ne portant aux champs de mars que des offrandes volontaires ou des dons gratuits. L’Église a conservé le souvenir de ces formes d’octroi. Les rois, pour subsister, étaient donc obligés de s’en tenir à l’usage de leur domaine; et ce domaine, dont il ne reste aucune trace aujourd’hui, était la portion des terres conquises échues en partage au roi après la conquête. L’armée ne consentait même à la distribution des terres et du butin que par la voie du sort, témoin le vase de Soissons ; car le monarque ne pouvait pas même disposer, sous le roi Clovis, le plus redoutable des conquérants, d’un vase volé dans une église, sans le consentement des compagnons de ses conquêtes. Cependant, sur la subsistance des capitaines et fl» Série, T. I".] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] des premiers chefs des armées, on assigna des bénéfices et des possessions héréditaires au roi Clovis et aux rois suivants, d'où est venu leur domaine ; et peu à peu les rois, qui ne pouvaient disposer d’un bijou pris sur l’ennemi, disposèrent des terres conquises qu’ils donnèrent sous le titre de'bônéfices en viager. Ces bénéfices étaient une soustraction de leur domaine, qui y rentrait à la mort des tenanciers. * • Pouvoir des rois. On voit donc quelle était la condition des rois de France de la première race; ne point agiy sans la nation, faire la paix, la guerre et les lois de concert avec elfe ; ne pas lever des impôts sans son consentement, risquer d'être déposés en ne gouvernant point avec justice, se voir enlever la couronne plusieurs fois pendant deux siècles, et la voir enfin passer de la maison de Clovis à celle de Pépin. Ainsi les rois n’étaient guère que de simples capitaines, ou des chefs d’une armée; mais ce chef avait en cette qualité le pouvoir le plus absolu, si nécessaire à la police d’une troupe de gens armés qui avait conçu le plan d'une conquête, et ce chef, qui ne pouvait pas disposer d’une coupe volée, avait le pouvoir de couper la tête au soldat quand il manquait à la discipline. Ainsi, quoique maître absolu comme chef d'une armée, et se trouvant réprimé de tous côtés par le pouvoir national quand il s’agissait du civil, il était à la fois le monarque le plus puissant pen-dans la paix, et le plus absolu quand il s’agissait de conquêtes et qu’il était en action ; mais il était absolu-pour régir cette armée, et non pour envahir pour lui-même, puisque le partage n’était pas même l 'adjudication, mais une distribution simple , et par la voie du sort, de la chose conquise. C’est donc à l’anecdote du vase de Soissons que commence véritablement notre histoire ; et comme l’objet de l’histoire romaine est de dépeindre comment une horde de bandits se civilisa, conquit ses voisins, et s’étendit dans tout l’univers qu’elle subjugua, de même l’histoire de France n’a d’autre objet et d’autre but que de montrer comment le conseil du premier capitaine des Francs parvint petit à petit à s'emparer du pouvoir national , à soumettre les Francs au joug, à l'esclavage , et à trafiquer des propriétés, de la liberté et des privilèges du peuple le plus aimable et le plus digne d'un bon gouvernement. Marche inverse du pouvoir roijal en France et en Angleterre. Ces progrès du pouvoir ministériel en France ont été dans un ordre inverse et contraire de ceux de la nation anglaise, qui, conquise d’abord et soumise à des despotes, même à des tyrans, n'a reconquis la liberté qu’à la longue et dans les 4i derniers temps, tandis que la France, libre au commencement, n’a senti le poids du pouvoir absolu que dans ces derniers siècles. Cet ordre inverse de la tyrannie des Anglais, gui se métamorphose petit à petit en liberté, et de la liberté française, qui dégénère en despotisme, demanderait ici de profondes spéculations pour en analyser les causes. Nous observerons seulement que la marche du peuple anglais, devenu fier et libre, ressemble assez à celle du peuple français dans les siècles de liberté. Si l’Angleterre a fait couper la tête à son roi, si elle a chassé des souverains dont elle était mécontente, les Français, dans leurs âges libres, assemblés en diète nationale, ont condamné au supplice cette infâme Brunehaut, qui était justement devenue l’objet, de leur haine. Ils ont précipité les Mérovingiens et les Carlo-vingiens d’un trône sur lequel la France les avait élevés. Ainsi la France et l’Angleterre, dans leurs siècles de liberté, ont chassé les races de leurs souverains et ôté la vie à ceux de leurs rois dont le gouvernement leur a déplu, avec cette différence, que les Français, comme autrefois les Romains, ont chassé une race de rois qu’ils avaient élus, tandis que les Anglais, en expulsant la race des Stuarts, n’ont privé cette maison que d’un simple droit d’héritage sur le trône d’ Angleterre. En Angleterre, Charles Ier fut mis à mort par ses propres sujets. Le supplice, au contraire, de Brunehaut, déterminé par l’assemblée nationale, fut exécuté par les soins de Clotaire. Si la France a soupiré sous le règne de Louis XYI après sa liberté et après ses droits que le roi avait déclaré vouloir lui restituer, ce n’est point contre sa personne sacrée que se tramait cette vaste conspiration dirigée par la philosophie. Il était personnellement aimé, et l’on peut dire adoré. Les insurrections qui éclatèrent depuis 1785 n’eurent jamais le roi pour objet. La France paraissait ne vouloir s’élever que contre le pouvoir usurpé par des ambitieux qui environnaient le trône. Dans toutes les plaintes qui lui étaient adressées, on remarquait le vœu de la nation de .devenir le conseil et comme le premier ministre du roi. On ne se rappelait que le moment où, comme sous Louis XII, tous les Français réunis lèveraient les mains vers lui, et le déclareraient, non-seulement le Père de la patrie, mais le Restaurateur de la France. Ce titre lui était promis ou donné de toutes parts, et il annonçait qu’à cette époque la France ne soupirait qu’aprês la réforme des principaux abus et à un. gouvernement mitigé. On croyait même encore la royauté nécessaire au bonheur de l’État. [l* Sérié, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} § U* Observations sür la Constitution française et sur les assemblées nationales, sous la seeoniHe raee des rois. Que la souveraineté' appartenait encore à la nation réunie àu roi, sous la seconde race. — Continuation des champs de mars , que Pépin change en champs de mai. Sous la seconde race, rassemblée générale 4e la nation était encore périodique; c’est-à-dire que tous les ans, en rase campagne, sans qu’il fût nécessaire de convoquer les Français, la nation s’assemblait: Mais la nation était déjà plus civilisée, plus portée aux plaisirs de la Société ; car elle s’avisa que l’assemblée nationale était convoquée dans une saison trop rigoureuse, pendant le mois de mars ; le roi Pépin la renvoya au 1er de mai. Sous la première race, l’armée des conquérants commençait en mars ses excursions, précédées de rassemblée nationale. Si ce peuple guerrier eût continué jusque dans le mois de mai ses assemblées politiques, il eût perdu en discussion un temps précieux et nécessaire aux conquêtes; mais quand la civilation eut fait plus de progrès dang la société, on trouva que l’assemblée dans les champs souffrait des rigueurs de la Saison ; elle fut donc transférée au mois de ffiaL Dès lorS, on n’appela plus rassemblée nationale les Camps de mars, mais les Camps de mai , Puissance royale et nationale dans les affaires. Les rois ne discontinuèrent pas dans les camps de mars d’agir concurremment avec la nation, L’hommage des peuples vaincus ne se rendait pas au roi victorieux, mais à rassemblée ou au parlement général des Français. "Tel fut l’hommage de l’an 764, rendu à Worms. Charlemagne lui-même ne fut puissant aü dedans et au dehors que parce que, tant en affaires d’administration qu’en matières d’impôt, il affecta d’agir sans cesse pareillement avec les Français. Pour faire son testament, il assembla la nation. Les criminels d’Etat, Tassillon, par exemple, ne fut jugé que par la France assemblée. C’est un parlement qui le reconnut souverain en Austrasie. Le Débonnaire , suivant les traces de son père, n’avait garde de rien faire que de concert avec la nation : ses capitulaires ne furent dressés que de concert avec l’assemblée. Le partage de ses royaumes et de ses domaines ne se fit qu’avec la sanction des Etats; il déposa Lothaire, son fils, en présence de ses sujets, et le reçut eu grâce dans une seconde assemblée tenue expressément. Les alliances mêmes ne se contractaient qu’avec le consentement de l’Etat. Dans les grands voyages des rois, la nation jugeait quel prince devait être régent, et les grandes comme les petites affaires étaient traitées de concert entre la nation et îes rois. Du pouvoir militaire des rois et du pouvoir civil. On peut faire ici une observation essentielle qui est particulière à la seconde race des rois de France, c’est que 1e pouvoir militaire qui établit la monarchie par la conquête s’étant changé en pouvoir civil, les rois qu’on élevait sur un pavois, au champ de mars, pour les montrer à toute l’armée, ne furent plus inaugurés dans cette forme à la fin de la première race et sous la seconde. Àléfps la monarchie s’étant changée en un gouvernement mixte, l’inauguration se fit avec plus dé solennité dans l’assemblée générale des ordres, composée de tous les représentants de la nation ; et comme le pouvoir royal fit des progrès, les souverains ne furent plus élus. Ils eurent besoin cependant, pour monter sur le trône, du consentement national. Ainsi, la monarchie, toute militaire au commencement, se changeant en gouvernement civil et mixte, le monarque, qui n’avait à traiter qu’avec ses compagnons de conquêtes et avec l’armée, fut obligé d’âgir concurremment avec tous les ordres de l’Etat; et les ordres, reconnaissant combien la succession héréditaire était plus compatible avec le génie dune nation plus portée à la tranquillité et aux plaisirs qu’aux commotions qu’entraînent les élections des rois, consentit que la couronne fût héréditaire, se réservant néanmoins, à chaque mutation de règne, le droit de ne pas reconnaître ou de reconnaître ies nouveaux rois. Serments de fidélité » De là les serments de fidélité, qui prennent leur origine dans les premiers âges de la monarchie. Ges serments sont la preuve la plus convaincante de la liberté des grands de reconnaître leur souverain; mais aussi ce même serment porte avec lui l’obligation authentique de lui obéir quand la nation assemblée, selon l’usage de ce temps-là, l’a reconnu pour souverain légitime. Un fils ne fait point serment d’obéir à son père, parce que la nature l’a rendu soumis à celui de qui il a reçu le jour , et dans un empire où la force est le principe du gouvernement, comme dans plusieurs États de l’Orient, on n'emploie pas non plus la voix du serment, parce qu’on est forcé d’obéir au pouvoir dominant; mais une nation qui élit librement son roi s’attache à lui quand elle l’a élu ; en sorte que, tant qu’il est juste, humain, religieux et protecteur du faible et de l’innocent, la nation est obligée de lui porter honneur, respect et obéissance, comme étant son seul et légitime souverain. Origine de la noblesse française. La noblesse française acquit, sous la seconde race surtout, une consistance qui fut dans la suite la base de la monarchie. On a beaucoup écrit et [1*> Série, T. !«.[ ARCHIVES PAftLEMËNÎÀiRËS. [introduction.] souvent erré sur sa véritable source. Voici ce qui paraît de plus certain sur cette matière : Les monuments de l’histoire les plus sûrs nous montrent, dans rétablissement de la monarchie française dans les Gaules, un clergé et un ordre de grands que Clovis respecta tellement qu’il en embrassa le culte et la religion ; il en adopta les usages, les mœurs et les coutumes. L’église gallicane et la noblesse gauloise étaient donc, dans les Gaules, plus anciennes que la monarchie française* Les Francs, de leur côté, qui arrivèrent dans les Gaules et qui s'y établirent, furent conduits aussi par des chefs qui étaient nobles, seigneurs et ducs parmi les conquérants. La noblesse gauloise s’associa bientôt a cette noblesse conquérante de Francs, et ne fit dans la suite qu’un seul et même corps avec elle, la première subsistant par ses richesses héréditaires, et la seconde, par les biens échus au partage du butin, par des terres conquises, ou par des bénéfices qui étaient les biens fonds concédés à vie par le roi ou par la nation assemblée* Hérédité des fiefs ; la vraie source, On a considéré l’hérédité des fiefs comme une injustice faite à la royauté, à qui, dit-on, appartenait la souveraine puissance : on ne fait pas attention sans doute que nos rois, élevés librement sur un bouclier au commencement de la monarchie, ne pouvaient refuser à la noblesse qui se départit de son pouvoir d'élire des rois, l'hérédité des fiefs qui fut ensuite sanctionnée par Charles le Ghauve. La royauté devenue héréditaire favorisa elle-même et profita de cette hérédité des fiefs, ce qui consolida la révolution; car elle éloigaa de la cour tous les anciens compagnons de la conquête qui, dans ces âges primitifs, étaient les voisins les plus dangereux pour la tranquillté des monarques. Dans ces temps de barbarie, l’hérédité a même pu être utile ; et la nation, semblable à celle des Vandales, des Goths, desVisigoths et de tant d’autres peuples qui arrivaient du Nord, eut peut-être été livrée à des divisions destructives et intestines, elle eût été étouffée dès ses premiers commencements, si l’on n’eût favorisé et permis cette continuation de commandement qui tendait à prévenir les usurpations et les guerres intestines. Charlemagne, quelque puissant qu’il fût, crut qu’il était de son intérêt de contenir les peuples sous l’obéissance des ducs, des comtes et des seigneurs répandus dans toutes les contrées de ses dominations ;il établit sa puissance sur cette division du pouvoir, confirmant dans l’assemblée nationale de Paderborn tous les privilèges de la noblesse française et allemande, qu’il nomma les fondements et les Soutiens de la monarchie. Comparaison des abus du gouvernement féodal Wôec les abus d'un gouvernement qui tomberait dam le despotisme d'un seuL Le ministre français n’a cessé, dans ces derniers temps, de reprocher les exactions de cette con-ti tutioil féodale ; mais il n’a pas fait attention que le peuple, ayant secoué le joug des ducs et des barons, est tombé sous la servitude des gouverneurs, des commandants et des intendants que le roi leur a donnés ; car, pour contenir la multitude, pour faire régner la justice, pour conserver la tranquillité dans un empire, le monarque a toujours eu besoin de diviser son pouvoir, de le partager et d’en confier une portion • et il était alors plus politique de le confier, avec droit d’héritage, à des familles qui y trouvaient leur considération, leur fortune et leuréubsistance héréditaire, que de voir le pouvoir royal confié, par une commission révocable à volonté, à des commandants qui répandent des armées corruptrices dans leg provinces, et â des maîtres des requêtes avides qui deviennent (moyennant une finance) dea intendants de pro-vince, dont on connaît en général l’esprit déprédateur et despotique. Le gouverneur féodal était un contrepoids du despotisme royal ; c’est sous ce rapport qu’il a pu avoir une utilité relative dans lés monarchies : pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter les yeux sur quelques-unes de ces petites souverainetés de l’empire, qui ont conservé leur constitution, et qui sont surveillées par le pouvoir impérial et par celui de la diète Le duc, le palatin, le prince régnant ne peuvent ni faire la guerre, ni grever les peuples, ni abuser de la force comme dans la plupart des monarchies de 4’Europe, qui, après la chute du gouvernement féodal, sont tombées et dans l’excès contraire, et dans un état dé sujétion qu’avait profondément, et depuis longtemps, médité le conseil des rois* Mais comme c’est le propre des institutions qui n’ont qu’un genre d’utilité de circonstance, et dont le principe est vicieux, de se corrompre, ce gouvernement parvint à asservir les hommes, â les rendre esclaves et serfs, et il fut un temps eü �France où les seigneurs, comme d’un consentement unanime, asservirent les peuples comme les monarques modernes ont asservi leurs sujets ; car la monarchie absolue, comme le régime féodal, ont dés moyens de corruption qui aboutissent au même résultat, et tôt ou tard une nation telle que la nation française, dont le caractère est bon, tranquille, porté à la jouissanqe et aux plaisirs, doit être asservie par tout pouvoir quelconque qui la dominera, n’étant point dans son caractère dte montrer une perpétuelle résistance à l’effort continuel ou des rois ou d’une noblesse, environnés d’un conseil permanent, ambitieux, éclairé, avide d’autorité et des biens des sujets. [ire Série, T. I*'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 44 L’état de lanation, sousLouis XVI, obérée d’impôts, et soupirant après son ancienne liberté, et après des droits que le monarque a déclaré vouloir lui restituer, en est une preuve. Description des âges ignominieux de la féodalité ; horreur de ce gouvernement dans sa dégénération finale. On voit donc que s’il faut reconnaître que la constitution du gouvernement féodal primordial avait quelque motif d’intérêt public, on ne peut appliquer celte observation au despotisme féodal, aussi absurde que le despotisme des rois ; la féodalité eut ses âges ignominieux, comme la royauté eut le sien ; les annales des empires n’oublieront jamais ces âges honteux où les hommes,, n’ayant que la condition des bêtes, souffrent comme en Russie, en Pologne, et comme ils souffraient en France, il y à cinq� siècles, sous la verge de fer du tyran barricadé dans son inaccessible donjon, Cette condition des citoyens, aussi déplorable que celle de l’esclave dans la monarchie despotique, doit être à jamais l’objet de l’exécration de tous les hommes. Réclamation du tiers état en France pour obtenir la suppression des ordres. Fatiguée de cette sorte de tyrannie, plus fatiguée encore de l’oppression qu’exercèrent sur les Français les derniers monarques, la nation se tourmentait et s’agitait, demandait une nouvelle forme de gouvernement ; et il s’éleva en France, dès 1787, un tiers parti, qui, dans le mécontentement universel, sembla demander un gouvernement comme populaire qu’il voulait substituer en France au gouvernement féodal et monarchique. Par cette tentative, on devait établir un Etat nouveau, gouverné par un roi, sous lequel tous les ordres, tous les états, seraient confondus en un seul état, avec des sûretés qui auraient prévenu l’abus du pouvoir du monarque pour l’avenir. Le parti contraire opposait que le monarque ne devait jamais avoir droit de renverser les prérogatives des corps; que, s’il n 'était plus environné de pairs, de gentilshommes et de clergé réunis, dès lors il n’était plus d’association ni de corps en France, il n’y aurait plus cet intérêt qui les maintenait, qui en était le mobile, le principe et le soutien. Comment pourrait-on former alors dans le peuple une corporation nécessaire pour opposer à l’autorité royale ? Sans doute que des représentants élus pourraient agir auprès du roi : ainsi on placerait près du monarque un corps populaire et national, él u périodiquement ; car la royauté ayant une permanence , ce corps populaire devrait en avoir une. Or, dans le concours de la permanence héréditaire du roi et de la permanence élective du corps national populaire, V autorité royale , toujours subsistante et héréditaire , subjuguerait nécessairement l'autorité nationale qui résiderait dans un corps perpétuellement élu, parce qu’un corps qui se maintient par voie d'élection est moi s bien constitué qu’un corps qui se maintient par succession héréditaire. On en concluait, en faveur du régime ancien, qu’il fallait, en bonne politique, opposer à la force et à la prérogative royale que l’hérédité rend perpétuelle , une semblable perpétuité héréditaire dans le corps représentant la nation ; et comme cette perpétuité ne pouvait se trouver dans l’ordre du peuple que par l’élection, à cause de notre grande population, la voie d’élection étant inférieure en pouvoir et en moyens à la succession héréditaire, il était nécessaire dans une assemblée nationale de la fortifier par un pouvoir héréditaire ou par un pouvoir de succession , qui sont de leur nature plus à l’abri qu’un pouvoir fondé sur des élections, des coups d’un despote qui commande à cent mille hommes. D’ailleurs elles observaient que l’hérédité monarchique était devenue une loi fondamentale dans l’Etat, tandis que la constitution élective d’un corps populaire ne serait qu’un établissement moderne, faible de sa nature, combattu par la noblesse et le clergé, nouveau dans les esprits et dans l’opinion publique, et que la faction des Seize et les efforts de la Ligue ne purent jamais établir en France. Les auteurs de ces objections ajoutaient qu’ils ne méprisaient pas le gouvernement populaire ; ils reconnaissaient qu’on y trouve de plus vraies et de plus éclatantes vertus que dans les gouvernements monarchiques : mais ce gouvernement ne pouvait, selon eux, être fondé dans un empire vicié presque dans toutes ses parties , qui devrait être régénéré dans tous ses membres, et dont on devrait renouveler toutes les institutions, les principes, les préjugés, le genre de connaissances, les lois et l’éducation ; pour un vrai citoyen en France, ne comptait-on pas des milliers de lâches ! Enfin, si les rois sont parvenus, dans les derniers siècles, à établir un pouvoir absolu dans le sein d’un clergé jadis indépendant ; si les richesses de ce clergé ne sont aujourd’hui distribuées que par le monarque; si dans les siècles les plus redoutables, la force royale est parvenue à renverser tout droit d’élection dans ce corps , à plus forte raison le pouvoir royal parviendrait à la longue à renverser, à subjuguer toute corporation élective et populaire : opposer au pouvoir royal un seul corps éligible et populaire , ce serait n’opposer qu’une confédération impuissante au pouvoir qui a su renverser en France toutes les digues que le génie politique national avait cru pouvoir lui opposer ; et que pourraient mille représentants de la France, périodiquement éligi- [■ 1 *• Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] blés, contre un souverain qui commande toujours à cent mille hommes ? Première époque du gouvernement féodal , quand l'autorité seigneuriale était soumise à celle de la nation. Tant que les seigneurs se soutinrent dans la soumission envers le roi, et que le monarque put étendre dans tout son empire le pouvoir des lois sur toutes les classes des citoyens, cette forme de gouvernement était un obstacle au despotisme absolu. Cependant, s’il ne s’exerçait pas immédiatement -sur le peuple au nom du roi, il n’en existait pas moins. Le monarque dominait sur ses vassaux immédiats ; ceux-ci, sur les arrière-fiefs de la couronne, qui commandaient à une noblesse inférieure , laquelle exerçait sa puissance sur les roturiers, sur les serfs, sur les esclaves. Tous ces seigneurs dominés et dominants faisaient dans l’Etat la fonction que les officiers supérieurs et les officiers subalternes exercent aujourd’hui sur toute une armée. Cette hiérarchie était encore la même que celle du clergé, avec différentes formes ; mais elle était soumise à la puissance et à l’inspection nationale, qui vérifiait tout en présence de tous ; surtout sous Charlemagne qui convoquait les ducs, le clergé et le peuple. Seconde époque du gouvernement féodal , quand l'autorité royale devint suzeraine. Les abus d’un pareil gouvernement s’aggravèrent à cette époque , où la souveraineté du roi fut changée par le fait en simple suzeraineté; le monarque se vit obligé alors de traiter avec les grands vassaux comme avec des égaux , et dès lors il n’y eut plus de corps monarchique en France, mais une espèce d’association de petites souverainetés. Ce pouvoir royal une fois divisé ne fut donc plus balancé , et la monarchie française perdit sa primitive constitution , qui consistait dans le concours de la volonté royale et de la volonté nationale pour toutes les opérations, et la France fut divisée en seigneureries qui ne travaillaient plus de concert dans les sanctions générales de la France , chaque duc, chaque comte n’agissant plus avec le monarque pour contester avec lui les intérêts des peuples, mais pour défendre les prérogatives de leurs usurpations. Troisième époque du gouvernement féodal dans sa-dégénération ultérieure , ou le despotisme féodal comparé a la servitude royale. Alors les peuples, privés de l’autorité directe du gouvernement, tombèrent dans cette servitude dont les derniers rois n’ont pas oublié de conserver les monuments, et qu’on voit dépeints avec les plus noires et les plus vraies couleurs dans les ouvrages des partisans de l’autorité royale; 45 alors la France, cette nation généreuse et conquérante, gémit sous la servitude la plus déshonorante des ducs et des comtes. Cependant cette servitude était-elle égale à celle du despote qui se joue de la liberté et des propriétés des citoyens ? Le despotisme d’un baron était-il plus intolérable que celui qu’exerce sur une grande nation la force armée d’un souverain? Dans la servitude royale, on voit des armées de commis intraitables, durs de caractère , et par habitude, habiles dans l’art du fisc, exerçant sans pitié et d’une manière irrévocable la volonté du souverain dans la levée de l’impôt. Le monarque, insensible aux cris du malheureux dont il ne peut entendre la voix plaintive, a commandé cet impôt de sa certaine science et pleine puissance : l’ordre s’est propagé jusqu’aux frontières les plus reculées. H faut qu’il soit exécuté. Si le malheureux ne peut payer l’impôt, il faut qu’il abandonne sa propriété, son champ et sa vigne, parce que le despote a dit en faisant la loi, sans connaître si elle peut être exécutée : C'est ma volonté et mon plaisir. Le seigneur, au contraire, qui vit dans ses châteaux, qui trouve sa subsistance et le maintien de sa famille dans le cens que lui doit son vassal, pouvait être intéressé à devenir le père de tous les propriétaires : il connaissait en détail les malheureux ; il pouvait être excité par la compassion à aider et à encourager ses vassaux. Enfin, on ne trouve dans le despote qui veut, par l’organe, de ses officiers, que des volontés irrévocables ; dans le gouvernement féodal on voit de petits souverains obligés de reconnaître en personne la calamité ou la prospérité publique ; dans les grands empires régis par le despote, on ne voit qu’un monarque éloigné de ses sujets, que des ministres jaloux en éloignent davantage, et qui ne peut entendre parler du bien ou du mal que par des ouï-dire que l'intérêt a toujours soin de voiler, d’altérer ou de corrompre. Enfin, si le bonheur des peuples peut subsister quelque part, c’est surtout dans les petites souverainetés r la confusion et le désordre dominent au contraire dans tous les grands empires. Tels' étaient les principes qui inspirèrent à nos anciens jurisconsultes cette foule d’écrits qui tendaient à faire consolider le pouvoir féodal, en ' le représentant comme un bienfait des rois : c’était le coup de grâce donné à un patient. Causes du pouvoir féodal. Tels furent longtemps les avantages et les inconvénients de la féodalité en France : elle se fortifia surtout au commencement de la troisième race, Gapet et ses successeurs ayant eu soin de laisser en paix des seigneurs dangereux qui pouvaient se rappeler de leur ancienne puissance, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 46 tlre Série, T. 1er-] et qui n’avaient pas oublié qu’il tenait sa couronne de leur générosité, au préjudice de la race régnante de Charlemagne. Ce n’est pas 'que la royauté ne nourrît dans son sein l’ambition, d’assujettir toute puissance qui pouvait dominer en France; mais le temps favorable n’était pas venu, La féodalité était encore trop redoutable ; elle était dans son adolescence, et comme toutes les institutions, elle devait arriver à son âge de décrépitude. Alors les monarques, toujours avec l’énergie naturelle à leur constitution politique, devaient l’accabler par leurs attaques, et la jeter enfin dans un précipice d’où elle ne s’est plus relevée. 'La France indivisible malgré la féodalité. Cependant, malgré la division de la monarchie en un nombre infini de principautés subalternes, la France ne cessa jamais d’être indivisible, dans le sens que le roi ne put jamais étendre sa domination sur les terres possédées par ses vassaux médiats sans leur participation. Ainsi, pour la défense générale de la nation, il fallait traiter avec les chefs des peuples pour composer une armée et pour tout ce qui pouvait concerner la sanction de l’impôt. La féodalité contribua à dégrader la royauté. Enfin, G’est dans ces siècles de féodalité la plus puissante qu’on vit l’autorité royale avilie en France. Le roi n’étant auprès des grands seigneurs de l’État que comme un seigneur suzerain qu’il était indifférent de traiter avec les respects clus à ses prérogatives et à son caractère sacré, les peuples observaient même perpétuellement ce qu’il y avait de ridicule, de plaisant ou d’informe dans l’esprit ou la personne des monarques qu’ils ne distinguaient que par des sobriquets ajoutés à leur nom, et si on en excepte Charlemagne, qui s’attira le respect des peuples, on trouvera chaque roi de la seconde race avec des surnoms de cette sorte : ainsi on dit Cbiîdéric II V Insensé, prédécesseur de Pépin; on dit Pépin le Bref, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, Louis le Bègue , Charles le Gros, Charles le Simple et Louis le Fainéant. Ces dénominations de ridicule finissent à cette seconde race, et on ne trouve dans toute la troisième que Philippe le Long et Louis le Hutin , à qui la nation se soit permis de donner des noms de ridicule. Dans les âges de subordination, ce sont des noms respectueux ou imposants qui en prennent la place, Telle fut donc l’usurpation de la noblesse , qu’ayant, selon la constitution de la France, concouru, au commencement de la monarchie, à la législation avec le monarque (nobisçum optimatibus convenit ; habito cum optimatibus tractatu j ; ayant concouru encore à faire la loi en Bourgogne avec je peuple (de mediocribus personis tam Burgun - dionibus quam Bomanis ), elle s’empara des droits régaliens, les unit à ceux qu’ils avaient constitutionnellement comme grands de l’État ( optimates ), et parvint jusqu’à ce point de puissance qu’elle insultait impunément par'des épithètes injurieuses la personne royale.. Cette conduite publique avouée de tous prouve bien que l’hérédité des fiefs qui se fortifia dans ces temps-là, s’affermit par une condition tacite, puisque l’opinion publique qui ne répugnait pas à traiter les rois peu respectueusement, ne s’intéressait guère à défendre leurs prérogatives, et c’est à cette opinion régnante que les privilèges delà noblesse-doivent leur stabilité. Origine des pairs de France. Alors s’élevèrent les pairs de France, qui s’appelèrent ainsi de leur prérogative qui était telle qu’ils se crurent pairs avec le roi leur chef, ne reconnaissant en lui que l’autorité suzeraine. Devenus propriétaires des gouvernements, ils allaient de pair effectivement avec nos rois, qui faisaient la guerre, des traités et des alliances avec eux ; et tels furent les ducs do Normandie, de Bourgogne, de Guyenne, les comtes de Flandre, de Champagne, de Toulouse, et les pairs ecclésiastiques. Ces personnes exercèrent dans l’État tous les droits que les anciens (proceres optimates) avaient exercés de concert avec le roi et la nation, et comme l’autorité royale ne s’étendait guère alors que dans les domaines du' roi, et que le monarque ne pouvait exercer son empire dans les terres des pairs de France, ces pairs devaient être� convoqués dans les grandes sanctions du gouvernement. § III-Observation sur la constitution de la monarchie sous la troisième race et sur les us* semblée nationales Suite des preuves que la souveraineté a appartenu à la nation conjointement avec les rois. Election de Capet. La plus grande preuve que la souveraineté appartenait encore à la nation assemblée, c’est de voir la couronne ravie à la race de Charlemagne et donnée à Capet. Le nouveau monarque le sentit bien, car c’est lui et non point la loi salique qu’il faut regarder comme le destructeur du droit d'élection ou de consentement à l’avénement au trône des nouveaux rois. Aussi les premiers rois de la troisième race eurent le soin de faire sacrer de leur vivant leur fils aîné. Cette politique établit l’hérédité linéale et agnative : elle empêcha les élections orageuses, contraires à la tranquillité publique ; mais aussi cette succession héréditaire donnant à une famille la propriété de la couronne, fit oublier aux rois qu’ils devaient le trône à leurs égaux, et dès lors surtout iis persuadèrent les peuples gu’iis tenaient [lp9 Série! T, I**.] ABCmYES PARLEMENTAIRES. {lntredq • ÉTATS GÉNÉRAUX EN 1302, SOUS PHILIPPE LE BEL. Démêlés avec le pape BonifUce VIII . Le pape Boni face VIH prétendait porter la plus forte atteinte à l’autorité des rois. Il voulait étendre sa puissance sur le temporel du royaume ; il ayait déjà lancé plusieurs bulles, tant pour révoquer les grâces qu’il avait accordées pour fournir aux frais des guerres que la France avait à soutenir, et les privilèges concédés au roi et à ses successeurs, que pour défendre aux ecclésiastiques de payer ni décimes ni subsides, sans une permission expresse de la cour de Rome. Il soutenait que la collation des bénéfices n’appartenait pas au roi, et que la régale était une usurpation. Philippe n’oublia rien pour intéresser tous ses sujets dans sa cause, et voulut se munir de leur approbation contre les entreprises injustes du souverain pontife, Il convoqua les États généraux à Paris, dans l’église de Notre-Dame, le 10 avril 1302, Philippe, dans cette assemblée, reçut les témoignages de l’attachement le plus inviolable. Le garde des sceaux exposa les prétentions monstrueuses du pontife romain , et observa que la convocation du clergé à Rome, pour y délibérer sur la réforme du gouvernement, -décelait tous les mauvais desseins du pape, coupable de mille vexations envers l’Église gallicane par ses réserves, par les collations arbitraires des évêchés, par les provisions des bénéfices qu’il donnait à des étrangers et à des inconnus qui ne résidaient jamais. Le garde des sceaux termina ce discours par communiquer l’intention où était le roi de ne plus tolérer ces abus, et d’exposer pour cet intérêt général ses biens, sa personne même et ses enfants, s’il en était besoin. Toute Rassemblée applaudit à cette généreuse résolution. On protesta qu’on ne reconnaîtrait jamais en France que Dieu et le roi dans le temporel. Le monarque fut prié de prendre tous les ordres du royaume sous sa garde particulière, et de les protéger contre les entreprises des puissances étrangères. Philippe, quoique charmé de cette disposition générale, voulut encore avoir l’avis de chaque ordre en particulier sur l’article de la mouvance. Le comte d’Artois, portant la parole pour la noblesse, protesta que tous les gentilshommes étaient prêts à exposer leurs biens et leurs vies, pour la défense des libertés du royaume. Le clergé balança, demanda plus de temps pour délibérer, voulut excuser le pape, représenta que son intention n’était pas de combattre la. dignité royale, exhorta le prince à conserver l’union qui avait toujours régné entre l’Église romaine et ses prédécesseurs; mais enfin, pressé de répondre sur-le-champ, effrayé des scandales qu’il causerait, et du schisme qu’il croyait inévitable s’il ne contenait le monarque, il lui jura sa soumission et sa fidélité. Il le supplia cependant de lui permettre de se rendre auprès du pontife romain. Le roi et les barons protestèrent qu’ils ne le souffriraient pas. Le tiers état présenta au roi une supplique « à l’effet qu’il lui plût garder la souveraine franchise de son royaume, qui est telle que, dans le temporel, le roi ne connaît de souverain sur terre fors que Dieu. » La délibération de Rassemblée fut que les trois ordres écriraient au pape, pour lui représenter les privilèges du royaume et les droits du roi. Philippe, de son côté, lui envoya un prélat pour le prier de remettre son concile à un temps plus favorable, et de vouloir bien épargner ses peines pour la réforme du gouvernement, le roi devant y travailler lui-même. Le clergé écrivit au pape ; la noblesse et le tiers état aux cardinaux. La vigueur de ces lettres, où le pape n’était nullement ménagé, et où l’on affectait de lui refuser la qualité de souverain pontife, étonna la cour de Rome. On prit le parti de nier que Boni-face eût voulu contester-lajuridictionduroipour le temporel ; que le nonce n’avait rien dit qui pût le faire supposer, et que les déclamations du garde des sceaux dans l’assemblée des États, n’avaient aucun fondement réel. Désaveu remarquable! mais le lecteur peut juger s’il est sincère (1). ETATS GÉNÉRAUX DE 1313, SOUS PHILIPPE LE BEL. La Flandre s’était révoltée. Les impôts dont cette province était accablée par les conseils du chancelier Lafiotte, homme violent et avare, furent la cause de ce soulèvement, que le roi voulut (1) Histoire Ecclésiastique , de Fleury. [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m réprimer, en marchant lui-même a la tête de ses troupes. La résistance' courageuse des Flamands amena la paix; le comte de Flandre obtint la conservation de plusieurs villes, moyennant une certaine somme. Mais il fallut bientôt recommencer la guerre. Robert redemanda les villes dont il avait payé le rachat à Enguerrand de Marigny, et les Flamands refusèrent de payer au roi ce qu’ils lui devaient. Le roi convoqua les Etats généraux à Paris, dans la grande salle du palais. Enguerrand expliqua aux députés les intentions du roi, remontra les besoins de l’État, et demanda des subsides. Les députés séduits, entraînés par ses discours, lui accordèrent un impôt de six deniers pour livre. Les villes de Picardie et de Normandie s’y opposèrent fortement ; et les plaintes les plus amères,1 les reproches les plus sanglants tombèrent sur le ministre, auteur de tous ces maux, qui, insensible à la haine de la nation, aggrava le mal en faisant fabriquer de mauvaise monnaie. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1315, SOUS LOUIS LE HUTIN. Les Flamands assiégeaient Lille. Louis le Hutin se rendit en Flandre et les força à se retirer dans Court ray. Mais obligé, par le mauvais temps et la disette des vivres, de lever le siège, il revint en France, après avoir perdu la plus grande partie de son bagage. Cette guerre exigea des subsides. Les Etats furent assemblés. On leur demanda des secours extraordinaires, avec promesse de les rembourser des revenus du domaine. Le roi taxa les marchands italiens, auxquels il vendit le droit de bourgeoisie. Il exigea du clergé un décime dont les cardinaux assemblés lui firent présent. Il vendit tous les petits offices de judicature dans les provinces, rechercha les malversations des officiers, en recueillit des taxes ou des confiscations. 11 força même les serfs à acheter des lettres d’affranchissement. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1321, SOUS PHILIPPE LE LONG. Le conseil de Philippe le Long avait résolu d’établir par toute la France même poids, même mesure et même monnaie, sous prétexte de bien public, mais en effet pour tirer de l’argent. Dans les vues de quelques frais nécessaires pour dédommager les seigneurs et les prélats qui y avaient’ intérêt, il voulut prendre la cinquième partie du bien de ses sujets. Le roi avait mandé à toutes les villes de lui envoyer des députés. Mais la fermentation du peuple fut générale. Les princes et les prélats qui avaient droit de battre monnaie ne souffrirent point que les commissaires du roi travaillassent à cette réforme. Us en appelèrent aux États, et se liguèrent avec les villes pour s’opposer à un règlement qui ne se faisait que pour établir un impôt (1). ÉTATS-GÉNÉRAUX DE 1328, SOUS LA RÉGENCE ET LE COURONNEMENT DE PHILIPPE DE VALOIS. Après la mort de Charles le Bel , il fut question de décerner la régence, parce que la reine était - enceinte. Édouard, roi d’Angleterre, petit-fils de Charles le Bel, la disputait à Philippe de Valois, qui n’en était que le neveu. Les États assemblés à Paris, persuadés que la régence était un préjugé certain pour la royauté, et guidés par les principes de la loi salique, déférèrent la régence à Philippe. Bientôt la reine accoucha d’une fille; et les États, qui avaient nommé Philippe régent , lui confirmèrent la royauté. ÉTATS-GÉNÉRAUX de 1355, 1356, 1357, 1358, 1359, TENUS SOUS LE ROI JEAN. Le roi Jean ne pouvait supporter le fardeau de la guerre qu’il avait à soutenir contre le prince de Galles, en 1355, qu’avec de grandes dépenses. Alors on ne levait point de subsides sans le concours extraordinaire des États. Le roi convoqua au château de Ruel, où, sur le rapport des besoins urgents du royaume , ils lui accordèrent de quoi entretenir. 30,000 hommes. Pour avoir les fonds , il fallut remettre la gabelle qu’on avait ôtée, et de plus imposer huit deniers pour livre sur les mises , et une taxe annuelle sur toutes sortes de revenus, soit en terres, sans excepter celles des princes , soit en bénéfices, soit en offices, et même en salaires et gages de serviteurs. Leroi, de son côté, promit de ne point changer les monnaies , et de n’en faire battre que de bonnes. L’ordonnance qui a été rendue à l’occasion de ces subsides, le 23 décembre 1355, prouve quel était alors le pouvoir des États généraux. Us délibérèrent : 1° sur le nombre des troupes nécessaires pour la guerre ; 2° sur les sommes nécessaires pour soudoyer l’armée; 3° sur les moyens de lever cette somme; 4° sur la régie et l’emploi des deniers. Les États furent même autorisés à nommer des généraux des aides pour en avoir la surintendance, et des élus dans chaque diocèse pour faire l’imposition et levée des deniers. Il y a été aussi arrêté que le compte de la levée et emploi des levées, seraitrendu en leur présence, et qu’à cet effet ils se rassembleraient dans un temps marqué. (1) Au règne suivant, sous Charles le Bel, toutes les monnaies furent fondues et réduites en une seule qu’on nommait Agnelets. On défendit le cours de celle des seigneurs. [1» Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Pendant la captivité du roi Jean, en 1356, comme il n’y avait plus d’autorité dans le royaume et que le roi, avant son départ , n’avait établi aucun ordre, tout se trouva dans une horrible confusion. Le dauphin Charles V ne prit d’abord que la qualité de lieutenant. Il crut que c’était aux États générauxà pourvoir au gouvernement du royaume et à la délivrance du roi. Il les convoqua à Paris le 15 octobre 1356. Mais il arriva alors ce qui arrive toujours dans les grands désordres ; quand les peuples ont été maltraités durant la prospérité, ils croient que c’est le temps de rabaisser la domination , lorsqu’elle a reçu quelque échec. Au lieu de subsides, le dauphin ne trouva que plaintes et qu’aigreur. Ils choisirent cinquante personnes pour entendre ses propositions, et ne voulurent rien délibérer en présence de ses commissaires. Ils demandaient la destitution du chancelier, du premier président, de six ou sept autres officiers qui avaient administré les finances, la délivrance du roi de Navarre, et qu’il se gouvernât par un conseil que les Etats lui choisiraient; moyennant quoi, ils lui entretiendraient et lui payeraient par leurs mains trente mille hommes. C’est ce que le dauphin ne voulut pas souffrir. Cependant ils établirent un conseil pour l’administration du royaume, et commirent des gens pour manier les finances. Le dauphin n’ayant pu les fléchir ni détourner leurs résolutions, usa d’adresse pour rompre l’assemblée et, sous divers prétextes, obligea les députés à se retirer. Il en envoya d’autres par tous les bailliages et sénéchaussées, pour leur demander quelques secours, espérant que chacun en particulier n’oserait lui dénier ce que tous ensemble lui refusaient hardiment. Durant ces troubles, chacun s’imaginait avoir le temps propre pour recouvrer ses droits et ses privilèges. La noblesse commençait à s’allier avec les villes. S’ils eussent bien cimenté cette union, la royauté en eût été fort affaiblie. Le dauphin trouva moyen de séparer la noblesse de cette union, et de l’attirer à lui par l’espoir des récompenses. De leur côté, les villes entrèrent en défiance contre les gentilshommes, et se fortifièrent. A l’exemple du souverain, qui avait plus songé à l’agrandissement de sa puissance qu’au bien public, tout le monde ne se souciait que de son intérêt particulier, et renversait tout pour y parvenir. Les députés que le dauphin avait envoyé dans les provinces n’en rapportaient que des griefs. Le Languedoc seul offrit de soudoyer 5,000 chevaux pour le service du roi; les autres refusèrent tout, à moins qu’on ne Je fit ordonner par les Etats. En 1357, ayant besoin de quelque autorité publique pour se faire déclarer régent, il avait convo-53 qué les Etats pour le 5 février, à Paris, et ils furent tenus aux Cordeliers ; mais il ne put en obtenir plus que la première fois'. Ils forcèrent le chancelier Laforêt de quitter les sceaux, chassèrent tous les principaux officiers des finances, firent saisir et annoter tous leurs biens ; et sur les remontrances de l’évêque de Laon, désappointèrent tous les grands officiers du royaume, même ceux du Parlement, hormis seize. Le dauphin, ne trouvant donc pas son compte avec eux, remit l’assemblée à quinze jours après Pâques. Les États furent assemblés en 1358. On avait besoin d’argent pour la rançon du roi. Les Anglais ne demandaient que de l’argent, et Je dauphin faisait courir le bruit qu’ils le délivreraient pour 600,000 florins. Pour se rendre maître de cette assemblée, il amassa des troupes autour de la ville, ce qui offensa beaucoup les Parisiens et les députés des États. Déclaré régent par le Parlement, il ne voulut plus être à la merci des Parisiens ni des États généraux; il trouva meilleur d’en tenir de particuliers qui lui accordèrent quelques contributions. Depuis ce temps, il n’y eut que des troubles et des désordres dans le royaume. Cependant le roi, toujours captif à Londres, s’en remit aux États de son royaume sur les conditions que l’Anglais lui proposait pour sa délivrance. Les États assemblés à Paris en 1359 trouvèrent ces conditions si dures, que tous, d’une voix, ils choisirent plutôt la guerre, et offrirent de grands secours pour la faire. L’Anglais ne se laissa point prévenir ; il la déclara. Il s’avança ipême jusqu’à sept lieues de Paris. Enfin les députés de part et d’autre conclurent la paix et la rançon demandée pour la délivrance du roi. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1369, SOUS CHARLES V. Charles Y avait résolu de rendre nul le traité de Bretigny, par lequel Edouard, roi d’Angleterre, se croyait souverain absolu en Guyenne, et il voulut que ce prince demeurât toujours vassal de la couronne. Il lui fit déclarer la guerre; et les États généraux, assemblés le 27 décembre, octroyèrent au roi une imposition d’un sou par livre sur le sel, de 4 livres sur chaque feu dans les villes, et 30 sous aux champs : comme aussi sur la vente du vin à la campagne le 13e en gros et le 4e en détail, et sur l’entrée à Paris, 15 sous par queue de vin'franÇais, et'24 sous par queue de vin de Bourgogne, « à quoi, dit Mézerai, les villes consenti-« rent fort gaiement, parce qu’elles savaient bien « que ces levées seraient bien ménagées , et « qu’elles cesseraient avec la guerre. » ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1380, SOUS CHARLES VI. Le peuple gémissait sous le fardeau des impo- [ire Série, T. 1er.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. [ 54 sitions. Le feu de la sédition s’était allumé, et le roi avait été obligé d’abolir généralement tous les subsides imposés en France depuis Philippe le Bel. Cette condescendance ne rétablit point le .calme. Les princes étaient eux-mêmes divisés, le partage des provinces et des trésors de l’État ne suffisant pas encore pour entretenir une solide union entre les princes : tout excitait leur jalousie. Les États généraux furent assemblés à Paris. Loin que les ministres pussent obtenir le rétablissement des aides qu’on venait de supprimer, ils furent obligés d’en confirmer de nouveau l’abolition. Le princes, et surtout le duc d’Anjou, n’osaient insister.sur cet article, en représentant les besoins de l’État et l’épuisement du trésor royal. Ils ne pouvaient se dissimuler les justes reproches qu’on aurait eu à leur faire. Les députés ne s’en tinrent pas à la révocation des subsides. Us sentaient leur supériorité sur un ministère orageux et incertain. On vit alors ce qui était toujours arrivé dans les temps de trouble et de faiblesse. La nation se crut en devoir de réclamer l’ancienne forme de gouvernement, sans songer que le changement des circonstances et du système politique n’admettait plus la même administration. Ceux qui auraient pu opposer ces considérations aux demandes excessives des députés, manquaient de crédit nécessaire pour les faire valoir : ceux qui disposaient de la principale autorité, insensibles aux intérêts du peuple et du souverain, ne considéraient que les leurs. Les États obtinrent tout ce qu’ils demandèrent. Sur les plaintes des trois ordres, on dressa une déclaration par laquelle le roi renonçait généralement à tout ce qui avait été innové depuis le règne de Philippe IV, rétablissant la nation dans toutes ses franchises, libertés, privilèges et immunités, sans qu’à l’avenir les usages introduits, au contraire, pussent être tirés à conséquence, ni former un titre pour le monarque régnant ou ses successeurs. Les souverains se trouvaient par ce moyen réduits aux seuls revenus domaniaux, suffisants à la vérité pour leur entretien, si l’on avait été moins prodigue d’aliénations, mais qui ne répondaient plus aux autres charges de l’État, considérablement augmentées par la multitude des troupes soudoyées, par la diminution insensible et l’inutilité presque reconnue du service féodal , service momentané, qui ne s’accordait plus avec une guerre continuelle. Cette réforme, arrêtée dans les États, exprimée en termes magnifiques dans l’édit publié en conséquence sous une vaine ostentation du bien public, produisit un mal réel. Ne pouvant avoir lieu, son inexécution devint pour le public un sujet de mécontentement que la douceur ou la sévérité ne purent jamais apaiser : source intarissable de division entre le prince et ses sujets. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1468, SOUS LOUIS XI. Il s’était formé, dès le commencement du règne de Louis XI, une ligue à la tête de laquelle se trouvait Monsieur , frère du roi, le duc de Bretagne, le duc de Bourbon , presque tous les princes, grands et capitaines du feu roi. . Louis XI était résolu à rompre cette ligue à quelque .prix que ce fût, en donnant à chacun ce qu’il demandait. Il était presque d’accord de tout, hormis de l’apanage de Monsieur , qui voulait avoir la Normandie. Le roi ne pouvait consentir à démembrer cette belle province ; mais il fut obligé de la laisser à son frère, le duc de Bourbon s’en étant rendu maître et l’ayant donnée à Monsieur. Le duc de Normandie, qui avait mis la Normandie entre les mains de Monsieur, travaillait à l’en retirer et à la remettre entre les mains du roi. Monsieur , dénué d’argent et d’amis, fut contraint de s’évader et de chercher un asile chez le duc de Bretagne. Il ne fut que deux mois duc de Normandie. Le roi reçut bientôt avis que le duc d’Alençon, qui se mêlait dans tous les partis, ôtait rentré dans celui de Monsieur et du duc de Bretagne; et qu’au moyen des places qu’il leur avait abandonnées, ils occupaient presque toute la Basse-Normandie. H fit marcher ses troupes dans le pays du Perche et du Maine, et se rendit lui-même au Mans. Il corrompit le frère du duc d’Alençon, qui lui livra le château d’Alençon, une des places la mieux fortifiée de ce temps-là. Les Bretons abandonnèrent la ville. Le roi, voyant Monsieur et le duc de Bretagne étonnés d’un coup si imprévu, employa le légat du Saint-Père pour leur faire entendre qu’il remettrait tous ces différends au jugement des États généraux. Il les convoqua à Tours, au 1er avril 1468. Tous les députés se trouvèrent tellement dévoués aux intérêts du roi qu’ils se conformèrent à ses intentions. On y décida que la Normandie étant unie à la couronne, ne se pouvait démembrer pour la donner à son frère ; que ce jeune prince voudra bien se contenter de 12,000 livres de rentes en terres pour 'son apanage, et de 6,000 livres de pension annuelle, sans tirer à conséquence pour l’avenir pour les autres fils de France ; que le Breton rendrait les places de Normandie, et que s’il n’y déférait, on lui déclarerait la guerre, tous les sujets offrant dès ce moment leurs vies et leurs biens au roî. Les princes conclurent leur accommodement avec le roi, et en passèrent par la résolution des États. [1™ Série, T. !•*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (Introduction.] ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1483, SOUS CHARLES VIII. Guillaume de Rochefort, chancelier. Louis Xï venait de mourir. Charles VIII, son successeur , se trouvait en âge de gouverner ; mais, par son testament, le feu roi avait nommé régente sa fille Anne de France, dame de Beaujeu. Il se présenta d’autres concurrents, qui crurent avoir des droits apparents à la régence : sa mère, Gharlotte de Savoie, mais qui ne tarda point à mourir ; le duc d’Orléans, premier prince du sang, et le duc de Bourbon. Madame de Beaujeu essaya, en les comblant d’honneurs et de biens, de les faire renoncer à leurs prétentions. Mais les princes en pénétrèrent le motif, et s’attachèrent à décrier le gouvernement. Voyant que la jeune princesse triomphait de toutes leurs manoeuvres, ils demandèrent les États généraux. Cette proposition fit frémir ceux qui étaient sincèrement attachés au jeune roi. On n’envisageait ces grandes assemblées que comme un contre-poids à l’autorité royale. On croyait qu’il était dangereux d’accoutumer le peuple à discuter avec son maître. D’ailleurs, dans quelle triste conjoncture entreprenait-on de remuer la nation? Le peuple était accablé d’impôts et réduit au dernier désespoir, le clergé dépouillé de ses prérogatives, les grands persécutés et traînés dans les prisons, enfin tous les ordres de l’État abhorraient la mémoire de Louis XI. Qui pouvait assurer que la haine pour le père ne rejaillirait point sur le fils? Quelque danger qu’il y eût à convoquer les États, un refus formel eût été encore plus dangereux. Le peuple en aurait conclu qu’on n’avait nul dessein de le soulager, et il se serait porté aux dernières extrémités. Les princes pouvaient faire cause commune avec le peuple. Madame alors était perdue sans ressource ; l’État de son pupille périssait avec elle. Elle éluda quelque temps la proposition; mais, voyant les princes fermes dans leurs desseins , de deux maux elle choisit le moindre. Les États furent indiqués pour le 1er janvier, à Tours. Dès ce moment le calme se rétablit à la cour, et les princes fixèrent toute leur attention sur les assemblées provinciales, où l’on élisait les députés. Madame de Beaujeu cherchait de son côté à gagner des suffrages. Les magistrats dépossédés sous le feu roi furent rétablis dans leurs fonctions. On combla même de grâces ceux que Louis XI avait persécutés avec le plus d’acharnement. On congédia beaucoup de troupes, tant étrangères que nationales. On revint contre les libéralités indiscrètes ; on donna des ordres pour réunir au domaine de la couronne toutes� les terres qui en avaient été aliénées. On remit au peuple le quart des impositions de cette année-là. 55 Relation manuscrite de Masselin, tirée de la Bibliothèque du roi . Le 15 janvier les États s’ouvrirent ; la harangue du chancelier remplit la première séance. Après avoir exposé toutes les opérations qui avaient précédé les États, il les engagea à traiter d’abord les matières qui concernent le bien général, ensuite celles qui regardent chaque province, et enfin les affaires des particuliers. Élection des officiers. Ordre qu’on se propose de suivre dam les délibérations. Le 17, les députés s’assemblèrent, sans admettre parmi eux aucun étranger. Nomination d’un président et de deux secrétaires. Partage des États en six nations. Chaque nation eut une salle particulière pour travailler séparément. On se rassemblait ensuite dans une salle générale pour entendre la lecture des cahiers ; tout le mois de janvier fut employé à ces conférences. Le 1er février, les six nations se communiquèrent leurs travaux respectifs. Tentatives du duc d’Orléans pour gagner les députés. Les princes, pour capter la faveur populaire, firent déclarer qu’ils consentaient à voir supprimer leurs pensions, pourvu que cet arrangement tournât au soulagement du peuple, et que les États eussent à faire main basse sur toutes celles accordées sous le dernier règne. On les remercia de leur zèle ; et comme on ne pouvait se tromper sur le motif de ces sentiments, on ne leur en tint aucun compte. Opposition des évêques à quelques règlements. Le 2 février, il s’éleva une très-vive dispute entre les députés. En cherchant les causes de la misère publique et do la disette d’argent, le tiers état s’emporta contre les abus du gouvernement, et demanda le rétablissement de la pragmatique sanction. Dispute sur la pragmatique sanction. Quelques évêques s’opposèrent à son rétablissement. Le second ordre du clergé et le tiers état défendirent leur demande avec vigueur, et peut s’en fallut qu’on obligeât ces évêques discordants à sortir de l’assemblée. Les prélats présentèrent au roi une requête dans laquelle ils établissaient qu’avant de rien changer à l’ordre observé jusqu’alors dans la discipline ecclésiastique, le roi devait préalablement convoquer le corps entier des évêques, ce qui ne s’était point fait dans cette assemblée des États, où il n’y en avait qu’un petit nombre. La requête communiquée aux États excita l’indignation générale. On répondit que les États gé- 50 [lre Série, f. le'-.] néraüx n’étant ni des synodes ni des conciles, mais des assemblées politiques, il n’y avait aucune raison d’y appeler les députés du clergé en plus grand nombre que ceux de la noblesse et du peuple ; que d’ailleurs l’opposition de quelques particuliers ne pouvait ni valider ni infirmer le vœu de la nation, et que ces prélats ne se montraient si opposés à la pragmatique-, que parce que leur nomination avait été contraire à ses décrets. Plaintes sur la gabelle. Quelques provinces demandèrent la suppression des gabelles, et exposèrent les horribles vexations des enployés. On ne prit sur cet objet aucun parti définitif. Gomme toutes les provinces s’accordaient à demander la suppression des tailles, et qu’on ne pouvait retrancher à la fois tous les impôts, on arrêta seulement que si l’on trouvait quelque autre moyen, moins onéreux pour le peuple, de procurer au roi le même revenu, on le supplierait d’abolir la gabelle, et que, si ce moyen était impraticable, on la laisserait subsiter, en réprimant toutefois la tyrannie des employés. Requêtes présentées aux Etats. Tandis qu’on travaillait à la réduction des impôts, plusieurs particuliers vinrent porter leurs plaintes aux États, et réclamer leur protection. Les États répondirent qu’après avoir traité les affaires générales du royaume, ils auraient égard à celles des personnes qui auraient bien voulu leur confier leurs intérêts, et qu’ils feraient valoir auprès du roi la justice de leur cause. Contestations sur la régence et sur rétablissement du conseil. On délibéra ensuite sur la manière de régler le conseil et la forme de l’administration pendant la régence. Les brigues de la cour se réveillèrent alors avec plus de chaleur qu’auparavant; chaque jour arrivaient des messagers de la part des trois conten-dants ; les seigneurs, déjà admis dans le conseil, n’étaient pas moins inquiets que les princes ; tous faisaient agir leurs cabales. La nation de Normandie ouvrit un avis qui tendait à mettre les princes du sang dans la nécessité de faire eux-mêmes la réforme désirée. On laissait la personne du roi entre les mains de ceux qui avaient dirigé son enfance. Le conseil devait être composé des princes du sang, de douze anciens conseillers, et de douze nouveaux tirés du corps des États et par eux nommés. Cet avis, qui tendait à mettre l’autorité entre les mains du peuple, eut beaucoups-de partisans. Il n’y a point à balancer, s’écria-t-on; pendant la minorité d’un roi, la nation se trouve dépositaire de l’autorité suprême. 11 faut forcer, s’il en jlntroduction.J est besoin, les princes à se soumettre à ce règlement. Dans un royaume héréditaire, disaient les autres, la nation n’a aucun droit à l’autorité, tant qu’il reste des héritiers légitimes. Après la mort du roi, ce pouvoir passe dans les mains de son fils, s’il est en état de l’exercer ; et en cas de minorité, en celles des princes du sang, ses tuteurs naturels, qui seuls ont le droit de former le conseil et de régler toutes les branches de l’administration, sans prendre l’avis du peuple, si ce n’est pour la répartition et la levée de l’impôt. Au fort de la dispute s’éleva Philippe Pot, député de la noblesse de Bourgogne, qui combattit les dernières assertions, et prouva l’autorité des États généraux. Son discours fit des impressions différentes sur l’assemblée. On délibéra. Après un mur examen, la nation de Bourgogne adopta l’avis de celle de Normandie, et réserva aux princes la liberté de conserver douze des anciens conseillers d’État à leur choix, auxquels on associerait douze nouveaux députés pris en nombre égal dans les six nations. Les nations de Paris, d’Aquitaine, de la Langue d’Oc et de la Langue d’Oil, persistèrent à remettre aux princes du sang le choix du conseil, et refusèrent deprocéder à aucune élection. Paris et le Languedoc ne pouvaient que perdre en adoptant le nouveau plan. Elles formaient presque tout l’ancien conseil, et elles ne voulaient pas être réduites à n’envoyer que deux députés. L’Aquitaine avait déjà le conseil des protecteurs accrédités et puissants, auxquels elle ne voulait pas en substituer d’autres. Le Languedoc, pays d’État et gouverné par ses magistrats, n’avait pour objet que la diminution des impôts, -et s’efforçait, pour l’obtenir, de complaire aux princes et aux ministres. Après bien des débats, on prit unanimement un arrêté par lequel le roi était supplié de présider lui-même son conseil. « En l’absence du roi, on nommait le duc d’Orléans président du conseil ; en l’absence de celui-ci, le duc de Bourbon, et enfin le duc de Beau-jeu. « Les autres princes du sang avaient séance et voix délibérative au conseil, suivant l’ordre de leur naissance. « Douze députés, choisis par les États, devaient être associés aux anciens conseillers, dont la nomination était au choix du roi. » On avait affecté de ne point nommer dans cet arrêté madame de Beaujeu ; mais de la manière dont ces articles avaient été dressés, elle conservait toute son autorité. Le roi disposait de tout; et comme elle disposait du roi, elle était toujours maîtresse de rompre les mesures du duc d’Orléans, s’il s’opposait à scs vues. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1» Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,) Analyse des cahiers présentés au roi. Le cahier des États a été partagé en cinq chapitres. Le premier, de l’état de l’Église; le second, de la noblesse, le troisième, du tiers état ; le quatrième, de la justice; et le cinquième, du commerce. , Cahier de V Eglise. Dans le premier, on suppliait le roi de ne point différer son sacre; De rétablir la pragmatique sanction, regardée comme le fondement des libertés de l'Église gallicane, et tendant à réprimer les abus de la cour de Rome; De respecter les franchises des peuples eïi ne faisant point saisir le temporel des églises sans de justes causes, et même, en ce cas, d’exempter de la saisie les oblations et les dîmes. Cahier de la noblesse. La noblesse suppliait le roi de ne convoquer le ban et l’arrière-ban que dans les occasions où l’État serait en péril ; De faire cesser les obstacles qu’elle éprouve dans la jouissance de son droit de chasse; De n’accorder les places de gouverneurs, sénéchaux et baillis qu’aux gentilshommes les plus accrédités dans les provinces, et non à des étrangers qui ne tiennent à la France que par un intérêt pécuniaire. Cahier du tiers état. Ce troisième chapitre contenait le détail des causes qui ont amené l’épuisement des finances, celui des impositions, les concussions et les violences des employés. On demandait la décharge entière du fardeau onéreux des tailles; mais en privant le roi de cette partie de ses revenus, on le suppliait : De réunir au domaine toutes les branches qui en avaient été séparées, à quelque prix que ce fût ; De supprimer les offices inutiles, et de réduire les gages des autres ; De retrancher, ou du moins de modérer les pensions qui ne doivent être prises que sur le domaine du roi, et qu’on accordait à des seigneurs qui devaient se contenter du revenu* de leurs seigneuries. On y observait aussi que les revenus du domaine devaient être employés à payer l’état de la maison du roi, de la reine, les gages des officiers civils et militaires ; et jusqu’à ce qu’on eût prouvé clairement le contraire, on était convaincu que le domaine de la couronne, auquel on a joint les gabelles, était plus que suffisant pour acquitter les charges nécessaires de l’Etat. Chapitre de la justice. Dans ce quatrième chapitre on demandait l’abolition de la vénalité des charges et des offices récemmen t créés ; 57 L’inamovibilité des officiers, à moins qu’ils ne soient coupables de forfaiture. On examina quelques branches de l’administration, la forme du grand conseil, les expéditions du sceau, les fonctions des secrétaires du roi, les évocations et les appels en matière de procédure, les enquêtes, l’ordre et la subordination des tribunaux, l’abus des commissions extraordinaires, les fonctions’ des différents offices de justice, etc. Chapitre du comm'Qrce. Dans ce cinquième chapitre, on se plaignait des droits exorbitants établis sur certaines denrées depuis Charles VIII. On demandait l’abolition de ces droits; L’administration des foires, dont la multitude préjudicie au bien de l’État, en faisant sortir l’argent du royaume pour des ouvrages manufacturés chez l’étranger; Le reculement des barrières aux frontières du royaume ; L’entretien plus exact des ponts et chaussées. Les États ne s’étaient désisté qu’avec peine du choix de douze nouveaux conseillers qui devaient former le conseil ; mais ils furent extrêmement mortifiés de voir que le roi mandait seize députés pour discuter les principaux articles des cahiers. Ils avaient cru qu’on leur laisserait au moins sur ce dernier point le choix de leurs réprésentants. On statua que les seize députés appelés au conseil, n’ayant point été autorisés par les États, ne pouvaient en aucune manière les représenter. Alors le roi permit à l’assemblée d’y envoyer les députés à leur choix, outre les seize qu’il se réservait d’y appeler : elle répondit qu’elle n’y consentirait point. Les seize, craignant de se rendre odieux à la nation s’ils continuaient d’assister au conseil, revinrent à l’assemblée. Embarras du Conseil. Le chancelier ne s’attendait point à cette conduite ferme et rigoureuse qui déconcerta ses projets. Réduit à traiter directement avec la totalité des États, il s’y rendit et exposa les propositions du roi. Le roi demandait plus de troupes que les États n’en voulaient accorder. Ceux-ci répondirent qu’ils ne se relâcheraient sur l’article de la milice que lorsqu’ils auraient connaissance de ce que coûtent la maison du roi, les gages des officiers, les pensions, et qu’ils auraient les rôles exacts du produit des domaines, aides et gabelles, sans y comprendre les tailles, Le chancelier sentait combien il était dangereux de rendre les sujets arbitres de la dépense du souverain ; d’un autre côté, il voyait que les États étaient obstinés àn’accorder aucun subside si on refusait leur demande. m , Rôles de recette et dépense , On finit par donner les rôles des revenus et dépenses de l’État. A leur première inspection, les députés les suspectèrent. Le domaine de Normandie et tous les revenus de la couronne, y compris les aides et gabelles, ne leur parurent point évalués à leur produit véritable. Ils trouvèrent qu’on avait beaucoup diminué la recette et grossi la dépense. Dans l’état des pensions, on n’y lisait que les noms de ceux qui les touchaient. On n’y avait spécifié aucune somme. Les députés, enflammés de colère, en firent de sanglants reproches aux généraux des finances, et résolurent de dénoncer ces faux états au roi. Pour trancher toute difficulté, on était d’avis de demander le rétablissement de ce qui se pratiquait sous Charles VII, la réduction des pensions et de toutes les dépenses tant ordinaires qu’extraordinaires. On prit l’arrêté suivant : « Nous offrons donc de payer à la royale majesté, en forme de don et octroi, la même somme que payait le royaume au glorieux roi Charles VII ; mais à condition que cette contribution n’aura lieu que pour deux ans , au bout desquels les Etats seront de nouveau assemblés ; et nous demandons que l’on fixe, par une déclaration irrévocable, le temps et le lieu de celte assemblée. » Il y eut de vives altercations aux conseils sur les offres des États. On ne pouvait les accepter sans faire des diminutions considérables sur les pensions, les gages et les offices. Les grands ne voulaient pas que ces retranchements tombassent sur eux. D’un autre côté, il paraissait difficile de faire changer aux États leur dernier arrêté. Le chancelier revint à l’assemblée, et témoigna aux députés qu’ils n’avaient plus à délibérer, mais à se soumettre à la volonté du roi. Ce discours fut suivi d’un morne silence, puis d’un murmure confus et de tous les indices d’un mécontentement général. On trouva que le discours du chancelier portait atteinte à la liberté nationale et au droit sacré de propriété. Si le roi pouvait, de son propre mouvement et sans le consentement des États, augmenter les impôts de 300,000 livres, il pourrait de même les doubler et les tripler. Au lieu de 755,000 livres auxquelles on avait évalué le domaine, en y comprenant les aides et gabelles, les députés, en se chargeant eux-mêmes de la régie, assuraient à l’État un revenu de 1,900,000 livres, avec lequel, et sans rien lever sur le peuple, on stipendierait la milice déjà existante, on payerait la dépense de la maison du roi, les gages des officiers, etc.; les comptes en devaient être rendus aux États assemblés, moyen �Introduction.] simple de se délivrer des officiers de finance qui absorbent une partie des revenus, de supprimer tes pensions et autres libéralités indiscrètes qui épuisent le trésor public. La nation de Paris déclara qu’etle s’en tiendrait à son premier arrêté, et que néanmoina elle payerait, pour une année seulement, sa part des 300,000 livres d’augmentation, pourvu toutefois que les autres nations y donnassent aussi leur consentement. La nation de Bourgogne déclara qu’elle ne prenait aucune part à l’affaire présente, et qu’en proposant de rétablir les impôts sur le pied où ils étaient sous Charles VII, elle n’avait pas entendu être comprise dans la distribution de 1,200 livres. Les quatre autres nations ne se départirent point de leur dernier arrêté. La cour ne savai t quel parti prendre. D’un côté , c’était compromettre l’autorité du roi en l’exposant à un refus absolu; d’un autre côté, il paraissait honteux aux princes de céder après s’être si fort avancés. On crut que le meilleur moyen était de corrompre les hommes les plus accrédités de chaque nation. On les mande à la cour, et l’on s’attache surtout aux députés de Normandie, à l’égard desquels on employa tour à tour les voies de la séduction et des menaces. Les députés de la Normandie répondirent que personne ne devait être surpris qu’ayant juré de défendre la cause du peuple, ils s’acquittassent de leur serment : que les tailles établies dans l’origine pour subvenir à un pressant besoin, et pour un temps limité, auraient dû cesser depuis la paix ; que le domaine de la couronne, pendant bien des siècles, avait suffi à toutes les charges du gouvernement; que l’impôt sur le sel et sur les boissons, accordé dans des moments critiques, avait été annexé au domaine de la couronne ; que le produit de ces impositions était passé entre les mains des particuliers par des concessions indiscrètes; que l'inapplication de quelques rois et leur profusion ayant épuisé la source des revenus publics, on avait imaginé les tailles qui ne sont pas bornées aune redevance fixe et certaine, mais qui dépendent uniquement du caprice de celui qui gouverne. Les gens du conseil furent irrités de ce discours. «. N’espérez pas, dirent-ils aux députés, nous en imposer par toutes vos ruses. Nous pénétrons votre dessein. Vous voulez rogner les ongles au roi et lui compter les morceaux. » On finit cependant par promettre d’avoir égard aux remontrances de ces députés, qui s’en retournèrent à Tours, et furent surpris de trouver fort avancée la négociation dont ils se croyaient seuls chargés. On avait effectivement usé des mêmes armes contre les députés des autres nations, qui s’étaient rendus sans beaucoup de résistance. [1™ Série, T. , ARCHIVES PARLEMENTAIRES. U» Série, T, 1er.] ARGHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Les articles concernant l’impôt furent rédigés dans la forme suivante : Pour subvenir aux frais de l’administration, et assurer la tranquillité du royaume, les gens des trois états accordent au roi, leur souverain seigneur, par manière de don et octroi, et non autrement, et sans qu’on puisse l’appeler taille, mais don et octroi, telle et semblable somme qui, du temps de Charles VII, était levée sur le royaume, et ce pour deux ans tant seulement, et non plus, à condition que cette somme sera répartie également sur toutes les provinces qui composent la monarchie. Outre cette première somme, les États accordent au roi 300, Q00 livres une fois payée, et sans tirer à conséquence, par manière de don et octroi, pour subvenir aux frais de son sacre, Les États demandaient en outre à faire eux-mêmes la répartition de ces deux sommes, et suppliaient le roi d’assembler les États dans deux ans, « car ils n’entendent pas, disaient-ils, que « dorénavant on impose aucune somme de deniers « sur le peuple, sans convoquer les États et avoir « obtenu leur consentement, conformément aux « libertés et privilèges du royaume. » La réponse du roi fut que les États eussent à faire le choix de leurs députés pour assister aux délibérations du conseil, touchant les matières contenues dans les cahiers. On forma trois bureaux; le premier pour la répartition de l’impôt. Chaque nation pouvait y envoyer quatre députés, et même plus. Le second, pour les matières ecclésiastiques. Tous les év.êques pouvaient y venir. Le roi devait y joindre quelques magistrats. Le troisième, pour les articles concernant la justice. Il devait être composé de huit conseillers, au choix du chancelier, et de deux députés de chaque nation. Les articles touchant la noblesse et le commerce devaient être examinés ensuite. L’affaire de l’Église fut agitée avec aigreur, et dégénéra presque en querelle personnelle. Le procureur général, qui avait eu ordre d’assister à cette conférence, y interposa son autorité, et menaça de traduire au Parlement quiconque s’opposerait au rétablissement de la pragmatique. Cette constitution précieuse ne fut point cependant rétablie. Le cardinal de La Balue arrivait de Rome avec deux ou trois chapeaux de cardinal en faveur de ceux qui auraient témoigné le plus de zèle pour le saint-siège. La pragmatique trouva de zélés contradicteurs dans tous les jeunes prélats qui ambitionnaient cette dignité étrangère. Elle ne trouva de partisans que dans le tiers état, dans la noblesse, le second ordre du clergé. On examina ensuite le chapitre concernant la justice et la police générale du royaume, 50 Le chancelier, sur chaque article, prenait l’avis de ses assesseurs. Dès que l’un d’eux formait quelque objection, le chancelier écrivait à la marge : Rejeté ou Renvoyé à un plus mûr examen. Si les députés voulaient y répondre, il les interrompait, en leur disant qu’ils avaient rempli leurs charges, que les États n’avaient à l’égard du roi que la voie de la représentation, et que désormais c’était au roi et à son conseil à juger de la légitimité de leurs demandes. Un des députés perdit patience et se leva de son siège : « Que faisons-nous? dit-il avec colère, Pourquoi nous a-t-on mandé ici, si l’on nous défend de parler? Nous ne nous attendions pas que l’on traiterait avec cette légèreté les représentants de la nation. Nous sommes témoins que vous n’avez rejeté tel et tel article que parce que vous ne l’avez pas entendu..» Cette fermeté en imposa au chancelier. Les députés parlèren t librement. On procéda avec plus de réserve à l’examen des édits. Dans le bureau de l’impôt, il y eut des débats plus vifs. La Normandie obtint surtout une diminution considérable. Mais on lui enjoignit de continuer à montrer beaucoup de chagrin et d’emportement, pour dérober la connaissance d« cette faveur particulière aux autres nations, qui se plaignirent moins fortement, parce que le fardeau de leurs impositions était proportionnellement moins onéreux. Disputes sur la taxe des députés. On agita ensuite sur qui devaient tomber les frais de l’assemblée qui durait depuis deux mois. Le tiers état prétendait que chaque ordre devait payer les siens. Le clergé et la noblesse soutenaient qu’ils devaient tous retomber sur le tiers état. La question fut portée devant le conseil. Un célèbre avocat de Troyes plaida la cause du peuple. Il prouva que les ecclésiastiques et les nobles étant venus solliciter la conservation de leurs droits et le rétablissement de leurs privilèges, il était naturel qu’ils y vinssent aux dépens de ceux qui les avaient envoyés ; que l’évêque de Poitiers lui-même, avant son départ, avait établi une taxe sur les abbés, prieurs et curés de son diocèse, pour subvenir aux frais de la députation. L’avocat de la noblesse démontra les services que. cet ordre et celui du clergé avaient rendus au tiers état dans l’assemblée, en défendant sa cause. Il cita l’exemple du Languedoc et de la Normandie, qui, tous les ans, avaient des assemblées d’États. Jamais le tiers état n’y avait refusé d’acquitter la taxe entière de tous les députés. Le chancelier donna gain de cause au clergé et à la noblesse, mais il les exhorta à ne point user de leur droit à/ la rigueur, et à consentir, pour cette fois seulement, sans tirer à confié- [ire Série, T., I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 60 quence, que la taxe fût également répartie sur les trois ordres. Nouveaux projets des États. Malgré les semences de division que la jalousie avait répandues lors de la répartition de l’impôt, les six nations se rapprochèrent. Elles se réunirent pour empêcher que la somme de 300,000 livres, accordée pour une année seulement, ne s’incorporât avec celle de 1 ,200,000 qui devait durer jusqu’à la prochaine convocation des États. Elles proposèrent ensuite de supprimer les élus et les receveurs particuliers. Enfin, toutes les provinces voulaient se former en pays d’État, à l’exemple du Languedoc et de la Normandie. * Le chancelier, informé de ces délibérations, pressa Ig fin de cette assemblée, qui se termina le 5 mars. Les députés restèrent encore quelques jours assemblés, pour mettre la dernière main à la répartition de l’impôt, et solliciter des règlements relatifs à chaque province en particulier. Ils se Séparèrent tous le 14 mars, contents de ce qu’ils avaient obtenu, et renvoyèrent à un autre temps la discussion de quelques objets dont ils s’étaient aperçus trop tard. Ainsi se termina cette célèbre assemblée qui avait paru si formidable à l’autorité royale. Les princes, qui l’avaient demandée, n’en retirèrent aucun avantage réel. Madame de Beaujeu triomphait ; mais, loin d’insulter à la disgrâce de ses rivaux , elle n’oublia rien pour les consoler. Depuis le commencement de la monarchie, jamais la nation ne s’était occupée de si grands intérêts, et n’avait parlé avec tant de liberté. Les règlements, d'ailleurs, émanés de ces États généraux, forment encore aujourd’hui la partie la plus considérable de notre droit public. ÉTATS-GÉNÉRAUX DE 1558, TENUS A PARIS SOUS HENRI II. Henri II, à son avènement au trône, s’était trouvé malgré lui engagé dans des guerres difficiles, tant contre les Anglais, qui voulaient s’emparer de Boulogne, que contre Gharles-Quint, qui voulait abattre la monarchie. Il avait fallu entretenir des flottes nombreuses et des armées considérables. Les revenus de l’État, avec quelque économie qu’ils fussent administrés, ne suffisaient pas à l’énormité de ces dépenses extraordinaires. On avait vendu ou aliéné presque tous les domaines de la couronne. On avait haussé la taille. On espérait que la trêve de cinq ans, qu’on venait de conclure, mettrait le roi à portée de soulager le peuple du fardeau accablant des impositions. Cette trêve n’était qu’un nouvel artifice de l’ennemi. Il fallait le combattre, ou acheter la paix à des conditions bien humiliantes. Les États généraux furent convoqués à Paris, le 5 janvier, pour aviser aux moyens de procurer au roi des secours extraordinaires. Cette assemblée ne fut point précédée d’États provinciaux pour procéder aux choix des députés, et préparer la matière des cahiers de doléances. Le temps et les circonstances ne comportaient pas ces lenteurs. Il n’y parut, pour l’ordre du clergé, que des archevêques et des évêques; pour la noblesse, que des sénéchaux et des baillis ; pour le tiers état, que les maires et les échevins. On y appela les premiers présidents de tous les parlements et les gens du roi, dont on forma un quatrième ordre, sous le titre d’J État de la justice , et qui eut'rang avant celui du peuple. Le roi promit de diminuer considérablement la taille pour l’année suivante, et de supprimer entièrement tous les droits d’entrée, de sortie et de passage sur les denrées et les marchandises, afin d’encourager le commerce. On accorda au roi 3 millions d’écus d’or qu’il demandait. Le clergé lui seul offrait d’en payer un million, en guise de don gratuit, outre les décimes ordinaires. Les trois autres ordres se chargeaient du reste. Le roi s’engageait à le leur rembourser, et à leur en faire, en attendant, la renie au denier douze. Cette somme devait être répartie proportionnellement sur les différents hôtels de ville, en laissant aux officiers municipaux qu’on en rendait garants le soin d’en faire l’assiette sur les principaux bourgeois. Les États supplièrent le roi, si cette somme ne suffisait pas à l’exécution de ses projets, de les assembler hardiment, et lui en promirent de nouvelles. Dans leurs cahiers de doléances, ils insistaient sur les réformes les plus urgentes. Les circonstances, sans doute, ne permirent pas de s’en occuper. On ne voit pas du moins qu’il en soit rien résulté, sinon un édit qui réduisait les poids et mesures de tout le royaume aux poids et mesures de Paris. Ce règlement même, tout favorable qu’il paraît au commerce d’une grande nation, souffrait apparemment de grandes difficultés dans la pratique. Le Parlement ne l’enregistra qu’en se réservant de les mettre sous les yeux du roi, et d’entendre tous ceux qui croiraient avoir à s’en plaindre. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1560, TENUS A ORLÉANS, DURANT LA MINORITÉ DE CHARLES IX. Malgré tous les retranchements que le roi avait faits dans sa maison, les revenus de l’État ne suffisaient pas encore pour en acquitter les charges. Les dépenses du dernier règne avaient été excessives. Le crédit était anéanti, le commerce abattu, l’agriculture abandonnée. Tout était dans le plus grand désordre. On ne pouvait imposer sur [lre Série, T. Ier. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] le peuple sans risquer d'exciter un soulèvement général: ' • Si, pour éviter cet inconvénient, disait�on à la cour, on assemblait les États généraux, cette démarche tardive ne tournerait-elle pas contre le gouvernement ? Quel gré saurait-on aux ministres d’avoir accédé à une demande qu’ils avaient constamment rejetée depuis plus d’un an ? Était-il certain que, dans la fermentation des esprits, cette grande assemblée procurât aucun bien ? Les trois ordres ne demandèraient-ils point l’abrogation du concordat, le rétablissement de la pragmatique et la suppression des annates ? Le clergé ne voudrait-il pas s’affranchir des décimes, le peuple du taillon et des gabelles ? Tous se plaindraient de la déprédation des finances sous le feu roi, s’en prendraient à ceux qui avaient eu part à l’administration, et attenteraient à l’autorité royale. A ces désordres se joignaient encore les troubles de religion qui croissaient de jour en jour. Les protestants demandaient la liberté de conscience, l’exercice public de leur religion, des temples et des revenus pour leurs ministres. On prit le parti de convoquer un conseil extraordinaire composé des princes du sang, des grands officiers de la couronne, d’un grand nombre de notables. Il y fut arrêté, à la pluralité des voix, que l’on convoquerait les États généraux à Meaux le 10 décembre, et un concile national le 20 janvier suivant. François II meurt le 5 décembre; Charles IX lui succède : mineur incapable de régner par lui-même, il fit écrire à tous les parlements pour leur déclarer qu’il avait mis les rênes du gouvernement entre les mains de Catherine, sa mère. Catherine n’était point entièrement rassurée à l’approche des États généraux. Les députés ne se croiraient-ils pas suffisamment autorisés à disposer de la régence, ou obligés à consulter leurs commettants sur un cas qui n’avait été omis dans leurs instructions que parce qu’il avait été impossible de le prévoir? Ce qui s’était passé sous le dernier règne ne permettait pas de douter des principes et de la disposition des réformés à cet égard. Dans la fameuse consultation qui avait servi de fondement à la conjuration d’Amboise, ils avaient décidé que toutes les fois qu’un roi est notoirement dans l’impuissance de gouverner par lui-même, c’est à la nation seule, conjointement avec les princes du sang, magistrats nés du royaume, qu’il appartient de disposer des charges principales, et de régler la forme de l’administration. Les Guise, partisans de la reine mère, avaient employé tout leur crédit et celui de leurs amis dans les assemblées provinciales, pour exclure les réformés, et ne faire nommer pour députés que des catholiques. Cependant ils n’avaient pas également réussi partout. Dans quelques sénéchaussées, les brigues avaient été si fortes qu’on s’était séparé sans procéder à l’élection. Dans d’autres, les réformés avaient prévalu. L’ouverture des États eut lieu le 13 décembre. Cette première séance fut consacrée à entendre les différents discours, et notamment celui du chancelier. Sa harangue fut trouvée noble et éloquente. 11 exhortait les partisans des deux communions à la paix et à la concorde. Il établissait les avantages et le pouvoir des États généraux, et engageait les députés à travailler à la réforme du gouvernement. Ils se rassemblèrent le lendemain. Mésintelligence entre les trois ordres . Mais, au lieu de se réunir tous aux Cordeliers, comme on le leur avait enjoint, la noblesse et le tiers état se retirèrent l’une aux Jacobins, l’autre aux Carmes. Le clergé, sans paraître s’apercevoir de cette marque de mépris, procéda au choix d’un orateur pour l’assemblée. Le cardinal de Lorraine fut élu d’une voix unanime. On envoya quelques députés le proposer à la noblesse et au tiers état. Innovation dans le choix d’un orateur. Ces deux ordres le refusèrent et répondirent qu’ils avaient chez eux des hommes en état de remplir dignement ce ministère. Le cardinal, piqué de ne pas être l’organe de la nation, refusa l’honneur qu’on lui avait conféré. On en choisit un autre; et le clergé, qui jouissait du privilège exclusif de fournir un orateur à la nation assemblée, dissimula encore le chagrin que lui causait cette innovation. Pratique des Châtillon pour faire déférer la régence au roi de Navarre. Les promoteurs de la nouvelle religion, assurés de la rendre dominante s’ils parvenaient à faire déférer la régence au roi de Navarre, y'travail-lèrent avec chaleur. Pour vaincre la résistance du clergé, ils avaient réussi à séparer les deux autres ordres; et pour les entretenir dans cette division, on leur montrait que c’était l’unique moyen de faire retomber sur le clergé seul la contribution que le gouvernement demandait. On leur parlait des droits de la Navarre dont ils étaient dépositaires, et sur lesquels ils ne pouvaient se relâcher sans se couvrir d’infamie. Le plus sacré de ces privilèges consistait à former le conseil de la régence et à régler la forme de l’administration dans un temps de minorité. Catherine, avertie de ces menées, fit arrêter au conseil un règlement qui lui attribuait la connaissance de l’administration civile et militaire, associait à son pouvoir le roi de Navarre, et subordonnait toutes les opérations à l’avis du conseil, [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 62 dans lequel oii comptait beaucoup d’ecclésiastiques et de personnes qui, sous ie dernier règne, avaient encouru l’indignation publique. Altercation et partage que cette prétention excite. Ce règlement fut approuvé par le clergé. 11 n’excita que des murmures parmi la noblesse, où il se forma deux partis. Les uns soutenaient que de tous temps la régence avait appartenu aux mères ; que le roi de Navarre ne se plaignant de rien, c’était le cas d’adopter une décision qui conciliait tous les intérêts, et que l’on pouvait relever tous les abus d’autorité commis sous le dernier règne, sans attaquer directement ceux qui formaient le conseil. Schisme et protestation d'une partie de la noblesse. Les autres se plaignaient que le conseil de la régence eût été établi sur l’avis des États, qui l’avaient déférée à Philippe de Valois, en 1327; au duc d’Anjou, pendant la minorité de Charles VI, et qui, sous celle de Charles VII, coopérèrent, avecles princes du sang, à la formation du conseil d’Etat. Ils se plaignaient de voir admettre au conseil des ecclésiastiques, lorsqu’on blâmait leur relâchement, et qu’on leur enjoignait la résidence. Ils s’indignaient de voir à la tête des affaires des hommes que la voix publique accusait d’être la première cause de tous les troubles. Ils se déterminèrent enfin à déclarer le règlement attentatoire aux droits de la nation, et présentèrent. une requête au roi pour le supplier de suspendre les délibérations des États actuellement assemblés, ou de les congédier, pour, en convoquer de nouveaux, afin que les députés pussent se procurer de nouvelles instructions. Le roi de Navarre n’ignorait point la part qu’il avait dans la démarche des députés. Il était chargé de porter la requête au roi ; il la porta, mais ne l’appuya point. Il avait eu la faiblesse de signer une renonciation formelle à toute prétention à la régence. La requête fut rejetée ; mais la noblesse dissidente en présenta une seconde, et notifia à tous les autres députés généralement son opposition à toute délibération ultérieure, eu les menaçant de les dénoncer à la nation comme violateurs de ses droits. Elle se rendit ensuite en corps chez la reine mère, qui lui répondit qu’en qualité de députés, ' ils étaient chargés des plaintes de leurs bailliages, et qu’aprês qu’ils auraient présenté leurs cahiers de doléances, on ne leur refusait pas, s’il en était besoin, d’assembler de nouveaux États. En délibérant sur cette réponse, ils convinrent de présenter leur cahier informe, et tel qu’il avait été arrêté dans les États. provinciaux, pour être offert à François II. Nouvelles dissensions dans la noblesse, sur le traitement qu'on devait faire aux réformés. On passa à la discussion dans la noblesse; il s’y forma quatre partis. L’un demandait la conservation de l’ancien culte dans son intégrité, et l’exécution des ordonnances centre les sectaires. L’autre consentait bien à ce qu’on usât rigoureusement envers les novateurs , mais qu’on ôtât la peine de mort. Celui-ci demandait une tolérance entière et l’abolition de toutes les procédures commencées contre eux. Celui-là, en accordant l’oubli du passé, voulait qu’on y ajoutât un état civil des temples, ou au moins le droit à tout gentilhomme d’en élever dans son fief. Dans ce conflit d’opinions, le chancelier crut n’avoir d’autre parti à prendre que de faire ordonner la prompte confection de tous les cahiers, et que, s’il y avait partage dans le même ordre, chaque député. signât le cahier qu’il avait adopté. Présentation des cahiers. Les cahiers furentprésentés au roi le 1er janvier. Aucun des orateurs des trois ordres ne se montra digne de l’honneur qui lui avait été déféré. Celui du clergé se déchaîna vivement contre la noblesse, et s’emporta jusqu’à désigner l’amiral de Coligny, qui endemanda une réparation authentique. L’orateur fut obligé de se rétracter dans son discours de clôture, „ Cahier du clergé. Le clergé ne dissimulait point le relâchement de la discipline, fondé en partie sur la longue inter-mission des conciles, sur le mauvais choix des pasteurs. Il insista sur le rétablissement des élections qui, en laissant au roi la liberté du choix, laisserait au peuple la faculté de n’élire que des personnages éclairés et intègres. Il se plaignait des entreprises de la justice civile sur la juridiction ecclésiastique. . Il demandait l’abolition de la vénalité des charges, la réduction des offices, la suppression des lettres d’évocation et des commissions extraordinaires. Il sollicitait un établissement de petites écoles dans les bourgs et.. villages, Il porta ensuite ses regards sur la formation du conseil, et la libération des dettes de l’État, Sur le premier objet, il engagea la reine mère à suivre les avis du roi de Navarre et des autres princes qu’elle avait appelés près d’elle. Sur le second article, il représenta que le peuple ne pouvait payer aucun secours extraordinaire , et que les moyens de subvenir aux besoins de l’État consistaient dans la réduction des pen- [1*« Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sions et des gages, dans la suppression d’un nombre incroyable d’offices de tout genre, et surtout de finances, des receveurs généraux et particuliers, trésoriers, payeurs et contrôleurs, qui absorbaient à eux seuls le tiers des revenus de l’État ; en un mot, dans le retranchement absolu de tous dons, de toute magnificence et de toute dépense inutile. Cahier de la noblesse (1). La noblesse demandait des États particuliers tous les cinq ans, pour chaque province des États généraux tous les dix ans, et pendant cet intervalle, une commission permanente pour mettre sous les yeux du roi des objets qui exigeaient une prompte résolution. Elle demandait la convocation d’un concile national, la forme primitive des élections pour les évêques, des assemblées provinciales pour juger les ecclésiastiques ignorants ; De nouveaux règlements sur le service de l’arrière-ban ; La suppression des offices des eaux et forêts, des élections, des greniers à sel, qui seraient suppléés paroles justices royales ordinaires ; L’abréviation des procès, une suppression dans le nombre des procureurs, celle des receveurs des tailles et autres impositions, qui seraient remplacées par les officiers des hôtels de ville, chargés alors de faire passer les deniers à leur destination, Bile demandait en outre un établissement d’école gratuite pour les pauvres ; d’hôpitaux et d’ateliers de charité pour les mendiants infirmes et valides ; la suppression des fêtes, qui ôtaient aux ouvriers le moyen de faire subsister leurs familles, Cahiers du tiers état. Le tiers état proposait au roi la ccoiivocation d’un concile national et le rétablissement de la forme primitive des élections. Il se plaignait des vexations que les seigneurs faisaient éprouver aux gens de la campagne. ,11 sollicitait les mêmes réformes, que les deux autres ordres pour l’administration de la justice. Il insistait sur la réduction des pensions, sur le retranchement des dépenses inutiles, sur l’examen des comptes, et de l’emploi des deniers sous les troisderniers règnes, sur l’abolition de la taille établie pour les besoins de la guerre, ou du moins sur la réduction au taux où elle était sous Louis XII. 11 demandait la liberté indéfinie du commerce, soit par mer, soit par terre, la suppression des traités forains et autres nouveaux péages, (2). (1) La scission survenue dans la noblesse, fit qu’il y eut plusieurs cahiers ; mais leurs demandes à peu de chose près, étaient les mêmes. C’est pour les présenter toutes sous un même point de vue, que j’ai cru devoir les réunir toutes. (2) Plusieurs villes qui avaient obtenu des octrois sur les nouveaux., droits, formèrent opposition sur ces nouveaux péages. 6â Il finissait par demander la convocation des États tous les cinq ans, et d’assigner dès ce moment le jour et le lieu de la prochaine tenue. Telles furent les demandes des trois ordres. Mais on voit que, loin de se prêter au secours extraordinaire qu’on leur demandait, les députés firent entendre que les domaines du roi, bien administrés, suffisaient pour faire face à tout. Catherine parut entrer dans ces vues économiques ; et pour se faire un mérite aux yeux de la nation, elle proposa au conseil l’examen des dépenses et des réductions dont les différentes branches de l’administration pourraient être susceptibles. On dressa les états de recette et de dépense. Les députés les dépouillèrent avec le plus grand soin. Alors on reconnut les aliénations des domaines, aides et gabelles, les emprunts excessifs, mal employés, les anticipations énormes et les déprédations de toute espèce. Loin de songer à se libérer, l’État ne pouvait même faire face aux engagements plus sacrés. Les trois ordres, également embarrassés, se réunirent pour répondre que, députés par les États provinciaux pour donner leur avis sur les troubles de religion, ils se trouvaient sans qualité pour délibérer sur la manière des subsides, et encore moins pour contracter aucune obligation ; que tout ce qu’ils pouvaient faire était de communiquer aux États provinciaux, si le roi jugeait à propos de les assembler de nouveau, les pièces qui constataient la situation déplorable des finances. La clôture des États fut fixée au 31 janvier. Le roi demandait que le clergé, qui possédait de grands biens dans ce royaume, se chargeât, pour son contingent, de racheter, sinon tout à la fois, au moins dans le terme de six années, et l’aliénation du domaine, des aides et des gabelles, ce qui formait environ 15 millions. Il ne demandait rien à la noblesse, qui, dans les dernières guerres, avait engagé une partie de son bien pour la défense de l’État ; mais il désirait l’établissement d’un nouveau droit sur quelque denrée, tel que celui de 15 livres sur chaque muid de sel dans les pays de gabelles, et celui du quart, ou autre équivalent, dans les provinces exemptes : impôt indirect qui, sur les trois ordres % serait presque insensible pour la noblesse. Quant au tiers état, on lui demandaitune nouvelle crue sur la taille, ou un nouveau droit sur les boissons, pour six ans seulement, et à la charge que la perception s’en ferait par les officiers municipaux. Le roi s’obligeait par serment, les dettes une fois acquittées, d -entre tenir sa maison du produit de ses domaines, et de se contenter, pour les dépenses de l’État, des subsides accordés sous Louis XII. Mais d’après l’assertion des députés, qu’ils étaient • incompétents pour rien conclure sur cette matière, [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 64 le roi les convoqua de nouveau à Melun, pour le 1er mai, en leur annonçant que l’élection des députés ne se ferait point par bailliage, pour éviter les frais, mais par gouvernements, et que chacun des gouvernements y enverrait trois députés. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1561, A PONTOISE, SOUS CHARLES IX. Quoique le règlement sur l’administration de l’État n’eût pas eu tout le succès dont Catherine s’était flattée, il avait néanmoins été approuvé par l’ordre entier du clergé, par une partie considérable de la noblesse, implicitement par le tiers état. Elle conservait l’exercice de la suprême autorité, ce qui lui donnait sur le roi de Navarre, son rival, un avantage considérable. Cependant elle ne dissimulait pas qu’il lui serait bien difficile d’empêcher que l'affaire de la régence ne fût mise en délibération, tant aux États provinciaux, qu’aux États généraux indiqués au mois de mai. Elle espérait seulement s’y accorder la supériorité par le moyen des grâces dont elle était restée seule distributrice, et c’est dans cette vue qu’elle avait désiré qu’ils fussent peu nombreux. Ceux dont elle avait le plus à redouter la puissance étaient le roi de Navarre, l’amiral de Coli-gny, le maréchal de Montmorency et les Ghâtillon. Ils avaient formé entre eux le complot, ou de faire chasser le duc de Guise de la cour, ou de priver la reine mère de son autorité ; mais la reine ne voulut jamais sacrifier son favori, et le roi de Navarre n’épargna rien pour se venger de son refus. Déjà les États de Paris étaient composés pres-qu’en partie, par les menées du maréchal de Montmorency, de réformés et de personnes qui avaient à se plainde de l’ancien gouvernement. On avait arrêté que la reine mère conserverait la tutelle de ses enfants, que la régence serait conférée au roi de Navarre, et, en son absence, au prince de Condé ; que le conseil d’administration serait fermé à tout ecclésiastique’ ; que les Guise en seraient exclus ; qu’il ne serait composé que des princes, des grands officiers de la couronne, et des notables choisis parles États généraux; qu’avant de payer les dettes du roi, on révoquerait tous les dons faits par Henri II à ses courtisans ; tfu’on les appliquerait au payement de la dette, et que le surplus serait acquitté sur les biens du clergé. Catherine, par cette résolution de la province la mqins orageuse, comprit bien ce qu’elle avait à craindre, si elle laissait aux États généraux la liberté (le décider sur son sort; elle aima mieux entrer en partage que de risquer à perdre le tout; elle négocia et fit une transaction avec le roi de Navarre, par laquelle elle le nomma lieutenant général du royaume, et consentit à partager avec lui la suprême autorité. Pour se donner le temps de gagner ses autres ennemis, elle eut l’adresse de faire remettre au 1er août les États qui devaient se tenir au 1er mai. Le roi cassa en effet tout ce qui s’était fait dans 1’assemblée de Paris, et indiqua les États généraux pour le 1er août. Le clergé devait se rendre à Poissy; les deux autres ordres, à Pontoise. Le roi, dans les lettres patentes, déclarait que c’était pour donner aux députés le temps de se procurer de nouvelles instructions, parce que quelques États provinciaux, laissant de côté l’objet principal, avaient discuté sur la formation d’un conseil, lorsqu’ils n’avaient été appelés que pour travailler à la liquidation des dettes du royaume. Le roi se rendit à Poissy, et ouvrit les États pour le clergé. Le chancelier annonça que l’assemblée devait borner ses efforts à retrancher les abus qui s’étaient glissés dans la discipline ecclésiastique, et à ne s’occuper d’aucun dogme, dont la connaissance appartenait au concile général. Le même jour, le roi alla ouvrir les États à Pontoise. Les deux ordres n’étaient composés que de vingl-six députés, treize pour la noblesse, treize pour le tiers état. Leur premier soin fut d’assurer le fruit des réformes proposées aux États d’Orléans. Elles avaient été discutées dans le conseil, et presque toutes accordées avant leur séparation. Au lieu de les publier sur-le-champ dans -leur forme primitive, le chancelier en avait extrait la substance et formé une loi générale pour le royaume. Il l’adressa au Parlement. Les députés des deux ordres, craignant les longueurs de l’enregistrement, déclarèrent que, conformément à leurs instructions, ils surseoiraient à toute délibération, jusqu’à ce qu’on leur eût donné une pleine satisfaction sur cet objet. L’enregistrement de cette ordonnance occasionna des débats très-vifs. L’ordonnance fut vérifiée. On supprima, on éclaircit, on modifia plusieurs articles ; elle fut enfin enregistrée et publiée. Les deux ordres assemblés à Pontoise n’avaient plus de prétexte pour s’opposer aux demandes du gouvernement. Mais il y avait un autre point auquel ils tenaient encore davantage. C’était la défense, portée dans les lettres patentes pour la convocation des États, de se mêler du fait de la régence et de la formation du conseil. Elle n’avait pas été observée. Les députés se disaient astreints par leurs instructions à revendiquer, avant tout, l’exercice des droits précieux à la nation. La reine mère ne s’y opposa plus. Elle leur envoya seulement le dernier ac'cord passé entre [lw Série; T. I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] elle et le roi de Navarre : et d’ailleurs qu’avait-elle à craindre? Elle ne -se conduisit plus que par les conseils des Châtillon et des Golignv, ces chefs eux-mêmes de la religion réformée, qui, dans les États d’Orléans, avaient si fort influé sur l’opposition des députés à la formation du conseil, mais qui, depuis, favorisés par la reine, en secondaient tous les desseins ambitieux. Les délibérations des deux ordres roulèrent sur trois objets principaux : la formation du conseil, la pacification des troubles de religion, et la liquidation des dettes. Sur le premier article, ils ratifièrent le dernier accord passé entre la reine mère et le roi de Navarre, sauf toutefois le droit des princes et des . États généraux, si le cas se représentait. Ils éloignèrent du conseil les cardinaux , les évêques et princes étrangers. Ils statuèrent que lorsqu’un roi serait notoirement incapable de régner par lui-même , le plus proche prince du sang serait tenu de convoquer les États généraux, sous trois mois, à peine d’être réputé traître au roi et à la nation ; et qu’à l’expiration des trois mois sans convocation, chaque bailliage ou sénéchaussée procéderait au choix des députés qui s’assembleraient le 15 du quatrième mois, à Paris, pour composer un conseil de régence et régler l’administration du royaume. Ils demandèrent aussi que le3 États fussent convoqués pour régler l’apanage des fils de France. Ils interdirent à la reine mère et au conseil d’administration le droit de rompre les derniers traités de paix, et d’engager la nation dans aucune guerre, si les États généraux n’en avaient approuvé les motifs. Le tiers état demanda simplement que les États fussent assemblés tous les deux ans, et que ce fût une règle fixe et invariable. Sur les faits de la religion, on conclut à une entière tolérance. Quant aux dettes de l’État, les députés exigèrent des comptes plus détaillés et plus authentiques que ceux présentés aux États d’Orléans. Persuadés que la plus grande partie des sommes levées sur le peuple, sous François Ier, ou n’était pas même entrée dans les coffres du roi, ou avait ôté distraite du service public, ils demandèrent l’établissement d’une commission pour l’examen des comptes. Après avoir diminué la dette par la rentrée des sommes répétées sur les anciens administrateurs, et par la réduction de toutes les dépenses inutiles, la noblesse proposa de partager le résidu en trois parts. Les deux premièrés, comprenant les rentes constituées sur l’hôtel de ville et les emprunts sur la banque, seraient acquittés par le clergé, qui vendrait une partie proportionnelle de tout bénéfice excédant 400 livres. lre Série, T. 1er. «8 La troisième portion devait être acquittée par le peuple, en répartissant une partie sur les financiers et officiers inférieurs de justice; la seconde, sur les bourgeois des villes closes ; la troisième, sur les gros bourgs et ies menus propriétaires, eu leur permettant d’imposer les ecclésiastiques non nobles à raison de leurs biens patrimoniaux. A dater du jour de cette répartition, les tailles et autres impôts devaient être ramenés au terme où ils étaient sous Louis XII. Le tiers état proposa d’acquitter une partie de la dette, en appliquant à son remboursement les répétitions faites sur les anciens ministres des finances, et les dons extorqués par d’insatiables favoris à un monarque facile et inappliqué. Pour acquitter le reste, il présentait deux.plans. Le premier consistait : 1° A saisir au profit du roi les revenus de tous les bénéfices dont les titulaires ne résideraient pas sur le lieu; 2°  déclarer le roi héritier de tous les évêques, abbés, prieurs et simples religieux; 3° A lever sur tous les bénéfices au-dessous de 500 livres trois décimes; sur ceux qui excéderaient cette somme, un quart; sur ceux de 1,000 livres, un tiers; au-dessus de 3,000 livres, la moitié; au-dessus de 6,000 livres, les deux tiers. A l’égard des archevêques, évêques et cardinaux, on leur donnerait, aux premiers un revenu de 6,000 livres, aux seconds de 8,000, et aux troisièmes de 12,000, en appliquant le surplus aux besoins de l’État. Quant aux autres maisons religieuses, on pensait que le roi pouvait s’emparer de leurs épargnes et de leurs biens, en leur laissant une somme nécessaire pour leur modique entretien. Le second plan consistait à ne laisser pour toutp propriété foncière , aux ecclésiastiques, qu’une maison dans le parvis de leur église. On proposait de mettre à l’encan tous les autres revenus temporels. Le clergé comprit bien que les deux autres ordres travaillaient à se décharger sur lui dufaiv deau de la dette publique, et lp devina. d’autant plus aisément, que deux mois auparavant ôn avait demandé aux évêques et aux chapitres une déclaration de tous leurs biens, sous prétexte de remédier aux injustices qui se commettaient dans la distribution des décimes. A là différence des deux autres ordres, le clergé ne refusait point de se charger du tiers delà dette publique, pourvu qu’on lui accordât le temps nécessaire pour l’acquitter par ses économies, et qu’on n’exigéât pas Son consentement à l'aliénation de biens dont il n’était que le dépositaire. D’après les recherches les plus exactes pour s’assurer de la valeur réelle des biens de chaque diocèse, et dé ce qui devait en être prélevé pour assurer une hîodique subsistance aux ministres [1* Sérié, T. 1er.] ARCHIVES PAftLËMÈWÂlHES. flniroetaetioa.] 68 dis âtttêls, les députés du clergé s’obligèrent d’éteindre chape année Un capital de 1,600,000 li-vrçs, ce pi ne retarderait la libération totale des dotMinés dU roi que de quelques années; mais aux conditions qu’ils en feraient la perception, la répartition et l’emploi, et qu’aucun bénéficier, même les Chevaliers de Malte , n’en serait iXéffipt; L’offre du Clergé fut acceptée, et le contrat rédigé le 21 octobre. Catherine éprouva moins de docilité de la part dés deux autres Ordres. Ses émissaires leur représentaient combien il était intéressant pour les partisans de la réforme de ne pas aliéner par un refus l’esprit de la reine, qui penchait entièrement de leur côté, promettait d’abroger l’édit de juillet, et d’accorder le libre exercice de la nouvelle religion. Ces motifs portèrent la noblesse et le tiers état à consentir à l’établissement d’un nouveau droit m lés boissons, dont le produit annuel fût évalué à 1,200,000 livres, et qui, par sa nature, retombait encore sür le clergé. ÊÏAtS GÉNÉRAUX Ï)Ë 1576, TENÜS A BLOIS, SOUS HENRI LU. Ce sont les huguenots qui avaient instamment deniaUdê Ces Étals généraux. Ils croyaient qu’ils y seraient les plus forts comme ils l’avaient été à Cettx d’Orléans. Ils comptaient qu’outre les députés de leur religion et de leur faction, ils y auraient encore ceux que la faveur du düc d’Ànjoü et les ertttèmis dü gouvernement présent y pourraient introduire. Ils ignoraient qu’on avait détaché d’eux le duc d’Anjou, et ils ne considéraient pointqu’ils n’àvaiént plus leur amiral de Goligny, ce puissant gèhié qui faisait mouvoir, au besoin, des ressorts inconnus et merveilleux, ni cet esprit d’u-fli'oti, sans lequel les grands projets ne peuvent réussir. Aussi ne fut-il. pas. difficile à la reine et aux Guise, en semant dans, les provinces l’argent que les maltôtiers italiens fournirent volontiers, parce qu’ils craignaient la recherche de leurs déprédations dans les États, de faire élire des députés à leur choix, et dresser les cahiers-suivant les mémoires secrets qu’ils envoyèrent dans les provinces : tellement qu’on, disait tout haulqu’ilue fallait plus garder la foi aux huguenots, mais rompre l’édit qu’ils avaient extorqué. . .. ....... . À .la; mi-novembre, la, plupârt deq. dépariés.. sé trouvèrent à.Blois. Ils élurent Ipurs présidents. Ils employèrent le reste du mois à communiquer leurs séances,! à s’entre-communiquer en substance le contenu de leurs cahiers; après quoi les. gouvernements furent appelés selon, leur, rangi.. Là première séance se tint jja.fi . décembre dans la grande salle du château. Le roi exposa dans soit discours lès malheurs de l’État, ses profondes blessures, et le. besoin qu’il avait d’en être guéri. Il leur protesta que le rétablissement de l’ordre était l’objét de ses désirs, et les exhorta â se réunir à lui pour consommer cet ouvrage. 11 leur assura, parole de roi, qu’il ferait invariablement observer tous les règlements qui seraient faits en cette assemblée, et qu’il ne dispenserait personne de leur exacte observance. Le discours du chancelier fut trouvé ennuyeux et ridicule. Après s’être excusé sur sa vieillesse et sur l'ignorance où il était du gouvernement français, comme étranger, il discourut longuement sur la puissance du roi, fatigua tout le monde des louanges de la reine mère, et conclut par demander de l’argent; mais on n’y était guère disposé. Les sentiments des États ne s’accommodèrent ni aux intentions du roi, rii aux espérances des .huguenots. Dans ces assemblées, il y en a toujours quelques-uns qui rappellent aux autres les droits anciens et naturels du peuple, contre lesquels ils ne peuvent croire qu’il y ait prescription. Ceux-là obligèrent le président du clergé à demander au roi la ratification de tous les points résolus par les trois ordres ; le roi s’imagina que cela se faisait par l’impulsion des auteurs de la Ligue, qui désiraient donner une partie de son autorité aux États, afin de la reprendre de leurs mains. Le roi voyant que les États s’échauffaient beaucoup sur le fait de la religion, qu’ils étaient près de lui demander un chef pour la Ligue, et même de lui en nommer un, qui, sans doute, eût été le duc de Guise, il le voulut être lui-même, la signa de ses propres mains, la fit signer à tous les grands, l’envoya dans Paris et dans les provinces, avec ordre à toutes personnes d’en faire autant. Voilà comme de roi, il devint chef de cabale, et de père commun, l’ennemi de ses sujets. Les plus véhéments pressaient fort la révocation de l’édit, et demandaient la guerre. Les évêques, d’accord avec les premiers, demandaient la publication du concile de Trente. On s’opposa à ce dernier point : d’autres protestèrent de nullité, si l’on révoquait l’édit de pacification. Peu après, les États ayant supplié le roi de. lie souffrir d’autre religion que la catholique, il répondit clairement que c’était sou intention; qu’ils voulait que ses sujets fussent avertis de n’ajouter aucune foi à ce qu’il pourrait dire ou faire au contraire, et que, s’il était réduit à ce point là, il ne tiendrait son serment que jusqu’à ce qu’il eût les forces et l'occasion de le rompre. Les députés des huguenots, étonnés de ces paroles et de la résolution des États, protestèrent contre. La plupart même se retirèrent de Blois, et allèrent porter l’alarme dans la Rochelle et dans le Languedoc. Leroi craignait cependantde perdre son repos et [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PA d’augmenter le pouvoir des Guise, il voulut que les États envoyassent vers les deux princes et vers Damville pour les inviter à se rendre à rassemblée. Cependant, pour n’avoir point a s’imputer à lui seul la guerre qui allait commencer, il désira prendre par écrit l’avis des plus grands seigneurs, de ses principaux conseillers. Ils conclurent tous qu’elle était juste et nécessaire, non pas qu’ils crussent ainsi, mais parce qu’iis pensaient que c’était son désir delà faire, ou du moins . d’en feindre l’envie, afin de tirer de l’argent des États. Il demandait deux millions pour les frais de cette guerre; et les favoris firent jouer tous les ressorts imaginables pour faire réussir cette demande. Le tiers état, qui savait bien devoir payer pour tous, ne voulut jamais y consentir, non plus qu’à l’aliénation du domaine. Bodin, sur cette question, remontra avec énergie que le fonds du domaine appartenait aux provinces, et que le roi n’en était que l’usufruitier. Il persuada tellement l’assemblée, que l’on répondit à Bellièvre, que le roi y avait député pour cela, que le droit commun et les lois fondamentales du royaume rendaient la chose absolument impossible. C’est dans cet état de choses qui se tint la seconde séance, le 17 janvier. Les orateurs du clergé et de la noblesse commencèrent leurs discours à genoux, leurs députés étant debout et découverts : mais, au bout de quelques phrases, les orateurs se levèrent et leurs députés s’assirent et se couvrirent. L’orateur du tiers état avait été traité de même aux états d’Orléans ; mais cette fois, on le laissa près d’une demi-heure à genoux et ses députés toujours debout et nu-tête. On avait chargé ce dernier de supplier le roi de réunir tous ses sujets dans la religion catholique sans aucun moyen violent ; de demander absolument l’éiection des bénéfices, sans en rien remettre à la volonté du roi ; de toucher fortement la mauvaise administration des financés ; d’insister sur la punition de ceux qui les avaient pillées, ainsi que sur l’expulsion des étrangers hors du gouvernement, et sur la dispensation des deniers publics. Après cette séan ce, après que les députés eurent travaillé quelque temps à leurs cahiers, les ligueurs firent conclure que le roi serait supplié de défendre tout autre exercice que celui de la religion catholique. Get avis passa à la pluralité des gouvernements, non pas des voix des députés : encore ne passa-t-il que deux suffrages ; et, bientôt après, ceux de Paris, craignant que les premiers deniers ne se levassent sur leurs rentes de l’hôtel de ville, voulurent se rétracter. Les huguenots, avant eu avis de ce qui se passait, dressèrent une contre-ligue, dont le prince de Gondê se déclara lieutenant sous l’autorité du roi de Navarre* et publièrent le plus hardi, le LEMENTAIRES. [Introduction.] 67 plus sanglant des manifestes. L’édit de pacification fut révoqué. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1588, TENUS A BLOIS. La guerre de la Ligue continuait avec ia même chaleur. Le duc de Guise, à la sollicitation des' Seize, était venu à Paris. La reine mère ne cessait de traiter avec lui. Soit frayeur, soit prudence, Henri III s’était enfui à Chartres, où le Parlement envoya ses députés pour le supplier de revenir. Le roi fit, quelques jours après, savoir au Parlement qu’il avait résolu d’assembler les États généraux, pour travailler soigneusement à la réformation des abus de son royaume, et lui assurer un suc-cesseur catholique., L’ouverture des États se fit le 10 octobre* Le clergé avait cent quatre-vingts députés, parmi lesquels quatre archevêques, vingt et un évêques et deux chefs d’ordre ; ia noblesse en avait cent trente-quatre; le tiers états quatre-vingt-onze , partie gens de robe, partie gens de commerce. Le roi était déjà instruit, par le teneur des cahiers, qu’il y avait un complot formé pour abattre son autorité et pour relever celle des Étals au point où elle était autrefois; aussi doun a-t-il assez à connaître, dans son discours, le ressentiment qu’il en avait contre Je duc de Guise. Mais * ce prince s’en plaignit si amèrement par la bouche de l’archevêque de Lyon, qu’il fut obligé, en faisant imprimer sa harangue, d’en retrancher beaucoup de choses qui n’en demeurèrent que plus avant gravées dans son cœur. Le mardi suivant, dans la seconde Séance, le roi jura l’édit de réunion, ordonna qu’il fût observé comme loi fondamentale de l’État, et voulut que les trois ordres le jurassent d’une voix unanime. Gela fait, il protesta d’oublier le passé, et chargea le prévôt des marchands d’en assurer la ville de Paris. Le tôi, ulcéré de ce qu’où Pavait forcé de jurer cet édit, était bien plus offensé des plaintes que les États faisaient contre le gouvernement : ils demandaient, en effet, la suppression des nouveaux offices, le rabais des tailles et des impôts, la recherche des finances et des favoris, leur punition, celle des traitants; ils employaient tous les moyens pour borner la domination absolue et pour rétablir la puissance des lois : ce qui ne provenait pas seulement des factions de la Ligue, mais encore du désir unanime des peuples, qui, dans le cas où le roi viendrait à mourir, croyaient nécessaire de mettre à son successeur un frein si puissant, qu’il ne pût jamais le briser ni iaire souffrir à la France des oppressions pareilles à celles qu’elles avaient ressenties depuis le régne do Louis XII. Mais les mœurs trop corrompues des Français ne s’accordaient pas avec leurs désirs ; iis souh a fiaient en vain ce qu’ils ne méritaientpas 68 [lre Série, T. 1er.] L’instance qu’on faisait au roi de recevoir le concile de Trente le choquait et l’embarrassait. La demande des États, que leurs cahiers fussent résolutifs, lui parut encore plus rude. Mais il ne put supporter la députation qu’ils lui firent, pour l’obliger à déclarer expressément le roi de Navarre incapable de succéder à la couronne. Accablé d’inquiétude, dégoûté même du gouvernement, qu’il voulait abandonner entièrement à la reine mère, tantôt plein de confiance, tantôt rempli d’indignation contre le duc de Guise, dont il voukit se défaire, il prit le parti de le faire assassiner. En effet, le duc périt. Mayenne en reçoit la nouvelle, et s’enfuit en Bourgogne. Les Seize s’assurent des portes de Paris , s’assemblent à l’hôtel de ville, élisent le duc d’Aumale pour leur gouverneur, et déclarent hautement leur rébellion. Quelques magistrats sont plongés dans la Bastille; d’autres, pour en sortir, trahissent leur serment, et la Ligue fait signer au Parlement un acte pour la conservation de la religion catholique. Le roi ordonne à d’Aumale de sortir de Paris, transfère le Parlement à Tours, et continue les États à Blois, persuadé qu’ils devaient apporter un prompt remède à tant de maux. Il leur fit jurer une seconde fois l’édit d’union, pour montrer qu’il était zélé catholique; après quoi il reçut leurs cahiers, qu’il examina durant quelques jours. Il entendit ensuite leurs harangues, pleines de sages expédients, de puissantes raisons et d’avis salutaires. Mais les cœurs étaient bien éloignés; tellement que ce ne fut qu’une scène où chacun sut se masquer et jouer un personnage différent de ce qu’il était intérieurement. Le roi recevait de tous côtés des avis de nouvelles émotions. Il vit que la plupart des députés se retiraient sans rien dire; il les congédia tous; et afin qu’ils remportassent des marques de sa bonté dans les provinces, il donna à la noblesse la liberté de Brissac et de Bois-Dauphin, au tiers état, celle de trois ou quatre députés qu’il avait fait arrêter. Mais tous oublièrent le bienfait pour ne se sou-' venir que de l’injure. De plus, il leur accorda et fit publier quelques articles de leurs cahiers, entre autres un rabais de la quatrième partie des tailles : aussi bien y en avait-il plus d’un tiers en non-valeur. ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1614, TENUS A PARIS SOUS LOUIS XIII. La régence de Médicis avait fait beaucoup de mécontents. Le prince de Gondé en était le chef, et le maréchal de Bouillon avait engagé plusieurs autres princes à quitter la cour, et à se réunir tous en Champagne, pour demander la réformation des abus qui s’étaient glissés dans le royaume. [Introduction. ] Ces factions alarmèrent la régente; elle craignit de voir renaître les malheurs dont la France avait été troublée sous les règnes précédents. Elle assembla promptement le conseil, qui fut d’avis que Sa Majesté écrivît une lettre à tous les parlements du royaume, aux gouverneurs des provinces et des places, au prévôt des marchands, aux maires et échevinsdes villes, pour les exhorter à demeurer fidèles au roi, et à ne pas se laisser surprendre par le prince de Gondé et ses partisans; déclarant que Sa Majesté avait résolu de convoquer les États du royaume, pour y prendre des résolutions convenables au bien public. D’un autre côté, la régente n’oubliait rien pour tâcher de regagner le prince de Gondé, qui, après avoir rassemblé les principaux de son parti, lui écrivit une lettre en forme de manifeste. II s’y plaignait de la dissipation des finances, du choix des personnes indignes qui étaient revêtues des premiers emplois, de la trop grande autorité des ministres, du peu d’égards qu’on avait pour les princes,, pour les pairs du royaume et pour les officiers de la couronne, des obstacles que les parlements trouvaient dans l’exercice de leur juridiction, de la ruine de la noblesse, du prix excessif des charges de judicature, de l’oppression du peuple, de la négligence d’assembler les États généraux, de la précipitation avec laquelle on avait conclu le mariage du roi, même avant sa majorité, etc. Il y demandait l’assemblée des États généraux dans trois mois au plus tard, la suspension du mariage du roi et des princesses ses sœurs, jusqu’à la fin des États, et de mettre auprès de Sa Majesté des personnes de probité reconnue. Marie fit une ample réponse au prince de Condé, aussi en forme de manifeste, et lui promit d’assembler au plus tôt les États généraux, pour travailler à la réformation des abus dont il se plaignait. Cependant les factions continuaient encore ; et ce fut pour y mettre fin, que, d’après le conseil du chancelier, ou fit, le 14 mai, un traité par lequel on accorda une partie de leurs prétentions aux principaux chefs, qui revinrent anssitôt à la cour. Tout paraissait tranquille. Au mois de juin, on avait expédié des lettres patentes pour la convocation des États généraux, indiqués au 10 septembre dans la ville de Sens ; elles furent envoyées et publiées par tous les gouvernements, bailliages et sénéchaussées du royaume. Gela n’accommodait pas la régente, qui craignait que les États ne la chagrinassent sur son administration ; qu’ils ne demandassent l’éloignement des ministres, surtout du maréchal d’Ancre, et qu’ils n’empêchassent le roi, devenu majeur pendant que l’assemblée -serait encore sur pied, de laisser à sa mère la même autorité qu’elle avait eiie pendant sa minorité. Le prince de Condé, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lre Série, T. Ier. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 69 qui avait intérêt que Jes choses se passassent ainsi, bien loin de les amener au point qui lui convenait, donna lui-même un délai qui favorisa les vues de la régente. La résistance inutile du duc de Vendôme en Bretagne, et les mouvements mal concertés du prince de Gondé en Poitou, fournirent à la régente un prétexte plausible de mener le roi, son fils, dans ces deux provinces, et de remettre l’ouverture des États jusqu’à leur retour à Paris. Durant ce temps-là , le roi devint majeur. Il vint, le 2 octobre, déclarer sa majorité dans un lit de justice tenu au Parlement. La reine dit qu’elle remettait l’administration des affaires entre les mains du roi, son fils. Le jeune monarque la remercia de ses soins, et déclara qu’il ne prétendait gouverner désormais que par les avis de sa mère : ce que Médicis avait eu soin de ménager adroitement pour conserver toujours son autorité. Alors elle fit transférer les États à Paris, et l’assemblée fut indiquée au 10 octobre. Le 13, le roi fit publier à son de trompe que les députés déjà arrivés eussent à se réunir : le clergé aux Augustins, la noblesse aux Cordeliers, et le tiers état à l’hôtel de ville. Mais, sur les supplications de la noblesse et du tiers état, les trois ordres furent assemblés aux Augustins, pour qu’ils pussent conférer plus aisément ensemble. Le clergé avait cent quarante députés, parmi lesquels cinq cardinaux, sept archevêques et quarante-sept évêques. La noblesse eut cent cinquante-deux députés. Il* y eut cent quatre vingt-un, tant officiers de justice que de finances, pour le tiers état, que présidait M. Miron, prévôt des marchands. On régla qu’après trois jours de jeûne public, indiqués pour implorer l’assistance de Dieu, il y aurait, le dimanche 20 octobre, une procession solennelle à Notre-Dame, et que le lendemain se ferait l’ouverture de l’assemblée au Louvre, dans la salle de l’hôtel de Bourbon. Le roi, la reine, toute la cour assistèrent à cette procession. L’évêque de Paris officia pontificalement. L’archevêque de Bordeaux y prêcha. Les députés s’étant rendus le lundi, et tous ayant pris leurs places, le roi dit en peu de mots que son but principal, en convoquant lés États généraux du royaume, était d’écouter les plaintes de ses sujets, et de pourvoir à leurs griefst Lé chancelier parla ensuite sur la situation des affaires ; après quoi, s’étant avancé -vers le, roi;* comme pour recevoir ses ordres,! il revint à sa placent dit à tous les députés 'que Sa Majesté; leur permettait de dresser les cahiers de : leurs; pîmntes, et qu’elle promettait d’y répondre favorablement, Cette-séance, fut terminée par les harangues des •trois ordres. i Le ftieys étajt est toujours; celui;, enntee lequel-la cour est le plus en garde, Formé ordinairement des députés des provinces, qui ne briguent ni la faveur ni les grâces de la cour, il prend plus vivement les intérêts du peuple, dont il connaît mieux les griefs et les sujets de plainte. Le clergé et la noblesse, au contraire, ne portant que la moindre partie des charges publiques, sont aussi moins sensibles aux abus qu’il s’agit de réformer, outre que les. gratifications de la cour tiennent les principaux de ces deux ordres daus une entière dépendance. Ainsi la reine et ses ministres ne songeaient qu’à rompre les mesures du Tiers état, par rapport à la réformation du gouvernement. Gomme il aurait été dangereux de rejeter hautement ses demandes, on jugea qu’il n’y avait pas de meilleur expédient que de mettre la division entre les trois chambres, et de rendre l’assemblée la plus tumultueuse qu’il se pourrait. Pour cet effet, on engagea le clergé et la noblesse à proposer des articles de réformation, auxquels -le tiers état aurait peine à consentir ; et comme on ne doutait pas que le tiers état n’en proposât aussi de son côté qui n’accommoderaient ni le clergé ni la noblesse, on espéra que ces contestations porteraient l’assemblée à se séparer, ou qu’il serait aisé de la congédier, en amusant le peuple par des promesses vagues. La chose arriva, en effet, comme la cour l’avait projeté. On s’assembla le 4 novembre ; et la première chose que proposa la noblesse fut l’abolition de la paulette. (G’est une finance que les officiers payent tous les ans pour rendre leurs charges héréditaires.) Rien n’embarrassa plus le tiers état, composé de ces sortes d’officiers et de magistrats. Il demanda à son tour la diminution des tailles et le retranchement des pensions que la cour payait à une infinité de personnes. Ni les uns ni les autres ne s’accommodaient de ces propositions : ils en demandèrent la surséance ; et la cour, les payan t de belles paroles, dit qu’elle souhaitait que les chambres dressassent au pliis tôt le cahier général de leurs plaintes, sans qué les positions extraordinaires que l’on pourrai! faire à la traverse ' ies détoürhassént dé Cet Objet1 �riih1 cipal. Ges différents intérêts hé manquèrent :pâéd'é! produire les divisions que la cour eh attendait, et1 l’on n’oublia rieii pounlès fairécrôltrev *ï ‘ " ■■ Le ; clergé eut quelque' complaisance u pour ’ tel noblesse , espérant que les gentilshomîfaes eri! auraient à leur ' tour pour de clérgéyqui* >voalàit obtenir la , publication du 'concile de Tcentn eh France. Le tiers-ètàt s’y opposa formellement) toi • D’antres contestations survinrent entre lés fâcùN tés de l’Université' de "Paris J" b' T 1 :ü> or-amn Ge corps 'prétehdait avoii/ ééâûçè dans le Clergé. Levdergé' �y opposai1 fLè Conseil ordohhà 70 [i'e Série, T. Ier.] ÀRGQIYSS PARLEMENTA.lp.lES. [Introdiiclion.' l’Université dresserait son cahier de demandes mais les facultés ne purent convenir sur ce qu’elles avaient à demander : deux même gardèrent le silence, et lorsque le recteur présenta sqn cahier au clergé, on le rejeta sous prétexte qu’il n’avait pas été dressé de concert avec les quatre facultés, Le clergé et la noblesse prirent même de là occasion de demander la réformation de toutes les Universités du royaume, et que les jésuites fussent admis dans celle de Paris, en se conformant tou* tefois à ses ordres et à ses coutumes. Mais-cette proposition n’eut aucun effet. Le clergé et la noblesse avaient aussi dressé un article pour demander au roi l’accomplissement de son mariage avec l’infante, et de celui de madame Élisabeth de France avec le prince d’Espagne ; on ne pouvait rien faire de plus agréable à Marie de Médicis; mais la joie qu’elle en eut fut mêlée de quelque amertume. Les trois ordres demandèrent conjointement que le roi voulût établir une chambre composée de personnes prises dans les États, pour la recherche des malversations commises dans le maniement des finances. Ce furent les partisans du prince de Gondé qui mirent cette affaire sur le tapis. Leur vue était de faire rendre compte à la régente de son administration. Cette princesse l’éluda adroitement, et fit si bien, par ses intrigues, qu’elle cm* pêcha les États généraux d'en connaître, Ses partisans se contentèrent de dresser un article en termes forts et pressants, pour donner des avis au rpi sur la manière de régler sa dépense. Mais la cour ne s’en mit pas en peine, persuadée qu’après la séparation des États, elle ferait ce que bon lui semblerait. Il lui fut d’autant plus facile de rompre Funion des ordres sur cette affaire, qu’ils étaient, à l’occasion d’un article reçu dans la chambre du tiers état, alors divisés. Cet article regardait la puissance souveraine du roi et la sûreté de sa personne. La cabale jésuitique prévalut, et fit ôter cet arfjplq. du, cahier, comme pernicieux à la religion, ei.tendaût à, caû§êr UÛ .schisme.dans l’Église. . -jfe Par-lcmcnt rendit m arrét-pour/souteniE cette maxime, que fa rojpudevait , reconnaître aucun su*. p&faur: au t§q®orel, dans, son royaume;,: .maxime» qu’iLiagardaifc, comme une de&Jois, fondamental, les de la monarchie,, tandis, que le, clergé, Xa .com-; battait ouvertement, dans .jl’ûKsçmbl-ée solennelle des Etats. , ,,,, f -, ....... iiïift clergé se plaignit de , cet .arrêt, , et dressa , un article pour., 1»; .sûreté,, et la ,vie,;des princes. Leroi évoquai lühfeidifljepeqd. Mais le, i clergé n’eut; point, de repos , , quhL n’eût, fait ôter du cahier l’article du tiers état eLde.ia: paulette* ... ..m .ùgesdiyisions étaient la, conjoncture, lnplusfaÿo-rahjte qaa&Ja cour: .pût ayuir,fi�îu;Qügédifir, cette, assemblée. Là reine mère et ses ministres réso* lurent d’en profiter, ûn fit savoir aux trois chambres qu’elles eus» sent à mettre incessamment leurs cahiers en état d’être présentés au roi. C’était, disait-on, pour établir le calme dans les provinces qui commen» çaient à s’agiter \ mais c’était en effet pour dis» sou dre l’assemblée qui finissait de droit après la présentation des cahiers. La noblesse s’en aperçut, et commença à se défier de ce grand empresse» ment des ministres. Elle engagea le clergé à demander que les cahiers fussent répondus avant la séparation fies États, Une pareille délibération alarma extrêmement la reine et les ministres. Ils entreprirent de ga* gner le clergé pour se retirer d’un pas si délicat. L’archevêque de Bordeaux se chargea de cette intrigue. Le cardinal Dnperron le seconda de tout son pouvoir. Ils firent entendre au elergé que jamais il n’ob» tiendrait l’effet de ses demandes, tant que l’assemblée serait sur pied 5 que les députés du tiers état y formeraient toujours des obstacles invincibles; ils lui débaucheraient peut-être la noblesse avant que le cahier fût présenté ; au lieu que rassemblée une fois séparée, le tiers état ne traverserait plus le elergé par ses remontrances, et que le roi serait en pleine liberté d’avoir égard à ses représentations. Ces raisonnements n’avaient rien de solide mais les promesses firent ce que n’avait pu faire la persuasion. Les prélats, gagnés par la cour, entraînèrent les autres ; et la noblesse ne fut pas assez forte pour résister. Elle ne se relâcha pas néanmoins entièrement de ses demandes, voyant que la cour ne voulait pas consentir à ce qu’il y eut des députés des trois ordres dans le conseil du roi , lorsqu’on y délibérerait sur les réponses à faire aux cahiers ; elle proposa du moins qu’il y eût six des plus anciens conseillers d’Etat qui fussent appelés avec le prince et les officiers de la couronne, pour donner des avis à Sa Majesté sur les réponses qu’elle devait faire. L’archevêque d’Àix fut chargé de la proposition. Mais sa harangue déplut à la reine, qui voulut ; être la, maîtresse absolue de faire accorder au roi oe.qhirlui plaifait.; -V-- nu ,. ......... -,On s& moqua, dés-instances, réitérées des-trois ! ordres, On, traita--leur-, prétention fin nouveauté» ; dangereuse ; et ■ préjudMabJe'û i’antoritû du-«oty et -voyant qu’on, -ne pouvait Mes désunie 1 prenant -un ton décisif >volcit /comme ûu flt-ré** 1 pondre le -roi à, la, derûièrO'TemontPanoe aies dé»; : putés : « Je. souhaite, dit -le--jeune-monarque,' ‘do ; donrierdoute , sorte do �tfef&etida'aûx» États'; 'mais. ; je ne-puis-prendre r[ue; :4ur* fe# l cahiers que vous me pré*éûtere£/‘'Je°*y@nXâleé‘ j retmvoir la-«semaine prochaine j an Jl™ Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] fl est nécessaire que les États se rassemblent à l’occasion des réponses que J’y ferai, nous y pourvoirons dans les temps, » Cette réponse fut pour les émissaires de la cour une nouvelle raison de ramener les autres à l’autorité du roi. Chacun se tint prêt à présenter ses cahiers le 23 février suivant, C’était le jour auquel devait se faire la clôture des États, Leurs Majestés s’y rendirent avec la même pompe qu’on avait vu à l’ouverture de rassemblée. L’évêque de Luçon s’avança pour présenter au roi le cahier du clergé, et le harangua. Son discours roula sur la suppression de l’hérédité et de la vénalité des charges; sur les retranchements des dépenses excessives en gratifications et en pensions accordées sans nécessité; sur la restitua tion des biens de l’Église possédés par des huguenots; sur l’accomplissement du double mariage; sur les bénéfices donnés comme des récompenses à des gentilshommes laïques; sur la part que les ecclésiastiques devaient avoir aux affaires de l’État, et sur les louanges de la reine, à qui il exhorta le roi d’en laisser toute l’administration. Le président de Senecey harangua le roi à son tour. On fut surpris que la noblesse suivit ainsi les impressions du clergé, et que ces deux ordres eussent concerté ensemble les principaux points qu’ils devaient mettre à la tête de leur cahier. Tels étaient la publication du concile de. Trente, le rétablissement de la religion romaine dans le Béarn et ailleurs ; une défense absolue aux cours souveraines de prendre connaissance de ce qui concerne la foi, l’autorité des papes, les règles monastiques, les règlements des appels comme d’abus, la réformation des Universités, le rétablissement des jésuites, etc. La harangue du prévôt des marchands, qui parla pour le tiers état, parut plus judicieuse et plus solide. Il prit un tempérament beaucoup plus digne de l’occasion où il se trouvait. Il toucha mieux qu’aucun ordre les véritables causes des désordres du clergé, et proposa des remèdes plus convenables et plus efficaces. Il ne s’éleva pas moins fortement contre les excès de la noblesse et des gens de robe. Enfin, il recommanda au jeune roi le rétablissement de la police et du commerce, la bonne administration des finances, l’abolition des pensions accordées sans nécessité, le soulagement du peuple et la diminution des tailles. * On avait promis aux trois ordres que le roi répondrait à leurs cahiers avant qu’ils sortissent de Paris. Cependant, comme on ne voulait leur accorder aucune des choses principales qu’ils demandaient, la cour était embarrassée, et ne savait comment renvoyer les députés dans leurs provinces. On leur permit de s’assembler encore, pourvu que ce ne fût dans aucun lieu public, et qu’ils ne prissent aucune résolution sur les affaires traitées dans l’assemblée générale ; et connue la reine voulait au moins sauver les apparences, elle fit rédiger spüs trois chefs les propositions contenues dans les cahiers. Le premier çpm cernait les affaires de l’Église ; le second, celles delà noblesse; et le troisième, celles du tiers état, Tous ces points devaient être examinés dans des bureaux composés de plusieurs commissaires du roi qui devaient en faire le rapport à Sa Majesté. Chacun jugea favorablement de ces dispositions, On entra dans un examen qui fit bientôt naître des disputes entre les députés. C’est ce que la cour demandait; elle voulait les lasser par une discussion sur, laquelle ils up s’accordaient pas ; et l’on ne trouva point de pré» texte plus spécieux pour les renvoyer dans leurs provinces. En effet, les députés furent mandés au Louvre le 24 mars. On leur déclara qu’on avait trouvé un si grand nombre d’articles importants dans les cahiers, qu’il n’était pas possible que le ron y répondît en si peu de temps qu’il l’aurait souhaité; que cependant Sa Majesté voulait bien donner des marques’ sensibles de sa bonne volonté aux; États, en répondant favorablement à leurs ca*. hiers et afin de régler ce qui en dépend, d’établir, une chambre de justice pour la. recherche des. financiers, de retrancher les pensions, et de pourvoir le plus tôt possible à tpus les ®utp§& articles. .;u Puis la reine prenant la parole , dit elle-même qu’un si long séjour à Paris leur eau saut-beau?- coup de dépenses, il était temps qu’ils songeas*� sent à s’en retourner, chez eux. -h � � Ainsi finirent les États généraux , dont lé bien-public avait été le prétexte , mais qui; par Tes factions opposées à la régence , par lesv; intrigues > de ceux qui avaient intérêt qu’on ne fit aucune' réforme dans l’État, par les divisions1 entré lés-chambres, par le délai qu’on apporta à répondre à tous les articles des cahiers, devinrent absolument inutiles, et ne produisirent dudnh dés'bops7 effets que l’on en attendait. ‘ Chacun était mécontent de la matilêbe “dmïLbtt J avait congédié les États. Le Parlem'etit'siïrtôtlt'se“ plaignait des atteintes que la ccdtt Wê-dréiné*' avait données à l'autorité royale. Lé‘irihrè‘èhal'dO' Bouillon engagea adroitement cetté'Cô'rftpngnin à1* se déclarer la première contre ses abus». ---------- - — U fit si bien par ses intrigues Arpia après la dissolution des États, deux-magts&ats�a:! chaque chambre des enquête� pour aller prier le président d’assembler promp-tement tous les autres. Mais la flêhbérâfiüft'etiés’' 72 remontrances du Parlement n’eurent aucune suite, par l’attention qu’eut la reine d’y opposer l’autorité du roi, et les défenses les plus absolues d’y passer outre. Ce fut dans la conférence de Loudun, en 1616, que le prince de Gondé, toujours mécontent et toujours redoutable; parvint à faire accorder quelques-uns des articles débattus inutilement dans ■rassemblée générale des États. En 1617, quelques-uns de ceux qui composaient le conseil du roi eurent assez de hardiesse pour demander une nouvelle convocation des États; mais ce seul mot faisait trembler les ministres, et l’on dit qu’une assemblée dé notables suffisait pour remédier aux besoins présents. Cette assemblée fut indiquée à Rouen le 24 novembre, et congédiée le 26 décembre suivant, sous prétexte d’une indisposition survenue au roi, qui forçait de remettre les délibérations à Paris. Ce fut ainsi que la cour éluda les demandes faites dans la dernière tenue des États généraux. Forme pour la convocation particulière des bail - i ; Mages et sénéchaussées , pour l’assemblée généré raie, pour le département des classes et la for-v mation des cahiers. L’ancien usage pour la convocation des États généraux était d’adresser les commissions aux pairs, qui assemblaient les trois ordres de leurs provinces, et amenaient avec eux les députés aux États généraux. Mais depuis l’institution des bailliages et sénéchaussées royales, on adresse ces commissions et mandements aux baillis et sénéchaux. dette, prérogative leur est accordée et leur appartient dans l’étendue de leur ressort , à l’ exclusion des juridictions et sièges particuliers, qui n’ont pas droit de convocation ni de députation |1). Les baillis et sénéchaux décernent leurs commissions particulières, et les font signifier par dos sergents, au clergé, dans tous les bénéfices du ressort ; à lajnoblesse, dans tous les fiefs, terres et seigneuries qu’ils possèdent dans le même ressort au tiers état enfin , dans toutes les villes, villages et paroisses qui y ressortissent. Il leur est intimé de . se trouver ou d’envoyer quelqu’un pour eux au jour et lieu assignés dans la ville principale du bailliage ou sénéchaussée, - d’y apporter leurs plaintes, et d’y élire un, deux, on tel autre nombre de députés des trois ordres , pour se, trouver à l’assemblée générale des États. (ïj ïugé par arrêt du Conseil pendant la tenue des Etats 4 Blois, 1583, entre les députés du bailliage de Seps et ceux dei Langres, siège particulier dudit bailliage. Il fut arrêté qüe les députés de Langres n’auraient aucune séance ni v oix-délibérative aux Etats, et reraet-trpil»nf,,lettrs! .cabprçs, $ ceux de Sens. [Introduction.] Le jour assigné étant venu, le greffier fait lecture , au lieu et siège principal du bailliage ou sénéchaussée, des lettres patentes du roi. Chaque ordre est appelé à son tour. Le bailli ou sénéchal, ou leur lieutenant, y préside comme chef de la juslice du pays, assisté des membres des trois états, et reçoit des assistants le serment d’élire leurs députés pour se présenter à l’assemblée générale. Alors chaque ordre se retire séparément dans une chambre, procède à l’élection , rapporte le serment de celui qui est élu, et dresse, chacun en particulier, les cahiers de plaintes et doléances. Quant aux cahiers du tiers état , à cause de la confusion qui résulterait, si tous assistaient à leur formation, on consigne tous les mémoires et instructions entre les mains de dix à douze notables, qui font serment de les extraire fidèlement, d’y joindre les autres renseignements qu’on leur procurerait, et de former ainsi le cahier du tiers état. Les commissions pour Paris sont adressées au prévôt de Paris, pour la convocation des États de la prévôté et vicomté. Elles sont aussi adressées au prévôt des marchands et échevins de la ville, qui décernent mandement aux quarteniers d’avertir les plus notables de chaque quartier, partie officiers, partie bourgeois, de se trouver à l’assemblée. On y mande l’évêque de Paris , comme bourgeois , un ou deux ecclésiastiques de chaque communauté, comme de Saint-Victor, de Saint-Marcel, des Chartreux et autres, excepté les Mendiants. Tous les conseillers de ville, et principaux maîtres orfèvres, fourreurs, drapiers, s’assemblent d’après le mandement du prévôt des marchands et des échevins, pour conférer de ce qui intéresse leur état et dresser leurs mémoires qui sont joints au cahier de la ville. On choisit parmi eux douze ou quinze personnes intègres et éclairées pour examiner tous ces mémoires. 11 se fait des publications au prône, pour recommander à tout particulier de porter ceux qu’il aurait à présenter, dans un tronc déposé pour cet effet dans l’hôtel de ville. Les cahiers ainsi dressés , relus et examinés, sont dûment signés par les députés de chaque ordre , et contiennent acte de leur députation et de leur pouvoir. Une ordonnance du roi et du prévôt de son hôtel indique le jour où l’assemblée générale doit se tenir. Mais la veille on publie à son de trompe , et on affiche aux lieux publics fréquentés de la ville, que les députés des trois ordres de chaque bailliage s’assembleront aux lieux qui leur sont départis. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]lre Série, T. 1«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Lorsque les députés sont réunis , on dresse le procès-verbal et le rôle des pays, gouvernements, bailliages et sénéchaussées du royaume. On nomme un greffier ou secrétaire pour enregistrer les noms et qualités des députés , la vérification de leurs pouvoirs et les conférences préliminaires. Cette élection est provisoire seulement et sous la réserve expresse des droits appartenant aux députés de la noblesse et du tiers état. La véritable élection se fait à la pluralité des voix. Après la présentation des députés et la vérification de leurs pouvoirs, on nomme, à la pluralité des voix, un président et chef de l’assemblée. Pour le tiers état, on est dans l’usage d’élire le prévôt des marchands de Paris, et de l’installer , non qu’il ait cette prérogative juré suo\ mais en tant qu’il est élu : les registres en doivent faire mention expresse. Le président nommé reçoit alors lui-même les suffrages de chaque député et bailliage, pour l’élection du greffier ou secrétaire, et de deux évangélistes, qui jurent entre les mains du président de s’acquitter fidèlement de leurs charges. Les autres députés prêtent aussi serment de rapporter toutes leurs délibérations au service de l’État, et de les tenir secrètes. Pour empêcher la confusion qui pourrait avoir lieu s’il fallait, sur chaque point mis en délibération, prendre particulièrement l’opinion de chaque député, on réduit les bailliages et sénéchaussées en classes ou gouvernements. Pour dresser les cahiers des états, voici comme l’on procède. Les députés de chaque gouvernement se retirent dans un lieu convenu pour conférer entre eux, et réduire les cahiers de leurs bailliages en un seul, qu’on appelle cahier du gouvernement !; ce qui fait douze cahiers, s’il, y a douze gouvernements. On députe ensuite vers le roi le président avec un député de chaque gouvernement, pour le supplier de n’avoir aucun égard aux protestations contraires aux résolutions qui se prendraient dans l’assemblée. On règle aussi les contestations qui surviennent pour les rangs, et qui se vident entre eux ou au conseil. La veille du jour assigné pour ouïr la proposition du roi, on fait une procession solennelle, où assistent le roi, la reine, les princes du sang, les autres princes et seigneurs, les officiers de la couronne et les députés. Le jour de l’ouverture des États étant arrivé, un héraut appelle les députés selon l’ordre des gouvernements et par tour de bailliage. Le maître des cérémonies les conduit aux rangs à eux assignés dans l’assemblée générale. Le roi fait alors sa proposition, et dit que le chancelier fera entendre le surplus de sa volonté. Le chancelier se lève, et après deux ou trois 73 révérences au roi, doüt il prend les ordres, il dit : Le roi vous permet de vous assembler, Trois députés des trois ordres font un discours de remercîment. Le lendemain, les députés de chaque ordre se retirent dans les chambres qui leur sont départies, et l’on réduit les cahiers des gouvernements en un cahier général. On lit d’abord le cahier de Paris , auquel on joint celui du gouvernement de l’Ile-de-France ( 1 ). Tous les articles lus publiquement sont mis en délibération. Chaque classe se retire en sa chambre. On délibère ; on recueille les voix ; on prend une décision ; on nomme, un député pour la communiquer if l’assemblée générale. Les projets sont rejetés, modifiés, interprétés, résolus à la pluralité des voix. On ne reçoit aucune protestation contre l’avis unanime, si ce n’est contre un député qui aurait omis ou altéré quelque chose en* rapportant l’opinion de son gouvernement (2). Après le cahier de Paris et du gouvernement de l’Ile-de-France examiné et arrêté, on reprend de même l’un après l’autre les cahiers des autres gouvernements ; en sorte que, par ce moyen, comme les cahiers de tous les bailliages auraient été réduits à un certain nombre de cahiers selon le nombre des gouvernements , ainsi de ces derniers cahiers il ne s’en fait qu’un seul pour chaque ordre : ce qui fait en tout trois cahiers généraux. Les cahiers ainsi dressés et arrêtés, signés du greffier ou secrétaire, des deux évangélistes et des députés de chaque ordre pour ce nommés, un député du clergé, assisté de tous les autres en corps, va les présenter au roi, et lui demander le jour où il voudra les entendre. Cette audience se tient au même lieu, avec les mêmes cérémonies que la première ouverture des États. Quant à la cérémonie des harangues, voici ce qui s’observe : (1) C’est pour la facilité du cahier ; mais on déclare que c’est sans préjudice au droit de séance et d’opinion qu’ont les autres gouvernements qui doivent opiner avec les bailliages de l’Isle-de-F rance. (2) Aux Etats de Blois, un député de Limoges voulut révoquer l’article de la religion, inséré dans le cahier. Il disait qu’il fallait y ajouter que la réunion de la religion catholique et romaine se ferait sans guerre ; que toute l’assemblée avait été de cet avis, et que l’orateur avait été chargé de l’annoncer. L’orateur répondit qu’il l’avait fait. Un député du Dauphiné lui répliqua qu’il était bien hardi de parler de la sorte. Le président du tiers-état voulut mettre la main sur le député dè Limoges, en disant qu’il le mènerait au roi. Le lieutenant de Limoges l’empêcha, et le traita fort durement. Toute l’assemblée en témoigna son mécontentement contre le président, et l’orateur voulut même un autre président ; mais il vit l’émeute générale, et il se retira par prudence. [1 ro Série, T; Ier-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction,] 74 L’orateur du clergé, après qu’il lui a été commandé par un héraut de parler, se met à genoux à un pupitre devant le roi. Après quelques phrases, il se lève par le corn? mandement \) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] des sujets riches et affectionnés ; témoin la prison du roi Jean ; au lieu qu’à cette heure, s’il faut racheter quoique ce soit de cent mille écus d’extraordinaire, si ceux même qui les ont engloutis ne les revomissent, il n’est pas possible de les trouver; témoin la chambre de justice. « Le Turc, de qui les lois politiques sont aussi excellentes comme la religion est brutale, tient cette maxime, de ne prendre les deniers levés sur le peuple que pour la défense et conservation d’icelui, appelant cela le prohibé du peuple. Lors-qu’il faut prendre les armes et aller à la guerre, il s’aide des impositions et subsides ; mais, en temps de paix, il vit du seul profit de ses jardins. Représentez donc au roi que, s’il veut faire quelque réformation dans son État, il faut qu’il donne l’exemple le premier, et qu’il commence par sa maison. « Le second chapitre sur lequel vous devez jeter les yeux, est celui des pensions. Vous croirez peut-être que ce que je vous dirai soit un paradoxe, et néanmoins c’est une vérité très certaine : les pensions ont ruiné la noblesse ; tel qui vivait commodément et doucement en sa maison, et qui même aux occasions pouvait assembler ses amis, mange le revenu de tout son bien en trois mois pour venir demander sa pension. Un valet ou deux lui suffisaient ; son village ne voyait ni clinquant ni broderie. A la cour il a un écuyer, des gentilshommes, des pages, quantité de plumes, quantité de passeménts d’or. Voilà où il emploie son bien, et ce qui lui revient d’une pension mal payée, bien levée sur le peuple, et mieux comptée sur le roi ; et pour preuve de ce que je dis, qu’on recherche curieusement s’il y a un seul gentilhomme qui ne soit ruiné ou incommodé à ce métier-là; sur un écu de fonds extraordinaire, ils désignent dix écus de dépense ; et c’est ce qui a mené le luxe à si haut point où il est maintenant ; comète malheureuse qui présage infailliblement la ruine des États qu’elle menace. « Il y a encore urt autre inconvénient que ce mal produit ; c’est que, comme il n’est pas possible de donner des pensions à tous les gentilshommes, non pas à la centième partie, ceux qui n’en ont pas ne croient pas devoir servir le roi sans être payés. Ajoutons-y encore cette raison : les Français s’obligent aisément, et de peu de chose; mais aussi ils ne conservent pas longtemps la mémoire des bienfaits quels qu’ils soient. Cela vient de leur naturel prompt et léger ; aussi, voit-on qu’en leurs querelles particulières, ils s’accordent volontiers sans couver aucune sorte de vengeance sur le cœur, mais aussi tout prêts à se couper la gorge avec le meilleur ami qu’ils aient. « Conseillez donc au roi que, s’il se veut faire adorer parmi eux, qu’il leur donne peu et souvent, rien de certain ou d’établi, parce que, dès l’heure même, chacun en fait état comme de son propre domaine, et croit que cela lui est dû. 85 « Henri le Grand a été le premier qui a dressé un état des pensions; la nécessité l’y obligea, car, après les guerres civiles, se trouvant grandement incommodé, et néanmoins chargé d’une infinité de noblesse qui avait employé tout son bien pour lui aider à conquérir ce royaume, ne Sachant de quoi les récompenser, crut qu’il leur devait pour le moins donner moyen de vivre et de s’acquitter insensiblement. Cette cause cesse maintenant ; peu de ceux qui sont dans l’État ont vu de temps-là : puis donc que les pensions ne profitent à personne, quel danger de les ôter ? «Après cela, jetez les yeux sur la guerre, et conseillez au roi de ne tenir plus sur pied que son régiment des. gardes, ses suisses et sa compagnie des gens d’armes au même état que le tout était durant le feu roi : aussi bien le reste n’est qu’une ombre et un moyen pour voler ses finances; le papier souffre tout ; et afin que nous ne puissions jamais être surpris, et que nos forces soient redoutables par tout le monde, proposez de faire une milice générale dans ce royaume ; et que chaque province, en cas de nécessité, soit tenue d’entretenir et armer à ses dépens un régiment et une compagnie de cavalerie, sous la conduite de ceux qu’il plaira au roi de nommer ; et que ses troupes se mettent en bataille deux ou trois fois l’an, chacun en son endroit, et apprenent les exercices. En cette façon, le roi sera toujours assuré de 3,000 ou 4,000 chevaux, et de 25,000 ou 30,000 hommes de pied. Le peuple ne sera jamais foulé, parce que premièrement il sera déchargé de ce qui se lève pour les gens de guerre, qui n’est pas peu. Cette dépense n’arrivera peut-être qu’une fois en dix ans ; la levée n’en coûtera rien. Ils payeront règlement aux logements qu’ils feront, parce qu’ils feront leurs montres en la même façon. Bref, ils vivront en France comme ils vivent partout ailleurs, c’est-à-dire avec ordre et discrétion. 11 ne faudra pas plus de commissaires ni contrôleurs, ni payeurs, ni trésoriers de l’ordinaire ni de l’extraordinaire; chaque province payera ses gens, sans que personne s’en mêle. Outre que l’armée sera composée de soldats choisis, bien armés, et qui auront appris leur métier, au lieu que maintenant en nos troupes on ne voit que gens ramassés et sans discipline. Les plus belliqueuses nations du monde en font ainsi, et s’en trouvent bien. Si vous le faites, vous guérirez la seconde plaie du peuple, qui ne peut recevoir de remède quelconque que celui-là, parce que, tandis que les officiers du roi feront faire les montres, l’argent ne viendra jamais à point nommé ; et le soldat n’étant point payé, aura droit de vivre à discrétion, et sera même nécessité à cela. Quant aux places où vous jugerez à propos qu’il y ait garnison, faites en sorte qu’on la modère le plus qu’on pourra, et qu’enfin ce ne soit qu’une compagnie où il n’y ait qu’un chef et point de mem- §§ [lrf T-J*,.] lires ;-.cês prtfees spui bous dans lçs a,rméês, et n.tâlp8 d&ns les places dprant la paix. « Ce p’est pas -sang raison que je dis ,qqe vçus apportez vptre jugement, popr faire .différence des places qui méritent garnison, parce qu’il y a une infinité de cbâteanx.daps le cœur du royaume., qu’on devrait .avpp* rpsés et démolis il y a Ipng-temps. Tout Je reyenu 4b domaine s’emploie à les réparer, ou à l’entretenemêùt des capitaines qui sont dedans, pu des mortes-payes ; et ce ne sopt que des pids à valeurs aux moindres mouvements. Le roi a commencé par Pierre-Pont.: faites qu’il continue. « Yoifà pn gros fa dépense qu’un pcpt retrancher : ajpufez-y je bon ménagé, fit mpj$ché? qu’il ne spit dérobé nommé il es| par tops ceux qui manient .spu argent; et la f'rance np ypjis .aura pas peu d’obligatipn ; je sais bien que pe n’est pas un petit ouvrage, mais doit-fi y ayoû quelque chose d’impossible à nette assemblée, où tous les pins grands esprits de cette monarchie ont été convoqués ? Youlez-yous que je vous ouvre un expédient ? Ne le condamnez pas pour être up peu rude ; tout grand exemple a je ne gais quoi d’injuste qui se récompense par futilité que le public en reçoit ; et les ulcères invétérés ne peuvent guérir que par des remèdes violents. Donnez avis au roi qu’il supprime tous les officiers de finances, à condition notamment de leur payer la rente de ce qu’ils montreront avoir actuellement porté dans ses coffres ■; réservez un trésorier de France ès généralités où il y en avait il y a trente op quarante ans, et un trésorier de l’é-pargne. « Les peuples, d’eux-mêmes, porteront à l’épar-: gne, sans frais et sans diminution, ce qu’on leur demandera, comme on a vu le Languedoc, la Guyenne et la Bretagne le faire souvent ; et ces derniers, pour n’être pas exiges par des loups im-pitoyables, ne marqueront pas moins la puissance du roi, et témoigneront beaucoup de bonne volonté et l’amour des sujets. « Toutes ces dépenses inutiles ôtant retranchées, il sera aisé de diminuer une partie des tailles ; encore trouverez-vous que le roi en aura beaucoup plus de quitte qu’il n’a. Le surplus, il le faut rejeter sur ce qui entre ou sort du royaume, afin que les étrangers seuls supportent la dépense ; et voilà l’expédient que je vous avais promis. Je vous veux faire voir par démonstration, que ce que je vous dis est infaillible. « Premièrement, nous demeurons tous d’accord que la France a ce bonheur, quelle se peut aisément passer de ses voisins; ses voisins ne se peuvent passer d’elle. L’Espagne n’a point de blé celui qui peut venir deDantziok ne vaut rien, outre qü-il est presque tout pourri lorsqu’il arrive en ses ports, à cause de la longueur du chemin . Tout le septentrion n'a point de vin ; nos sels, [Introduction, J nos pastels, pos toiles, nos cordes, nus cidres vont par tout le monde et ne se cueillent en abondance que parmi nous. On peut hardiment hausser, sans, rien .craindre, le péage à tel point qu’il plaira au roi, La nécessité Içs obligera de passer .par nos mains : en youlejs-yous un exemple qui n’a point de contredit ? Il y a trçntre années ou environ que le tonneau de vin valait 60 et 80 écus à Bordeaux; les Anglais, les Écossais, les Hollandais l’enlevaient fous à ce prix-là ; maintenant, il ne vaut pins que 15 un 16 écus ; quelle raison y a-t-il de leur .souffrir ce gain à notre dommage? Oui, mais aussi, de leur côté, ils nous renchériront les marchandises qu’ils nous débitent : exauii* , nez-en, s’il vous plaît, fa qualité ; et puis vous jugerez l’importance que ce nous peut être. |1 ne nous vient point d’argent d’Angleterre pour tout; ceux qui se sont trouvés à Bordeaux ès temps des foires peuvent rendre ce témoignage. Ils portent des draps, des serges, quelque peu de plomb et d’étain ; et avec cela ils enlèvent nos denrées. Les Hollandais nous fournissent en partie de sucre, de drogues et -d’épiceries ; les soies nous viennent du Levant ; l'Allemagne nous fournit dé phévaux; l’Italie de manufactures. Toutes ces choses sont si peu nécessaires, qu’il serait à propos que l’entrée en fût absolument défendue, « Pourquoi faut-il que Milan, Lucques, Gênes et Florence nous vendent si cher leurs draps dé soie fit toiles d’or et d’argent, qui ne vont qu’au luxa, et par conséquent à la ruine de FÉtat ? La seule ville de Paris en consomme plus que toute l’Espagne entière. Le roi Henri III fut le premier qui porta un bas de soie aux noces de sa sœur ; maintenant, il n'y a point de petit valet qui ne se sentît déshonoré d’en porter un de serge; et voilà où s’en va tout l’argent monnayé de France, Marseille ne fait point de plus grand commerce que celui-là; quel danger y a-t-il donc qu’ils nous enchérissent leurs marchandises! Nous apprendrons peut-être par ce moyeu à nous vêtir de nos laines et nous servir de nos draps, « Qu’on défende eé nombre infini de carrosses, qui étonne les murailles de toutes les villes de France, et notamment de Paris; et puis vous-n’aurez plus que faire de chevaux d'Allemagne, qui ne servent qu’à cela; et afin qu’absolument on se puisse passer d’eux, qu’il plaise au roi ordonner qu’en tous les prieurés et toutes les abbayes de France, il y ait un haras, plus grand ou plus petit, suivant la commQdité des lieux et le département, qui, à ces fins, sera fait par les lieutenants généraux des provinces. Jusqu’ici on a eu si peu de soin du publiG, que le Français n'a jamais appris de se servir des avantages que Dieu lui a donnés par-dessus toutes les nations du monde. . « Quand au sucre, épiceries et drogueries, i pour le peu qu’il en faut en France, la cherté que ÀfùmVJES PARLEMENTAIRE. [lr« Série, T. Ier.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,] les Hollandais y pourraient mettre ne nous saurait incommoder, joint que cela obligera nos marchands à entreprendre le voyage des Indes, aussi bien que les Hollandais. « Messieurs, prenez occasion sur ce sujet de représenter au roi qu’il est obligé, pour la grandeur et la réputation de son État, de rétablir le commerce. A cela, il y a deux choses à faire. Premièrement, à purger cette vermine d’officiers qui volent tout le monde ; ils ont été créés pour la sûreté du commerce, et néanmoins ils ne servent véritablement qu’à piller les marchands et à décrier nos ports. Deux commissaires envoyés sur les lieux, avec pouvoir de faire et parfaire le procès 'à ces gens-là, suffiront pour y remédier. « Outre, il faut instituer un ordre général pour la navigation. N’est-ce pas une honte, qu’en trois cents lieues de côtes, il ne se trouvera pas vingt vaisseaux français ; et néanmoins, s’il vous plaît d’y mettre la main, nous serons en peu de temps maîtres de la mer, et ferons la loi à'ces insulaires, qui usurpent ce titre. Nous avons, sans comparaison, plus de havres qu’eux, plus de bois et meilleur qu’eux pour bâtir des navires, plus de matelots, témoins qu’ils ne se servent en leurs voyages que du nos Biscayens, ou de nos Bretons ou Normands. Les toiles, les cordes, les cidres, les vins, les chairs salées, équipages nécessaires, se prennent sur nos terres. « Il ne reste plus que de donner la forme à ce dessein’, la matière n’est que trop ample. En voici un projet , servez-vous-en, si vous n’en trouvez point de meilleur ; il ne m’importe pas, pourvu que la chose se fasse, et que le public y profite. Que le roi, par édit, ordonne qu’en chacune ville capitale de ses provinces, les marchands feront une compagnie pour la navigation, sur le modèle d’Amsterdam , et équiperont certain nombre de vaisseaux dans les ports les plus proches et les plus commodes; et pour les inciter davantage, qu’on leur accorde de grands privilèges, cpmme, entre autres, qu’on rabatte le dixième des impositions aux navires français qui entreront et sortiront sans fraude de nos ports, et qu’il soit défendu, à peine de confiscation de corps et de biens, à nos mariniers, d’aller servir les étrangers. « En peu de temps vous ferez une flotte innombrable, et couvrirez la mer de voiles, et vous emploierez quantité de jeunes novices qui demeurent inutiles et qui s’abâtardissent. « Le sel et les aides sont encore deux rudes charges ; la première, bien plus grande que la seconde, parce qu’il est bien plus aisé de se passer d’aller à la taverne que de manger du sel, aliment nécessaire ; néanmoins je ne crois pas que vous en deviez pour cette heure demander l’extinction ou la diminution : il suffira que le roi relâche les tailles, fardeau presque insuppor-§7 table,' jusqu’à ce qu’ayant racheté tout son domaine, Dieu iui ouvrira les moyens pont* rendre la liberté à la France. t • « De tous les ménages du temps passé, je n’en ai approuvé qu’un seul. Cet or amoncelé dans la Bastille ne m’a jamais été d’un bon augure. Le vrai trésor d’un bon roi est dans le cœur et dans la bourse de ses sujets. Fai condamné cette conversion des octrois extraordinaires et à temps en recette ordinaire ; outre que c’était prostituer la foi du prince qui, doit être inviolable, c’était ôter le moyen de servir l’État à l’extrémité. Le seul ménage donc que j’ai estimé, était le rachat du domaine en seize années de jouissance, et cependant c’est celui qu’on aura renversé : Dieu le pardonne à ceux qui en sont coupables! fie-mettez-donc, s’il est possible, sur pied ces partis, et qu’ils soient exécutés sans exception de personne du monde. Le domaine du roi _ s’appelle sacré , parce que véritablement on ne peut 'y mettre la main sans sacrilège. « En général, rejetez avec honte ceux qui vous proposeront des expédients pour augmenter la recette des finances ; le peuple n’est que trop chargé, et, au contraire, recueillez à bras ouverts les avis qui vont à diminuer la dépense, soit par retranchements légitimes, soit par bon ménage. C’est ce seul moyen qui reste pour soulager le royaume. « Messieurs, voici le dernier de nos maux et plus agité en cette saison : la mangerie aux officiers. Nous avons déjà parlé de ceux de finance; reste à parler de ceux de justice. « Ce mal a plusieurs racines ; il les faut toujours suivre exactement ; il y a la dispense de quarante jours, qui rend les offices comme héréditaires, la vénalité, qui les met en commerce, et le gain ordinaire qui est toléré, qui les enrichit. Il serait à désirer qu’on pût guérir ces trois maladies tout d’un coup; mais il est bien mal aisé; tant de gens et si puissants dans l’État sont intéressés, que je craindrais que le remède ne fût pire que le mal. Il faut donc y aller à pied et insensiblement. « La valeur excessive des offices est le fondement de ce désordre. Il y en a pour cent millions d’or et plus en France : le seul moyen qu’on a de le saper, c’est, d’en ôter les épices et les émoluments; d’une pierre vous frapperez deux coups : vous ferez ramender les offices et soulagerez grandement le peuple, qui n’a pas tant d’intérêt à la vénalité ou à la paulette comme à l’oppression qu’il sent, à cause des exactions de plusieurs officiers de justice. « Outre que cet expédient sera utile au public, avantageux et honorable pour le roi, il sera très-bien reçu de *rpbe longué. En ce métier-là, tout le monde fait profession d’honneur, tellement que ceux qui seront avaricieux entre eux, loue- 88 ront les premiers cette réformation ; au lieu que si vous touchez à la paulette, ou à la vénalité, les plus, gens de .bien se plaindront , parce que véritablement ils seront ruinés. - « Par ce moyen, il n’y aura plus de procès en France, dans dix ans. Les juges en font beaucoup plus que les parties. La juridiction des marchands est sans contredit la plus courte et la plus équitable, parce qu’elle n’a point d’émoluments. « Surtout, Messieurs, prenez garde de ne mécontenter pas tous les officiers ; si à même temps vous ne vous résolvez à soulager grandement le peuple, et à leur gagner le cœur; car Henri III en fut mauvais marchand : ayant ôté la vénalité des résignations en 1582, 3, 4, 5, 6 et 7, en 1588 toutes les villes se révoltèrent contre lui. Je sais Lien qu’il y avait d’autres causes malignes concurrentes à cette sédition ; mais croyez-moi, celle-lâ ne poussa pas peu à la roue. Naturellement les peuples aiment le changement, et s’y portent s’ils ne sont retenus par la crainte des punitions. De façon que lorsque les magistrats ou les incitent, ou font semblant de ne les voir pas, tout se précipite à la confusion. « Sans doute que la paulette est un grand mal; mais elle a produit pour le moins ce bien durant nos derniers mouvements, que pas un officier ne s’est démenti de son devoir : la raison de cela est que le prix excessif de leur office les intéresse tous à la conservation de la paix et à la manutention du service du roi . Et qu’on en dise ce qu’on voudra, les hommes n’ont point de plus fortes chaînes que leur intérêt, ni de passion qui les emporte plus violentement. « Toutefois, Messieurs, si vous voyez l’esprit du roi porté à réformer tout son royaume, et à soulager son peuple, donnez hardiment conseil de guérir toutes ces trois maladies ensemble : avec ces précautions, il n’y aura rien à craindre. Dieu se mêlera de la partie, et favorisera indubitablement une si sainte résolution, pourvu que l’ordonnance soit suivie pour les suppressions et nominations des officiers singuliers. ( « Sur la demande des États généraux derniers, la paulette fut ôtée : qu’en arriva-t-il ? Les premiers offices qui vaquèrent furent donnés à des valets de chambre et à des chevau-légers : il y en eut parmi eux qui furent assez insolents pour enfoncer les portes d’un officier malade, afin de voir s’il était encore expiré. Cet outrage excita de si grandes clameurs, que le roi fut contraint de continuer ce droit pour trois ans. « Si vous aimez l’Etat, faites qu’on n’ôte pas la dispepse des quarante jours, si on ôte en même temps la vénalité : autrement vous verrez tout à coup les parlements dénués de ces vieux arcs-boutants qui les soutiennent, lesquels se déferont de leurs charges trois mois après. En outre, la plupart de ceux qui voudront courre la fortune [Introduction.] feront sans doute leur compte, et tâcheront, dans le temps de la jeunesse et de la'force, à se récompenser du prix de leurs offices ; et le public en pâtira. » Voici l’état dps affaires de finances de France, que le marquis d’Effiat, surintendant d’icelles, présenta au commencement de l’an 1627 dans l’assemblée, et lequel y fut lu hautement par le secrétaire d’icelle, afin que chacun des notables fût instruit au vrai quel avait été l’état des affaires desdites finances, le maniement d’icelles et leur emploi depuis le décès du roi Henri le Grand : « Messieurs, un. ancien disait qu’on ne vivait si bien en aucun lieu qu’à Rome, fût pour l’institution des mœurs, ou pour l’exercice du courage 7 qu’il estimait plus un Caton qu’il n’estimait trois cents Socrates ; je puis dire aussi qu’il n’y a point de contrée au monde plus fertile en grands rois que la France, et que je fais plus de cas d’un Henri le Grand, de louable mémoire, que de tous les rois des nations étrangères, parmi lesquels il ne s’en est point trouvé ni vu qui n’eût pu apprendre de ce grand monarque les règles nécessaires pour bien et glorieusement régner. « Et si, pour gouverner un. grand État, il était besoin à cette heure de choisir des lois qui eussent été pratiquées et produit d’heureux effets, l’on n’en pourrait trouver de meilleures que celles dont il s’est servi, et qui lui ont si utilement réussi ; car dès lors qu’il eut donné le repos à ses sujets, son État devint florissant, fut rempli de bénédictions ; et tout ce que la confusion des guerres civiles avait déplacé fut rétabli en son premier ordre. « Il fit exactement observer les anciennes ordonnances sur le fait des finances ; et sa prudence parut tellement en la distribution de ses libéralités, qu’aujourd’hui elle est tirée en exemple, et sera admirée des siècles suivants, ne se remarquant qu’il en ait usé que par prévoyance d’un bien à espérer, ou pour une pressante nécessité. « Néanmoins , comme il survient au corps humain, pour parfait qu’il puisse être, des pertes de sang (siège principal de la vie) par divers accidents qui ne se peuvent aisément réparer, de même cet État, avec son' excellente disposition, ne laissa de sentir au courant des années plusieurs manquements dans ses finances ( où gît le premier manquement de sa force), soit en dépenses inopinées, ou pour des rabais qu’il convenait faire aux fermiers, à cause des stérilités ou mortalités advenues, et qui engendraient des non-valeurs dans les recettes générales, ou pour la réception des ambassadeurs , des négociations , pensions dedans et dehors du royaume, dépenses secrètes, assistance d’hommes et d’argent donnés aux alliés, et soldes extraordinaires ; de sorte qu’il ne se trouva aucune année durant ce grand calme, que l’état au vrai de la dépense n’ait [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. I». J. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] excédé de plus de 5 à 6 millions de livrés, les états faits par estimation au commencement des années. « C’est chose qui consiste en fait, à quoi l’on ne saurait rien ajouter ni diminuer et dont la compagnie pourra être éclaircie par les comptes qui en ont été présentés à la chambre, et que RL le procureur général en icelle peut faire voir, n’étant possible d’en acquérir une certaine connaissance qu’en les examinant par le menu. « Ainsi, vous verrez que le feu roi faisait toujours sa dépense plus faible que sa recette, de 3 à 4 millions de livres, pour avoir de quoi fournir à toutes ses dépenses inopinées ; et en outre faisant enfler sa recette du bon'ménage qu’il pouvait faire durant l’année par moyens extraordinaires, et ce qui se trouvait rester de bon, les charges acquittées, était mis en réserve : c’est de -là qu’est provenue la somme qui s’est trouvée dans la Bastille, après sa mort, qui montait à cinq millions et tant de livres, et environ deux millions qui demeuraient entre les mains du trésorier de l’épargne en exercice, pour faire ses avances, lesquels sept millions étaient le fruit des dix années paisibles, qui commencèrent depuis son retour de Savoie. «' Après son décès, la face des affaires fut changée ; en sorte que ceux qui eurent la direction des linances crurent, par de louables et saintes considérations qui vous seront ci-après représentées, que c’était assez de conserver cet argent amassé, sans continuer les précédents bons ménages pour y en ajouter, se contentant d’égaler la dépense à la recette ; ce quifutcause qu’étant surchargés parles dépenses extraordinaires, ils se trouvèrent à court, enfin d’année, de trois à quatre millions delivres ; et pour réparer cette faute de fonds, et prévenir les mouvements qui se préparaient dans l’État pendant la minorité du roi, ils furent forcés d’entamer ce sacré dépôt qui les fit passer doucement jusqu’en 1613. « Ainsi cet argent de réserve, utilement consommé, et les charges croissant de jour en jour, ils furent contraints de porter partie de la dépense d’une année sur la recette suivante ; tellement qu’en 1615, ils eussent été bien empêchés, si le roi n’eût été secouru de deux moyens : l’un, de la révocation des contrats pour le rachat de son domaine et greffes en seize années, et revente d’iceux; l’autre, de la création des triennaux, faite au commencement de l’an 1616 ; ce qui soutint les affaires en ce temps-là, auquel les non-valeurs furent excessives, à l’occasion des troubles qui s’émurent lors en toutes les contrées de la France. Depuis, les dépenses augmentant, il n’y eut plus moyen de les supporter avec le revenu ordinaire de l’État. « Et tout ainsi qu’on se sert de toutes inventions pour affermir un vieil bâtiment qui menace ruine, de même les directeurs, voyant que cet 89 ancien royaume courbait sous le faix des charges, et n’avait aucune ressource pour les acquitter, furent contraints de chercher tous les ans des édits, règlements et créations nouvelles d’ofticiers, afin d’écouler le temps, et soulager le mieux qu’ils pourraient leurs nécessités -, et avec toute leur industrie, ils ne purent rejoindre le courant, si bien que, pour sortir d’une année, ils furent forcés d’engager le revenu de la prochaine, quelquefois d’un an et demi et de deux années. « Dès lors, les comptables leur firent des avances, dont les remboursements étaient si éloignés, qu’à peine pouvait-on satisfaire à leurs intérêts, et même à la sûreté de leur prêt, qu’en les rendant comme maîtres absolus du maniement de leurs offices. « Les fermiers et ceux qui avaient traité avec le roi firent de même, lesquels n’ont plus voulu mettre à prix aucun office ou portion du domaine, que suivant le revenu qui en pouvait provenir ; ce qui a fait que les ventes n’ont jamais excédé le denier dix, et s’en sont acquis la jouissance dès le commencement des années que les créations ont été faites, non obstant que la plupart n’eussent traité qu’après les premiers quartiers échus ; ils ont ajouté les deux sols pour livre, qu’ils disaient être affectés à supporter les frais, ensemble la remise du sixième pour les tirer hors de tous intérêts, et les garantir du hasard qu’ils pouvaient courir à faire valoir les choses par eux achetées ; lequel sixième, avec les deux sols pour livre et la jpuissance, font une somme égale au tiers du total. « Que si l’urgente nécessité des affaires a voulu que les partisans aient avancé le terme de leur obligation pour avoir tout en argent comptant, on leur a donné des intérêts jusqu’à 15, 18 et 20 pour cent ; lesquels ajoutés avec les autres remises, ont fait que les meilleures affaires ne sont pas revenues à la moitié des charges de l’État, étant réduites à ce point, qu’elles n’avaient autre recours pour les soutenir qu’à la bourse des partisans, lesquels, en cette nécessité, s’étaient tellement autorisés, qu’au bout du temps on n’a su les faire compter nettement ; et pour s’en garantir, se servaient des changements qui arrivaient dans le royaume. « Il s’est aussi rencontré que tous les trésoriers de l’épargne, qui ont levé sur ces receveurs généraux des sommes d’argent avant le terme échu, n'étaient point ceux auxquels ils devaient répondre en l’année de leur exercice ; et l’épargne formant ses recettes ainsi confusément, s’est trouvée elle-même tellement embarrassée, qu’il n’y a plus eu lieu de voir clair dans ses comptes. « Les naturalistes disent que la seiche a cette industrie de troubler l’eau pour tromper les yeux du pêcheur qui l’épie; de même ces trésoriers ont perverti tout l’ordre et obscurci leur mauiement, [*re Saris, T, I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} 00 afin qu’on ne pût apprendre par l’épargne les recettes qui s’étaient faites dans les généralités, ni pareillement juger des dépenses, quoique l’épargne soit la source d’où doivent sortir les moyens de les faire. De là vient que, quand le compte de l’épargne est demeuré, ceux des généralités demeurent aussi accrochés, semblables à un peloton de fil mêlé, duquel vous ne pouvez tirer un bout que vous ne serriez davantage les autres ; et ce, d’autant que les trésoriers de l’épargne ont pouvoir de faire recette et dépense, de leur autorité, jusqu’à,, la clôture de leur compte, qui ne peut être fini que quand il leur plaît. « Le moyen d’éviter ce désordre est que le surintendant compte avec eux de jour à autre, ou du moins toutes les semaines,, et pourtant se trouvera bien empêché avec cette vigilance de pénétrer dans le fond de leur maniement. Je n’aurai pas peu d’affaire étant à présent en charge devoir les comptes de dix trésoriers de l’épargne, ayant tous la même autorité que celui qui est en exercice, et en même temps compter avec cent et tant de receveurs généraux, plus de six cent vingt fermiers etautantde traitants qui ont dû porter leur recette à l’épargne pendant les cinq années dont ils n’orit encore entièrement compté. Combien de comptes de diverses natures de deniers doivent rendre les trésoriers des parties casuelles ! tous ceux qui on t agi par commission aux reventes du domaine, qui eu ont reçu les deniers par les quittances de l'épargne, desquels ils n’ont point encore rapporté les ampliations, ce qui empêche l’épargne d’en faire sa recette assurée ! « Or, s’il y a tant de difficulté à reconnaître la vérité en la plus facile fonction des finances, qui est la recette, comment pourra-t-on pénétrer jusqu’au fond de la dépense, pour voir si elle est vraie ou fausse, après qu’elle a passé par tant de mains différentes, tant de divers sujets et sous l’autorité de plusieurs ordonnateurs, desquels aucuns ne sont plus en charge, et les autres disent qu’ils ne sont obligés de rendre compte de leur gestion qu’au roi. « Ainsi, par ces difficultés, l’on ne saurait apprendre le menu des sommes qui sont entrées pendant ces cinq années dans la chambre aux deniers ; et l’épargne rapportant la quittancé du trésorier d’icelle chambre à sa décharge, il n’v a lieu de contester. Il en est de même de l’écurie, de l’argenterie, des menus, de la chambre du trésorier de la maison, de ceux des reines et de Monsieur, et généralement de tous les comptables des maisons. « Quant aux pensions , gratifications et entre-tenements donnés pendant ces cinq années, pour savoir à quelles sommes elles se montent, il ne faut que les quittances des parties prenantes pour en être éclairci. « Pour la guerre, là plupart des officiers nous eu opt caché le menu, et n’en pouvons avoir aucune lumière ; témoin la dépense de la marine faite en 1622, qui monte à un million d’or : le même se trouvera des autres années, et, pour mieux couvrir leur jeu, ils disent fine c’est du fait de l’amiral, qui en a usé ainsi qu’il lui a semblé ! Autant se peut dire de l'artillerie, qui perte le tiers de la dépense de la guerre ; et quand on demande aux officiers l’emploi des deniers qu’ils ont reçu de l’épargne, ils rejettent tout sur le grand maître. « De même est-il de l’ordinaire de la guerre, la dépense de laquelle n’est connue que par le connétable et le secrétaire d’Etat qui en a le département, « Quant à l’extraordinaire, pour en vérifier au vrai la dépense, il est besoin de faire compter dix trésoriers qui ont exercé pendant les cinq années, tant deçà que delà des monts ; et y a tel d’entre eux par les mains duquel ont passé plus de 12 millions de livres en son année, dont les dépenses se sont faites en divers endroits de ce royaume, en Italie, en la Valteline et ailleurs. « En cet état extraordinaire de la guerre, je n’y comprends point les Suisses, parce qu’ils sont payés par les trésoriers des ligues, qui manient les deniers qui leur sont envoyés, et se distribuent suivant l’état qu’en fait l’ambassadeur. « Ce n’est pas que je veuille condamner l’autorité de ces ordonnateurs, quoiqu’ils aient formé, tant qu’ils ont pu, des nuages épais pour rejeter aux yeux de ceux qui désirent voir jour en leurs affaires ; et pour ces considérations, le roi, usant de sa prudence accoutumée, a jugé bon de supprimer la charge de connétable et celle d’amiral, parce qu’il n’eùt été possible, ces deux charges demeurant dans leur entier, de faire aucun règlement parmi les gens de guerre, de terre ou de mer ; étant véritable qu’on fait plus à présent pour un million de livres qu’on ne pourrait faire pour six millions, ces charges subsistant en leur première autorité. - « De l’abus de ces puissances sont arrivés ces désordres qui ont tellement mis en arrière les affaires de Sa Majesté, qu’elles en sont comme abandonnées, et ne sait-on comment reconnaître ceux auxquels il est dû, ni de qui on doit recevoir l’argent pour les payer ; chaque receveur alléguant avoir fourni ce qu’il devait longtemps avant le terme échu, par des avances ou des prêts, et pourtant personne ne se trouve satisfait. - « Si l’on s’adresse à ceux qui sont en exercice en l’année 1626, ils disent avoir fourni à l’épargne ce qu’ils doivent dès l’année 1625, d’autres en 1624, et s’en trouve qui disent avoir payé en 1622 et 1623 ; que si, pour vérifier leurs acquits, l’on se veut régler sur les états par estimation, vous les trouverez ne monter qu’à vingt ou vingt-deux millions, et par les états au vrai ils se mon [lregérie. T. !?>•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] tent ci l�ente, yoirn à quarante millions de liyres. Que si on veut entrer en la connaissance du détail, ils renvoient à des supérieurs et chefs de charges, desquels la naissance et autorité sept si grandes, qu’ils nous ferment la bouche» et nous disent qu’ils ne rendent compte à personne qu’au roi. << C'est ce qui a bouleversé l’ordre des finances, par lequel on pouvait connaître la vérité de recettes et dépenses. Aussi a ce été la cause que ceux qui m’ont précédé ont été tellement emportés par les grandes dépenses que la grande quantité d’armées a engendrées, et ont trouvé leur courant si déplacé, que, quelque affection qu’ils y aient eu de remettre les choses en leur ordre, ils ne l’ont pu, bien qu’ils aient vaqué avec toute sorte de soin et d’intégrité au devoir de leur charge ; mais les moyens de soutenir ces excessives dépenses leur manquant tout à fait, et étant toujours en peine de chercher de nouveaux fonds pour les supporter, il ne s’est point fait d’état du roi, où toutes les dépenses doivent être contenues des dernières années; d’où est provenue la disette que l’État souffre présentement, qui' manque à toutes occasions de moyens pour supporter la sixième partie des dépenses du royaume, lesquelles sont toutes proposées nécessaires et demandées comme justes ; et si elles sont différées ou refusées, le surintendant seul en reçoit le blâme, et passe pour condamné. « Il est comme le pilote qui regarde les vents et la mer conjurer ensemble contre son vaisseau, et apporte ce qu’il a de prévoyance pour y remédier : de même est-il seul à se défendre contre tous venants qui s’accordent pour l’attaquer, fait ce qu’il peut pour les contenter ; et n’ayant moyen de leur donner satisfaction, pour ce qu’il ne lui estpossible d’accommoder une affaire qu’il ne soit forcé d’en blesser une antre, il est contraint de les laisser plaindre et donner cours à leur douleur. Ainsi n’y ayant point de règles dans l’épargne, toutes choses qui en dépendent tombent en confusion. « J’appelle à témoin de mon dire la chambre des comptes, s’il n’est pas véritable qu’elle s’est trouvée en ce point de ne pouvoir examiner et clore les comptes, faute que ceux de l’épargne n’avaient point été arrêtés, « M, le procureur général en ladite chambre ci-présent yous assurera qu’il m’est venu dire de leur part qu’ils ne pouvaient faire leurs fonctions, que les comptables qui y portent les deniers de leurs charges, ou y prennent les assignations, n’eussent fait de même ; d’autant que les recettes de tant d’autres accumulées formaient de si grandes confusions, et favorisaient si fort les divertissements, qu’il n’était possible de discerner les vraies recettes et dépenses avec les vraisemblables. J’ajouterai que cela donna sujet à la chambre de députer deux maîtres de chaque bureau pour 9i m’en faire plainte ; et peu de temps après, elle donna un arrêt célèbre contre tout comptable à même fin qui contient ce que je dis. « Voilà l’état auquel est la France à présent, qui a besoin de puissants remèdes pour la remettre en vigueur, les faibles ou palliatifs lui étant inutiles. C’est avec douleur que je découvre les nécessités qjti sont en ce royaume ; non que je redoute que nos voisins en puissent tirer de l’avantage, parce qu’ils sont encore en plus mauvais état ; mais d’autant que cette grande nécessité était à compassion des bons Français qui aiment leur patrie, et pourtant ces maux ne sont si extrêmes qu’où ne les puisse réparer et rendre à la France sa première splendeur. « Le moyen d’y parvenir est que tous les états des finances soient formés à l’ayenir sur le modèle de l’an 160.8, et que dans la recette nous laissions une spmwe suffisante popr remplacer les non-valeurs et les pertes inopinées que nous supportons ; parce que, si nous nous contentons d’égaler la dépense à la recette, il est indubitable qu’au lieu de guérir nos désordres, nous les accroîtrons. « Ce n’est pas que je veuille blâmer le temps auquel le bon ordre que nous désirons aux affaires a fini ; car une sainte intention en a été la cause. La reine, mère du roi, leur régente, fut persuadée de prier le roi de tourner le ménage qui se faisait aux finances en libéralité, afin que les affections des peuples, dues à leur roi, lui fussent conservées entières, malgré les pernicieuses pratiques qui se faisaient au contraire. « Ce salutaire conseil fit telle impression aux cœurs de Leurs Majestés, qu’effes remirent au peuple trois millions de livres, tant de ce que portait auparavant le brevet de la taille, que des impositions des fermes. Le sel, qu’on avait proposé d’établir par édit dans les provinces qui en sont libres, n’eut point lien, comme il se voit par la révocation des offices créés aux greniers à sel d’Auvergne, qui étaient déjà vendus à un nommé Blancheteau, lesquels furent au même instant remboursés et supprimés. « La douane de Valence fut ôtée, et la Provence, le Languedoc et le Daupbiné soulagés ; on diminua plus du tiers de l’imposition du convoi dé Bordeaux, et la moitié de celle de Charente, autant sur celles de la rivière de Loire et des autres, « On remit plus de la moitié des subventions aux grandes villes, lesquelles depuis n’en ont quasi rien payé ; le prix du sel fut diminué de cinquante sous par minot en la ferme des gabelles de France, et en celui de la ferme du Lyonnais, de cinquante-trois sous ; ce qui revenait alors, sur le pied des ventes, à plus de 1,500 livres, « Toutes lesquelles diminutions affaiblirent d’autant la recette, et ôtèrent le fonds qui servait [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.) à soutenir les dépenses extraordinaires, qui peu à peu furent grandement accrues. « Le roi, désirant que les grands se ressentissent de ses munificences, aussi bien que les petits, tripla les pensions de tous les princes, donnant à M. le prince de Gondé trois cent mille livres de pension ; à MM. les prince de Gonti et comte de Soissons, chacun deux c«nt mille livres , aux autres princes, chacun cent mille livres. Le ducs, pairs et officiers de la couronna reçurent leur part de ces bienfaits, et n’y eut seigneur à la cour qui ne s’en ressentît, ces gratifications mêmes s’étendant jusqu’aux provinces les plus éloignés, où les gentilshommes qualifiés en étaient participants. « De sorte que cette augmentation de dépense composait une somme d’environ quatre millions de livres, laquelle, jointe à la diminution faite au peuple, fit manquer le fonds annuel de la recette de six à sept millions de livres ; et sans les retranchements que le roi et la reine firent sur eux-mêmes, il eût fallu rétablir ce que Leurs Majestés avaient donné aux provinces pour leur soulagement, et diminuer les libéralités que recevaient les grands , les seigneurs gentilshommes du royaume « Néanmoins la guerre que l’on pensait lors éviter par cette munificence, ne laissa de troubler grièvement l’État (l’ambition des hommes ou leur avarice l’ayant ainsi voulu) ; et elle s’alluma de telle sorte en tous les endroits de la France, et avec telle violence, que les lois furent foulées aux pieds ; il n’y eut rien de sacré qui ne fût méprisé et pollué. « En ce désordre, les dépenses qui n’avaient excédé vingt millions de livres montèrent jusqu’à cinquante millions; ce qu’il n’a étépossible de soutenir que par des voies extraordinaires, qui n’ont pu néanmoins être justement blâmées, tant parce qu’elles ont été causées par la nécessité, que pour avoir été puisées dans le domaine du roi que Sa Majesté a voulu être engagé, et les deniers en provenant, employés à réparer les calamités publiques, plutôt que d’interrompre le cours de ses bonnes intentions. « Que si d’ailleurs il est venu à l’épargne quelques sommes d’argent, ça été par des créations d’offices, dont les gages, droits et fonctions se font à ses dépens ; et les droits des acquéreurs de ces offices sont si bien conservés, que, s’il y a pour un teston de non-valeur, il est porté sur la partie de l’épargne, quelque petite qu’elle puisse être. « Or, si le revenu du domaine est tiré à néant, les tailles qui se montent tous les ans à près de dix-neuf millions de livres, ne sont pas beaucoup plus utiles au roi, puisqu’il n’en revient à l’épargne que six millions, qui passent par les mains de vingt-deux mille collecteurs, et qui les portent à cent soixante receveurs des tailles, qui les remettent à vingt et un receveurs généraux pour leâ voiturer à l’épargne. Et ces deniers des tailles sont tirés de l'épàrgne pour être distribués aux trésoriers de l’extraordinaire de la guerre ou des maisons, suivant qu’ils sont destinés, lesquels en baillent la moindre partie à ceux qui les doivent recevoir d’eux ; car avant que les officiers par les mains desquelles passent ces deniers, aient pris leurs gages, taxations, droits, ports et voitures, il se trouve enfin que ces sommes reviennent à peu de chose. « Quant aux gabelles, la ferme générale est de sept millions quatre cent tant de mille livres, les frais des fermiers rabattus, qui reviennent à deux millions de livres ; et de sept millions quatre cent mille livres, il y en a six millions trois cent mille livres d’aliénés ; si bien que le roi n’en retire que onze cent mille livres, qui ont été affectées l’année dernière et celle-ci, au payement des rentes de la ville, dont Feydeau était demeuré en arrière. « Le roi a souffert une semblable perte aux rentes des aides, et par ainsi il porte seul la folle enchère des banqueroutes, et paye pour tout le monde, quelque nécessité qu’il ait en ses affaires. « La ferme des aides porte près de deux'millions de livres de charges ; les deux tiers du revenu de toutes les autres fermes peuvent à peine suffire pour en acquitter les charges. « L’on voit donc comment la bonté de Leurs Majestés a conservé les effets de leur première libéralité, et qu’à leur dommage les feux de leurs sujets rebelles ont été amortis, la paix rétablie dans le royaume et toutes choses remises dans leur ordre. « Sa Majesté ne s’est pas contentée de dissiper les factions nouvelles aux dépens du revenu de sa couronne ; mais a exposé sa personne aux hasards de la guerre, jusqu’aux coups de main, aux injures de l’air et maladies contagieuses, dont Dieu seul l’a garanti ; et après tant de maux soufferts, ses sujets vivent sous son obéissance en douceur, accommodés de toutes choses , lui étant plein de nécessités. Ge sont les marques de sa bienveillance, qui n’a autre but que de soulager son peuple, bien faire sa noblesse, augmenter les droits et gages ;des compagnies souveraines, et de continuer ses libéralités aux princes de son sang, et ceux qui sont près de sa personne. « L’on 'peut voir par là que les biens que le roi a faits à tous, sont cause des incommodités qu’il souffre; ce qui ne serait, s’il ne le voulait, puisque c’est par son autorité que nous jouissons du repos, que nous goûtons la vie, et que Sa Majesté, pouvant se donner un pareil contentement, ne se plaît qu’à vivre en continuel souci pour notre conservation. « En ce chaos d’affaires, il désire avoir vos avis flre Série, T, I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction ] pour apprendre par quelles laçons il s’en pourra démêler, et se tirer hors de la nécessité présente, usant .en cela d’un procédé qui tourne à la gloire de sa personne sacrée, et de ceux qui ont l’honneur d’opiner en ses secrètes résolutions. L’avis qu’il vous demande n’est que votre consentement en des choses qui dépendent nuement de Sa Majesté. « 11 demande d’être secouru, non pour s’en prévaloir, mais parce que la sûreté publique le requiert; sa bonté ne voulant se servir d’aucun remède qu’on lui propose, si cette assemblée, pleine des plus sages et prudents hommes du royaume, n’en convient avec lui ; étant si éloigné de faire chose qui puisse fouler son peuple, qu’il l’a déchargé de six cent mille livres par le brevet de la taille de cette année, qu’il pouvait augmenter autant qu’il eût plu à sa souveraine autorité. « II est vrai que cette gratification a déplu à quelques personnes mal intentionnées, lesquelles, pour ne paraître en public auteurs des calomnies, vont disant à l’oreille les uns aux autres qu’on a chargé le peuple d’ailleurs, et par ce moyen veulent détruire la grâce du bienfait de Sa Majesté. Si leur volonté était bonne, ils pourraient parler hautement, et dire leur pensée en cette célèbre compagnie, afin d’avoir des preuves hors de toute exception , pour faire châtier sévèrement les auteurs de cette mauvaise action comme ils le méritent ; cela étant du tout contraire aux volontés du roi, qui peut et ne veut pas que l’on augmente charges quelconque� sur son peuple, non ob'stant que ses finances soient éloignées du courant, et que trente millions de livres ne l’y puissent remettre ; et afin de vous le faire reconnaître je vous dirai en peu de mots qu’il plut au roi me mettre en charge au commencement de juin; n’ayant trouvé dans l’épargne aucun fonds pour soutenir la dépense du mois, je suis obligé d’ajouter à la demi-année que j’ai exercée. « M’étant enquis quelle recette et dépense étaient à faire durant le reste de l’année, j’appris qu’il n’y avait plus rien à recevoir, et que même la recette de l’année 1627 était bien avant entamée, et que le quartier de janvier était entièrement mangé, et qu’on avait commencé de lever sur celui d’avril ; que les fermiers généraux des aides avaient prêté un million de livres, et les sous-fermiers cinq cent mille livres, pour s’en rembourser aux quatre quartiers de l’année et sur les deux premiers de la suivante; que les cinq grosses fermes étaient affectées à Chariot pour son remboursement des grandes avances qu’il avait faites. De même est-il de la ferme des gabelles de Languedoc à Coulanges, la ferme générale des gabelles à Biois, à cause d’un million qu’il avait avancé pour le payement des rentes dont Feydeau était demeuré redevable. « Ainsi je trouvai toute la recette faite et la dépense à faire; car toutes les garnisons pres-93 saient d’être payées de leurs soldes des années 1625 et 1626. Les armées de la campagne {demandaient leurs montres de novembre et de décembre 1625, et celles de l’année 1626; jusqu’alors les-payes des deux années dues aux garnisons se montaient à cinq millions de livres, suivant l’état, à raison de deux millions cinq cent mille livres par an. Que s’il s’en est trouvé qui aient touché quelque chose, il y en avait aussi d’autres qui demandaient trente mois de solde. « Pour les armées de la campagne, il se trouve que le roi payait, tant en Italie et en Valteline qu’en France, quatre-vingt onze mille hommes de pied et six mille chevaux, dont la solde revenait par mois à plus de deux millions de livres; et pour huit mois, il faillait plus de seize millions de livres, à quoi ajoutant les cinq millions des garnisons, le tout revenait à près de vingt-deux millions de livres, comme il se peut justifier par les états du roi et par les certificats que j’en ai tirés des trésoriers de l’extraordinaire des guerres, pour mettre l’épargne en quelque ordre de compte. • a Les gratifications que le roi fait, réduites sur le pied de quatorze cents et tant de mille livres, étaient toutes à payer durant les deux années, qui font environ trois millions de livres. Tous les appointements des officiers de la couronne, ceux de MM. du Conseil , des domestiqués de la maison du roi et des compagnies souveraines, avec lès pensions étrangères, étaient à payer, qui se montent à plus de deux millions de livres. « Encore est-il dû cent vingt mille livres de reste dü mariage de la reine d’Angleterre ; . six cent mille livres à MM. des États des Provinces-Unies, que le roi leur a promis, et autres dettes. « Sur toutes lesquelles choses j’ai fait payer cent quarante mille livres de gratifications en assignation; douze cent tant de mille livres pour trois mois donnés aux garnisons ; cent cinquante mille livres dont j’ai assigné le roi de Danemark ; cinq cent mille livres pour les me-zades de M. de Savoie que j’ai fait assigner. Plus, il a été envoyé delà les monts, en argent comptant, deux millions de livres , savoir : neuf cent huit mille livres qu’emporta Mesmin,-deux cent mille livres qui ont été envoyées à M. deCha-teauneuf, trois cent mille livres que j’ai fait toucher à M, le marquis de Gœuvre au commencement d’octobre, et six cent mille livres en novembre. « Et pour soulager le peuple des armées qui retournaient d’Italie , qui l’eussent entièrement ruiné a été donné pour les licencier, ensemble l’armée de Champagne et celle de Picardie, deux millions trois cents et tant de mille livres en argent comptant, sans y comprendre trois mille trdis cents Suisses qui étaient en Picardie et n’avaient fait que deux montres. « Ce qui reste des armées de Champagne et de [|re Série, T. I«r.] ARCHIVE� PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Picardie, avec les anciens régiments qui sont en garnison à Montpellier, au fort Louis, au Pouzin, en Bretagne* en Normandie, revenant par mois, compris 'la cavalerie entretenue, à près d’un million de livres, ont déjà reçu une montre en novembre et une autre qu’on leur" paye à présent. « Il a fallu fournir à M. le connétable, pour Pouzin, trois cent mille livres, autant à la garnison de Montpellier* qui n’est encore contente, trois cent dix mille livres à ceux de la religion prétendue réformée, près de cinq cent mille livres à M. ThoiraSf environ, deux cent mille pour les vaisseaux de Hollande, et pareille, somme qui était due à ceux qui ont servi à Pile de Ré et à Blavet 5 cent mille livres à M. de Retz ppur l’acquisition de Belle-Isle ; et avec tout cela il a fallu soutenir les dépenses des maisons qui se payent en argent comptant tous, les mois, étant pour la nourriture du roi, des reines et de Monsieur. « L’on donne en outre tous les mois, tant pour le comptant ès mains du roi qu’aux officiera de la chambre aux deniers, argenterie, trésorier de la' maison du roi, menus, écurie, offrande, vénerie, fauconnerie, archers de la porte et du grand prévôt , Gent-Süisses , quatre cents archers des gardes, detix cents gens d’armes, deux cents che-f an-légers , soixante quinze mousquetons, régiments dé quatre mille hommes français et de deux mille deux cents Suisses, appointements de leurs colonels, le tout montant à plus de sept cent mille livres, qui font pour sept mois plus de cinq millions de livres, y compris les menus dons, Voyages et parties inopinées. « H y a encore beaucoup d’autres dépenses qui ont été faites depuis, qui montent à de grandes sommes, comme l’apanage de Monsieur, les récompenses données à MM.- l’amiral et de Sourdeac et autres; ensemble l’argent comptant envoyé aux étrangers, çomme cent mille livres de pension à madame la princesse de Piémont, et le tout par très-exprès; commandement du roi. « Toute laquelle dépense en argent comptant a été faite par emprunt, dont les intérêts montent à plus d’un million de livres qui ont-consommé tout ce qui restait de la recette de cette année 1 6-27, avec les moyens extraordinaires qui se sont trouvés dans les affaires du roi ; de sorte que, pour rejoindre le courant, il est nécessaire de trouver de quoi vivre et cOulèr le reste de l'année, « J’ajouterai, Messieurs, que la dépense que M. de la Yieville avait réglée en 1623, et qui a fait tant de bruit, n’a pas laissé de monter à trente-cinq millions cinq cent mille livres, comme il se peut voir • par l’état qtf en a présenté le trésorier de l’épargne, Beaumarchais ; laquelle somme ajoutée aux dépenses qui sont encore dues, il faudrait des sommes qu’il serait impossible de soutenir. « Par là vous pourrez juger ce qui sera le plus expédient pour nous -tirer des nécessités où nous somuies; sur quoi j’en dirai librement nies sentiments, lorsque nous entrerons dans lé menu, me contentant de vous avoir donné autant que j’ai pu la connaissance de l’état présent des affaires. » Sur la proposition que le comté de Canfnn fît ensuite aux notables de représenter àü roi leà misères où la pauvre noblesse së trouvait maintenant, comme elle était décime dé ses anciens privilèges, et quels étaient les désordres qui se glissaient tous les jours dans ce corps qui faisait la meilleure partie de l’Ètat, etprièi très-bumble-ment Sa Majesté d’en avoir pitié et d’y apporter quelque bon remède, il fut résolu entre eux qu’il serait adressé une requête et des articles pour les présenter au roi; et, pour ce faire, ils prièrent le dit sieur comte de .Carmin d’y mettre la main. Ladite requête et articles signés furent présentés au roi, le 1Û février, parle maréchal de la Force, qui fit la harangue, assisté du maréchal Bassom-pierre et de toute la noblesse de l’assefnblôe, en laquelle il présenta l’état déplorable de la noblesse ainsi qu’il suit : Requête et articles présentés an roi par la noblesse de rassemblée des notables, le 10 février 1627. « Sire, puisqu’il a plu à Votre Majesté nous commander de nous trouver en Rassemblée des notables, et qu’elle nous a permis de donner nos libres avis sur les propositions qui nous ont été faites de votre part; même d’y en ajouter de nouvelles, pourvu qu’elles fussent convenables et utiles au bien de son État, nous estimerions grandement manquer à notre devoir, si, après avoir rendu très-humbles grâces à Votre Majesté du choix qu’elle a daigné faire de nos personnes, nous ne faisions quelques ouvertures pour le rétablissement de la noblesse, comme l’appui le plus assuré de la grandeur de votre État, l’outil le plus propre à l’accroissement d’icelui et à l’affermissement de votre couronne; et quoique nous n’ayons point de charges du reste de la noblesse de France, si est-ce que nous croyons en être -bien avoués , quand elle saura que nous aurons supplié très-humblement Votre Majesté d’avoir pitié de la misérable condition où elle se voit maintenant réduite, et qui sans doute augmenterait de jour en jour, s’il n’y était promptement remédié par les grâces, ordres et règlements qu’ils doivent attendre de la seule bonté* et magnanimité de Votre Majesté. « Nous laisserons, Sire, aux historiens à déduire les diverses sources de la noblesse de ce royaume, l’ancienneté de ta vraie, et qui procède du sang, les dignités et les privilèges dont elle jouissait anciennement, les services qu'elle a rendus aux rois vos prédécesseurs. Et-si le feu roi votre père* d’immortelle mémoire, se pouvait faire entendre du fl« Série, T. I«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] * 95 lieu bienheureux où il est, il vous dirait, Sire, qü’après l’assistance de Dieu et de son épée, la -conservation de cette couronne est due à la noblesse de France, ayant fait preuve de sa fidélité et de sa valeur secoufable, lorsque la plupart des autres ordres s’étaient laissés emporter à la révolte; et comme nous faisons profession de mieux faire que de bien dire, aussi n’emprunterons-nous point des, orateurs les artifices et les figures pour émouvoir la compassion de Votre Majesté sur la décadencé et la misère de votre noblesse; mais seulement nous la süpplions très-humblement de croire qu’elle est au plus pitoyable état qu’elle fût jamais, et qu’il nous serait malaisé de représenter sans larmes la pauvreté qui l’accable, l’oisiveté qui la reud vicieuse, et l’oppression qui l’a presque réduite au désespoir. Nous en attribuons la cause à la mauvaise institution plutôt qu’à leur institution naturelle, au mélange des races nobles avec les roturiers, aux insolences et trop effrénées ambitions d’aucuns de Iëur ordre du siècle passé, qui, ayant diminué la bienveillance et accru la défiance des rois en leur endroit, le-S aurait portés à croire qu’il fallait en abaisser la puissance par l’élévation du tiers état et par l’exclusion des charges et dignités dont ils avaient peut-être abusé. « Depuis ce temps là, Sire, étant déchus, nous avons été privés de l’administration de la justice, des finances et de vos conseils, aü dernier desquels il semble toutefois que Votre Majesté a dessein de nous rétablir, ainsi qu’elle a voulu nous le faire connaître par l’un des articles qui a été lu en notre assemblée, dont nous rendons encore très-humbles grâces à Votre Majesté. «Art. 1er. Voire Majesté est très-humblement suppliée de souffrir à l’avenir que les gouvernements, charges nobles de votre maison et les militaires, ne soient vénales, ni même héréditaires par survivance, ni tenues par autres que par les nobles. «Art. 2. Et comme les nobles tiennent un rang honorable en l’État-, étant doués des qualités nécessaires, ils semblent mériter la préférence aux charges les plus relevées en l’Église et en la justice. Afin de les convier à s’en rendre capables, il plaira à Votre Majesté les préférer à tous bénéfices, et ordonner que le tiers de tous les canoni-cats et prébendes, tant aux églises cathédrales que collégiales du royaume, sera affecté aux personnes de noble extraction, etc. « Art. 3. Et pour à l’égard des monastères des religieuses, il plaira à Votre Majesté ne pourvoir aux abbayes, prieurés et places des religieuses, que des filles de noble extraction pour les monastères de fondation royale, et sans argent* « Art. 4. Que la quatrième partie de tous les régiments et compagnies de cavalerie, entretenus en temps de paix, sera rempïie de gentilshommes, pu rétablir lés compagnies de gendarmes, selon les anciennes (Monharices. «Art. 5. Et d’autant que votre royaume, Sire; est aujourd’hui rehipli d’un nhibbre infini dé collèges, lesquels, au dommage de l’État, gous-traient au public une infinité dé gens qui abandonnent les arts, le commercé, lë ldbourago et la guerre, tournent à chargé au publie, et qui, pour avoir pâssé leur jeunesse dans l’oisiveté des lettres, deviennent pour la pliifidrt incapables de servir ; Votre Majesté est suppliée de retrancher le nombre excessif desdits collèges, et au lieu d’iceüx avoir agréable d’ordonner et faire établir en chaque archevêché ou province dés collèges militaires polir l’instruction de la jeunesse, « Art. 6. Il plaira aussi à Votre Majesté établir quelque nombre de gentilshommes , des plus savants et mieux hotirris dans les affaires, pour avoir entrée et voix délibérative dans vos parlements, rang et séance, selon qü’il plaira à Votre Majesté l’ordonner. «Art. 7. Que le tiers de vos coüSéilsde fînalice, de direction et des parties, sera composé de noblesse. «Art. 8. Il plaira aussi â Votre Majësté instituer un ordre nouveau pour la pauvre noblesse, sous le nom et le titre de Saint-Lbuis , qui consiste én chevaleries et eommanderies, dont là plus basse soit de cinq cents livres, et la plus haute de six mille livres, à prendre sur les bénéfices vacants, à proportion du revenu par forme de pensions viagères, avec les brefs de Sa Sainteté requis et nécessaires, comme il s’est pratiqué ailleurs, etc. « Art. 9. Que les chevaux et armes des gentilshommes et capitaines des régiments entretenus ne pourront être saisis, Si ce n’est par les marchands mêmes ou autres qui leur en auraient fait la venté. « Art. 10. Èt pareillement que l’ordônüahce dès quatre mois, qui se trouve universellement trop rigoureuse, n’aura point liêu contré ïe$ nobles d’extraction et capitaines entretenus.. « Art. 1 1 . Qu’én cas dé crime, les exécutions des condamnations à mort, ordonnées contre les gentilshommes de nom et armes, seront sursises pendant quinze jours, pour éviter les précipitations procédantes de haines et passions d’aucun juge à l’endroit des criminels, au préjudice dè Votre Majesté, bien et honneur de la noblesse, hormis les crimes exceptés. « Art. 12. Que, conformément-"aux anciennes ordonnances, aucun roturier ne pourra acquérir fief ou terre noble, sur peine de nullité des Contrats, sans permission de Sa Majesté. « Art. 13. Que les gentilshommes pourrOùt avoir part et entrée au commerce sans déchoir de leurs privilèges.- « Art, 14. Et afin de convier un chaeun d'embrasser avec plus dfe èoùràgë la condition de s'#* 96 [jre. Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] dat, suivre vos armées, et en icelles généreusement servir l’État , Votre Majesté est suppliée de faire bien et paisiblement jouir tous les gentilshommes, capitaines , et soldats estropiés, des maladreries, hôpitaux, oblats et autres concessions qui leur ont été faites, et suivant la sainte intention du feu roi votre père. » Déclaration du roi pour le rétablissement de tous les ordres de son royaume, et soulagement du peuple, publiée en Parlement, le fer de mars 16119. Louis, par Ja grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Le soin que nous avons de notre Etat, et de réparer en icelui les désordres que les longues guerres intestines et étrangères y ont apportés; le munir contre les desseins et entreprises de tous ceux qui pourraient plonger de nouveau notre peuple dans les misères desquelles à peine commence-t-il de sortir, soulager nos sujets, et les faire jouir d’une paix solide et assurée, nous a fait convoquer, en notre bonne ville de Paris, une assemblée de plusieurs notables personnages, tant de l’église que de la noblesse, et de nos cours souveraines, pour nous donner avis sur les principaux points que nous leur avons fait proposer pour parvenir aux effets d’une si bonne intention. A quoi ladite assemblée ayant travaillé par plusieurs et diverses séances, il a été pris en icelle des résolutions telles que nous avons sujet de reconnaître la bonne et sincère affection qu’ils ont eu tous de correspondre au désir et dessein que nous avons de la grandeur de cet Etat, dignité de notre couronne, rétablissement de tous les ordres en leur lustre ancien, et du soulagement et enrichissement de notre peuple. Ce que nous fesons état de témoigner plus expressément par l’édit que nous ferons et enverrons en toutes nos cours souveraines, sur les avis de ladite assemblée, et autres points de la justice et police de ce royaume, et tous les ordres, dont nous avons voulu donner par ces présentes l’assurance à toute ladite assemblée avant la rupture d’icelle. Mais d’autant qu’en attendant cette plus particulière déclaration et expression des choses que nous entendons ordonner et établir pour les fins susdites, il est besoin de faire connaître à tous nos sujets le bien que nous leur procurons, et auquel nous entendons acheminer et conduire le gouvernement de cet Etat,"' afin que chacun sache quel mal causeront ceux qui entreprendront d’en troubler le repos , et que l’on tienne et traite comme ennemis communs, dignes de la haine et indignation publique, tous ceux qui prétendront priver nos sujets de si grands bien». Savoir faisons, que de l’avis de notre très-honorée dame et mère, notre très-cher, et très-amé frère, le duc d’Orléans, les princes et officiers de notre couronne, et principaux seigneurs de notre Conseil, nous avons dit et déclaré, et par ces présentes signées de notre main, disons et déclarons, que notre intention, et le but principal auquel nous entendons et à quoi nous désirons et essaierons par tous les moyens de parvenir, est d’obtenir de la grâce et miséricorde divine, que sa gloire soit plus que jamais éclatante en toutes les parties de ce royaume ; réunir tous nos sujets en l’unité de l’Eglise catholique apostolique et romaine par toutes les bonnes voies de douceur, d’amour, de patience et bons exemples ; rétablir la splendeur et dignité de l’Eglise par l’exacte observation des constitutions ecclésiastiques, générales et particulières, et de nos ordonnances qui les concernent. Maintenir nos sujets de la religion prétendue réformée en toute la liberté que nous leur avons accordée, les faisant jouir tranquillement de leurs biens et offices, et du bénéfice des édits et grâces qu’ils ont obtenus de nous, attendant qu’il plaise à Dieu illuminer leurs cœurs, et les ramener au giron de son Eglise, afin que nul d’eux prête l’oreille aux persuasions de ceux qui, cherchant leur propre bien dans la ruine publique, les vont séduisant et pervertissant pour les précipiter dans les rébellions et perduellions infâmes. Remettre les bonnes mœurs en toutes les parties de l’Etat, et le bon ordre en toutes les fonctions publiques. Avantager notre noblesse de plusieurs grâces et privilèges, pour entrer aux bénéfices, charges et offices, tant de notre maison que de la guerre et autres, selon qu’ils s’en rendront capables : faire instituer gratuitement ès-exercices propres à leurs conditions, les enfants des pauvres gentilshommes, et employer ceux de cet ordre, tant sur la mer que sur la terre, ès-eompagnies de cheval et de pied, avec bons appointements, si bien payés et réglés, que la condition en sera désirée de tous, et que chacun connaîtra que l’exécution de ce dessein est la terreur des ennemis, le secours des pauvres gentilshommes, le bien et le soulagement du peuple, et le plus honorable emploi que nous puissions donner à la valeur et courage de cet ordre. Faire fleurir la justice en tous ses degrés, et nos ordonnances en leur première vigueur : délivrer nos sujets des vexations qu’ils reçoivent par les déréglements de cette fonction, Rétablir le commerce et la marchandise : renouveler et amplifier ses privilèges, et faire en sorte que la constitution du trafic, soit tenue en l’honneur qu’il appartient, et rendue considérable entre nos sujets, afin que chacun y demeure volontiers, sans porter envie aux autres conditions. Et pour le dernier point, diminuer les charges qui sont sur notre. pauvre peuple, par tous lès moyens que nous en pourons avoir : ce que nous entendons bien déclarer particulièrement par ces présentes, par lesquelles nous nous obligeons en foi et parole, de le soulager et décharger de 3 millions de livres ès-cinq années prochaines, compris les 600,000 livres dont nous l’avon» soulagé en l’année présente. De sorte qu’en l’année 1632, nos sujets se trouveront déchargés de ladite somme de 3 millions de livres, de ce qu’ils ont porté en l’année dernière 1626. Ce que nous ferions en une seule fois dès à présent, si nous pouvions en un instant augmenter d’autre part notre revenu, comme nous entendons faire dans ce temps par le rachat de nos domaines et droits aliénés sur nos tailles et gabelles. Ce que nous déclarons à tout notre royaume, pour rendre nos intentions connues à tous, et que nos sujets sachent le soin que nous prenons de leur repos, enrichissement et prospérité. Voulant croire qu’ils essayeront tous en général, et particulier, de se rendre dignes de si grands biens, et de contribuer de' tout leur pouvoir à l’entrelenement de la paix, et la libre jouissance des grâces et faveurs que la divine bonté nous inspire de leur procurer. Si nous donnons en mandement à nos amés et féaux les gens tenant nos cours de parlements, chambres des comptes et cours des aides, que ces présentes ils aient à faire lire, publier et enregistrer, et icelles publier et registrer par tous les sièges de leurs ressorts à ce accou ■ tumés. Car tel est notre plaisir. En témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes. Donné à Paris, le seizième jour de février, et de notre règne le dix-septième. Signé Louis ; et sur le repli, par le roi, de Loménie; et scellée du grand sceau de cire jaune. RÈGNE DE LOUIS XIV. Des vains efforts faits sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, pour obtenir la convocation des États généraux!:. Le ministère, conduit par Richelieu, perdit de vue non-seulement la constitution de la monarchie qui consiste dans ses Etats généraux, mais encore Richelieu qui ne voulait en France qu’un seul pouvoir, et parvint à dépouiller plusieurs provinces de leur États particuliers, pour substituer le gouvernement arbitraire du monarque. Mazarin, cet adfoit étranger, qui redoutait aussi tous les corps de l’État, éluda avec adresse par ses conseils l’assemblée nationale. Trois cents seigneurs de la plus haute noblesse s’assemblèrent malgré la régente, soutenus du ducd’Orléans, demandant à grands cris la convocation des États généraux ; cette princesse tergiversa longtemps [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! avant de se rendre aux vœux de tant de mécontents; mais elle fut enfin obligé de les convoquer. Le gouvernement manda pour cet objet des lettres de convocation à tous baillis et sénéchaux du royaume, pour qu’on s’assemblât à Tours : il fut tenu clans l’Anjou, dans le pays de Ghartrain et ailleurs des assemblées provinciales pour députer aux États généraux ; mais tous ces mouvements, toutes ces lettres de convocation furent bien inutiles ; car lorsque la noblesse qui insistait sur la nécessité de l’assemblée se fut séparée, l’assemblée générale bien promise et déjà convoquée n’eut pas lieu. La clandestinité des opérations, qui fut la base du ministère, a eonduit la France dans l’état déplorable où elle1 se trouve. Louis XIV, dont la clandestinité dans les affaires fut une des maximes, et qui eut soin pendant un si long règne d’étouffer toutes les plaintes sur les affaires publiques, relatives surtout aux droits de la nation, était bien éloigné de tenir les États. On n’en proféra pas même le nom pendant tout son règne, et quand on en parlait en société, c’était avec la précaution que demandent les affaires secrètes ou dangereuses. Ün avait oublié jusqu’au nom même d’États généraux. ' Mézeray, trop véridique pour le temps, avait voulu traiter des droits de la nation dans l’établissement des impôts ; témérité que Colbert sut bien châtier en lui ôtant sa pension. Les ennemis du roi voulurent aussi, comme on le verra, mortifier le monarque en publiant que l’Europe ne parvien-draitj amais à réprimer l’ambition du roi de France, si on ne réprimait son pouvoir, et Louis XIV éluda encore celte assemblée; aussi quand on demanda, pendant la minorité de Louis XV d’assembler les États généraux, le duc d’Orléans ne manqua point de publier que, demander cette as semblée nationale, c'était désoler le royaume, soulever la France contre la France , ménager des rebelles dans tous les ordres de l'État , et souffler la guerre civile dans le sein de nos provinces. C’était pourtant le roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, qui sollicitait cette assemblée : il voulait réprimer les premiers abus du système odieux de Law, vérifier la dette nationale, sauver l’État et la fortune des particuliers ; mais Dubois maîtrisa le duc d’Orléans, et une déclaration de guerre fut la réponse au vœu du roi d'Espagne. Ainsi l’histoire des derniers temps de la monarchie française présente de longues périodes où le secret paraît être la grande ressource des rois .dans leurs opérations , et la publicité, une faute dangereuse qui peut porter préjudice à la tranquillité du gouvernement. L’une et l’autre conduite peuvent saus doute arriver au-but; mais la publicité dans les affaires d’État a je ne sais quoi de si grand et de si loyal, lre Série, T. Ier. 97 qu’elle est digne d’un grand empire : ellediminue les crimes d’Etat; elle attire la confiance des peuples, elle force l’homme public à se conduire avec droiture dans ses opérai ions. Les travaux clandestins du ministère nous ont précipités, au contraire, dans les calamités les plus déplorables. C’est la clandestinité de l’état des finances sous Louis XIV, et la volonté personnelle du roi, qui craignait toute la vie les remontrances, qui foulèrent les peuples à la fin de son règne d’un fardeau intolérable. C’est là clandestinité du système, qui empêcha la nation de réprimer le régent conduit si aveuglément par Dubois et par Law. C’est enfin la clandestinité de quelques ministres, qui, sous Louis XVI, a ruiné la France pendant une administration de quelques années. Les ennemis de Louis XIV demandent, pour préliminaires de la paix, qui fut conclue à Ltrecht, que le roi assemble la nation pour la sûreté du traité. Ils publient un mémoire pour obtenir les États. Revenons au siècle de Louis XIV. Quand son ambition insatiable de victoires et de conquêtes lui eut attiré la haine de toute l’Europe, et lorsque la France, écrasée d’impôts, dépeuplée et sans considération chez l’étranger, futréduite à demander la paix à ses ennemis pendant la guerre de la succession d’Espagne, il s’ouvrit dans les conférences une opinion pour forcer le roi à convoquer , les États généraux pour traiter de la paix avec eux. Les ennemis du monarque, toujours contents s’ils pouvaient l’humilier jusque dans le sein de la France et au milieu de ses sujets, publiaient déjà des écrits sur la nécessité de convoquer en France ces États généraux pour y réprimer , en présence de la nation, l’ambition guerrière du roi. « Le pouvoir despotique, disaient-ils� est la source des guerres interminables delà France, et tant que le roi sera le maître absolu de la volonté de ses sujets, il sera insatiable de conquêtes et de victoires : mille revers ne l’étonneront pas. » j De là ils concluaient qu’une assemblée nationale [ était nécessaire en France pour contenir le pou-| voir arbitraire du roi, et le forcer à consentira la paix : ils disaient même qu’il ne fallait poser les armes que toute la France ne fût assemblée pour traiter avec elle. Le roi qui connut les mémoires clandestins qui parurent sur cet objet, et qui n’ignorait pas les murmures des peuples opprimés par tant de fléaux, fit répondre sur-le-champ à ces écrits qui pouvaient donner l’éveil aux esprits sur des objets d’une aussi grande conséquence. La génération présente a perdu de vue ces mémoires; mais je' dois les rappeler ici, parce qu’ils sont le vrai portrait de la situation des esprits de ce temps-là re-. lativement à l’autorité civile. Je dirai aussi deux 98 mots sur les États généraux dont on avait alors perdu également toute idée. Ces légères notions sont nécessaires à l’intelligence du mémoire que fit publier le Gouvernement» âfituüfloit dés! esprits sous Louis XtV, rela-tiveoient ait droit publie. Les droits de la nation et les prérogatives du roi n’étaient pas du tout connus dans les derniers temps du règne de Louis XIV : pour trouver une époque remarquable où ils aient été exercés avec harmonie, il faut remonter jusqu’à Charlemagne, qui sut joindre le pouvoir militaire à cette sorte de gouvernement mixte , où les rois et les peuples agissent de concert dans l’exercice de la puissance. Depuis le règne de ce grand monarque, on a tenu cependant en France des assemblées nationales; mais on ne les connaissait guère æus le règne de Louis XIV que par Tordre chronologique de leurs dates, ou par le nom du lieu üû elfes ont été convoquées, ou enfin par les noms des souverains qui les ont accordées. Embarras de la cour de France sur cette proposition. Les ennemis de la France ne pouvaient donc plus sensiblement affliger le monarque si jaloux dè son autorité , qu’en essayant de l’associer à celle des États, et en répandant que leur convocation devait être la première démarche pour obtenir la paix. Le roi et madame de Maintenon et tout le parti en furent consternés. Ou craignait avec raison que la France, aussi désolée du long fléau de la guerre que le reste de l’Europe, ne goûtât cette idée si hardie et si neuve de convoquer les États généraux , qu’on pouvait même qualifier d’étrange. D’ailleurs, Louis, dans son jeune âge, avait été témoin et se rappelait encore la joie extraordinaire des esprits, lorsque la régente, sa mère, fut forcée de promettre les États généraux ; et comme le cardinal Mazarin qui redoutait tant les pouvoirs des corps, et n’en voulait qu’un seul en France (selon les instructions de Richelieu, qu*il suivait ponctuellement), sut éluder adroitement cette grande assemblée, Louis XIV, son élève, persista toute sa vie, avec la plus grande fermeté, à rejeter toute ouverture qui demanderait une telle assemblée, et fit donc répondre par d’autres mémoires clandestins aux mémoires des Anglais et des Hollandais qüi avaient osé faire la demande. Aéponse fdu gouvernement français au mémoire des ennemis. Déjà ceux-ci avaient publié, pour mortifier le roi, qu’il fallait l’accuser devant ses propres sujets, et traiter conjointement avec la nation de la paix future , et des moyens de la rendre dura-[Introduclion.] hle. Voici le mémoire que leur fit répondre le Gouvernement, sous le titre de : Lettres en réponse d'un ami de la Haye à son ami de Londres , sur la nécessité de convoquer en France le s États généraux� ouvrage manuscrit que tous les curieux voulurent avoir, et dont voici le texte tiré des mémoires particuliers de ce temps-là : «Le politique anglais, dit le mémoire français, assure que tant que le pouvoir despotique ré* gnera en France , on aura beau ôter à la Ffance des villes ou des provinces, on n’ôlera point à ses rois les moyens ni l’envie de troubler toujours l’Europe, parce que le pouvoir dèspotiqUê est source de l'ambition, et que V ambition est la source des guerres. De ce principe qu’il avance comme indubitable, il conclut que le seul préliminaire qui puisse conduire à une paix sûre est d’obliger le roi de France à rétablir clans son royaume l’usage et l’autorité des États généraux» « Est-ce donc que le gouvernement despotique est le seul qui inspire l’ambition? N’a-t-on, point vu des républiques même plus ambitieuses et plus conquérantes que les monarchies ? Ne cherchons point d’exemples dans les siècles ni dans les pays trop éloignés. L’ambition n’a-t-elle jamais présidé aux parlements d’Angleterre ? L’ambition de ces parlements n’a-t-elle jamais inquiété la France? Qui sont les rois d’Angleterre qui ont été les plus redoutables aux étrangers? Sont-ce ceux qui ont voulu exercer le pouvoir despotique, ou ceux qui ont agi de concert en tout avec le parlement? « L’autorité, quelque absolue qu’elle soit, ne portera jamais les peuples aux mêmes efforts où l’art de séduire leur inclination est capable de les porter ; et cet art est plus commun daus les gouvernements mixtes, parce qu’il y est plus nécessaire que dans les gouvernements qui sont absolument monarchiques. La violence s’épuise, et elle trouve enfin des 'obstacles qu’elle ne saurait vaincre. Il n'y a que Tamôur dont lés ressources sont infinies et ne tarissent jamais. « Si le gouvernement d’Angleterre n’est pas moins ambitieux que le despotique, comme l’histoire nous Tapprend, et s’il trouve encore de plus longues et de plus constantes-ressources dans les grandes entreprises, comme nos victoires sur la France nous l’enseignent , pourquoi le voulons-nous donner à nos ennemis ? N’y a-t-il pas déjà assez de difficultés dans la négociation de la paix nécessaire à tout le monde? Pourquoi cherchons-nous à y en jeter une nouvelle aussi injuste qu’inutile, et périlleuse même pour nous? « On a vu des vainqueurs s’accommoder qüel-quefois du gouvernement des peuples vaincus, et quelquefois leur en donner un nouveau. Les Français adoptèrent la plupart des lois et des Coutumes qu’ils trouvèrent établies dans les Gaules. Guillaume le Conquérant imposa de nouvelles [l*e Série, T» 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1™ Sérié, T. I*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction*] lois à l’Angleterre, comme le titre de son Code en fait foi : Ce sont les leis et les custumes que li reis William grantut à tut le peuplé de Engleterre après le conquest de la terre. « On a vu quelquefois aussi des princes chrétiens porter leurs armes chez les peuples idolâtres, pour les obliger à recevoir le baptême. Charlemagne n’imposait point d’autres conditions aux Saxons tant de fois révoltés. Le zèle de la religion rendait juste et beau ce que l’équité naturelle toute seule eût fait trouver odieux et insensé. « On n’a jamais vu des peuples faire une longue et cruelle guerre, se réduire tous à un besoin . égal d’un accommodement, et vouloir imposer comme une condition de paix, à leurs ennemis non encore désarmés, de changer ou de réformer leur gouvernement intérieur, d’en prendre un nouveau, ou d’en rétablir un ancien. « Le gouvernement qu’on leur veut ôter fait peur à leurs voisins, dira-t-on : c’est une épée entre les mains d’un furieux qui en abuse : tous les hommes ont un droit naturel et acquis de la lui arracher. Si on reçoit cet admirable principe, où nous conduira-t-il ? A faire de l'Europe une horrible arène de gladiateurs, qui ne cesseront jamais de combattre et de verser du sang. « Quand Jes Anglais se sont baignés dans le sang de leurs rois, quand ils les ont détrônés ou décapités, quand ils les ont emprisonnés ou bannis, quand ils ont fait frémir tous les peuples à la vue des sanglantes tragédies de la Rose rouge et de la Rose blanche, et à l’aspect de tant d’autres catastrophes plus nouvelles et non moins barbares ; quand toutes ces révolutions ont été approuvées ou ordonnées par les décrets des parlements, leur a-t-on dit que l’autorité des parlements était une épée entre les mains d’un peuple furieux, et que tous les hommes avaient un droit naturel et acquis de la lui arracher ? Les peuples voisins sont-ils venus fondre en Angleterre pour détruire cette liberté funeste aux Anglais mêmes, et odieuse à toutes les autres nations ? Si les Français, plus sages et plus heureux, ont reconnu le pernicieux effet de cette épée entre les mains du peuple, et si, pour être plus tranquilles chez eux, iis l’ont rendue à leürs souverains, •quelle justice y a-t-il que nous entreprenions de les obliger, malgré eux, à la reprendre ? Est-ce afin qu’ils se massacrent et qu’ils s’égorgent entré eux comme les Anglais, et que leurs désastres fassent notre sûreté ? Quelles lois divines ou humaines autorisent une si détestable politique? « Quand il y aurait de la justice, quel fruit espé-fons-nous d’en tirer? Jugeons-nous du caractère des Français par celui des Anglais? Les Anglais aiment quelquefois leurs rois, mais ils haïssent toujours la royauté, et cette haine lés porte aisément à haïr aussi le roi. Les Français se plaignent quelquefois de ceux qui régnent , mais ils 99 aiment toujours le trône, et cet amour de la souveraineté les réconcilie toujours avec le souverain. Nous n’avons qu’à lire leur histoire pour nous convaincre de cette vérité. « Combien de fois les Anglais se sont-ils repentis d’avoir réduit les rois de France à n’avoir plus de ressources que dans l’affection de leurs sujets ? Cette affection n’a point de bornés, surtout quand les rois sont malheureux; Tel est le génie des Français : capables de mur murer contre leurs princes dans la prospérité, Ihvidfablefnèut attachés à ëüx quand ils craignent de les perdre, ët toujours prêts à rentrer dans le devoir quand ils aperçoivent que l’étranger va profiter de leurs fautes. Interrogez les Allemands et les Espagnols que des révoltes ont quelquefois appelés en France; comment en sont -ils sortis? « Où sont les factions que notre ami de Londres a vues en France? Où sont les princes du sang et les hommes illustres qui, entraînés par Une ambition aveuglé, S’opposeraient aux volontés du roi dans une assemblée d’Étâfs généraux? Croit-il qu’il n’y a qu’à mettre les Français ensemble, et qu’à leur montrer leurs forcés, pour voir encore les États de Blois ? Il s’abuse : plus de trente ans de trOU-bles et de séditions avaient préparé ce malheurèucb spectacle ; plus de quarante ans d'obéissance ont fhis d'autres dispositions dtins les esprits , ët donneraient un spectacle tout différent. « Peut-être que jamais le roi de France ne tiôtfô aurait paru si grand ni si redoutable. Quoi qû’eïi dise notre Anglais, que je ne crois pas aussi bien informé des affairés de France qti’il le vent paraître, il y a apparence que, princes , grands, klefgé, parlement, noblesse èt peuplé, tous concourraient unanimement à faire éclater leur zèle pour ièûF roi, et ils lui offriraient des secours qùe peut-être il n’ose pas leur demander. Ne nous souvenotii-fious point avec quel empressement l’année passée chacun courait sè faire inscrire sur là liste dé ceux qüi donnaient leur vaisselle pour Tes besoins de l’Etat ? C’était une espèce de bel air que tout le monde prenait avec cette ardeür que les Français ; ont pour leurs modes. a Presque toutes les fortunés particulières dëpén-; dent de celle de l’dUtorité royale ; les gagés , les pensions, les prêts imrüènses, les arrérages des rentés y sont attachés ; Si elle chancelle , touiès cèi sortes ; de biens, qui font plus des trois quarts de ceux dé j tous les autres biens, sont en danger de périr. Lés : Français le savent mieux que nous, et cettë autorité leur paraît si nécessaire, qu’ils s’encourageraient réciproquement à la soutenir', et qu’eùsem-ble ils seraient plus obéissants encore et plus ; dévoués qu’ils ne le sont séparément. « tls ont oublié qu'il y a eu des États géhëfàux ; dans leur monarchie , et il y aurait de l'imprudence de les en faire souvenir. « Quelles ressources, eu effet, la France a-t-effé 100 trouvées autrefois dans ses plus grandes calamités, si ce n’est l’assemblée de ses Etats généraux? Quand le roi Jean était prisonnier en Angleterre, quand les Anglais occupaient plus des trois quarts du royaume, par où Charles le Sage sortit-il de cet abîme affreux? Gomment rétablit-il la gloire et la fortune de sa patrie? Comment Charles VII reconquit-il sa couronne presque perdue? N’assemblèrent-ils pas l’un et l’autre leurs États généraux pour se relever? Les Français s’en souviendront, me dira-t-on; ils embrasseront avec joie la proposition que nous ferons d’assembler leurs Etats généraux, et ils nous aideront à y obliger leur roi. « Si cela est, le nouveau préliminaire, que je n’ai encore regardé que comme injuste et inutile, devient manifestement dangereux pour nous. Il est vrai que Charles V trouva d’abord des factions qui l’embarrassèrent. Charles VII eut longtemps à combattre ses propres sujets ; mais les dangers communs réuuirent tous les cœurs, l’esprit français se réveilla ; l’amour de la patrie se réchauffa ; le courage de la nation se ranima, et les ennemis de la France eurent le temps de connaître que rien n’est plus dangereux pour des vainqueurs que de vouloir trop pousser des victoires inespérées. « Pouvons-nous nous promettre un événement plus heureux des États généraux qu’on nous conseille de demander? Les Français assemblés connaîtraient les forces et les dangers de leur monarchie. Ils aiment cette monarchie, et le nom et le sang de leurs rois. Espérons-nous de détruire en eux des sentiments aussi forts que la nature? Ils seront instruits des conditions auxquelles nous voulons donner la paix. Ne. nous flattons pas. Ils les trouveront dures et odieuses, et ils nous disputeront peut-être ce que leur roi nous a déjà accordé. L’exemple n’en serait pas nouveau. Les notables de France assemblés refusèrent de souscrire au traité de Madrid, et ils rejetèrent les conditions que François 1er avait acceptées. « Qui ne sait d’ailleurs que les préventions des peuples sont invincibles? Leurs erreurs même leur sont chères. On leur arracherait plutôt la vie que de certains usages qu’ils ont reçus, ou d’une ancienne constitution, ou d’une longue coutume. Ainsi, quoique nos premiers ancêtres eussen t commencé à oublier leur férocité, et qu’ils vécussent assez tranquillement sous le joug de Rome, ils se révoltèrent, et ils devinrent plus indomptables, lorsque Varus entreprit de les policer. Il voulut introduire parmi eux la discipline romaine , abolir la barbare manière de vider les procès par les armes, et établir la forme judiciaire des tribunaux de Rome. Les Germains défendirent mieux leurs dérèglements qu'ils n’avaient fait leur liberté, et les Français défendraient mieux eur servitude, pour parler comme l'Anglais , qu’il ] [Introduction. j n’ont su défendre leur patrie. Le restaurateur anglais trouverait peut-être chez eux la même destinée funeste que le législateur romain eut chez nos pères. « Je conviens avec lui que, si on veut se confirmer dans la résolution de faire longtemps fa guerre, el de refuser 'une paix équitable qui se présente, il ne faut pas jeter les yeux sur le malheur du roi de Suède : il vaut mieux considérer la fin heureuse de cette guerre de soixante ans, qui a procuré la liberté aux Hollandais. Mais ne conviendra-t-il point avec moi que c’est peut-être quelque exemple semblable d’une guerre constamment poursuivie et d’une paix équitable et heureusement refusée, qui a engagé le roi de Suède trop avant? Peut-être que ce prince, que sa vertu rend digne des plus grandes destinées, a trop considéré l’exemple d’Alexandre et de Darius ; et il n’a peut-être pas fait assez d’attention sur l’inconstance de la - fortune, qui préside au succès des armes, et qui se plaît souvent à trahir le courage et la prudence. « Les autres réflexions de l’Anglais sont encore moins sensées. Quelques-unes me semblent même imcompréhensibles. Telles sont les frayeurs qu’encore à présent il veut que toute l’Europe prenne des desseins immenses qu’il assure que la France couve toujours. Elle fera un de ses princes roi des Romains ou empereur ; elle envahira l’Angleterre; elle subjuguera la Hollande; elle exterminera toutes les puissances qui ne professent pas la religion romaine ; elle ne pardonnera pas même à celles qui la professent et qui se sont alliées avec les hérétiques. Quand on est assez heureux pour avoir des songes si extravagants, comment est-on assez ennemi de son propre bonheur pour les raconter ? 1 « Que dites-vous de la fable des brebis que l’Anglais applique avec tant de justesse à la France? Strasbourg, Brissac, Luxembourg, Namur, Char-leroi, Ypres, cédés, tous les Pays-Bas espagnols . évacués, et Dunkerque démoli, seront apparemment les louveteaux qu’elle donnera en otage, qui croîtront et qui dévoreront l’Allemagne, l’Angleterre et la Hollande, timides et innocentes brebis! Cette comparaison ne vous paraît-elle pas heureuse et bien fondée? Elle est digne du cerveau qui a enfanté tant de belles idées qu’heureusement pour les lecteurs il a renfermées en deux lettres fort courtes. « Mais en vérité, permettez-moi de le dire, il est indigne de nous de souffrir à toutes sortes de gens obscurs et sans aveu, comme nous le faisons, cette licence effrénée d’écrire injurieusement contre les Français et contre leur roi, dans le temps même que nous travaillons à nous réconcilier avec lui. N’est ce-pas au contraire dans cette occasion que nous devrions nous souvenir du conseil de notre illustre Grotius : Sollicite [lre Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 101 cavenda non tantum perfidia , sed et quidquid exaspérât animos » (1). Résultat de la demande que les ennemis du Roi Louis XIV firent pendant quelques moments des États généraux pour la sûreté de leur traité futur. Cette réponse, qui suffit pour exprimer au naturel la situation des esprits dans ce temps-là, devait apprendre aux Hollandais et à toute l’Angleterre que, s’ils avaient autrefois pris les armes pour la défense de la liberté publique, les Français, poussés par des passions contraires, étaien t capables de la môme énergie pour soutenir le pouvoir le plus absolu, auquel Louis XIV les avait accoutumés. Les Hollandais et les Anglais comprirent l’énergie de ce mémoire, et n’insistèrent plus sur cette condition pour accorder lu paix. Aussi ne fut-il plus question d’Etats généraux dans leurs négociations politiques ultérieures. Mais ces conditions plus dures, auxquelles le roi eut la faiblesse de souscrire, appelaient ce grand monarque à d’autres humiliations, et les Hollandais le conduisirent d’une condition à l’autre jusqu’à celle d’exiger qu’il ôtât à son propre petit-fils le trône d’Espagne. Leur haine ne fut pas satisfaite ; le roi mourut victorieux encore de toute l’Europe, en assurant dans sa maison la couronne d’Espagne. Cet exemple prouve quelles sont les forces naturelles de la France contre toute l’Europe liguée, et dans une circonstance où l’État était dans la désolation, toute dépeuplée, sans crédit et sans finances. Que la nation soit donc le conseil et le ministre de son roi, comme sous Charlemagne, et elle commandera à toute l’Europe par son influence. Ainsi la reine régente, mère de Louis XIV, ayant éludé les Etats généraux, et ce monarque ayantprévenu ceux de ses ennemis qui nevoulaient faire la paix qu’avec la nation française et non avec le roi, le règne de ce grand monarque, le plus long dont nos annales aient conservé la mémoire, s’écoula sans qu’on osât parler d’États, de droits et de privilèges. RÈGNE DE LOUIS XV. Source des affaires politiques qui occasionnèrent, pendant la minorité de Louis XV, la demande des États généraux. Quand le duc d’Orléans, eut éloigné de la régence le duc du Maine, il parut se ressouvenir de tout ce qu’il avait eu à souffrir des princes légitimés durant la vie'de Louis XIV; il reconnut que l’édit qui associait aux princes du sang les enfants adultères du monarque était injuste; il ne pouvait tolérer dans leur droit de succéder à la couronne la supposition odieuse de l’extinction de (1) DeJur Bel. ac. Pac., lib. IV, cap. 25. sa famille. Il résolut donc d’anéantir les prérogatives que le monarque avait accordées à ses enfants légitimés. Les princes légitimes, de leur côté, forts de l’autorité qu’ils tenaient des charges et des places éminentes dont le roi Louis XIV les avait revêtus, résistèrent de toutes leurs forces à cette entreprise du régent, demandant les États généraux pour être jugés. Les princes du sang intervinrent à ces affaires, et demandaient que les princes légitimés fussent déchus de leurs prérogatives. Le régent nomma une commission pour examiner l’affaire. Le ministre punit la première demande des États généraux. Alors s’élevèrent trente-neuf seigneurs des plus distingués du royaume, qui firent signifier au procureur général et au greffier du Parlement un acte protestant de nullité de tout jugement de cette affaire qui intéressait la nation entière, de*= mandant les États généraux pour la juger. L’huissier à verge qui signifia cet acte fut interdit pendant six mois, et le régent fit arrêter quelques-uns de ceux qui avaient signé l’acte de protestation, savoir : MM. de Châtillon, de Vieux-Pont, de Beaufremont,qui furent conduits à la Bastille, etc.; MM. de Rieux, de Poignac et de Clermont, qui furent menés à Vincennes : et soit à cause de ces différends personnels, soit pour avoir osé demander les États généraux, le régent dégrada de son rang la maison du Maine. Ligne du roi d’Espagne, des princes légitimés et des jésuites contre le régent Mais quand le duc d’Orléans eut conclu l’alliance avec l’Angleterre, l’Empire et la Hollande, qui étaient en guerre contre l’Espagne, le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, à qui, par droit de naissance, la régence appartenait, se ligua avec le duc du Maine, prince légitimé, mécontent d’avoir perdu l’autorité que lui donnait Louis XIV paf son testament, et d’être déchu d rang de prince du sang que le régent lui avai ôté. La cour d’Espagne, les restes de la cour de Louis XIV, les jésuites, tous les dévots de la ville, de la cour et des provinces, se liguèrent avec la maison du Maine contre le duc d’Orléans, et le père Tournemine dirigeait la faction de sa compagnie. Projet des ligués. L’assemblée des États généraux, odieuse au régent, était la base de leur plan. On imagina de faire enlever le régent dans une partie de plaisir, de le transférer en Espagne, d’assembler les États généraux, de leur rendrc [tre Séné, T-Ier-] ARGfflVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m leurs privilèges, de former un conseil de régence, de vérifier et payer la dette nationale contractée par Louis XIV, de rendre à la nation ses droits antiques, et surtout de rétablir en France l’an-qienne constitution que le duc de Bourgogne ayait exposée dans ses mémoires ; le roi d’Espagne voulait exécuter tout cela pendant la minorité, pour donner à la France la stabilité qu’elle mérite d’obtenir pour tout ce qui concerne l’administration. Les projets sont éventés. Alberoni était à la tête de ce projet, qui n’était même qu’une portion de son système général de bouleversement de toute l’Europe. Des princes, des cardinaux, des prélats, des magistrats, des grands seigneurs adoptèrent le plan de restauration de l’État, dont Cellamare, ministre d’Espagne, était le mobile et le fauteur : mais le régent, qui en fut instruit par une fille et par un copiste, fit arrêter à Poitiers l’abbé Porto-Carrero, qui portait en Espagne soixante mémoires sur les moyens d’opérer la révolution. Voici ceux qui concernaient les États généraux que voulait convoquer le roi d’Espagne. On verra combien le prince et son conseil avaient conservé d’attachement pour la France qui était le berceau de Philippe V. Manifeste du vol catholique aux États gêné* eaux du royaume de France qu’il voulait convoquer. « Don Philippe, par la grâce de Dieu, roi de Castille," de Léon, etc., à nos très-chers et bien aimés les trois ordres du royaume de France, clergé, noblesse et tiers état, salut. « Que devons-nous penser du régent, qui, n'étant que dépositaire de l’autorité royale en France, ose s’en prévaloir et se liguer avec les anciens ennemis de nos deux couronnes, sans avoir consulté ni la nation française, ni les parlements du royaume, et sans avoir même donné le temps au conseil de régence d’examiner la matière pour en délibérer mûrement ? « 11 a vu, après la mort du roi très-chrétien notre aïeul, avec quelle tranquillité nous l’avons laissé prendre possession de la régence, pour gouverner le royaume de nos pères, pendant la minorité du roi notre très-cher neveu, sans lui faire le moindre obstacle, et que nous avons toujours persévéré dans le même silence, parce que nous aurions mieux aimé mille fois mourir que de troubler le repos de la France, et d’inquiéter lé reste de l’Europe, quoique les lois fondamentales de ce royaume nous en donnent l’administration préférablement à lui (i). « Nous ayons depuis entendu les plaintes qui se (1) On sait que Philippe V était petit-fils de Louis XIV, et que le régent n’était que son neveu. faisaient de tous côtés contre son gouvernement, sur la dissipation des finances, Fopprcssion des peuples, le mépris des lois et des remontrances juridiques. Quoique nous fussions vivement tou* ché de ces désordres, nous avons cru en devoir cacher le déplaisir au fond de notre cœur, et nous ne sortirions pas aujourd’hui de la modération que nous nous étions prescrite, si le duc d’Orléans n’était sorti lui-même de toutes les règles de la justice et de la nature, pour nous opprimer, nous et le roi, notre très-cher neveu. « En effet, comment pouvoir souffrir plus longtemps des traités où l’honneur de la France et les intérêts du roi son pupille sont .sacrifiés, quoique faits au nom de ce jeune prince, dans l’unique vue de lui succéder, et surtout après avoir répandu dans le publie des écrits infâmes, qui annoncent sa mort prochaine, et qui tâchent d’insinuer dans les esprits la force des renonciations au-dessous des lois fondamentales ? « Un procédé si contraire à ce que toutes les lois divines et humaines exigent d’un oncle, d’un tuteur et d’un régent, aurait dû seul exciter notre indignation, par l’intérêt que nous prenons tant au bien de la nation française*- qu’à la conservation du roi notre très-cher neveu. « Mais un sujet qui nous touche encore plus personnellement est l’alliance qu’il vient de signer avec l’archiduc et l’Angleterre, après avoir rejeté l’offre que nous lui faisions de nous unir ensemble. « Au moins devait-il observer une exacte neutralité, s'il la croyait nécessaire au bien de la France; mais voulant faire une ligue, n’était-il pas plus raisonnable de se liguer avec son propre sang, que de s’armer contre lui en faveur des ennemis perpétuels de notre maison ? « Cette indigne préférence ne déclare que trop à tout l’univers son opiniâtreté dans le projet ambitieux dont il est uniquement occupé, dont il veut acheter le succès aux dépens des droits les plus sacrés. « Ce n’est pas ici le lieu de dire que, par cet acharnement aveugle à suivre des prétentions qui ne lui avaient point été disputées, il compte pour rien de plonger les deux nations dans les derniers malheurs. Nous voulons seulement vous faire entendre que la conduite injurieuse du duc d’Orléans ne diminuera jamais notre sincère affection pour vous. « Nous ne pouvons oublier que nous avons reçu le jour dans votre sein, que vous nous avez assuré la couronne que nous portons au prix de votre sang. Rien ne sera capable d’éteindre dans notïe cœur la tendresse que nous sentons pour notre très-cher neveu votre roi. Et si le duc d’Orléans nous réduit à la cruelle nécessité de défendre nos droits par les armes, contre ses attentats, ce ne sera jamais contre vons que nous les por- [ire Série, T, Ier-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! terpps, bien persuadé que vous ne les prendrez jamais contre nous. « Ce ne sera au contraire que pour tirer le roi, notre très-cber neveu, de l’oppression où le régent le tient avec tous ses sujets, par les plus grands abus qui se soient jamais faits de l’autorité confiée, Ce ne sera que pour procurer l’assemblée des États généraux, qui seuls peuvent remédier aux maux présents , et prévenir ceux dont on n’est que trpp visiblement menacé, Nous vous exhortons à seconder nos justes intentions, et à vous unir dans une vue si salutaire au repos public. % Nous espérons tout de votre zèle pour le roi votre maître, de votre amitié pour nous, et de rattachement que vous avez à vos lois et à votre patrie • et sur ce, nous prions Dieu qu’il vous ait, chers et bien-aimés, en sa sainte et digne garde. « Donné au monastère royal de Saint-Laurent, le 6 septembre 1718. , « Signé Philippe, » Réponse que devaient faire les États généraux assemblés, au roi d’Espagne, eî plaintes supposées de la France contre le régent. Outre ce manifeste du roi d’Espagne, qui ne devait avoir de réalité que par l’assemblée des États généraux, on intercepta encore une réponse supposée écrite par ces mêmes états de France à Philippe V, ce qui montre que les projets du roi d’Espagne et des enfants légitimés de Louis XIV étaient concertés entre eux, et que la base du projet consistait dans cette convocation des États. Voici la réponse qu’il était convenu de faire au roi d’Espagne, au nom des États : « Sire, tous les ordres du royaume de France implorent le secours de Votre Majesté, dans l’état où est réduit le gouvernement présent. Elle n’ignore pas leurs malheurs ; mais elle ne les connaît pas encore dans toute leur étendue. « Le respect qu’ils ont pour l’autorité royale, dans quelque main qu’elle se trouve et de quelque manière qu’on en use, ne leur permet pas d’envisager d’autre moyen d’en sortir que par les secours qu’ils ont droit d’attendre des bontés de Votre Majesté. « Celte couronne est le patrimoine de vos pères ; celui qui la porte tient à vous, Sirè, par les liens les plus forts, et la nation regarde toujours Votre Majesté comme l’héritier présomptif de la couronne. « Dans cette vue, elle &e flatte de trouver dans votre coeur les mêmes sentiments qu’elle aurait trouvés dans le cœur de feu Monseigneur, qu’elle pleure encore tous les jours; elle vient exposer à vos yeux tous ses malheurs et implorer votre assistance. La religion a toujours été le plus ferme appui des monarcnies. Votre Majesté n’ignore pas m le zèle de Louis le Grand pour la conserver dans toute sa pureté. Il semble que le premier soin du duc d’Orléans ait été de se faire honneur de l’irréligion. Cette irréligion l’a plongé dans les excès de licence dont les siècles les plus corrompus n’ont point eu d’exemple, et qui, en lui attirant le mépris et l’indignation des peuples, nous fait craindre à tout moment pour le royaume les châtiments les plus terribles de la vengeance divine. Ce premier pas semble avoir jeté, comme une juste punition, l’esprit d’aveuglement sur toute sa conduite : on forme des traités, on achète des alliances avec les ennemis de la religion, avec ies ennemis de Votre Majesté. « Les enfants qui commencent à ouvrir les yeux en pénètrent les motifs : il n’en est point qui ne voient que l’on sacrifie le véritable intérêt de la* nation à une espérance que l’on ne peut supposer sans crime et qu’on ne peut envisager sang horreur. C’est cependant cette cruelle supposition qui est l’âme de tous les conseils et le premier mobile de ces funestes traités. C’est là ce qui dicte ces arrêts qui renversent toutes les fortunes; c’est là l’idole où l’on sacrifie le repos de l’État. « A la lettre, Sire, on ne paye plus que le seul prêt des soldats et les renies sur la ville, pour des .raisons qu’il est aisé de pénétrer. Mais pour les appointements des officiers , de quelque ordre qu’ils soient, pour les pensions acquises aux prix du sang, il n’en est plus question. « Le public n’a ressenti aucun fruit ni de l 'augmentation des monnaies ni de la taxe des gens d’affaires. On exige cependant les mêmes tributs que le roi a exigés pendant le fort des plus longues guerres. Mais dans le temps que le roi tirait d’une main, il répandait de l’autre, et cette circulation faisait subsister les grands et les peuples. « Aujourd’hui les étrangers, qui savent flatter la passion dominante, consument tout le patrimoine des enfants. « L’unique compagnie du royaume qui ait la liberté de parler a porté ses remontrances respectueuses au pied du trône. Cette compagnie, dans laquelle on a reconnu le pouvoir de décerner la régence, à qui fou s’est adressé pour la recevoir, avec laquelle on a stipulé en la recevant de ses mains, à laquelle on a promis publiquement et avec serment que l’on ne voulait être maître que des seules grâces, et que, pour la résolution dés affaires, elle serait prise à la pluralité des voix dans le conseil de régence, noos seulement on ne l’écoute pas dans ses plus sages remontrances, mais on exclut des conseils les sujets les plus dignes, d’abord parce quîils représentent la vérité, que non-seulement on n’écoute pas , mais la pudeur empêche de répéter à Votre Majesté les termes également honteux et injurieux dans lesquels ou a répondu, lorsqu’on a 104 [!*• Série, T. !««•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] parlé aux gens du roi en particulier. Les registres du Parlement en feront foi jusqu’à la postérité la plus reculée. _ « Les Etats de Bretagne, légitimement convoqués,' ont demandé qu’il leur fût permis de faire rendre compte à un trésorier très-suspect, afin de mettre ordre à l’administration de leurs finances. On leur en a fait un crime d’État. On a fait marcher des troupes comme on les fait marcher contre des rebelles. « Enfin, Sire, on ne connaît plus de lois. Ces édits qui consacrent encore aujourd’hui la mémoire dès rois vos, aïeux, ces édits rendus avec tant de sagesse pour conserver la sainteté des mariages et l’état de toutes les familles, on s’en joue ; une lettre dé cachet les renverse. Quelles suites une ‘telle conduite ne fait-elle pas envisager? Que ne fait-elle pas craindre? Nous ne nous flatterons pas vainement, Sire, en nous persuadant que nous entendrons de votre bouche ces paroles de consolation : Je sens vos maux ; mais quel remède y puis-je apporter? « Il est entre les mains de Votre Majesté. Quoique revêtue d’une couronne, elle n’en est pas moins fils de France, et ces droits sont encore mieux établis par le respect et l’attachement des peuples, qu’ils ne le sont par la loi du sang. Comme oncle du roi pupille, qui peut disputer à Votre Majesté le pouvoir de convoquer les États, pour aviser aux moyens de rétablir l’ordre, la tutelle et la régence ? N’apparlenait-elle pas de droit à Votre Majesté? Il n’est pas sans exemple qu’un pripce étranger ait été tuteur d’un pupille. Sans sortir hors de chez nous, Baudoin, comte de Flandre, n’a-t-il pas eu l’administration du royaume de France et la tutelle de Philippe Ier, fils de Henri 1er ? Votre Majesté n’aurait pas manqué de raisons, si elle avait voulu attaquer la prétention du duc d’Orléans. Aussi toute la France a-t-elle senti que Votre Majesté, loin de consulter ses droits, n’a envisagé que le repos de l’État, dans la confiance d’une sage administration, et toute la France a reconnu dans cette conduite le cœur d’un véritable père. « Votre Majesté peut s’assurer, de son côté, que tous les cœurs voleraient au-devant d’elle, quand elle paraîtrait avec sa seule maison. Elle peut compter qu’il n’y a point de citoyen qui ne lui servît de garde. Mais quand on supposera que, pour plus grande sûreté, elle paraîtrait à la tête d’une armée de dix mille hommes, quand on supposera que le duc d’Orléans paraîtra à la tête d’une armée de soixante mille hommes, Votre Majesté peut s’assurer que cette armée sur laquelle il aurait compté, et qui ne servira qu’à le séduire, sera la première à prendre vos ordres. « Il n’y a pâs un officier qui ne gémisse ; il n’y a pas un soldat qui ne sente l’iniquité et la perversité du Gouvernement; il n’y eu a pas un qui ne vous regardât comme son libérateur. Tous s’empresseraient d’aller reconnaître, d’aller ad-- mirer en vous le fils de ce prince si cher qui règne toujours dans les cœurs. Que pouvez-vous jamais craindre ou du peuple ou de la noblesse, quand vous viendrez mettre leur fortune en sûreté? Votre armée est donc toute portée en France, et Votre Majesté peut s’assurer d’y être aussi puissant que fût jamais Louis XIV. Vous aurez la consolation de vous voir accepter d’une commune voix pour administrateur et régent* tel que votre sagesse jugera convenable, ou de voir rétablir avec honneur le testament du feu roi votre auguste aïeuL « Par là vous verrez, Sire, cette union si nécessaire aux deux couronnes se rétablir d’une manière qui les rendrait l’une et l’autre inébranlables à leurs ennemis. Par là, vous rétablirez le repos d’un peuple qui vous regarde comme son père, et qui ne peut vous être indiffèrent. Par là, vous préviendrez les malheurs qu’on n’ose seulement envisager, et que l’on vous force de prévoir. Quels reproches Votre Majesté ne se ferait-elle pas elle-même, si ce que nous avons tant de sujet de craindre venait à arriver?' « Quelles larmes ne verserait-elle pas pour n’avoir point répondu aux vœux de la nation qui se jette à ses pieds, et qui implore son secours ? Nous souhaitons nous tromper, mais l’on nous force à craindre. Du moins nos craintes prouvent notre zèle pour un roi qui nous est cher. « Si Votre Majesté, dont nous reconnaissons les vues très-supérieures, ne trouve pas à propos de répondre à nos vœux, au moins pourrait-elle se servir de notre requête pour rappeler à lui-même, et pour faire rentrer dans les véritables intérêts de la France un prince qui se laisse aveugler, quoique l’on soit forcé de vous représenter que l’on ne peut s’en rien promettre. « Le ministre de Votre Majesté, dans cette cour, peut l’assurer que l’on n’avance rien ici qu’il n’ait lu dans tous les cœurs : ainsi Votre Majesté n’a rien à craindre d’une nation qui lui est toute dévouée, et doit tout se promettre de la noblesse française. » Les plans conçus pour convoquer les États généraux étant découverts, on exile et on emprisonne les chefs. On déclare la guerre à l’Espagne. Telle était la requête supposée des États généraux au roi Philippe V. Le régent en eut à peine découvert le complot, qu’il chassa l’ambassadeur d’Espagne ; il fit emprisonner le duc et la duchesse du Maine, le duc de Richelieu, le comte de Laval, de la maison de Montmorency, et près de soixante gentilshommes qui avaient offert leurs services pour cette révolution. Le cardinal de Polignac fut exilé ; et il s’établit pendant quelque temps à Pa- [lre Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ris une sorte d’inquisition pour découvrir les fauteurs de ce projet de patriotisme. Le régent déclara la guerre à l’Espagne : on porta le fer et le feu dans un royaume en faveur duquel Louis XIV avait ruiné la France ; et le duc d’Orléans, avant de conclure la paix avec l’Espagne, demanda qu’Al-beroni en fût chassé comme le moteur de tant d’événements. Au reste, le lecteur reconnaîtra aisément dans les pièces que nous publions sur la conjuration de Cellamare, combien le roi d’Espagne fut trompé par les restes de l’ancienne cour de Louis XIV, qui accusaient le régent de vouloir perdre le jeune roi Louis XV. Ce monarque et le régent se jouèrent beaucoup dans la suite de ce bruit populaire: et le roi conserva toute sa vie une reconnaissance dont il témoignait le sentiment dans toutes les occasions pour le duc d’Orléans, qui avait eu soin de ses plus tendres années. Une preuve que je n'ai pas voulu vous perdre, dit un jour le duc d’Orléans au roi devenu majeur, c'est que Votre Majesté jouit de la santé la plus parfaite. Le régent se rappelle du beau projet de convoquer la Aïation, et quand Law eut désolé la France, il veut assembler les États. Cependant, lorsque le système de Law eut désolé des milliers de familles, bouleversé les Finances, et quand tout fut dans une confusion extrême, le régent se ressouvint du beau projet qui n’avait cesser de l’affecter : il témogna se rappeler que la France avait montré quelque désir d’obtenir ses anciennes assemblées nationales, que la vieille cour du feu roi avait négociées pendant la cour d’Espagne. Ce prince, toujours porté vers les grandes entreprises, était gagné et entraîné -aisément par une idée nouvelle, si elle avait quelque chose de sublime ; et lorsqu’il aperçut le chaos des finances, il fut tenté de livrer la plaie de l’État à l’État lui même. Dubois traverse ce grand dessein. Dubois, qui l’environnait sans cesse, le surprit un jour lisant les mémoires du feu dauphin le duc de Bourgogne sur les États généraux, et lui ôtant soudain ces mémoires, il lui en promit d’autres bien mieux raisonnés sur cette matière. Le régent qui savait au besoin se moquer du ministre et de ses projets, lors môme que, par une nonchalance extrême, il les laissait exécuter, laissa' répandre quelques copies du mémoire de Dubois, et il est si peu connu et si piquant, que je dois à la vérité de l’histoire de ne pas le laisser perdre pour la postérité. Raisons de Dubois pour ne pas convoquer les États généraux. « Ce n’est pas sans raison que les rois de France, dit dans son mémoire l’abbé Dubois, sobt parvenus à éviter les assemblées connues sous le nom 105 d 'Etats généraux. Un roi n’est rien sans sujets . et quoiqu’un monarque en soit le chef, l’idée qu’il tient d’eux tout ce qu’il est et tout ce qu’il possède, l’appareil des députés du peuple, la permission de parler devant le roi, et de lui présenter des cahiers de doléances, ont je ne sais quoi de triste, qu’un grand roi doit toujours éloigner de sa présence. « Quelle source de désespoir futur pour Votre Altesse Royale, qui peut un jour régner en France (la mort . du jeune roi étant dans l’ordre des choses possibles), si elle changeait par une détermination pareille la forme du plus puissant royaume du monde, si elle associait des sujets à la royauté, si elle établissait en France le régime de l’Angleterre'! « L’Espagne, la France, le pape, les états héréditaires de la maison d’Autriche, tous les monarques de l’Europe, excepté ceux qui régnent en Angleterre, en Hongrie, en Pologne, et quelques autres souverains, ont connu les vices résultant du pouvoir partagé. Le pape a lié les mains à ses cardinaux, avec lesquels se terminaient les opérations de son gouvernement. L’Espagne a abaissé les grands et perdu de vue les cortès : le salut de l’État a suivi ces opérations, puisque, dans un empire où deux pouvoirs agissent de concert, on ne voit que troubles et dissensions, tandis que la paix règne dans celui où le pouvoir absolu peut soumettre les passions et les volontés trop hardies qui s’élèvent chaque jour dans un gouvernement. « Que Votre Altesse Royale réfléchisse un moment sur ce qui se passe en France quand le roi établit une loi ou crée des impôts. La loi, déjà discutée dans son conseil, en émane de la plénitude de son autorité ; il l’envoie à ses parlements pour la faire connaître aux peuples. Quelle force pourrait s’opposer alors à l’exécution de la volonté du roi ? Les parlements? Us ne peuvent faire que des remontrances : encore est-ce une grâce qu’ils doivent à Votre Altesse Royale ; le feu roi, extrêmement jaloux de son pouvoir, leur avait sévèrement défendu d’en faire; et si toutes les remontrances Finies, il ne plaît pas au roi de retirer ou de modifier la loi, ils doivent l’enregistrer ; si, au contraire le parlement la refuse encore, le monarque lui envoie des ordres ultérieurs. « Alors paraissent de nouvelles remontrances qui sentent la faction. Les parlements ne manquent pas de faire entendre qu’ils représentent les peuples, qu ils sont les soutiens de l’Étal, les gardiens des lois, les défenseurs de la patrie, avec bien d’autres raisons de cette espèce : à quoi l’autorité répond par ordre d’enregistrer, ajoutant que les officiers du parlement ne sont que des officiers du roi et non les représentants de la France ! « Petit à petit le feu s’allume au parlement, les factions s’y forment et s’agitent. Alors il est d’usage de tenir un lit de justice pour conduire au point qu’il faut messieurs du parlement. S’ils s’y [l*e Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [Introduction. 1 106 soumettent, on est obéi ; et c’est ce que peut vouloir le plus grand roi du monde : s’ils résistent encore, au retour dans leurs chambres, ou bien on exile les plus mutins et les chefs des factions, ou bien on exile à Pontoise tout le corps du parlement. Alors on suscite contre lui la noblesse ou le clergé, ses ennemis naturels : on fait chanter des chansons; on fait courir des poésies plaisantes et fugitives, et l’opération dont nous connaissons bien aujourd’hui la marche et les résultats, n’occasionne que des émotions légères qui n’ont aucun grave inconvénient, et le parlement n’en est pas moins exilé pour avoir été désobéissant. « On prend alors les jeunes conseillers qui dominent dans ce corps , par famine : le besoin qu’ils ont de vivre dans la capitale, l’habitude des plaisirs, l’usage de leurs maîtresses leur commandent impérieusement de revenir à leurs foyers, à leurs femmes entretenues, à leurs véritables épouses : on enregistre donc, on obéit, on revient. Voilà toute la -mécanique de ces circonstances; il serait bien dangereux de la changer. « A présent Votre Altesse Royale connaît-elle des moyens plus efficaces pour s’opposer aux entreprises d’une assemblée véritablement nationale qui résisterait à ses volontés? Le monarque pourrait-il dire à la nation comme au parlement : Vous n' êtes pas la Nation ? Pourrait-il dire aux représentants de ses sujets : Vous ne les représentez pas? Un roi de France pourait-il exiler la nation pour se faire obéir, comme il exile ses parlements? Pourrait-il même faire la guerre à la France en cas de refus de nouveaux impôts? Le roi est assuré de ses troupes contre le parlement : le serait-il contre la France assemblée? Où frapperaient donc le soldat, l’officier, le général, sans frapper contre leurs compatriotes, leurs amis, leurs parents ou leurs freres? N’oublions jamais que le dernier malheur des rois , c’est de ne pas jouir de l’obéissance aveugle ' du soldat ; que compromettre ce genre d’autorité qui est la seule ressource des rois, c’est s’exposer aux plus grands dangers, C’est là véritablement la partie honteuse des monarques, qu’il ne faut pas montrer, même dans les plus grands maux de l’État. « Voyez la rage de la nation anglaise presque toujours assemblée en forme d’Etats généraux contre ses rois : elle les a dévoués à la mort, bannis et détrônés. L’Angleterre était pourtant jadis la nation la plus catholique, la plus superstitieuse et la plus soumise des nations à ses monarques. Ah ! Monseigneur, que votre bon esprit éloigne de la France le projet dangereux de faire des Français un peuple anglais ! » Lç régent se dégoûte de son projet. Tel était le discours de Dubois au régent, qui changea de dessein en se moquant et du ministre et du mémoire. Le résultat des efforts de la Nation sous les deux derniers règnes de nos rois fut donc tel que Louis XIV accorda aux ennemis de l’État les conditions les plus dures, plutôt que de consentir à leur demande de convoquer la nation. Dans la suite le régent déclara la guerre à l’Espagne; il fit emprisonner le duc du Maine et les plus grands de l'État qui en tramaient la convocation , et jeta à la Bastille et au château de Vincennes des seigneurs remarquables qui osèrent en parler. Tous ces embarras du gouvernement à chaque demande des États rappellent un trait que i’his-„ toire nous a conservé et qui retrace aussi la pusillanimité des chefs de . la République romaine, quand on découvrit dans le tombeau de Numa, plusieurs siècles après sa mort, les livres les plus anciens de la religion : la lecture de ces livres devait prouver l’empire usurpé des prêtres sur les esprits, et la crainte d’une comparaison si bien fondée des anciens temps aux modernes fit qu’on ordonna d’en brûler les monuments. Ces anecdotes expliquent aussi pourquoi les cardinaux de Richelieu, de Mazarin et Dubois, puis encore Lamoignon et Brienne, ont tremblé, ou sont entrés dans des convulsions, quand les Français ont demandé de relire leurs chartes. UES ANCIENNES ASSEMBLÉES DE LA NATION EN GÉNÉRAL ET DE LEUR MOTIF. Pour assurer et dans tous ses points l’exécution du pacte supposé fait par la nation avec son chef, il devenait nécessaire que tous ses membres s’assemblassent, ou à des époques fixes, ce qui s’est longtemps pratiqué parmi nous, ou toutes les fois q;ue les circonstances pouvaient l’exiger, ainsi que l’usage l’a voulu dans la suite. Depuis la fondation de l’empire français jusqu’à la fin de la première dynastie, nos ancêtres, conformément à cette coutume qui n’avait pas encore reçu d’altération, se réunissaient au moins une fois par an, au mois de mars ou mai, pour délibérer des affaires les plus importantes dans ces nouveaux comices. Peu à peu, et sur la fin de cette première race, les malheurs publics ayant isole le prince de ses sujets, ceux-ci, la classe du peuple surtout, presque entièrement asservie, laissèrent tomber en désuétude un droit imprescriptible de sa nature. A compter de cette époque, qui fut aussi, celle de la décadence de la monarchie, les assemblées-du champ de mars ou de mai' ne furent plus en _ vigueur. Durant cet intervalle, il s’en tint beaucoup d’autres que les publicistes ont nommées Colloquia , parlements composés de nobles seuls, qui dédaignaient de s’y trouver avec le peuple réduit par eux en servitude. [ire Série, T-1er-] , ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction ] Ce sommeil de la liberté publique, et principalement de celle du peuple, fut interrompu par Pépin et Charlemagne, les deux plus célèbres rois de la seconde race. Ils ne se virent pas plutôt sur le trône, qu’ils crurent devoir réveiller dans le cœur des plus malheureux de leurs sujets cet amour naturel pour la liberté, en leur rouvrant l’entrée des assemblées publiques, d’où leur négligence et l’orgueil des grands les avaient exclus. Leur intérêt les porta à laisser là la puissance des nobles qui leur étaient contraires. Fidèles à leurs principes, plusieurs de leurs successeurs maintinrent celte prérogative, la plus éminente de toutes, au corps du peuple. Dans les treizième et quatorzième siècles, il se tint, au lieu d’Etats généraux, des assemblées solennelles, des placités, des parlements. L’on y décidait les affaires civiles, l’on y statuait sur toutes les matières criminelles. A l’égard des objets de simple administration ou de police, ils étaient renvoyés par provision au jugement du chef de son conseil. Ce conseil était d’abord composé de membres que le peuple choisissait, que le temps a fait trouver à nos monarques le moyen de nommer seuls, que les États généraux, dans quelques circonstances, ont remplacés par d’autres. De cette manière s’est toujours religieusement perpétué jusqu’à nous ce principe fondamental que nous ont transmis les Germains (1). Répétons qu’il consiste à laisser à la décision du chef et de ceux qui approchent de sa personne tout ce qui ne sort pas de l’ordre commun, et à réserver la connaissance du surplus soit aux assemblées générales, soit aux parlements qui les représentent. Aussi M. le président de Harlay disait-il au roi Henri III, lors du lit de justice du 15 juin 1586 : « Nous avons, Sire, deux sortes de lois (2), les unes sont les ordonnances de nos lois, qui peuvent se changer selon la diversité des temps et des affaires; les autres sont des ordonnances du royaume, qui sont inviolables, par lesquelles vous êtes monté sur le trône,, et cette couronne a été conservée par vos prédécesseurs. Entre ces lois publiques, celle-là est une des plus saintes, et laquelle vos prédécesseurs ont religieusement gardée, de ne publier ni loi, ni ordonnance qu’elle ne fût vérifiée en cette compagnie. Ils ont estime que violer cette loi, c’était aussi violer celle par laquelle-ils sont rois, et donner occasion à leur peuple de mécroire de leur bonté. » Bu droit de convoquer les États généraux, Dans les premiers temps de la monarchie, les (1) De minoribus principes cosultant ; de majori-busomnes. Tacit., De Morib . Gevm, (2) Registre du Parlement, 1586. , 407 assemblées nationales, fixées primordialement soit au mois de mars, soit au mois de mai, n’a-' vaient pas fourni l’occasion d’approfondir lequel, du chef choisi par la nation, ou de la nation elle-même, pouvait provoquer la réunion de tous les membres. Quand Pépin et Charlemagne ont mandé leurs sujets pour les remettre en possession de leur plus beau privilège, ils n’ont pas prétendu, par cet acte de justice, violer la liberté française dans le point le plus essentiel, au moment qu’ils s’occupaient de lui rendre tout son essor. Mais toutes les fois que les rois ont eu des propositions ou des demandes à faire à la nation, il a fallu qu’ils l’assemblassent, et cette nécessité n’a jamais pu se transformer en un droit exclusif. Mais à son tour, la nation, qui peut avoir à se plaindre des infractions au contrat primitif, devait jouir de la même faculté pour rétablir l’équilibre et veiller au maintien du parti qu’il lui était libre d’adopter ou de rejeter-Ainsi Childéric Ie?, quatrième roi de la seconde race, ayant attenté à l’honneur du sexe, ses sujets lui ôtèrent l’empire (1), dans une assemblée générale que sans doute ce prince n’avart pas convoquée. Ainsi, lorsqu’il fut question de donner un successeur à Childéric, les Français de nouveau se réunirent (2) ; et l’on prévoit aisément que le prince, bien loin de consentir à cette assemblée, s’y serait opposé formellement, si cette démarche lui eût été possible. Ainsi, les Français, révoltés de la barbarie de Gillon, qu’ils venaient d’élever à la place deCbil-déric, n’attendirent pas ses ordres pour former une troisième diète, se soustraire à sa tyrannie, et rentrer dans l’obéissance de leur ancien roi (3), qu’ils supposèrent corrigé par le temps et les revers. Ainsi Pépin, maire du palais, c’est-à-dire maître absolu de la nation par la mort de Carlo-man, son collègue, ne peut-il résister au vœu général des Français qui s’assemblèrent (4) pour placer sur le trône le jeune Childéric III, après un interrègne de près de cinq ans. Ainsi, les mœurs lâches et efféminées de ce même prince déterminèrent-ils ses sujets, dans une assemblée d’États, où ils se rendirent de leur propre mouvement, à lui ôter la couronne, pour la poser sur la tête de Pépin le Bref. Ainsi les règlements de l’impératrice Judith, (1) Childéric se licencie à débaucher les fe-nimes et les filles de ses sujets qui le dégradèrent de la royauté. Mezerai. Hist. de Childéric. [2) Cependant les Français s'assemblent pour lut donner un successeur. Vely, ibid. (3) Les Français vont au-devant de lui jusqu’à Bar, et le rétablissent dans la royauté avec des formes solennelles. Mezerai, ibid. (4) Pépin, à l’instance des seigneurs français qui avaient encore de l’attachement pour la famille royale, mit h» I à l’interrègne. Daniel, ibid. 108 ]lre Série, T. I«] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] femme de Louis le Débonnaire, ayant poussé à la révolte les enfants de ce prince, il fut rétabli par la nation, qui se convoqua âü elle -même à Nimègue, comme le désirait le monarque qui n’avait pas alors assez de pouvoir pour l’ordonner.. Ainsi, retombé, pour la seconde fois, entre les mains de ses enfants rebelles, déposé, avec le plus grand scandale, à Rosfeld, ce même prince ne trouva la fin de ces persécutions que dans une assemblée du peuple à Saint-Denis, où ce monarque venait d’être transféré par son fils Lo-thaire. Ainsi les soupçons de l’inconduite do Richarde, femme de Charles le Gros, la faiblesse d’esprit qu’il fit paraître dans une diète à Tribur, avaient indisposé ses sujets ; ils s’ajournèrent en 888, à Compiègne, où ils élurent Eudes à sa place. Ainsi, pour forcer Eudes de remettre, comme il l’avait promis, la couronne à Charles le Simple, lorsque ce prince serait en âge de gouverner, la nation s’assembla-t-elle, de son propre mouvement, à Reims, où, le 27 janvier 893, elle fit asseoir ce jeune prince sur le trône de ses pères. Ainsi l’usurpateur Raoul ôtant mort, les Français ne suivirent, pour s’assembler, d’autre impulsion que leur attachement à la maison royale, et ils arrêtèrent unanimement d’envoyer au plus tôt en Angleterre offrir, de la part des états, la couronne à Louis d’Outremer, auquel elle appartenait. Ainsi, Louis V, son fils, étant mort sans enfants, la nation s’assembla à Compiègne pour délibérer sur le droit du duc de Lorraine, lorsque Hugues Capet, ayant avec des troupes, dissipé le parlement, soutint par une perfidie la puissance qu’il s’était fait donner à Noyon. Ainsi l’édit de Louis XV, du mois de juillet 1717, confirme le droit qu’a la nation de s’assembler d’elle-même, au moins dans le cas particulier que le monarque exprime, qui est celui d'une trahison de sa part. Ainsi la province de Dauphiné en a-t-elle donné dans les derniers temps un exemple mémorable (1). Observations particulières sur le pouvoir des anciens États généraux. Charlemagne, qui, le premier, a substitué les assemblées par représentants aux assemblées par individus, recueillait quelquefois, dans des affaires en suspens, le vœu général et légitime des peuples. Il ne se bornait pas à faire prendre l’avis des gens en place, des nobles ou des propriétaires ; il voulait qu’on s’adressât à tous ceux encore qui n’avaient pour tout bien que la liberté ; il ne re-(1) Voyez le procès-verbal des Etats de Dauphiné, assemblés d'eux-mêmes le 24 juillet 1788. doutait pas l’influence de la classe la plus misérable, par cela même la plus digne de ses soins. Charlemagne, en un mot, ne pensait nas avoir satisfait à ses obligations, en consultant tous les individus, mais il exigeait une preuve authentique de l’opinion d’un chacun. La pluralité des suffrages décidait du sort de la proposition ; et si la signature des riches, comme la marque ou la simple croix des pauvres, placées au bas du projet, l’emportait sur le nombre des opposants, ce projet alors recevait l’indestructible caractère de loi (1). Telle est la marche qu’en 1788 plusieurs écrivains proposèrent de suivre pour la décision des principales questions qui s’élevaient sur la composition des nouveaux états. Cet hommage rendu par un roi aux droits du peuple est un trait historique précieux à conserver. Plusieurs autres exemples prouvent que,' sous les diverses races, les rois furent fréquemment forcés de respecter également le pouvoir que les États généraux exerçaient au nom du peuple. Brunehaut proposait à Clotaire II de prononcer sur une question délicate; voici ce que le roi lui répondit : « Le premier pas à faire est de convoquer la nation, comme la coutume l’ordonne : ce n’est pas une vaine cérémonie que je peux négliger, mais un droit inviolable auquel je ne dérogerai jamais. » Puis il déclare en ces termes formels « que la nation n’aura pas plutôt parlé, qu’il sera de son devoir, et qu’il s’empressera de se conformer à tout ce qu’elle aura jugé convenable de prescrire. » Vainement se retranchait-on à prétendre que l’assemblée dont il s’agissait devait être composée seulement de nobles, et qu’ainsi on ne pourrait en tirer une connaissance pleinement satisfaisante. Où peut mener cet argument, si ce n’est à la plus inviolable preuve du pouvoir des États généraux, qui n’auraient pas eu moins d’autorité que cette assemblée particulière ? Attribuerait-on au seul comité des nobles un droit de souveraineté que l’on refuserait aux assemblées générales, où ces mêmes nobles se trouvent avec le peuple ? L’intervention même du peuple, indispensable pour caractériser une assemblée générale, produirait-elle l’effet contradictoire de borner la toute-puissance des États, par cette réunion qui seule la constitue? Système absurde, et bien loin de répandre de l’ombrage sur la puissance des États, puissance (1) Ut populus interrogetur de capitiüis quœ in legie noviter addita sunt, et postquam omnes consensermt, suscriptiones vel manufirmaliones suas in ipsis capi-tulis faciant. — Lexsalica, Marculphe, liv. Ier, no 40. [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.] formellement avouée par Clotaire II, ne la conso-liderait-il pas d’une manière plus authentique? Imbu des mêmes principes, son fils Clovis II les retraçait énergiquement à l’assemblée de Clichy-la-Garenne. ;< Levain éclat qui m’environne, disait-il, loin de m’éblouir, ne sert qu’à m’éclairer sur l’étendue de mes devoirs. « Parmi les obligations qu’ils m’imposent, celle -de régler toutes mes démarches sur la loi, de ne prendre aucun parti dans une affaire importante qu’après avoir recueilli vos suffrages, et de m’interdire toute innovation que vous n’auriez pas approuvée, tient à juste titre le premier rang. » C’est-à-dire, qu’à la nécessité de prendre dans les grandes affaires le vœu de la nation, est joint l’engagement du prince de se conformer irrévocablement à son résultat. C’est-à-dire, que le chef ne peut vouloir que ce que la nation veut, qu’il n’a que la faculté de représenter ce qu’il croit utile, que la nation a seule le droit d’en décider, et qu’une fois adoptée par elle, la loi n’assujettit pas moins le chef que les individus. C’est-à-dire, que le pouvoir réside nécessairement, et tout entier, dans l’assemblée générale, que les membres réunis sont seuls et véritables souverains, et que les rois de la première race ont perpétuellement reconnu pour leur conduite cette incontestable vérité. Pour la seconde race, on vit Charles le Chauve rassembler cette doctrine en un même capitulaire, où les loig, ajoute-t-il, qu’il promulgue de l’agrément de ses peuples, n’obligeront pas moins ses successeurs que lui-même. Un événement remarquable, qui a précédé le couronnement de Louis. III et de Carloman, accumule les preuves de la puissance des États, et constate surtout l’idée qu’en avaient conçu les deux princes, qui leur durent de régner ensemble (1). On trouve encore sous la troisième race des vestiges de la puissance des États généraux et de .l’opinion qu’avaient les rois de leur autorité, soit qu’ils fussent composés des trois ordres, ou qu’ils ne renfermassent en plus grande partie que des baron s. « Sachez, déclarait Louis le Hutin à ses peuples, que je n’ai pas fait seul la loi que vous allez exécuter; elle ne doit pas moins sa sanction aux personnes chargées par vous d’en délibérer avec votre monarque » (2). (1) C’est encore une assemblée générale qui déféra la couronne à Loui et à Carloman, enfants de Louis le Bègue, et qui décid a la question si la répudiation de leur mère devait les -empêcher de succéder au trône. Lett. hist. sur les parlements, tome Ie*, page 193. (2) Et sciendum quod nos et barones nostri statuimus et ordinavinms. — Lett. hist . sur les parlements, tome Ie*, page 303. 109 Reconnaissance formelle de ta puissance d’un parlement composé de barons, et par conséquent de l’incontestahle supériorité de l’assemblée - générale. « Plût à Dieu (s’écriait avec douleur saint Louis en parlant du roi d’Angleterre) que je pusse triompher de l’entêtement de ceux dont je suis obligé de prendre les conseils ! » Aux assemblées générales de 1319 et de 1327, Louis le Hutin et Philippe de Valois promettent de ne lever aucune taille que de l’avis de leur peuple et de leur consentement exprès. Ils reconnaissent donc formellement aussi la supériorité des États généraux, qui signalèrent avec plus d’éclat encore leur puissance lors des deuxavénernents dePhilippe le Longet de Philippe de Valois à la couronne. Du mariage de Louis le Hutin avec Marguerite, sa première femme, il ne restait, à la mort de ce prince, qu’une fille, qui s’appelait Jeanne, et avait pour oncle le duc de Bourgogne. Celui-ci tenta d’élever sa nièce sur le trône, à l’exclusion de Philippe le Long, frère du précédent roi, et voulut s’étayer du suffrage des États généraux assemblés en la capitale. Ils repoussèrent sa prétention, en conservant au profit de Philippe-Ie-Long la prérogative des mâles. Décision qu’attendirent avec respect le duc de Bourgogne et Philippe le Long; et ce fut un nouvel hommage'rendu de leur part à la puis sance des États généraux qui avaient terminé le différend. Bientôt le décès de Charles le Bel, sans postérité masculine, fit renaître la contestation entre Philippe de Valois, descendant en ligne directe de Philippe le Hardi, et le roi d’Angleterre Edouard, comme issu d’une fille de Philippe le Bel. La cause fut discutée solennellement aux États généraux, qui prononcèrent en faveur de Philippe de Valois (1). Jugement qui ne laisse plus de doute sur la puissance des États généraux. Doutait-il de cette suprême puissance, Charles VIII, dont le chancelier, en présence et de l’agrément du prince, parlant, en son nom, aux États assemblés à Tours, en 1484 , les traitait respectueusement de mes seigneurs ? (1) Finalement, parties ouïes, fut par lesdits États prononcé arrêt selon l’avis de tous les princes, nobles, gens de bonne ville, just.ciers et notables, prins et accordé par les contondants, par lequel fui audit Philippe de Valois adjugé le royaume de France, et fui deelaré leur vrai rot et souverain seigneur, privativement contre tous, et e joint h tous de le reco..naitre tel et de lui obéir, et lors fut oirigt à Rh ims, par Guillaume, archevêque dudit lieu, le jour de la Trinité, en présence dudit Edouard qui ne l’empêcha pas. Papoy, liv. IV, lit. Ie*, art. 4, Froissard et Nangius. 440 Dénomination bien remarquable, soit par rapport au temps où le ministre du prince s’en est servi, soit relativement au caractère du person� nage qui n’a pas cru pouvoir la refuser, soit enfin d’après le monarque, en la présence duquel son chancelier en a fait usage ! Louis XII renonça à conclure le mariage de sa fille�avec Char’es-Quint aussitôt que les États eurent cassé l’imprudente promesse faite par ce prince, qui n’eut garde de vouloir éluder une délibération unanime. Malgré le goût de François Ier et de Charles IX pour le despotisme et la dissipation, ils ne songèrent pas plus à résister aux États généraux, q üi rompirent le traité fait à Madrid par le vainqueur de Cerisolles, et bornèrent Gharles IX dans sa dépense. On a encore, dans le discours de Henri III aux États de Blois, la harangue de Henri IV aux notables de Rouen, les lettres de Louis XIII et de Louis XIV pour les convocations de 1614 et 1615, des preuves nouvelles de la supériorité des États, reconnue par ces quatre princes. « Si vous en usez autrement (expose Henri III aux États de 1576 à Blois, en leur demandant la réforme de plusieurs abus qu’il désigne), vous serez comblés de malédictions, vous imprimerez une tache perpétuelle d’infamie à votre mémoire. « Et moi, je prendrai à témoin le ciel et la terre, j’attesterai la foi de Dieu et des hommes, qu’il n’aura pas tenu à mon soin ni à ma diligence que les désordres de ce royaume n’aient été réformés, mais que vous avez abandonné votre prince en une si digne, si sainte, si louable entreprise. « lit finalement vous ajournerai à comparaître au dernier jour devant des juges, là où les intentions et les passions se verront à découvert. » Il ne leur dit pas, ce prince : Si vous ne me secondez point aveuglément dans mes projets, j’aurai recours à l’autorité, toujours inséparable de ma personne ; il se contente de leur opposer l’opinion publique, et s’efforce d’exciter en eux les sentiments de l’honneur. Ce qui prouve que ses fonctions à rassemblée générale ne consistaient, de son aveu, qu’à proposer, et non pas à résoudre, qu’à remontrer, et non pas à prescrire, qu’à soumettre son opinion particulière au sentiment universel, et non pas à le subjuguer. Dira-t-on qu’en accordant aux États le pouvoir, soit de rejeter les lois proposées par le prince, soR d’en créer eux-mêmes, nonobstant son opposition, il lui restait toujours au moins le droit de gêner le cours de celles qui lui paraîtraient propres à perpétuer les abus ? Chargé de l’exécution des lois,, ajouterait-on qu’il serait possible de l’astreindre à faire respecter des dispositions qu’il croirait contraires à l'intérêt général? flntiodüctioft.j Indépendamment de ce qu’une semblable restriction ramènerait tôt ou tard le pouvoir monarchique au despotisme, les lettres du même prince, portant convocation des États à Blois, fournissent encore la réponse la plus satisfaisante sur ce point. . « Assurant nos sujets (rencontre-t-on à la fin de ces lettres) que, de notre part, ils trouveront toute bonne volonté et affection d’exécuter entièrement tout ce qui aura été avisé et résolu aux-dits États. » ■ Il était difficile de réunir en faveur des États généraux autant de titres et aussi peu de paroles, et de cimenter plus solidement leur empire. Mêmes maximes, même respect pour la Constitution, mêiffe promesse de donnera la volonté dès notables,- et, à plus forte raison, à celle des États, une juste préférence sur la sienne, dans le discours de Henri IV à Rassemblée des notables, tenüe à Rouen au mois de novembre 1 596. « Si je voulais acquérir titre d’orateur, j’aürais appris quelque belle et longue harangüe, et la prononcerais avec assez de gravité; mais, Messieurs, mon plaisir tend à deux plus glorieux titres, qui sont de m’appeler libérateur et restaurateur de cet État. Pour à quoi parvenir je Vous ai assemblés. Vous savez à vos dépens, comme moi aux miens, que lorsque Dieu m’a appelé à cette couronne, j’ai trouvé la France non-seulement quasi ruinée, mais presque toute perdue pour les Français. Par gfâCe divine, par les prières de mes serviteurs qui ne font profession des armes, par l’épée de ma brave et généreuse noblesse. (de laquelle je ne distingue point mes princes,, pour être notre plus beau titre, foi de gentilhomme !), par mes peinés et labeurs, je l’ai sauvée de perte ; saüvons-la à cette heure de ruine. Participez, mes sujets, à cette seconde gloire avec moi, comme vous avez fait à tâ première. Je ne vous ai point appelés, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver mes volontés. Je vous ai fait assembler pour recevoir vos conseils, pour les croire, poni les suivre, bref, pour me mettre en tutelle entré vos mains; envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises, aux victorieux ; mais le violent amour que je porte à mes sujets, l’extrême désir que j’ai d’ajouter deux beaux titres à celui de roi, me fait trouver tout aisé et honorable. Mon chancelier vous fera entendre plus amplement ma volonté, w Un dernier argument en faveur du pouvoir des États se tire de la résistance qu’apportèrent, en 1788, deux ministres, l’archevêque de Sens et M. de Lamoignon, son collègue, à la convocation effective de cette assemblée générale, dont, avec raison, ils redoutaient pour eux les conséquences. i • La crainte qu’ils avaient des États confirme t qu’ils étaient pénétrés de la crainte de perdre [lrc Série, T. L«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1« Série, T, 1er.] ARCHIVE� PARLEMENTAIRES. [Introdtieîiôn.j leur pouvoir, et ils ne se fussent pas repliés sous toutes les formés pour en éluder la tenue, à l’exemple du cardinal Mazarin , si le prince n’avait eu qu’à s’y montrer pour voir promulguer ses ordres. On pourrait accumuler les exemples pour prouver que, depuis l’établissement de la monarchie française jusqu’à ses dernières périodes, l’opinion de la supériorité des États généraux sur le pouvoir des rois s’est maintenue* Si cette opinion a quelquefois pu tempérer les excès du despotisme, il faut ajouter que ce n’était qu’une bien faible barrière opposée à ce torrent destructeur ; car les rois ne parvenaient-ils pas toujours à éluder cette ombre de la puissance nationale, soit en ne convoquant pas les États, soit en les asservissant à leurs volontés, sinon par la force, du moins par la ruse, la corruption, lesdons, les places ? Et, d’ailleurs, la composition même de ces États, crû dominaient deux premiers ordres, appuis intéressés du despotisme, ne les rendait-elle pas toujours auxiliaires de l’autorité royale, destinés à donner une garantie légale à leurs usurpations? Preuves des usurpations et des progrès successifs du pouvoir royal en France� — État du gouvernement dans les derniers temps de la monarchie. Nous avons examiné le gouvernement français tel qu’il a été lors de l’établissement des Francs dans les Gaules; nous l’avons suivi dans ses différentes périodes. Il est hors de doute que ce qu’on appelait sous Louis XVI la constitution du royaume, présentait peu de rapports avec la constitution des premiers temps de la monarchie. Le peuple français, dans l’origine, a dû jouir de quelque liberté, et il ne s’est pas d’abord donné un maître absolu. Cette vérité est appuyée sur une preuve infaillible, inaltérable et qui l’emporte sur (telle des faits historiques : c’est qu’il est absolument impossible que le chef d’une troupe d’hommes, qui se réunit eu société, soit un despote. H est choisi parmi ses égaux, et il 11e peut entrer dans l’idée de ceux qui l’élisent de lui donner sur eux une autorité illimitée. Ce pouvoir ne peut donc s’accroître qu’à la suite des siècles, par la ruse, par la force et par une multitude de circonstances souvent imperceptibles et quiéchappent à l’observation. Nous n’avons point le contrat fait entre les premiers Francs et leurs chefs, et sans doute il n’en a jamais existé. Lorsqu’un peuple errant, guerrier et sauvage, se forme en corps, il ne rédige point par écrit les conventions de son association ; ses mœurs, ses usages, ses lois, se conservent longtemps inaltérables, sans qu’aucun titre les atteste. L’art de l’écriture est ignoré, et lors 111 même qu’on vient à le connaître, deâ siècles s’écoulent sans qu’on emploie ses caractères à graver dis institutions qui s’observent religieusement. La tradition verbale transmet avec fidélité aux générations futures le petit nombre de maximes sur lesquelles reposent le sort de l’État et le bonheur des peuples. C’est lorsque l’ouvragë de la civilisation s’avance, lorsque lés lois se compliquent, lorsque les infractions se multiplient, qu’on pense à prendre des précautions contre la mauvaise foi. Les mouvements du premier âge des nations sont toujours elfacés par le temps, ou détruits par la guerre et tous les fléaux qui renversent les ouvrages fragiles des humains. Les débris qui nous restent ne remontent pas à une très-haute antiquité ; ils suffisent cependant pour conserver des traces sensibles du genre de liberté première dont jouissait la nation. Mais en rassemblant ce qui nous est parvenu des Capitulaires, ce que nous connaissons des anciennes assemblées des champs de mars etde mai, ce que bons connaissons des premiers États généraux, et mille traits épars dans notre histoire, il est certain, il est évident que nos rois étaient éligibles, dès lors plus soumis aux volontés de ceux qui étaient libres de les nommer; qu’ils ne pouvaient rien sans le vœu de la nation, que toutes les lois essentielles étaient faites de son consentement ; qu’ils n’avaient d’autre revenu que celui de leurs domaines ; qu’ils ne pouvaient pas lever par eux-mêmes le moindre impôt ; qu’ils n’avaient point de troupes réglées ; que la nation s’assemblait à des époques fixes ; qu’elle décidait de la paix, de la guerre, de toutes les affaires importantes. La nation s’est laissé dépouiller insensiblement de tous ses droits, et il ne lui est plus resté qu’une ombre de liberté et un fantôme de puissance. Èlle ne songea pas à réunir en corps les principes simples qui servaient de base à sa constitution, à les exprimer dans des articles clairs et précis, et à faire un pacte solennel ; elle ne prit aucune mesure pour en garantir l'observation ; elle fit à ses chefs des concessions imprudentes, dont elle ne prévoyait pas les suites funestes ; elle se divisa en partis, en factions, en ordres, en corps, et la puissance royale, toujours active, profita habilement de ces fautes et de ces imprudences. Sous prétexte d’éviter les divisions et les guerres que les prétentions à la couronne faisaient naître à la mort des rois, on ' rendit le royaume héréditaire , ce qui donna une grande facilité aux monarques de tendre au despotisme et de suivre avec confiance la marche qui devait les y conduire. Aussi les voit-on sans cesse occupés à envahir tous les pouvoirs particuliers, pour accroître leur domination ; ils ne négligent aucun des ‘ moyens lire Série, T. 1er.]. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 112 qu’une politique odieuse peut leur suggérer ; ils sèment la haine, la division dans toutes les classes de la société ; ils soulèvent de petite souverains entre eux, leur mettent les armes à la main, les laissent consumer leurs forces dans des guerres continuelles, et s’emparent de leurs dépouilles lorsqu’ils ne peuvent plus les défendre ; ils caressent le peuple pour le porter à la révolte contre les grands, qui le tiennent sous l’esclavage de la glèbe ; ils lui offrent des privilèges, des franchises pour l’attirer dans leurs domaines; ils se servent du clergé pour écraser la noblesse, de la noblesse pour abaisser le clergé ; tour à tour et suivant leurs intérêts, ils se rangent de l’un ou l’autre parti ; ils obtiennent de chacun ce qu’ils désirent ; la moitié de la nation se trouve perpétuellement opposée à l’autre, et elle ne s’aperçoit pas qu’elle combat pour se donner des fers et se mettre sous l’empire absolu d’un chef. Les rois ont grand soin de masquer leurs desseins, afin de ne pas donner d’ombrage et de n’inspirer aucune crainte. Ils conservent à la nation l’apparence de ses pouvoirs ; ils respectent les anciennes formules, ils assemblent les États, non plus, il est vrai, à des époques déterminées, mais dans les grandes occasions et suivant leurs besoins ; ils ne demandent plus leurs volontés, mais leurs conseils ; ils sollicitent des secours nécessaires qu’ils obtiennent, ils en sollicitent d’inutiles, qu’on m’ose leur refuser ; peu à peu ils ont de l’argent avec lequel il corrompent, des troupes réglées avec lesquelles ils intimident; ils deviennent redoutables à ceux qui veulent leur résister: chacun tremble de leur déplaire; leurs désirs deviennent des lois ; ils hasardent des abus d’autorité qui sont regus avec soumission; les usurpations se succèdent et passent pour des actes légitimes ; on perd de vue l’origine de leurs pouvoirs; ils prétendent les tenir de la divinité même, et les prêtres, dans un temps de superstition, ne rougissent pas de consacrer cette maxime insensée ; ils éloignent la nation des affaires, des règnes entiers se passent sans la convoquer ; ils ne la réunissent plus que pour lui demander des subsides ; ils lui permettent de délibérer sur quelques détails d’administration, sur des ordonnances civiles, mais sans s’astreindre à suivre ses arrêtés ; ils la réduisent à ce point d’ humiliation, qu’ils ne lui laissent plus la liberté que de présenter de très-humbles remontrances, des suppliques ; pour dégrader les assemblées nationales et les rendre inutiles, ils imaginent des convocations particulières de membres choisis à leur gré dans les différentes provinces du royaume ; enfin, ils forment l’odieux projet d’éteindre à toujours toutes ces assemblées, qui conservaient encore un reste d’énergie et opposaient quelquefois une espèce de résistance à leurs volontés ; ils décorent d’un simulacre de pouvoir des cours de justice dont ils se flattent de corrompre les membres avec bien plus de facilité : tel était le dernier asile de la liberté française depuis plus d’un siècle et demi! C’est en parcourant les différents monuments de l’histoire, çt en suivant avec les lumières de la raison la chaîne des événements, qu’on peut se faire une juste idée de l’accroissement progressif du pouvoir des rois et du dépérissement lent et graduel des droits de la nation. Tous les rois de l’Europe ont usurpé le pouvoir législatif sur leurs peuples: les époques de cette usurpation, dans l’histoire de la nation française, ont donné lieu à des recherches savantes. Voici celles qu’indiquent les monuments historiques : La nation française est sortie des forêts de la Germanie. Les peuples qui les habitaient sont les seuls que les Romains n’aient jamais conquis. C’étaient des peuples ignorants, barbares, mais braves, et défendus par leurs marais, leurs forêts et leurs mœurs : ce n’est pas chez de tels peuples qu’on peut trouver des monuments qui nous apprennent ce qu’ils étaient et sous quelle forme de gouvernement ils vivaient ; mais l’historien romain le plus cligne de foi nous a tracé leurs mœurs et leur manière d’être gouvernés ; c’est de Tacite que nous devons l’apprendre . Selon lui, les Germains n'avaient d’autre propriété que des esclaves et des troupeaux (il ne fallait pas beaucoup de lois à un tel peuple) : ils étaient tous soldats ; ils se choisissaient un chef , et c'était leur roi : sous sa conduite ils allaient au pillage et se faisaient la guerre entre eux : c’est ainsi que vivaient dans la Germanie une infinité de peuples sous différents noms, sous lesquels ils ont ensuite envahi l’Europe. Ils se rassemblaient en plein champ, autour de leur roi et de leur chef, pour faire leurs lois, c'est-dire, pour délibérer sur les choses importantes à tous. Les princes délibéraient sur les petites choses , la nation sur les choses importantes ; ce qui avait été délibéré par la nation, était aussi porté devant les princes (1). Les Francs, un de ces peuples germains, passèrent le Rhin, et firent d’abord la conquête d’une partie des Gaules, ensuite, de toutes les Gaules. Ils ne prirent pas les lois des vaincus, que le despotisme des empereurs romains avaient avilis ; ils leur donnèrent les leurs. Aussi voit-on les Francs assemblés autour de leur chef, en plein champ, faire des lois en commun dès le commencement de cette monarchie qu’ils établissaient dans les Gaules. Tout Franc ou Gaulois vivant sous la loi salique ou ripuaire avait le droit de se rendre à cette assemblée, et y occupait une place. Quand une (1) De minoribus principes consultant, , de majoribus omnes ita tamen ut ea quaruni penes; plebem arbiirium, est, apud principes quoque pertractentur. [1™ Série, T. I*] ' ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] loi proposée ne leur convenait point, ils la reje-taient par un murmure universel; quand elle leur convenait, ils frappaient sur leur bouclier en signe de consentement. C’est dans ces assemblées que furent faites les lois saliques ; et Ton retrouve dans l’esprit de ces lois tout ce que Tacite a dit des mœurs des Ger-* mains. On voit bien que les Francs sont un de ces peuples dont l’historien a si bien retracé les mœurs. Quand les Francs se furent dispersés dans les Gaules, quand ils devinrent propriétaires, ils cessèrent de tenir leurs assemblées, par la difficulté même de se rassembler. Il est impossible de déterminer l’époque où ces assemblées cessèrent; mais quoi qu’il en soit, ce fut par le fait , et non par le droit. Ne pouvant rassembler le peuple français, les rois rassemblèrent les évêques et les principaux chefs, et il s’établit une aristocratie, au lieu d’une démocratie tempéréepar le pouvoir du roi et des chefs , tel que Tacite nous représente le gouvernement des Germains. Les Francs trouvèrent la religion catholique établie dans les Gaules : ils y trouvèrent des évêques et des prêtres, et Clovis ayant adopté avec tous les Francs la religion chrétienne, il était naturel qu’un peuple extrêmement ignorant, donnât beaucoup de pouvoir et d’ascendant aux prêtres de la religion qu’il adoptait. Mais les évêques, accoutumés au despotisme des -empereurs, et étant les seuls qui alors fussent libres, étaient destinés à reproduire ce despotisme, et à faire oublier bientôt aux Français leur constitution libre. Saint Paul avait recommandé Vobëissance la plus entière aux puissances, et le clergé prêcha l’obéissance aveugle au roi. Cependant les évêques voulurent retenir pour eux-mêmes une partie du pouvoir législatif; aussi n’est-ce pas une monarchie absolue qui s’établit alors, mais une aristocratie du roi, des évêques et des grands du royaume, qu’on appelait alors leudes , antrulions , fidelles. C’est par ce corps aristocratique que furent faites les lois sous la première race de nos rois. L’assemblée qui se tint à Paris en 615 était ainsi composée, et l’ordonnance qu’elle publia en est la preuve (l). Tout le monde sait comment les' maires du palais s’emparèrent de l’autorité royale au préjudice des véritables rois. Pépin monta sur le trône ; il se fit sacrer par le pape Étienne, pour en imposer à des peuples superstitieux par le pres-(1) Cette ordonnance avait pour but la réforme du gouvernement. Quicûmque vero hanc deliberationem quant cum Pontificibus et cumMagnis viris optimatibus Yel fidelibus jîostris, in synodali concilia institui-mus, temerare prœsumpserit in ipsum, capitali sen-tentia judicetur. (Art. 24.) lre Série, T. Ier. 113 tige d’une cérémonie religieuse ; et de là les évêques , renouvelant les superstitions du peuple juif, commencèrent d’appeler les rois l'oint du Seigneur; la propre puissance des évêques s’élevait par cette nouveauté, puisque c’était eux qui faisaient les rois par la cérémonie du sacre, et les corps ne perdent jamais l’occasion d’acquérir quelque avantage. Pépin, pour colorer encore son usurpation, appela autour de lui, non tous les évêques et tous les grands du royaume, mais ceux qui l’avaient aidé dans ses projets ; et il appela cette assemblée de ses confédérés l’assemblée de la nation française ; il se fit déférer par eux une couronne qu’il tenait déjà par le droit du plus fort, et qui n’était pas en leur pouvoir. Pépin continua de tenir ces assemblées au mois de mai ; elles furent appelées champ de mai. Charlemagne eut du génie et des vertus ; il parut connaître les droits des hommes, et il voyait le peuple avec ce même respect avec lequel les hommes vulgaires voient un prince fugitif dépouillé de ses États. Il savait d’ailleurs que le seul moyen d’opérer le bien public, c’était d’y intéresser chaque citoyen. Il eût régénéré la nation française; il était assez vertueux, assez juste, et surtout assez éclairé _ pour lui restituer son antique forme de gouvernement; mais, d’un côté, la nation n’était pas éclairée elle-même sur scs droits ; de l’autre, il lui eût été impossible de vaincre la résistance des évêques et des grands. Go fut avec peine qu’il lit admettre Je peuple aux assemblées : on pense bien qu il ne put y paraître qu’avec le plus grand désavantage. Les Capitulaires qui, sous son règue et sous celui de quelques-uns de ses successeurs, ont été rédigés dans ces assemblées, sont, après la loi salique , le seul monument national qui nous reste. Ges Capitulaires annoncent que les lois doivent être faites parle concours du roi et de la nation, par la constitution du roi et le consentement du peuple (1). Il n’est pas permis de douter que la puissance législative ne résidât dans le corps de la nation sous le règne de la seconde race, puisque les Capitulaires disent eux mêmes que la loi n'est autre chose que la volonté de la nation , promulguée par le prince. Charlemagne eût pu s’emparer de tous les pouvoirs s’il l’eût voulu ; la division qui régnait alors entre la noblesse et le clergé, et la haine générale des peuples pour la noblesse et le clergé qui les opprimaient, eussent été pour lui des moyens infaillibles. (J) Il ne faut pas entendre par constitution du roi, autorité du roi, mais sanction du roi. Lex fit cons ensu populi, et constitutions regis. Capitulaires, année864. 8 H 4 ïlre Série, T. le*. J Mais il était trop grand homme pour ne pas voir que la liberté des nations est la source des grandes choses, et qu’un roi n’a de véritable puissance qu’autant qu’il règne sur une nation puissante. Il méditait de grandes choses, et il préparait la nation à les exécuter. Enfin, Charlemagne donna toujours l’exemple lui-même du respect dû aux lois, autant parce qu’elles étaient la seule base inébranlable de sa grandeur et de sa puissance, qu.e pour apprendre aux peuples à les respecter (1). Les faibles successeurs de ce grand prince ne surent pas maintenir les lois et l’ordre politique qu’il avait établi. Charles le Chauve voulut se rendre maître absolu ; en ne convoquant plus le champ de mai, il crut se rendre législateur; les grands du royaume, devenus indépendants, ne lui contestèrent pas le droit de commander, parce qu’ils s’étaient arrogé celui de ne pas obéir; et alors commença de s’établir l’anarchie la plus affreuse sous le nom de gouvernement féodal. La puissance souveraine fut de toutes parts envahie par les seigneurs ; le plus puissant d'entre eux, Hugues Capet, s’empara du trône et -l’on ne connaissait plus déjà en France d’autre lien social que la foi et hommage. A cette époque, la plupart des seigneurs laïques relevaient encore de la couronne ; mais bientôt ils en devinrent indépendants ; et grand nombre de seigneurs dirent qu’ils ne tenaient leur fief que de Dieu et de leur épée , et soutinrent souvent ce droit contre le roi, les armes à la main. Chacun s’empara de quelque fief, et les petits se mettaient sous la protection des grailds par la foi et hommage. On appela seigneurie allodiale ou aleu le fief qui ne dépendait de personne, et arrière-fief celui qui rendait foi et hommage à un autre. Le peuple fut réduit en servitude réelle. Les seigneurs firent battre monnaie ; ils s’attribuèrent le droit de guerre et de paix ; le droit de faire rendre la justice ; le droit de régale sur les églises de leurs seigneuries ; en un mot, tous les droits de la souveraine puissance. Les rois de France étaient bien loin de jouir alors de l’exercice de la puissance législative; aucun lien n’unissait la société, elle n’existait pas. La puissance législative n’avait d’ailleurs aucun moyeu de s’exercer ; car chaque seigneur allodial avait sa cour de justice, et tous les procès étaient jugés suivant les coutumes des fiefs, qui tenaient lieu de lois, et par le duel judiciaire. Les parties avaient le droit de demander le duel pour décider leurs différends, de le demander (t) Tassillon, duc des Bavarrois, fut condamné à mort par la nation ; il était parent de Chariemagn ■, qui ne lui accorda pas la vie,de son autorité privée; il demanda sa grâce à la nation, et l’obtint. [Introduction.] ■ contre les témoins, et même contfe les juges; d’abord contre le premier qui ouvrait son avis, puis contre le second, et ainsi de suite ; et si elles laissaient rendre un jugement sans demander le duel, elles avaient le droit de le demander contre tous les juges qui avaient rendu ce jugemept, Des hommes aussi barbares que ceux-là ne pouvaient reconnaître aucune loi ni aucune puissance législative. Ce régime a désolé la France pendant une longue suite de siècles. Chaque seigneur avait sa cour de justice ; le roi avait aussi la sienne, non comme roi, mais comme seigneur : cependant cette cour était appelée la cour du roi, et elle est l’origine des parlements. Les vassaux immédiats de la couronne dépendaient de cette cour; mais à mesure que l’autorité des rois s’agrandissait, les vassaux des autres seigneurs éludaient les cours de leurs suzerains, et allaient chercher une protection à la cour du roi. Cependant cette cour du roi se remplit de barons du duché de France ou du comté d’Orléans et les grands vassaux même, qui ne devaient être jugés, suivant les fois féodales, que par leurs pairs, par une inconséquence bien digne de la variabilité de toutes ces lois, ou plutôt coutumes, ne se firent aucune difficulté de ressortir à cette cour qui, composée de seigneurs bien moins puissants qu’eux, et attachés au roi, se firent un devoir de dégrader la dignité des premiers fiefs pour devenir eux-mêmes les égaux de ceux qui les possédaient. La confiance que ces seigneurs avaient dans leurs propres forces les empêcha de s’apercevoir de la forme que prenait le parlement; sans cela ils n’auraient pas souffert que les barons, qui n’étaient pas pairs du royaume, fussent les juges de la pairie. Une vanité mal entendue les empêchait encore de se rendre à la cour du roi: ils trouvaient toujours des excuses pour ne pas s’y rendre quand ils étaient convoqués ; et le roi, qui redoutait leur présence, ne manquait pas de trouver ces excuses légitimes. Les pairs ecclésiastiques s’y rendaient; et comme ils avaient déjà établi des procédures régulières dans leur manière de rendre la justice, ils portèrent ces mêmes règles à la cour du roi. C’est ainsi que commença à s’établir une sorte de régularité dans l’administration de la justice. Philippe-Auguste, sacré en 1180, établit l’appel de déni de justice ou de défaut de droit. Il frappa un grand coup contre le gouvernement féodal par cet établissement. Le roi convoquait le parlement quand il lui plaisait, et il le composait comme il voulait; il n’y appela que des prélats et des seigneurs dévoués à ses volontés : il faisait autoriser toutes ses mesu-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lre Série, T. I«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] res par des arrêts de sa cour, et les grands vassaux qui refusaient d’v obéir, désunis entre eux, et n’ayant aucun moyen de se réunir pour se soutenir mutuellement, étaient traités comme félons. On les accusait de troubler la paix publique, quand le roi paraissait protéger et respecter lui-même les coutumes féodales. Au lieu de se réunir, les seigneurs ne s’occupe-' rent qu’à se détruire entre eux, et à acquérir eux-mêmes sur leur vassaux les droits que le roi acquérait tous les jours sur eux, Richard, roi d’Angleterre, et l’un des grands vassaux du roi de France par la possession de plusieurs seigneureries considérables, avait tenu Philippe dans une contrainte extrême ; il mourut, et Jean sans Terre, son successeur, incapable de soutenir sa fortune contre Philippe, ne trouva personne qui osât ou qui voulût s’unir à lui pour le défendre; au contraire, le duc de Bourgogne et la comtesse de Champagne s’unirent à Philippe, qui fit la guerre avec succès à Jean sans Terre, et le fit condamner à mort par son parlement, pour le meurtre de son neveu Artus, duc de Bretagne, avec confiscation au profit de la couronne . de tous les domaines que Jean sans Terre possédait en deçà de la mer, Par cette manœuvre, Philippe-Auguste acquit la Normandie, l’Anjou, le Maine, le Poitou, la Touraine, l’Auvergne, le Vermaudois et l’Artois. • Dès lors il n'y eut plus d’égalité de forces entre le roi et tous les grands vassaux du royaume. Louis le Gros ayait précédemment affranchi les communes, plus par besoin d’argent que par politique. Les seigneurs avaient imité cet exemple pour les mêmes causes, et le peuple avait commencé à respirer et à sècouer la servitude féodale, en achetant une liberté qu’il tenait de la nature. 11 s’était formé des villes régies par des consuls, des échevins. Cependant ces villes dépen daient des justices des seigneurs qui leur avaient yeodu le droit de communauté. Les communes qui ne dépendaient pas du roi se faisaient garantir l’affranchissement par le roi ; et les rois, qui trouvaient.dans cette forme un agrandissement d’autorité, ne manquaient pas d’accorder cette garantie, Ils établirent des baillis et sénéchaux pour administrer la justice. Ces baillis empiétaient sans cesse sur les droits des seigneurs. Si les parties plaidantes déclaraient être sous la protection et garantie du roi, sans même examiner Je fait, les baillis s’emparaient du procès. Ils imaginèrent les cas royaux, mais sans jamais en définir la nature, pour se réserver un prétexte éternel d’envahir la justice des seigneurs, et enfin les seigneurs perdirent la souveraineté de leur justice. Sous le règne de Louis Vlll, le seigneurs eux-mêmes, appauvris et désunis, étaient lassés de l’état de guerre dans lequel ils vivaient entre 115 eux; les seigneurs inférieurs, des vexations que leurs suzerains exerçaient contre eux, et les communes qui s’étaient multipliées ressentaient les maux de cette anarchie féodale. Les Français de tous les états commençaient à ressentir le besoin de lois qui remplaçassent des coutumes bizarres et incertaines. Louis VIII fit quelques règlements généraux ; mais ces règlements généraux sont des traités que les parties intéressées promettent d’observer (i), Saint Louis, qui lui succéda et fut sacré en 1226, est le premier de nos rois qui ait fait des lois générales, qui sont appelées Établissements de saint Louis, Ces Établissements sont plutôt des conseils que des lois. Tous les Français y déférèrent, parce que saint Louis y manifestait des vues de bien public, et que tous, lassés de l’anarchie féodale et des maux qu’elle avait produits, sentaient le besoin d’une puissance législative ; bien éloignés de savoir en qui doit résider cette puissance, ils voyaient la nécessité, non-seulement de fixer ces coutumes qui pendant quatre siècles avaient tenu lieu de lois, avec une mobilité incroyable, mais encore le besoin de les corriger. 11 s’établit alors la maxime que le roi était le souverain de tous, parce que tous voulaient se débarrasser des autres souverains. Le clergé, aussi ignorant en politique que le reste des . Français, voyant son profit particulier à la destruction du gouvernement féodal, reprit ses anciennes opinions sur la royauté et prêcha le despotisme. La prescription du duel judiciaire, qui avait été la seule jurisprudence de ces temps barbares, ayant fait place à une manière de procéder régulière; les magistrats durent entendre des témoins, consulter des actes, des Charles, Les seigneurs, qui ne savaient pas même lire, furent obligés d’admettre parmi eux des hommes tirés de la bourgeoisie , sous le nom conseillers-rapporteurs , conservant pour eux la dénomination de conseil-lers-jugeurs. Saint Louis fit traduire le Gode Justinien et la Bible, que ces juges étaient obligés de lire. Les seigneurs se dégoûtèrent de ces fonctions pénibles, et ils les abandonnèrent en entier aux conseillers-rapporteurs. Bientôt s'établit ce nouvel ordre de citoyens que nous avons appelé hommes de robe. La noblesse les méprisa. Ils s’attachèrent à faire leur cour au roi, et à dégrader la dignité et la puissance des possesseurs de fiefs. . Ges magistrats, intéressés d’un côté à abaisser l’orgueil des seigneurs en élevantla prérogative (1) Ludovicus, Del gratta, Franciæ rex, omnibus ad quos litterœ présentes pervenerent, salutem : noveritis quod per votunlatem et assensum arçhiepiscoporum, episcoporum, baronurn et militum regni Franciæ, qui Judæos habentet qui Judæos non habent, fecimus slabi-limentum super Judæos , quod juraverunt tenendum illi quorumnomina subscribentur . (OrdonnAnces du Leurre ) [lre Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 116 v royale, travaillèrent sans relâche à remplir ces deux objets; d’un autre côté, n’ayant d’autres connaissances que celles qu’ils puisaient dans la lecture de la Bible et celle des Institutions de Justinien, ils appliquèrent à l’autorité des rois de France tout ce qu’ils lisaient de celle de David et de celle des empereurs romains. Il subsistait encore des seigneurs indépendants,. ou alleus ; mais leur indépendance disparut bientôt devant les subtilités du parlement et des jurisconsultes. Le parlement n’était pas sédentaire avant Philippe le Bel ; le roi le composait tous les ans à sa volonté; Philippe le Bel le rendit sédentaire. Ses successeurs en ont ensuite créé d’autres dans toute l’étendue du royaume ; et ces corps agissant toujours par la volonté des rois, ont investi les rois de la puissance de la nation. Ils ont gardé une partie de cette puissance, par le droit qu’ils se sont réservé d’enregistrer les lois; forme qui du mofns a conservé l’idée que les rois tle France ne sont pas les maîtres absolus de leurs sujets. En 1788 la nation commença à sentir la nécessité de ressaisir ses droits : un cri général s’éleva contre les restes de l’anarchie féodale et contre cette autorité ridicule et absurde d’un corps de magistrature, qui, pour comble d’absurdité, achetait le droit de partager la puissance législative. Elle s’est accoutumée à prendre le fait pour le droit , sans songer que la puissance législative dont ont joui les rois, concurremment avec les parlements, était une usurpation récente des uns et des autres. Les rois de la première race n’en ont point joui ; ceux de la seconde ont déclaré eux-mêmes, dans leurs Capitulaires, qu’elle appartenait à la nation ; ceux de la troisième race n’en ont pas joui pendant toute la durée du gouvernement féodal, et cette durée a été longue. Saint Louis commença à l’exercer, et Philippe le Bel s’en mit en possession; c’est lui qui le premier rassembla la nation, il y appela In peuple, mais seulement celui des provincesméridionales, connuessous le nom de Langue d'Oc et Langue d'Oïl. Il n’appela point ces assemblées champs de mars ni-champs-de-mai, mais États généraux. Ces États généraux, ignorant tous leurs droits, ne firent que contribuer à augmenter la puissance royale : c’est alors qu’on imagina les cahiers et les doléances sur lesquel ils laissèrent au roi la liberté de statuer, quand ils avaient le droit d’ordonner en législateurs, et de restreindre le pouvoir exécutif dans les limites qu’il leur aurait plu de lui indiquer. Cependant, malgré cet abaissement de la nation et cette ignorance de ses véritables droits, les rois ont toujours éloigné ces assemblées, et la dernière, avant celle de 1789, ne date pas moins que de près de deux siècles. Nous allons tracer, d’après un écrivain célèbre, le tableau de leur puissance dans les derniers temps de la monarchie. Depuis plusieurs siècles, le roi, en France, réunissait dans sa main tous les genres de pouvoirs, et son autorité était illimitée , il faisait les lois et veillait à leur exécution : qu’on réfléchisse aux conséquences d’une telle cumulation de pouvoirs. Les troupes sont à ses ordres; il décide seul de la paix et de la guerre, conclut les traités d’alliance, de commerce avec les nations voisines, dispose à son gré du trésor public et sans être obligé d’en rendre aucun compte, nomme aux emplois civils, militaires, ecclésiastiques, distribue les grâces, lève les impôts qu’il lui plaît, sans prendre le consentement de la nation ; il est enfin maître absolu, puisqu’il a dans sa main tous les moyens de force et de corruption. La nature seule des choses peut résister aux projets insensés et tyranniques qu’il lui plairait de former : ainsi que le peuple épuisé soit dans l’impossibilité de supporter le fardeau des impôts, il faut bien qu’il le soulage, ou au moins qu’il n’augmente pas un poids déjà trop insupportable; ainsi, que le crédit public soit perdu, la ressource des emprunts lui est fermée. Mais si vous excep tez une force majeure contre laquelle toute la puissance humaine vient se briser, il n’est pas une seule action qu’un roi de France ne puisse faire impunément. Il peut se jouer de la liberté de la propriété de ses sujets. En vertu d’un ordre émané de sa main, il fait arracher un père de famille de sa maison, le fait précipiter dans un cachot, sans que des enfants puissent réclamer leur père dans aucun tribunal. 11 le ferait empoisonner, il le ferait périr sans qu’il fût possible d’en tirer vengeance. Les lois ne sont rien pour lui. Il est dé fendu aux citoyens de prêter leur argent au-dessus du taux fixé par les ordonnances, à peine de punition exemplaire, et il ouvre publiquement des emprunts à un denier supérieur. Lorsque les conditions en sont fixées, et que lé public, sous la confiance de la promesse royale, a porté ses deniers au Trésor, par des volontés postérieures, et sous le prétexte injuste et frivole des besoins de l’État, il viole ses engagements, et baisse l’intérêt au-dessous même du taux légal. C’est ainsi que, par des diminutions successives et arbitraires, des capitaux considérables sont devenus sans valeur. Un banqueroutier est flétri dans l’opinion publique et puni par les lois ; il fait une banqueroute, et ses créanciers sont dans l’impuissance d’invoquer ces lois , il faut encore qu’ils révèrent la main qui les dépouille, ou du moins qu’ils étouffent leurs murmures. Il s’empare d’une femme, qui a eu le malheur de lui plaire, il exile le mari, qui ne peut plus sans désobéissance approcher de la compagne à qui il a juré et qui liii [lrc Série, T. I*«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction! . a juré à la face des autels une fidélité inviolable ; il vit publiquement avec elle, il la déclare sa maîtresse, sans respect pour les lois de la nation, en outrageant tout ce qu’il y a de plus sacré aux yeux de la nature et dé la société ; il en a des enfants, et ces enfants il les avoue, il en fait des princes. 11 y a eu quelques rois sans doute qui ont moins abusé de leur puissance; mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici, et il ne faut pas prendre le change. Le chef d’un État despotique peut gouverner avec autant de douceur que de justice ; il peut être bon, généreux, se montrer le père de ses sujets, la constitution de son empire n’en est pas moins vicieuse. Ce qu’if est question de considérer, c’est si le pouvoir des souverains est ou non illimité , si un fou, un insensé, un dissipateur, un homme atroce à la tête du gouvernement peut commettre à son gré tous les genres d’excès, opprimer, écraser la nation. Or, dans l’histoire des différents règnes, dans les derniers surtout, est-il un seul acte de despotisme possible qui n’ait été commis ? Examinons l’état de la société sous Louis XIV et sous Louis XV : sous ces règnes voit-on une seule puissance qui ait la force, sinon de balancer l’autorité du souverain, au moins de s’opposer aux injustices qu’il lui plairait de faire ? Où est-il ce corps qui a des moyens de résistance ? où sont les citoyens armés de quelque pouvoir ? La nation est un vaste corps, dont les membres dispersés n’ont aucun lien politique qui les unisse, et ce défaut d’harmonie la rend sans mouvement et sans force. Des germes toujours renaissants de haine, de jalousie, fomentent au contraire des divisions perpétuelles entre les corps et les différentes classes de citoyens. 11 a été plus facile de réunir par des conquêtes, des alliances et des traités les parties dispersées du vaste territoire de la France, que de ramener à un point d’ensemble et d’unité les lois, les coutumes, l’esprit des habitants qui viyaientsous des gouvernements divers. Il s’en faut beaucoup encore que ce caractère d’uniformité soit répandu dans les différentes provinces du royaume ; et un étranger qui parcourait la Gascogne et le Limousin, sans savoir que ces deux pays sont sous la même domination, était bien éloigné de le croire. Toutes les provinces nouvellement alliées ou conquises avaient conservé des privilèges , des franchises, par des capitulations et des traités ; chacune avait isolé sa cause commune, chacune avait moins de force pour résister aux entreprises des souverains ; elles fournissaient les moyens de s’opprimer les unes et les autres : elles nuisaient à leur défense particulière et à la défense générale. Sous ce régime destructeur, la nation se trou-117 vàit partagée en trois grandes divisions : le clergé’ la noblesse, le tiers état; ce sont autaut de factions ennemies que des immunités, des prérogatives mettent continuellement aux prises. Le but constant des deux premiers ordres est d’écraser le troisième et de rejeter sur lui le fardeau des impôts. Avec de semblables dispositions, les trois ordres, loin d’opposer de la résistance au souverain, lui présentaient au contraire la plus grande facilité pour devenir despote, et faire régner ses volontés arbitraires. Sans beaucoup d'habileté, il profitait de leurs querelles et savait se faire un parti puissant, avec lequel il était assuré de la réussite de ses projets. Remarquez que nous supposons les États assemblés, c’est-à-dire la nation dans le plus haut degré de sa puissance. Eh bien, par notre mauvaise constitution sociale, et par le défaut d’harmonie entre les citoyens, dans ce moment-là même le roi est maître, et on laisse un libre cours à son pouvoir absolu : ce fut le résultat de tous les États généraux jusqu’aux siècles derniers. Qu’est-ce donc, lorsque ces États ne sont point assemblés. Et le souverain les convoque à son gré : comme alors il peut à loisir tout faire, tout attaquer, tout détruire! comme il peut donner des fers à ses sujets, sans craindre aucune opposition, aucune défense ! Le citoyen le plus élevé en dignité est sans force, et le premier prince du sang n’est pas plus à l’abri d’un coup d’autorité que l’homme de la classe la plus obscure. Les cours souveraines sont des corps toujours subsistants par la nature de leurs foiictions, mais elles n’ont que l’ombre de la puissance. Elles ont donné des preuves de courage et de patriotisme dans plus d’une circonstance ; plus souvent encore elles ont trahi la cause de la nation, celle du peuple surtout, pour la conservation de leurs intérêts personnels, de leurs prérogatives, de leurs droits. Que peuvent leurs remontrances les plus sages, leur généreuse fermeté, lorsque le souverain ne veut pas les entendre et qu’il se montre opiniâtre dans ses desseins ? Tout fléchit sous un très-exprès commandement, ou bien le monarque, déployant l’appareil du despotisme, vient au milieu de ses parlements donner sa volonté pour loi, et faire enregistrer par force. Lorsque la résistance des cours est vive, qu’elle est appuyée sur des motifs solides, les lois qui exigent de semblables réclamations sont presque toujours corrigées, mais avec des tempéraments, des mesures qui les défigurent et les corrompent. Les ministres ne veulent pas que l’autorité royale, ou plutôt la leur, paraisse trop revenir sur ses pas, crainte de la compromettre, comme si elle n’était pas bien plus étrangement compromise par une injustice, que par l’aveu d’une erreur; [Ire Série, T. I*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. . [Introduction.] 418 ils capitulent, ils admettent une partie des ré-fermes proposées, ils rejettent le surplus; ils laissent des articles douteux, équivoques , qui peuvent diversement s’interpréter ; ils en passent qttelques-uns pour qu’on leur en accorde d’autres, c’est ce qui fait qu’en France les lois les plus importantes n’avaient point de caractère prononcé, une expression libre, franche et précise, nn ensemble exact et régulier dans toutes leurs parties, un des plus grands inconvénients de toute législation. Il faut ajouter que l’équité et le bien publie n’étant pas toujours la base des remontrances, des oppositions' dés parlements, les ministres sacrifiaient des vues sages à des clameurs insensées. Des assemblées provinciales ont été établies dans les provinces de la France qui étaient ré* gies en pays d’élection. Les membres ont été nommés par la cour, et reçurent leur impulsion du ministère ; le choix des représentants du tiers état a excité les plus vives réclamations. Ces représentants jouissaient presque tous des privilèges de la noblesse ; de sorte que le peuple, c’est-à-dire la majeure partie de la nation, avait de prétendus représentants et point de défenseurs. Enfin, ces assemblées provinciales dont on tenta l’établissement étaient entièrement dans la dépendance du souverain ; elles n’avaient aucun moyen de résistance à lui opposer contre ses entreprises sur les droits de la nation. Est-il d’autres classes de citoyens qui eussent plus de puissance ? Seraient-ce les grands? Ges êtres si vains et qui se croient d’une autre nature que les autres hommes, ce sont des esclaves attachés par leurs emplois à la cour, qui tiennent leur fortune et leur dignité d’un maître dont ils flattent les caprices et à qui iis tremblent de déplaire. Serait-ce le militaire ? C’est au contraire l’in-trument le plus redoutable du despotisme. Les rois font servir à leur gré contre la patrie toutes ces machines armées pour la défendre. Il faut avouer néanmoins, à la louange de ce corps, que, dans les dernières années, c’est-à-dire, depuis la guerre de l’Indépendance américaine, une révolution aussi étonnante que salutaire en avait un peu, mais faiblement encore, changé l’esprit. Scraient-ce les rentiers, dont la fortune est entre les mains du souverain, dont l’existence dépend de sa volonté, qui d’un seul mot peut réduire cet essaim nombreux à la mendicité ? Ils aimeraient mieux voir jeter la nation dans les fers que de voir l’intérêt de leurs fonds diminuer. Tous les autres citoyens sont enchaînés à des états qui sont à la disposition du roi. Car, alors, en France, était-il un seul homme qui pût exercer son industrie ni donner l'essor à ses talents sans avoir acheté la permission et sans avoir obtenu des lettres du Gouvernement ? Il n’est aucun établissement que le ministère n’inspectât et ne dominât ; on le voit, principalement sous le dernier régne, se mêler de tout, vouloir tout diriger, tout conduire; il altère, il change les statuts qui servent de base aux arts, métiers et professions diverses ; il assujettit les membres à des exercices, à des examens, à des taxes ; il fait des corporations nouvelles, désunit les anciennes, de sorte enfin qu’il n’est pas d’individu qui ne se trouve aussi tourmenté par l’autorité souveraine et dans un assujettissement perpétuel. Chaque état est distingué avec soin d’un autre; chaque état a des prééminences, des prérogatives particulières, et on ne ppul impunément passer la ligne de démarcation. Les degrés qui conduisent du métier regardé comme le plus bas, jusqu’à l’emploi le plus honorable, sont infinis. Les hommes livrés.à ce nombre prodigieux de professions, qui donnent le mouvement et la vie à la société, évitent le plus qu’ils peuvent de se confondre. Celui qui se croit d’un cran plus élevé, fait sentir sa supériorité à son inférieur dans les circonstances de représentation ; la prééminence du pas devient une affaire très-sérieuse, et mille procès attestent combien les corps ajoutent d’importance à ces orgueilleuses folies. De proche en proche, chacun rend les humiliations qu’il reçoit. Ainsi, des guerres intestines et sourdes se fomentent parmi toutes les classes de citoyens, et cette désunion des membres fait la force du chef. Sans cesse il divisait pour régner. Joignez à cela le caractère national, qui vient encore fortifier cette puissance. Combien le Français n’était-il pas idolâtre de ses maîtres? Ne bénissait-il pas avec une sorte de superstition les chaînes qu’il portait ? Au moindre signal de bienfaisance et de prospérité publique, son roi est un dieu. Le malheur aecable-t-il les provinces, le peuple gémit-il sous le poids des impôts et des abus du pouvoir ? Le roi est bon, mais les ministres le trompent ; il lui attribue tout le bien qui se fait, et il rejette le mai sur les courtisans qui l’environnent. -Quel est donc le frein politique qui eût pu empêcher le despotisme en France? Que l’on eût mis un Caligula, un Néron sur le trône, le sang n’aurait-il pas coulé par torrents ? Sans le désordre affreux des finances, et quelque lueur d’esprit public, que des écrits échappés aux poursuites de l’inquisition firent éclore, eût-on jamais entendu parler d’une révolution ? On parle sans cesse de deux puissances auxquelles les rois, dit-on, sont soumis, dont ils sont les esclaves et qui les empêchent de faire le malheur de leurs peuples... leur intérêt et l'opinion publique. On confond toujours ce que les souverains devraient faire, avec ce qu’ils font ou ce qu’on fait en leur nom. L’homme devrait être tempérant et sobre, il [1* Série, T. !**.[ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sven trouverait mieux au physique et au moral ; combien de gens néanmoins sont immodérés dans leurs désirs et se laissent emporter par la fougue de leurs passions ! L’homme, pour son propre bonheur, devrait être vertueux, et il s’abandonne au vice et au crime. Les rois écoutent-ils toujours la voix de la raison et de la justice, ou ne sont-ils pas dans tous les temps les instruments aveugles de leurs passions, ne sont-ils pas plus exposés encore que les autres hommes à l’erreur? Environnés dès l’enfance des flatteurs, accoutumés à être obéis au moindre caprice, énervés par une vie molle et voluptueuse, éloignés de toute occupation sérieuse, adonnés à tous les plaisirs, ce sont peut-être les plus imparfaits des hommes; aussi, compte-t-on le petit nombre de ceux qui ont échappé aux vices de leur éducation première et à tous les genres de corruption dont on les assiège. Et l’intérêt du peuple est la digue que l’on prétend opposer à l’autorité absolue des monarques ! N’est-il pas évident que cette digue est impuissante et qu’elle a été mille et mille fois renversée? Est-ce pour l’intérêt des peuples que les rois s’énivrent de la folie des conquêtes, qu’iis entreprennent des guerres injustes, ou pour satisfaire leur ambition ? Est-ce pour l’intérêt des peuples qu’ils font des dépenses énormes, qu’ils récompensent si magnifiquement leurs flatteurs et les vils artisans de leurs plaisirs? Est-ce pour l’intérêt des peuples qu’ils laissent piller le trésor de l’État par des financiers avides, par des ministres infidèles ? Est-ce pour l’intérêt des peuples qu’ils ne s’occupent point de la chose publique, et qu’ils se déchargent du soin de régner sur des subalternes qui commandent en leur nom ? Est-ce pour l’intérêt des peuples enfin que paraissent toutes ces lois injustes, oppressives dictées par la vengeance, ces exils, ces proscriptions, ces emprisonnements? L’opinion publique est, dans les pays libres, un frein plus puissant contre l’usurpation ; mais qu’il est faible contre le despotisme ! Pour que l’opinion publique fût toujours éclairée, toujours sage, qu’elle se déployât avec dignité et énergie, il faudrait que la pensée ne fut point contrainte, que tout homme pût rendre ses idées publiques, que la presse fût libre enfin ; alors la discussion répandrait la lumière et l’instruction dans les esprits. Mais si ceux qui ont intérêt de faire adopter un projet, sont en même temps les maîtres d’empêcher qu’il ne soit examiné et contredit, s’il n’est permis d’ouvrir la bouche pour le louer, de quelle importance peut être l’opinion publique? Quelle confiance mériterait un tribunal qui jugerait les affaires sur le rapport d’une seule partie ? {IntrêdttctioiHÎ Ûn le sait, l’opinion publique ne découle pas toujours d’une source très-pure* Personne n’ignore par quels artifices on la prépare» Les gens ea place ne négligent rien pour disposer les esprits à recueillir leurs desseins les plus funestes ; iis répandent partout des espions à leurs gages, qui en font de pompeux éloges; ces louanges retentissent dans les papiers publics; la masse de la nation, qui, sans jugement personnel, croit aveuglément sur la foi d’autrui, répète à l’unisson ce qu’elle entend, ce qu’elle lit : et voiiq dans un moment l’opinion publique formée. Le petit nombre de sages qui réfléchit, qui médite dans le silence de la retraite, qui veut sincèrement le bien du genre humain, s’élève Contre cet engouement ; les effets justifient ses réclamations; mais il n’est plus temps, les coups sont portés, le mal est irréparable, et le monarque n’a cru cependant qu’obéir au cri public, au vœu unanime de la nation. De plus, il n'est pas à portée d’entendre ce vœu. Relégué dans le fond de son palais, les flatteurs qui l’entourent lui donnent leur opinion comme étant l’opinion publique ; ils lui remettent sous les yeux les suffrages d’écrivains mercenaires qu’iis ont achetés, Et si enfin le monarque est parvenu à dédaigner l’opinion publique, à s’irriter contre elle, à la regarder comme un cri séditieux, et à traiter ceux qui la forment comme des rebelles, que devient alors ce guide que l’on veut donner aux souverains et qui doit régler leur conduite? On voit que l’opinion publique ne peut point servir de rempart à la liberté des citoyens. Maintenant quel est l’homme de bonne foi qui puisse dire que ce n’est pas là un gouvernement despotique ? Remarquez-le bien, un roi peut n’être pas despote, quoique se trouvant à la tête d’un gouvernement despotique, mais sou successeur le sera ; en un mot, il suffit qu’on trouve toutes les facilités pour le devenir impunément dans la mauvaise constitution de son état, pour que cet état soit despotique. Un monarque français, observe-t-on, commandait au nom de la loi, et lui obéissait même, tandis qu’un despote gouverne par ses volontés-arbitraires. Cette distinction n’est qu’un jeu de mots puéril, qui, bien examiné, ne présente aucun sens raisonnable. Il n’est pas un seul État dans le monde où il n’y ait des lois ; il n’en est pas un seul dès lors où le chef le plus absolu ne commande au nom de ces lois : elles sont, il est vrai, le fruit de ses volontés arbitraires ; et sous ce point de vue, il gouverne par ses volontés. Mais que sont-elles donc autre chose en France ? N’est-ce pas le roi qui fait les lois, qui les fait contre les représentations des cours souveraines, contre les représentations de la nation elle-même assemblée? N’est-ce pas lui qui les change, qui les anéantit 120 [1«> Série, T, Icr.[ à son gré ? En un mot, il n’y avait essentiellement aucune différence entre le pouvoir d’un roi de France et celui du grand seigneur, et celui d’aucun despote : car quand on peut tout, il n’existe rien au delà. Aussi quels malheurs affreux n'ont pas résulté dans tous les temps de cette mauvaise constitution, et combien sont cruels ceux qui nous affligent ! Une variation perpétuelle dans les principes, des guerres sanglantes et ruineuses, des courti-, sans et des maîtresses tenant les rênes de. l’État, disposant des grâces et des faveurs, des impôts excessifs, des emprunts énormes, le crédit public perdu, le trésor royal livré à tous les genres de brigandages de dissipations folles, aucune bonne foi dans les promesses, les débiteurs de l’État mal payés, des banqueroutes, le commerce détruit pardes traités honteux, l’agriculture sans vigueur, les. campagnes désertes, la nation avilie chez les étrangers, les propriétés attaquées, l’instabilité de tous les emplois, les ordres de l’État perpétuellement le jouet des ministres ambitieux, la liberté des citoyens ravie par les coups les plus arbitraires, des lettres de cachets, des emprisonnements, un luxe effréné, la corruption des mœurs publiques et domestiques : et combien d’autres maux! on ne finirait pas à en présenter l’horrible tableau. Ce que l’on appelait notre droit civil, cette partie des lois qui établit les relations des citoyens entre eux, fixe leur rang dans la société, attache des prérogatives ou des disgrâces à leur naissance, règle la manière d’acquérir les biens, de les recevoir, de les transmettre, de lès perpétuer, était un amas informe, un mélange bizarre des lois gothiques et étrangères, mal conçues, mal rédigées, fabriquées sans aucun plan, sans aucune proportion, dans des siècles d’ignorance et de barbarie. Nulle part on n’aperçoit la main du législateur cherchant à unir les hommes entre eux, à adoucir leur sort, à protéger leurs personnes, leurs biens, à subordonner l’intérêt particulier à l’intérêt général, à les faire concourir à l’harmonie sociale. Nulle part on n’aperçoit cet ordre, cette symétrie qui brillent dans les ouvrages Nde la nature et qui en font la beauté et la durée. Partout, les devoirs, les droits de l’homme sont méconnus, oubliés, confondus; le faible est opprimé sous la puissance du fort. Si la tyrannie féodale ne fait plus d’esclaves, elle fait encore des malheureux. S’il est permis à l’infortuné de devenir propriétaire, l’impuissance de ses facultés l’empêche d’user de cette prérogative, ou s’il le devient, mille entraves gênent sa jouissance et le forcent à l’abandonner. S’il est libre de sa personne, ses besoins l’enchaînent à des travaux durs, pénibles, et qui lui procurent à peine sa subsistance. Mille bizarreries, mille contrariétés jettent le [Introduction.] trouhle et la confusion dans les familles et ébranlent les propriétés les plus stables. Chaque ville, chaque village, chaque hameau a ses usages particuliers. Ici le droit romain est en vigueur, là il est sans force ; le sort des personnes, celui des choses varient suivant les lieux. La France était gouvernée par plus de trois cents coutumes, la plupart opposées les unes au autres dans leurs dispositions. Indépendamment de ces coutumes, combien de lois éparses dans des fragments plus ou moins incomplets, sous les titres d’ordonnances, d’édits, de déclarations ! À mesure que des circonstances imprévues se présentent, on en fait de nouvelles, on interprète les anciennes, qu’on laisse toujours subsister dans les parties non réformées, de sorte que sur la même matière on trouve vingt lois différentes et inconciliables. Combien de formalités puériles et dont la plus légère omission rompt les mesures les plus sages , détruit les contrats les plus sacrés ! A peine dans cette immensité de lois en trouve - t-on qu’on puisse dire générales ; elles éprouvent, en passant par chaque province, des changements qui les rendent méconnaissables. Du sein de celte confusion, de cette contrariété, de ce chaos épouvantable, naissent des divisions, des différends, des procès sans nombre, et ces procès ruinaient des familles entières, en semant la haine et la discorde parmi les citoyens. Les lois-qui décident de l’honneur et de la vie des hommes, moins étendues dans leurs rapports, étaient plus cruelles encore dans leurs effets; elles ne respirent que le sang, la mort, et sans cesse la mort. Elles conspirent contre l’accusé, sans jamais rien dire en sa faveur. Il est jeté dans des cachots affreux, où il reçoit des peines anticipées par des privations, de mauvais traitements de toute espèce ; un mystère effrayant enveloppe l’instruction ; les formes sont des pièges qui lui sont tendus ; c’est au milieu du trouble et des angoisses qu’il est interrogé; on l’enlace dans des questions subtiles ; il çeste sans défenseur, et il est question de sa vie ; il ne peut ‘se justifier que lorsqu’il n’est plus temps, ses juges sont déjà prévenus; la loi leur a enjoint de n’entendre que ce qui pouvait être à sa charge jusqu’à la fin du procès, et les témoins qui pouvaient déposer de son innocence sont morts dans cet intervalle ! Que d’incertitudes sur la nature des preuves, que de systèmes dangereux sur le degré d’importance qu’on doit ajouter aux présomptions et aux probabilités ! Nulle proportion, nulle gradation dans les peines; le complice est puni comme le coupable, le voleur comme l’aSsassin; des supplices affreux pour des délits légers, mille cas non prévus et laissés à l’arbitrage des juges. Dans la balance des opinions, une voix fait pencher, une voix suffit pour prononcer l’arrêt de, mort. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lre Série,. T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Est-ce donc ainsi qu’on se joue de la vie des hommes, disons mieux, de la vie des faibles et des infortunés, car le riche et le puissant savent toujours se soustraire à la rigueur des lois? Le supplice d’un homme élevé en dignité devient une époque remarquable dans les annales de la justice, et lorsque les lois le punissent, elles témoignent encore des égards et une prédilection injuste pour sa personne. Combien l’obscurité de ces lois n’a-t-elle pas envoyé d’innocents au supplice 1. combien leur atrocité n’a-t-elle pas privé la société de citoyens qui auraient pu lui être utiles ! combien leur injustice n’a-t-elle pa3 encouragé au crime ! Une observation bien digne de remarque, c’est que ces lois criminelles, loin d’être adoucies et perfectionnées avec l’humanité et les lumières des siècles, devenaient chaque jour plus cruelles et plus absurdes. La peine de mort était presque inconnue chez les premiers Francs; tous les délits se punissaient par des amendes; la procédure par jurés était en vigueur, et l’humanité avait donné des défenseurs aux accusés. Tout prescrivait donc de changer un ordre de choses aussi nuisible au bonheur des citoyens et à la prospérité nationale. Telles sont les vérités que, dès l’année 1787, des philosophes offrirent au peuple français, malgré les barrières et les inquisiteurs employés à entraver leur circulation. Nous allons nous occuper à en faire connaître les principaux, à faire remarquer leur influence, à suivre leurs effets, concuremment avec ceux que durent produire également sur l’esprit public les fautes du gouvernement. Des Parlements. Le mot parlement a signifié autrefois toute assemblée où l’on se réunissait pour conférer des affaires publiques. Les champs de mars et de mai ont été ainsi appelés, et les États généraux, qui leur ont succédé, ont été désignés d’abord sous le nom de grands parlements. Les assemblées connues depuis plusieurs siècles sous ce nom, et dont il est ici question, ont été instituées pour rendre la justice, et se tenaient deux fois par an. Elles étaient originairement composées de hauts barons, parce que le droit de rendre la justice a, de tout temps, paru le plus bel apanage des souverains et des seigneurs. Les barons étaient peu instruits, et la majeure partie ne savaient pas lire. On leur donna pour assesseurs les jurisconsultes ou. légistes appelés clercs , qui composèrent seuls les chambres des enquêtes. Le roi payait des gages à ces conseillers, qui furent appelés maîtres. Ils remplacèrent les barons, et le parlement fut uniquement composé de gens du tiers état. Le roi ayant convoqué plu-121 sieurç fois les pairs au parlement de Paris, comme il l’avait fait en d’autres lieux, et cet usage ayant subsisté, le parlement a prétendu former la cour des pairs. Une partie de la haute noblessea continué de remplir les fonctions de juges dans quelques-unes des provinces qui avaient des souverains particuliers, et qui depuis ont été réunies à la couronne. La Bretagne est de ce nombre, et il se trouve encore dans le parlement de cette province des familles de l’ancienne chevalerie. Une seule est restée dans celui de Paris; c’est la famille des An-jorrant, qui depuis saint Louis siège dans cette cour, sans avoir jamais été élevée à aucune des grandes dignités de la magistrature. Les évêques furent exclus du parlement, à l’exception de ceux dont les domaines relevaient immédiatement de la couronne, qui, en conséquence, étaient comptés parmi les pairs, d’après la signification exacte de ce mot, qui signifie pareils ou égaux. Il se donnait à tous ceux qui relevaient du même suzerain, et souvent à tous les hommes d’une condition égale; c’est par cette raison qu’il y avait des pairs bourgeois. Les remontrances n’ont été originairement que des réponses fuites aux rois, qui demandait au parlement son avis, et le parlement a pris ensuite l’habitude de le donner et d’insister pour qu’il fût suivi, sans avoir été consulté. Les besoins de l’État avaient fait imaginer de mettre à profit le droit que le roi avait de nommer aux places des conseillers et des présidents du parlement ; on créa plusieurs offices de conseillers, qui furent vendus, et par la suite ces offices et tous les emplois du royaume eurent un prix fixe; enfin on finit par créer des emplois pour les vendre. Ce fut un grand mal dans ces temps, mais les inconvénients en ont été rachetés dans les temps postérieurs par des avantages réels. Lorsque le parlement fut devenu sédentaire, les rois s’habituèrent à le consulter; et dans les temps de trouble, les chefs des factions dominantes ayant eu aussi recours au parlement, il devint l’arbitre des plus grand es affaires. Ceux en faveur desquels il décidait avaient intérêt à soutenir ses droits, et le parlement était, pour son propre avantage, porté à favoriser l’accroissement du pouvoir souverain, en opposition à l’aristocratie des nobles. Le roi, les grands, le peuple, ayant cherché en diverses occasions un appui dans le parlement, son autorité a pris un rapide accroissement. Un acte d’autorité favorable au souverain était suivi d’un autre acte qui lui était contraire, et l’on ne pouvait souvent contester l’un sans porter atteinte à l’autre. L’instruction donnée aux députés des premiers États de Blois porte que « bien que les cours de parlement ne soient qu’une forme de trois états raccourcis au petit pied, ils ont le pouvoir de suspendre, modifier ou refuser les édits.» [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [Introduction.] m Cette instruction, qui prouve, ce qui h’était point douteux , que les parlements ne représentaient 'pas la nation, leur accordait cependant un pouvoir d’opposition, en quelques points semblables à celui du parlement d’Angleterre ; la transcription faite sur les registres du parlement, des arrêts, lois et règlements émanés de la puissance royale, fut l’origine de l’enregistrement. Les parlements prétendirent par la suite que cette transcription sur leurs registres était une sanction nécessaire; et le peuple s'habitua à croire qu’une loi qui n’était pas inscrite sur ces registres manquait d’un caractère essentiel et nécessaire à son exécution, Ce sentiment prévalut, surtout pour les édits qui établissaient de nouveaux impôts, dont le peuple était intéressé à s’affranchir. La puissance des parlements augmenta dans les temps de trouble, et le Parlement de Paris a plus fait qu’aucune assemblée nationale ; il a donné trois fois la régence, et cassé le testament de deux rois. Ce même parlement écrivait de la manière la plus soumise au connétable de Montmorency-, en 1547 ; voici ses termes, qu'on a peine à concilier avec l’usage où ils’est maintenu d’écrire Monsieur au régent du royaume, petit-fils de Louis XIII: « Notre très-honoré seigneur, nous avons bien voulu vous avertir de ce que dessus, à ce que votre bon plaisir soit, l’ayant fait entendre au roi, nous commander son bon vouloir. » Les parlements, et dans quelques circonstances les chambres des comptes et les cours des aides, ont opposé une courageuse résistance aux entreprises de l’autorité arbitraire, et ont été effîcace-mentsecondés dans cette lutte contre desministres despotes par les mœurs et les usages fortifiés de l’opinion, qui a toujours eu un grand pouvoir en France. Le Parlement de Paris était depuis plusieurs siècles formé des pairs ecclésiastiques et séculiers, et de magistrats qui achetaient leurs charges. Ceux des provinces, institués par les rois, jouissaient . des mêmes prérogatives, et les pairs y avaient également séance. Les pairs ne siégeaient au parlement que lorsqu’il s’agissait de leurs intérêts, ou qu’ils y étaient convoqués par le roi ou invités par le parlement à y venir prendre séance, dans des circonstances où il voulait se fortifier de leur présence et de leur avis ; souvent ils recevaient des ordres du roi pour ne pas s'y rendre. Il faut observer que plusieurs rois ont assisté en personne aux procès criminels des pairs ; et la chambre, ou cour des pairs, était partout ou il plaisait au roi de la convoquer, et non pas dans le Parlement de Paris exclusivement à tout autre lieu. Le Parlement est convenu, dans le quinzième ■siècle, qu’il n'avait que le droit de juger les procès, et non de connaître les affaires de finances, du gouvernement et de la guerre ; mais , dans les temps postérieurs, il fut par le fait substitué aux anciens États généraux. Souvent il suspendit la marche de l’autorité arbitraire, et étaya la puissance légitime ét nécessaire du souverain ; et l’on ne peut se refuser à reconnaître que la France et l’Etat ont les plus grandes obligations au Parlement de Paris et àceux des provinces. Le Parlement de Paris a été le défenseur de la loi salique et des droits de la couronne contre les entreprises de la cour de Rome. Attachés aux vieilles maximes, les parlements ont empêché, du temps de la Ligue, que la France ne fût démembrée. Les parlements, comme tous les grands corps, étaient peu flexibles, et ils avaient cet assujettissement aux formes, qui passe pour de la pédanterie, et qui est cependant le plus sùr rempart contre le changement et l’altération des principes. Intermédiaires par le fait entre le trône et les peuples, ils ont souvent maintenu l’un, souvent paru défendre les droits des autres. Au reste, il paraîtra sans doute étrange, qu’en achetant une charge avec l’agrément du roi, on devînt le représentant de la nation, le dispensateur de la justice et le défenseur des peuples. Les magistrats étaient en général peu instruits des Objets étrangers à la jurisprudence ; et divers préjugés, par la nature même de ces corps, y demeuraient profondément enracinés. Conservateurs par essence des lois anciennes, ils étaient sans cesse en garde contre les idées nouvelles, et suivaient tardivement les progrès de l’esprit; un corps ne peut pas se mouvoir avec l’agilité d’un individu, il marche toujours plus lentement. On leur a quelquefois reproché de combattre, pour le maintien de leur autorité et de leurs prérogatives, avec plus de force que pour les intérêts des peuples ; et cet attachement à ses privilèges est un trait caractéristique des corps et de toute association. On en a vu des exemples frappants dans les corps religieux. Le temps était arrivé de faire d’importants changements dans l’administration, et l’anéantissement d’anciens préjugés les rendait faciles. On était vivement frappé de la nécessité d’établir des impôts dont la perception fût moins compliquée, moins dispendieuse, et de faire disparaître l’injuste inégalité de la répartition. Les parlements, par défiance du gouvernement. et par assujettissement aux anciens usages, auraient opposé quelquefois de la résistance à des plans sagement combinés. Mais un gouvernement ferme, économe et éclairé, aurait vaincu ces obstacles, subjugué tous les esprits par l’évidence et la pureté de ses intentions; enfin il eût déterminé ces corps, dont il aurait gagné la confiance, à seconder ses efforts. Les lois civiles et criminelles avaient également besoin d’êtres refondues ; la simplification était nécessaire pour les unes et pour les autres, et l’humanité prescrivait [1"> Série, T. IIl s’y trouva à cette brillante époque ou un roi pupille mit ses tuteurs despotes dans l’impuissance de le maîtriser, sans leur ôter la possibilité dé te servir. Getto opération, où le hasard servit si bien la prudence, aurait pu avoir pour premier moteur le ministre français. Il n’y parut que comme un coopérateur indécis : et celui qui était destiné à favoriser une révolution bien plus importante semblait indifférent à celle-ci. Il serait imprudent de le blâmer. Je sais comme tout le monde les raisons que le cabinet de Versailles a cru avoir de prodiguer son or, ses conseils, son appui à lin roi du Nord, mais je ne suis pas également persuadé de la solidité de ces raisons, moins encore de leur durée. La politique Vieillit avec certains préjugés, et ne s’aperçoit que tard de k nécessité d’obéir aux événements. Quoi qu’il en soit, M. de Vergennoi était loin de soupçonner que l'ambassade de Suède le conduirait au ministère des affaires étrangères, c’est-à-dire au poste qui exige le plus de talents (1), le plus de ressources, le plus de lumières, puisqü’à chaque instant l’on tient dans ses mains le sort des nations, et que, par le mélange des intérêts politiques* la tranquillité de F Allemagne dépend du ministre de Versailles, comme celle de la France du prince de Kaunitë. Le comte de Vergennes ne dut son élévation ni à des succès précurseurs de sa gloire future, üi à l’intrigue dé Ses protecteurs, espérant s’assurer un crédit solide, ni à des nécessités momentanées, (1) Non, c’est le département des finances. Parcourons Y Introduction d’un livre élémentaire sur cette partie, vous verrez qu’il faut du» génie, Uu grand carâôj tère, une vertu épromée, un courage itiodï, etttiti l’assemblage de tou? les talents comme de toutes les qualités. La Source où je vous envoie n’est pas suspecte, puisque l’auteur du livre a fourni les préceptes et le modèle. [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 132 qui forcent d’appeler le plus ancien dans la carrière. Sa nomination fut l'ouvrage du comte de Maurepas (1), qui cherchait un instrument docile à ses volontés, un homme moins avide de gloire que de conserver sa place, plus empressé de servir que de briller. Ce vieux courtisan, trop expérimenté pour oublier que la plus haute faveur même a besoin de songer à se maintenir, ne négligeait aucun état. Mais ce qui est plus curieux qu’étonnant pour •ceux qui le connaissent à fond, c’est qu’il se trompa lourdement sur deux personnages qu’il plaça. Il crut M. de Vergennes bonhômme et un homme extrêmementadroit. C’estdonccette opinion de bonhomme, qui mit le comte de Vergennes au timon de l’État. Il dut cette brillante fortune à un homme qu’il ne connaissait presque que par la voix publique, si infidèle, lors même qu’elle veut être juste, et si injuste lorsqu’elle est passionnée. On a trouvé dans V Histoire politique d' Allemagne un rapprochement heureux entre M. Arnaud de Pomponne etM. de Vergennes. Le premier fut choisi par Louis XIV, comme l’autre par Louis XVI. La ressemblance n’est ni dans le caractère, ni dans le genre d’esprit, ni dans les principes. Il faut avouer cependant que le passage est curieux. « Il eût été difficile de deviner qu’un homme relégué, pour ainsi dire, dans le fond du Nord (l'ambassade de Suède), et sans appui particulier à la cour, eût pu être préféré à beaucoup de dignes sujets qui étaient présents-, et qui ne manquaient ni d’adresse ni d’empressement pour réussir. Cette nomination fut un pur effet de la volonté de Sa Majesté, qui, de son propre mouvement, fit ce qu’elle crut devoir faire pour le bien de son service. On reconnut en lui un homme simplement appliqué à faire sa charge, sans porter ses prétentions plus loin. Il joignait à beaucoup d’habileté pour les négociations une extrême modestie et une probité des plus désintéressées» (2). Pour prendre une idée juste du ministère de M. de Vergennes, il faut se transporter au com-(l)On a fait à ce ministre des reproches bien mérités, mais on lui a rendu aussi trop peu de justice, vu la difficulté du rôle à jouer en 1775. « Il fallait, non pas vég ersous u;i jeune prince qui cherchait des conseils avec la candeur ingénue d’une àme ouverte au bien , mais substituer l’expéiience à cette première ardeur qui croit tout facile, montrer assez de génie pour rassurer un jeune roi sur l’abandon de sa confiance, et ne pas lui faire sentir le poids de l’âge et les droite de la raison. Au lieu de répandre sur l s affaires cette gravité ministérielle dont s’i-nv loppent la plupart des gens en place, M. de Maurepas traitait les objets les plus importants avec cette gaieté paisible qui annonce un esprit net, un talent exercé, un homme préparé aux événements, et l’abondaace des ressources pour remédier à tout. La malignité donnait tous les ridicules de la frivolité à cette méthode. De là les sarcasmes, les chansons, les satiriques gaietés dont lukpaême avait été jadis tout à la fois victime et partisan. (2) 11 y aurait deux réflexions essentielles à faire sur ce passage. Le lecteur nous a peut-être déjà prévenu. Il suffit de les lui indiquer sans entrer dans un plus grand détail. - mencement du règne de Louis XVI. Sou aïeul avait laissé le clergé turbulent, la magistrature dispersée, les finances sans crédit au dehors et sans ressource au dedans; la marine languissante et cruellement humiliée ; une surabondance de dépenses superflues que la nation supportait en murmurant; une armée changeant de manœuvres comme de ministre ; un débordement dans les mœurs, qui gagnait rapidement tous les ordres de citoyens, une subversion générale de principes sages et d’idées saines. Dans cette crise, le comte de Vergennes succédait à un homme d’esprit, grand travailleur, ami de l’ordre, dévoré du besoin de réputation, d’un homme qui avait plus encore à réparer qu’à acquérir, mais jeté dans des intrigues dont les circonstances lui avaient fait une nécessité et sa famille une habitude. Le duc d’ Aiguillon avait donc négligé l’Europe pour la cour-, d’ailleurs, n’ayant pas été à même de connaître par lui-même les différents cabinets des grandes puissances, il était dans l’humiliante position de s’en rapporter aveuglément à ses premiers agents, et l’on se dégoûte bientôt d’une besogne qu’on est obligé de faire faire (1). Ce n’était pas là le rival qu’il fallait égaler ou faire oublier. Le duc de Choiseul, -représenté à Londres dans une estampe avec ce surnom : le cocher de l'Europe, avait rempli tous les cabinets d’inquiétude, et la France de sécurité; son nom excitait toujours des regrets ; ses prétendues dissipations, sa légèreté apparente, sa faveur exclusive, les calomnieuses inventions de ses ennemis n’avaient pu affaiblir, dans l’opinion générale, la force de son talent. On pourrait soupçonner que le comte de Vergennes, qui ne sentait pas son audace, parce qu’il n’avait pas son génie, chercha' une route opposée, et espéra de sa prudence mystérieuse et de l’art de tergiverser ce que son prédécesseur Choiseul avait obtenu d’une fermeté imposante et du grand secret de tourner les événements en sa faveur, en les préparant avec habileté. Le comte de Vergennes commença par rétablir un système suivi de correspondance politique� Beaucoup de ministres n’ont exigé des envoyés résidant auprès des cours étrangères que la relation sèche des événements monotones qui se succèdent dans la plupart des pays ; d’autres ont commandé un espionnage actif pour deviner et même éventer les projets d’une cour (2). Un homme (1) Ce que nous promettons de dire de M. le duc d’Ai-guillcm dans ce moment, c’est qu’il a eu, pour ennemi acharné le vieux La Chalolais, un des plus méchants et des plus vindicatifs mortels qui aient paru sur ce globe. Voilà l’origine des désagréments qui ont empoisonné sa vie. (2) Frédéric II, si grand homme d’ailleurs, ne savait point tirer parti de ses ministres au dehors. Tout le monde lui semblait propre à ces sortes de places. Il a - quelquefois adressé à de grandes puissances des hommes 133 [1« Série, T. I«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] vraiment digne de sa place dédaigne des soins aussi vils, et veut que les personnes chargées des affaires des rois consacrent leurs utiles loisirs à étudier , à faire connaître le royaume où on les envoie. La qualité du sol, l’état de la population, la richesse nationale, les productions indigènes, les ressources, l’activité, les principes du commerce, le système financier, la quantité de numéraire, la constitution de l’État, ses forces militaires, ses dépendances politiques, l’esprit de son gouvernement, ses vues d’agrandissement, doivent être le sujet d'autant de mémoires raisonnés. C’est ce que le duc de Choiseul exigea avec autant de fermeté que d’intelligence ; c’est ce que sou successeur jugea moins essentiel; c’est ce que le comte de Vergennes rétablit, mais sans jamais porter aussi loin que le duc de Choiseul cette moisson de connaissances économiques. Ce début sage eut l’approbation du premier ministre, que le timide et adroit Vergennes laissait l’arbitre de toutes ses démarches politiques, et surtout des grâces attachées à son département. M. le comte de Maurepas rendait compte au roi du travail des affaires étrangères comme de son propre ouvrage : mais le ministre subalterne devait recueillir un jour le fruit des impressions qui demeuraient dans l’esprit du monarque; et telle est la source de cette confiance plénière qui a éclaté dans les dernières années du ministère de M. de Vergennes, et résisté aux plus fortes attaques (1). Pour conserver les premiers mouvements de cette confiance, née des bons offices de M. de Maurepas, et .surtout pour l’étendre, il fallut connaître la cour, pays étranger à un homme absent depuis plus de vingt ans, et que sa naissance, quoique bonne (2), n’y avait amené dès ses premières années , n’ayant d’ailleurs pas reçu de la nature cette physionomie heureuse qui dispose les cœurs aux douces persuasions de l’éloquence. Sa conversation n’avait pas non plus cette force qui subjugue, ou ce charme qui entraîne. Mais dans sesaudiences, il montra cette adroite circonspection, avare de paroles, qui fait prendre une phrase pour une espérance, et un suffrage pour un bienfait; il suppléait à cequi lui manqua par une politesse froide, qu’on prit pour l’expression d’une prudence consommée, par une austérité de principes propres à faire croire que les intérêts domestiques dont on n’eût pas fait des secrétaires intelligents ; et lorsqu’il a eu des sujets capables dans ces poste*, il n’en a rien exigé. A pei.ie se faisait-il rendre compte de leurs dépêches, lui qui répondait à un sonneur de cloches, à un bedeau. (1) Il disait, en plaisantant, qu’on apprenait dans le sérail à braver les intrigues de cour... que ses ennemis avaient beau faire, qu’il avait fait vœu de mourir ministre en place. (21 Sans être né d’une famille illustre, il était sorti d’une source tres-pure et très-ancienne, ainsi que l’assurent d’excellents gentilshommes de Bourgogne, ses compatriotes. disparaissaient devant son inflexible probité , par une retraite soutenue, qui semblait annoncer que, sûr de son zèle et de l’équité de son maître, il n’avait besoin que de ces deux appuis. Cependant il étudia, sans paraître trop s’en occuper, le caractère des' ministres chargés, comme lui, de la chose publique, les courtisans et la puissance secondaire, aux yeux de la multitude, mais qui devient despotique toutes les fois que la beauté et la séduction veulent employer leurs armes et faire usage de leur empire; certains grands personnages de la cour, qui, pour n’être ni dans les charges ni dans les départements, n’en ont pas moins de prépondérance, et doivent à la considération personnelle qu’ils ont acquise ce que d’autres doivent au pouvoir dont ils sont revêtus ; les rivaux, jaloux de l’autorité, qui s’opposent en suppliant, dont les écritssont si humbles et si respectueux, et les actes si dangereux et si hardis, et qui enfin, contre le pouvoir monarchique, s’étayent des lois, s’épaulent des pairs, s’entourent du peuple, et tiennent toujours le souverain entre deux partis extrêmes, une sévérité alarmante, ou une. indulgence anarchique. Après avoir recueilli en silence ces lumières, et s’être répété longtemps à lui-même que les ministres, comme les malheureux, n’ont point d’amis, il se défendit de toute espèce d’épanchement, plaisir secret des cœurs sensibles, mais qui tôt ou tard met sous la dépendance des hommes toujours enclins à en abuser (1). Sa famille devint une espèce de solitude fermée aux solliciteurs obscurs, comme aux courtisans officieux. Hélas ! ils brisent les digues les plus fortes. 11 fallut donc commencer par essuyer l’étalage de leurs projets, leurs importunes combinaisons, leurs prétentions ambitieuses. Le comte de Vergennes sentit inté-rieureurement que leur langage enchanteur et perfide pourrait le jeter dans des erreurs involontaires. Il prit le sage parti de se démettre, en faveur de M. le comte de Maurepas, du plaisir d’obliger. « Adressez-moi,' disait celui-ci, tous ceux dont vous voudrez vous débarrasser, et j’en ferai autant des importuns qui voudront me prier de vous solliciter en leur faveur ». Ainsi M. de Vergennes préférait passer pour un ministre sans crédit, dans l’idée de demeurer à une certaine distance des grands orages inséparables de la faveur, qui dispose des rois et de leur fortune. Le peuple de la cour (car il y en a un là comme ailleurs) prit cette conduite pour l’impuissance d’un homme sans usage, sans connaissance de (1) C’élait un des défauts du duc de Choiseul. Sa franchise naturelle l’entraînait au delà de ce qu’il avait projeté de dire. Il ne pouvait résister ni au malheur qui re,,d si éloquent, ni au repentir qui a tant d’empire sur les âmes bien nées. Il y a maintenant en Europe un grand personnage bien au-dessus, par le rang, du duc de Choiseul, qui a la bonne foi d’avouer qu’il refuse des audiences, parce qu’il est sûr de ne refuser ni sa bourse ni son secret à ceux qui voudraient s’en emparer. Ig! fi» Wris, T. 1*.] . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lïntrodu-tion.] ' siècle et des ûvantageg de sa place 5 mais un petit nombre d’hommes réfléchis aperçut dans cette conduite la marche combinée d’un politique rusé, bien sûr que l’avenir le dédommagerait des sacrifices qu’il faisait au moment présent. En revôtissant les dehors d’un homme profondément occupé, il évita le ridicule (1) qui, à la honte de là nation, devient, entre les mains des courtisans malins et spirituels, le premier moyen de renverser le mérite même; à plus forte raison, un talent ordinaire, couvert d’un peu de charlatanisme. Cependant on avait adroitement prévenu la seconde personne de la cour contre lui, contre son système, contre la forme de son travail; elle le croyait contraire à la grandeur de sa maison, qu’elle veut tellement amalgamer avec les intérêts de la maison de Bourbon, que ces deux formidables puissances, s’entre-prêtant de mutuels 1 secours, puissent uu jour donner des lois à l'Europe, Quelles que soient les preuves alléguées à cette princesse, quel que soit le degré de foi qu’elle ait cru y devoir, elle a renfermé le tout dans le secret de sa pensée, et dans toutes les occasions apparentes, honoré le choix de son auguste époux. Tel fut le début du comte de Vergennes à la cour. Examinons maintenant ce qu’il lit dans sa place. Son système politique était dirigé contre les Anglais, dont U lui semblait juste d’abaisser l’indomptable orgueil, et essentiel d’affaiblir la colossale puissance. Ils possédaient deux royaumes, outre celui qu’ils habitent ; l’un dans l’Amérique, plus vaste que l’Europe ; l’autre dans l’Inde , plus étendu que la plupart des lieux qui les avoisinent. Vergennes commença par lés tromper, en attendant qu’il pût leur nuire. Cachant la haine qu’il avait héritée du duc de Choiseul, il lui fallut dévorer des mécontentements et des humiliations que lui prodigua la hauteur britannique; mais il amassait la vengeance. Elle n’éclata ni ne se reposa jamais. L’Amérique entière fut son aliment. La révolution la satisfit, mais ne la combla pas. C’était cependant un grand coup. (2) porté à cette nation superbe que l’indépendance detreize États, conservée par le suffrage et l’adhésion de presque (1) Des hommes de beaucoup d’esprit n’ont pu s’y soustraire; des hommes très-médiocres ont su adroitement l’éviter. M le chancelier de Maupeou, et M. Bertier peuvent servir à développer ma pensée. Ce ridicule inné a certains personnages, à certaines familles, dont tout l’esprit possible ne sauve pas, le Français le saisit avec une justesse admirable. C’est une arme légère qui ne tue pas, mais qui défigure. On peut être honnête homme et ridicule, mais rarement grand homme et ridicule, surtout si tout ce qui vous tient de plus près ajoute les siens à ceux dont vous êtes déjà couvert, et celà est arrivé sous Louis le Juste, ce me semble. (2) Pour s’en faire une idee, il faut écouter les Anglais eux-mêmes, et relire ce que disait l’opposition Avant que la révolution fût consommée ; elle détaillait à l’Angleterre rétendue de la perte dans des tableaux bien éloquents : on les a depuis affaiblis, parce qu’il faut finir par se consoler ; mais ce sont de ces événements que vingt siècles ne peuvent effacer, tous les rois de l’Europe. Jamais négociation ne fut menée avec plus d’art. La force secondait l’habileté. Lorsque l’habileté s’épuisait, la ruse (1 ) venait à son secours; et, quels que fussent les moyens, le succès les couronnait. La mère patrie, humiliée et désolée, vit ses filles rebelles se réfugier dans le sein protecteur de la France, où se consomma l’affranchissement de tout esclavage et de toute domination. Les guerres lés plus sagement combinées, les victoires les plus glorieuses n’ont pas eu des résultats aussi essentiels. Le principal moteur de ces grandes opérations a droit à la reconnaissance de son pays comme à la haine éternelle de l’Angleterre. A cette époque on lisait cependant dans les Chroniques de la Perse (l’une de ces productions malignes qui viennent de temps en temps troubler l’horizon des cours), « qu’il n’avait rien fait encore pour rétablir la gloire et l’honneur de l’empire persan (français), et cependant une nation toujours rivale lui avait parlé avec hauteur plusieurs fois, et avait même manqué au sophi dans la personne de son visir. » A la vérité, c’est une anecdote inconnue au reste de la France, mais dont les faiseurs de chroniques n’embellissent pas moins leur texte. Une réponse qui contredit le chroniquer persan, et qui n’est pas apo-criphe, est celle-ci : M. de la Motte-Piquet, sortant de la baie de Quiberon, fut rencontré par une frégate et une corvette américaines qui le saluèrent. 11 y répondit par neuf coups de canon, honneur qu’on rend aux pavillons des républiques. L’ambassadeur d’Angleterre, instruit de ce salut rendu, court chez M. de Vergeünes, se plaint, demande une explication. Le rusé ministre répond, avec la bonhomie apparente d’un homme à peine instruit : « C’est peut-être le paroli du salut que vous avez rendu jadis au pavillon corse ; votre cour savait que le roi mon maître traitait ce peuple comme rebelle. » Le grand trait d’habileté du comte de Vergennes est d’avoir engagé le cabinet de Pétersbourg à bercer celui de Saint-James d’espérances mensongères. Il sollicitait ardemment des secours près de la Russie, elle les promit, et les refusa; et, nullement étrangère à l’art des rois, elle déjoua complètement l’Angleterre, qui, dans l’espoir d’un secours incertain, se plongeait dans des dépenses réelles. (1 ) M. le vicomte de Stromont voulut s’instruire des engagements pris par la France avec l’Amérique Le comte de Vergennes battit la campagne. Le ministre anglais répliqua qu’il pouvait regarder comme un fait ce dont on avait parlé dans le carrosse du foi. Le ministre lui répartit : « Savez-vous ce qui s’est dit da .s le carrosse de la reine ? On a racoûtéque les Anglais avaient tenté l’impossible pour conclure leur traité avec les Colonies, mais sans succès. Allez, monsieur l’ambassadeur, soyez tranquille : eh pulitiijue, cèax qui èh Savent le plus sont ceux qui en disent le moins ; il ti’ÿ a que les sots qui parlent et croient... » Ceci a été attribué au comte de Maurepas, et dit par M. de Vergennes. ftw Sérm. T. Ier-3 ARCHIVEE PARLEMENTAIRES. {Introduction.] En vain dirait-on que le comte de Vergetnms ne fit que reprendre en sous œuvre les projeta du due de GhoiaeuL Gela même d’abord est un grand mérite, Ge que le bon sens a de mieux à faire, c’est de profiter des plana du génie. Eu vain ajoutera-t-on que le docteur Franklin avait conçu tout le plan de la révolution ; o’est-ee rien de l’exécuter et de triompher des difficultés que les hommes apportent même à leurs propres avantages? Quelle adresse ne fallait-il pas pour décider M. de Maurepas, que sou grand âge et son caractère éloignaient également des entreprises périlleuses, et que M. Necker effrayait sur les dépenses? En vain insisterait-on en disant que, sans les fautes multipliées du ministère anglais, jamais les projets do M. de Vergennes n’eussent été conduits à une heureuse fin. N’est-ce pas le comble de l’habileté d’élever autour de ses ennemis les nuages du doute et de l’incertitude, afin de rendre leurs mesures fausses, leur prévoyance nulle, leurs oalculs erronés? Les fiers Anglais n’ont jamais cru que la France prodiguerait les millions, les vaisseaux, les hommes, pour défendre une poignée de mutins qu’Àlbion pensait à châtier et non à vaincre. Lorsqu’on apprit à Londres que la cour de Versailles avait reconnu les députés américains comme ministres, une surprise mêlée de consternation fut générale. Les plaisants disaient que cet acte avait produit l’effet de l’étincelle électrique, et frappé toute la nation du même coup. On ajoutait que cela devait être, puisque le docteur Franklin avait fourni la matière renfermée dans le conducteur. Nous ferons sans scrupule entrer dans l’éloge du comte dè Vergennes les soins adroits, quoique peu dispendieux, d’entretenir le flambeau de la discorde en Hollande ( 1 ), non pour déposer le stathouder, comme des,gens mal instruits ou malveillants l’ont insinué, mais pour prévenir l’alliance avec l’Angleterrê. Ses réjouissances sur la dernière opération militaire font mieux que nous l’éloge du comte de Vergennes. Il eut donc raison d’employer tous les ressorts de ce qu’on appelle la politique, pour menir le penchant du prince d'Orange, dont les inclinations anglicanes étaient plus que soupçonnées, et dont les lumières ne vont pas jusqu’à savoir que les Anglais n’ont point d’alliés, mais des sujets qu’ils enchaînent ou qu’ils dupent. Le comte de Vergennes eut tort seulement de dire à son ambassadeur qu’il devait ne s’occüpér qu’à gagner la province de Hollande, comme celle qui entraîne les six autres. Les soins du ministre devaient être plus marqués pourcelle-(1) On prétend que cette opération a coûté des sommes considérables à la France. Un ministre peut-il en disposer pour appuver ses systèmes ? Non, sans l’aveu de la nation. Mais sous M. de Vergennes cette puissance nationale n’existai t point. Ce ministre était souverainement maître du trésor, et dès que son génie lui inspirait une opération, les caisses s’ouvraient à sa voix despotique. m là, mais non plug exclusifs. Au reste, si lesprin* cipes étaient bons, l’exécution était détestable, Convient-il à une grande puissance d’aller cn« dessous négocier avec des mécontents, de grossir leur nombre par des présents corrupteurs, de leur fournir des secours indirects, d’exalter leurs espé" rances? Sans compter les ministres accrédités, combien d’agents subalternes chargés de semer dans l’ombre le trouble et la division ? Quand on peut donner la loi, les trames mystérieuses avilissent (l). Aussi a-t-on vu six années de négociations perdues, ainsi que bien des millions, pour ii ’a voir pas fait articuler des volon és précises par M. Gérard de Raineval en 1787, pour avoir mis à cette époque de la raideur au lieu de fermeté. Au reste, tout ce qui est arrivé est énigmatique. S’opposer à l’ouverture de l’Escaut, menacer les forces impériales, et trois ans après laisser paisiblement arriver les hussards prussiens, qui pillent les villes, dispersent les soi-disant patriotes, rétablissent le dictateur, n’est pas conséquent, et c’est ce que n’eut point fait M-de Vergennes. 11 avait plus d’harmonie dans sa marche, et cet accord de principes (la première des qualités du second ordre) tient notre plume en respect sur plus d’une erreur importante. Ne fùt-ce peut-être que ce traité de commerce qui a excité tant de murmures, et surtout ruiné l'industrie sacrifiée (2) ; selon certains observateurs (3), ce n’est encore qu’un mal d’opinion, Nous ne jugerons pas ce grand procès ; mais il est impossible de dissimuler que jusqu’ici l’avantage est douteux et l’alarme réelle, Ne fût-ce que pour avoir indirectement prêté la main à cette confédération germanique, bien mieux organisée pour nuire à la France qu’à l’empereur; car enfin, la Hollande et l’Angleterre alliées appelaient ces princes toujours prêts à courir où l’on paye ; ils formeraient bientôt une armée qui occuperait la France, sur terre, pendant qu’Âlbion déploierait ses forces maritimes sur les mers. Les vrais politiques allemands même n’ont pas compris pourquoi le cabinet de Versailles avait favorisé cette démarche mal vue, mal calculée, et vicieuse jusque dans son exécution. Gomme alliés de l’empereur, comme ennemis naturels de l’Angleterre, comme prétendants à la première influence sur le gouvernement des sept (1) On a vu un ministre arriver à Berlin au mois d’octobre 1787. chargé de menaces de la part de la France, parler de son camp de Givet, oû il n’y avait pas deux bataillons, de cent mille hommes qui s’assemblaient dans la Flandre française, d’où l’on fesail filer incognito quelques artilleurs déguisés. C’est bien le cas de dire : P arturient montes, nascetur ridiculus mus. (2) Les échevins de Lyon ont motivé la demande de secours au gouvernement, pour prévenir l’émigration de quinze mille ouvriers, par le coup que le traité de commerce av e les Anglais avait porté à leurs fabriques. Leurs réclamations sont imprimées. (3) L’auteur des Observations rapides sur la lettre de M. de Calonne au roi fait honneur de ce traité à M, de Calonne qui n’y eut aucune part. 136 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] provinces, il fallait s’y opposer. Heureusement que d’eüe-même elle se dissoudra. Les princes qui n’ont point d’argent ne guerroyèrent pas; ceux qui en ont le mettront à découvert en le vendant à des puissances étrangères. On a cru devoir respecter dans cette association l’ouvrage du grand Frédéric. Il y consentit, il est vrai, mais alorsil comptait déjà soixante-douze ans ; et soixante-douze ans étaient un siècle , si l’on considère les fatigues, lé travail, les peines, les agitations qui remplirent cette brillante et orageuse carrière. Ne fût-ce que pour avoir ralenti les secours destinés aux grandes Indes, où les forces anglaises l’emportaient déjà sur les nôtres, avant qu’elles pussent se coaliser avec les souverains du cap de Bonne-Espérance et de l’opulente Batavia. Ne fût-ce que pour avoir mécontenté gratuitement la cour d’Espagne dans deux occasions importantes, ce qui fit dire au comte d’Aranda que les Français étaient plus adroits, mais que les Anglais étaient plus habiles. Le grand moyen de politique du comte deVer-gennes, comme son trait de caractère marquant (ce qui est presque synonyme), fut de ne jamais donner une réponse décisive. On lui propose de s’allier avec la Prusse, il répond : « Frédéric est vieux, les principes de son successeur sont inconnus : avant de traiter il faut s’instruire, mais c’est un moyen que la France ne doit pas négliger. » La cour impériale fait demander, en 1778, en cas que la Prusse s’oppose à ses projets, si on peut compter sur 24,000 hommes ou sur 24 millions stipulés dans le traité de 1756. M. de Ver-gennes fait une belle dépêche, dont le résultat est que la France offre sa médiation. L’Empereur insiste, et ne se contente pas de belles phrases ; alors le ministre répond que le roi son maître ne souffrira pas qu’aucune autre puissance se mêle de la querelle survenue entre celle du Nord, et que si Sa Majesté veut accepter la médiation de Versailles, elle sera contente des égards qu’on aura à ses droits. Dans le môme moment, la cour de Postdam réclamait la garantie donnée au traité de Westpha-lie pour le maintien de la constitution germanique. On lui répondit « que jamais la France n’avait impunément vu sa signature outragée » (1). Le vicomte de Stormont, ministre d’Angleterre, demande officiellement si la France prétend soutenir les rebelles d’Amérique. M. de Vergennes répond ministériel lement « que le roi de France n’a d’autre but que de rendre le commerce libre pour toutes Jies nations. » O® sent bien que cette indécision volontaire et calculée n’est qu’une forte nuance de la fausseté la plus consommée. L’habileté réussit, la finesse (1) S’il était permis de comparer la manière de traiter les affaires dos rois à une scène de comédie, on croirait voir maître Jacques raccommoder Valère avec, son père, sous prétexte qu’il se sont querellés sans s’entendre. même quelquefois ; mjiis presque toujours la fausseté échoue. Aussi, lorsque dans cette même guerre de 1778, le comte de Vergennes essaya de traiter la cour de Berlin comme il avait traité la Porte, et le vieux Frédéric comme un sultan, ses ruses étaient connues, ses caresses sans profit, ses menaces sans effet ; et pendant que ses dépêches astucieuses allaient essayer d’endormir le lion du Nord, déjà ses troupes marchaient vers les frontières de la Bohême, et allaient tenter de surprendre la, vigilance autrichienne. Aussi un Prussien écrivait-il : « On dit que M. le comte de Vergennes a une logique politique turque qu’il veut introduire en Europe. Je ne crois pas que nous autres Allemands l’adoptions; nous tenons à nos anciens usages, et en sommes contents. » Si on parcourt l’histoire, on voit qu’elle conserve avec une certaine estime le nom de ceux qui ont su le mieux tromper, sans citer Richelieu et Mazarin, les plus grands imposteurs politiques que Machiavel ait formés, les fourbes par excellence. Peut-on nier que le lord Chatam n’ait tiré ses principales ressources, pour la guerre de 1756jdes ruses qu’il employa contre la légèreté française ? Loin de nous le coupable projet d’affaiblir le regret dû à sa mémoire. Je veux seulement rappeler que la politique n’est qu'un nom plus honnête donné à un commerce suivi de supercheries ou de trahisons, selon la nature des intérêts discutés. On a dit de Pizarre (qui ne savait pas lire) qu’il avait réussi dans tout ce qu’il avait entrepris, parce qu’à la ruse et à la dissimulation il unissait la sagacité de démêler les desseins des autres. Le cardinal Ximenès,Cecil, ministre d’Élisabeth, Élisabeth elle-même, le comte de Murrai, régent d’É cosse, Maitland, dont Robertson a dit .que son adresse dégénérait en fourberie , et que sa pénétration était un mélange de subtilité et de raffinement ; Louis XI, qui avait tant de goût et d’estime pour l’artifice, qu’il n’osait s’en vanter parce qu’il les tenait pour des vertus, et mille autres anciens et modernes, trouvent chez les historiens des éloges soutenus, parce qu’ils se sont joués de leurs semblables. Au reste, lesFrançaisen général n’abusent pas de ce talent : et s’ils conservent quelque supériorité dans l’art de négocier sur les nations voisines, c’est qu’ils sont plus éloquents, plus aimables, plus tourmentés du besoin de réussir. Ce défaut de sincérité chez le comte de Vergennes se cachait sous un air de bonhomie qui , les deux premières années, déjoua les plus fins partisans. Il montrait une candeur domestique, il affectait avec ses sous ordres une simplicité qu’ils prenaient pour le développement d’une âme étrangère à son métier fallacieux. U jouait avec des enfants, dans le secret des petits comités, racontait toutes les particularités de son séjour en Turquie, 137 [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] se livrait à cette gaieté pure et franche qu’on croit le partage exclusif des âmes honnêtes : c'est un mérite éminent pour ceux qui sont en place, et un ridicule bourgeois dès qu’ils n’y sont plus.. On croyait, par une obligeante indiscrétion, établir l’idée d’un si beau caractère. La simplicité est le fard des grand hommes. Archelaüs, jouant au noix avec ses enfants, attendrit. Les grands personnages ont l’air de se dépouiller de leur grandeur et de se remettre volontairement dans la condition des autres hommes. Ceux-ci s’honorent de cette condescendance et se pressent d’exagérer la hauteur de ceux qui descendent jusqu’à eux. A cette bonhomie factice se joignait une déférence pour les critiques, qui n’est jamais insensibilité, mais qui, chez les bons esprits, repose sur l’étude qu’ils ont faite des hommes, de la société, des cours. Voltaire a prétendu quelque part qu’il fallait conserver les couplets, parce qu’ils contiennent l’opinion du moment où ils ont paru, et par là même font anecdote. On chantait pendant les six premiers mois du ministère de M. de Ver-gennes : Parlez-moi du temps présent Pour la politique : Vergennes est assurément Un homme à rubrique; Querelleur ne fut jamais, Toujours il aima la paix. Vive un tel mi. istre, ô gué ! Vive un tel mini-tre ! Chacun choisit ses héros, A sa fantaisie ; Pour moi j’aime le repos, Autant que la vie. Nous allons être à présent Battus et jamais batia. t, Grâce à de Vergennes, ô gué ! Grâce à de Vergennes. 11 laissait chanter, il laissait les papiers anglais s’escrimer sur sa marche tortueuse; il laissait Paris blâmer ses lenteurs, la cour prononcer son incapacité; et pendant ce temps, il jetait les fondements de sa fortune. Cette conduite vaut bien les efforts réitérés d’un de ses rivaux que chaque nouveau pamphlet jetait dans le délire, et qui, dans les convulsions de son amour-propre irrité, invoquait publiquement les places, les rubans, les distinctions comme autant d’égides contre la témérité d’un peuple ingrat, et surtout aimant à rire. Conserver du sang-froid au milieu des succès, est déjà un assez grand effort. On est soutenu par le suffrage du petit nombre qui juge sainement; mais ne pas s’en départir lorsqu’on a des torts à se reprocher, c’est le comble de l’habileté, car ordinairement on est toujours pressé de soutenir ses bévues. C’en était une au commencement de 1776 de proposer à la cour de Pétersbourg une alliance offensive, où devait aussi entrer l’empereur, pour assurer à la Pologne la paix qui n’était pas troublée, et resserrer le roi de Prusse dans les limites qu’il ne pensait pas à reculer. Une telle opération demandait à être méditée, hasardée par parcelles, et ne devenir publique que le jour du succès. Cependant ou se mit dans le cas d’être refusé; et sans l’adresse du comte Panin, qûi se rejeta sur la difficulté de l’exécution , ce refus motivé entraînait un ridicule, tache que les cours doivent éviter comme les particuliers. Cette affaire fut si mal conçue, si mal dirigée, si mal négociée, qu’elle donna lieu à un traité de garantie mutuelle entre Vienne et Pétersbourg. Le comte de Vergennes sentit le vice de la spéculation, rappela son négociateur, et comprit qu’il fallait essayer les talents avant de les employer. On lui a reproché d’avoir donné des places importantes à des protégés qui n’avaient encore légitimé leurs prétentions par aucun succès. Dans les occasions, il faut souscrire à ses détracteurs, et se taire sur ce qu’il est impossible d’excuser. La beauté n’avait plus d’empire sur lui; mais l’intrigue, et surtout ce qu’on appelle vulgairement le commérage , disposaient quelquefois de sa volonté. Ce fut une femme qui-lui fit confier une négociation importante au jeune Aristemi, non que le goût du plaisir eût survécu à sou grand âge, mais ceux mêmes qui ont abjuré ces sortes de liaisons trouvent encore quelque douceur à voir les grâces complaisantes folâtrer autour de leurs cheveux blancs, dérider leur front rembruni par les affaires, et leur faire croire que la sagesse chez eux est une vertu de choix, et non les tristes fruits de la nécessité. Ce fut encore une femme qui l’engagea à faire adresser une lettre du bureau des affaires étrangères à M. Panckouke, entrepreneur du Mercure. M. Linguet avait malmené M. de la Harpe, à l’occasion de sa réception à l’Académie française. Le eomte de Vergennes se - mêle d’une querelle d’auteurs, et demande au bibliopole, qu’avant tout il ait à ne plus employer à cet ouvrage la personne qui a commis la faute, et qu’il lui donne l’assurance la plus positive de ne plus lui confier la rédaction de son journal. Un ministre ne demandait point à un libraire, il lui enjoignait. M. de Vergennes obéissait à un ressentiment particulier, et dès lors, ildevait être avare de l’autorité de sa place. 11 s’expliquait peu décemment sur un homme de lettres connu, qu’il mélarmorphosait en stipendiaire. 11 s’exposait à une réponse désagréable, qui ne lui manqua pas, et dans laquelle on lui donnait avec rigueur des leçons méritées. Ce trait déroute entièrement ceux qui observent son caractère. On ne retrouve plus la prudence du serpent et la timidité de la colombe. Pourrait-il lui paraître indifférent de mécontenter un homme dont la plume éloquente avait alors des partisans? Souvent cet amour de l’artifice lui faisait prèn- [!*• Série, T. I«r.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flntroduotion.) 138 dre les plus petits moyens. Pour réchauffer les courtisans des Américains, il lit défendre de parler dans les cafés de Paris de leurs succès ou de leurs désastres. C’était le moyen de réveiller l’enthousiasme en faveur de la liberté, et conséquemment de ses martyrs. Il était brouillé avec le comte d’Estaing; il raya de sa main, sur l’épreuve de la gazette, un article qui rendait un compte glorieux d’une opération de cet amiral : ce qui fit dire au comte de Maure-pas que la trompette valait mieux que la plume... Que de tentatives auprès de la cour de Naples pour affaiblir ses liaisons avec la cour de Russie, dans la crainte que les Anglais ne tirassent quelques avantages de la marine russe ! Ces manœuvres obscures contrastent étrangement avec vingt-quatre millions de sujets, cinq cents millions de revenus, le plus beau site, les coteaux de Bourgogne, de Champagne, et une industrie toujours renaissante. Tels ne devraient pas être en effet les ressorts d’une vaste administration. Mais aussi où trouver un homme pour cette place, qui s’empare d'une des plus nobles fonctions du gouvernement, qui nd se borne pas à une contrée, mais s’étend jusqu’à l’extrémité du globe? Ceci n’est point une fastueuse exagération. Pour se décider sur le parti à prendre au mois de décembre 1787 avec l’Angleterre presque menaçante, ne fallait-il pas aussi bien connaître sa situation dans l’Inde que les forces de sa marine à Portsmouth et à Plymouth ? Que d’espèces de talents sont nécessaires pour paraître avec un certain éclat, ou du moins inspirer de la confiance dans les fonctions importantes d’un ministre des affaires étrangères! Le comte de Vergennes n’était pas doué d’un esprit extraordinaire, mais il avait une excellente routine. Averti par les frondeurs (quelquefois utiles) des fautes vraies ou idéales de ses prédécesseurs, il s’était fait une marche qui, sans être absolument sûre, était cependant assez solide. Il savait qu’il fallait haïr les Anglais, conserver l’Espagne, ne pas heurter l’empereur, bien vivre avec la Prusse, gagner les Hollandais, protégerles Turcs, se délier de la Russie, solder la Suède, tenir Rome en respect, soutenir l’Amérique naissante, payer la Suisse, surveiller les colonies. Tout ce qui contrariait ce cathéchisme politique trouvait chez lui une résistance qui s’affaiblissait ou se renforçait en raison des circonstances. L’amour de la patrie, ce sentiment énergique, qui jadis a enfanté des prodiges, et touche malheureusement au ridicule depuis que les rois prodiguent le sang pour des querelles étrangères, et prêtentindifféremmentleurssujets aux deux partis, ce sentiment était froid chez M. de Vergenues. Il avait été lié avec le chancelier Maupeou dont il saisit les principes avec avidité. De là son aversion pour les parlements et son penchant aux partis sévères. 11 évitait de se compromettre avec ces grands corps qui ne haïssent jamais impunément, mais il nourrissait avec adresse l’éloignement du souverain pour ses prétendus coadministrateurs qui, sous prétexte d’exister par la loi et pour la loi, devaient finir par ne plus exister, ou par renverser leur rival. M. de Vergennes se déclara contre la liberté de la presse, comme fera tout ministre borné dans ses vues et pourvu de connaissances médiocres. Il redoutait ces grands traits de force et de lumière que répandent sur tout le globe des ouvrages conçus par le génie et appuyés de l’expérience. A l’énergie du caractère, à l’inébranlable fermeté, le comte de Vergennes suppléa par une extrême souplesse. Croirait-on que des moyens si différents conduisent au même but? Ce n’est pas un paradoxe. Peut-être vaut-il autant se plier aux événements que de les forcer. Celui qui trompe son ennemi est encore plus sûr de la victoire que celui qui veut l’acheter par le combat. C’est à regret que nous retraçons de tels principes. Qui sent en soi les germes d’un grand homme doit les abhorrer. Qui n’est qu’un ministre habile et laborieux doit malheureusement les employer avec une adroite économie. Pendant que M. de Vergennes envoyait des fusils, de l’or, des artilleurs aux Américains, il promettait au cabinet de Saint-James d’abandonner les rebelles, s’il voulait laisser augmenter la marine française et retirer le commissaire de Dunkerque. Cette duplicité est sans doute infiniment biamâble ; mais c’est par elle que l’on opère les révolutions les plus inattendues. Le tableau de son administration nous montre cependant des instants où il ne fut pas sans nerf. M. le comte de Lasci arrive à Paris en 1778. Le prétexte était pour régler une affaire d’étiquette; la vraie raison, pour tenter une réconciliation entre la France et l’Angleterre, à qui l’Amérique allait échapper sans retour. George III, en qualité d’électeur de Hanovre, avait réclamé la médiation de l’Empire. M. de Lasci trouva un mur d’airain dans M. de Vergennes. Gelui-ci même le ramena à son propre sentiment : mais quelques traits particuliers ne laissent pas moins subsister la nuance dominante. Un grand connaisseur (le comte d’A-randa) disait : « Je cause avec M. de Maurepas, je négocie avec M. de Vergennes. » Les formes de ce ministre n’étaient ni aimables ni soignées, mais assez imposantes. Tout homme qui trouvait une retraite au milieu de la oour, qui se donnait les dehors graves d’un homme appliqué, et se faisait regarder comme étranger à toute espèce de tracasseries, persuadait que, livré à la chose publique, il ne quittait pas un moment les affaires de l’État (1). M. de Vergennes (1) Le tulgaire veut que les hommes d'Etat soient! 180 [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.) s’était si bien acquis cette réputation, que dans une de ces facéties que la cour invente pour se dérober à l’ennui, on le représenta comme accablé sous le fardeau du travail. ï! s’agissait de masquer tous les ministres et d’autres personnages importants. La reine devait deviner et reconnaître les masques. Le comte de Vergennes fut représenté portant le globe sur la tête, une carte d’Amérique sur la poitrine, et une d’Angleterre sur le dos, Avec des talents si médiocres, le comte de Vergennes jouait cependant un rôle dans l’Europe, Sa mort a mieux servi le stathouder que les hussards prussiens. Peu importe aux nations qu’un ministre ait plus ou moins de génie : ce don céleste est si singulièrement évalué, on a si rarement occasion d’en faire un usage marqué ; mais chacun rend hommage A l’e&périence, Le duc de Gboiseul avait de grands talents; M. Turgot de grandes connaissances ; M. de Vergennes une médiocrité imposante; M. de Maupeou une fermeté despotique; M, de Galonné une facilité impardonnable. Tout cela est reconnu, de môme que la prodigalité du premier, le penchant décidé aux projets chez M. Turgot, la tergiversation du comte, les basses menées du chancelier, la dissipation du duc-ministre, d’ailleurs bien mal jugé, Choiseul et Maupeou sont de brillantes ressources pour l’histoire; Turgot et d’autres, d’amples sujets de discussion. On citera l’époque du ministère de Vergennes et de Galonné, mais non leur ministère. L'indépendance de l’Amérique devait à jamais illustrer le comte de Vergennes; mais la manière dont il y a travaillé semble ne lui en pas laisser tout l’honneur. Pourquoi la réputation de ce ministre ne lui a-t-elle pas survécu, quoiqu’il ait certainement laissé un grand vide? 11 est difficile d’en assigner 1a. vraie cause. Peut-être commençait-il à être connu ; peut-être le public, honteux d’avoir si imprudemment vanté son désintéressement, s’en est-il vengé par un silence cruel. Gomme ses qualités tenaient plus de place que ses talents dans l’opinion publique, il crut n’avoir plus rien à dire. 11 se trouva alors un contraste frappant, M. de Galonné, accusé, ou du moins véhémentement soupçonné d’avoir échangé avec adresse, d’avoir dirigé l’opération des monnaies à son avantage, d’avoir dissipé avec une indécente profusion, part et se retrouve avec une fortune trop considérable pour l’empêcher d’avoir recours aux rentes viagères. M. de Vergennes, le huitième sage vanté pour son désintéressement, part aussi, mais laisse des trésors dont le roi a été obligé de purifier la source pour effacer la tache qu’ils avaient imprimée à celui dont il avait fait son ami. graves. MM. de Choiseul, de Maurepas, de Galonné, eussent joui cTünéplua grande réputation, s’ils n'avaient pas m cette cHwanaes aiinaWw, M. de Vergennes passe pour un homme religieux et presque dévot: il serait aisé de le laver de ce dernier reproche (1). Anecdotes sur le ministère de Vergennes, Le duc de Choiseul soutenait les confédérés de Pologne. M. de Vergennes les abandonna à eux-mêmes, convaincu qu’il était plus avantageux â la France que les trois puissances copartageantes eussent ce prétexte de dissension, que si la Pologne eût demeuré tantôt sous les lois d’un prince. d’Allemagne, tantôt sous celles d’un gentilhomme couronné.. Il prétendait que l’agrandissement de la Prusse était une chimère, et qu’une armée et un trésor n’étaient pas un royaume. Jusqu'à quel point avait-il raison? C’est ce que nous laissons à d’autres à examiner. M. de Vergennes promit à Franklin et Deane qu’au commencement del’année 1778 ils seraient traités et reçus comme ministres plénipotentiaires du congrès. Lorsque le vicomte de Stormont fut instruit de ce plan, il dit tout haut : « J’espère que cela ne se fera pas en ma présence, et qu’on n’aura pas la hardiesse de me manquer à ce point. » M. de Vergennes, auquel il s’en expliqua avec vivacité, lui répondit avec sang-froid : « On en parle beaucoup, mais je ne vois rien s’effectuer. ; Si cela arrive, l’Angleterre et la France seront également surprises. » Il était question d’un traité de commerce entre la cour de Berlin et les États-Unis. Cela même était fort dans le goût du feu roi de Prusse. MM. de Sartines et de Vergennes s’y opposèrent. Ces ministres avaient leurs raisons. Ils ne voulaient pas laisser passer dans d’autres mains des bénéfices qu’ils pouvaient faire eux-mêmes, ou du moins par ceux qui agissaient en leur nom. On prétendait, et non sans quelque fondement, que les deux ministres avaient des fonds considérables dans les envois qui se faisaient en Amérique, et que, pour en assurer le retour, il profitèrent des circonstances qui appelèrent la guerre. Le comte de Vergennes s’opposa constamment à ce'qüe le roi se niêlât de l’affaire de Bavière, malgré les instances réitérées de la cour de Berlin, qui réclamait notre garantie stipulée dans le traité de Westphalie, «Depuis cent cinquante ans, disait-il, on a porté tant d’atteintes à ce traité,' qu’il faudrait faire une guerre générale pour obliger toutes les puissances à rendre ce qu’elles ont usurpé les unes sur les autres, sans nul droit quel-(1) Le roi, dans son cœur, n’approuvait pas tout ce qu’il faisait dans la guerre d’Amérique; et lorsqu’on lui présentait quelque choe à signer, on assure qu’il a dit : Faut-il que des raisons d'Etat m'obligent à signer ce que je ne pense pas ? Mais le comte de Vergennes a tout pris sur sa conscience. Ce ministre allait tous les jours à la messe; c’est en dire assez. 140 [1”. Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] conque. » Peut-être avait-il raison sur le traité de Westphalie, mais il avait tort de consentir à l’agrandissement de la maison d’Autriche. La cour d’Espagne, qui craignait que ses colonies n’imitassent un jour les colonies anglaises, n’approuvait pas le projet de soutenir les rebelles et de reconnaître des ministres plénipotentiaires. M. de Vergennes en vint au point de dire que s’il fallait choisir entre le pacte de famille et l’indépendance, il n’y avait pas à balancer, et appuya son avis au conseil de tant de raisons, que l’on envoya à l’ambassadeur de France des instructions décisives. Depuis cette époque, la cour d’Espagne ne traita pas M. de Vergennes avec beaucoup de distinction. On écrivait en 1778 : « Le comte de Vergennes a l’espoir d’être sous peu le doyen du conseil des ministres. Le comte de Maurepas l’a recommandé au roi comme l’homme de son royaume qui connaît le mieux les intérêts des puissances, comme un grand travailleur et le meilleur géographe de l’Europe. Effectivement ce ministre a la mémoire heureuse ; il sait sur le bout de son doigt le nom des villes, des bourgs et des hameaux de tous les pays ; il amuse le roi qui l’appelle son no-menclateur. » M. de Vergennes ayant refusé les vingt-quatre mille hommes ou les vingt-quatre millions stipulés par le traité de 1 756 avec la maison d’Autriche, un grand personnage de la cour bouda; M. Necker répondit qu’il niavait apporté aucun obstacle. « Quoi ! lui dit le ministre des affaires étrangères, vous n’avez pas de quoi suivre ce qui est entrepris, et vous avez de quoi entreprendre ce qui n’est pas nécessaire? » 11 se tut. Quelqu’un ayant demandé à M. le comte de Maurepas si c’était lui ou M. le comte de Vergennes qui avait formé le plan pour la guerre qu’on allait faire aux Anglais : « Ni l’un ni l’autre, répondit-il : à mon âge on ne fait plus de projets. On ne s’occupe que du présent, par la raison qu’on ne peut guère’ compter sur l’avenir. » — « Mais cependant , lui répliqua-t-on , si par malheur vous veniez à mourir avant la fin de la guerre, vous laisseriez sans doute au roi des instructions à ce sujet ».— « Pas la moindre. M. de Vergennes et moi nous avons été au jour le jour , et sans la menace que nous a fait M. Franklin, nous amuserions encore l’Angleterre, et nous n’aurions point conclu de traité avec les États-Unis. Vous autres, politiques de Paris, vous ignorez les moyens qu’on emploie pour changer la face des États ; il n’y a que les petits génies qui forment des plans et qui suivent dans tout ce qu’ils font une routine méthodique ; si nous nous étions conduits de cette manière, les Anglais auraient su depuis longtemps ce que nous voulions faire, ils auraient pris des mesures en conséquence. Instruits de nos projets, ils n’auraient pas faits tant de sottises, et se seraient peut-être ,bien raccommodés avec leurs colonies : nous leur en avons ôté la responsabilité. J’éspère vivre assez pour voir l’indépendance des Américains reconnue et l’Angleterre humiliée ; c’est tout ce que j’ai promis au roi. » LE MARQUIS DE PEZAY. Lorsqu’un homme, par ses intrigues, a déterminé de grands événements, il est intéressant d’en parler, pour faire connaître les mœurs d’une cour et le caractère des personnes sur lesquelles il a influé. M. Masson de Pezay était fils d’un premier commis des finances, qui ne laissa qu’une très-petite fortune. Il avait deux enfants, une fille et un garçon ; la fille fut mariée à M. de Cassini; elle était d’une très-jolie figure, avait de l’esprit et possédait au souverain degré l’esprit d’intrigue. Elle trouva dans la galanterie des ressources pour suppléer à la médiocrité de sa fortune, et elle eut pour amants des personnes considérables. L’amour n’était pas le seul lien qui attachât à elle ; ses amants mettaient à profit ses talents pour l’intrigue. Une femme jolie et spirituelle sait pénétrer aisément dans le cabinet des ministres et des gens en place ; elle possède, tant que dure sa beauté, des moyens d’entraîner les ' hommes et de les faire concourir à son but. Quand elle avance en âge, les anciennes relations qu’elle a su entretenir lui sont encore utiles ; son expérience sert à l’éclairer sur les faiblesses des hommes ; elle s’associe à des femmes plus jeunes, s’empresse d’être leur confidente; elle conserve encore de l’empire dans le monde, si elle joint de l’adresse et du manège à une activité soutenue. Telle était madame de Cassini; elle a eu part aux grandes intrigues sous le règne de Louis XV, et s’étant ensuite entièrement dévouée au comte de Maillebois, qu’elle a suivi en Hollande, elle a été la confidente et l’instrument de ses projets. Son frère, M. Masson de Pezay, avait de l’esprit, une figure agréable et du talent pour écrire en vers et en prose. Il débuta sous les auspices de sa sœur ; -et pour ne pas laisser de traces de son origine bourgeoise, quitta le nom de Masson, et se fit appeler le marquis de Pezay. Il entra dans le militaire, et sa sœur le mit à portée d’être connu de personnes considérables par leur rang et leur naissance, et le façonna de bonne heure à l’intrigue. Le marquis de Pezay se livra à la littérature, et pour occuper ses loisirs, et pour obtenir quelques succès dans le monde. Il devint l’ami intime de Dorât ; et ces deux poètes, à l’exemple de Ba-chaumont et Chapelle, firent imprimer leurs vers en commun. Leurs poésies parurent avec tout le [1» Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] luxe de la typographie et de la gravure ; c’étaient des épîtres à Iris, des héroïdes, des vers sur des jouissances, sur des ruptures, etc. Le marquis de Pezay s’attacha au comte de Maillebois, homme distingué par ses talents militaires, ses agréments, son esprit, ses malheurs. Il ouvrit au marquis de Pezay ses portefeuilles, remplis de mémoires intéressants sur diverses opérations militaires, sur le génie de l’artilllerie, la tactique et la discipline. M. de Pezay, né avec une conception vive et le talent de profiter des connaissances des autres, et de les présenter avec clarté, profita de ce moyen précieux de s’instruire. Il mit en ordre toutes les pièces relatives au maréchal de Maillebois, et en composa un ouvrage qu’il fit imprimer sous le titre de Campagnes de Maillebois. L’intrigue, le bel esprit, le crédit de M. de G... èt de ses amis. soutenaient le marquis de Pezay et lui procuraient des ressources passagères; mais il était bien loin d’être même dans l’aisance, et il crut, à l’avénement du roi au trône, avoir trouvé le moyen assuré d’une grande fortune. On annonçait Louis XVI comme un homme sévère et occupé uniquement du. bien de ses peuples. Le marquis de Pezay imagina qu’en adressant au roi des mémoires propres à seconder ses vues et des moyens de soulager le peuple, il fixerait l’attention du roi et obtiendrait ensuite une part dans sa confiance, qui le conduirait à une place considérable. 11 écrivit au roi une lettre qui contenait plusieurs avis intéressants pour le moment, et dans laquelle il en annonçait d’autres, au cas que le roi agréât qu’il multipliât les témoignages de son zèle. Il ne signa point son nom, mais il eut soin, dans le même temps, de causer avec M. de Sartine dés objets renfermés dans sa lettre. Il était persuadé que le roi s’adresserait au lieutenant de police pour découvrir l’auteur, et que celui-ci, d’après la conversation dont j’ai parlé, fixerait ses idées sur lui, et le désignerait sans qu’il se fît connaître. La chose arriva comme il l’avait prévue. Le roi montra la lettre à M. de Sartine, pour savoir celui qui l’avait écrite, et M. de Sartine, après l’avoir lue, se ressouvint de sa conversation avec M. de Pezay. Les idées étaient les mêmes, et il n’hésita pas de dire au roi que M. de Pezay devait être l’auteur de la letttre. Le roi en parla avec éloge à M. de Sartine, qui rendit un témoignage avantageux de l’auteur, et le représenta comme un homme d’esprit, qui avait de l’instru.tion et de la probité. Le marquis de Pezay retourna chez M. de Sartine, afin 'de juger par son accueil de l’effet de sa lettre sur le roi. Il connut promptement, aux politesses qu'on lui fit , à l’empressement qu’on lui témoigna, à l’attention particulière qu’on prêta à ses discours, que le roi était favorablement disposé pour lui. Il continua dès lors 141 à écrire au roi, et ce fut d’après les suggestions du marquis de Pezay, que le roi se détermina à renvoyer l’abbé de Terray. Le roi pendant quelque temps ne répondit point à ses lettres, et le marquis de Pezay lui écrivit un jour qu’il était inquiet de son silence, et désirait être rassuré pour continuer à lui soumettre les idées que lui dictait son zèle; il finissait par supplier le roi que, dans le cas où il approuverait sq, correspondance, il daignât, pour lui en donner la preuve, s’arrêter un instant à la troisième croisée d’une pièce par laquelle il passait pour aller à vêpres. Le marquis de Pezay se rendit au jour fixé à l’endroit désigné, et vit avec satisfaction le roi s’arrêter devant la croisée. M. de Maurepas fut instruit de cette correspondance, et accueillit avec distinction le marquis de Pezay. M. de Sartine, devenu ministre, lui accorda un accès facile auprès de lui, et le consulta dans plusieurs-circonstances. Le marquis de Pezay, qui avait du talent pour écrire, et une teintuue de savoir sur plusieurs objets de l’administration, composa des mémoires relatifs aux affaires de ce temps; il s’adressait à des personnes instruites pour acquérir des connaissances de détail, et savait faire usage de leurs idées avec habileté, les diviser, les classer, et enfin les présenter avec un art qui prévenait en sa faveur et lui faisait supposer une grande capacité. Le roi lisait ces Jettres avec intérêt ; le ministre de la marine le consultait, et tant de dispositions favorables lui offraient la perspective d’une fortune brillante. Mais il fallait pourvoir aux besoins du moment, trouver des ressources pour se soutenir dans un état décent, et éviter de se discréditer en sollicitant de petites grâces pécuniaires. Le génie intrigant du marquis de Pezay lui inspira l’idée de s’adresser à M. Necker, homme riche et tourmenté d’une secrète ambition ; il pensa qu’en lui offrant son crédit pour servir ses vues, il obtiendrait en échange les fonds qui lui étaient nécessaires. C’est ici que le marquis de Pezay devient véritablement intéressant ; c’est en ce moment que ses intrigues vont commencer à influer sur les affaires, et qu’elles deviennent le principe de la révolution de la France. Le marquis de Pezay aimait, comme nous l’avons dit, la littérature et composait de petits vers ; il avait fait aussi un ouvrage intitulé : les Soirées helvé tiennes ; et, à titre de bel esprit, il était depuis quelque temps admis dans la société de M. Necker, dont la femme avait fait de sa maison un bureau d’esprit, où étaient invités tous les gens de lettres dont on reconnaissait la domination dans la société, et qui étaient propres à soutenir un parti. Le marquis de Pezay fit confidence à M. Necker de la correspondance qu’il avait avec le roi ; et dès ce moment l’on prétend que la caisse du banquier lui fut ouverte. fi» Série, T, I*\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introductio»,] 142 Peu de temps après, le comte de Saint-Germain, déserteur de l’armée française, fut appelé au ministère de la guerre. Tous les gens sensés blâmèrent un choix qui était d’un si mauvais exemple; mais le public, frappé du spectacle inattendu que lui offrait le rappel du général célèbre et malheureux, applaudit à son retour. Les troupes, pénétrées d’estime pour le comte de Saint-Germain, furent charmées d’avoir pour ministre un militaire qui s’était fait un grand nom à la guerre ; on croyait voir Gincinnatus quittant sa charrue pour commander une armée. 11 fut question d’établir un conseil de guerre ; et parmi ceux qui s’étaient mis sur les rangs pour être de ce conseil, était le prince de Montbarrey. Sa femme était de la maison de Mailly, et le comte de Maurepas, qui tenait à cette maison par alliance et s’en faisait honneur, protégeait le prince de Montbarrey, et lui avait promis une place dans le conseil de guerre. Get établissement n’eut pas lieu,|iar les obstacles que fit naître le nouveau ministre, qui craignait l’affaiblissement de son autorité. Le prince de Montbarrey sollicita alors la place de directeur général de la guerre, et le marquis de Pezay le servit efficacement pour faire créer en sa faveur oet emploi. L’horizôn de ses projets devenait de jour en jour plus vaste; le comte de Saint-Germain se discréditait et ne pouvait rester longtemps en place. Le marquis de Pezay avait imaginé de faire le prince de Montbarrey directeur de la guerre, afin de familiariser le public avec son élévation à la place de secrétaire d’État de la guerre ; par ce moyen il se rendait en quelque sorte le maître du département de la guerre, et s’assurait un prompt avancement dans le militaire et des grâces pécuniaires. Occupé de ce projet, il ne perdait point de vue M. Necker, qui le regardait comme utile ii son élévation, et lui prodiguait les plus solides marques de reconnaissance. M. Necker, à portée de se procurer des renseignements sur l’état des finances, composa des mémoires propres à Séduire le roi et son premier ministre, par la perspective des plus grandes ressources, et le marquis de Pezay se chargea de les faire parvenir au roi. 11 y joignit une lettre, dans laquelle il exposait qu’il s’était longtemps appliqué à plusieurs parties de l’administration, mais qu’il n’avait sur les finances que des notions imparfaites ; que désirant se rendre utile au roi et justifier sa confiance, il s’était adressé à l’homme le plus instruit dans cette partie, et qui connaissait à fond, par la théorie et l’expérience, les éléments et le mécanisme du crédit public. La lettre du marquis de Pezay et les mémoires de M. Necker furent communiqués au premier ministre, disposé par caractère à adopter des idées nouvelles. 11 commençait à être inquiet du crédit de M. Turgot, et était bien aise de se ménager des ressources; il saisit avec empressement cette occasion de s’assurer en secret d’un homme éclairé dans les finances, pour opposer Ses 'idées à celles de Turgot. M. Necker comprit ses intentions et s’appliqua dès lors à critiquer secrète** ment les opérations de Turgot, et 4 le discréditer dans le public. Le marquis de Pezay envoyait ses mémoires et présentait sans cesse M. Necker comme un génie transcendant dans la partie des finances, fies services aussi signalés excitaient toute la reconnaissance de M. Necker, qui trouvait dans son immense fortune des moyens de témoigner au marquis de Pezay Sa sensibilité. On dit qu’enveloppé d’une redingote, il est venu plusieurs fois attendre, chez M. de Pezay, aü fond de la remis© d’un cabriolet, le moment où il devait revenir de Versailles. Oh ajoute que ce fut le marquis de Pezay qui, suivant avec constance ses projets, trouva le moyen, dans l’espace d’une année à peu près, de faire nommer M. Necker ministre des finances, et le prince de Montbarrey secrétaire d’État de la guerre. La bourse de Necker lui resta ouverte, et le cabinet du ministre de la guerre, ainsi que, celui de la marine, lui furent soumis. Il régnait dans ces deux départements, dont les plus importantes affaires étaient quelquefois envoyées à son examen; mais il était bien loin de la considération. Sa vie passée, ses manières légères, ses petits vers, un vernis de fatuité répandu sur toute sa personne, ne permettaient pas de voir en lui un homme appelé aux grandes places. Le crédit, toujours si envié, si considéré, ôtait en lui un ridicule; il fut ébloui de ses succès, enivré de stt faveur, et sa conduite peu circonspecte et ses indiscrétions lassèrent M. de Maurepas. On avait créé pour lui un emploi d’inspecteur général des côtes, qui aurait pu être exercé par un maréchal de France, et son traitement annuel était porté à 60,000 francs. Il épousa une fille de qualité (Mademoiselle de Rouget), et paraissait enfin être dans le chemin de la plus brillante fortune; mais il avait perdu gon crédit par ses jactances et ses indiscrétions, et on fut bien aise de s’en débarrasser, en lé faisant partir pour son inspection. La rapidité de ses étonnants succès avait porté le trouble dans sa tête faible et légère; il agit, il parla dans les provinces par où il passa en ministre puissant et impérieux, en Louvois; il excita des plaintes multipliées contre lui. Il écrivit une lettre insolente à l’intendant de Bretagne, pour lui ordonner de se rendre auprès de lui. Cette lettre fut envoyée au ministre, et il lut évident que le marquis avait perdu la tète, La pers* pective d’une disgrâce prochaine lui causa uno violente inquiétude, et il mourut presque eufeita-ment, le coeur serré de chagrin, laissant une 143 [ire Série, f. If».] ARÇHIVES PARLEMENTAIRES. Jeune yeuve, à laquelle on accorda 8,000 livres de pension (l). Telle est l’histoire d’un petit maître, poëte et intrigant, qui, par de sourdes manœuvres, porta au ministère un homme qui a fait le destin de la France; et c’est sous ce rapport qu’il est intéressant à faire connaître. M. NECKER. Necker, fils d’un régent du collège de Genève, vint à Paris pour y faire fortune; il entra chez un banquier, et, de commis de ses bureaux, il devint son associé. Sa fortune, dans l’espace de douze , ou quinze ans, surpassa celle des plus fortes maisons de banque. On prétend que des traités frauduleux avec la Compagnie des Indes et des spéculations sur les fonds anglais, au moment de la paix de 1763, dont il fut instruit à l’avance, sont les principes de cette étonnante fortune, évaluée à 6 millions par les calculs les plus modérés. Sa conduite avec la Compagnie des Indes est trop connue pour en retracer ici le tableau; mais une circonstance relative a l’affaire de ses spéculations en Angleterre mérite d’être rapportée. Un premier commis des affaires étrangères, favori de M. le duc cle Praslin, avait connaissance, par sa place et par la confiance du ministre, du prochain succès des négociations pour la paix; instruit avec certitude que les préliminaires étaient au moment d’être signés, il voulut mettre à profit cette connaissance et concerta son projet avec Favier, homme très-instruit des affaires de l’Europe. Ils convinrent ensemble de faire part dé la notion assurée qu’ils avaient de la paix à Un riche capitaliste en état de fournir des fonds pour acheter nu plus tôt des effets en Angleterre. Ces effets perdaient considérablement, et il était évident qu’ils remonteraient infailliblement à la première nouvelle de la paix. Les profits de la négociation devaient être partagés entre celui qui fournissait les fonds et ceux qui donnaient l’avis important qui déterminait l’entreprise et en assurait le succès. On s’adressa à Necker, qui sentit tout l’avan - tage du projet et se chargea des effets; on lui fit part ensuite d’un léger obstacle qui s’opposait à la paix, mais à l’arrivée du courrier suivant, les associés s’empressèrent de l’instruire de la levée de cet obstacle et de là certitude de la paix. Necker, dès-le lendemain de leur première entretue, avait expédié pour Londres un courrier chargé d’instructions pour ses correspondants, (1) Il n’était pas encore mort, que des agents deM. de Maurepas faisaient chez lui le dépouillement et l’enleve-meiitde toute sa correspondance ministérielle et même royale, Car il avait eu du roi des réponses aux lettres qu’il lui avait écrites. Il faut ajouter que le jour de l’anecdote de la croisée, il avait suivi le roi dans son cabinet et eut avec lui Une première conversation devant M, de Maurepàs. {Introduçtion.j auxquels il marquait de ne pas perdre un moment pour faire des achats considérables de fonds anglais. Il s’était aussi engagé avec Favier et Je premier commis à partager les bénéfices; mais ils différèrent à mettre par écrit leurs conditions, On prétend qu’ils furent en entier. pour lui, et qu’ils s’élevèrent à 40 p. cent, L’ambition commença alors à balancer dans l’âme de Necker l’avidité. Il songea à s’élever à quelque place de l’administration; mais il ne porta pas ses vues pour le moment par delà l’emploi de premier commis de finances. Impatient de sortir de la classe des banquiers, il s’occupa d’acquérir une réputation littéraire, et la circonstance lui offrit un sujet à traiter, favorable à la fois à son ambition et au désir qu’il avait d’être compté parmi les gens de lettres. Il développa, dans F Éloge de Colbert , un grand appareil de connaissances superficielles, sur le crédit public et le commerce, qui en imposa aux académiciens, déjà disposés en sa faveur par ses prévenances et par l’ascendant que donnent les richesses. Le discours de Necker, écrit d’un style incorrect et souvent obscur , rempli d’expressions impropres et emphatiques, fut couronné, et fauteur dès lors commença à fixer sur lui l’attention publique. Les intrigues de sa femme auprès des grands, ses empressements envers les gens de lettres, concoururent puissamment aussi à répandre l’opinion du mérite de son mari. La question de la liberté du commerce des blés occupait depuis plusieurs aimées les esprits; elle fixa plus particulièrement l’attention, sous le ministère de Turgot, partisan passionné d’nne liberté indéfinie. Un événement extraordinaire, et dont on n’à pu découvrir le principe, ajouta encore à l’intérêt de cette question. Un grand nombre de paysans attroupés s’étaient répandus dans les environs de la capitale jusqu’à Versailles, sous le prétexte de la cherté du pain et de la rareté des blés; ils pillaient les magasins; et les hommes qui se plaignaient de la rareté des blés jetaient la farine dans la rivière� ils paraissaient plutôt se promener que se révolter; ils se transportaient paisiblement d’un lieu à un autre, et indiquaient d’avance leur marche. Ges mouvements manifestaient un principe d’effervescence qu’il était important au Gouvernement de calmer; et c’est dans cette circonstance que Necker crut devoir faire paraître un ouvrage sur la législation dm blés , bien plus propre à enflammer les esprits qu’à les éclairer t Les objets de l’économie politique n’avaient été jusque-là traités que par des hommes instruits, qui avaient plus songé au fond des choses qu’à la manière de les présenter. M. Necker crut qu’en répandant les fleurs de l’éloquence sur une question si intéressante* il se ferait lire des gens il ; [ire série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 144 lettres, des gens du monde et des femmes; et que celui qui aurait trouvé le moyen de les initier en quelque sorte à la science du gouvernement leur paraîtrait l’homme le plus éclairé. Son ouvrage, d’un style pompeux et oratoire, est rempli de principes généreux et d’idées vagues ; il est facile de s’apercevoir que Fauteur s’est pénétré d’un écrit ingénieux et profond, intitulé : Dialogues sur la liberté du commerce des blés, par M. l’abbé Galliani; enfin, comme il cherchait principalement à faire sensation d;ms le public, et à se faire lire des personnes qui primaient dans la société, il eut soin de semer dans l’ouvrage quelques comparaisons brillantes, et d’y faire régner un ton sentimental, propre à donner l’opinion de son amour pour l’iiumanité. Il laissa la question indécise, après avoir balancé le pour et le contre, et il évita par cette conduite les attaques du parti auquel il se serait trouvé en butte s’il eût adopté nettement une opinion décidée. . On fut fâché, en lisant cet écrit, de voir un homme ne chercher qu’à montrer de l’esprit et à augmenter l’incertitude sur l’objet le plus important à une nation agricole, et se jouer de la question pour faire parade de ses forces, tandis que l’amour du vrai et de l’humanité prescrit à tout honnête homme le devoir impérieux de remonter aux principes, et d’éclairer, de toute la lumière de son esprit, une route ténébreuse. Cependant l’écrit de M. Necker produisit l’effet qu’il en avait attendu; il eut un grand succès. surtout parmi ceux qui étaient opposés à Turgot, dont on redoutait l’austérité. M. Necker attaquait indirectement l’opinion de Turgot et des économistes. Son ouvrage fut -vanté par les gens de lettres, et M. Necker commença à être annoncé comme un législateur en finances. Turgot fut révolté contre un écrit dont il sentait le danger, dans les circonstances critiques où se trouvaient la capitale et quelques provinces. 11 fut indigné de la mauvaise foi de M. Necker, qui avait cherché auparavant à gagner sa bienveillance, en feignant d'être du même sentiment que lui; enfin, son zèle passionné pour l’intérêt public lui faisait voir, avec une sorte d’horreur, un homme qui, semblable à un escamoteur, dont la dextérité fait paraître et disparaître une balle, semblait se jouer de l’humanité, et montrait la plus importante des questions, tantôt sous un face, tantôt sous une autre. Un ministre proposa de faire mettre Necker à la Bastille; mais Turgot, quoique violemment irrité, fit céder son ressentiment à ses inébranlables principes de tolérance, Ce ministre fut disgracié et remplacé par un homme qui ne vit dans cette grande place qu’un moyen de satisfaire son goût pour le plaisir, et dont on pouvait dire avec Tacite : Scorta et fœminas vol-vit animo et hœc principatûs prœmia putat. M. Necker, qui commençait à jouir de quelque réputation, songea à profiter de la dissipation où vivait le ministre des finances, pour se rendre nécessaire. Ses liaisons avec un intrigant, qui avait su se procurer une correspondance directe avec le roi, le mirent à portée d’attirer sur lui l’attention du roi et du premier ministre. Il remit au comte de Maurepas des mémoires sur les affaires de la finance, dans lesquels il exagérait les ressources et présentait la plus brillante image. Le premier ministre, amateur de nouveautés, goûta ces moyens sans les approfondir; il proposa en conséquence de confier à M. Necker la direction du trésor royal, ainsi que les détails relatifs au crédit public et aux emprunts. La fortune rapide de Necker, sa capacité présumée d’après ses succès personnels dans la banque, firent croire au comte de Maurepas qu’il saurait attirer au trésor royal l’argent des capitalistes français et étrangers. L’inapplication de Clugny aux affaires était encore un motif déterminant de lui associer un homme qui eût de l’expérience dans la partie des finances, la plus intéressante pour un gouvernement, qui, n’osant sonder la profondeur du mal, n’avait recours qu’à des palliatifs. Clugny vint à mourir dans ces circonstances, et M. Necker fut adjoint à son succes-cesseur, qui ne tarda pas d’être la victime de son impatiente ambition. Parvenu au ministère, M. Necker ne s’occupe que des moyens d’éblouir le public et d’exciter l’enthousiasme. Il semble s’être peint lui-même dans une phrase de son Éloge de Colbert ; Il sera semblable, dit-il, à ces héros de théâtre, que des battements de mains excitent ou découragent. Pressé par cet unique et impérieux besoin de succès et de louanges, il publia so ïk Compte rendu ; et cet acte de sa vanité ambitieuse, auquel le premier ministre n’eut pas la force de s’opposer, sera remarquable dans l’histoire. Ce fut la première fois que l’on vit le ministre d’un roi rendre compte à d’autres qu’au roi de l’état des finances et de ses opérations. Il voulut présenter au public un tableau fait avec art, bien assuré qu’en se soumettant à ce tribunal, il recueillerait une ample moisson d’applaudissements. Bientôt après ii tenta,- dans l’ivresse du succès, de se prévaloir du sulfrage public, et aspira à entrer au conseil. Le premier ministre objecta à M. Necker sa religion, et lui proposa d'aller à la messe. M. Necker insista, menaça de quitter sa place, persuadé que la crainte de le perdre l’emporterait sur le scrupule que faisait naître la différence de religion. Il fut la dupe de sa présomption, et on le laissa se retirer. Dès ce moment, il y eut en France uq parti animé contre le Gouvernement, et déterminé à décrier toutes ses opérations. Les gens instruits n’osant s’élever conlre l’opinion de ce parti dominant , jugeaient Necker comme la [1" Série, T. !•*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] postérité le jugera; ils voyaient qu’il n’avait point de doctrine, qu’il n’avait employé d’autre art que celui d’emprunter à tout prix, pour en imposer par l’état briliant du trésor royal, et séduire la multitude, enchantée de voir faire la guerre sans augmentation d’impôts; ils gémissaient de cette charlatanerie, qui devait un jour aggraver les charges de l’État. Enfin, il était évident à leurs yeux que Necker n’avait rendu aucuns services réels, et que la fermentation qu’il excitait, pouvait exposer l’État aux plus grands dangers. - Les' gens de lettres, les femmes accréditées, leurs amants et la troupe servile des imitateurs, faisaient taire le petit nombre de gens éclairés. C’est une chose remarquable que l’enthousiasme des femmes les plus distinguées par le rang et la beauté pour un homme d’une figure ignoble et éloigné de toute galanterie par l’austérité apparente de ses mœurs. On a vu, quelques jours après son renvoi, la duchesse de Lauzun, de toutes les femmes la plus douce, et surtout la plus timide, attaquer dans un jardin public un inconnu qu’elle entendait mal parler de Necker, et sortir de son caractère au point de lui dire des injures! Les femmes n’ont point contribué à l’élévation de Necker, et dans l’obscurité où. il était avant son ministère, il aurait en vain brigué leur appui ; la grandeur et l’éclat sont nécessaires pour subjuguer les femmes, et trompent souvent et leur cœur et leurs sens. C’est lorsque, parvenu à une grande place, il commença à fixer les regards publics, qu il détermina les femmes en sa faveur. Il flattait en secret celles qui avaient le plus d’influence sur la société, et ses flatteries acquéraient un nouveau prix de la sévérité de son caractère. Les femmes accréditées, qu’il sut gagner par ses louanges et ses déférences, attirèrent les suffrages de tous ceux qui avaient intérêt de leur plaire ; leur considération s’accrut réellement par l’intimité de leur liaison avec un homme puissant, et elles s’enorgueillissaient de leur ascendant sur un homme si fier de sa-vertu, sur cet impassible Spartiate. - Sa disgrâce fut à la fois une atteinte portée à leur crédit et une injure pour leur amour-propre, intéressé au soutien de leurs enthousiastes sentiments. De là les cabales contre le Gouvernement, et la fermentation des esprits sur les objets d’administration ; le discrédit des effets publics, les États généraux, et la subversion de la plus florissante monarchie. Necker avait encore pour lui tous ceux que des mécontentements particuliers rendent ennemis. du Gouvernement, et son parti devenait ainsi de jour en jour plus nombreux. L'impéritie de Fleury, son successeur,- formait lre Série, T. 1er. encore un tableau de comparaison avantageux à Necker. Le public, trompé et animé par sa cabale, se plaisait à le vanter comme le plus grand, des administrateurs, et ses écrits lui attiraient l’admiration des étrangers. Ils étaient frappés de la pompe de son style, touchés de ses homélies en faveur de l’humanité, et ne pouvaient apprécier les circonstances ni vérifier les faits. Jamais, en France, les hommes en place, ou appelés à y parvenir, n’avaient écrit sur les affaires ; leur silence fut regardé comme une impuissance, et Necker, sans rivaux, profilait ainsi de l’avantage d’être le seul administrateur qui eût publié des ouvrages sur l’économie politique. • La postérité, éclairée et impartiale, cherchera avec surprise comment un peuple éclairé a pu être induit en erreur au point de regarder Necker comme le plus grand des administrateurs; elle sera étonnée que ses contemporains ne se soient pas demandé : Quel canal a-t-il creusé? Quelle branche de commerce a-t-il vivifiée ? quels impôts ont été abolis ou modifiés? quels édifices ont été élevés par lui ? Il a écrit de magnifiques phrases, mais où sont les œuvres? Elle ne trouvera ni dans la capitale, ni dans les provinces, ni dans les ports, aucun établissement utile qui consacre sa mémoire. Ses ouvrages renferment des idées générales et des projets vagues, mais on n’y découvre ni doctrine ni pensée profonde sur l’administration ; et c’est une chose digne de remarque, qu’il ne se trouve pas, dans trois volumes sur les finances, une seule citatiou de faits, ou un exposé des anciennes opinions. On voit clairement que ce ministre suivait l’élan de son imagination, et s’est circonscrit dans la partie morale des affaires, qui n’exige, pour être approfondie, que la sagacité de l’esprit, sans * aucune des connaissances nécessaires à l’administrateur. C’est dans cette seule partie que Necker, homme d’esprit, et souvent écrivain éloquent, adroit aux éloges, et le public séduit a confondu le mérite de l’administrateur avec celui de l’écrivain. Mais ceux qui distinguent l’un d’avec l’autre s’aperçoivent qu’il n’a connu ni l’histoire, ni les principes de la finance et du commerce, ni approfondi la théorie de l’impôt. 11 leur est promptement démontré qu’il n’a cherché qu’à faire effet sur les gens du monde, par des phrases brillantes, qt sur le peuple, par l’affectation de la sensibilité. Il ressemble à ces auteurs qui font des pièces pour les acteurs, et qui réussissent, parce que les rôles se trouvent conformes aux talents de ceux qui représentent la pièce; un succès brillant, mais éphémère, est leur récompense, et leur mérite s’évanouit avec les’acteurs. M. Necker fut rappelé au ministère, lorsque l’autorité du roi ébranlée n’avait plus la force de ré-10 * 146 [lw Série, T. Ier. J sister aux clameurs du public, animé par les partisans de ce ministre. Il eut alors la principale part aux affaires, sous le nom de premier ministre des finances ; mais cette place ne suffisait pas à son ambition, à cette soif effrénée des succès populaires qui caractérise Necker ; il songea dès ce moment à devenir ministre national, et parut uniquement occupé de caresser la multitude. Une lettre écrite en 1788, par le comte de Mirabeau , prouve qu’il avait démêlé les projets de Necker, et qu’il sentait le danger de l’ascendant qu’il avait su acquérir sur le peuple. « Nous allons voir, dit-il, ce charlatan de Necker, le roi de la canaille; elle seule ici a du courage; et s’il était le maître, il finirait par tout étrangler sous sa direction. » M. Necker avait formé le projet de régner sur la multitude, et de s’élever par elle ; il avait, en conséquence, contre l’avis de tous les ministres, fait prendre la résolution d’assembler les États à Versailles, à quatre lieues d’une ville immense, où fermentaient toutes les passions. Dans la multitude des causes qui ont concouru à la destruction de la monarchie, il n’en est point qui aient eu une plus directe influence que le choix de la ville de Versailles et lé résultat du conseil. Necker avait ainsi déterminé l’ascendant du tiers, dont il se flattait de profiter. Après avoir vu rejeter parle rdi un article qu’il avait inséré dans le projet de la célèbre déclaration du 23 juin 1789, Necker osa s’absenter de la séance royale, et afficher ainsi son opposition aux sentiments du roi. Il était évident qu’il ne cherchait qu’à plaire aux communes, et qu’il séparait sa cause d’avec celle du roi. La cour résolut de nouveau d’éloigner un ministre que le parti opposé avait forcé le roi de rappeler auprès de lui. Le peuple de Versailles fut instruit par les émissaires de Necker de ce projet ; il se porta tumultueusement dans les cours du château, au moment où ce ministre se rendait chez le roi. On voyait aller et venir dans les galeries les partisans de Necker ; on les voyait s entretenir avec les membres des communes, pour les enflammer en sa faveur ; ils s’efforcaient d’inspirer aux bons citoyens les plus vives alarmes, en leur peignantle désordre qu’entraînerait le renvoi du ministre des finances. Le monarque fut encore obligé de céder et de conserver dans son conseil l’homme qu’il regardait comme l’auteur des troubles et l’ennemi de son autorité. Le chemin du ministre, en sortant du cabinet du roi, était de passer par les galeries ; mais il voulut profiter de l’effervescence populaire, savourer les applaudissements, s’assurer de son ascendant et effrayer le roi et la reine par le spectacle des transports que sa présence devait exciter. Il descendit par le grand escalier, au doux bruit des battements des mains répétés, en feignant [Introduction.] d’être entraîné par la multitude. Escorté, pressé, applaudi d’une foule immense, il se rendit lentement chez lui, en traversant les cours et la rue, inondées des flots renaissants et agités d’un public enthousiasmé, composé de personnes de tous les rangs. Quelqu’un, surpris du chemin qu’il prenait, demanda où il allait : Chez lui par le plus courte dit un homme d’esprit. On vit en ce moment une des plus grandes dames de la cour, connue par son ardent fanatisme pour Necker et ses cabales en sa faveur, arrêtée devant une des grilles du château, contemplant avec délices ces mouvements tumultueux, jouissant du triomphe de Necker et de l’abaissement de l’autorité royale, et s’écrier avec une orgueilleuse satisfaction*: On n’oserait le renvoyer! Le roi supporta encore quelques jours la vue de Necker, et prit enfin le parti de l’éloigner. Le peuple était depuis longtemps en fermation ; une longue suite d’événements et d’exaspérations avaient formé un amas de matières combustibles, dont l’explosion dépendait de la plus légère étincelle. Le renvoi de Necker fut cette étincelle ; car il est constant qu’il était, à cette époque, indifférent à l’Assemblée nationale, qui avait reconnu l’insuffisance de ses talents, l’incertitude de ses vues et son ambition. L’enthousiasme et la chaleur du comte de Lally réveillèrent quelques restes de prévention favorable, ranimèrent les cendres d’une ambition presque entièrement éteinte. Son éloquence et les intrigues des partisans de Necker agirent efficacement sur l’Assemblée et sur le peuple en faveur du ministre disgracié. La multitude était disposée et préparée à de grands mouvements. Le duc d’Orléans et Necker furent les héros du jour. Le roi fut forcé d’écrire au dernier de revenir; l’Assemblée, entraînée par le comte de Lally et pressée par les mouvements populaires, lui dépêcha des courriers, et la France entière fit des vœux ardents pour son prochain retour. On allait jusqu’à craindre qu’il ne se refusât à tant d’empressements : ceux qui jugeaient mieux savaient que sa vanité l’emporterait sur tout autre intérêt et sur la politique qui devait l’empêcher de revenir dans un poste qu’il ne pouvait conserver. A peine fut-il arrivé que chacun fut étonné d’avoir désiré son retour; l’Assemblée le vit revenir avec indifférence, le peuple cessa dans peu de prononcer son nom, et les orateurs du parti populaire déclamèrent avec impunité contre cette idole vermoulue. Il fut attaqué dans les journaux; son administration, son caractère, sa personne y furent peints sous les plus noires couleurs. 11 tâcha vainement de louvoyer 'au fort de l’orage; sans ressource dans l’esprit, sans caractère politique, il ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 147 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] [1T« Série, T. I®*”.] ne sut être ni l’homme du peuple, ni l’homme du roi. Le temps était venu où des paroles décevantes ne pouvaient plus tenir lieu de réalités; le temps de la foi aveûgle était passé, et l’Assemblée exigeait des œuvres ; elle sonda l’abîme du déficit , et demanda des ressources au ministre. L’Assemblée reconnut dans peu que le ministre des finances avait emprunté à tout prix, et que le déficit était le produit de ses emprunts onéreux, combinés sans lumière, aux dépens des races futures. Pressée par les besoins du moment , l’Assemblée s’adressa à lui pour obtenir des secours ; le ministre écrivit des phrases magnifiques , parla de ses sentiments et finit par proposer de continuer la suspension du payement des billets de la caisse d’escompte. Il était évident que le moins instruit en finances parmi les membres de l’Assemblée aurait •trouvé les mêmes ressources. En horreur alors au roi et à la reine, pour qui sa présence était un supplice, accablé de dégoûts par l’Assemblée et menacé par le peuple, l’ambition le soutint quelque temps et lui fit supporter le mépris et la haine. Mais enfin la crainte triompha de tout autre sentiment ; il quitta le ministère sans faire la plus légère sensation , et emportant le mépris de tous les partis. Le roi, la noblesse, le clergé, avaient également à se plaindre de sa défection , de son peu de moyens, de son orgueil et de l’incertitude de ses idées. Les amis delà royauté voyaient dans son administration les principes des désordres , et dans sa conduite, depuis son premier rappel , la cause active et immédiate de la dégradation du monarque, de l’effusion du sang et de l’anarchie. Neeker avait insisté pour que les États fussent tenus à Paris, malgré les plus vives représentations du parti royal ; et dans le même temps, il avait rassemblé autour de Paris quinze mille ouvriers , manœuvres et artisans de tout genre, dénués de tous moyens de subsister, réunis dans les faubourgs et les environs. Ces hommes, dépravés par l’oisiveté, irrités par la misère, étaient prêts à tout entreprendre pour le ministre des finances, dont ils recevaient une paye journalière. Il avait déterminé l’Assemblée à laisser ouvertes les tribunes, et n’avait négligé aucun des moyens propres à enflammer le peuple. Il s’était absenté de la séance royale , après avoir rédigé une insidieuse déclaration ; il avait , sans y être appelé par sa place, opiné contre le veto absolu ; enfin il était évident que sa conduite avait eu pour objet d’obtenir uh ministère indépendant de la volonté du roi. Ce qu’il y eut d’ étonnant , c’est que bientôt après, le. parti populaire , qui se crut joué à son our par ce ministre, ne lui sut aucun gré de tout ce qu’il avait fait pour amener la révolution. Neeker se retira dans une ter/e, en Suisse, et là,. sans espoir fondé de remonter sur la scène du monde, et croyant toujours qu’on est occupé de lui, il ressemble à ces hommes mutilés, qui éprouvent encore des douleurs dans les membres qu’ils n’ont plus. Ne pouvant se résoudre à rester ignoré, il composa des ouvrages pour avoir le plaisir de parler de lui, d’entretenir le public de ses sentiments et de son administration. Lorsqu’il devait entrer pour la première fois au ministère, on fut alarmé d’abord de voir un protestant chargé d’une partie aussi essentielle de l’administration , et la secte des économistes employa fort mal ses moyens pour affaiblir l’illusion que faisait alors cet heureux parvenu. Deux des coryphées de la secte gémissaient sous la tyrannie d’une lettre de cachet. M. Neeker se pressa de la faire lever , comme à son retour de Suisse, au mois de juillet 1789, il est accouru à l’hôtel de ville solliciter la liberté du baron de Besenval ; mais quelque temps après , il ne traita pas avec la même indulgence un M. Pélissery, qui avait attaqué ses opérations dans un ouvrage intitulé : le Café politique d1 Amsterdam. Cette première sévérité réfroidit l’admiration déjà un peu calmée par la faveur exagérée que le directeur des finances accordait à la loterie royale. On s’attendait à voir un plan vaste, raisonné, et M. Linguet, qui écrivait alors ses Annales politiques , disait avec une ironie maligne : « M. Neeker, transporté sur un théâtre orageux, travaille sans doute à réaliser les grandes vues dont la supposition a motivé le choix qui l’y a élevé. » Ces grandes vues consistèrent à supprimer les charges (1) d’intendants des finances, et à rétablir la compagnie des Indes dont il était un des principaux actionnaires, cette compagnie dont l’Assemblée nationale vient de prononcer la destruction, au grand contentement de tous les bons citoyens, si elle avait renvoyé l’exécution de son décret à deux ans. Le seul secret de M. Neeker a été de faire croire qu’il en avait un, et que l’on verrait successivement éclore des plans restaurateurs. Il créait de nouvelles rentes : l’espoir que ces ressources préparatoires conduiraient à un plan fixe, faisait que les emprunts étaient aussitôt remplis que formés, et les conditions onéreuses pour l’État n’ayant été reconnues telles que dix ans après, favorisaient la cupidité des prêteurs et les opérations du ministre. On a fait le parallèle de celles de M. de Galonné et des siennes, et l’on a trouvé que M. Neeker, économe, excellent comptable, vertueux, etc., avait réellement plus coûté à la na-(1) Annales politiques citoiles, tome II, page 75, édition de Londres, 1777. [!*• Série, T. !«•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 148 * tion que M. de Calonne, prodigue, dissipateur, et 1’amant du sexe entier. Pourquoi M. Necker a-t-il eu ce désavantage? C’est qu’en ouvrant des emprunts, il faisait aussi des remboursements. Cette manœuvre surprenante, examinée, jugée par les gens d’affaires, lui enleva la confiance. Pour la rappeler il fallut un appât. Il ne le trouva que dans de gros intérêts. Ceux qui s’y laissèrent prendre savaient bien que l’homme d’État ne se soutiendrait pas avec leurs secours; mais que le banquier, à force de recouvrements, pouvait les faire durer quelques années. C’en était assez pour leur assurer de gros bénéfices et les engager à inspirer une confiance que leur intérêt les obligeait de répandre. D’ailleurs, ils donnaient un éclat extraordinaire à de simples opérations de banque, ou plutôt de comptabilité. Tel fut l’arrêt du conseil d’État du 18 octobre 1778, portant établissement d'un nouvel ordre pour toutes les caisses de dépense. Cette disposition très-sage obtint un applaudissement général, et valut au ministre autant de louanges que si c’eûtr été le travail d’un homme d’État. Aux suppressions des places, à Versailles, il joignit l’amélioration des hôpitaux et d’utiles changements dans les pri ons, se flattant que les bénédictions de la multitude étoufferaient le cri des victimes qui tombaient sous Je couteau de la réforme. Et comme ces opérations partielles furent revêtues de toutes les formes oslentatieuses, le public s’y laissa prendre, et les poètes, espèce complaisante qui va toujours chantant, les poètes, dis-je, s’écrièrent : On vous damne comme hérétique ; On vous damne bien autrement Pour votre plan économique, De zèle immortel monument. Mais ne perdez pas l’espérance. Allez toujours à votre but En réformant notre finance. Pourrait-on manquer son salut Quand on fait celui de la France ? Ce fut dans ces mêmes vues que M. Necker engagea le roi à fonder un prix annuel en faveur des nouveaux établissements du commerce et de l’industrie. Ces petitsmoyens valaient beaucoup de louanges à leur inventeur et fort peu d’avantages au royaume; encore ces louanges étaient-elles compensées par des pamphlets amers, et presque toujours accueillis, parce que ce ministre, qui ne montrait aucun vice, était couvert de toute espèce de ridicules. Il affectait d’écarter les grands, et courait après les distinctions qui les décorent; il affectait l’insensibilité à la gloire, et mettait les savants de son côté par des dons à l’Académie. Peut-être aussi voulait-il former un corps d’auxiliaires, pour soutenir la petite guerre contre une-multitude d’écrivains financiers, qui attaquèrent successivement toutes ses opérations. On ne pouvait refuser surtout quelque estime à un ouvrage intitulé : Tableau comparatif de ce qui s'est passé en 1716, 1717, 1718, 1719 et 1720, et de ce qui s’est passé en 1776, 1777, 1778, 1779, 1780. Nous ne suivrons point les auteurs de ces discussions dans la carrière polémique, et nqus nous bornerons à quelquesreinarquesimpartiales.M. Necker n’avait point conçu le hardi dessein de régénérer la France ; il n’avait point assis sa postérité future sur un plan général qu’il fallait faire exécuter ou périr. Il imaginait qu’un ordre plus rigoureux dans la comptabilité, qu’une marche plus économique suffirait pour réparer les maux ; que sa vertu et ses succès dans ses affaires personnelles en imposeraient à la multitude et rallieraient autour de lui tous les honnêtes gens. Loin de calculer que dans aucun pays ils ne forment point le plus grand nombre, il ne soupçonna pas même que ces honnêtes gens sont toujours disposés à croire que les remèdes violents sont les plus mauvais, et ne se prêtent que bien tard à la nécessité des retranchements subits. En quoi consistèrent donc les ressources du ministre ? Suppressionde charges qu’il ne remboursa pas; emprunt dont l’intérêt était excessif; opérations de banque ruineuses pourl’État; réformes partielles, dont les provinces ne retirent aucune utilité; l’agriculture abandonnée aux mains dévôrantes du fisc ; le Commerce sans liberté et sans encouragement; les impôts onéreux et accablants subsistant dans toute leur force, et jamais une idée mère qui promît la cessation de tous ces fléaux. Ces faits sont consignés dans les ouvrages de M. Bourboulon, dans la lettre du prétendu marquis de Caraccioli, dans les Observations de M. de Galonné, et surtout dans les mémoires démonstratifs de M. Panchaud. Mais tous ces faits prouvent seulement que la nation s’était enthousiasmée avec excès des talents de cet étranger. On lui reproche des ruses continuelles, des demi-confidences, des partis indéterminés, des ménagements insidieux, des discours apologétiques de ses talents, quant à l’époque du retour (le 30 juillet 1789), c’est une nullité complète de toute espèce de moyens, ainsi que plusieurs membres de l’Assemblée nationale l’ont articulé. Que restera-t-il donc de cet administrateur? Un certain penchant à l’économie; mais comme, malgré ce penchant, il y a eu dans une année de son ministère pour seize cent millions d 'ordonnances de comptant (1) imaginées pour voiler une infinité de dépenses qu'on aurait eu honte d'avouer , nous ne voyons plus la différence qui se trouve entre un ministre économe et un ministre déprédateur. Il reste à parler de sa personne, et après avoir peint le ministre, à rassembler quelques traits de son caractère, propres à faire connaître l’homme. Son physique présente des formes dures; sa (1) Voyez le Livre rouge, page 4. [1™ Série, T. Ie* ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction ] physionomie offre à l’œil observateur du dédain, de l'égarement, de la moquerie, de la profondeur et de l’insensibilité. À travers la réserve contrainte de son maintien, il est facile de deviner une violente agitation intérieure. On lui reprochait de multiplier à l’excès les révérences. La domination perpétuelle d’un objet, qui ne permet aucune distraction, est un des principes de la folie, et l’esprit de Necker en a éprouvé quelques atteintes. Il a été pendant deux années entières incapable d’aucune attention et accablé de vapeurs qui suffoquaient sa raison. Il eut ensuite une faim canine qui l’obligeait de manger à toute heure, et c’est de là qu’il a contracté l’habitude de tenir ses mains dans les pochas de sa veste, où, il semble chercher quelque chose. Sa femme, confidente forcée du désordre de ses idées, et fortement intéressée à en dérober la connaissance au public, a prodigué les soins à son époux, dans le temps de l’altération de son esprit, et s’est par là acquis sur lui le plus grand ascendant. Necker s’exprime avec difficulté et est entièrement dénué du talent de la parole ; cependant il a beaucoup d’esprit, et un recueil qui contiendrait des pensées choisies avec discernement dans ses ouvrages formerait un excellent livre. Ses ennemis ont prétendu que Thomas avait composé une partie de ses ouvrages ; mais ceux qui ont hasardé un pareil jugement ont plus consulté leur passion que les lumières d’un esprit exercé. Les beaux morceaux répandus dans les ouvrages de Necker sont au-dessus de ce que Thomas a fait de mieux. Gomme la nature est inégale dans' ses dons, elle a refusé à Necker le talent des affaires ; il le sentait et avait soin de se circonscrire dans dès principes généraux, d’abréger la conversation, et de renvoyer promptement à des subalternes pour une discussion approfondie. Il était distrait, froid et réservé dans la conversation, dédaigneux, et quelquefois moqueur dans ses audiences; et la plupart de ceux qui avaient affaire à lui, éprouvaient un froissement sensible dans leur amour-propre, qui dégénérait promptement en haine. Mais il avait d’autres manières avec ceux que leur influence dans le monde l’engageait à ménager ; et l’art qu’il employait dans ces circonstances a été un de ses plus efficaces moyens pour enflammer les têtes et se procurer d’idolâtres partisans. Le front de cet homme austère s’éclaircissait; le secret de cet homme si froid, si réservé, semblait s’échapper de ses lèvres, pressé par les sentiments de son cœur. Les flatteries les plus outrées paraissaient lui être arrachées par l’irrésistible expulsion de la vérité. Des railleries amères et de fines plaisanteries ôtaient répandues par cet homme illustre sur les ennemis des personnes qu’il accueillait avec tant d’art; et comme ces personnes étaient ou des grandes 149 dames, ou des hommes éminents par leur rang, ou considérables par leur influence, et peü instruites des affaires, alors il en parlait devant elles avec assurance, et.il ne lui était pas difficile de leur en imposer. Ces personnes sortaient de chez Necker, émerveillées de son savoir, enchantées de son esprit et flattées de sa confiance. En voyant un jour le prince de Poix entrer dans son salon, Necker s’avance vers lui, et s’écrie avec transport : Quand je vois M. le prince de Poix , il me semble voir le bien public personnifié. Tel était son langage avec les hommes qui pouvaient le servir. On a cité d’autres traits pour prouver qu’il était loin d’avoir, pour les hommes qu’il n’avait pas intérêt de ménager, pour les victimes de ses réformes financières, les égards mêmes de l’humanité. M. JOLY DE FLEURY, Nommé contrôleur général en 1781. Lorsque le conseiller d’Etat fut appelé au timon des finances, il déclara, avec autant de modestie que de vérité, qu’il n’y entendait rien, et qu’il n’acceptait ce poste que jusqu’à ce que les yeux du roi fussent tombés sur un choix plus heureux. Cet intérim dura cependant deux années : ou M. Fleury trouva qu’on pouvait très-bien se passer de connaissances dans cette place, ou il sacrifia la France au plaisir de représenter dans un des postes qui flattait le plus l’ambition des Français. Suivant la route tracée par ses prédécesseurs, il se mit à emprunter ; et pour ne pas y revenir souvent, il invita la nation à lui porter deux '-cents millions, avec lesquels il pourrait administrer à son aise. Comme la somme était un peu forte, il donna la facilité d’acquérir son papier, moitié en argent, moitié en anciens contrats. Les frondeurs ne manquèrent pas de critiquer. l’opération ; mais comme il en résultait que le prêteur plaçait son argent à six et trois quarts pour cent, il se présenta passablement d'acquéreurs, M. de Fleury était par lui-même assez mauvais charlatan ; nourri dans le barreau, il n’oubliait jamais les formes, mais il avait un premier commis qui suppléait à tout, et qui avait une de ces consciences financières de l’ancien temps. ' Un nom très-connu dans la robe, et auquel on attache toujours des idées de probité, un âge assez avancé, assez d’économie, firent qu’on n’exigea rien de M. Fleury, et lui, de son côté, ne songea seulement pas à former un plan ; il vécut, comme on dit vulgairement, au jour le jour, se rendit utile à sa famille, n’oublia pas tout ce qui l’entourait, n’eut point assez de mérite pour avoir des aboyeurs, ni assez d’incapacité pour que les ressorts de la machine s’arrêtassent. Cependant, un an après son entrée dans le ministère, malgré les prétendus dix millions qui, [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ISO selon le Compte rendu, excédaient la dépense, il fallut chercher un remède aux dépenses excessives. On imagina un grand comité où se traiteraient les grands projets de finance. Le comte de Vergennes, le garde des sceaux Miroinesnil et le contrôleur général Fleury devaient les enfanter ; pour ne pas les troubler dans leurs accouchements laborieux, on créa un petit comité pour les opérations journalières. Il fut composé de Bourgade, entrepreneur des vivres ; de Leclerc , premier commis des finances, très-rusé ; d’Harvelay, garde passif du trésor royal, et de Burué,. agent très-actif du même trésor. Cette double création ne produisit rien. De temps en temps M. de Fleury, qui avait commencé par se donner pour inutile, s’imaginait être devenu nécessaire, et demandait sa démission ; d’autres ont cru qu’il était à bout de toute espèce de moyens, et qu’il préféra une retraite sollicitée à un renvoi facile à prévoir. Il fut remplacé par M. d’Ormesson. M. D’ORMESSON, Nommé contrôleur général des finances à la fin de mars 1783. 11 était jeune, et vraisemblablement sans l’expérience qu’exige une place aussi importante. M. Necker avait réformé les intendants des finances, dont M. d’Ormesson était un. Ses mœurs, son intégrité, son application, lui valurent cette place dont il aurait parfaitement rempli la moitié, c’est-à-dire le contentieux : mais les affaires demandaient un homme de génie qui connût les besoins d’un grand royaume, et surtout les ressources qu’il peut avoir. On s’aperçut que M. d’Ormesson, qui n’avait que du zèle, de la fermeté et du patriotisme, ne résisterait pas à une cabale qui mettait ces qualités au rang des plus grands défauts que pût avoir un ministre des finances. On lui suscitait un rivai auquel personne ne pouvait refuser des talents et infiniment d’esprit. M. de Galonné était ce rival, qui reçut le portefeuille de M. d’Ormesson le 3 novembre 1783. M. DE GALONNE. M. Necker , qui soupirait dans la retraite après un rappel que ses amis lui promettaient comme certain , s’était consolé en voyant sa place occupée par des hommes qui ne pouvaient que le faire regretter ; mais lorsqu’il en vit un qui pouvait le faire oublier, il eut un redoublement de regrets, et ses amis un nouvel accès dë zèle. On ressuscita contre M. de Galonné l’ancienne conj-mission de Bretagne, et l’affaire surtout de M. de Chalotais, qui en était le principal objet. On ne manqua pas d’exagérer le goût du plaisir inconciliable avec les fonctions ministérielles; mais, se plaçant au-dessus des propos, et surtout de ses ennemis, ce fut par des opérations bien combinées qu’il résolut de leur répondre : examinons comment il y réussit. Lorsqu’il parut à la Chambre des comptes, il appréhendait quelques désagréments, comme étant entaché par quelques corps de magistrature. On l’y reçut, au contraire, comme le restaurateur des finances. Dans le monde, on lui sut gré de l’expulsion du sieur Goster, accusé d’avoir profilé de l’inexpérience de M. d’Ormesson ; on lui sut plus de gré encore d’avoir banni des bureaux un sieur Hamelin, couvrant sa mauvaise réputation de la protection de M. Necker, qui, dans cette occasion, donnait trop de prix aux talents, et trop peu à la vertu. M. de Calonne aurait dû peut-être s’armer de sa même sévérité contre les actionnaires de la caisse d’escompte, qu’il accueillit d’abord avec sécheresse, et combla ensuite d’une bienveillance trop marquée. Il montra plus d’adresse encore dans une affaire qui concernait la Bretagne. Il s’agissait de supprimer ses États et de les transformer en simple généralité. M. de Galonné para le coup ; et dans plusieurs entretiens avec M. le comte de la Violais, président de la noblesse, il vint à bout de lui persuader que MM. de la Chalotais même n’avaient pas à se plaindre de lui (1). Il employait bien plus d’habileté encore avec les gens de la cour ; aussi, trois mois après son entrée au contrôle général, obtint-il le caractère de ministre, et prit-il place au conseil. Cette faveur lui était d’autant plus nécessaire, que le Parlement de Paris ne partageait pas l’enthousiasme qu’il avait inspiré, puisqu’il était question d’expulser l’abbé Sabbatier , uniquement parce qu’il passait pour l’explorateur de M. de Galonné. Au premier édit d’emprunt que nécessita l’état des finances, M. de Galonné observa au président que cette opération devait souffrir d’autant moins de difficultés à l’enregistrement, qu’elle n’était qu’un revirement de l’emprunt de deux cent millions tenté par M. de Fleury, et fermé à cent. M. Lefèvre d’Amécourt, grand, ambitieux et petit Intrigant, ainsi que d’autres membres de la cour parlementaire, s’y opposèrent ; et le ministre, à cette occasion, s’aperçut de la malveillance de ce corps despotique qu’on vient heureusement d’anéantir, relativement à l’administration. Indépendamment de ces ennemis puissants, il (1) Aussi, dans une chanson qu on fit sur lui distingua-t-on ce couplet : 0 Français, mes bons amis ! Trop aimables étourdis, Jadis dans votre délire, Ce Calonne qu’on admire, N’étant, ma foi, propre à rien. Eh bi> n! Eh bien! Bénissez votre destin ! Tout, jusqu’à la gente bretonne, Aime Calonne. [lre Série, T, Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] avait ausssi à, se défier des' faiseurs de projets, accrédités et soutenus par des cabales secrétes; tel était le comte de Lamerville. Malheureusement. M. de Galonné ne fut pas toujours aussi inaccessible à cette espèce de gens, bien plus dangereux pour les ministres que leurs ennemis le plus acharnés. Il était au-dessous de sa place d’envoyer le sieur Blélon dans les environs de Paris chercher avec ses yeux ce qui se passait dans les entrailles de la terre ; et quoique ce naturaliste d’une nouvelle espèce fût accompagné d’un médecin persuasif, un ministre aurait dû se ressouvenir qu’il faut se défier surtout de l’enthousiasme des gens d’esprit. Une pareille crédulité était compensée par la protection accordée à M. d’Aubenton, qui s’efforçait de démontrer la possibilité d’améliorer les laines de France, au point de suppléer aux laines étrangères dans nos manufactures de drap fin, et surtout par l’inspection des halles aux grains, aux farines, des fruits, des légumes, des boissons, des draps, des toiles, objets importants pour le commerce, qui lui a, pour toutes ces parties, de véritables obligations. Mais on ne sait par quelle fatalité, à côté d’une opération utile, se trouvait presque toujours une entreprise hasardée. Dans le même moment, il accorda aux fermiers généraux cetté inutile muraille qui entoure Paris, et ces somptueuses et. ridicules barrières destinées à en faire un des ornements. On ne soupçonnait le ministre d’aucun intérêt personnel dans cette condescendance pour la ferme générale : les épigrammes, qui ne sont rien en elles-mêmes, jettent quelquefois du jour sur l’histoire. On répétait alors ces quatre vers : Nargue d’hier, vive aujourd’hui, Fi de Necker, honneur à Galonné A droite il prend, à gauche il donne; L’honnête homme, il n’a rien pour lui ! M. de Galonné accordait une protection ouverte à M. Panchaud, homme de génie, auquel les envieux reprochaient des malheurs particuliers, et que les gens impartiaux tenaient pour un véritable homme d’État. Le ministre n’eut qu’un tort, c’est de n’avoir pas eu une confiance plus aveugle dans l’homme le moins propre à faire sa fortune personnelle, et le plus capable de faire la gloire d’un État. 11 n’y avait pas encore un an et demi qu’il remplissait le ministère des finances , que les pamphlets commencèrent. Le premier fut un arrêt du conseil d'Etat du roi en faveur du dernier emprunt. Ce n’était qu’un prétexte de dire des injures au ministre « Le roi s’étant fait représenter en son conseil, que pendant plus de quinze mois le trésor royal a été en proie à la cupidité de deux hommes , dont l’un y a di apklé plus de quatre-vingt millions, et l’autre, joueur fallacieux dans les fonds publics, trois fois banqueroutier, 151 était chargé par le premier de sa direction des finances et du jeu des fonds, etc., etc. » Ges sortes jde plaisanteries sont à peu près sûres d’un accueil favorable de la part des Parisiens, qui, par-dessus tout, aimaient à rire avant la Révolution. M. de Galonné en fut bien vengé par les États de Bretagne, qui dénoncèrent à l’Assemblée un autre ouvrage entièrement dirigé contre son administration ; et un spectacle non moins singulier et non moins incroyable, ce fut de voir M. de Garadeuc dénoncer au Parlement le môme livre. Laudentur ubi non sunt, cruciantur ubi sunt. Car à Paris on s’efforçait de prouver que dans quinze mois le déficit s’était élevé à cinquante-sept millions (1). Cette diatribe violente n’affectait pas plus le ministre que les couplets, les vaudevilles et les reproches qui se multipliaient contre la nouvelle (2) création d’offices des payeurs de rentes, surtout contre le rétablissement de la compagnie des Indes, et autres opérations jugées tout aussi détestables. Presque tous ces libelles roulaient sur la facilité du contrôleur général à prendre pour coopérateurs des gens équivoques, ou du moins dont la réputation était telle. Ce qui faisait soupçonner que ces écrits clandestins se fabriquaient chez les gens d’un certain ordre, c’est que toute la vigilance de la police, confiée alors à M. Lenoir, n’en pouvait découvrir les auteurs ; et quoiqu’il ne fût pas vindicatif, il aurait cependant trouvé le moyen de paralyser ces plumes audacieuses, ou du moins d’en adoucir le venin ; elles étaient moins animées contre lui que contre certains personnages réputés ses créatures. Une opération qui lui coûta presque sa gloire, fut la refonte des louis, et il faut avouer qu’elle est mal excutée jusque dans ses propres ouvrages. On sait quel parti ses ennemis ont tiré de cette erreur ministérielle. Les préambules de ses édits ôtaient beaucoup plus séduisants, et s’ils ne ramenaient pas ses adversaires, du moins parvenaient-ils à entretenir le crédit à un degré très-extraordinaire. Ce n’est pas dans un ouvrage tel que celui-ci qu’on peut suivre le fil de toutes les opérations de M. de Galonné. L’examen en a été fait plusieurs fois et presque toujours à son désavantage. On ne peut le justifier, ni sur la création des chargés, ni sur la protection secrète accordée à l’agiotage, ni sur les secours prodigués à ceux qui dirigeaient la place, ni sur les anticipations, ni sur les échéances, ni sur sa docilité aux volontés supérieures, ni sur le choix de ses agents, ni sur son goût outré pour le plaisir, ni sur le désordre de son travail, ni sur l’oubi volontaire du mérite� (1) Lettre de M. de Lessart à madame Necker. (2) Bulletin du contrôle générai, en date du 19 mars1785, [ire Série, T.. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m ni sur l’heureuse illusion dont il berçait son maître, ni sur l’incroyable légèreté qui présidait à ses décisions, ni sur les sacrifices qui payaient les . millions du moment; maison doit aussi observer qu’il eut en sa faveur le suffrage du sage de Ver-gennes ; qu’il a méprisé pour lui une fortune solide; qu'il a trouvé le secret de faire payer les rentes, les gages, les traitements; qu’il a fourni aux dépenses d’une des plus grandes entreprises de ce siècle ( I ); qu’il a convoqué l’assemblée des notables, si utile en ce qu’elle a du moins découvert nos malheurs et les profonds abîmes de notre situation. Si on l’envisage comme contrôleur général, il a plus dépensé que ses prédécesseurs et que ceux qui l’ont suivi; mais aussi a-t-il fait davantage, et surtout il a payé les dettes delà guerre, article qui doit entrer dans une grande compensation. Ses ennemis ne disconviendront pas un jour que l’Assemblée nationale a confirmé indirectement plusieurs de ses projets. Mais aucun homme, de quelque autorité qu’il fût revêtu, pouvait seulement concevoir tout ce qu’elle a exécuté. LE CARDINAL DE BRIENNE. Il y a deux cents ans qu’un Loménie, homme de la plus basse extraction, fit. fortune, et parvint à être secrétaire d’État, dans un temps où ces places n’avaient pas l’éclat et l’autorité dont on a vu en. possession ceux qui les ont exercées depuis M. de Louvois. Un de ses enfants épousa une fille de l’illustre maison de Brienne, et en prit le nom. Cette famille a produit trois ou quatre secrétaires d’État, dont l’un qui a vécu sous Henri IV, Louis XIII et Louis XIV , a fait imprimer des mémoires qui prouvent à quel point leur auteur était inepte et borné. Les Brienne n’étaient point au rang de ceux qu’on appelait des gens de qualité, mais n’étaient cependant pas sans considération; ils obtinrent des régiments, des évêchés, et tenaient à plusieurs grandes familles par des alliances. L’abbé de Brienne, dont il est ici question, s’affilia dans sa jeunesse aux encyclopédistes, qui furent flattés de compter parmi eux un jeune abbé et qui tenait à la cour, et qui pouvait faire un grand chemin dans l’Église. L’abbé de Boisgelin, aujourd’hui archevêque d’Aix, et Turgot, alors abbé prieur de Sorbonne, étaient liés avec l’abbé de Brienne; ils suivirent le même chemin. Mais le désir d’une réputation guidait l’abbé de Brienne, et Turgot était entraîné par la conviction de la supériorité des économistes sur ceux de l’ancien régime. Les trois amis se livrèrent également aux économistes et firent à leur suite une fortune d’esprit. L’abbé dë Brienne gagna la confiance de l’évêque d’Orléans, ministre ecclésiastique, qui voulait se distinguer de Boyer, évêque de Mirepoix, son prédécesseur. Cet homme, fait pour être tout au plus directeur d’un séminaire, n’avait songé à mettre dans les grandes places que des cafards et des gens protégés par les cabales dévotes. L’évêque d’Orléans imagina, pour s’attirer l’estime des sociétés dominantes, de proposer au roi des jeunes gens agréables aux femmes, annoncés par quelque réputation d’esprit. D’après ces idées, il fit l’abbé de Brienne évêque, ensuite archevêque de Toulouse. Dans cette place, le jeune prélat chercha à se distinguer par son application aux affaires de la province, et il acquit la réputation de prélat administrateur. 11 voulut par la suite supprimer beaucoup de maisons régulières , et fut appelé V Antimoine ; enfin, on le mit à la tête d’une commission relative à cet objet. L’archevêque songea dès lors à se frayer la route au ministère, et une circonstance singulière et favorable donna à son ambition la plus grande activité, en lui offrant la perspective du succès. L’évêque d’Orléans fut chargé par le duc de Ghoi-seul de choisir un écclési astique qui eût des mœurs et de l’instruction, pour être instituteur de Marie-Antoinette d’Autriche. L’évêque eut recours à l’archevêque de Toulouse, qui jeta les yeux sur l’abbé de Yermont, employé à la bibliothèque du collège Mazarin. Cet abbé fut" envoyé à Vienne, où il enseigna à lire et à écrire, le catéchisme et les principes de la langue française à la jeune archiduchesse. Il eut soin de se rendre agréable dans ses leçons à cette princesse, dont il gagna la confiance. Nommé son lecteur lorsqu’elle fût reine de France, il conserva auprès de cette princesse l’accès le plus intime, et il eut sur son esprit le crédit que donne, surtout auprès des princes, une ancienne habitude. Il écrivait toutes les lettres de la reine, l’instruisait de tout ce qui pouvait lui être utile de savoir, et ne manquait pas de louer le plus adroitement qu’il lui était possible son protecteur, l’archevêque de Toulouse, et de parler surtout de ses talents pour l’administration. Cet abbé de Yermont aurait pu jouer un bien plus grand rôle, s’il avait eu de l’ambition ; les Dubois, les Alberoni n’ont point eu des commencements si favorables et des occasions aussi décisives. Il se contenta de jouir de sa faveur obscurément, sans exciter l’envie, et se refusant aux empressements des courtisans, il se borna à des sociétés subalternes. Pendant quinze ans il parla sans cesse en vain de l’archevêque de Toulouse; le roi avait des préjugés qui l’empêchaient d’appeler au ministère un ecclésiastique; il s’en expliqua plusieurs fois d’une manière positive. L’archevêque de Toulouse ne perdit point courage ; rongé de dartres, menacé de phthisie , crachant le sang, il s’occupait sa (1) Le port de Cherbourg, [l'« Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] cesse et d’affaires et d’intrigues, et se mêlait de toutes les petites querelles domestiques et intérieures. Il fut plusieurs fois appelé pour délibérer sur une intrigue amoureuse, et décider si une femme garderait son amant ou en prendrait un autre. Il étaitdans toutes les confidences, et quatre ou cinq femmes du premier rang n’entreprenaient rien sans le consulter : Il faut en parlera l’archevêque de Toulouse , était leur perpétuel refrain, dans les circonstances intéressantes. II n’allait que rareipent dans son. archevêché, mais dans les séjours qu’il y faisait il s’appliquait à faire quelque chose de marquant pour Futilité publique, et cherchait plus l’éclat que la solidité. Il répandait des charités qu’il avait soin de ne pas rendre secrètes; il faisait des mandements, des circulaires aux curés de son diocèse; et quand les échos de la province avaient répété ses éloges, qu’ils avaient percé jusque dans la capitale, il y venait jouir de sa renommée. A la tenue des États de Languedoc, il se distinguait par la clarté de ses rapports; il avait le même succès à l’assemblée du clergé. Plusieurs dans ce corps avaient plus de mérite réel, d’éloquence et d’instruction; mais il avait pour lui le suffrage des sociétés dominantes, qui en imposait; ses-relations avec les ministres le mettaient à même de saisir les circonstances pour se faire valoir et se procurer de nouveaux moyens de réputation par les différentes missions dont il se faisait charger. L’archevêque crut devoir mettre le sceau à sa réputation, et il composa une oraison funèbre; mais cet ouvrage prouve qu’on peut avoir l’esprit nécessaire pour obtenir le suffrage des femmes, pour en imposer à des gens prévenus, pour traiter des affaires avec quelque facilité et de la clarté, sans avoir des talents réels. Cette oraison funèbre, médiocrement écrite, n’a aucun des mouvements de l’éloquence, et ne renferme aucune idée ingénieuse. Cela n’empêcha pas l’archevêque de Toulouse d’être admis à l’Académie française, et son discours de réception prouve également la médiocrité de ses talents et de son esprit. L’ârchevêque, sous le ministère de Turgot, jouissait du plus grand crédit: il était son ancien ami, de la même secte, partisan comme lui d’une liberté sans bornes, et ennemi des systèmes de crédit et de banque, regardés par les économistes comme les plus dangereux palliatifs. Lorsque Necker vint en place, ce ministre prit une route opposée à celle de Turgot, dont il n’imita que l’austérité; il établit un système de crédit et d’emprunt, et montra une grande incertitude sur la question de la liberté indéfinie du commerce des grains. Necker était odieux à Turgot, qui n’en parlait qu’avec le dernier mépris, et ne se servait, lorsqu’il était question de lui, que de ces mots : Ce 153 drôle-là ; ses amis, pour ménager sa sensibilité, avaient soin d’éviter d’en faire mention : la haine de cet homme vraiment vertueux venait de l’idée que Necker ôtait un imposteur qui ferait le malheur de la France. L’archevêque de Toulouse, malgré la contrariété de ses principes avec ceux de Necker, malgré les égards qu’il devait à son ami Turgot, voyant l’ascendant que prenait Necker dans le public et dans les sociétés dominantes, s’empressa de rechercher son amitié, et eut l’air de partager l’enthousiasme général ; et par cette conduite il sut toujours conserver du crédit et un accès intime auprès des ministres. 11 s’insinua aussi par la suite auprès de M. de Galonné, qui s’adressa à lui pour le choix des membres du clergé qui devaient être appelés à l’assemblée des notables. Ce ministre n’exclut que l’archevêque de Lyon, homme bien supérieur pour l’esprit et les talents à l’archevêque de Toulouse, regardé comme un intrigant, et l’évêque d’Arras, qu’il regardait comme son ennemi personnel. Tous les ministres qui se succédaient, et Necker comme les autres, avaient les égards les plus marqués pour l’archevêque, qu’on savait être, au moyen de 1 intermédiaire Vermont, en relation avec la reine. L’archevêque intrigua sourdement pendant l’assemblée des notables contre M. de Galonné, qui fut disgracié avant la fin de cette assemblée. Le roi, prévenu contre l’archevêque et contre Necker, était porté à les exclure du. ministère*; peu de jours avant, il avait écrit à M, de Galonné, pour le rassurer contre les intrigues de l’archevêque, et il avait fini sa lettre par ces mots : « Je ne veux ni N�ekraille ni prêtraille. » On voit par là que le roi était en garde contre ces deux hommes. M. de Galonné fut disgracié peu de temps après, et remplacé par un vieux conseiller d’État, usé par l’âge, et qui n’avait aucun des talents nécessaires, surtout dans un temps si critique ; c’était envoyer un cheval de fiacre disputer le prix à Newmarket. L’archevêque sentit que ce fantôme ministériel s’évanouirait bientôt, et il redoubla d’intrigues pour lui succéder : ses démarches ne tardèrent pas à être couronnées de succès. L’aversion du roi fut vaincue par les suggestions des partisans de l’archevêque, qui le présentèrent comme l’homme le plus capable de rétablir les affaires ; il fut choisi pour administrer les finances, et par une suite de l’aveugle préjugé qui faisait imaginer qu’un prêtre dans le conseil doit avoir un rang supérieur, on crut la place de contrôleur général au-dessous de l’archevêque, tandis que des ducs et pairs avaient, exercé la place de secrétaire d’Etat. Il fut créé président du conseil des finances, et on lui subordonna le contrôleur général, dont la nomination lui fut abandonnée. Dès lors l’archevêque parut destiné à occuper [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m Ja place des Mazarin, des Richelieu ; et la reine, peu de jpurs après, s’expliqua de manière à ne laisser aucun doute à cet égard : fl ne faut pas s’y tromper , dit-elle, c’est un premier ministre. Il ne tarda pas d’être principal ministre, qui est le titre donné à Mazarin et à Richelieu dans leurs patentes. La reine avait eu raison de penser que les circonslances»rendaient un premier ministre nécessaire, et la prévention publique détermina la sienne en faveur de l’archevêque. Il montra dans peu son incapacité et la plus profonde ignorance dans les matières de finances, qu’il passait pour avoir approfondies II paraît que les principes des économistes formaient toute son instruction ; c’était, et voilà tout, un disciple des Baudeau, des Roubeau, etc,, sans génie et sans caractère. Une vague théorie était un faible secours pour conduire les affaires dans le moment le plus orageux ; il n’avait aucune idée du crédit et des combinaisons depuis longtemps adoptées pour procurer des ressources, en attendant qu’on pût employer des moyens curatifs. On aura peine à croire, et pourtant c’est vrai, qu’il ne connaissait pas la différence des billets et des actions de la caisse d’escompte, dont il ne put jamais concevoir l’organisation ni le jeu. Peu de ministres ont montré autant d’impéritie jointe à autant de présomption. Il passait une partie de la matinée à écrire des billets à des femmes, et le mauvais état de sa santé ajoutait à son incapacité. Ses projets échouèrent ; il fut réduit, après avoir fait un magnifique exposé des ressources de l’État, à annoncer, trois mois après, qu’on payerait au trésor royal un cinquième en papier; c’était une espèce de banqueroute : l’alarme des capitalistes et de tous ceux qui avaient des bienfaits du roi fut extrême. Cet événement eut lieu le 16 août, et cette époque est remarquable. Le peuple de Paris, par un usage immémorial, se rend à Versailles la veille de la Saint-Louis, qui est le 25 août, pour voir le roi; les appartements, les jardins, tout lui est ouvert, et il circule en foule dans la galerie, la chapelle et les divers appartements. Cette circonstance et des avis reçus de la police de Paris furent mis à profit pour éloigner un homme qui perdait l’État par son ignorance et des coups d’autorité imprudents et mal concertés. On représenta au roi que la fermentation était extrême à Paris, et pouvait dégénérer en fureur ; que le peuple devait venir le 24 à Versailles, et qu’il y avait lieu de tout craindre du désespoir de gens qui perdaient leur fortune ; enfin, il fut articulé que les jours du roi étaient en danger, et qu’il n’y avait qu’un moyen de rétablir le calme, qui était de renvoyer l’archevêque. Le roi se rendit avec peine à ces représentations dictées par le zèle; la reine montra la plus ferme résolution dé conserver un ministre qu’elle croyait encore pouvoir être utile ; mais en réfléchissant qu’elle répondait en quelque sorte des jours du roi si elle persistait à soutenir l’archevêque, elle sentit la nécessité d’en faire le sacrifice. L’archevêque, qui ne voulait pas que sa retraite eût l’air d’une disgrâce, demanda le chapeau de cardinal et divers bienfaits pour sa famille. La reine, affligée de la retraite de son protégé, à laquelle elle s’était prêtée avec tant de peine, accueillit avec bonté ses propositions, et le roi confirma tout ce qui lui avait été accordé par la reine. 11 fut décidé que, pour satisfaire le public, on rappelerait M. Necker. ' Un politique devait dès lors pronostiquer les plus grands malheurs pour l’État, puisque la volonté souveraine cédait aux clameurs et aux désirs d’une cabale pour mettre en place son idole. Il était évident que l’autorité souveraine était ébranlée, et le gouvernement sans force et sans vues. L’archevêque de Toulouse, dans le trouble où l’avait jeté la triste nouvelle que lui avait annoncée la reine, avait cru qu’il n’était privé que de l’administration des finances, et que M. Necker travaillerait avec lui ; on eut de la peine à le tirer de son erreur et à lui faire entendre qu’il fallait renoncer entièrement à sa place. M. Necker s’était expliqué et avait dit que, dans un autre temps, il n’aurait fait aucune difficulté de travailler avec l’archevêque ; mais que depuis la sensation que ses opérations avaient faite, il ne pouvait avoir de relation ministérielle avec lui. Enfin, il représenta qu’il importait au crédit public que ce ministre ne conservât aucune influence. C’est ainsi que l’archevêque de Toulouse, monté au rang des Mazarin et des Richelieu par l’intrigue de quelques femmes, en descendit honteusement, après avoir montré son incapacité, l’indécision de son caractère en affaires, et l’insuffisance de ses moyens. M. Necker, par son Compte rendu, et depuis par son ouvrage sur les finances, avait commencé d’enflammer les têtes, et l’archevêque irrita les esprits. L’exil du Parlement fut le premier brandon jeté sur des matières combustibles ; le peuple commença alors à se livrer à des mouvements séditieux; l’archevêque, à son départ de Versailles, fut insulté par des femmes du peuple. La cherté du pain vint dans peu augmenter les embarras du Gouvernement, et excita le mécon-, tentement du peuple; il se souleva dans plusieurs provinces, et 3es alarmes le disposèrent à adopter tous les changements qu’on lui présenta comme favorables à ses intérêts. L’archevêque, par ses intrigues, rendit rassemblée des notables infructueuse, et il ne fut pas moins fatal à la France pendant son ministère, par la perte d’un temps précieux, que par le plus malhabile choix des moyens de remédier au désordre des finances. 155 [ire Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] État des finanees sons le dernier règne. L’état des finances du royaume avait été continuellement un objet de mystère. Les particuliers n’avaient à cet égard que des notions imparfaites, et il ne pouvait être publié quelque aperçu complet sur cette matière que par le ministre qui en avait l’administration. M. Necker remplit le premier cette tâche; et quels que soient les motifs auxquels ôn se soit plu à attribuer la publicité de son Compte rendu , il n’en est pas moins vrai de dire que c’est un des ouvrages qui ont le plus contribué à préparer les esprits pour la révolution, en appelant tous les citoyens à la discussion des objets d’administration, à la connaissance des abus. Nous ne croyons pouvoir mieux rappeler quel était à cette époque le désordre des finances publiques, qu’en plaçant ici un extrait de cet ouvrage qui fait connaître non-seulement les vices qui existaient dans cette branche d’administration, mais les obstacles que le système politique d’alors, les préjugés et privilèges de toute espèce, apportaient à toute réforme utile. Extrait du Compte rendu au roi , par M. Necker , directeur général des finances , au mois de janvier 1781, et imprimé par ordre du roi. Sire, ayant dévoué tout mon temps et toutes mes forces au service de Votre Majesté, depuis qu’elle m’a appelé à la place que j’occupe, il est sans doute précieux pour moi d’avoir un compte public à lui rendre du succès de mes travaux et de l’état actuel de ses finances. En France, on a fait constamment un mystère de l’état des finances, ou si quelquefois on en a parlé, c’est dans des préambules d’édits, et toujours au moment où l’on voulait emprunter; mais ces paroles, trop souvent les mêmes pour être toujours vraies, ont dû nécessairement perdre de leur autorité, et les hommes d’expérience n’y croient plus, que sous la caution, pour ainsi dire, du caractère moral du ministre des finances. Il est important de fonder la confiance sur des bases plus solides. Je conviens que, dans quelques circonstances, on a pu profiter du voile répandu sur la situation des finances pour obtenir , au milieu du désordre, un crédit médiocre qui n’était pas mérité ; mais cet avantage passager, en entretenant une illusion trompeuse, et en favorisant l’indifférence de l’administration, n’a pas tardé d’être suivi par des opérations malheureuses, dont l’impression dure encore, et sera longue à guérir. Ce n’est donc qu’au premier moment où un grand État se dérange, que la lumière répandue sur la situation des finances devient embarrassante; mais si cette publicité même eût prévenu le désordre, quel service n’eût-ejle pas rendu! PREMIÈRE PARTIE. — État des finances. Lorsque Votre Majesté m’a confié l’administration des finances, j’ai dû commencer par approfondir avec soin l’état des revenus et des dépenses ordinaires, et cette connaissance exacte a exigé de moi un travail très-considérable. Mon successeur aura moins de peine, parce que j’ai formé ce qui n’existait point, c’est-à-dire des tableaux complets et appuyés des éléments nécessaires pour connaître facilement tous les détails de la situation des finances. Le dernier état, mis sous les yeux de Votre Majesté par M. de Glugny, annonçait un déficit de vingt-quatre millions de la recette à la dépense ordinaire.. Cet état me parut susceptible de plusieurs observations, que je mis dans le temps sous les yeux de Votre Majesté ; mais je crois inutile d’entrer de nouveau dans cette discussion, et je réserverai les détails pour développer, comme je le ferai bientôt, la situation présente de vos finances. Il suffit d’apercevoir qu’une différence importante entre les dépenses et les revenus annuels entraîne bientôt après elle les plus grands inconvénients, puisqu’on ne peut y suppléer que par des emprunts, ou par des opérations extraordinaires, et que l’intérêt de ces opérations accroît le mal chaque jour. Je vis cependant au premier coup d’œil qu’il ne serait pas difficile de balancer ce déficit entre la dépense et la recette ordinaire; et même déjà je découvrais, avec satisfaction, des moyens successifs pour assurer un superflu, source de tous les biens que Votre Majesté désirait de répandre sur ses peuples. Mais je ne pus me livrer longtemps à ces heureuses espérances, puisque j’appris bientôt que la situation politique obligeait Votre Majesté de faire des plus grands efforts pour se former une marine respectable ; en sorte que dès le commencement de 1777 et la fin de 1776, il fallut s’appliquer à chercher des ressources extraordinaires, tant pour remplir ce grand dessein, que pour préparer des armements considérables dans vos ports. Aussi l’année 1777 fut-elle déjà pour le Trésor royal une année de guerre. Je vis ainsi se développer successivement la nécessité urgente, non-seulement de mettre parfaitement au niveau vos revenus et vos dépenses ordinaires, mais encore de procurer à Votre Majesté un excédant de revenu, afin d’asseoir ainsi sur un fonds libre l’intérêt des emprunts que le besoin de la guerre rendait indispensables. Indépendamment de cette tâche pénible à remplir, il fallait encore trouver des capitaux par la confiance des prêteurs, et y réussir malgré le délabrement du crédit attaqué et presque détruit par tous les retranchements de capitaux et d’in- [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 156 térêts, et par tous les retards de payements qu’on avait éprouvés pendant la paix. Après avoir aperçu le double but que je devais me proposer, je vis bientôt que la même marche et les mêmes principes m’aideraient à l’atteindre; en conséquence, je me suis mis, pour ainsi dire , à la poursuite de tous les abus et de tous les gains utiles; j’ai porté l’économie sur les grandes affaires et sur tous les détails ; j’ai secondé les heureuses dispositions de Votre Majesté à apporter de la modération dans la dispensation des grâces; et enfin je me suis attaché à fonder cet ordre exact et positif, qui, en répandant la lumière, découvre à chaque instant la situation des affaires et ce qu’elles exigent. 11 n’est personne qui puisse mettre en doute que ces réformes et ces améliorations ne fussent les premières ressources qu’il fallait chercher, et je crois fermement que ce n’est qu’après les avoir épuisées qu’il put être permis à un serviteur fidèle de proposer à Votre Majesté de recourir à de nouvelles impositions. Quoi qu’il en soit, cette marche que je viens de tracer présentait différents obstacles ; la conception en était simple, mais l’exécution difficile, car il fallait procéder à de grands changements, sans affecter l’opinion, etn’être point effrayé par cette multitude de réclamations dictées tantôt par l’intérêt personnel, et tantôt de meilleure foi par l’attachement à de vieux usages. Je vis d’abord que l’ancien état ordinaire des finances était composé d’une très-grande somme de dépenses, qui n’étaient point fixes, mais qu’une facilité journalière, des faveurs et des largesses, ou des fêtes dispendieuses répétaient annuellement. L’ordre mis à cet égard est en grande partie l’ouvrage de Votre Majesté; ses goûts et sa raison solide ont extrêmement limité ce genre de dépenses, et plusieurs sont entièrement retranchées. Elle m’a pareillement soutenu dans la résistance que j’ai apportée à toutes ces demandes multipliées de gratifications , d’indemnités , d’échanges, de concessions, et tant d’autres manières d’être à charge au trésor royal , qu’une longue facilité avait introduites, et qui, dans l’espace de trois cent soixante-cinq jours dont est composée l’année, forment par leur renouvellement habituel une charge annuelle subsistante , qu’on mettait avec raison dans la classe des dépenses ordinaires. J’ai ensuite examiné toutes les parties de perceptions divisées entre un grand nombre de receveurs ou de compagnies , et que le besoin de fonds d’avance avait successivement introduits, non-seulement au détriment des revenus du roi, mais encore au grand sacrifice des meilleures règles d’administration. De cet examen et de ce plan de conduite sont nées toutes les réformes successives et toutes les réductions que j’ai proposées à Votre Majesté et dans le nombre des agents, et dans la diminution des profits. Ces opérations diverses et multipliées ont été ordonnées, les unes par des déclarations ou par des arrêts du conseil de Votre Majesté, les autres par de simples décisions. Je ne m’arrêterai point sur celles qui n’ont eu pour but que des économies , mais je rappellerai dans le cours de ce mémoire les institutions principales, et dont l’utilité est liée aux principes d’une sage administration. Je me hâte dans ce moment d’annoncer à Votre Majesté que , tant par l’effet de mes soins et des diverses réformes qu’elle a permises, que par l’amélioration de ses revenus ,..ou par leur augmentation naturelle, et enfin par l’extinction de quelques rentes et de quelques remboursements , l’état actuel de ses finances est tel que, malgré le déficit en 1776, malgré les dépenses immenses de la guerre,: et malgré les intérêts des emprunts faits pour y subvenir , les revenus ordinaires de Votre Majesté excèdent dans ce moment ses dépenses ordinaires de six millions deux cent mille livres. Plus un tel résultat peut surprendre, plus il est important de le justifier et d’en rendre les éléments sensibles ; et c’est ce que j’ai tâché de faire par le tableau que je présente à Votre Ma-r jesté, et par les pièces justificatives qui ÿ sont jointes. Il y a deux manières de rendre compte des finances : L’une, qui semblerait préférable au premier coup d’œil, consisterait à exposer l’universalité des revenus ordinaires et l’universalité des dépenses pareillement ordinaires, c’est-à-dire telles qu’elles seraient sans la guerre; mais un pareil état serait aisément susceptible d’erreurs , et la vérification de tous les articles dont il serait composé présenterait de grands embarras. En effe;, un tel compte devrait réunir sous une seule dénomination les objets de même nature ; mais comme le payement en est réparti entre les diverses trésoreries, tant à Paris que dans les provinces, personne ne pourrait juger de l’exactitude des calculs , ou du moins on ne pourrait y parvenir qu’à l’aide d’un très-grand travail. J’ai donc pensé qu’il fallait adopter une forme plus simple et plus évidente, en ne composant le chapitre des revenus que des versements qui sont faits au Trésor royal par les différentes caisses , déduction faite des charges qu’elles sont tenues d’acquitter, et en ne portant pareillement dans la colonne des dépenses que les parties qui sont payées par ce même Trésor royal. Par exemple, les vingtièmes, la taille et capitation, impositions que les receveurs généraux perçoivent, se montent à environ 149 millions ; mais par des états approuvés annuellement au conseil de Votre Majesté, les charges assignées sur [ire Série, T. !«*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] cette recette s’élèvent à environ 29 millions ; il est donc simple de ne porter en revenu net, disponible, que l’excédant à verser à votre trésor royal par les receveurs généraux. Ce que je dis des revenus des recettes générales s’applique également au bail de la ferme générale, aux domaines, aux postes, aux pays d’États, etc. Chacune de ces parties importantes consiste aussi dans un produit connu sur lequel des charges annuelles sont assignées, et le surplus est versé au trésor royal. Quant aux dépenses payées par le trésor royal, comme elles sont principalement composées des sommes fixes destinées aux divers départements ou d’autres objets faciles à vérifier, cetteseconde partie sera pareillement à l’abri d’objection ou d’obscurité. Le compte de vos finances, Sire, rendu dans cette forme, ne présente au trésor royal qu’une recette de deux cent soixante-quatre millions, et vos revenus passent quatre cent trente millions ; mais le surplus est consommé, soit par des charges assignées sur les recettes générales, soit par les rentes sur l’Hôtel-de-Ville et autres objets hypothéqués sur les fermes, soit par des dépenses dont le payement est indiqué sur le domaine, sur le produit des régies, sur les impositions des pays d’États, etc. J’ajouterai qu’une telle manière de rendre compte des finances se rapproche beaucoup de la forme adoptée en Angleterre : on y laisse à l’écart toute la partie des revenus qui est appliquée à de certaines dépenses, et l’on ne présente que la partie de ces mêmes revenus destinée à ces dépenses susceptibles de variation. Il me reste à demander à Votre Majesté qu’elle veuille bien m’autoriser à communiquer à quelques personnes de ses conseils , réunies chez M. le garde des sceaux ou chez M. le comte de Maurepas, tous les détails qui appuient l’exactitude du compte que je mets sous ses yeux, non que je doute un instant de la confiance de Votre Majesté, et que je sois également certain de la mériter, mais parce qu’il importe essentiellement au but que Votre Majesté se propose dans la publicité de ce compte, qu’il soit examiné attentivement. Indépendamment de plusieurs remarques particulières qui sont jointes au compte des finances de Votre Majesté, il en est une essentielle à lui présenter] c’est qu’on a compris dans les dépenses ordinaires dix-sept millions trois cent mille livres de remboursements; cependant ce qu’on applique à des remboursements doit, avec raison, être envisagé comme un superflu, puisque c’est un excédant du revenu ordinaire sur la dépense ordinaire, lequel est employé au profit du souverain pour éteindre des capitaux à sa charge ; ainsi en joignant ces dix-sept millions 157 trois cent mille livres de remboursements aux deux millions vingt mille livres d’excédant qui résultent du compte des finances de Votre Majesté, on peut avancer avec fondemen t que ses revenus ordinaires surpassent dans ce moment-ci l’état de ses dépenses ordinaires de vingt-sept millions cinq cent mille livres. Il est encore à observer que chaque année les charges de Votre Majesté diminuent par l’extinction des rentes viagères, lesquelles se montent à cinquante millions, et sont portées en entier en déduction des revenus de vos fermes générales. Il y a plus de vingt millions de pensions, passés parmi les dépenses perpétuelles. Enfin, Votre Majesté n’est pas encore au bout des économies et des améliorations de divers genres qu’elle peut se proposer ; et il en est déjà plusieurs de préparées dans mon département, que je mettrai successivement sous les yeux de Votre Majesté. Je ne risque rien d’assurer Votre Majesté qu’il n’est certainement aucun souverain de l’Europe qui peut présenter une pareille proportion entre ses revenus et ses dépenses ordinaires, et il s’eu faut bien surtout que sous ce rapport l’état des finances de l’Angleterre pût soutenir la comparaison. Elle a bien soin d’établir de nouveaux droits pour balancer les intérêts des nouveaux emprunts; mais on aperçoit depuis quelque temps que le déficit de ces impôts, c’est-à-dire, de ce qu’ils produisent de moins qu’on n’avait arbitré, est compris dans les besoins extraordinaires de l’année suivante; et c e déficit, caché ou confondu dans ce qu’ori appelle improprement aujourd’hui le fonds d'amortissement , est balancé par des emprunts, en sorte que le gage des créanciers est véritablement imparfait. Sur le crédit public. Il semblerait, au premier coup d’œil, que le tableau consolant que je viens de mettre sous les yeux de Votre Majesté suffirait pour écarter toute idée d’embarras, et pour se livrer à la plus parfaite tranquillité ; mais telle est l’importance de la nécessité du crédit dans les temps extraordinaires, que si le crédit n’existait pas, que s’il était circonscrit dans de trop justes bornes, les difficultés s’élèveraient de toutes parts, et la confusion pourrait naître à côté du meilleur état des finances. En effet, on voit bien qu’une exacte balance entre les revenus et les dépenses est tout ce qu’il faut à un royaume qui jouit du bonheur de la paix ; il n’esl point obligé de recourir à des emprunts, puisque ses revenus suffisent à ses besoins, et la confiance publique pourrait, en quelque manière, lui être indifférente ; mais la guerre contraignant à chercher des secours extraordinaires, il faut trouver des capitaux pour y suf- fl*» Séné, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 158 fire ; et comme les circonstances sont impérieuses, si le crédit manque, les embarras naissent ; une première opération forcée en entraîne d’autres, les besoins du moment luttent contre la justice du souverain, l’administration se trouble, et les effets du discrédit peuvent quelquefois ressembler momentanément au désordre et à la subversion entière des finances. Mais si le maintien du crédit est intéressant pour les créanciers de l’État, s’il importe à la puissance du souverain, il est également précieux aux contribuables, puisque c’est par le crédit qu’ils sont préservés de ces tributs au-dessus de leurs forces, que la nécessité commanderait, peut-être et malheureusement au milieu des circonstances où les peuples ont le plus besoin de ménagement, puisque déjà la guerre elle-même est une sorte d’impôt, parla stagnation du commerce et le ralentissement du débit des productions na. tionales. Sans douté, le royaume de Votre Majesté est de tous ceux de l’Europe celui qui réunit le plus de faculté pour subvenir à ces impôts extraordinaires et passagers ; malgré cette supériorité, ce n’est là qu-’une faible ressource à côté de celles que peuvent présenter le crédit et la confiance, quand ces moyens subsistent dans leur vigueur. J’observerai même que lorsque l’état des finances est un objet d’obscurité profonde, et qu’il faut pourvoir à cent cinquante millions de dépenses extraordinaires, ce n’est pas, je crois, une chose bien vue que d’établir vingt ou trente millions d’impôts de'la nature de ceux qui, finissant avec la guerre, ne sont pas applicables aux gages des emprunts ; car ces levées passagères ne balancent pas le tort qu’elles font au crédit ; le public, faute de connaissance sur ta situation des affaires, envisage alors ces impôts comme un signal de détresse ; et au contraire, tant qu’on n’a pas. recours à cette ressource, et qu’elle fait, pour ainsi dire, un corps de réserve, la mesure en est inconnue, on l’exagère en idée, et les esprits sont moins agités : et c’est ainsi que le mystère et l’obscurité sur l’état des finances obligent le Gouvernement à ménager sans cesse l’imagination, et à mettre une partie de sa force dans les apparences ; au lieu que la clarté et la franchise n’ont besoin que de parler à la raison, et donnent à là confiance un soutien plus fidèle et plus assuré. C’est pour avoir suivi constamment de pareilles maximes que l’Angleterre trouve encore à présent jusqu’à trois cents millions dans une année, et qu’elle déploie une somme d’efforts et de puissance qui n’est dans aucune proportion avec ses richesses numéraires et sa population. Jamais donc on n’a pu connaître d’une manière plus frappante qu’aujourd’bui de quelle importance est le crédit public ; l’introduction de ce moyen de force n’est pas très-ancienne ; il eût été à désirer peut-être pour le bien de l’humanité qu’on ne l’eût jamais connu. C’est ainsi qu’on a pu rassembler dans un instant les efforts de plusieurs générations, et c’est ainsi qu’en accumulant les dépenses on a porté les armées aux extrémités du monde, et qu’on a su joindre la dévastation rapide des climats brûlants à tous les maux anciens et multipliés de la guerre. Quoiqu’il en soit, ce nouveau genre de rivalité, ce nouveau moyen de domination une fois introduit, il importe à la puissance du souverain de l’obtenir et de le ménager, ainsi qu’il est obligé d’entretenir de grandes armées disciplinées, quand les voisins qui l’entourent déploient pareillement leurs forces militaires. Ayant donc senti toute l’importance du crédit en France, il était du devoir de ma place d’y donner la plus grande attention. Je n’ai pu méconnaître qu’on avait fait depuis la dernière paix tout ce qu’il fallait pour détruire la confiance tandis que dans ce long espace de tranquillité, il eût été si facile de faire oublier les opérations fâcheuses de la dernière guerre, et d’établir un ordre et une régularité dans les finances,, qui eussent ménagé à Votre Majesté des moyens de puissance extraordinaire; mais ce temps favorable a été perdu, et les dépenses ayant constamment excédé le montant des revenus, il a fallu y suppléer par des emprunts et des circulations immodérées dont le poids a fini par entraîner toutes les suspensions de payements et toutes les réductions d’intérêts arrivées en 1771 ; aussi le crédit s’en était tellement ressenti, que, lorsque je suis entré en place, les capitalistes pouvaient placer leur argent à un intérêt de 6 et 2/3 p..0/0 en rentes perpétuelles, vu que les contrats surl’Hôtel-de-Ville, portant 4 p.0/0 d’intérêt, ne valaient que 60 : et c’est à cette même époque que la guerre ou ses préparatifs ont commencé. Quelle différence entre cet état de crédit et le prix des fonds publics au commencement de la précédente guerre ! L’on avait peine alors à trouver des placements à 4 p. 0/0 ; et les contrats sur les postes, qui ne portaient que 3 p. 0/0 d’intérêt, étaient montés jusqu’à 80 : cependant en 1759, trois ans seulement après la guerre, le payement des rescriptions fut suspendu, celui des gages fut arrêté, et l’on excita les particuliers à porter leur vaisselle pour la convertir en espèces. Je crois donc pouvoir présenter à Votre Majesté comme un mérite ou comme un bonheur, qu’après être parti d’une position bien différente de celle de 1756, et après quatre ans de guerre ou de préparatifs/le crédit n’ait souffert aucune atteinte, quoique Votre Majesté en ait fait un usage très-étendu ; on pourrait même dire avec vérité, qu’au contraire, ce crédit a pris des forces, et l’on en peut juger d’une manière sensible par le prix des fonds [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] publics : Ton voit qu’au mois de septembre 1776, et sur de simples bruits politiques, les anciennes-rescriptions baissèrent momentanément jusqu’à 23 p. 0/0 de perte, et les actions des Indes jusqu’à 1 ,600 et dans ce moment-ci, les unes ne perdent que sept et demi pourcent, et les autres sont à 1,940. On peut encore observer que tous les emprunts faits au milieu de cette guerre, l’ont été à un prix beaucoup plus favorable qu’on ne l’avait jamais entrepris pendant la paix. La loterie ouverte il y a deux ans, était calculée sur le pied de 5 p. 0/0 d’intérêt ; et tandis qu’en 1771, au sein de la paix, on a négocié des rentes viagères qui ont coûté 11, 12 et 13 p. 0/0 d’intérêt sur une tête, Votre Majesté n’a encore emprunté qu’à 9, et à un intérêt proportionné sur plusieurs têtes. Mais je crois, Sire, que les circonstances exigent de votre sagesse que les conditions du prochain emprunt soient plus favorables au prêteurs. D’un autre côté, j’ai réduit beaucoup le prix des anticipations, ainsi que je l’expliquerai dans un article particulier. Enfin, Votre Majesté vient de faire un emprunt remboursable en neuf années, qui revient à 6 p. 0/0, et qui a été rempli facilement, tandis qu’en 1757, un an après la guerre, on en fit un du même genre, beaucoup plus avantageux aux capitalistes, et qui ne fut jamais complet. Ce tableau n’est dû qu’à l’ordre que Votre Majesté a mis dans ses affaires; car si le choix heureux des moments, la mesure des emprunts, leur forme plus ou moins piquante, sont des circonstances essentielles au succès qu’on se propose, on ne peut cependant se dissimuler que, dans tout ce qui tient au crédit et à la confiance, le génie de l’administration ne consiste principalement dans la sagesse, l’ordre et la bonne foi. Mais peut-être encore est-ce un mérite que de sentir fortement l’effet des vérités simples, et de ne jamais les sacrifier à l’attrait des idées ingénieuses et à la vanité des nouveaux systèmes. Ainsi donc économiser, réformer les abus, perfectionner les revenus, et assurer de cette manière le gage des emprunts, sans violences et sans nouvelles charges pour les peuples , voilà ce qui fait à la fois la sûreté des prêteurs et leur confiance : et Votre Majesté ayant adopté ce plan d’administration au milieu do la guerre, tandis qu’on avait fait tout le contraire pendant la paix, elle a dû jouir, dans les circonstances les plus difficiles, des avantages d’opinion dus à cette même conduite. Anticipations. Les anticipations sont une disposition des revenus de Votre Majesté, faite à l’avance par la négociation des rescriptions ou d’asssignations à un terme plus ou. moins long. Les personnes qui ne veulent placer leur argent que pour un temps re-159 cherchent ces sortes d’effets; ainsi même, en temps de paix, il y aurait de l’inconvénient à supprimer entièrement ce genre d’emploi, parce qu’on écarterait peut-être de �circulation beaucoup de fonds qu’il est utile d’y entretenir ; mais en même temps on ne peut se dissimuler que c’est une manière d’emprunter dont il est facile et dangereux d’abuser. On est porté à l’étendre, parce qu’elle n’exige aucune formalité, et qu’on peut l’employer obscurément. Le soulagement d’un embarras présent décide ; on espère qu’à l’échéance des assignations qu’on délivre, on en négociera d’autres en remplacement ; une circulation trop considérable s’engage, et le soutien de cette circulation dépend absolument de l’opinion-, le ministre des finances, qui en conçoit le péril, est obligé de vivre dans une inquiétude continuelle. C’est du milieu de pareilles circonstances qu’est né l’ancien pouvoir d’un banquier de la cour; choisi pour intermédiaire de ces négociations, une première condition qu’il prescrivait, c’était d’être seul à les diriger, et cette première loi subie, il pouvait dicter toutes celles qu’il lui plaisait, car il tenait dès lors la vie morale d’un contrôleur général entre ses mains. En effet, si chaque mois, c’est de la continuation de sa confiance ou de sa bonne volonté que dépend le renouvellement des anticipations, la crainte d’un éclat dont il menace sans cesse le ministre des finances, permet au banquier de la cour de lui commander en maître. Il est deux manières de parer aux inconvénients que je viens de développer : l’une est de borner les anticipations à une somme assez modérée pour qu’un contrôleur général puisse voir avec indifférence les ralentissements passagers qui surviennent quelquefois dans la confiance; et alors ce service peut être fait simplement par le trésor royal ; mais quand les circonstances obligent d’étendre davantage ce genre d’emprunt, alors il faut employer trois ou quatre intermédiaires, afin d’éviter la domination d’un seul ; mais il faut choisir les personnes de la finance les plus distinguées par leur réputation et leurs capitaux. C’est le système que j’ai suivi, et jusqu’à présent l’expérience semble avoir justifié ma théorie ; car quoique les besoins de la guerre m’aient engagé d’entretenir une somme d’anticipations supérieure à celle que je m’étais d’abord proposée, cependant n’ayant jamais voulu passer de certaines bornes, et ayant toujours tenu le trésor royal dans l’aisance, je suis venu à bout de faire, rechercher ses services, et j’ai pu en fixer les conditions de manière que ces emprunts ne reviennent à Votre Majesté qu’à 6 p. 0/0 par an, en y comprenant tous les frais ; c’est un prix bien différent de celui des temps passés, et je suis persuadé que je l’aurais maintenu à 5 1/2, comme j’y avais réussi pendant longtemps, si l’abus qu’on avait [ire «Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 160 fait des billets des trésoriers n’avait pas donné une atteinte au taux de l’intérêt, à laquelle je n’ai pu remédier entièrement. Caisse d'escompte. On a beaucoup parlé de la caisse d’esGompte; tantôt on l’a regardée comme une des principales sources de l’administration des finances, tantôt on a cherché à inspirer des craintes .sur ses opérations; mais la plus légère connaissance de cet établissement eût suffi pour faire sentir à quel point on se méprenait dans ces diverses conjectures. La caisse d’escompte est formée d’un fonds effectif de douze millions, fourni par les actionnaires, et ce fonds est employé par leurs représentants à escompter, sur le pied de 4 p. 0/0 par an, des lettres de change à deux ou trois mois de terme. Un pareil intérêt, dont il faut déduire beaucoup de frais et quelquefois des pertes, n’aurait pu suffire à des capitalistes; mais ils ont espéré, d’après l’exemple d’une ancienne caisse d’escompte, établie à la compagnie des Indes, que par simple commodité, l’on prendrait souvent des billets de leur caisse au lieu d’argent, pourvu qu’on fût certain d’en recevoir le payement au moment où on l’exigerait; et comme les principaux banquiers de Paris et quelques financiers sont à la tête de cet établissement, ils ont pu donner à ces mêmes billets un peu plus d’étendue, en convenant entre eux de les admettre sans difficulté dans les payements respectifs qu’ils auraient à se faire; et à leur imitation, il s’est introduit volontairement dans la circulation jusqu’à la concurrence à peu près de douze millions de billets de caisse. Cette somme, jointe aux douze millions de fonds effectif fournis par les actionnaires, a doublé le capital applicable à des escomptes, et les produits répartis entre les actionnaires leur ont procuré un intérêt d’environ 6 p. 0/0 par an sur le premier fonds capital qu’ils ont fourni. Voilà donc en quoi consiste le bénéfice des actionnaires, et ce bénéfice doit varier selon que les comptes se suivent rapidement, qu’on évite des pertes, ou qu’il y a plus ou moins de billets de caisse en circulation. Quant au Gouvernement, il doit voir avec plaisir que l’intérêt des lettres de change ait pu se maintenir à 4 p. 0/0 en pleine guerre, puisque c’est un avantage pour le commerce et une facilité déplus pour contenir l’intérêt des papiers de finance sur un pied modéré. Enfin, si l’on ne peut disconvenir que l’argent que l’on promène tous les jours dans les rues de Paris, de caisse en caisse, ne soit un fonds absolument mort et stérile, c’est le tirer d’inaction que de suppléer en partie à ces virements journaliers par des billets de caisse , et sous ce point de vue, c’est encore un service rendu à la circulation. Cependant personne n’alieudese plaindre, puisque ces billets ne sont donnés qu’à ceux qui les préfèrent, et qu’à chaque instant on peut en recevoir la valeur en argent ; car le capital qu’ils représentent est toujours en caisse en espèces, ou en lettres de change à court , terme, qu’on peut réaliser facilement; et il va toujours au-delà de ce travail, celui de douze millions fournis par les actionnaires, et la partie des bénéfices qu’ils laissent en masse. La caisse d’escompte n’a jamais fait d’avance au Gouvernement ; au contraire, comme le trésor royal a constamment un fonds de caisse, votre Majesté a permis souvent qu’on employât quelques millions, en billets ou reconnaissances de la caisse d’escompte, payables à volonté, afin de mettre en circulation une partie du fonds mort du trésor royal. On voit ainsi que cette caisse n’a été d’aucune utilité directe au trésor royal, et que l’intérêt du Gouvernement au succès de cet établissement n’a d’autre motif que le bien du commerce, la modération de l’intérêt de l’argent et la plus grande activité de la circulation. Mais si c’est une exagération que de voir dans la caisse d’escompte d’autres avantages, on se trompe plus fortement encore dans les craintes qu’on voudrait répandre, sous prétexte qu’on pourrait abuser des billets de cette caisse, et contraindre un jour à les recevoir en payement. Il est aisé d’apercevoir que si Votre Majesté adoptait jamais un système aussi dangereux et aussi funeste pour la France et pour son crédit, que celui d’une création de papier monnaie, ce n’est pas l’existence actuelle des billets de caisse qui favoriserait une pareille idée ; au contraire, l’utilité qu’on peut tirer d’une caisse d'escompte contenue dans de justes bornes, ne serait qu’un avantage de plus à sacrifier entre tant d’autres à la fausse conception des billets - monnaies; et ce n’est pas certainement la simple ressem-.blance de deux morceaux de papier qui peut faire disparaître, aux yeux des hommes sensés, la différence énorme qui existe entre un papier de caisse qu’on reçoit librement, et qui représente un dépôt réel, et un billet purement fictif que l’on est forcé de recevoir en place d’argent. Mais l’opinion de Votre Majesté sur cette matière, et sa parfaite justice, bien plus encore que les raisonnements, doivent rassurer sur la crainte de voir jamais se reproduire un nouveau système de papier-monnaie, dont une fatale expérience a suffisamment désabusé. SECONDE PARTIE. Ce que j’ai dit jusqu’à présent n’intéresse que l’état des finances, le trésor royal et le crédit public. Je n’entrerai pas dans le détail des réformes [ire Série, T. I«-J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introdaction.[ et des économies qui ne sont importantes que parleur résultat; mais je dois à Votre Majesté un compte particulier des opérations qui, en même temps qu’elles ont augmenté les revenus de Votre Majesté, sont encore liées aux principes d’une sage administration : déjà, sous ce point de vue, l’ordre et l’économie en général présentent des avantages indépendants de l’accroissement des revenus de Votre Majesté; car, dans une grande administration, on ne saurait croire à quel point l’établissement de pareils principes lutte contre le vice et favorise la morale, parce que c’est la facilité des abus qui les excite, et c’est le défaut de proportion entre les travaux et les récompenses qui décourage le mérite et multiplie les prétentions des hommes médiocres. On ne peut se dissimuler que,, lorsque partout l’amour de l’argent prédomine, c’est un peu par la faute des chefs d’administration; car les hommes sont susceptibles de bien d’autres encouragements, qui ne coûtent rien et qui valent mieux ; -et c’est la plus belle des économies que de savoir les mettre en usage. . Dons, croupes et pensions. lin continuant maintenant le compte que j’ai à rendre à Votre'Majesté, je ne puis m’empêcher de rappeler la sagesse du règlement qu’elle a rendu pour les pensions, et il serait à désirer qu’il fût constamment et généralement suivi. L’expérience m’a fait connaître de plus en plus combien il était utile de fixer une seule époque pour leur distribution. Cette méthode, qui réunit sous les yeux du monarque tous les objets en masse, doit nécessairement lui en rendre l’étendue plus sensible, et le mettre à portée de comparer la somme des demandes avec la mesure de ses moyens. D’ailleurs j’ai remarqué qu’il était une multitude de ces demandes auxquelles le moment prêtait une grande force, mais dont l’impression s’affaiblissait, lorsqu’un peu de temps avait permis de juger plus froidement de la justice de ces sollicitations. Votre Majesté a encore adopté une loi infiniment utile sur cette matière, en ordonnant que toutes les pensions et toutes les grâces annuelles, éparses dans un grand nombre de caisses, seraient réunies au trésor royal; et en faisant comprendre dans un seul brevet toutes celles accordées à la même personne, sous quelque dénomination que ce fût, afin d’éclairer encore davantage la justice distributive de Votre Majesté; en même temps l’ehregistrement de toutes ces pensions à la Chambre des comptes, et les autres précautions que Votre Majesté a prescrites, préviendront une multitude d’abus. Toutes les opérations nécessaires pour exécuter ces diverses dispositions sont dans ce moment bien près d’êtrç complètes; elles ont en même lre Série, T. Ier. 161 temps servi à faire connaître l’étendue des grâces viagères connues sous le nom de pensions, gratifications annuelles, appointements conservés, subsistances et plusieurs autres dénominations encore; Votre Majesté elle-même a été surprise d’apprendre que ces différentes grâces formaient actuellement une charge annuelle pour ses finan-, ces d’environ 28 millions. Je doute si tous les souverains de l’Europe ensemble payent en pensions plus de moitié d’une pareille somme. C’est même un genre de dépenses inconnu dans plusieurs Étatsr, aussi , cet objet , qui s’est accru d’une manière excessive, est-il digne de la plus sérieuse attention ; et dès que le travail nécessaire pour constater exactement, toutes ces pensions sera fini, et qu’on les aura divisées en différentes classes, je proposerai à.Votre Majesté une loi et des règles, qui puissent opérer une diminution successive dans cette charge vraiment inouïe pour l’État ; je n’ai point à me reprocher de m’être prêté à l’augmenter, ayant au contraire résisté de mon mieux à toutes les demandes qui n’étaient pas fondées sur des engagements ou sur des services anciens et distingués. Si cette dernière condition servait toujours de règle dans la concession des grâces, la dépense n’en serait jamais grande, ou fei à de pareils titres elle l’était encore, ce serait un bonheur pour l’État; mais torque les pensions sont un objet de faveur, les limites en sont inconnues. Il était une autre sorte de largesse dont on avait extrêmement abusé, je veux parler des intérêts dans les affaires de finance, usage introduit successivement par l’effet de circonstances particulières. Les mélanges d’état par des alliances, l’accroissement du luxe, le prix qu’il oblige de mettre à la fortune, enfin l’habitude, ce grand maître en toutes choses, avaient fait des grâces qui peuvent émaner du trône la ressource générale : acquisitions des charges, projets de mariage et d’éducation, pertes imprévues, espérances avortées, tous ces événements étaient devenus une occasion de recourir à la munificence du souverain ; on eût dit que le trésor royal devait tout concilier, tout aplanir, tout réparer; et comme la voie des pensions, quoique poussée à l’extrême, ne pouvait ni satisfaire les prétentions, ni servir assez bien la cupidité houteuse, l’on avait imaginé d’autres tournures, et l’on en eût inventé chaque jour : les intérêts dans les fermes, dans les régies, dans les étapes, dans beaucoup de places de finance, dans les pourvoiries, dans les marchés de foute espèce, et jusque dans les fournitures d’hôpitaux, tout était bon, tout était devenu digne de l’attention des personnes souvent les plus éloignées par leur état de semblables affaires. Indépendamment de ces différents objets, 0:1 11 162 sollicitait encore les engagements dm domaines de ' Votre Majesté, les échanges onéreux à ces intérêts, l’acencement favorable de terres en non-valeurs, ou la concession de forêts qu’on prétendait abandonnées ; enfin, venaient aussi les payements de faveur sur les pensions arréragées, l’acquittement de vieilles créances quelquefois achetées à vil prix, leur admission dans les emprunts, et tant d’autres manières encore, toutes d’autant plus dangereuses que pour de pareilles grâces le consentement même du monarque n’était pas nécessaire, puisque, sous la couleur de la justice, ou d’un arrangement d’administration, le ministre seul pouvait déterminer ces dispositions. Cependant ces formes une fois introduites, on sent aisément combien elles devaient plaire. L’obscurité prévenait la réclamation publique, et l’apparence d’une convenance réciproque délivrait encore du joug de la reconnaissance. C’est donc à ce genre d’abus, dont on ne peut mesurer l’étendue, que j’ai cru devoir opposer les plus grands obstacles. Votre-Majesté, par son caractère, donne à cet égard tant de facilités à un ministre honnête, que mon seul mérite est d’avoir secondé ses vues. Réduction des profits d » la finance. Depuis longtemps on n’avait cessé de dire que les financiers étaient trop multipliés, que leurs bénéfices étaient trop grands. Je ne sais comment ils avaient toujours triomphé de ces critiques. Tantôt on avait détourné son attention de cette vérité, tantôt on avait respecté l’abus par des considérations particulières ; et quelquefois aussi des ministres, après s’être occupés sérieusement de cet important objet, avaient été rebutés par les difficultés. Quoi qu’il en soit, ce plan infiniment intéressant, je l’ai conçu, j’en ai suivi l’exécution sans relâche, et je crois l’avoir porté à peu près à sa perfection. En même temps cela s’est fait au milieu de la guerre, temps fortuné jusqu’à présent pour les gens de finance. On avait toujours dit que c’était un intervalle qu’il fallait franchir sans aucun mouvement ; et, comme en temps de paix on disait aussi qu’il fallait ménager les financiers pour retrouver leur crédit pendant la guerre, les réformes ne s’étaient jamais faites, et ces idées n’avaient guère servi qu’à exercer l’éloquence des auteurs et des écrivains. J’ai envisagé cette affaire sous un point de vue différent; j’ai senti que le crédit ne tenait point aux financiers, mais à la nécessité où sont les prêteurs de placer leur argent d’une certaine manière; et qu’à l’égard des fonds appartenant à ces financiers eux-mêmes, c’était une crainte chimérique que de croire à leur découragement, et même à leur humeur ; parce que, dans la disposition de leur argent, ils sont semblables à tous les hommes, qui ne prêtent ni par affection ni [Introduction.] par reconnaissance, mais seulement d’après leür sûreté et leur convenance. J’ai donc, pensé que l’essentiel était d’appliquer tous ses soins à fortifier la confiance due à l’État, et qu’en corroborant ainsi le tronc de l’arbre dont toutes les branches tirent leur substance, on pouvait sans aucun inconvénient s’occuper de toutes les réformes et de toutes les suppressions dont l’avantage serait évident; puisque cet avantage étant rendu sensible, l’empressement des prêteurs ne pouvait qu’augmenter, et l’événement a prouvé que cette manière de voir était raisonnable. Quelques trésoriers, avant la diminution de leur nombre, et avant qu’ils eussent été mis dans la dépendance de la finance, avaient pris des engagements indéfinis. C’est au milieu do ces opérations que j’ai proposé à Votre Majesté une réforme infiniment utile à ses intérêts ; et, bien loin qu’il en soit résulté le moindre embarras, la circulation n’en a été que plus active. La réunion de tous les receveurs généraux à une seule administration, la division de toutes les perceptions de droits en trois compagnies, opération si importante et qu’on croyait hérissée de difficultés à cause du renouvellement des fonds; toutes ces dispositions enfin et plusieurs autres se sont exécutées ponctuellement et tranquillement : cependant, d’après de vieilles maximes, remuer la ferme générale, changer seulement la forme des billets et des rescriptions, c’était toucher à l’arche et ébranler la confiance : assertions et prophéties que l’expérience a bien démenties; mais, comme il n’est point de prévention, lorsqu’elle est ancienne, qui ne tienne à quelques motifs plus ou moins fondés, j’ai cherché à m’en rendre raison, et voici ce que j’ai cru voir. Quand la confiance ne peut pas être étayée par le raisonnement; quand, par le mauvais état des affaires, on ne peut la devoir qu’à des illusions, et qu’elle est ainsi l’effet d’une simple habitude, le moindre changement dans les formes est dangereux, parce qu’il ramène à la réflexion, et que cette réflexion conduit alors à la défiance; mais, lorsque les affaires sont en bon ordre, lorsqu’une administration se conduit sagement, lorsqu’elle croit gagner à ce qu’on la suive, et qu’on étudie ses opérations, alors elle ne craint aucun mauvais effet de tout ce qui peut réveiller l’attention et porter à des examens; aussi, tandis qu’une sorte de respect et une vaine frayeur ont maintenu tant d’abus dans le sein de la paix, c’est au milieu de la guerre et en animant le crédit, que Votre Majesté a exécuté les plus grands changements dans toutes les parties de ses finances. Trésoriers. Indépendamment des économies que la diminution du nombre des trésoriers et la réduction [l>'e Série, T. I�.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 163 [Ire Série, T. te'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] de leurs taxations ont procurées à Votre Majesté, il est des avantages d’administration attachés à cette opération. D’abord c’est un grand bien en général que de diminuer le nombre des caisses, parce qu’il n’en. est-aucune qui n’entraine avec elle un fonds mort, et que tout fonds mort diminue l’action de la circulation; d’ailleurs multiplier les trésoriers, c’est multiplier les risques et les surveillances ; or il n’est ni inspection ni contrôle qui puisse être une caution certaine, lorsque le comptable veut abuser et mettre son art à se procurer des jouissances de fonds. En effet, un à-compte reçu sur des assignations dont on est encore porteur, une quittance obtenue sur un simple billet ou sur un bon de caisse, et tant d’autres manières encore suffisent pour dérouter te contrôleur 1e plus exact. Il est donc de la plus grande importance que la conduite morale garantisse la confiance; comme il est hors du pouvoir de l’àdministration de. porter ses regards sur la vie privée d’un trop grand nombre de personnes, il est essentiel pour tes intérêts du roi qu’un ministre des finances n’ait à fixer son attention que sur un petit nombre de comptables distingués encore par leur état et par leur fortune, tels que tes gardes du Trésor royal, un seul trésorier pour la guerre, un seul pour la marine, un seul pour la maison du roi. Enfin Votre Majesté, en mettant les trésoriers sous la dépendance du ministre des finances, a cherché à prévenir l’abus qu’ils pouvaient faire de leur crédit ; et, pour remplir ce but encore plus efficacement, je viens de proposer à Votre Majesté de faire viser par 1e premier commis des finances les billets des trésoriers, dont Votre Majesté permettrait la négociation; de cette manière la mesure en sera déterminée, et 1e ministre des finances pourra veiller sur 1e maintien de ce genre de crédit ; il suffit souvent pour 1e détruire de délivrer des billets des trésoriers à des fournisseurs, car, à côté du bénéfice qu’ils font sur leurs marchés, une différence d’un demi pour cent sur l’intérêt est si peu de chose qu’on ne peut jamais compter sur leurs ménagements; et cependant un mouvement d’un demi pour ceiit dans le prix de l’intérêt est, en fait de crédit public, un événement de la plus grande importance, etc. 'Receveurs généraux. Ce que j’ai dit, à propos des trésoriers, sur tes inconvénients de la multiplicité des caisses, s’appliquait de même aux receveurs généraux qui étaient au nombre de quarante-huit, et dont Votre Majesté a réuni toute la gestion à une seule compagnie, composée de douze personnes ; c’est une opération infiniment utile au service de Votre Majesté, non-seulement par l’économie essentielle qui en est résultée, mais encore parce que cette disposition a fait cesser toutes tes jouissances d’argent qui ne tournaient pas au profit de Votre Majesté : je n’en ai point encore une idée juste; mais dans ce moment-ci il y a déjà six finances de receveurs généraux éteintes par tes fonds restés entre tes mains des titulaires, et dont iis avaient disposé, depuis plusieurs années, soit pour payer les engagements qu’ils avaient pris pour acheter leurs charges, soit pour faire au roi des avances à intérêt avec ses propres deniers, soit enfin pour entrer dans des affaires particulières. Enfin un autre avantage important qui résultera du nouvel ordre établi, ce sera de mettre à portée de connaître parfaitement, et à livre ouvert, l’état exact des recouvrements; ce qui permettra de tes diriger avec plus d’uniformité, ou du moins dans des proportions plus rapprochées des. facultés des provinces ; de manière que, sans diminuer tes revenus de Votre Majesté, mais en hâtant un peu les, recouvrements de la province qui serait favorisée par ses récoltes, on puisse donner plus d’aisance à celte qui se trouverait avoir besoin de ménagement. Receveurs généraux des domaines et bois, C’est par les mêmes principes que j’ai cru devoir proposer à Votre Majesté de réunir à une seule administration tes fonctions divisées des quarante-huit receveurs généraux des domaines et bois. Cette constitution entraînait une partie des inconvénients qu’on vient de développer; même obscurité, même séparation de deniers, même jouissances de fonds, même nécessité d’une confiance individuelle et multipliée; mais. la nature des perceptions confiées aux receveurs généraux des domaines et bois rendait encore cette constitution plus vicieuse : en effet, chargés de la discussion des droits du domaine, en môme temps que du recouvrement, et agissant séparément dans leurs départements, il ne devait y avoir aucune uniformité de principes, etc. Division de la perception de tous les droits entre trois compagnies. L’unité de cette division a été, je crois, suffisamment développée dans 1e règlement que Votre Majesté a rendu à ce sujet,, et il m’a paru qu’il n’y avait eu qu’une opinion sur cette opération. En effet, en examinant cette multitude de régies qui existaient lorsque Votre Majesté m’a confié l’administration des finances, j’ai vu clairement que tant d’établissements divers pour des objets semblables n’avaient dû leur origine qu’à des besoins momentanés. On avait trouvé de nouveaux fonds d’avance en formant de nouvelles régies, et l’on avait fermé les yeux sur les inconvénients. Cependant la multiplication des frais et des bénéfices est une perte pour le Trésor royal, comme 164 [Ire Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] la multiplicité des commis et des bureaux, est une incommodité, et souvent une vexation pour les peuples-, en général la plus grande simplicité et la réunion des manutentions qui sont semblables, voilà l’un des plus vrais principes d’une bonne administration; il n’est aucune route inutile qui n’entraîne des inconvénients de différents genres, et l’administrateur, vers lequel toutes les difficultés se ramènent et toutes les contrariétés retentissent, est plus frappé que personne de la vérité de ce principe. Après avoir engagé Votre Majesté à supprimer plusieurs régies dès la première année de mon administration, j’ai cru qu’il fallait profiter de l’époque du renouvellement du bail de la ferme générale, pour diviser entre trois compagnies seulement la perception entière de tous les droits; j’ai proposé à Votre Majesté de réunir à chacune de ces compagnies toutes les perceptions analogues, et qui exigeaient de la part des chefs ou des commis employés dans les provinces, le même genre de connaissances. J’ai eu soin encore, dans l’arrangement des fermiers généraux, de ne leur demander qu’un prix de bail qui ne les exposait évidemment à aucun risque; mais, afin que Votre Majesté ne perdît rien à cette convention, ils n’ont été admis à un partage dans les bénéfices qu’à partir d’une somme supérieure de quelques millions aux prix du bail, et par cette nouvelle forme, j’ai épargné à Votre Majesté, dans les conditions, tout ce que des particuliers ont droit de demander au souverain, quand il exige d’eux qu’ils répondent, sur leur fortune, d’événements hors de leur atteinte et de leur influence. C’est par des motifs pareils et pour épargner le prix dispendieux d’une garantie, que j’ai proposé à Votre Majesté de ne pas donner à ferme les droits d’aides, dont les produits sont soumis à de grands écarts, mais de réunir leur perception à d’autres du même genre, confiés à la régie générale. Je ne parcourrai point toutes les autres parties de réformes faites en finance ; je crois devoir laisser à l’écart toutes celles qui n’ont eu pour motif que l’ordre et l’économie, et qui ne présentent point des vues particulières d’administration. C’est ainsi qu’on peut considérer le changement fait dans le bail des postes, dans l’administration des loteries, dans la compagnie des étapes et des convois militaires, et dans plusieurs autres parties. Il y avait cependant encore un vice essentiel d’administration dans les conditions de la compagnie des étapes; c’est que les bénéfices des régisseurs avaient été proportionnés à la somme de la dépense, méthode absolument contraire au but qu’il fallait se proposer. Cette forme est aujourd’hui changée, les croupiers sont éloignés, et, à l’àide de la surveillance apportée à ce département, il y a eu dès la première année une économie de la pus grande importance. On avait fait aussi du bail des salines de Lorraine une affaire particulière, et sur les trente-cinq sous réservés aux fermiers généraux dix-neuf sont partagés à des croupiers inutiles. Cet abus cessera au moyen d'un plan de réunion et d’économie que je ne tarderai pas à mettre sous les yeux de Votre Majesté. Il n’y avait pas jusqu’aux octrois de Lyon, dont on avait fait un contrat de faveur; et Votre Majesté a satisfait au secours que demandait l’hôpital général de cette ville, en lui allouant des bénéfices partagés entre des croupiers inutiles. Beaucoup d’autres parties étaient également devenues un objet de libéralité et de munificence. Votre Majesté en a eu connaissance, et y a remédié; la seule affaire dé finance où je n’aie point vu d’abus de ce genre, c’est la régie des poudres dont les conditions avaient été réglées sous M. Turgot. En considérant toutes les économies dont je me suis occupé, depuis la ferme générale jusqu’aux plus petites dépenses, je dois convenir qu’il est une infinité d’objets auxquels mon regard seul n’eût jamais pu atteindre ; et dans ce cercle immense de détails, mes forces eussent été insuffisantes : mais j’ai tâché de remplir du même esprit les personnes que j’ai choisies pour me seconder ; et leurs soins, leur zèle et leur activité ayant répondu à mon impulsion, je n’ai eu que ce premier mouvement à donner, pour que toutes les parties démon département fussent approfondies et discutées. Dépenses de la maison du roi. Aussitôt que Votre Majesté m’en a donné la permission, je me suis livré à l’examen de toutes les économies raisonnables qu’on pouvait proposer à Votre Majesté dans les dépenses de sa maison, et j'ai bientôt vu que, pour en connaître et pour en approfondir les détails, il fallait nécessairement modifier l’autorité attribuée à chaque ordonnateur ; et qu’en conservant l’éclat et l’honorifique de leurs charges, il était nécessaire de rapporter toute la partie de finance à un bureau commun, au ministre de la maison de Votre Majesté, et à celui de ses finances. Cette première idée, quoique simple et raisonnable, parut d’abord hardie, et j’ignore si elle m’a fait des ennemis, car je n’ai jamais arrêté ma vue sur ces combinaisons particulières ; j’ai cru que la seule manière dont Votre Majesté devait être servie, et la seule aussi dont il me convenait de la servir, c’était d’étudier mes devoirs et de les suivre ; qu’il n’y avait point d’autre marche digne d’une grande place et d’une âme élevée ; et comme de pareils motifs ofiit toujours dirigé ma conduite, j’ai çspéré qu’un jour ou l’autre on y rendrait justice, et qu’on saurait [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [Introduction.] distinguer cette fermeté simple, qui conduit les pas d’un administrateur partout où il y a du bien - à faire, de ce fol esprit de prétention qui recherche l’autorité pour le vain plaisir de la déployer. Quoi qu’il en soit, après avoir, ainsi procuré à l’administration des finances les lumières dont elle était privée, faute d’avoir eu seulement le pouvoir d’obtenir des renseignements, on a commencé par examiner la partie la plus essentielle, vulgairement connue sous le nom de chambre aux deniers , et l’on a vu bientôt que le nombre des tables, leur constitution, celle des offices et des cuisines, tout était un modèle de dépenses inutiles et compliquées. Une multitude d’officiers étaient tout à la fois fournisseurs, apprêteurs et convives ; une dépense exagérée en était la suite, et des privilèges à charge à vos provinces étaient encore l’effet de cette constitution; mais toutes ces connaissances' tous ces projets de réforme si souvent entrepris et abandonnés, à quoi eussent-ils encore abouti, sans le goût particulier de Votre Majesté pour l’ordre et pour la vraie grandeur? Elle a tout examiné, tout vu par elle-même; elle a donné son approbation à un plan simple qui, sans nuire à la ponctualité de son service et à son éclat au-dehors, diminuera sa dépense de près de moitié, et [procurera encore un grand bien d’administration, en supprimant beaucoup de privilèges et d’occupations inutiles; en même temps le plan de réforme a été combiné avec assez d’attention, pour que les intéressés mêmes, subjugués par l’esprit de justice de Votre Majesté, aient été forcés d’y applaudir. Il reste encore plusieurs parties de dépenses relatives à la maison de Votre Majesté , qu’on mettra successivement sous ses yeux, afin qu’elle puisse ordonner à cet égard ce qu’elle jugera convenable. Domaine du roi. Les seigneuries et les divers domaines fonciers, qui formaient autrefois le principal revenu de la couronne, se sont successivement dissipés, ou du moins ont été mis hors des mains du roi, et par des libéralités ou concessions à vil prix, et par la formation des apanages, et par des échanges ruineux, et par des usurpations ; en sorte qu’il ne reste maintenant à Votre Majesté que quinze cent mille livres de rente dans* cette nature de biens, indépendamment du produit de ses forets. Monnaies. Un usage très-préjudiciable aux intérêts du souverain s’était introduit depuis un très-grand nombre d’années ; c’était d’abandonner à des particuliers le bénéfice que le roi fait en France sur la fabrication des monnaies; bénéfice modéré, mais qui devient considérable quand il s’applique à la somme totale des fabrications, laquelle s’élève 165 de 40 à 50 millons en temps de paix ; mais je ne sais comment plusieurs personnes, en différents temps, avaient su persuader à l’administration qu’au moyen de la faveur qu’elles sollicitaient, elles feraient arriver en France de grandes sommes d’or et d’argent; et le ministre des finances, qui attachait avec raison un haut prix à multiplier le numéraire dans le royaume, croyait qu’on ne devait pas avoir regret à un sacrifice pour remplir un but aussi intéressant. Ce n’était là qu’une grande ignorance ; mais, comme elle tient cependant à une confusion d’idées, je crois important de l’éclaircir, [afin qu’on ne retombe jamais [.dans [une erreur aussi préjudiciable aux intérêts de Votre Majesté. S’il est des particuliers favorisés, qui sur tous les métaux qu’ils portent aux hôtels des monnaies y reçoivent 1 ou 2 p. 0/0 au-dessus du prix établi pour le public, ils peuvent, en sacrifiant un demi pour cent sur leur bénéfice, devenir comme les agents et les courtiers par les mains desquels passeront nécessairement tout l’or et tout l’argent qu’on eût portés directement sans eux aux hôtels des monnaies ; mais parce qu’il est ainsi des intermédiaires inutiles et coûteux entre les négociants de France et le souverain, il n’en faut pas conclure qu’ils aient aucunement servi à faire entrer ces mêmes métaux dans le royaume. L’or et l’argent n’y arrivent que par la puissance du commerce national avec l’étranger, et par le résultat des échanges ; quand la France a vendu aux autres nations plus de marchandises qu’elle n’en a acheté d’elles, ce compte se balance nécessairement avec de l’argent ; ainsi les plus riches financiers, les banquiers les plus habiles ou tout autre intermédiaire ne peuvent pas plus augmenter l’importation de l’or et de l’argent en France qu’ils ne peuvent la diminuer ; et ils influent moins à cet égard que le plus petit fabricant de Lodève ou de Louviers, qui parvient par son industrie à augmenter d’une balle de drap le commerce du royaume avec l’étranger, etc. Guidé par une idée aussi simple, je n’ai admis qui que ce soit à partager les bénéfices de Votre Majesté sur la fabrication des monnaies ; et l’on ne saurait trop poser en principe que tout retour aux anciens errements serait un sacrifice absolument inutile de la«part du trésor royal . J’ai proposé à Votre Majesté de rendre une loi sur la comptabilité des directeurs des monnaies : elle était bien nécessaire, puisque cette comptabilité était en arrière’ depuis 1759, par l’effet d’une ancienne discussion sur la manière dont ils compteraient de leurs opérations. TROISIÈME PARTIE. Je vais maintenant retracer les principales dispositions d’administration que j’ai proposées à 166 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Votre Majesté, et qui n’ayant point de rapports immédiats avec l’augmentation de ses revenus, n’intéressaient quale bonheur de ses sujets, etc. Comité contentieux. Une des premières dispositions que j’ai proposées à Votre Majesté est devenue un véritable bienfait envers vos sujets : c’est l’institution d’un comité de magiètrats pour examiner cette multitude d’affaires contentieuses qui étaient ci-devant soumises à la seule décision d’un contrôleur général. On ne peut être instruit de l’étendue des occupations qui accablent un ministre des finances, sans reconnaître de la manière la plus sensible que son temps et sa vie peuvent à peine suffire au coup d’œil qu’exigent les seules affaires d’administration. Cette place est devenue .infiniment plus considérable qu’elle n’était autrefois, parce que les impôts se sont infiniment multipliés et diversifiés. On lève aujourd’hui sur les peuples, tant au profit de Votre Majesté que pour le compte des villes, des hôpitaux et des communautés, près de 500 millons, et presque toutes les modifications différentes ont été cherchées et mises en usage : comment veiller sur une telle perception ; comment s’occuper encore de tant d’autres objets, tels que les subsistances, les chemins, le commerce, les manufactures, etc. ? Aujourd’hui trois conseillers d’État, distingués par leur caractère et par leurs lumières, composent un comité auquel différents maîtres des requêtes rapportent toutes les affaires contentieuses de la finance ; elle sont ainsi constamment jugées d’après des principes uniformes ; et, comme la plupart de ces discussions ont des rapports aux droits du roi et à l’administration en général, les jeunes magistrats chargés d’en rendre compte prennent ainsi à l’avance une teinture des objets qui les occuperont un jour, comme intendants de province. Intendants des finances. Je ne veux point mettre au rang des dispositions auxquelles j’attache un mérite la suppression des� charges des intendants des finances, parce qu’on peut voir différemment à' cet égard ; mais voici, d’après mes réflexions et mon expérience, à quoi je réduirais cette question. À mes yeux, les hommes capables d’une grande administration sont si rares, $ tellement rares, qu’on prépare au moins de grandes entraves à un ministre des finances, en rétrécissant le cercle dans lequel il doit choisir les personnes destinées à le seconder. Certes, c’est avec peine qu’en cherchant partout, qu’en regardant partout, on est assez heureux pour démêler et saisir des hommes qui joignént à un très-grand amour du travail de la justesse d’esprit, de la sagacité, de l’activité, de la mesure. Com-. ment donc se flatter que quatre propriétaires de [Introduction.] changes, souvent acquises par faveur ou par héri* tages, réunissent de droit lotîtes ces qualités ? Vingtièmes. Un des premiers objets d’administration dont j’aie été forcé de m’occuper, ce sont les vingtièmes, parce que vos cours réclamaient contre les vérifications faites dans les paroisses, et demandaient' que les cotes des contribuables aux vingtièmes ne fussent jamais changées. Déjà même il y avait eu des arrêts de défense, ou d’autres démarches, qui avaient mérité la réprobation de Votre Majesté ; enfin depuis longtemps cette question était un objet de difficultés et d’embarras, sur lequel on avait tour à tour cédé et résisté. Cette affaire en effet présentait des difficultés raisonnables. On pouvait envisager avec peine des examens continuels, remis à des hommes trop multipliés et trop peu récompensés pour n’être pas pris dans l’état commun de la société, et pour n’être pas exposés aux passions qui contrarient l’èspril d’impartialité ; mais, pour remédier à ces inconvénients, fixer d’une manière perpétuelle les cotes de chaque contribuable aux vingtièmes, et décider que nulle augmentation ne pourrait plus avoir lieu, tandis que successivement tant d’accidents de diverse nature diminuent partiellement le produit de cet impôt, c’était exposer les revenus de Votre Majesté à une dégradation continuelle. Enfin, au milieu des vérifications et des examens commencés depuis plusieurs années, ordonner tout à coup que toutes les cotes demeureraient immuables, c’était consacrer des disparités et des injustices évidentes. C’était donc pour trouver un terme moyen entre ces divers inconvénients, qu’on a proposé à Votre Majesté d’achever les vérifications ; mais on l’a invitée à déterminer, par une loi positive, que tous les rôles des vingtièmes qui aurait été arrêtés dans les paroisses, depuis une époque fixée, subsisteraient pendant vingt ans sans variation. C’est aussi d’après mon rapport que Votre Majesté a exempté du vingtième d’industrie les bourgs et les campagnes de son royaume ; il n’en est pas résulté une grande privation pour les revenus de Votre Majesté, et cependant vos provinces ont senti le prix de ce bienfait. Taille et capitation taillable. Ôn croit avoir proposé à Votre Majesté une loi majeure pour le bien de ses peuples, en l’engageant à fixer la taille, la capitation taillable, et tous les autres accessoires de la taille. J’ai vu que cet impôt, le plus à charge de tous aux habitants des campagnes, s’était élevé dans une proportion supérieure à tous les autres, et que chaque année il s’accroissait encore : j’en ai trouvé facilement la raison, en remarquant que c’était le seul impôt 167 [lrê Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] qu’on pouvait augmenter obscurément , ou du moins sans aucune formalité gênante, et par un simple arrêt du conseil, rendu souvent à l’insu du souverain. Dès lors on conçoit aisément comment, dans toutes les pénuries d’argent, qui n’ont cessé de régner dans la finance depuis tant d’années, il était plus commode de recourir à cette ressource , tandis qu’à formes égales on eût le plus souvent préféré des moyens différents. Je crois donc que c’est un rempart perpétuel établi pour la protection des campagnes, et un bienfait éminent de Votre Majesté envers elles, que d’avoir assujetti l’augmentation des accessoires de la taille aux mêmes formes que tous les autres impôts. Votre Majesté n’a point été arrêtée par l’idée de soumettre à l’enregistrement de ses cours ce qu’elle ordonnait auparavant par un arrêt de son conseil ; et, dans cet acte d’une véritable grandeur, vos sujets ont reconnu également et votre justice et votre puissance. Après avoir ainsi fixé la taille et la capitation taiîlable dans chaque généralité,' il restera un jour un grand bien à faire ; il faudra s’efforcer d’établir des proportions plus égales entre les provinces; et déjà Fort aperçoit comment les dispositions de Votre Majesté, relativement à la taille et à la capitation, faciliteront cette entreprise et l’étayeront de la confiance si nécessaire au succès. En effet, comment rendre sensible la justice d’une distribution d’impôt, tant que la somme de cet impôt est arbitraire ou changeante? Je crois qu’on ne saurait trop le dire : ou il faut renoncer aux grandes choses, ou il faut les préparer par des moyens simples et ouverts ; les hommes, et surtout les contribuables, ont tant été trompés, qu’une longue suite de franchise et de loyauté pourra seule triompher de leurs soupçons et de leur défiance. Un autre objet bien digne de l’intérêt de Votre Majesté et de l’attention de ses ministres, c’est de perfectionner la répartition individuelle de la taille, etc. Indépendamment de la taille réelle et de la taille d’exploitation, qu’on peut ainsi répartir d’après des principes fixes, il existe encore une taille appelée personnelle, et qui dépend, non de la propriété territoriale, mais des autres facultés des contribuables. Il serait à désirer que l’on put renoncer à cette espèce d’imposition, ou parvenir à la dénaturer, car il faut regarder comme contraires .à l’ordre et au bonheur public toutes celles dont la mesure et les proportions sont arbitraires, etc. Capitation. La capitation taiîlable, qui forme les trois quarts de la capitation, est imposée au marc la livre de la taille, et ne fait qu’ùne seule et même chose avec la taille -, ainsi les mêmes observations sont applicables à ces deux impositions. Mais, dans les provinces où la taille réelle est établie, la capitation est réglée d’après les facultés; il est d’ailleurs, dans tout le royaume, une capitation payée par les privilégiés, c’est-à-dire par les personnes qui sont affranchies de la taille, soit par leur noblesse, soit par des prérogatives attachées aux charges qu’elles possèdent, soit par leur habitation dans les villes franches ; cette espèce de capitation dépend encore, en grande partie, d’une répartition arbitraire, car on ne peut y procéder que d’après la connaissance qu’on acquiert, ou par le préjugé qu’on se forme de la fortune des particuliers. Coruées ., On a trop souvent développé à Votre Majesté des principes sur cette matière, pour que je doive m’étendre à Cet égard : je dirai seulement que plus j’ai examiné celte importante discussion, et plus je me suis convaincu qu’il est à désirer que les moyens de supprimer la corvée soient favorisés. Cette question, en dernière analyse, n’est qu’un débat entre les pauvres et les riches ; car il est aisé d’apercevoir d’un coup d’œil l’avantage du pauvre à la suppression de la corvée. Un homme sans faculté, un journalier dont on exige par an sept ou huit jours de corvée, n’aurait à payer que douze à quinze sous pour sa part à l’imposition des chemins, si elle était établie au marc la livre de la taille. D’ailleurs la répartition et la perception d’un impôt en argent sont soumises à des règles certaines, au lieu que la distribution de la corvée et la surveillance sur son exécution multiplient les décisions et les punitions arbitraires, et obligent à remettre un grand pouvoir entre des mains subalternes. Cependant, car il faut toujours considérer les objets d’administration sous leurs différents rapports, la diversité des droits et des impositions facilitant leur étendue, un impôt en travail, ou autrement dit la corvée , est peut-être une heureuse idée fiscale, c’ést-à-dire un moyen nouveau de multiplier entre les mains du souverain les efforts et les sacrifices de ses peuples ; mais de pareilles combinaisons ne pouvant plaire à Votre Majesté, qui est surtout jalouse de faire servir son autorité au bonheur de ses sujets, j’ai cru seconder ses intentions en favorisant avec ménagement la suppression des corvées; et partout où elles subsistent, j’ai excité messieurs Tes intendants à veiller sur leur juste répartition, et à ne rien négliger pour soumettre ces travaux à des règles fixes. Enfin, dans plusieurs généralités, on laisse aux paroisses la liberté d’opter entre les deux manières de pourvoir à la confection des routes; mais cette liberté", cette option, qui semble au premier coup d’œil si‘ raisonnable , 168 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] n’est pas à l’abri d’inconvénients , lorsque ceux qui doivent délibérer ont un intérêt si distinct. Mais, pour tant d’objets où le concours des volontés est si nécessaire, où les difficultés d’exécution se multiplient, j’ai cru qu’il fallait un établissement d’administration capable de seconder les vues bienfaisantes de Votre Majesté et de les perfectionner ; et cette réflexion me conduit à retracer les motifs qui m’ont engagé de proposer à Votre Majesté l’essai d’administrations provinciales. Administrations provinciales. Je n’ai pu fixer mon attention sur l’état imparfait des impositions établies dans vos provinces, et sur tous les biens qu’on y peut faire, sans être frappé du singulier retard où l’ôn était à cet égard. J’ai vu que dans chacune de ces provinces un homme seul, tantôt présent, tantôt absent, était appelé à régir les parties les plus importantes de l’ordre public ; qu’il devait s’y trouver habile, après s’être occupé toute sa vie d’études absolument différentes ; que, passant fréquemment d’une généralité dans une autre, il perdait par ces changements le fruit des connaissances locales qu’il avait acquises ; et qu’enfm le rang dans le conseil auquel il aspirait pour récompense l’engageait à quitter la carrière de l’administration au moment où ses lumières, augmen-tées-par l’expérience, le mettaient en état d’être plus utile. Réfléchissant ensuite sur la multiplicité des objets qui sont soumis à la surveillance d’un ministre des finances, je n’ai pu comparer l’étendue de ses obligations avec la mesure de ses forces, sans connaître sensiblement qu’il existait une disproportion réelle entre l’étendue de l’administration et les moyens de l’administrateur. Je ne sais même si un homme timoré, décidant de son cabinet, et. sur des aperçus rapides, tant de détails intéressants pour les habitants des provinces, n’a pas quelques reproches à se faire ; je suis sûr du moins qu’il a souvent des craintes délicates qui influent sur son bonheur. Sans doute on commence par consulter l’intendant; mais, si les plaintes roulent sur sa propre administration, si c’est la conduite de ses subdélégués qu’on attaque, si ce sont les idées mêmes qu’il a rejetées qu’on veut faire adopter , et si cependant tous les détails qui doivent éclairer ne peuvent être demandés qu’à lui, n’y a-t-il pas dans cette constitution un vice auquel toute l’attention d’un ministre des finances ne saurait suppléer ; et peut -il, à de telles conditions, se croire un sûr garant des intérêts divers qui lui sont confiés? Non, sans doute, et le plus important service qu’il puisse rendre, le plus grand devoir qu’il ait à remplir, c’est de faire connaître l’insuffisance des facultés d’un homme pour une semblable administration et d’en révéler, pour ainsi dire, le secret à son maître. C’est sous ce point de vue que j’ai proposé à Votre Majesté de faire l’essai d’administrations provinciales, composées de propriétaires de différents ordres, qui s’assembleraient tous les deux ans, et qui, dans l’intervalle, seraient représentés par des députés de leur choix. Les fonctions de ces administrations doivent se borner à répartir les impositions, à proposer à Votre Majesté les formes les plus favorables à sa justice, à prêter une oreille attentive aux plaintes des contribuables, à diriger la confection des routes, à choisir pour y parvenir la manière la moins onéreuse aux peuples, à chercher enfin tous les moyens nouveaux de prospérité qu’une province peut développer, et à les présenter ensuite à Votre Majesté. Dans un royaume tel que la France, composé de vingt-quatre millions d’hommes répandus sur des sols différents et soumis à diverses habitudes, il est presque impossible d’assujettir toutes les impositions aux mêmes procédés et de les régler par une loi simple et générale ; et, dès qu’il faut partout des exceptions et des modifications, comment vouloir gouverner, diriger et prescrire tant de détails d’un même centre, et d’un lieu où l’on n’est instruit que par des rapports éloignés, où l’on ne croit qu’à ceux d’un seul homme, et où l'on a si peu le temps d’approfondir ? Quelle différence entre la fatigue impuissante d’une pareille administration, et le repos et la confiance que peut inspirer une administration provinciale! L’on ne peut se dissimuler que le bien n’ait été souvent retardé par la défiance et la timidité du ministre qui l’avait conçu, et il ne faut poirÿ s’en étonner. Les meilleures institutions d’administration ne présentent le plus souvent que des difficultés dans le principe, et l’avantage lointain qui doit en résulter est obscurci par les critiques et les passions des hommes. Il est donc très-important que les changements les plus utiles soient encore appuyés par l’opinion publique, et c’est précisément l’effet des délibérations d’une assemblée provinciale; ses propositions arrivent au ministre des finances déjà renforcées d’un suffrage qui le rassure sur l’événement, et il n’a plus, pour ainsi dire, qu’à les considérer abstraitement. Enfin il est encore une considération que je crois pouvoir présenter à Votre Majesté. L’honneur suffit sans doute pour animer la nation française et pour l’entraîner partout où il y a du péril et de l’éclat ; c’est un ressort précieux qu’on ne saurait trop ménager; cependant il en est un autre encore qui agit plus obscurément mais sans cesse, qui meut également toutes les classes des citoyens, et qui, dans les grandes circonstances, peut porter à l'enthousiasme et aux sacrifices de tout genre. Ce ressort, c’est le patriotisme ; et quoi de plus [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. propre à l’exciter ou le faire naître que des administrations provinciales, où chacun peut à son tour espérer d’etre quelque chose, où l’on apprend à aimer et à connaître le bien public, et où l’on forme ainsi de nouveaux liens avec sa patrie ? On a pu voir dans le procès-verbal de l’assemblée du Rouergue de combien de détails d’utilité publique elle s’était déjà occupée; celle du Berry a réuni plus de deux cent mille francs de contributions volontaires, pour des établissements et des travaux utiles, et elle vient d’adopter un plan qui tend à supprimer les corvées ; celle de Moulins, dès la première fois, s’est occupée des mêmes idées, et des moyens de prévenir l’arbitraire de la taille. En générai, les difficultés accompagnent tous les commencements, parce que c’est encore le temps du l’ignorance, parce que c’est le temps aussi où la critique essaye ses forces. Mais, quel que soit le succès de ces administrations, Votre Majesté, en en faisant l’expérience, aura toujours manifesté à ses peuples le soin qu’elle prend de leur bonheur; elle aura satisfait au vœu de la nation sans s’écarter des règles de la sagesse; et si, contre mon attente, ces premiers établissements ne répondaient point à l’espérance publique; en-ün si leur conception même était une erreur, ce serait sûrement aux yeux de l’univers une de celles qui honorent un règne, et qui consacrent la gloire d’un monarque bienfaisant. Droit de contrôle. Les besoins de l’État ont fait imaginer un tribut sur plusieurs sortes d’actes et de transactions entre particuliers ; et, dans la nécessité de multiplier les ressources du fisc en les diversifiant, ces droits n’étaient pas mal conçus : les mariages, les testaments, les contrats de société, les acquisitions d’immeubles et tant d’autres actes, sont des opérations éparses dans la vie, et qui, tenant presque toujours à des événements rares et intéressants, rendent moins sensible le droit qui les accompagne. Mais pour rendre ce tribut productif, il a fallu le proportionner, non-seulement à la nature des actes, mais encore aux conditions qu’ils renferment et à l’état des personnes qui transigent; alors les tarifs se sont succédé, ainsi que les explications, les distinctions, les exceptions; et, comme le contribuable adroit ne manque pas à son tour de chercher à esquiver le règlement, de nouvelles interprétations devenaient encore nécessaires, et c’est ainsi que le code du contrôle et de l’insinuation des actes s’est tellement accru et multiplié, que les contribuables ne peuvent le plus souvent juger avec connaissance de ce qu’ils doivent payer, et les employés des domaines ne le savent eux-mêmes qu’aprèsde longues études. J’ai donc cru qu’il était très-essentiel de s’occuper d’un nouveau tarif, etc. [Introduction.] {09 Gabelles. Je n’ai pu m’occuper des moyens de seconder les vues de Votre Majesté pour le bonheur de ses peuples, sans fixer mon attention sur les droits de gabelle. Un cri universel s’élève, pour ainsi dire, contre cet impôt, en même temps qu’il est un des plus considérables revenus de votre royaume. J’ai désiré d’étudier cette matière à l’avance, afin que les heureux jours de la paix ne fussent pas employés comme autrefois à de vaines spéculations, et qu’aucun moment ne fut perdu pour réaliser les intentions bienfaisantes de Votre Majesté. Il suffit de jeter les yeux sur la carte des gabelles pour concevoir rapidement pourquoi cet impôt dans son état actuel présente des inconvénients, et pourquoi dans quelques parties du royaume on doit l’avoir en horreur. Indépendamment des grandes divisions qui sont connues sous le nom de pays de grandes gabelles , de pays de petites gabelles , de pays de saline, de pays rédimés et de pays exempts, on voit encore au milieu de chacune des distinctions de prix fondés' sûr des usages, des franebises et des privilèges. Une pareille bigarrure, effet du temps et de plusieurs circonstances, a dû nécessairement faire naître le désir de se procurer un grand bénéfice, en portant du sel d’un lieu franc dan�un pays de gabelle ; tandis que, pour arrêter ces spéculations destructives des revenus publics, il a fallu établir des employés, armer des brigades, et opposer des peines graves à l’exercice de ce commerce illicite ; ainsi s’est élevée de toutes parts dans le royaume une guerre intestine et funeste. Des milliers d’hommes, sans cesse attirés par l’appât d’un gain facile, se livrent continuellement à un commerce contraire aux lois. L’agriculture est abandonnée pour suivre une carrière qui promet de plus grands et de plus prompts avantages ; les enfants se forment, de bonne heure et sous les yeux de leurs parents, à l’oubli de leurs devoirs, et il se prépare ainsi, par le seul effet d’une combinaison fiscale, une génération d’hommes dépravés: on ne saurait évaluer le mal qui dérive de cette école d’immoralité, etc. Il n’y aurait, Sire, que deux moyens de remédier aux inconvénients dont je viens de rendre compte à Votre Majesté : l’abolition de tout impôt sur la gabelle, en le remplaçant par quelque autre, ou une modification salutaire de ce même impôt. Le remplacement paraît difficile, quand on observe que cet impôt procure actuellement à Votre Majesté un revenu net de cinquante-quatre millions : ainsi les droits de la gabelle rapportent autant à Votre Majesté que l’impôt sur toutes les propriétés foncières du royaume, représenté par les deux vingtièmes et les quatre sous pour livre du premier. On ne pourrait donc penser à convertir l’impôt [1» Sérié, T. î«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 170 sur le sel dans une augmentation de taille ou de vingtième, sans des inconvénients sensibles. Percevoir tous les impôts à la production est un projet chimérique quand ces impôts sont aussi immenses qu’ils le sont en France; et c’est un jeu des idées abstraites que d’appuver ce système sur le fondement que toutes les richesses viennent de la terre ; sans doute elles en viennent, mais elles ne se modifient et ne se convertissent en argent que par des degrés et des canaux divers ; et, partout où la masse du peuple n’a ni épargne ni prévoyance, ce serait peut-être exposer l’administration à multiplier inutilement les contraintes et les saisies, que de remplacer tout à coup le produit de la gabelle par des impôts sur le produit des terres. Mais en conservant l’impôt sur le sel, il serait important de remédier aux grands inconvénients qu’il entraîne ; et l’on y parviendrait, si le prix de cette denrée était égal par tout le royaume, car dès ce moment-là toute la contrebande intérieure n’aurait plus d’aliment. J’ai fait préparer des travaux considérables sur cette matière, et j’ai reconnu par des calculs exacts qu’en établissant le prix du sel entre cinq à six sous la livre, ou vingt-cinq à trente livres le minot, dans tout le royaume sans distinction, Votre Majesté retrouverait à peu près la même somme que lui produit aujourd’hui la gabelle ; et cependant les peuples payeraient beaucoup moins, car un des grands dédommagements de Votre Majesté se trouverait et dans l’économie des frais et dans la suppression de presque toute la contrebande, et dans la plus grande consommation des provinces où le prix du sel serait diminué. Droits de traites et péages. Tant que les gabelles resteront dans leur état actuel, c’est-à-dire tant que de province à province, et dans une multitude de lieux de passage, l’on sera forcé de veiller sur la contrebande du sel, le vœu, si souvent formé pour porter tous les bureaux de visite aux frontières, ne pourrait jamais être rempli qu’imparfaitement ; ainsi la législation sur les gabelles est intimement liée à celle des droits de traites. Votre Majesté a déjà fait connaître, par son arrêt sur les péages, le désir qu’elle aurait de faciliter le commerce intérieur : en conséquence, on recueille les renseignements nécessaires, afin de mettre Votre Majesté en état de remplir scs vues, aussitôt que la situation des finances le permettra; et je vois d’avance qu’il ne faudra pas un grand sacrifice pour y parvenir. U est un grand nombre de droits de péage qui assujettissent à des frais presque équivalents au revenu ; et, soit par ce motif, soit par amour du bien public, plusieurs propriétaires ont offert à Votre Majesté l’abandon gratuit de leurs droits. Mais la suppression entière de tous ces péages ne sera non plus qu’un bien imparfait, tant que le royaume, indépendamment de ses divisions en différents pays de gabelle, en contiendra d’autres encore absolument distinctes, et connues sous le nom de provinces des cinq grosses fermes, provinces réputées étrangères, et „ provinces étrangères ; divisions qui entraînent des bureaux de visite, afin d’exiger les droits établis sur toutes les marchandises qui sortent de quelques-unes de ces provinces pour entrer dans d’autres. Manufactures. Une grande question relative aux manufactures agitait depuis nombre d’années l’administration et le commerce ; et en effet c’était ta plus importante de toutes. M. Colbert, qui donna le plus grand mouve ¬ ment à l’établissement des manufactures en France, et qui hâta leurs progrès, avait jugé à propos de guider les fabricants par des règlements ; et, comme on attribue presque toujours tous les grands effets aux dispositions des hommes, plutôt qu’à la nature des choses dont l’empire est plus grand, mais moins visible, les successeurs de M. Colbert, ayant envisagé ces règlements comme la principale cause de l’état florissant des manufactures en France, avaient cru bien faire en les multipliant, et en apportant une grande rigueur à leur observation. Mais ces entraves, qui avaient protégé l’enfance de nos manufactures, étaient devenues incommodes à mesure que leur législation s’était compliquée, et à mesure surtout que la variété dans les goûts et les changements dans les modes avaient appelé le génie de l’industrie à plus de liberté et d’indépendance ; alors les barrières des règlements furent souvent franchies, et leur rigueur une fois éprouvée, on se jeta bientôt dans l’autre extrême, et la liberté indéfinie fut envisagée comme la seule idée raisonnable. ' Les règlements, quelque temps après, reprirent leur avantage, et, dans ces combats plus ou moins longs entre les règles et la liberté, on vit le commerce et les manufactures continuellement inquiétés. Une circonstance entre autres contrariait la circulation ; c’est que le même plomb, les mêmes marques servant également à justifier de la fabrication nationale et de sa régularité, les manufacturiers qui ne voulaient point se soumettre aux combinaisons prescrites étaient forcés de renoncer à ces signes distinctifs, et dès lors leurs étoffes, confondues extérieurement avec toutes les étoffes étrangères, étaient même sujettes à des saisies : l’administration cherchait bien à tempérer dans ses décisions la rigueur des lois, mais le commerce n’était pas moins exposé à des discussions et à des lenteurs. 171 [ire Sérié, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] D’un autre côté, pour aplanir tous ces obstacles, anéantir absolument, par une loi positive, toute espèce de règlements, de marques ou d’examens, c’était risquer la réputation des fabriques françaises, c’était ôter aux consommateurs étrangers et nationaux la base de leur confiance, enfin c’était aller contre les idées des vieux fabricants qui avaient vu leurs manufactures et celles de leurs pères prospérer à l’ombre des lois d’ordre. C’est au milieu d’une pareille confusion et de ce combat de principes que je me suis occupé avec MM. les intendants du commerce du moyen d’aplanir ces difficultés, et de concilier les différentes vues d’administration. L’on croit y être parvenu par les lettres patentes que Votre Majesté a rendues au mois de mai 1779, et dont toutes les dispositions tendent à ménager à l’esprit inventif des manufacturiers son essor et sa liberté, sans priver les étoffes, qui seraient fabriquées� d’après d’anciennes règles, du sceau qui l’atteste. On a pensé aussi qu’il était essentiel de simplifier ces règles, afin de rendre leur observation plus facile et moins contentieuse, et c’est ce qui a été exécuté par diverses lois qui ont suivi les lettres patentes dont je viens de parler. En môme temps que j’ai donné une attention générale aux lois fondamentales des manufactures, j’ai cherché à encourager celles qui manquaient encore en France, et je puis assurer Votre Majesté que le génie de ses sujets est tellement propre aux arts et aux manufactures, que l’administration n’a pas besoin de se déterminera beaucoup de sacrifices pour faire jouir le royaume de toute l’étendue et de toute la perfection d’industrie qu’on peut désirer encore. L’essentiel est de protéger cette industrie par des traités qui soient favorables au commerce. Ce n’est pas cependant que les différentes sortes de manufactures soient également répandues dans vos provinces, mais cette uniformité n’est pas nécessaire ; peut-être môme y a-t-il des inconvénients à vouloir, par de trop grands encouragements, établir dans certains lieux les mêmes fabriques qui prospèrent ailleurs d’elles-mémes; c’est exciter des jalousies, et exposer l’administration à agir sans cesse. J’ai vu naître aussi beaucoup d’émulation de l’institution que Votre Majesté a faite d’un prix annuel en faveur de l’invention la plus utile au commerce et aux manufactures. La gloire de toute espèce est l’heureux mobile des Français, et l’on peut, dans toutes les administrations, tirer un grand parti de ce noble et brillant caractère. Il est des arts distingués qui ne sont point du département des finances; mais ils l’intéressent infiniment par leur influence sur le commerce et sur les manufactures. D’ailleurs c’est en partie par la célébrité des arts et par leur perfection, qu’on attire dans un royaume les voyageurs et les étrangers ; et je ne crains point de dire que la dépense' de ces étrangers dans vos États est un des meilleurs commerces de votre royaume. On présume, d’après différents renseignements, qu’en temps de paix ces dépenses occasionnent un versement en France de plus de trente millions par an. Je crois donc, Sire, qu’il importe à la prospérité de l’État que les talents distingués y soient excités et favorisés, d’autant plus qu’aujourd’hui,. soit que les hommes supérieurs soient rares, soit que les arts soient assez avancés pour qu’il devienne difficile d’élever la tête au-dessus des rangs ordinaires, Votre Majesté ne sera obligée qu’à une très-petite dépense pour ménager à son royaume tout l’éclat qu’il peut tirer de la réunion des hommes célèbres. Poids et mesures. • Je me suis occupé de l’examen des moyens qu’il faudrait employer pour rendre les poids et les mesures uniformes dans tout le royaume ; mais je doute encore si l’utilité qui en résulterait serait proportionnée aux difficultés de toute espèce que cette opération entraînerait, vu les changements d’évaluation qu’il faudrait faire dans une multitude de contrats de rente, de devoirs féodaux et d’autres actes de toute espèce. Je n’ai pourtant point encore renoncé à ce projet, et j’ai vu avec satisfaction que l’Assemblée de la Haute-Guyenne l’avait pris en considération. C’est en effet un genre d’amélioration qu’on peut entreprendre partiellement; et l’exemple d’un heureux succès dans une province pourrait influer essentiellement sur l’opinion. Grains. Toutes les questions relatives à l’exportation des blés ont ôté si souvent traitées, que je ne m’étendrai pas sur cette matière ; j’observerai seulement que l’expérience m’a confirmé dans la pensée qu’il ne fallait donner dans aucun extrême, ni soumettre ce commerce à une loi fixe et générale. Il faut autoriser et protéger la plus grande liberté dans l’intérieur; mais l’exportation ne peut jamais être permise en tout temps et sans limites. 11 ne faut pas perdre de vue que c'est le seul commerce dont les écarts influent sur la subsistance du peuple et sur la tranquillité publique. Ainsi, en même temps que le gouvernement doit permettre et favoriser la libre exportation dans les temps d’abondance, il ne doit pas craindre de l’arrêter ou delà suspendre, lorsqu’il y voit du danger. Je dirai plus, ce n’est que dans des livres de doctrine que la controverse-à cet égard peut .subsister encore, car les inquiétudes qui naissent des alarmes d’une province sur sa subsistance sont d’une telle nature, que le ministre des finances, qui serait le plus déterminé par ce système à se reposer sur les effets de la liberté, ne tarderait pas à courir aux précautions, lors- J Série, T. Ie1'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 172 qu’il aurait à répondre des événements. Et telle est, et sera toujours, la faiblesse des idées abstraites, dès qu’elles auront à lutter contre la force du moment et l’imminence du danger. Il y a eu des moments très-difficiles et d’assez grandes inquiétudes dans le midi du royaume pendant l’année 1778 ; et, sans la sollicitude et les secours de Votre Majesté, je ne sais si de grands maux eussent été prévenus. Depuis lors les récoltes ont été bonnes, et l’exportation a été permise successivement dans presque toutes vosprovinces ; mais l’interruption de la navigation, et le peu de besoins des pays voisins, ont occasionné une grande stagnation dans le commerce des grains avec l’étranger, etc. Je finis ici le compte que je me suis* proposé de rendre à Votre Majesté ; j’ai été obligé de parcourir la plupart des objets rapidement, mais c’est un compte rendu à un grand monarque, et non un traité d’administration des finances. Je ne sais si l’on trouvera que j’ai suivi la bonne route, mais certainemement je l’ai cherchée, et ma vie entière, sans aucun mélange de distractions, a été consacrée à l’exercice des importantes fonctions que Votre Majesté m’a confiées ; je n’ai sacrifié ni au crédit ni à la puissance, et j’ai dédaigné les jouissances de la vanité. J’ai renoncé même à la plus douce des satisfactions privées, celle de servir mes amis, ou d’obtenir la reconnaissance de ceux qui m’entourent. Si quelqu’un doit à ma simple faveur une pension, une place, un emploi, qu’on le nomme. Je n’ai vu que mon devoir et l’espoir de mériter l’approbation d’un maître , nouveau pour moi, mais qu’aucun de ses sujets ne servira jamais avec plusxle dévouement et de zèle. Enfin, et je l’avoue aussi, j’ai compté fièrement sur cette opinion publique, que les méchants cherchent en vain d’arrêter ou de lacérer ; mais que, malgré leurs efforts, la justice et la vérité entraînent après elles. Etat des objets de recette portés au trésor royal pour Vannée ordinaire. N° 1er. Les imposisitions perçues par les receveurs généraux se montent dans ce moment-ci à ............... 148,590,000 livres. Mais les charges, assignées sur ces mêmes impositions, s’élèvent à ........... 29,050,000 livres. Ainsi le produit net à compter au trésor royal est de. 119,540,000 livres. Nota. Dans les charges susdites sur la recette générale sont compris environ cinq millions pour être disribués, tant en décharges de vingtièmes et de capitation, qu’au soulagement des taillables et à différents autres objets de bienfaisance dans les provinces. 2. Le bail de la ferme générale se monte à cent vingt-deux millions neuf cent mille livres ; mais les fermiers généraux n’étant admis à un partage dans les bénéfices qu’au delà de cent vingt-six millions, c’est une preuve qu’ils ont estimé eux-mêmes que les produits surpasseraient cette dernière somme ; ainsi l’on peut la regarder comme un revenu sur lequel Votre Majesté peut compter .......... ..... 126,000,000 livres. Il reste à déduire de celte même somme les diverses charges assignées maintenant sur la ferme générale et qui se montent à ..... 77,573,000 livres. Ainsi il ne reste à compter au Trésor royal, sur cette partie des revenus de Votre _ _ Majesté, que ......... 48,427,000 livres� 3. Les fermiers généraux régissent de plus pour le compte de Votre Majesté les droits du domaine d’Occident, qui, en temps de paix, forment un revenu d’environ quatre millions cent mille livres, ci .............. 4,100,000 livres. . 4. On peut estimer les produits de la régie générale à quarante-deux millions, puisque ce n’est qu’au delà de cette somme que les régisseurs ont des remises. Il faut en déduire les charges assignées sur cette régie, et qui se montent à trente-trois millions quatre-vingt-dix-sept mille livres, y compris trente millions que cette même régie, chargée maintenant de la perception des droits d aides , doit fournir aux payeurs des rentes sur l’hôtel de ville, attendu que ces rentes sont hypothéquées sur les aides et sur les gabelles. Reste à verser au Trésor royal, 8,903,000 livres. 5. On peut estimer pareillement les produits de la régie des domaines à quarante-deux millions, puisque ce n’est aussi qu’au delà de cette somme que les remises des administrateurs corn-1 mencent, et que les calculs les plus précis ont précédé ces fixations. Mais il faut déduire de cette somme trois millions neuf cent mille livres de charges’ de toute espèce, assignées dans ce moment sur cette régie. Ainsi le produit à compter au trésor royal n’est porté qu’à ............ ’ 38, 100,000 livres. 6. Le produit des postes et de la petite poste, en ycomprenanllapart du roi dans les augmentations survenues depuis l’époque de la régie actuelle, est dans ce moment-ci d’environ, 9, 620, 000 livres. Le produit des messageries est plus incertain ; Je dernier bail était de dix-huit cent mille livres, mais les fermiers n’y ont pas satisfait; et Votre Majesté a refusé d’accepter les offres des compagnies qui voulaient prendre leur place aux mêmes conditions, afin de ne pas les exposer à se compromettre avant que Votre Majesté eût pris une connaissance plus certaine des produits. Elle a établi en conséquence une régie intéressée qui conduit cette affaire avec soin. On ne peut pas juger encore avec précision de ce qu’elle rendra; on croit cependant qu’on ne s’écarte pas des probabilités en évaluant ce revenu en temps de paix 173 [lre Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] à. . . . . ....... . ..... .. 1,500,000 livres. Il faut déduire de ces deux produits les charges assignées sur les postes , et qui se montent à ............. . . . . 2,108,000 livres. Ainsi le revenu annuel ordinaire des postes et messageries ne peut être évalué qu’à, 9,012,000 1. 7. Les impositions de Paris se montent, d’après les soumissions des receveurs des impositions, et déduction faite de leurs remises, à, 5,745,000 liv. 8. Le produit de la-régie des poudres peut être évalué maintenant à ....... 800,000 livres. 9. Le produit du dixième d’amortissement et de l’ancien dixième, retenus par les trésoriers, se monte à ............ 1 ,182,000 livres. 10. Avant le rachat fait en dernier lieu,* le produit des revenus casuels se montait à 1,285,0001. Les droits perçus sur les communautés ne se montent encore qu’à ...... 1,185,000 livres. Mais ce dernier article augmentera lorsque la loi concernant les communautés sera enregistrée dans tous les parlements. Il faut déduire de ces revenus les frais de régie et les charges assignées sur les revenus casuels, qui se montent à un million cinq cent quarante-deux mille livres; reste à compter au trésor royal net ......... 3,928,000 livres. Nota. On a porté au chapitre des charges générales de la finance, à l’article 29, l’intérêt des six millions neuf cent soixante-dix mille livres que le roi a reçues pour le rachat pendant huit années d’une partie du centième denier. 11 .-Les versements au trésor royal de la part du trésorier des Étals de Bretagne et du receveur général de la province, déduction faite des divers payements qu’ils font à la décharge du trésor royal, et des fontes destinés aux intérêts et aux remboursements des' capitaux empruntés par la province pour le compte du roi , se montent à ................. 4,639,000 livres. 12. Ceux du Languedoc, pour les mômes raisons, ne se montent qu’à ..... 1,332,000 13. Ceux de la Bourgogne, à . . 14. Ceux des provinces de Bresse, BugeyetGex ............ 15. Ceux du pays de Provence. . 16. Ceux des terres adjacentes de Provence .............. 17. Ceux des États de Navarre et de Béarn . ....... ... . . . üw,wu 18. Ceux du pays de Foix. . . . 100,000 Total ........... 8, 215, 000 liv. 19. Recettesdes finances du Roussillon, 338,000 1. 20. En estimant le don gratuit du clergé de seize à dix-huit millions tous les cinq ans, cela ferait par an 3,200,000 à ........ 3,400,000 livres. 21. Le bénéfice des monnaies, déduction faite des charges assignées sur la caisse du trésorier général des monnaies, peut être estimé, année commune à ..... , ...... 500,000 livres. 22. La ferme de Sceaux et de Poissy, 350,000 1. 23 . La part du roi dans les produits qui excéderont les sommes fixées pour la ferme générale, la régie générale et la régie des domaines, peut, avec juste raison, être estimée par an à 1 ,200,000 1. Nota. II y a toute apparence que cet objet sera plus considérable. 24. L’augmentation annuelle, obtenue récemment sur l’abonnement des vingtièmes des pays d’États, de ceux de différentes provinces abandonnées et de quelques corps particuliers, se monte à .............. 990,000 livres. 25. La loterie royale de France et les petites loteries, d’après les probabilités et l’expérience, forment un revenu annuel de. . 7,000,000 livres. 26. Les extinctions des rentes viagères et les intérêts des capitaux éteints par les remboursements, procureront un bénéfice annuel ; mais on ne passe ici en ligne de compte que le montant de ces deux sortes d’extinctions dans le cours de 1781, parce qu’elles deviennent un gage libre pour les prêteurs, dès. janvier 1782, ci 1 ,850,000 1. 27. Contributions de la ville de Paris, dans les dépenses des carrières, de la garde et de la police ..... ... ...... 204,000 livres. 28. Capitation de l’ordre de Malte 40,000 livres. 29. Petites recettes particulières des affinages de Trévoux, des fiacres de Lyon, etc. 40,000 liv. 30. Intérêts d’environ six millions d’effets publics rentrés au trésor royal en différents temps et non encore brûlés ....... 290,000 livres. 31. Rentrées des débets ou de vieilles créances, et autres petites recettes imprévues. . . Mémoire. Rentrées ordinaires au trésor royal 264,154,000 1. État des dépenses payées au trésor royalpour Vannée ordinaire. N° 1er. Le fonds annuel à verser à l’extraordinaire des guerres, d’après les dépenses ordinaires actuelles, serait d’environ.. 65,200,000 liv. Nota. La partie des pensions qui était à la charge de ce département au 1er janvier 1779, ainsi que les taxations des trésoriers généraux, sont payées depuis cette époque par le trésor royal. Cette partie des pensions militaires et ces taxations sont un objet d’environ 8,000,000 I. 2. Le fonds de la maison militaire du roi, connu sous Je nom d 'ordinaire des guerres 7,681 ,000 liv, Nota. Même observations sur les pension et les taxations. 3. Le fonds ordinaire de l’artillerie et du génie. ... ........ - . . . "9,200,000 livres. Nota. Même observation sur les pensions et taxations. 4. Le fonds des maréchaussées, 3,575,000 livres. 5. Le fonds annuel des dépenses ordinaires du département de la marine était, avant la guerre, de ........... ..... 31,000,000 livres. Dont, déduisant 1,800,000 livres pour les pensions et les taxations à la charge de ce département au 1er janvier 1779, et qui sont payées depuis cette époque par le trésor royal, resterait à 48,000 458,000 574,000 741,000 [1 r® Série, T. Ier ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ■174 payer pour le fonds ordinaire de la marine ...... ; ....... 29,200,000 livres. Nota. Ce fonds est indépendant de tous les levenus du roi dans ses colonies. ÎI est impossible cependant que les nouvelles dispositions que votre Majesté jugerait à propos d’ordonner à la paix donnassent lieu d’augmenter l’ancien fonds ordinaire de la marine ; mais, d’un autre côté, il est possible aussi qu’il y ait quelque réduction dans la somme portée maintenant pour l’extraordinaire des guerres, puisqu’elle excède de beaucoup les fonds qui y étaient destinés autrefois, 6. Le fonds annuel à verser aux affaires étrangères , compris les ligues suisses , est de ............. . . . 8,525,000 livres. 7. Les dépenses totales de toutes les parties de la maison domestique du roi et de celle de la reine, de Madame, fille du roi, de Madame Élisabeth et de Mesdames, tantes du roi, compris les bâtiments , les gages des charges, les appointements et les divers traitements des personnes attachées à la cour, sont de . 25,700,000 livres. 8. Fonds payés annuellement du trésor royal pour la maison de Monsieur et de Madame, et pour la maison de M. le comte et Madame la comtesse d’Artois. . • • ...... 8,010,000 livres. 9. Rentes sur la caisse des arrérages, 20,828,000 1. 10. Le montant des pensions n’est pas, dans ce moment, connu avec précision; cependant la confection générale des brevets est tellement avancée, que c’est avec une sorte de certitude qu’on évalue cette dépense annuelle à la somme excessive de .......... 28,000,000 livres. 11. Le fonds versé du trésor royal à la caisse des pont et chaussées , indépenidamment des parties assignées annuellement sur d’autres caisses. ... ........... 5,000,000 livres. 12. Les fonds fournis du trésor royal pour la destruction de la mendicité se montent à 900,000 1. 13. Les payements d’intérêts et remboursements d’actions de la compagnie des Indes, faits par le sieur de Mory, et autres dépenses, déduction faite des revenus d’induit et de saisies qui lui sont versés, montent à ........ 4,600,000 livres. 14. Le remboursement annuel des anciennes rescriptions se monte à . . . . 3,000,000 livres. 15. Les intérêts de la partie de ces mêmes rescriptions qui n’est pas encore remboursée se montent à ............ 2,084,800 livres 16. Les intérêts et frais des anticipations, environ ... ............. 5,500,000 livres 17. Les intérêts d’un emprunt de six millions fait à Gênes ....... ..... 300,000 livres 18. Ceux d’un autre emprunt fait également à Gênes pour l’ancienne régie des messageries. . . ...... . ........ 70,000 livres. 19. Ceux du dernier emprunt fait par la ville de Paris. ....... ...... 600,000 livres. 20. Les intérêts et remboursements des emprunts de l’ordre du Saint-Esprit et les autres charges de l’ordre assignées sur la caisse du marc d’or, se montent à ..... . . 1,770*000 livres* D’où réduisant pour le produit du marc d’or destiné à ces payements, et reçu par les mêmes trésoriers ........ 1,300,000 livres. Reste à porter en dépense. . . .470,000 livres. 21. Intérêts à payer à divers propriétaires d’offices supprimés, deux millions trois cent soixante-sept mille livres, ci ....... 2,367,000 livres. 22. Intérêts des soixante millions empruntés par voie de loterie, tant en 1777 qu’en 1780, évalués, malgré les remboursements déjà faits, à ................. 3,000,000 livres. Nota. On a passé tous les autres remboursements parmi� les charges annuelles ; mais ceux-ci n’étant pas les mêmes chaque année, il. a paru plus raisonnable de se borner à passer au rang des dépenses perpétuelles l’intérêt du capital, avec lequel on pourrait éteindre aujourd’hui ces deux emprunts. 23. Fonds annuel jusqu’en 1785 pour le remboursement des lettres de change des îles de France et de Rourbon. ..... 1,000,000 livres. 24. Fonds annuel jusqu’en 1785 pour un remboursement à faire à M. le prince de Gonti ....... . ........ 553,000 livres. 25. Fonds annuels pour le remboursement des offices de papiers et de cartons, qui finira en 1787 .............. 68,000 livres. 26. Gages des offices du point d’honneur ...... . ...... 275,000 livres. 27. Appointements compris dans l’état des gages du conseil, distraction faite de ce qui en est assigné sur d’autres caisses particulières 1,379,000 livres. 28. Autres traitements par ordonnances particulières .............. 664,000 livres. 29. Intérêts annuels pour soulte d’engagements de domaines, pour dettes à différents fournisseurs et pour d’autres arrangements, 1,272,000 livres. 30. Fonds à faire pour les gages des offices de Eretagne, en sus de ceux versés directement par cette province entre les mains du receveur général. ....... ........ 177,000 liv. ld., pour ceux de Toulouse . . 122,000 là., pour ceux de Montpellier . . 240,000 Id. , pour ceux de Bourgogne . . 92,000 Zd., pour ceux des offices de Provence ............... 326,000 ld. , pour ceux de Navarre et Béarn ........... . ..... 36,000 Total ....... . 993,000 liv" 31. Supplément pour les dépenses civiles de Corse. ............... 250,000 livres. 32. Académies, académiciens et autres gens de lettres ............ . . . 269,000 livres. 33. Bibliothèque du roi ..... 89,000 livres. 34. Imprimerie royale, année commune, environ ..... .. . . . ...... 100,000 livres. 35. Jardin royal des plantes et cabinet d’histoire naturelle ........... 72,000 livres. 36. Dépenses de la police, illumination de Paris, pompiers, enlèvement des boues, 1,400,000 1. [lr® Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 37. Guet et garde de Paris. . . 660,000 livres. 38. Maréchaussée de l’Ile-de-France, 195,000 1. 39. Gages, intérêts des finances, taxations et épices de la chambre des comptes et frais géné-raux quelconques , tant à Paris qu’en province, des gardes du trésor royal, de tous les trésoriers, de la nouvelle administration des recettes générales des finances et des commissaires au bureau général des dépenses de la maison du roi .......... ...... 2,990,000 livres. 40. Prisonniers dans des châteaux, dont le payement est fait au trésor royal, 82,000 livres. 41. Secours aux Jésuites , à des hôpitaux , à des maisons religieuses, etc ...... 800,000 livres. 42. Secours aux familles Acadiennes 113,000]. 43. Indemnités et dépenses diverses ordinaires .............. 1,412,000 livres. 44. Dépenses des écoles vétérinaires, 59,000 1. 45. Dépenses des mines et agriculture, 26,000 1. 46. Dépenses ci-devant payées sur les revenus de la principauté de Dombes. . . 74,000 livres. 47. Appointements et gages des gouverneurs et lieutenants du roi, et autres compris dans les états de ses garnisons ordinaires, 1,527,000 livres. 48. Remises accordées aux pays d’états à différents titres, évaluées, année commune, 800,0001. 49. Fonds pour les dépenses imprévues au delà des rentrées extraordinaires, passées pour mémoire dans le chapitre des revenus, 3,000,000 1. Dépenses payées au trésor royal, 253,954,0001. RÉSULTAT. Les revenus montent à . .. 264,154,000 livres. Et les dépenses à ...... 253,954,000 livres. Les revenus excèdent les dépenses de 1 0,200,000 1 . Nota. Cet excédant est indépendant de 17,326,666 1. employées en remboursements, et dont le détail suit ci-après. Détail des remboursements passés dans le chapitre des dépenses annuelles. Les fonds destinés au remboursement des res-criptions ... .......... 3,000,000 livres. Celui destiné au remboursement des billets des fermes, qui font partie des charges de la ferme générale, et qui sera fini en 1785, 3,600,000 livres. Celui destiné au payement des lettres de change des îles de France et Bourbon, et qui sera fini en 1784 ........... 1,000,000 livres. Celui destiné au remboursement des actions des Indes. On le porte ici sur le môme pied où il a été en 1780 .......... 730,000 livres. Celui destiné au remboursement du duché de Mercœur et de la forêt de Senonches, et qui finira en 1784 ...... . ........ 553,000 livres. Celui destiné au payement des offices des papiers et cartons, qui finira en 1787, 68,000 livres. Fonds retenus par le trésorier des États de Languedoc, sur les deniers du roi, pour être appliqués à des remboursements. 4,092,000 livres. On a compris, dans cette somme de quatre mil-175 lions quatre-vingt-douze mille livres, la portion de remboursement qu’exigera le dernier emprunt de dix millions, actuellement ouvert. Fonds retenus par le trésorier' des États de Bretagne . . ......... 202,000 livres. Fonds destinés dans ce moment, sous le bon plaisir du roi, au remboursement d’un emprunt particulier à ladite province de Bretagne 300,000 1. Fonds retenus par le trésorier des États do Bourgogne, pour être appliqués à des -remboursements ............. 1,680,000 livres. Idem pour celui de Provence. . . 785,000 livres. Idem pour l’agent de la province d’Artois ................ 150,000 livres. Remboursement annuel aux fermiers de Sceaux et Poissy. ... .......... 166,666 livres. Remboursement à faire au clergé pendant quatorze ans , à commencer du 15 juillet do la présente année 1781 ...... 1,000,000 livres, Rente à payer au clergé jusqu’en 1796 ........... 500,000 1,500,000 livres. Mais, comme les intérêts et les capitaux sont confondus dans cetto espèce de rente ou de remboursement, on ne les mettra en ligne de compte ici que pour .......... . 1,000,000 livres. Total des remboursements. . 17,326,666 livres� L’état comparatif qu’on vient de lire ne fait connaître que l’effectif des renies versées dans le trésor royal. 11 ne comprend ni les frais de perception, ni les dépenses acquittées dans les provinces, et ne donne conséquemment qu’une idée imparfaite de la masse des revenus et des dépenses de l’État. Nous allons les faire connaître plus en détail, par un extrait de l’ouvrage que publia M. Necker en 1784, sous le titre A} Aperçu sur l'administration des finances . Administration des finances de la France, en \ 784, par M. Necker, Contributions de peuples. I. Les deux vingtièmes et les quatre soirs pour livre en sus du premier, impositions qui portent presque en entier sur le revenu net des propriétaires fonciers, se montent à cinquante-six millions quatre cent mille livres, d’où, déduisant environ un million quatre cent mille livres, pour les décharges et modérations accordées, année commune, aux contribuables, reste à porter, dans le tableau des contributions, cinquante-cinq millions. Les vingtièmes du clergé étranger seront compris dans les impositions générales du clergé du royaume, dont l’article se trouve ci-après. IL Le troisième vingtième a été établi au mois de juillet 1782, pour durer jusqu’au dernier décembre de la troisième année après la signature de la paix. Get impôt, tant à cause des exemptions portées dans l’édit qu’au moyen des modérations [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. jlntroduction.] 176 accordées aux provinces abonnées et des décharges Qu’obtiennent les particuliers, ne doit se monter qu’à vingt et un millions cinq cent mille livres. III. La taille, dans quelques provinces, porte uniquement sur les biens-fonds assujettis à cet impôt, et la mesure en est déterminée par un cadastre ; mais dans la plus grande partie du royaume la taille. est relative à l’état des personnes ; et alors la répartition en est faite d’après une proportion préjugée, soit de la fortune des roturiers, soit du produit des biens dont ils ont l’exploitation comme fermiers ; et les nobles qui régissent eux-mêmes leurs domaines n’ont droit qu'à des exemptions limitées. , L’ensemble de la taille, impôt qui, dans quelques provinces, a une dénomination différente, s’élève à environ quatre-vingt quinze millions, en y, comprenant les taxations des collecteurs, partout où ces taxations sont ajoutées au capital imposé. La taille que payent certaines villes abonnées avec le produit d’un droit d’entrée n’est point comprise dans cette somme : ce serait un double emploi, puisque l’on verra dans la suite un article composé de tous les droits levés par les villes. 11 est juste de déduire de cette somme de 95 millions les diverses remises accordées sur cet impôt dans tout le royaume, et qui s’élèvent, année commune, à près de 4 millions. Reste à porter dans le tableau des contributions générales... 91 millions. On n’a pas compris dans cet article la partie de la taille qui est Imposée dans quelques provinces pour satisfaire à la dépense des chemins , parce qu’on a fait un article séparé de la contri-bution-des peuples , soit en argent, soit en corvées, pour la confection et l’entretien des routes dans tout le royaume. IV. La capitation, impôt qui porte sur les facultés des nobles comme des roturiers, se monte, déduction faite des décharges ou des modérations accordées aux contribuables, à environ 41 millions 500 mille livres. La capitation des roturiers , dans toutes les provinces où la taille n’est pas réelle, est répartie au marc la livre de cet impôt. V. Les impositions locales des pays d’élection , et qui sont destinées, tantôt à l'entretien des presbytères, et tantôt à d’autres dépenses d’une utilité particulière aux communautés de campagne ou à certains arrondissements , environ 2. million s. VI. Lesp-ecouvrements donnés ou à bail, ou en régie à la ferme générale, et qui proviennent des produits de la vente exclusive du sel et du tabac, des droits de traite à l’entrée ou à la sortie du royaume, et des provinces appelées des cinq grosses fermes , des droits du domaine d’Occident per-1 çus à l’introduction des denrées des colonies,- enfin des droits exigés à l’entrée de Paris ou dans la circonférence : tous ces recouvrements réunis, y compris les derniers sous pour livre, et quelques droits établis par l’édit d’août 1781, peuvent être estimés à environ 186 millions. Ce n’est pas cependant cette somme qu’il faut porter dans le tableau des contributions des peuples ; il est raisonnable d’abord d’en déduire les avances faites annuellement par les fermiers généraux, et pour l’acquisition des sels de l’Océan ou de la Méditerranée , et pour la formation de ceux provenant des salines, et pour l’achat ou la fabrication des tabacs, et pour les frais de transport de ces marchandises dans tous les lieux de consommation du royaume. On sent aisément que ces diverses avances représentent une valeur réelle; ainsi la partie des produits qui sert à rembourser une pareille dépense ne peut pas être considérée comme une imposition. J’estimerai la totalité des avances dont je viens de parler , année’ commune , en comptant sur quelques-unes de guerre , à environ 16 millions. Enfin, en se proposant seulement d’établir ici la somme des contributions des habitants de la France, il est juste de retrancher des recouvrements de la ferme générale son bénéfice sur les ventes de sels qu’elle fait aux Suisses, aux Valai-sans, à la république de Genève, au comtat d’Avignon, et à �quelques principautés voisines du Rhin. Il s’expédie aussi pour l’étranger, par la voie ordinaire du commerce, une certaine quantité de tabacs de la ferme , achetée à des conditions modérées, mais qui procuré cependant un petit avantage à la ferme générale. J’estimerai les deux objets de bénéfice que je viens de désigner à environ 2 millions ; et, comme ce bénéfice fait avec les étrangers est payé par eux, il est juste de le déduire des produits de la ferme générale, avant de faire entrer ces mêmes produits dans le tableau des contributions de la France. Une autre observation se présente encore. Supposons le commerce du sel et du tabac parfaitement libre, il y aurait des négociants qui feraient venir ces marchandises, soit des marais salants, soit de l’étranger ; il y en aurait d’autres qui dirigeraient les fabriques de tabac; et ces négociants, dans les ventes qu’ils feraient aux marchands en détail , élèveraient nécessairement le prix de la denrée au point nécessaire pour retrouver l’intérêt' de leurs avances et pour s’assurer du bénéfice qu’exige toute espèce d’entreprise. Enfin à ce commerce simple il se joindrait quelquefois des spéculations, des accaparements , des monopoles, opérations dont le succès serait un accroissement de charge pour les consommateurs. On serait même tenté , au premier coup d’œil, 177 [ire Série, T. Ier. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] d’évaluer fort haut ces bénéfices réunis. La ferme générale vend pour 120 millions de sel et de tabac ; pourrait-on dire quels profits ne feraient pas, sur un commerce de cette étendue, les négociants qui s’en mêleraient ? Mais on doit observer que la somme considérable de ces ventes provient des hauts prix qui sont l'effet du privilège exclusif, ou, si l’on veut , de l’impôt modifié sous cette forme; et si ce commerce était libre et affranchi de tout impôt, le capital nécessaire pour l’exploiter serait modique, puisque ce capital serait proportionné aux dépenses annuelles d’achat, de fabrication et de voitures ; et l’on vient de voir que ces dépenses ne formaient qu’un objet de seize millions pour la ferme générale. Quoi qu’il en soit, puisque le commerce libre du sel et du tabac donnerait lieu à des bénéfices de spéculation et à des intérêts d’argent qui retomberaient à la charge des consommateurs, il est juste d’y avoir égard dans un calcul où l’on cherche à connaître l’étendue des contributions des peuples ; car ce qu’on peqt considérer comme un impôt sur le sel et sur le tabac est uniquement la partie du prix actuel de ces denrées, qui surpasse le taux auquel chaque consommateur pourrait s’approvisionner, si le commerce n’était plus soumis ni au privilège exclusif de la ferme générale, ni à aucun droit quelconpue. J’estimerai donc le profit des négociants, dans l’hypothèse que je viens d’établir, à environ deux millions. Récapitulant maintenant ces trois articles de déduction , le premier de seize millions, le second et le troisième de deux millions chacun, c’est en tout vingt millions, somme àsoustraire des cent quatre-vingt-six millions recouvrés par la ferme générale; resterait don c à porter dans le tableau des contributions des peuples cent soixante-six millions. Je dois observer qu’indépendamment des bénéfices faits par la ferme générale sur le sel et sur le tabac, les débitants à petite mesure ODt un profit que "je ne range point parmi les contributions des peuples. La raison en est simple ; ce profit existerait sous une autre forme, lors même que le commerce du sel et du tabac serait rendu libre, car il faudrait partout, pour la commodité du peuple, de petits distributeurs qui feraient un bénéfice à peu près égal aux avantages qu’on accorde aujourd’hui aux personnes connues sous le nom de débitants ou de regrattiers. VII. Les recouvrements de la régie générale consistent principalement en droits d’aides sur les boissons, et ce même genre d’impôt, sous le nom de droits réservés ou d’inspecteurs aux boucheries, s’étend à quelques autres consommations. La régie est encore chargée de la perception des droits établis sur les ouvrages d’or et d’argent, et sur la fabrication des fers, des cuirs, des cartes, du papier, de l’amidon, etc. 4re Série. T. Ier. Le produit de l’ensemble de ces droits, dépendant en partie de l’étendue de la récolte en vins, est susceptible d’une grande variation. Lp rigidité plus ou moins grande avec laquelle les agents du fisc sont autorisés à se conduire, influe aussi d’une manière sensible sur la mesure des recouvrements. J’estime les produits bruts de la régie générale, avec les derniers sous pour livre, et dans l’état actuel des choses, de cinquante et un à cinquante-deux millions, ci.... 51,500,000 livres. La régie perçoit de plus environ huit huilions pour des droits de la nature de ceux qui viennent d’être désignés, mais qui ont été convertis dans une somme fixe; et, comme ces abonnements sont acquittés par des villes ou par des États des deniers provenant de la taille, ou d’autres impositions comprises dans le tableau général dont on présente ici les éléments, ce serait un double emploi que d’en porter une seconde fois le montant au titre des recouvrements de la régie générale. La ferme générale et l’administration des domaines sont aussi chargées du recouvrement de quelques abonnements, mais de peu d’importance, et la même observation s’y trouve applicable. Ce sont ces divers mélanges, et tant d’autres encore, qui rendent infiniment difficiles le travail que j’ai entrepris et les soins que je me suis donnés pour en présenter l’exposition avec ordre. VIII. Les recouvrements confiés à l’administration des domaines proviennent principalement des droits sur le contrôle et l’insinuation des actes, des droits de greffe et d’hypothèque, du droit de centième denier sur la vente des immeubles; de la taxe particulière sur l’acquisition des biens nobles par les roturiers (impôt connu sous le nom dé franc-fief), des droits dus sur les immeubles vendus aux corps et communautés qui n’ont pas la faculté de s’en défaire, des droits de péage appartenant au roi, etc. Enfin la même régie perçoit encore le produit de la vente des bois appartenant au souverain, le revenu de ses autres domaines fonciers, et les droits casuels dus à la mutation des biens qui relèvent de ces seigneuries. Ces divers recouvrements, y compris les derniers sous pour livre et indépendamment de quelques petits droits abonnés, doivent s’élever aujourd’hui entre cinquante-deux et cinquante-trois millions. Mais il ne faut compter parmi les contributions des peuples, ni les produits des bois, ni le revenu des domaines réels, ni même les cens et les droits seigneuriaux casuels, puisque ce ne sont pas des impôts,* mais des droits pareils à tous ceux que perçoivent dans l’universalité du royaume les différents seigneurs de fiefs; tous ces objets se montent de onze à douze millions. Reste donc à porter dans le tableau des contributions quarante et un millions. IX. La petite ferme particulière qui recouvre dans les marchés de Sceaux et de Poissv les droits 12 178 [1* Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. [ établis sur les bestiaux destines à la consommation de Paris ; les produits bruts, y compris les sous pour livre, se montent à environ 1,100,000 livres. X. Le revenu que le roi tire des postes se monte aujourd'hui à dix millions trois cent mille livres, et c’est la somme que je porterai dans le tableau général des contributions, ci . . 10,300,000 livres. XL La ferme des messageries rapporte, selon le bail passé en 1782. ... ...... 1,100,000 livres. Les raisons développées dans l’article précédent m’engagent de même à ne porter que le prix du bail dans le tableau des contributions des peuples; puisqu’en supposant ce bail à sa juste valeur, les frais de manutention et les bénéfices des fermiers deviendraient la représentation des dépenses qu’entraîne un gervice d’une utilité, générale, XII. Le bénéfice sur la fabrication des monnaies produit environ . . . . ...... 500,000 livres. On n’y ajoute point non plus les frais de manutention, quoique l’indemnité de ces frais se retrouve dans la valeur donnée aux espèces, et retombe ainsi à la charge des peuples; mais la fabrication des monnaies étant un acte public indispensable, la dépense serait la même, quand le roi renoncerait à n’en retirer aucun bénéfice. XIII. Le revenu provenant de la régie des poudres se monte à environ 800,000 livres, XIV. Le produit brut de la loterie royale et des petites loteries, y compris les 4 p. 0/0 retenus par les buralistes, s’élève de onze à douze millions, ci ..... ........ 11,500,000 livres. L’on voit que ce n’est pas seulement le bénéfice du roi que je compte parmi les contributions des peuples, mais la somme entière des recouvrements sans déduction de frais, car certainement cette dépense n’est pas le prix d’un service public indispensable. XV. Les recouvrements faits par le receveur général des revenus casuels consistent dans les droits établis à la mutation des charges, et à la réception dans les communautés de marchands ou dans les maîtrises d’arts et métiers : ces recouvrements doivent être évalués annuellement à environ 5,700,000 livres. Le rachat du centième denier, dont le terme expire à la fin de 1788, sera porté comme une anticipation dans le chapitre des dépenses. XVI. Le marc d’or est encore un droit perçu à la mutation des charges, et on l’exige de plus à l’occasion des brevets, des concessions, des privilèges, et des autres actes de faveur qui ont besoin d’être revêtus du sceau de la chancellerie. Ce recouvrement doit être aujourd’hui d’environ 1 ,700,000 livres. XVII. Les droits sur les consommations, donnés à terme ou en régie par les pays d’États, tels que la ferme des devoirs en Bretagne, celle des équivalents en Languedoc, les crues sur le sel dans le Méconnais, la Bourgogne et dans une petite partie du Languedoc; les droits établis sur les consommations par les États de Flandre, d’Artois, du Cambraisis et du Maçonnais, les drois de péage sur la Saône, en Bourgogne, produisent ensemble de 10, à 11 millions, ci ..... . . 10,500,000 llv. XVIII. Les contributions particulières du clergé du royaume, conformément à l’explication qui en sera donnée dans un chapitre suivant, sont d’environ 11 millions. XIX. Les octrois consistant principalement dans des droits Ô l’entrée de diverses villes du royaume, ou au débit de quelques denrées, et dont le recouvrement est fait pour le compte de ces mêmes villes, des hôpitaux et des chambrés de commerce, soit pour subvenir à leurs diverses dépenses, soit pour l’acquit de leurs dettes, soit pour payer quelques abonnements contractés avec le fisc, montent à environ 27 millions. XX. Les droits d’aides à Versailles, recouvrés par une régie particulière, sous l’inspection du gouverneur de cette ville, qui en a fait servir le produit & l’acquit de diverses dépenses relatives au service du roi ; cette partie de recouvrement s’élève, je crois, à environ 900,000 livres. XXL Les impositions diverses en Corse rapportent près de 600,000 livres. XXII. L’impôt établi sur les maisons de Paris, pour le logement des Gardes Françaises et Suisses, et dont on rend compte aux chefs de ces corps, se monte à environ 300,000 livres. XXIIL Divers petits objets, tels que l’induit appartenant à la compagnie des Indes, l’abonnement de 150,000 livres convenu avec la compagnie des glaces pour l’impôt établi en 1771 , les droits sur la marque des étoffes, ceux provenant des affinages de Paris, Lyon et Trévoux, les droits de chancellerie appartenant au garde des sceaux de France, ceux du contrôle des quittances nouvellement rétablis en faveur du contrôleur général des finances, la taxe connue à Paris sous le 'nom de boues et lanternes, et dont l’abonnement se paye par les maisons nouvellement construites, les droits au profit du corps des marchands de Paris, ceux sur les fiacres, les passeurs d’eau, etc. , ensemble environ 2,500,000 livres. XXIV. Droits casuels à la mutation des offices, droits d’aide du contrôle et de péage, levés de la part des princes du sang à titre d’apanage, de concession ou d’abonnement, et ceux engagés à différents seigneurs, entre deux et trois millions, ci ................ 2,500,000 livres. XXV. Corvées ou impositions exigées pour l’entretien et la confection des routes, environ 20 •millions. Les grands chemins de la généralité , de Paris n’entrent point dans ce compté, parce que c’est des fonds du trésor royal qu’on y pourvoit. [lr« Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] XXVI, On doit encore considérer comme une addition aux tributs des peuples les frais de procédure, de contrainte et de saisie qui retombent à la charge des contribuables. J’évaluerai cet article de sept à huit millions, ci ................ 7,500,000 livres. Les nouveaux sous pour livre et l’établissement d’un troisième vingtième doivent occasionner quelques augmentations, car l’un des funestes effets de l’accroissement des impôts, entre tant d’autres, c’est de rendre les recouvrements plus difficiles et les rigueurs plus nécessaires. XXVII. On peut encore compter parmi les sacrifices des peuples leur assujettissement au tirage de la milice; mais ce n’est une charge pécuniaire que pour ceux qui, désignés par le sort, payent d’autres hommes pour les remplacer. XXVJII. On doit encore indiquer comme une charge difficile à apprécier le logement des gens de guerre lors de leur passage, ainsi que dans les villes de garnison, où, faute de casernes, ils sont répartis dans les maisons des habitants ; on est tenu de leur fournir, outre le logement, le feu, la lumière, le linge et le sel ..... Mémoire. XXIX. Il se vend dans le royaume beaucoup de sel, de tabac et d’autres marchandises introduites par contrebande ; un pareil débit n’a lieu sans doute qu’à la faveur du profit modéré dont les fraudeurs se contentent; mais les marchés qu’on peut faire avec eux se ressentent néanmoins des risques attachés à ce genre de commerce. Ainsi si les contrebandiers cèdent à trente sous ce que la ferme vend soixante, il n’est pas moins vrai qu’ils tirent en même temps trente sous de ce qui n’en vaut que dix, et cet excédant est une surcharge qui doitêtre attribuéeauximpôtsétablissur le sel, sur le tabac et sur d’autres marchandises. Récapitulation. Vingtièmes ........... 55,000,000 Troisième vingtième ....... 21,500,000 Taille .............. 91,000,000 Capitation ............ 41,500,000 Imposition locales. ...... 2,000,000 Ferme générale ........ 166,000,000 Régie générale, ........ 51,500,000 Administration des domaines. 41,000,000 Fermes de Sceaux et Poissy. . 1,100,000 Administration des postes. . . 10,300,000 Fermes des messageries. . . . 1,100,000 Monnaies ............ 500,000 Régie des poudres. . ..... 800,000 Loterie royale ......... 11,500,000 Revenus casuels. ....... 5,700,000 Droits de marque d’or. . . . 1,700,000 Droits perçus par les pays d’États ............ ... 10,500,000 Clergé. ........ 11,000,000 A reporter ......... 523,700,000 Report. ........ . . Octrois des villes, hôpitaux et chambres de commerce. ... . Aides de Versailles ...... Imposition de la Corse. . . . Taxe attribuée aux Gardes-Françaises et Suisses. ...... Objets divers ........... Droits recouvrés par les princes ou lesengagistes ......... Corvées ou impositions qui en tiennent lieu ...... ..... Contraintes, saisies. . Milice , Mémoire. Logement de gens de guerre, Idem. Impôt indirect par la contrebande, Idem. 523,700,000 liv. 27,000,000 900,000 600,000 300,000 2,500,000 2,500,000 20,000,000 7,500,000 Total. 585,000,000 liv. Récapitulation des frais de recouvrement de toutes les impositions du royaume. Vingtièmes , troisième vingtième, taille et capitation. . . . 12,600,000 liv. Impositions locales. ..... 50,000 Ferme générale. ....... 22,300,000 . Régie générale ....... . 8,600,000 Administration des domaines. 5,300,000 Fermes de Sceaux et Poissy. 300,000 Administration des postes. . Ferme des messageries. . . Monnaies .......... Régie des poudres. ..... Loterie royale. . ....... 2,400,000 Revenus casuels ........ 140,000 Droits de marc d’or ...... 40,000 Droits perçus par les pays d’États ............. . 1,700,000 Clergé ......... .... 500,000 Octrois des villes, hôpitaux et chambres de commerce ..... 3,000,000 Aides de Versailles ...... 150,000 Impositions delà Corse. . . . 70,000 Taxe attribuée aux Gardes-Françaises et Suisses ....... 15,000 Objets divers ......... 250,000 Droits perçus par les princes ou les engagiStes ......... 250,000 Corvées ou impositions qui \ en tiennent lieu: I Contraintes et saisies. I Milice et logement de gens de 1 57,665,000 guerre. I Impôt indirect par l’effet de j la contrebande ......... J Augmentation applicable à l’ensemble des articles ci-dessus . 335,000 Total. * U5,875,000.1iv [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 180 On a montré que l’universalité des impositions à la charge des peuples s’élevait à 585 millions; d’où, déduisant 2*7,500,000 livres pour les corvées et les frais de contraintes ou de saisies, sortes de contributions qui ne forment pas un objet de recette, reste ....... 557,500,000 liv. C’est avec ce capital qu’il faut comparer les frais de recouvrement ci-dessus. Le résultat est 10 quatre cinquièmes pour cent. Résumé des parties de l’impôt qui sont territoriales . Vingtièmes . ......... 74,000,000 liv. Taille ............. 81,000,000 Impositions locales ...... 1,800,000 Capitation ......... . . 22,000,000 Clergé ........ 10,600,000 Divers objets ......... 600,000 Total de l’impôt territorial . . . 190,000,000 liv-Sur le nombre des agents et des employés du fisc. L’universalité des agents du fisc, depuis les premiers chefs jusqu’aux plus petits buralistes ou collecteurs, peut-être évaluée à environ deux cent cinquante mille personnes, et on peut les classer à peu près de la manière suivante ; Deux cent mille pour la recette et la collecte des vingtièmes, de la taille et de la capitation; Vingt-sept mille pour la recette des droits des fermes, des aides, des domaines, des octrois des villes et des paysd’États, et pour toutes les autres parties ; Vingt-trois mille pour s’opposer à la contrebande. Mais il est essentiel d’observer que, dans ce nombre de personnes, la plus grande partie réunit d’autres occupations aux fonctions fiscales. Je n’évalue donc qu’à trente-cinq ou quarante mille le nombre des personnes qui dévouent tout leur temps au recouvrement des impôts, ou à surveiller la contrebande. Rapports entre la population, V étendue et les contributions du royaume. L’étendue du royaume, sans la Corse, est de 26,951 lieues carrées, dont la longueur est de 25 au degré, et par conséquent de 2,282 toises et deux cinquièmes. Sa population, sans la Corse, est de 24,676,000 âmes. C’est donc peuf cent seize individus par lieue carrée. Ses contributions s’élèvent à 584,400,000 liv. C’est 21,684 livres par lieue carrée, Et 23 livres 13 sous 8 deniers par tête, de tout sexe et de tout âge. BALANCE DU COMMERCE. Exportations. Cent cinquante millions en différents objets de manufactures, tels que les draps, les toiles, les diverses étoffes mêlées d’or et d’argent, etc. Soixante-dix à soixante-quinze millions en denrées des îles d’Amérique, telles que les sucres, les cafés et l’indigo, etc. Trente-cinq à quarante millions en vins, eaux-de-vie et autres liqueurs. Dix-huit millions pour les thés, les étoffes et les soies de la Chine, les cafés del’ile de Bourbon et de Moka, les poivres de la côte de Malabar, les toiles de celle de Coromandel, les mousselines fines du Bengale, les productions des échelles du Levant, etc. Seize millions pour les blés, année commune, les beurres et les fromages de certaines provinces; les citrons, les sels, le safran, le miel, les légumes secs, les huiles de Provence, et quelques productions des pêcheries. Six millions environ en divers objets, tels que les cuirs, car la France en reçoit de l’étranger, et y en envoie; les bois propres à la menuiserie, tirés principalement des montagnes des Vosges, et envoyés en Hollande, etc. Importations. Soixante-dix millions environ, année moyenne, en matières premières nécessaires aux manufactures, telles que les cotons, les laines, les soies, les chanvres, la graine et les fils de lin, etc. Vingt millions environ en d’autres matières premières, telles que les diamants ou les autres pierres précieuses, et les métaux d’or et d’argent, qui servent à la fabrication des bijoux, des parures, des galons, des broderies, etc. Quarante millions environ en marchandises manufacturées, telles que les toiles de diverses espèces venant de Flandre, de Hollande et de Suisse; les mousselines fines provenant des ventes de la compagnie des Indes d’Angleterre, etc. Quarante millions environ en comestibles, tels que les blés ou autres grains, les riz, les huiles d’Italie, etc. Vingt-cinq millions environ, en mâts, merrain, bois de construction, etc. Quatorze millions en marchandises des Indes, de la Chine et de l’île de Bourbon. Dix millions environ en tabac. Dix à douze millions environ en objets divers, tels que les chevaux, les suifs, les fourrures, etc. RÉCAPITULATION DES DETTES DE L’ÉTAT, ET DES REMBOURSEMENTS. lre Classe. — Rentes ou intérêts perpétuels. Rentes payées à l’hôtel de ville ...... ......... 29,600,000 l. Intérêt de l’emprunt de 200 millions. . ........... 5,000,000 A reporter ......... 34,600,000 liv. * [1» Série, T. I«.] - ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 184 Report. .......... 34,600,000 Intérêts payés à la caisse des arrérages ......... . . . 20,500,000 Intérêts payés à la compagnie des Indes. ...... 3,995,000 Intérêts des emprunts faits par les pays d’États, pour le compte du roi ...... . ... 4,500,000 Intérêts des anciennes res-criptions ............. 1,625,000 Intérêts sur les loteries de 1780 et 1783. ... ■ ....... 4,000,000 -Intérêts des emprunts faits pour le compte du roi, par la ville de Paris et l’ordre du Saint-Esprit .............. 1,500,000 Intérêts des emprunts faits à Gênes et en Hollande ...... 800,000 Intérêts des charges de finance 5,450,000 Gages, etc., de toutes les autres charges. .... ...... 10,500,000 Intérêts des fonds d’avance des compagnies de finance. . . 6,590,000 Intérêts des cautionnements des employés. . ........ 2,100,000 Intérêts des charges supprimées .............. 2,000,000 Intérêts des anticipations . . 8,000,000 Indemnités et intérêts divers. 3,400,000 Rentes payées par le clergé. 7,000,000 Intérêts dus par les pays d’États, les villes et hôpitaux, pour leurs emprunts particuliers .......... ..... 9,000,000 Article additionnel pour former une somme ronde ..... 40,000 125,600,0001iv. 2e Classe. — Rentes viagères. Intérêts perpétuels. ...... 1 25,600,000 liv. Intérêts viagers ........ 81,400,000 Totalité des intérêts , tant perpétuels que viagers ...... 207,000,000 liv. Récapitulation des dépenses de VEtat. Intérêts de la dette publique . 207,000,000 Remboursements ....... 27,500,000 Pensions ........... * 28,000,000 Partie des dépenses de la guerre ........ ...... 105,600,000 Dépenses de la marine .... 45,200,000 Affaires étrangères ...... 8,500,000 Maison du roi .......... 13,000,000 Prévôté de l’hôtel ....... 200,000 Bâtiments ........... 3,200,000 Maisons royales ........ 1 ,500,000 Maison de la reine ....... 4,000,000 Famille royale. ......... 3,500,000 A reporter ......... 447,200,000 liv. Report ........... 447,200,000 liv. Les princes, frères du roi. . . 8,300,000 Frais de recouvrement .... 48,000,000 Ponts et chaussées, etc. ... 8,000,000 Secrétaires d’État et employés dans l’administration ...... 4,000,000 Intendants des provinces. . . 1,400,000 Police. ... ........ . . 2,100,000 Pavé de Paris ......... 900,000 Frais de justice ......... 2,400,000 Maréchaussée ......... 4,000,000 Dépôts de mendicité ..... 1 ,200,000 Prisons et maisons de force. . 400,000 Dons et aumônes ....... 1 ,800,000 Dépenses ecclésiastiques. ... 1,600,000 Frais du trésor royal et de diverses caisses ........ . . 2,000,000 Traitements divers ...... 400,000 Encouragementsau commerce. 800,000 Haras ........ ...... 800,000 Universités, collèges, etc. . . 600,000 Académies ...... ..... 300,000 Bibliothèque du roi ...... 100,000 Jardin du roi ......... 72,000 Imprimerie . . ........ 200,000 Construction et entretien des palais de justice ......... 800,000 Intendant des postes, et dépenses secrètes ...... .... 450,000 Autres dépenses relatives aux postes .............. - 600,000 Franchises et passe-ports. . . 800,000 Ordre du Saint-Esprit ..... 600,000 Dépenses dans les provinces . 6,500,000 Ile de Corse .......... 000,000 Dépenses diverses ...... . 1,500,000 Dépenses particulières du clérgé de France ....... . . 750,000 Idem du clergé étranger. . . . 50,000 Dépenses particulières aux pays d’États ........... 1,500,000 Entretien et confection des routes .......... .... 20,000,000 Dépenses des villes, hôpitaux et chambres de commerce. . . . 26,000,000 Dépenses imprévues. ..... 3,000,000 Supplément additionnel, pour former une somme ronde. . . . 78,000 Total ............. 599,200,000 liv. Je dois indiquer comment ce résultat de six cent dix millions de dépenses peut se lier à celui des contributions des peuples, qui n’est que de cinq cent quatre vingt-cinq millions, et dont il fau t même déduire, dans cette comparaison : 1° Deux millions cinq cent mille livres pour les droits levés au profit des princes et des seigneurs engagistes ; 2° Sept millions cinq cent mille livres pour les frais de contrainte et de saisie. [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 182 Reste donc uniquement sur les contributions des peuples 575 millions, pour faire face aux dépenses de l’État. Mais il faut joindre à cette somme : 1° Le revenu annuel que le roi tire de ses domaines et de ses forêts, le produit des cens, rentes et droit casuels appartenant à ses seigneuries, 9,000,000 ; 2° Les revenus patrimoniaux des villes et des hôpitaux, et les ressources casuelles que la charité procure à ces derniers établissements, 12,000,000. 3° Il faut rétablir dans le calcul des produits de la ferme générale, et le bénéfice que le roi fait sur les fournitures de sel à quelques États étrangers, et celui qui aurait appartenu aux marchands, si le commerce du sel et du tabac eût été parfaitement libre. Environ 4,000,000. Ces trois articles forment 25 millions ; et réunis aux 575, provenant des contributions des peuples, le total est de 600 millions. Et c’est la somme de revenu qu’on doit rapprocher des dépenses de l’État, Celles-ci ne sont en conséquence supérieures que d’environ dix millions. Résumé des moyens de puissance de la France. Population de près de 26 millions d’âmes. Etendue d’environ 27 mille lieues carrées. Contributions des peuples, réunies aux revenus du domaine de la couronne et aux biens patrimoniaux des villes, etc., s’élèvent à 600' millions. Le clergé jouit d’environ 130 millions de revenus. La balance annuelle du commerce en faveur de la France, avant la dernière guerre, 70 millions. Les monnaies d’or et d’argent qui circulent dans le royaume s’élèvent à plus de deux milliards. L’accroissement annuel de cette richesse peut être évalué à quarante millions. III. EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE L’ASSEMBLÉE DES NOTABLES, Tenue à Versailles en 1787. L’an de grâce mil sept cent quatre-vingt-six, du règne de Louis XVI, roi de France et de Navarre, le treizième, le vendredi 29 décembre, à l’issue du conseil des dépêches, Sa Majesté a déclaré que son intention était de convoquer une assemblée composée de personnes de diverses conditions des plus qualifiées de son État, pour leur communiquer les vues qu’elle se propose pour le soulagement de son peuple, l’ordre de ses finances, et la réformation de plusieurs abus. Sa Majesté avait fait elle-même une première liste de ces personnes, qu’elle a remise aux secrétaires d’État chargés du département des provinces, afin qu’ils expédiassent les lettres de convocation. 11 y a eu quelques changements peu considérables dans cette liste : pour ne pas la rapporter deux fois, on la donne ici telle qu’elle s’est trouvée fixée au moment de l’ouverture de l’assemblée, avec les notes que ces changements ont rendues nécessaires. LISTE DES NOTABLES CONVOQUÉS. Princes, Messeigneurs : Louis-Stanislas-Xavier de France , comte de Provence, Monsieur, président. Charles-Philippe de France, comte d’Artois. Louis-Joseph-Philippe d’Orléans, duc d’Orléans. Louis-François de Bourbon, prince de Gondé, Louis-Henri-Joseph de Bourbon-Gondé, duc de Bourbon. Louis-Henri-Joseph de Bourbon, prince de Gonti. Louis-Jean-Marie de Bourbon , duc de Pen-thièvre. Noblesse. Messieurs : Alexandre-Angélique de Talleyrand-Périgord , archevêque-duc de Reims, premierpair de France, légat-né du saint-siège et primat de la Gaule belgique. Anne-Gharles-Sigismond Montmorency-Luxembourg, pair , premier baron, et premier baron chrétien. César-Guillaume de la Luzerne, évêque-duc de Langres, pair de France, Armand-Joseph de Béthune, duc de Béthune-Gharost, pair de France, etc, Antoine-Éléonore-Léon le Clerc de Juigné, archevêque de Paris, duc dé Saint-Cloud, pair de France. François-Henri, duc d’Harcourt, pair et garde de l’Oriflamme de France, etc. Louis-Jules-Barbon-Mazârini-Mancini , duc de Nivernois et Donziois, pair de France, etc. Louis-Alexandre, duc de la Rochefoucauld et de la Roche-Guyon, pair de France, Jules-Gharles-Henri, duc de Clermont-Tonnerre, pair de France, etc. Louis-Georges-Erasme de Contades, maréchal de France, etc. Victor-François, duc de Broglie, prince du Saint-Empire romain, maréchal de France, etc. Philippe , duc de Noailles , maréchal de France, etc. Augustin-Joseph de Mailly , maréchal de France, etc. Joseph-Henri Bouchard d’Esparbès de Lussan, marquis d’Àubeterre, maréchal de France, etc. Charles - Juste de Beau vau , maréchal de France, etc. Noël de Vaux, maréchal de France, etc. Jacques-Philippe de Choiseul, comte deStain-ville, maréchal de France, etc. [I1'® Série, T. IB|\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 183 Anne-Emmanuel-Ferdinand-François, duc de Croy,etc. Casimir d’Egmont-Pignatelli, lieutenant général des armées, etc. Gabriel-Marie de Talleyrand-Périgord, comte de Périgord. Charles-Henri comte, d’Estaing, vice-amiral de France , etc, Ànne-Louis-Alexandre de Montmorency, prince île Robèque. Louis-Antoine-Auguste de Rohan-Chabot , lieutenant général, etc. Adrien-Louis, duc de Guines, etc. Louis-Marie-Florent, duc du Châtelet-d’Harau-court, etc. Anne-Àlexandre-Marie-Sulpice-Joseph de Montmorency-Laval, etc. Henri-Charles de Thiard-Bissy , comte de Thiard, etc. Pierre-Louis de Ghastenet, comte de Puysé-gur, etc. Philippe-Claude, comte de Montboissier, etc, Henri, baron de Fiachflanden, etc. Clande-Antoine-Giériadus, marquis de Choiseul la-Baume, etc. Aimery-Louis Roger, comte de Rochechouart, etc. Charles-Glaude-Andrault de Langeron, marquis de Maulévrier, etc, Louis-Marie-Àtlianase de Loménie, comte de Brienne, etc. François-Claude-Amour, marquis de Bouillé, etc. Louis-François-Marie-Gaston de Lévis, seigneur marquis de Mirepoix, etc. Alexandre-louis-François, marquis de Croix-d’Euchin. Marie-Pâul-Joseph-Roch-Yves Gilbert du Motier, marquis de la Fayette, etc. Philippe-Antoine-Gabriel-Victor de la Tour-du-Pin de la Gharce-de-Gouvernet, etc, Conseil du roi, Messires : Louis-Jean-Berthier de Sauvigny, Charles-Robert Boutin. Michel Bouvard de Fourqueux, Jean-Charles-Pierre Lenoir, Jean-Jacques de Vidaud. Claude-Guillaume Lambert Guillaume-Joseph Dupleix de Bacquencourt, Antoine de Ghaumontde la Galaisière, intendant d’Alsace. Charles-François-Hyacinthe Esmangart , intendant de justice, police et finances en Flandre et Artois. Louis-Bénigne-François Bertier, intendant de justice, police et finances de la généralité de Paris, et surintendant de la maison de la reine. François -Claude Michel-Benoît le Camus de Séville, intendant de justice, police et Finances de la généralité de Guyenne. Pierre-Charles-Laurent de Villedeuil, intendant de justice, police et finances de la généralité de Rouen. Clergé . Messires : Arthur-Richard Dilion , archevêque et primat de Narbonne, président-né des États généraux de la province de Languedoc, commandeur de l’ordre du Saint-Esprit. Étienne-Charles de Loménift de Brienne, archevêque de Toulouse, et l’un des quarante de l’Académie française. Jean-de-Dieu Raimond de Boisgelin, archevêque d’Aix, etc. Jean-Marie Dulau, conseiller du roi en tous ses conseils, archevêque d’Arles, primat et prince. Jérôme-Marie Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, primat d’Aquitaine. Marie-Joseph de Galard de Tarraube, évêque du Puy, etc, Alexandre-Âmédée-Anne-François Louis de Lan-zières Thémines, évêque de Blois. Seignelai-Colbert de Gaste-Hill, évêque et comte de Rhodez, Pierre de Séguiran, évêqüe de Nevers. François 4e Fontanges, évêque de Nancy, primat de Lorraine. Louis-François de Bausset, évêque d’Alais. Parlements, Étienne-François d’Àligre, marquis d’Aligre et de la Galaizière, premier président du Parlement de Paris. Louis-François -de-Paule Le Fèvre d’Ormesson de Noyseau, président au Parlement de Paris. Jean-Baptiste-Gaspard Bouchard, chevalier, seigneur de Saron, président au Parlement de Paris, Chrétien-François de Lamoignon président au Parlement de Paris. Jean-Josaph-Oominique de Sénaux, remplissant les fonctions de premier président au Parlement de Toulouse, André-Jacques-Hyacinthe Le Berthon, chevalier, premier président du Parlement de Bordeaux, Amable-Pierre-Albert de BéruUe, marquis de Bérulie, premier président du Parlement de Grenoble, et commandant-né pour le roi en la province du Dauphiné. N. B, La question, élevée depuis longtemps pour la préséance entre les Parlements de Bordeaux et de Grenoble, n’étant pas décidée, ils ont été placés alternativement l’un devant l’autre aux séances générales de l’assemblée, celui de Bordeaux commençant. Messire Bénigne le Gouz de Saint-Seine, premier président du Parlement de Dijon, [Ve Série, T. 1».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 184 Louis-François-Élie Camus de Poritcarré, premier président du Parlement de Rouen, et président honoraire au Parlement de Paris. Gharles-Jeàn-Baptiste des Gallois de la Tour, premier président du Parlement et intendant de Provence. Charles-Marie-François-Jean-Gélestin duMerdy, marquis de Catuélan, premier président du Parlement de Bretagne. Jean-Baptiste-François de Gillet, marquis de la Gaze, premier président du Parlement de Pau. Louis-Glaude-François Hocquart, premier président du Parlement, chambre des comptes, cour des aides et finances de Metz. Claude-Irénée-Marie-Nicolas Perreney de Gros-bois, premier président du Parlement de Franche-Comté. Gaspard-Félix-Jacques de Pollinchove, premier président du Parlement de Flandre. Michel-Joseph de Gœurderoi premier président du Parlement de Nancy. François-Nicolas, baron de Spon , premier président du Conseil souverain d’Alsace, l’un des membres du directoire de la noblesse immédiate de la Basse-Alsace. Amable-Gabriel-Louis-François de Maurès, comte de Malartic, premier président du Conseil souverain du Roussillon. Guillaume-François-Louis Joly de Fleury , procureur général au Parlement de Paris. Jean-Louis-Augustin-Emmanuel de Cambon , procureur général au Parlement de Toulouse. Pierre-Jules Dudôn, procureur général au Parlement de Bordeaux. Jean-Baptiste de Reynaud , procureur général en survivance, avec exercice des fonctions au Parlement de Grenoble. Bernard-Étienne Pérard , procureur général de Sa Majesté et conseiller honoraire au Parlement de Dijon. Jean-Pierre-Prosper Godart-Belbeuf , procureur général au Parlement de Rouen. Jean-François-André Le Blanc de Castillon, procureur générai au Parlement de Provence. Anne-Jacques Raoul, marquis de Garadeuc, procureur général au Parlement de Bretagne. Pierre de Bordenave, procureur général au Parlement de Pau. Pierre-Philippe-Glément Lançon, procureur général au Parlement , chambre des comptes, cour des aides et finances de Metz. Claude-Théophile-Joseph Doroz , procureur général au Parlement de Franche-Comté. Albert-Marie-Auguste Bruneau, procureur général au Parlement de Flandre. Pascal-Joseph de Marcol, procureur général au Parlement de Nancy. Armand-Gaston-François -Xavier Loyson , premier avocat général au Conseil souverain d’Alsace. François-Michel-Bonaventure-Gilles-Joseph de Vilar, procureur général au Conseil souverain du Roussillon. Chambre des Comptes. Messire Aimard-Gharles-Marie de Nicolaï , premier président de la chambre des comptes de Paris. M. François de Montholôn , procureur général de la chambre des comptes de Paris. Cour des aides. Messire Charles-Louis-François-de-Paule Baren-tin, premier président de la cour des aides de Paris. M. Antoine-Louis-Hyacinthe Hocquart , procureur général de Sa Majesté en sa cour des aides de Paris. Députés des pays d' États. Messire Anne-Louis-Henri de la Fare , docteur de la faculté de théologie de Paris , vicaire général du diocèse de Dijon, etc. M. Henri-Georges-César , comte de Ghatelux, Ghangy, Roussillon, premier chanoine héréditaire de l’église cathédrale d’Auxerre, chevalier d’honneur de madame Victoire, brigadier des armées du roi, mestre de camp commandant du régiment d’infanterie de Beaujolais, élu général de la noblesse des États de Bourgogne. M. François Noirot, maire de la ville de Chalon-sur-Saône , élu général du tiers état des États de Bourgogne. Messire François-Pierre de Bernis, archevêque de Damas , coadjuteur de l’archevêché d’Albi et député pour l’ordre du clergé des États de la province de Languedoc. Messire Pierre, marquis d’HautpoulSeyré, baron des États du Languedoc et député pour l’ordre de la noblesse des États de cette même province. M. François Chevalier Dusuc de Saint-Affrique , député pour le tiers état des États de la province de Languedoc. Messire Urbin-René de Hercé , évêque et comte de Dol, député pour l’ordre du clergé des États de la province de Bretagne. Messire Mathurin-Jean le Provost, chevalier de la Voltais , député pour l’ordre de la noblesse des États de la province de Bretagne. M. Yves-Vincent Fablet, maire et lieutenant général de police de la ville de Rennes et député pour l’ordre du tiers état des Élats de la province de Bretagne. Messire Raymond de Fabry , vicaire général du diocèse de Saint-Omer et député des États d’Artois à la cour, pour l’ordre du clergé. Messire Louis-Marie, marquis d’Estourmel, baron de Cappy, député des États d’Artois à la cour pour l’ordre de la noblesse. M. Pierre-Philippe Duquesnoy , écuyer, sei- [tre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] gneur d’Escomont , avocat en Parlement , député des états d’Artois à la cour, pour l’ordre du tiers. Lieutenant civil . Messire Denis-François Angran d’AUeray, comte des Maillis, ancien procureur général de Sa Majesté en son grand conseil , lieutenant civil en la prévôté et vicomté de Paris, et conseiller d’État. Chefs municipaux des villes . Messire Louis le Pelletier, seigneur de Morte-fontaine, prévôt des marchands de la ville de Paris. M. François-Pierre Goblet, conseiller du roi en son hôtel de ville de Paris, premier échevin et avocat du roi au grenier à sel de ladite ville. Messire Louis Tolozan de Montfort, prévôt des marchands, commandant de la ville de Lyon. M. Jean-Pierre d’Isnard, maire de la ville de Marseille. Messire André-Bernard Üuhamel, vicomte de Castel, lieutenant de maire de la ville de Bordeaux. Messire Jean-Baptiste-Louis Duperré-Duverneur, maître ordinaire en la cour des comptes, aides et finances de Normandie, maire de la ville de Rouen. Messire Philippe, marquis de Bonfontan, baron d’Andoufielle, premier capiloul-gentilhomme de la ville de Toulouse. Messire Conrad-Alexandre Gérard, ci-devant ministre plénipotentiaire de Sa Majesté près les États-Unis de l’Amérique septentrionale, préteur royal de la ville de Strasbourg. _ M. Louis-Jean-Baptiste-Joseph Huvino* seigneur de Bourghelles, maïeur de la ville de Lille. M. Pierre-Guillaume-Henri Giraud-Duplessix , avocat du roi au présidial, et procureur du roi syndic de la ville et communauté de Nantes. Messire Pierre Maujean , seigneur de Labry , maître échevin, chef ;de police et président des trois ordres de la ville de Metz. Messire Charles-François de Manézy , ' maire royal de la ville de Nancy. Noble Bernardin-Daniel Deydé, maire et viguier de la ville de Montpellier. Messire Alexandre-Denis-Joseph de Pujol, chevalier, chef de la ville et du magistrat de Valenciennes. Messire François-Joseph Souyn, maire de la ville de Reims, sous la dénomination de lieutenant des habitants de la ville de Reims, et gouverneur particulier de ladite ville. Messire Antoine-François le Caron, seigneur de Chocqueuse, maire de la ville d’Amiens. M. Claude Huez, maire de la ville de Troyes. Messire Jacques-Alexandre le Forestier, comte de Vendeuvre, maire de la ville de Caen. M. François-Anselme Crignon de Bonvalet , maire de la ville d’Orléans. 185 M. Pierre-Jean-Baptiste-Clément de Beauvoir, conseiller au présidial de Bourges et maire de ladite ville. M. Étienne-Jacques-Christophe de Grandière , conseiller au bailliage et siège présidial de Tours, et maire de ladite ville. M. Guillaume-Grégoire de Roulhac, conseiller du roi, lieutenant général en la sénéchaussée et siège présidial de Limoges, maire de la même ville. M. Philippe Duval de la Mothe, maire de la ville de Montauban, en Querci. M. Louis-Anne Reboul, ancien lieutenant général de la sénéchaussée et siège présidial de Clermont, ancien président du conseil supérieur, et maire actuel de la même ville. Messire Joseph Verdier, maire de la ville de Bayonne. Leroi a résolu que l’Assemblée serait présidée, en son absence, par Monsieur , frère de Sa Majesté; mais il n’a été expédié aucun brevet ni lettre à cette occasion. Outre les personnes comprises dans la liste ci-dessus, le roi a décidé que les quatre secrétaires d’État et le contrôleur général de ses finances assisteraient à ladite Assemblée, Savoir : Messire Charles-Eugène de la Croix, marquis de Castries, maréchal de France, etc., ministre et secrétaire d’État, ayant le département de la marine; Messire Philippe-Henri, marquis de Ségur maréchal de France, etc., ministre et secrétaire dÉtat, ayant le département de la guerre ; Messire Louis -Auguste Le Tonnellier, baron de Breteuil, etc., ministre et secrétaire d’État, ayant le département de la maison du roi ; M. Armand-Marc, comte de Montmorin de Saint-Hérem, ministre et secrétaire d’État et des commandements et finances de Sa Majesté, ayant le département des affaires étrangères ; Messire Charles-Alexandre de Calonne, grand trésorier, commandeur de l’ordre du Saint-Esprit, ministre d’État et contrôleur général des finances. Dès le soir du même jour et le lendemain matin, les lettres de convocation ont été envoyées par messieurs les secrétaires d’État, dans les différentes provinces de leurs départements, par courriers dans les plus éloignées", et par la poste ordinaire dans les autres. Il s’y est trouvé quelques variétés dans les expressions, les bureaux n’ayant pas eu le temps de se concerter pour une parfaite uniformité; elles étaient, pour la majeure partie, rédigées dans la forme suivante : Lettre du roi pour les prélats et pour les nobles auxquels le roi ne donne pas la qualité de Mon Cousin. Mons. (N.), ayant estimé que le bien de mes 186 • fl» Série, T. P»*’ ] affaires et de mon service exigeait que les vues que je me propose pour le soulagement de mes peuples, l’ordre de mes finances et la réformation de plusieurs abus, fussent communiquées à une assemblée de personnes de diverses conditions et des plus qualifiées de mon État, j’ai pensé, attendu le rang dont vous jouissez, ne pouvoir faire un meilleur choix que de votre personne, et je suis assuré qu’en cette occasion vous me donnerez de nouvelles preuves de votre fidélité et de votre attachement. J’indique l’ouverture de cette assemblée au 29 du mois de janvier prochain 1787, à Versailles, où vous vous rendrez pour cet effet, afin d’assister à ladite ouverture, et entendre ce qui sera proposé de ma part ; et m’assurant que vous ne manquerez pas de vous y rendre conformément à ma volonté, je prie Dieu qu’il vous ait, Mons. (N.), en sa sainte garde. Écrit à Versailles le 29 décembre 1786. Signé LOUIS. Et plus bas : par le secrétaire d’État du département. Lettre du Roi aux membres de son conseil. Mons. (N.), ayant résolu d’assembler des personnes de diverses conditions et des plus qualifiées de mon État, afin de leur communiquer mes vues pour le soulagement de mes peuples, l’ordre de mes finances et la réformation de plusieurs abus, j’ai jugé à propos d’y appeler des membres de mon conseil. Je vous fais cette lettre, pour vous dire que j’ai fixé ladite assemblée au 29 du mois de janvier prochain 1787, à Versailles, et que mon intention est que vous vous trouviez ledit jour à son ouverture, pour y assister et entendre ce qui sera proposé de ma part. Je suis assuré que j’y recevrai de vous le service que j’en dois attendre, pour le bien de mon royaume, qui "est mou principal objet. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait, Mons. (N.), en sa sainte garde. Écrit à Versailles, le 30 décembre 1786. Signé : LOUIS. Et plus bas : Le baron de Breteuil. Le roi a fait choix, pour tenir la plume dans cette assemblée, du sieur Hennin, secrétaire du conseil d’État et du cabinet de Sa Majesté, et du sieur Dupont, commissaire général du commerce. Ils ont été nommés secrétaires-greffiers par brevet - du 26 janvier. Les archevêques et évêques convoqués ayant eu tous l’honneur d’être présentés précédemment au rôi, Sa Majesté n’a pas jugé convenable de recevoir leur hommage en corps. La même chose a été décidée pour la noblesse par les membres du conseil. Mais, comme il est d’usage que les membres des cours souveraines et les députés des pays d’États soient présentés au roi toutes les fois qu’ils [Introduction.] viennent à la cour, et que, parmi les chefs des municipalités, il se trouvait beaucoup de personnes qui n’avaient jamais paru devant Sa Majesté, elle a bien voulu que ces trois classes de notables lui fussent présentées en même temps le dimanche 4 février. Le dimanche 4 février, à l’heure du lever du roi, c’est-à-dire à l’heure où Sa Majesté, après s’être habillée et avoir fait sa prière, rentre dans son cabinet, les membres des cours souveraines, mandés pour l’assemblée , ont été appelés par l’huissier de la chambre, et présentés à Sa Majesté par monseigneur le garde des sceaux. Le roi les a reçus dans le cabinet du conseil, de même que les députés des pays d’États, qui lui ont été ensuite présentés par M. le baron de Breteuil. Après eux ont été appelés, par le nom de leur place, les chefs des municipalités, et Sa Majesté étant venue pour les recevoir dans la chambre de parade, ils lui ont été successivement présentés par M. le baron de Brafceuil. Enfin les deux secrétaires-greffiers de l’assemblée ont été appelés par leurs noms propres, et présentés à Sa Majesté par monseigneur le garde des sceaux. Le roi désirait beaucoup que M. le comte de Ver-gennes, qui avait assisté aux comités tenus en sa présence, pour préparer tout le travail dont l’assemblée devait s’occuper, fût en état d’y paraître : Sa Majesté comptait sur l’expérience de ce ministre, sur la considération dont il jouissait, et sur sa manière de traiter les affaires ; mais M. le comte de Vergennes est mort la nuit du 12 au 13 de ce mois. Le roi l’a regretté comme un homme aussi habile que vertueux, attaché à sa personne et à sa gloire, et la nation a été profondément affectée de sa perte. Pendant l’intervalle depuis la convocation jusqu’à l’ouverture de l’assemblée, le roi a bien voulu s’occuper lui-même de régler tout ce qui concerne le rang et le cérémonial. Sa Majesté a en conséquence donné successivement ses ordres à M, le marquis de Dreux de Brézé, grand-maître des cérémonies, et à MM.de Nantouillet pète et fils, maîtres des cérémonies ; et c’est d’après leurs mémoires que tout ce qui aura trait à cet objet sera rapporté dans le présent procès-verbal. PREMIÈRE SÉANCE. Le jeudi 22 février 1787. Le jeudi 22 février, jour auquel le roi avait fixé l’ouverture de l’Assemblée des notables, la salle et toutes les pièces qui en dépendent furent fermées dès le matin, et on n’y laissa entrer personne, non plus que dans les pièces de l’appartement destiné pour le roi, A neuf heures et demie du matin, la garde de Sa Majesté, composée d’une compagnie de gardes françaises, détachée de la garde du château, et ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 187 [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] d’un pareil détachement de gardes suisses, s’est rendue à la porte donnant sur l’avenue de Paris -, elle y a pris poste eh dehors, et s’est emparée de tout le tour extérieur de la cour et des bâtiments qui en dépendent. Quelques instants après, les gardes de la prévôté, gardes de la porte, Cent-Suisses et gardes du corps, sont arrivés et ont pris poste. Le roi avait lui-même réglé toutes les séances et les avait marquées de sa main plusieurs jours d’avance, sur un plan que messieurs les officiers des cérémonies avaient eu l’honneur de mettre bous les yeux de Sa Majesté : elle avait également décidé les diverses questions qui avaient pu s’élever, et avait donné ses ordres les plus précis aux officiers des cérémonies. Conséquemment à ce que Sa Majesté avait réglé, messieurs les prélats et notables de la noblesse avaient été avertis par le grand maître des cérémonies du jour et de l’heure de l’ouverture de l’assemblée, ainsi que du costume que Sa Majesté avait décidé. Vers les dix heures et demie du matin, Sa Majesté sortit de son cabinet, en habit à manteau, précédée de monseigneur le duc de Penthièvre, monseigneur le prince de Gonti, monseigneur le duc de Bourbon, monseigneur le prince de Condé, monseigneur le duc ' d’Orléans, monseigneur comte d’Artois et de Monsieur, aussi en habit à manteau. Les princes étaient accompagnés des principaux officiers de leurs maisons, et Sa Majesté était précédée et suivie de ses grands et premiers officiers, et des huissiers-massiers. Sa Majesté descendit à la chapelle, où elle entendit une messe basse. La séance fut telle qu’elle est dans toutes les occasions de cérémonie ; on avait seulement placé des deux côtés, en avant et derrière le roi, plusieurs rangs de bancs, destinés à messieurs les notables, au cas qu’il fussent venus à la messe : Sa Majesté n’avait pas jugé à propos de les y inviter. Le grand maître des cérémonies fit disposer la séance dans la chapelle et y accompagna Sa Majesté. Pendant ce temps, le maître des cérémonies s’était rendu à la salle d’assemblée pour préparer la séance, et indiquer à chacun de MM. les notables les places que Sa Majesté leur avait destinées. Pendant ce temps, monseigneur le garde des sceaux arriva, accompagné dans ses carrosses des membres du conseil ; il était escorté par deux brigadiers et douze gardes de la prévôté, etc. A la même heure, MM. les notables commencèrent à arriver par la porte de la rue des Chantiers; ils étaient tous en habit de cérémonie, c’est-à-dire MM. les prélats en soutane, rochet, camail et bonnet carré ; MM. les notables de la noblesse en habit à manteau, avec la cravate et le chapeau à plumes. Sa Majesté avait décidé que MM. les notables chevaliers de ses ordres n’en prendraient point l’habit pour cette cérémonie. Ces messieurs ne mirent point non plus le collier de l’ordre par-dessus leur manteau. MM. les présidents et procureurs généraux étaient en robe noire et en bonnet carré ; MM. les officiers municipaux des villes étaient chacun dans l’habit de cérémonie propre à leurs places de chefs de corps municipaux. MM. les députés des pays d’États étaient chacun dans l’habit de leur ordre, et MM. les membres du conseil du roi dans leur robe de cérémonie. Sa Majesté ayant permis à M. l’archevêque de Reims, à M. l’évêque de Langres, pairs ecclésiastiques, ainsi qu’à M. l’archevêque de Paris, pair laïque, de siéger avec MM. les ducs et pairs, ils prirent leur habit de pair. Quelques instants avant l’arrivée du roi, le maître des cérémonies ayant prié MM. les notables de prendre séance, ils prirent leurs places selon leurs rang et dignités, et conformément à l’ordre précis que Sa Majesté en avait donné aux officiers des cérémonies. Le roi sortit du château sur les onze heures, étant dans ses carrosses de cérémonie, et escorté des détachements de sa maison militaire à cheval. Sa Majesté avait dans son carrosse Monsieur, monseigneur comte d’Artois, messeigneurs les duc d’Orléans, prince de Condé, et duc de Bourbon. Le roi fut reçu à la descente de son carrosse par messeigneurs les prince de Conti et duc de Penthièvre, etc. Il n’entra avec le roi, dans son cabinet, que les personnes ayant les entrées. Sa Majesté, s’étant reposée quelques instants et ayant été avertie par les officiers des cérémonies que la séance était prête, se rendit à rassemblée. Sa Majesté, entrant dans Rassemblée, alla se placer à son trône, sur une estrade élevée de deux marches et couverte du tapis de pied de velours tanné, avec des fleurs de lis sans nombre; le trône de Sa Majesté était surmonté d’un dais violet, parsemé de fleurs de lis, et le roi avait deux carreaux sous ses pieds. Monsieur se plaça sur un pliant posé à la droite de Sa Majesté sur la première marche de l’estrade; monseigneur le comte d’Artois, sur un pliant placé de la même manière du côté gauche. Monseigneur le duc d’Orléans, monseigneur le duc de Bourbon et monseigneur le duc de Penthièvre se placèrent sur des pliants posés à droite sur la même ligne que celui de Monsieur, hors du tapis de pied. Monseigneur le prince de Condé et monseigneur le prince de Conti furent placés également du côté gauche sur des pliants, hors du tapis de pied, et sur la même ligne que monseigneur comte d’Artois. ( Suit la description du reste du cortège.) Il n’entra aucune autre personne dans la salle [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 188 Sa Majesté l’ayant expressément défendu ; elle avait seulement permis que quelques personnes des Menus-Plaisirs et du Garde-Meuble fussent placées au bas de la salle, derrière les gardes du corps, pour le service qui pourrait être nécessaire. Le roi, après s’être assis sur son trône, avoir ôté et remis son chapeau, aprononcé le discours suivant : Discours du roi. Messieurs, je vous ai choisis dans les différents ordres de l’État, et je vous ai rassemblés autour de moi pour vous faire part de mes projets. C’est ainsi qu’en ont usé plusieurs de mes prédécesseurs, et notamment le chef de ma branche, dont le nom est resté cher à tous les Français, et dont je me ferai gloire de suivre toujours les exemples. Les projets qui vous seront communiqués de ma part sont grands et importants. D’une part, améliorer les revenus de l’État, et assurer leur libération entière par une répartition, plus égale des impositions ; de l’autre, libérer le commerce des différentes entraves qui en gênent la circulation, et soulager, autant que les circonstances me le permettent, la partie la plus indigente de mes sujets : telles sont, Messieurs, les vues dont je suis occupé, et auxquelles je me suis fixé, après le plus mûr examen. Comme elles tendent toutes au bien public, et connaissant le zèle pour mon service dont vous êtes tous animés, je n’ai point craint de vous consulter sur leur exécution ; j’entendrai et j’examinerai attentivement les observations dont vous les croirez susceptibles. Je compte que vos avis, conspirant tous au même but, s’accorderont facilement, et qu’aucun intérêt particulier ne s’élèvera contre l’intérêt général. N. B. Les huissiers-massiers, le roi d’armes et les hérauts d’armes auraient dû être à genoux pendant toute la séance; mais Sa Majesté a trouvé bon qu’ils se levassent quand elle a eu fini de parler. Après le discours du roi, monseigneur le garde des sceaux s’est approché du trône, en faisant trois profondes inclinations : la première avant de quitter sa place, la seconde après avoir fait quelques pas, et la troisième lorsqu’il a été sur le premier degré du trône ; puis il a pris, à genoux, les ordres de Sa Majesté. 11 est ensuite retourné à sa place, en faisant encore trois profondes inclinations à Sa Majesté. Lorsqu’il a été à sa place, il a dit : Le roi ordonne que l’on prenne séance. Toute l’assemblée a pris séance. Monseigneur le garde des sceaux a dit : Le roi permet que l’on se couvre. Ceux qui avaient droit de se couvrir se sont couverts, ainsi que monseigneur le garde des sceaux; après quoi il a prononcé le discours suivant, assis et couvert Discours de monseigneur le garde des sceaux. Messieurs, le roi, moins touché de l’éclat dont son trône est environné, que de la véritable gloire réservée aux monarques uniquement occupés du bonheur de leurs sujets, vous a assemblés, afin de vous communiquer les vues dont il est animé pour l’avantage des peuples dont il est le père, et pour assurer la prospérité d’une nation distinguée de tout temps par l’amour réciproque du souverain et de ses sujets. Depuis l’avénement de Sa Majesté à la couronne, chaque année de son règne a été marquée par des actes dignes de sa justice, de sa bonté et de sa vigilance. On a vu les premiers tribunaux du royaume reprendre leur ancien lustre, les forces maritimes de la France se régénérer, la discipline militaire se perfectionner, l’agriculture et le commerce recevoir de nouveaux encouragements : telle a été, Messieurs, l’influence des premiers regards de Sa Majesté sur les États que la Providence divine a soumis à son empire. La vie entière d’un monarque vertueux est une longue suite de travaux que la nécessité commande sans cesse, et que la grandeur de son âme ne lui permet jamais d’interrompre. Persuadé de cette vérité, le roi est dans la résolution de prendre de justes mesures pour soulager ses peuples, établir dans l’administration des finances un ordre que rien ne puisse altérer, et réformer les abus qui pourraient rendre moins efficaces les soins paternels auxquels Sa Majesté se livre toujours avec un nouveau courage. Il est imposible que tous les sujets d’un grand royaume jouissent, chacun dans sa condition, d’un bonheur égal ; mais il ne l’est pas d’adoucir le sort de ceux qu’aucune puissance humaine ne saurait préserver du malheur. Assurer la tranquillité de ceux auxquels la Providence a accordé une fortune plus considérable, protéger les talents de ceux qui peuvent trouver dans leur industrie des moyens d’augmenter leur fortune et leur aisance, procurer au peuple la ressource de trouver sa subsistance dans le fruit de son travail : tels sont, Messieurs, les objets que le roi se' propose de remplir. Sa Majesté s’est convaincue, par une étude approfondie des avantages et des ressources de la France, ainsi que par l’expérience que douze années de règne lui ont acquise, que les moyens les plus sûrs d’y parvenir sont de rendre plus exacte et plus équitable la répartition des subsides indispensables pour subvenir aux charges de l’État, de rendre la perception plus simple et moins onérereuse ; de choisir, par un juste discernement, les genres d’impositions qui tombent le moins sur la classe de ses sujets la plus indi-; gente ; d’assurer à jamais le gage des dettes de l’État, d’en diminuer la masse par les effets d’une sage économie ; enfin de se préparer des ressources pour repousser, sans être obligé de surcharger ses sujets, les efforts d’ennemis étrangers qui vou- [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] draient un jour troubler la paix que Sa Majesté a donnée à l’Europe. C’est pour vous consulter, Messieurs, sur ces grands objets que le roi vous a choisis ; je n’ai pas besoin de vous faire sentir le prix de la con-liance dont Sa Majesté vous honore, je vois dans vos yeux la reconnaissance dont vos âmes sont pénétrées. Ministres d’une religion sainle, que les rois prédécesseurs de Sa Majesté ont toujours défendue, et qu’elle ne cessera jamais de protéger, vous avez reconnu dans tous les temps que c’est de la munificence du souverain que vous tenez les biens attachés à vos-églises, et vous vous êtes toujours portés avec zèle à contribuer aux besoins de l’État; Et vous, Messieurs, qui, à l’exemple de vos ancêtres, ne connaissez d’autre bonheur et d’autre gloire que l’avantage de verser votre sang pour la défense du roi et de l’État, vous qui savez réunir à cette haute valeur dont vos races tiennent leur illustration, la sagesse dans les conseils, lorsque Sa Majesté vous y appelle ; Magistrats, qui partagez le dépôt précieux de la portion" la plus essentielle de l’autorité royale, qui présidez aux jugements de ce3 corps recommandables dont le ministère consiste, non-seulement à protéger la veuve et l’orphelin, et à rendre une justice exacte, mais encore à éclairer la religion du monarque sur tout ce qui intéresse le bien de son service ; Vous enfin, chefs zélés de ces cités toujours fidèles, toujours affectionnées à leur auguste souverain ; Le roi compte, Messieurs, que vous vous réunirez tous, afin de donner à Sa Majesté, par la sagesse de vos avis, de nouvelles preuves de votre respect, de votre amour et de votre zèle. Après son discours fini, monseigneur le garde des sceaux est remonté au pied du trône avec le même cérémonial que ci-dessus, pour prendre les ordres du roi ; redescendu et remis à sa place, il a fait signe à M. le contrôleur général, qui, après avoir salué, et s’être assis et couvert, a dit : Discours de M. le contrôleur général. Messieurs, ce qui m’est ordonné en ce moment m’honore d’autant plus que les vues dont le roi me charge de vous présenter l’ensemble et les motifs, lui sont devenues entièrement personnelles par l’attention très-suivie que Sa Majesté a donnée à chacune d’elles avant de les adopter. La seule résolution de vous les communiquer, et les paroles toutes paternelles que vous venez d’entendre de sa bouche, suffisent sans doute pour exciter en vous la plus juste confiance; mais ce qui doit y mettre le comble, ce qui doit y ajouter l’émotion de la plus vive sensibilité, c’est d’apprendre avec quelle application, avec quelle 189 assiduité, avec quelle constance le roi s’est livré au travail long et pénible qu’ont exigé d’abord l’examen de tous les états que j’ai mis sous ses yeux, pour lui faire connaître, sous tous les points de vue, la véritable situation de ses finances ; ensuite la discussion� de chacun des moyens que je lui ai proposés pour les améliorer et y rétablir l’ordre. Après avoir créé une marine et rendu le pavillon français respectable dans toutes les mers; après avoir protégé et affermi la liberté d’une nouvelle nation, qui, démembrée d’une puissance rivale, est devenue notre alliée; après avoir terminé une guerre honorable par une paix solide, et s’être montré à toute l’Eupore digne d’en être le modérateur, le roi ne s’est pas livré à une stérile inaction. Sa Majesté ne s’est point dissimulé combien il lui restait à faire pour le bonheur de ses sujets, premier objet de tous ses soîds, et véritable occupation de son cœur. Assurer à ses peuples des relations de commerce tranquilles et étendues au dehors ; Leur procurer au dedans tous les avantages d’une boune administration ; c’est ce que le roi s’est proposé, c’est ce qu’il n’a pas cessé d’avoir en vué. Déjà d’heureux effets ont prouvé la sagesse des mesures prises par Sa Majesté. Déjà des traités de commerce, conclus presque au même instant avec la Hollande, avec l’Angleterre et avec la Russie, ont fait disparaître des principes exclusifs aussi contraires aux lois sociales qu’à l’intérêt réciproque des nations, ont cimenté les bases de la tranquillité publique, et ont fait voir à l’Europe ce que peut l’esprit pacifique et modéré d’un prince aussi juste que puissant, pour multiplier et fortifier les précieux liens de cette concorde universelle si désirable pour l’humanité entière. Déjà aussi les affaires de l’intérieur ont pris la direction qui doit conduire à la prospérité de l’État. La plus parfaite fidélité à remplir tous les engagements a rendu au crédit le ressort qu’il ne peut avoir que par l’effet d’une confiance méritée. Des témoignages de protection donnés au commerce, des encouragements accordés aux manufactures ont ranimé l’industrie et produit partout cette utile effervescence dont les premiers fruits en promettent de plus* abondants pour l’avenir. Enfin Je peuple a reçu des commencements de soulagement qu’il n’était pas possible de rendre ni plus prompts ni plus considérables, avant d’avoir rétabli l’ordre dans les finances de l’État. C’est cet ordre qui est le principe et la condition essentielle de toute économie réelle ; c’est lui qui est la véritable source du bonheur public. Pour l’asseoir sur une base solide, et pour pouvoir balancer les recettes avec les dépenses, il jgO [ire série, T. le .] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fallait nécessairement commencer par licpiider le passé, par solder l’arriéré, par se remettre au courant dans toutes les parties. G’étaitleseul moyen de sortir de la confusion des exercices entremêlés l’un dans l’autre, et de pouvoir distinguer ce qui appartient à chaque année, séparer l’accidentel de l’état ordinaire, et voir clair dans la situation. Trois années ont été employées à ce préliminaire indispensable, et ces trois années n’ont pas été perdues. Lorsqu’à la fin de 1783 le roi daigna me confier l’administration de ses finances, elles étaient, on ne l’a que trop su, dans l’état le plus critique. Toutes JeS caisses étaient vides, tous les effets publics baissés, tonte circulation interrompue ; l’alarme était générale, et la confiance détruite. En réalité il y avait quatre vin gts millions à payer pour restant des dettes * de la guerre, plus de deux cent vingt millions d’autres dettes exigibles, soit pour l’arriéré des dépenses courantes, soit pour l’acquittement de plusieurs objets conclus ou décidés antérieurement ; cent soixante seize millions d’anticipations sur l’année suivante; quatre-vihgts millions de déficit dans la balance des revenus et dépenses ordinaires ; le payement des rentes excessivement retardé; le tout ensemble faisant un vide do plus de six cents millions ; et il n’y avait ni argent ni crédit. Le souvenir en est trop récent pour qu’il soit besoin de preuves ; et d’ailleurs j’ai mis sous les yeux du roi tous les états justificatifs : Sa Majesté les a vus et examinés ; ils sont restés entre ses mains. Aujourd’hui l’argent est abondant, le crédit est rétabli, les effets publics sont remontés, leur négociation est fort active, et, sans le trouble causé par les effets del’agiotage (fléau éphémère que les mesures prises par Sa Majesté feront bientôt disparaître), elle ne laisserait rien à désirer. La caisse d’escompte a repris toute la faveur qui lui est due, et qui ne pourra que s’accroître par l’extension de son utilité. Les billets des fermes et tous les autres genres d’assignation sont en pleine valeur. Les dettes de la guerre sont acquittées, tout l’arriéré est soldé, toutes les dépenses sont au courant. Le payement des rentes n’éprouve plus le moindre retard ; il est enfin ramené au jour même des échéances, et quarante-huit millions d’extraordinaire ont été employés à cet utile rapprochement qu’on n’avaitpas encore vu, et qu’on n’osait espérer. Trente-uleux millions du restant des rescriptions, suspendues sous le dernier règne, ont été remboursés avant leur terme ; et leur nom, qui était un scandale en finance, n'exite plus. Les remboursements, à l’époque dont j’ai trouvé [Introduction.] le trésor royal surchargé , s’effectuent à jour nommé, et la liquidation des dettes de l’État s’opère annuellement, ainsi que Sa Majesté l’a réglé par son édit de 1784, constitutif du salutaire et inébranlable établissement de la caisse d’amortissement. Enfin l’exactitude des payements a produit une telle confiance, et par elle des ressources si fécondes, que, non-seulement il a été obvié à tous les dangers que la position de la fin de 1783 faisait craindre , non-seulement il a ôté satisfait à la masse énorme d’engagements et de dettes qui existaient alors , mais de plus il s’est trouvé assez de moyens pour faire face à une infinité de dépenses imprévues et indispensables, telles que, d’une part, les sommes employées en préparatifs de précaution et autres frais politiques qu’ont exigés les affaires de la Hollande ; et, d'autre part, les secours, les soulagements, les indemnités, que l’intempérie des saisons et diverses calamités ont nécessités en 1784 et 1785. Dans le même temps Sa Majesté, convaincue, par de grandes et judicieuses considérations, qu’il était également important et économique d’accélérer les travaux de Cherbourg, a fait quadrupler les fonds qui d’abord avaient été destinés annuellement à cette immortelle opération, que Sa Majesté a consacrée par sa présence, dans le voyage mémorable où elle a goûté la juste satisfaction de recueillir les bénédictions et les acclamations attendrissantes d’une nation qui sait si bien adorer ses rois, quand elle se voit aimée par eux, quand elle voit les soins qu’ils prennent pour son bonheur. Les utiles travaux du Havre et ceux de la Rochelle ont été suivis avec la même activité ; ceux de Dunkerque et de Dieppe ont été déterminés et entamés. De nouveaux canaux ont été ouverts en plusieurs provinces, et Sa Majesté a contribué à leur entreprise. Elle a rendu au département des ponts et chaussées la totalité des fonds destinés aux routes publiques, et les a même augmentés. Elle a supprimé plusieurs droits nuisibles au commerce, et le sacrifice qu’elle a bien voulu faire de leur produit, en favorisant l’exportation de nos denrées, est devenu une nouvelle source de richesses. Sa Majesté a créé, soutenu, vivifié plusieurs branches d’industrie, qui désormais, approvisionneront le royaume de grand nombre d’objets qui se tiraient de l’étranger. Plusieurs établissements de grande conséquence ont été secourus et ont reçu des marques signalées d’une protection vigilante ; tels, entre autres, celui des forges de Mont-Cenis, le plus considérable qui existe en ce genre, et celui de la pêche de la baleine, qui prend naissance sous les auspices les plus favorables, en même temps que [i* série, T. Ier.[ AfttiBIVfiS PARLEMENTAIRES. [Introduction.] toutes les autres pêches du royaume sont encouragées, prospèrent et préparent à la marine une pépinière de matelots* Notre commerce dans l’Inde prend aussi consistance; la nouvelle compagnie fait les plus grands efforts pour répondre à l’objet de son établissement, et elle a doublé les effets de son zèle, depuis que le roi lui a permis de doubler ses fonds. En s’occupant de tout ce qui intéresse le commerce, Sa Majesté n’a pas perdu de vue ce qui, dans un royaume agricole, peut s’appeler la première et la plus importante de toutes les manufactures, la culture des terres. L’assemblée qu’elle a établie pour correspondre, tant avec les intendants des provinces, qu’avec les sociétés d’agriculture et les particuliers appliqués à cet objet, a excité la plus utile émulation et réuni les renseignements les plus intéressants. Il s’est formé des associations champêtres entre des propriétaires, des ecclésiastiques, des cultivateurs éclairés, pour faire des expériences, et donner aux habitants dos campagnes la seule leçon qui les persuade, celle de l’exemple. L’exploitation des mines, trop longtemps négligée ett France, a fixé aussi les regards et l’attention de Sa Majesté, qui sait combien de ressources on peut en tirer. Une école publique, devenue intéressante pour la curiosité même des étrangers, des professeurs pleins de zèle et de talents, des élèves animés de la plus vive ardeur, des directeurs envoyés dans toutes les provinces pour y faire des recherches utiles, ont déjà répandu l’instruction dans le royaume , et l’ont portée jusqu’au fond de ces dépôts des richesses souterraines qu’on n’obtient que par des efforts bien dirigés. L’opération sur les monnaies d’or, en faisant-cesser la disproportion qui existait entre le prix de ce premier métal et celui de l’argent, a produit le triple avantage d’arrêter l’exportation de nos louis, qui devenait excessive, d’en rétablir la circulation qui était presque nulle, et de procurer un bénéfice considérable à l’État en. même temps qu’un juste profit aux particuliers. Si j’ajoute qu’il s’élève de toutes parts des monuments dignes d’illustrer un règne, c’est qu’ils sont du genre de ceux qui, réunissant l’utilité publique à la décoration du royaume, ont droit à la reconnaissance nationale. Tel est le caractère de tous ceux dont Sa Majesté m’a ordonné de suivre l’entreprise, Les nouveaux quais qui vont embellir Marseille favoriseront le commerce, ainsi que la population de cette antique cité. La superbe place, qui s’érige à Bordeaux sur les ruines d’unô inutile forteresse, procurera les communications les plus intéressantes,' en même temps qu’un des plus beaux points de vue de l’univers. . 191 A Lyon, les travaux destinés à faire sortir un quartier habitable du sein d’un marais fétide, étaient nécessaires pour la salubrité de cette riche et grande ville. A Nîmes, la restauration des Arènes ferp disparaître des masures malsaines qui déshonoraient ces magnifiques restes de ia grandeur des Romains. Aix aura enfin un palais de justice digne de l’importance de sa destination. Dunkerque verra réparer ses longs malheurs par le rétablissement de ses écluses et de son port, Dans la capitale, les travaux commencés pour espacer les anciennes halles, pour en construire de nouvelles plus commodes, pour en désobstruer les accès, et pour délivrer les ponts des bâtiments difformes et caducs dont iis étaient surchargés, sont autant de bienfaits que Sa Majesté consacre à l’humanité bien plus qu’à la gloire; et ce qui rend ces importants ouvrages encore plus précieux, c’est que leur exécution s’opère et s’achèvera entièrement par des moyens qui ne sont onéreux ni au trésor royal ni aux peuples, des moyens qui ne dérangent aucune destination, qui ne retardent aucun payement. En effet, tVlessieurs, au milieu de toutes ces entreprises, chaque département â reçu ce qu’il a jugé nécessaire pour son service; chaque intendant a obtenu les secours qu’il a demandés pour sa généralité; chaque créancier de l’État a touché ce qu’il avait droit de prétendre; aucun ne se plaint, aucune partie prenante 11e se présente vainement, aucune n’est repoussée par cette triste allégation de la situation fâcheuse des finances, qui fut si longtemps la formule des réponses de l’administration. Sa Majesté a même fait solder plusieurs indem--nités reconnues justes, 'mais renvoyées à des circonstances plus heureuses. Elle a fait justiee & tout le monde, et elle a pu suivrÆles mouvements de sa bienfaisance sans éprouver le regret d’aggraver les charges de gon peuple, sans qu’il y ait eu directement ni indirectement aucune sorte d’augmentation d’impôts, Bans qu’aucuns droits nouveaux aient été établis, même pour remplacer ceux qui ont été supprimés. Par ce tableau raccourci des payements et des opérations effectuées depuis trois ans, d’après les décisions du roi qui en font preuve, vous pouvez juger, Messieurs, si les dépenses ont été surveillées avec attention, et s’il yâ eu de l’ordre dans le régime des finances. Des effets salutaires ne permettent pas de présumer un principe vicieux; et, quels que puissent être les vains propos des gens mal instruits, c’est toujours par les grands résultats qu’on doit apprécier l’économie dans une vaste administration. J’ai remis au roi des détails exacts et détaillés [ire Série, T. 1er.] * ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 192 de tout ee qui a été donné, acquis, échangé, emprunté et anticipé, depuis que Sa Majesté a daigné me charger de ses finances : j’y ai joint tous les renseignements , tous les titres justificatifs de l’autorisation et de l’emploi. Sa Majesté les a tous examinés, elles les a gardés, elle est continuellement en état d’en vérifier par elle-même tous les articles, et je ne crains pas que la malignité la plus venimeuse puisse rien citer de réel qui ne s’y trouve compris. Il ne m’est pas permis sans doute de parler de moi dans cette auguste assemblée, où il ne doit être question que des plus grands intérêts de l’État. Mais ce que j’ai à dire sur l’économie ne leur est point étranger; et, avant de développer ce qui a conduit Sa Majesté aux résolutions qu’elle veut, Messieurs, vous communiquer, il n’est pas inutile de faire voir que leur nécessité ne peut être regardée comme suite de relâchement sur les dépenses. En général l’économie d’un ministre des finances peut exister sous deux formes si différentes qu’on pourrait dire que ce sont deux sortes d’économies. L’une qui frappe tous les yeux par des dehors sévères, qui s’annonce par des refus éclatants et durement prononcés, qui affiche la rigueur sur les moindres objets, afin de décourager la foule des demandeurs. C’est une apparence imposante qui ne prouve rien pour la réalité, mais qui fait beaucoup pour l’opinion ; elle a le double avantage d’écarter l’importune cupidité et de tranquilliser l’inquiète ignorance. L’autre, qui tient au devoir plutôt qu’au caractère, peut faire plus en se montrant moins; stricte et réservée pour tout ce qui a quelque importance, elle n’affecte pas l’austérité pour ce qui n’en a aucune ; elle laisse parler de ce qu’elle accorde, et ne parle pas de ce qu’elle épargne : parce qu’on la voit accessible aux demandes, on ne veut pas croire qu’elle en rejette la plus grande partie ; parce qu’elle tâche \] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 204 Des ordres entiers et des classes particulières de citoyens se prétendent dispensés de contribuer aux charges de l’État. Au milieu dés propriétés imposées on trouve des propriétés qui ne le sont pas. Partout la puissance publique qui lève l’impôt rencontre des prétentions qui ne lui donnent que des obstacles à vaincre, ou des sujets à combattre. On ne parle pas de cette foule de tribunaux établis pour faire exécuter les lois, aussi multipliées que les impôts ; des lois dont plusieurs n’ont été créées que pour exercer une vengeance rigoureuse contre des infortunés entraînés à la fraude par la misère. Quelle liste effrayante d’agents du fisc ! Plus de deux cent mille hommes arrachés à l’agriculture, au commerce, aux armées, â leur famille ! C’est ainsi que les impôts tarissent les sources mêmes dont ils découlent. Ils sont pris dans la production, et ils la détérioreht ; ils portent sur le débit, et ils �e diminuent : le commerce devrait accroître la richesse publique, et l’impôt lutte continuëllement contre le commerce. Dans les temps les plus heureux, au sein de la plus grande abondance, ce serait un bienfait du souverain, ce serait une entreprise digne de ses ministres, que d’attaquer tant de vices, que de corriger tant d’abus, que de commencer une réforme si nécessaire. Mais c’est un devoir de s’y livrer avec constance, avec courage, lorsque cette réforme devient une ressource indispensable , lorsqu’il est impossible de s’en procurer une autre. ...... L’idée d’une imposition territoriale est la première qui se présente à la raison; c’est celle qui se concilie le plus parfaitement avec la justice. C’est la terre qui produit, ce sont ses productions qui sont protégées et garanties par le souverain ; c’est donc à la terre à payer l’impôt. Elle doit une partie de ses fruits au propriétaire qui a acheté le sol, une partie à celui qui lé cultive, et une partie au prince qui couvre de sa puissance et le sol, et le propriétaire, et le cultivateur. Avec quel avantage pour le souverain et pour ses sujets se fait la perception en nature ! L’impôt se paye dans le moment où il est plus facile au tributaire de l’acquitter, où toute sa richesse est dans sa main, où le sacrifice d’une faible portion dé sa récolte lui est moins pénible ; dans un moment où, sans prétexte pour diminuer sa contribution, celui' qui l’exige est aussi sans prétexte pour l’accroître ; le tribut en nature met le tributaire à l’abri de toute vexation ; la quotité de la production fixe la quotité du tribut. Cent gerbes de blé en payent cinq, en payent quatre, en payent deux, suivant les proportions relatives à la nature du sol et aux frais de la culture. Le contribuable n’aura rien à payer, le prince ne pourra rien exiger, si l’intempérie des saisons a ravi au propriétaire le fruit de son labeur. Le souverain, intéressé à l’abondance des récoltes, multipliera les encouragements. La culture s’améliorera par l’impôt, et l’impôt augmentera la culture. Mais cette imposition, pour être utile, doit être générale. Son mode est incompatible avec l’application d’aucun privilège, d’aucune exemption personnelle ou locale. L’expérience l’a déjà prouvé, et l’on sent aisément que la contradiction qui naîtrait des exceptions locales, des distinctions d’héritages, de leur étendue ou de leurs limites, jetterait dans l’opération, qui n’a pour s’exécuter que le moment individuel de la récolte, des gênes inextricables. Aussi l’intention du roi est-elle de soumettre à la subvention territoriale son propre domaine celui des princes ses frères, celui des apanages, et tous les fonds de son royaume, sans distinction de propriétaire, sans qu’on puisse, sous aucun prétexte, ni à aucun titre, 'se soustraire à la justice distributive que Sa Majesté doit à tous ses sujets. Le roi consacrera par son autorité et par le fait ces vérités incontestables, que tous les membres d’un État, ayant un besoin égal de la protection du souverain, ont aussi des devoirs égaux à remplir ; que la contribution aux charges de l’État est la dette commune de tous ; que toute préférence envers l’un est une injustice envers l’autre ; qu’enfm le droit de n’être pas sujet aux charges publiques serait le droit de n’être pas protégé par l’autorité publique, le droit de ne pas lui être soumis, de n’être pas citoyen. Sa Majesté se propose donc : 1° De supprimer les deux vingtièmes et les quatre sous pour livre, à compter du 1er janvier de cette année. Ils ne seront plus levés à l’avenir que sur les biens non susceptibles d’une perception en nature, tels qu’ils sont détaillés dans l’édit du mois de mai 1749.- 2° N’étant pas juste que les terrains sacrifiés au luxe aient plus de faveur que ceux employés à une culture utile, les châteaux, parcs, enclos, maisons et toute nature de fonds seront soumis à l’impôt, mais seulement à raison de la superficie du terrain qu’ils occuperont; et l’on estimera cette superficie sur le pied des meilleurs fonds de la paroisse. 3° Il sera levé une portion des fruits en nature sur tous les fonds qui en produisent, à quelques personnes qu’ils appartiennent, et de quelque état et qualité que soient les propriétaires ; mais, comme tous les fonds ne sont pas d’égale valeur, on distinguera les diverses qualités des terres. Sur les meilleures on lèvera la vingtième partiè des productions; sur celles inférieures, la vingt- [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] cinquième ; sur les médiocres, la trentième, et la quarantième partie sur les terres de la dernière qualité. 4° Le classement de ces différentes qualités de terres sera fait par les assemblées de paroisse, qui seront guidées par le prix des baux. Elles rangeront dans la première classe les terres louées au-dessus de 20 livres ; dans la deuxième celles louées 10 livres et au-dessus jusqu’à 20 inclusivement ; dans la troisième, celles louées 5 livres jusqu’à 10 livres; et dans la quatrième, celles louées au-dessous de 5 livres par arpent : l’arpent réduit à la mesure de cent perches et de 20 pieds par perche, etc. 5° Enfin le même esprit de justice, qui porte à supprimer toute exception dans une imposition due par la terre même, détermine le roi à exempter de toute taxe personnelle les premiers ordres de son État, que Sa Majesté veut maintenir dans les distinctions qu’ils méritent ; et même, pour les en faire jouir plus complètement,, elle veut qu’à l’avenir la capitation, dont la nature et le titre semblent répugner à leur état, n’ait plus lieu à l’égard de la noblesse, ni de la magistrature, ni du clergé des frontières, qui la payent actuellement, ni en général de tout le clergé de France, qui s’en est racheté, et qui ne pourra dans aucun cas être recherché à ce sujet. [ TROISIÈME MÉMOIRE Sur le remboursement des dettes du clergé. L’impôt territorial a pour premier objet la défense du patrimoine public; il est donc nécessaire que tous les biens-fonds le supportent ; et les biens ecclésiastiques, qui n’éprouvent pas moins que les autres les effets constants de la protection souveraine, ne sauraient en être affranchis. Mais la position actuelle du clergé mérite une considération particulière. Pour contribuer, sous le nom de dons gratuits, aux charges publiques, il a contracté des emprunts qui se sont élevés successivement à une somme énorme ; c’est la nature de son administration qui est le principe de l’accroissement indéfini de sa dette, en ce qu’il n’assied pas ses décimes de manière à pourvoir au remboursement des capitaux en même temps qu’au payement des arrérages. Leroi, voulant à la fois délivrer le clergé actuel de la charge accablante que ses prédécesseurs lui ont imposée, et lui épargner pour l’avenir l’embarras où le régime qu’il suit doit nécessairement le conduire, a trouvé bon de lui procurer, en l’autorisant à des aliénations effectives, l’extinction d’une dette qui, grevant l’universalité de ses biens d’une hypothèque éternelle, est déjà une aliénation équivalente. Deux moyens paraissent pouvoir remplir cet objet. Le premier est le rachat des rentes foncières 205 dues aux gens de mainmorte sur les biens de campagne. Les propriétaires dont les terres en sont chargées acquerront la faculté toujours désirée de se rédimer d’une servitude onéreuse. Le second moyen consiste dans l’aliénation des justices, de la chasse et des droits honorifiques des possessions du clergé. Ce sacrifice ne doit point lui paraître pénible ; il ne prive le grand nombre de ses membres d’aucune jouissance, d’aucun produit, et quelques-uns de vains litres seulement. QUATRIÈME MÉMOIRE Sur la taille. Le roi aurait désiré pouvoir effectuer sans aucun retardement ses vues pour la réformation de la taille, mais Sa Majesté croit devoir suspendre sa détermination définitive, jusqu’à ce qu’éclairée par les observations des assemblées qu’elle veut établir dans les différentes provinces du royaume, et par les résultats de la perception en nature, qui lui feront connaître l’exacte valeur des fonds, elle puisse se fixer sur les moyens les plus convenables de corriger les vices et de diminuer le poids de cet impôt. Sa Majesté cependant ne veut pas différer de faire jouir ses peuples d’une partie des soulagements qu’elle leur destine. Elle se propose d’ordonner : 1° Que désormais on ne puisse être taxé pour la taille personnelle au delà d’un sou pour livre ■ des revenus, profits et facultés qui y sont assujettis ; 2° Que les cotes des manoùvriers et artisans, qui, dans plusieurs endroits, sont portées à un taux excessif, ne puissent à l’avenir, et dans tout le royaume, excéder la valeur d’une de leurs journées par chaque année ; 3° Et, pour que le rejet de ces réductions ne surcharge pas les biens-fonds soumis à la taille réelle, l’intention de Sa Majesté est d’accorder la diminution d’un dixième sur le principal de la taille, aussi dans tout son royaume. 4° Enfin le roi, voulant étendre les effets de sa bienfaisance jusqu’à ceux des petits propriétaires que des malheurs réduisent à ne pouvoir acquitter leurs taxes et qui ne sont pas moins à plaindre que les plus pauvres artisans, a résolu d’accorder chaque année, à chaque paroisse des campagnes, une somme égale au vingtième de leur taille. Les collecteurs retiendront cette somme sur les deniers de leur collecte, et la remettront à la disposition des assemblées paroissiales, qui en feront la distribution aux habitants les plus nécessiteux, conformément à l’intention dans laquelle est Sa Majesté de répandre principalemeut ses grâces et ses bienfaits sur la classe la plus indigente de ses sujets. 206 [lre Série, T-Ier. | . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] CINQUIÈME MÉMOIRE. Sur le commerce des grains. La question du commerce des grains, si longtemps débattue, est du nombre de celles que le temps, l’expérience, et la libre communication des idées, ont fait parvenir à leur maturité; tout a été dit de part et d’autre, et l’on peut voir que le principe qui réclame une grande liberté a prévalu dans les esprits. Il est temps que l’autorité le consacre, et achève de fixer les idées publiques à cet égard. . Ce principe d’une entière liberté est d’abord dicté par la justice. Le droit de disposer à son gré des productions que l’on a fait naître par ses avances et par ses travaux, est une partie de la propriété ; il ne doit pas être plus permis de l’enfreindre sur une production que sur une autre. Le bien public ne saurait servir de prétexte pour porter atteinte à cette liberté : elle n’est pas moins conforme aux règles d’une sage administration qu’à celles de la justice ; elle est incontestablement le principe le plus rassurant pour les peuples, puisque d’une part elle augmente la quantité des grains, et que de l’autre elle les répand avec rapidité partout où le besoin se déclare. Et voilà pourquoi, sur cet objet, Je grand art de l’administration est bien moins d’agir que de laisser faire. La crainte de manquer de blé dans un lieu lorsqu’il abonde dans les autres est sans fondement ; le besoin de vendre est partout aussi impérieux que celui d’acheter, et par la nature des choses, l’intérêt particulier est ici l’éternelle caution du bien général. Ces principes, dont la raison ne peut plus se défier, écartent toute inquiétude légitime. Et cependant, telle est l’extrême susceptibilité du peuple sur l’objet de sa subsistance, qu’elle exige l’annonce de quelque précaution, même pour des accidents imaginaires; il a donc fallu présenter avec une sorte de mesure la confiance •du gouvernement afin de s’assurer de la confiance du peuple. Ainsi la loi se montre prête à suspendre localement et momentanément la liberté qu’elle accorde, toutes les fois qu’une province le demandera. Cette apparente restriction, ou plutôt cette précaution qui semblerait d’abord affaiblir 1e principe d’une entière liberté, ne sert réellement qu’à l'affermir d’avantage. La loi, en paraissant soumettre en quelque sorte au vœu des peuples le pouvoir qu’elle se réserve, les conduit naturellement à ne jamais désirer qu’elle en fasse usage. Mais dans une -matière aussi délicate, où le scrupule devient un devoir, il est des précautions d’un autre ordre que l’administration peut se réserver. Elles doivent être telles, que leurs ressorts soient invisibles; elles doivent se combiner, autant qu’il se pourra , avec des établissements déjà existants et destinés à un autre objet; il faut que le peuple puisse en jouir sans s'en apercevoir; trop annoncées, elles deviendraient pour lui un sujet d’alarmes : leur objet sera de pourvoir non à des inconvénients réels de la liberté, mais à des premiers moments d’une crainte qui pourrait égarer les opinions ; pour le temps qui suit, la liberté s’en charge. C’est ainsi que, par des moyens simples et prudemment ménagés, la surveillance de l’administration garantira de toute atteinte une loi réclamée depuis longtemps par la raison et par l’intérêt général. En conséquence, Sa Majesté, en confirmant les lois anciennes, telles que l’édit de 1764 et les déclarations ou lettres patentes de 1776, en ce qu’elles ordonnent qu’il sera libre à toutes personnes, de quelque état et condition qu’elles soient, de faire le commerce des grains et farines, soit dans l’intérieur du royaumé, soit au-dehors, se propose d’y déroger, en ce qu’elles avaient réglé que l’exportation serait permise ou défendue suivant que le prix du grain serait au-dessus ou au-dessous d’un certain terme; et de déclarer qu’en assurant pour toujours la liberté absolue dans l’intérieur du royaume, elle se réserve seulement de suspendre l’exportation au-dehors , pour la totalité ou partie de chacune de ses provinces, lorsque les États ou rassemblée provinciale de quelqu’une d’elles lui en auront fait la demande, et que Sa Majesté en aura reconnu la nécessité, sans que cette interdiction puisse s’appliquer aux autres provinces , pour lesquelles elle n’aurait pas été sollicitée et jugée nécessaire, et sans que cette défense puisse jamais être portée pour un plus long terme que celui d’une année, sauf à la prolonger par une nouvelle décision, si la continuation des besoins l’exigeait, et si les États ou assemblées provinciales en renouvelaient la demande. ' SIXIÈME MÉMOIRE. Sur la corvée. La corvée exigée en nature a, dans tous les temps, été regardée comme le • fléau des campagnes; elle condamne à un travail gratuit celui qui ne vit que du salaire de son travail ; elle emploie à des ouvrages qu’elle fait mal un nombre de journées dont la valeur, réduite au plus bas prix, excède infiniment ce que les mêmes ouvrages bien faits devraient naturellement coûter. Son exécution est toujours rigoureuse, sa répartition n’est jamais proportionnée; le malheureux qu’elle accable n’en retire aucun avantage ; des paroisses entières en sont exemptes par le hasard seul de leur position ; et, malgré tous les soins des administrateurs, il est impossible qu’elle ne nuise point à l’agriculture. [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Les travaux dont elle est l’objet étant exécutés à prix d’argent, feront vivre le journalier, seront une ressource dans les saisons mortes, et donneront à chaque communauté la consolation de voir sa contribution devenir en même temps utile au public et secourable à la portion d’elle-même la plus indigente. Ges motifs déterminèrent l’édit de 1776, qui remplaçait la corvée par une imposition au marc la livre des vingtièmes ; mais bientôt Sa Majesté en suspendit Inexécution sur les remontrances de ses cours. Le roi a jugé nécessaire de ramener cette partie importante de l’administration à des principes uniformes,' Sa Majesté se propose donc d’ordonner que les travaux des grandes routes s’exécuteront désormais dans le royaume au moyen d’une prestation eu argent, qui sera réglée chaque année en raison de la tâche que chaque communauté aurait dû faire* de manière cependant qü’elle n’excède jamais le sixième de la taille, des impositions aceessoires*et de la capitation réunis pour le�lieux taillables, non plus que les trois cinquièmes de la capitation roturière pour les villes et communautés franches ou abandonnées, ainsi que pour les pays de taille réelle. Cette lecture finie, M. de Galonné a repris la parole, et a fait connaître succinctement à l’assemblée les trois autres divisions du travail sur lequel elle aurait à délibérer. Lorsque M. de Galonnne a eu fini de parier, Monsieur, après avoir salué l’assemblée, assis, à dit : .. Discours de Monsieur . Messieurs, d’après ce que M. le contrôleur général vient de nous dire des objets sur lesquels le roi veut que nous délibérions, il nous est facile de juger de leur importance. Il est possible que quelqu’un de nous soit intimidé par leur grandeur; mais quelque défiance que chacun en particulier puisse avoir de ses propres lumières, je crois qu’il est essentiel de n’appeler aucun se-' cours étranger. Lorsque les délibérations d’une assemblée se répandent au dehors , chacun en raisonne à sa manière, et ces raisonnements, faits sans aucune connaissance approfondie de la matière, ne peuvent que jeter du doute et des nuages dans l’esprit de ceux qui doivent s’en occuper essentiellement : je pense donc qu’il est bon , quoique le roi ne nous l’ait pas expressément ordonné, de garder le secret sur ce qui se passera, tant dans nos assemblées générales que dans nos assemblées particulières; ou, si nous ne pouvons éviter d’en parler dans le monde, de nous abstenir au moins d’entrer dans aucun détail. C’est la conduite due je me propose de tenir, et je ne puis, Messieurs, que vous exhorter à en agir de même. Ce discours fini, Monsieur s’est levé et a invité les membres du bureau qu’il doit présider à se 207 rendre chez lui le lendemain à onze heures du matin. Les autres princes ont donné chacun leurs heiires. Les secrétaires-greffiers de rassemblée ayant demandé à M. le contrôleur général les six mémoires qu’il venait de lire, pour en faire faire des copies et les remettre aux différents bureaux , ce ministre leur a dit que son intention était de les faire imprimer, ce qu’il a fait depuis. TROISIÈME SÉANCE Le lundi 12 mars 1787. Monsieur, M�r le comte d’Artois et les princes s’étant rendus, sur les onze heures du matin, à la salle d’assemblée, et ayant pris séance dans le même ordre qui a été spécifié ci-dessus, lê'sieur Hennin, après avoir salué et s’être couvert, a lu le procès-verbal de la première séance tenue en présence du roi, qui n’avait pu l’être lors de la dernière assemblée ; et le sieur Dupont, après avoir salué et s’être couvert, a lu celui de la seconde séance. Monsieur le baron deBreteuil, premier commissaire du roi, a ensuite ouvert la séance par le discours suivant ; Discours de M. le baron de Breteuil. Messieurs, le roi, en vous appelant à ce conseil extraordinaire, nous a ordonné de vous en communiquer successivement les objets. Sa Majesté désire d’entendre par votre bouche les meilleurs moyens d’assurer le bon ordre dans l’administration, et l’avantage constant de son peuple. Le roi me veut, Messieurs, fonder Dusage de son autorité que sur le bonheur public. Monsieur le contrôleur général va continuer à vous exposer les vues de Sa Majesté. Monsieur le contrôleur général ayant pris aussitôt la parole, a prononcé le discours dont le commencement suit : Début du discours prononcé par M, le contrôleur général, Messieurs, vous/ savez que la totalité des propositions que Sa Majesté a jugé à propos de vous communiquer a été divisée en quatre parties; que la première concerne particulièrement les impositions territoriales et ce qui a rapport à l’agriculture. La seconde, la liberté de la circulation intérieure et les droits qui intéressent le commerce. La troisième, les domaines, les forêts du roi et autres objets domaniaux. La quatrième, diverses opérations relatives à l’administration des finances et au crédit. Les objets de la première division ont été examinés dans chacun des sept bureaux entre lesquels l’assemblée est partagée ; vous avez formé. 208 [1™ Série, T. !«*’.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f Introduction]. vos avis ; Monsieur les a tous remis au roi : Sa Majesté les a tous lus ; elle veut les revoir encore avec la plus grande attention et en. peser les résultats dans son conseil ; elle y a trouvé ce qu’elle attendait de votre zèle, les preuves de l’application suivie avec laquelle vous avez discuté chaque objet. Elle a vu avec satisfaction. qu’en général vos sentiments s’accordent avec ses principes ; que, vous étant pénétrés de l’esprit d’ordre et des intentions bienfaisantes qui dirigent toutes ses vues, vous vous êtes montrés animés du désir de contribuer à en perfectionner l’exécution ; que vous n’avez recherché les difficultés dont elle pourrait être susceptible, qu’afin de les prévenir et de faire apercevoir les moyens de les éviter ; enfin que les objections qui vous ont frappés, et qui sont principalement relatives aux formes, ne contrarient pas les points essentiels du but que Sa Majesté s’est proposé, d’améliorer ses finances, et de soulager ses peuplés parla réformation des abus. Le roi ne doute pas plus des sentiments qui ont dicté vos observations, que vous ne devez douter de ceux dans lesquels Sa Majesté les reçoit : elles ne s’accorderaient pas avec l’attention paternelle qui l’a portée à vous assembler, si elles n’avaient pas ce caractère de franchise qui convient à des Français consultés par leur roi sur le bien de ses peuples. Assurée de vos dispositions, comme de votre juste reconnaissance, Sa Majesté ne s’est point attendue à en recevoir un hommage passif et aveugle. C’est la vérité qu’elle cherche, et elle sait que la vérité s’élaircit pas le choc des opinions. Les objets que nous sommes chargés de vous apporter aujourd’hui ne méritent pas moins que les précédents toute votre attention ; ils réunissent dans leur ensemble tout ce qui est nécessaire pour l’exécution complète d’un plan désiré depuis des siècles, et duquel il est reconnu que dépend la vivification de tout le commerce du royaume, par conséquent la prospérité de l’État. C’est une chose bien digne de remarque, et qui doit, Messieurs, vous faire éprouver un sentiment de satisfaction que Sa Majesté même se plaît à partager avec vous, qu’en ce jour les notables du royaume assemblés par ses ordres vont recevoir la réponse aux cahiers présentés par les États généraux en 1614 ; et sans doute qu’ils vont coopérer, par leurs avis, par leur acclamation, à l’accomplissement du vœu que la nation entière exprimait, il y a cent soixante-treize ans, de la manière la plus pressante ; elle demandait alors que les barrières fussent toutes reportées à l’extrême frontière du royaume, que la circulation intérieure fût rendue libre, que le commerce fût affranchi de ses entraves, qu’il y eût un régime uniforme pour les traités : le roi l’accorde aujourd’hui, et c’est le but du plan que vous allez examiner. Ainsi les temps se succèdent, et la vérité leur survit; ce qu’elle n’obtient pas dans un moment elle le réclame avec succès dans un autre ; des conjonctures fâcheuses accumulent les obstacles, des conjonctures plus favorables les dissipent ; et têt ou tard la voix puissante du bien public subjugue toutes les difficultés. L’origine du régime vicieux qu’il s’agit de réformer date du quatorzième siècle; ce ne fut qu’au commencement du dix-septième qu’on vit éclater formellement les plaintes du commerce et les doléances de la nation à ce sujet. Cinquante ans après, Colbert proposa à, Louis XIV d’y mettre ordre, et conçut le projet d’un tarif uniforme ; mais il crut devoir en graduer l’exécution. Cette voie ne réussit pas, et le régime se compliqua davantage; Louis XV s’occupa de 15 rectifier entièrement ; le plan fut tracé en 1760 ; les bases du travail préparatoire furent posées, et l’on n’a pas cessé depuis cette époque de rassembler tous les renseignements nécessaires pour rendre ce travail complet ; il l’est enfin, et Louis XVI va mettre la dernière main à cette œuvre importante, digne, Messieurs, du vif intérêt avec lequel vous allez vous en occuper. Je n’entrerai point ici dans le détail des parties qui le composent ; elles sont toutes développées dans les mémoires que nous sommes chargés de remettre à Monsieur, et que ce prince voudra bien faire distribuer dans chacun des sept bureaux. Le premier, qui est le plus considérable, vous présentera les éléments du tarif uniforme et tout l’ensemble de l’opération ; les sept autres traitent particulièrement différents points accessoires dont le concours a paru nécessaire pour l’entier affranchissement de la circulation intérieure. Ce serait abuser du temps que vous consacrez à l’intérêt public, que de vous dire en ce moment ce que vous trouverez dans le contenu de ces mémoires ; je me bornerai à vous tracer en peu de mots une idée générale du projet. Dans la seconde partie, qui n’était pas écrite, M. de Galonné a exposé la substance des huit mémoires qui forment la seconde division du travail dont l’intention du roi est que l’assemblée fasse l’examen. Ce ministre s’est attaché à faire voir les avantages qui résulteront, pour le soulagement de la nation et pour les finances du roi, des changements que Sa Majesté se propose de faire dans tous les points d’administration dont ils sont l’objet et la liaison des opérations soit entre elles, soit avec les* autres parties du plan projeté par Sa Majesté. [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] MÉMOIRES De la seconde division. PREMIER MÉMOIRE. Sur la réformation des droits de traites , l'abolition des barrières intérieures , rétablissement d'un tarif uniforme aux frontières , et la suppression de plusieurs droits d'aides nuisibles au commerce. Les États généraux, assemblés en 1614, se plaignaient au roi de ce que les droits de traites étaient levés sur ce qui va de certaines provinces du royaume à d’autres d’icelui, tout ainsi que si c’était un pays étranger, au grand préjudice de ses sujets, entre lesquels cela conservait des marques de division qu’il était nécessaire d’ôter, puisque toutes les provinces du royaume sont conjointement et inséparablement unies à la couronne pour ne faire qu’un corps, sous la domination d’un même roi, et puisque tous les sujets sont unis à une même obéissance. Pour ces causes, ils demandaient qu’il plût à Sa Majesté ordonner qu’ils jouiraientd’unemêmelibertéet franchise; en cefai-sant, qu’ils pourraien t librement négocier et porter les marchandises de France en quelques endroits du royaume que ce soit, comme concitoyens du même État, sans payer aucun droit de traites ..... Qu’à cet effet, les bureaux desdites traites et droit d’entrée seraient établis aux villes frontières et limites du royaume. Ce vœu fut inspiré par la raison, par la justice et par l’intérêt public. Il n’a pas cessé d’exister, il n’a pas cessé d’être celui de la nation-; mais mille obstacles divers et successifs s’opposèrent à son accomplissement : les efforts mêmes qu’on fit pour diminuer les inconvénients sans en extirper le germe semblèrent les enraciner davantage. C’est presque toujours le sort des meilleures intentions, quand les circonstances en bornent les effets. Réformer à demi c’est perpétuer le désordre ; et régler des effets vicieux c’est donner une constitution au vice, c’est renoncer à le détruire. Il est reconnu que les ordonnances multipliées, qui ont grossi le code des traites, n’ont servi, en compliquant leur régime, qu’à prouver l’impossibilité de le rectifier sans en changer les bases. On est depuis longtemps généralement convaincu qu’il n’y a qu’une refonte totale dans cette partie qui puisse y rétablir l’ordre naturel. Les droits de traites ont fixé l’attention du roi. Leur origine remonte au treizième siècle. Les productions nationales , peu abondantes alors, étaient considérées comme devant servir uniquement aux besoins du royaume, comme leur étant nécessairement et exclusivement réservées. Il paraissait en conséquence fort important d’en empêcher la sortie, et c’est ce qui fut le principe des droits de traites . Ils furent établis pour arrêter lre Série, T. ICÏ. 209 l’exportation et compenser en quelque sorte le préjudice qu’on lùi attribuait. Telle était l’erreur de l’administration dans ces temps peu éclairés, que la cause même du mal semblait en être le remède. On ne croyait pas le royaume assez riche pour permettre de vendre au dehors; et c’est parce qu’on ne permettait pas de vendre au dehors que le royaume-ne devenait pas plus riche. Les productions de son sol et de son industrie pouvaient-elles s’élever au delà de sa propre consommation, quand sa consommation était l’unique mesure du débit et le dernier terme de la vente ? Les choses restèrent en cet état pendant plus de trois siècles. Mais en 1540 l’esprit fiscal, qui ne fut jamais celui du commerce, aggrava le poids des droits de traites ; les mômes provinces qui avaient été assujetties à des droits desortie furent soumises à des droits d'entrée; bientôt on y ajouta des droits locaux , et la circulation fut partout gênée, obstruée, interrompue. La contagion de l’exemple, ou plutôt l’appât d’un intérêt mal entendu entraîna les dominations voisines, et de toute parts la puissance souveraine parut ne s’occuper que d’étouffer l’industrie, de mettre des entraves au commerce. La France s’était agrandie, les droits d’entrée et de sortie devaient naturellement se reculer en même temps que ses frontières ; mais continuant d’être perçus dans les lieux où ils avaient été établis, ils devinrent des douanes intérieures. On laissa subsister au milieu du royaume une multitude de barrières qui n’avaient été posées dans leur origine que pour garder ses limites, et les marchandises nationales ne purent passer d’une province à l’autre qu’en payant les mêmes droits imposés sur celles venant de l’étranger ou allant à l’étranger, A ces droits de traites primitifs avaient été successivement ajoutés plusieurs droits particuliers créés en différentes provinces du royaume pour un temps limité et pour des besoins pressants, lorsque la France était agitée par les troubles des guerres civiles. Le commerce, fatigué par la perception de tant de droits dont la suppression toujours promise n’était jamais effectuée, fit parvenir sa réclamation jusqu’au trône par la voie des Étals généraux. La nation en corps demanda avec instance la' liberté de circulation dans l’intérieur du royaume et l’établissement d’un tarif uniforme des droits perceptibles à l’extrême frontière. Une demande si juste parut faire impression, mais n’eut pas le succès qu’on devait en attendre. Le gouvernement voulut réformer sans perdre et, pour compenser le produit des droits de circulation dont les États sollicitaient la suppression, on proposa aux provinces qui y étaient soumises et qui ne l’étaient pas à la perception des droits 14 [l‘« Série, T. I«r.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 210 d’aides, de consentir à y être assujetties. L’échaège ne fut pas accepté, et après sept atïiléëS de vaines tentatives le régime vicieux continua de subsister sans aucun changement. Sur la fin du fèghe de Louis XIII et pendant la minorité de Louis XIV, les droits locaux prirent de nouveaux accroissements; iis se multiplièrent ài’excès, et le commerce languissait, eCrasé sons ie poids de tant de perceptions différentes. L’œil vigilant dé Colbert mesura toütë l’étendue des cofiséquënces de ce désordre. Il entreprit clé supprimer les traites intérieures, et d’établir Un régime uniforme pour toutes les douanes du royaume ? c'est dans cette vue què fût rédigé le tarif dé 1664. Mais leS circonstances në permirent pas à Ce ministre, Si digne de la reconnaissance publique, d’effectuer tutu le bien qu’il avait conçu. Le besoin des finances l’dbfigeâ flè conserver divers droits locaux aussi incompatibles avec la liberté du commerce qne ceux dont il avait fait déterminer la suppression ; et, pour arriver par degrés à l’uniformité dè perception qO’il avait en vüe, il Crut devoir laisser aux provinces la liberté d’opter entre le nouveau régime qu’il établissait et celui sous lequel elles avaient existé jtisqu'a-lôrS. Un grand nombre de prOvinCes acceptèrent le tarif; ce sont celles qui sont Connues sons la dénomination dè provinces des cinq grosses fermes ; lès antres préférèrent demeurer dans leur premier état, Cë SoUt celles qui ont le titre de provinces réputées étrangères. Ce partagé, qül trompa les espérances de Colbert, iüi fît prendre le seul parti qui fdi restât, 6e-liti d’établir dü moins des droits uniformes sur lès Objets les pins intéressants du commerce, et d’en ordonner là perception aux frontières dès provîntes réputées étrangères ; C’est ce qül donna lieu aux tarifs de 166t ët 1671, dont i’exècütion caractérise les provinces ainsi dénommées , et les différencie des provinces dès cinq grosses fermes soumises particuliérement au tarif de 1664. Ce système tendant à rapprocher les régimes disparates qu’on Crut alors devoir tolérer, et à en diminuer îèS inconvénients, a été suivi depuis, et Un grand nombre d’arrêts dû conseil ont successivement établi lès droits uniformes sur différentes marchandises qui m'avaient pas été comprises dans les tarifs de 1667 et 1671 ; en sorte qu’il y a aujourd’hui plus de deux ‘cinquièmes des principaux objets dè commerce qui y sont assujettis. Mais quelques provinces nouvellement conquises ou rêunlès n’y ont pas été soumises. Les Trois-ÉVêchés, l’Alsace et la Lorraine sont demeurés affranchis, tant du tarif de 1664 que de ceux dé 1667 et 1671 ; iis ont conservé une communication libre avec l’étranger, et c’est ce qui les a fait dénommer provinces à l'instar de V étranger effectif. Cependant cettè exception â la loi commune n’a pas été maintenue intégralement à l’égard de ces trois provinces ; il y a été dérogé clans celle des Trois-Èvêchés, par rapport à plusieurs droits, tels que celui des cuirs ; et dans la Lorraine, ainsi que dans l’Alsace, il existe plusieurs droits locaux qui, gênant la circulation, sont fort onéreux au commerce. Ce bizarre assemblage de tarit de Constitutions différentes a toujours paru mériter l’attention particulière dit gouvernement, et il est enfin reconnu qu’tl est possible de le faire disparaître sans blesser les droits ni les intérêts d’aucune province, et même en procurant l’avantage de toutes. Sa Majesté a considéré güe l’établissement des droits uniformes , quand il serait étendu à toüs lés objets, quand il le serait même aux provinces qui sont à l’instar de l'étranger effectif , ne procurerait que l’avantage d’effacer toute différence dans les relations de notre commerce avec l’étranger; mais qù’il laisserait toujours à désirer Celui d’üne Communication parfaitement libre entre les différentes provincès du royaume. En conséquence, Sa Majesté a pensé que ses vues ne seraient remplies qu’imparfaüeniènt, si, en même temps qü’elle Ordonnera la confection d’un tarif uniforme pour lès droits d’entrée et de sortie, combiné avec l’intérêt des manufactures nationales, elle ne supprimait pas tous les droits dus à la circulation dans l’intérieur, et tous les bureaux où ils se perçoivent. Ce projet avait été tenté en 1760 ; et un magistrat, aussi Célèbre par ses lumières que par les services Importants qu’il a rendus dans toutes les parties d’administration dont il était chargé (1), s’était voué à cette grande opération avec un zèle infatigable. Il employa sept années à en préparer le travail, et il l’avait porté aü point que son ouvrage a donné lès principales bases du plan adopté par Sa Majesté. Mais, d’un côté, les difficultés qu’on èut lieu de pressentie de la part dès provinces qui crûrent qu’elles seraient lésées par ï’asàüjèttissëffitént aux droits d’ün tarif uniforme ; et, d’uri autre côté, iês exagérations de la ferme générale sûr le produit des droits dë Circulation qu’il s’agissait de supprimer, firent craindre que l’opération riè fut èh même temps nuisible aux intérêts d’une partie des sujets du roi, èt préjudiciable üüx revenus de Sa Majesté. Il parût sage et nécessaire de suspendre l’exécution, jusqu'à ce qu’on fût rassuré sur ces deux objets essentiels par une vérification exacte des recettes de toutes les espèces de droits de circulation, et par une juste balance de ce que (I) M. de Trudainc. [1» Série, f. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [introduction. âii les provinces intéressées au changement pourraient y perdre ou y gagner. Le travail immense qu’il a fallu faire pour connaître et constater ce double résultat a été entamé en 1767 ; il a été suivi depuis avec la plus grande application pâr la personne instruite et laborieuse qui en a été chargée, et ce n’est que vers le commencement de l’année dernière qu’il s’est trouvé porté à Son entière perfection. Ce travail a fait connaître d’üne manière certaine qüe les relations des différentes provinces du royaume entre elles étaient beaucoup plus considérables que celles avec l’étranger ; qü’ainsî la liberté delà circulation intérieure ferait beaucoup plus de bien que les droits sur le commerce extérieur lie pourraient faire de mal. Il a fait connaître que les provinces mêmes qui paraissent le plus attachées à leur qualité étrangères otl de réputées étrangères , et à un Commerce inconciliable avec l’intérêt général du royaume, n’y trouvent pas même leur avantage particulier; que ce commerce les appauvrit tous les ans ; qu’il est destructeur de leur industrie, et que tout considéré c’est un bien illusoire dont la privation sollicitée par l’État entier deviendra pour elles-mêmes une source de profits plus réels. Ce travail enfin a fait connaître que le produit des droits de circulation intérieure, objet de 5,500,000 livres, serait facilement compensé par l’extension générale du commerce, par une perception égale de droits sagement combinés à toutes les entrées et sorties du royaume, par une diminution très-considérable des frais de recouvrement, et par l’abolition de la contrebande, abolition précieuse sous tous les aspects, et sur laquelle Sa Majesté a droit de compter, au moyen du parti qu’elle a pris de substituer aux prohibitions oü à des droits réputés prohibitifs par leur énormité, des droits qui, n’excédant pas Je prix ordinaire des assurances, ne seront plus éludés ni fraudés, et cependant suffiront pour maintenir la concurrence et même la préférence qu’il est juste de conserver aux manufactures nationales. Tous les droits de traites intérieures, tous les droits locaux seront abolis; tous les bureaux où ils sont perçus, toutes les barrières établies pour en assurer la recette, seront transportés aux frontières extérieures ; rien ne gênera plus la circulation au-dedans; le négociant et le voiturier, l’artisan et le cultivateur, le Français et l’étranger ne seront plus arrêtés, fatigués, inquiétés par ces visites importunes, tourment des voyageurs, et source intarissable de plaintes, de difficultés, quelquefois même de vexations. (Suit, dans le mémoire, l’énumération et des observations sur la conversion de chacun d’eux en droits extérieurs.) SECOND MÉMOIRE. Sur la suppression du droit de marque des fers. Tant de motifs se. réunissent pour encourager dans le royaume la fabrication des ouvrages de fer, et conséquemment l’exploitation des mines qui peuvent fournir ce métal avec une abondance égale à nos besoins, qu’il était juste que le roi, occupé de la suppression de tous les droits destructeurs de l’industrie, fixât particulièrement son attention sur le droit de la marque des fersr qui joint à l’inconvénient d’être fort onéreux aü commerce celui d’être d’une perception difficile, dispendieuse, sujette à beaucoup d’exceptions locales, et diversement modifiées, suivant tes différentes provinces où elle a lieu. Sa Majesté, s’étant fait représenter les titres de l’établissement de ce droit, a reconnu qu’ayant pour principe l’édit de 1626, il n’avait d’abord été perçu que dans les ressorts des Parlements de Paris, de Dijon, de Toulouse, de Metz et de Grenoble, où cet édit avait été enregistré; que l’enregistrement ayant eu lieu depuis au Parlement de Rouen, la régie du droit avait d’abord été établie en Normandie ; mais que, sur les représentations du commerce et des fabriques, appuyées par le Parlement, le droit à l’exercice avait été supprimé dans cette province, et conservé seulement sur les fers et aciers importés de l’étranger; enfin que ce droit était perçu dans la Lorraine et leBarrois, où les anciens ducs l’avaient établi, et en vertu de leurs ordonnances. Il est encore à remarquer que le droit sur la marque des fers se perçoit à la fabrication dâns les ressorts des Parlements de Paris, Dijon, Metz et Nancy; mais que les provinces qui composent les ressorts des Parlements de Toulouse èt de Grenoble ont obtenu l’affranchissement dé l’excr-cice, et que le droit n’y est perçu présentement qu’à l’entrée et à la sortie. Il n’y a pas plus d’uniformité dans la perception du droit à l’importation. Ce droit n’est acquitté sur les fers et aciers ouvragés ou non ouvragés qui viennent de l’étranger qu’à Feutrée des provinces où l’édit dé 1626 a été enregistré : les importations des fers étrangers dans les autres provinces du royaume ne le payent pas. Toutes ces disparités dénuées de motif sont incompatibles avec l’Unité de principes et, le plan d’uniformité que Sa Majesté s’est proposé. D’ait-leurs la perception du droit de marque des fers au passage des provinces qui y sont soumises ifdûs celles qui ne le sont pas, devient impraticable pâr la suppression des barrières intérieures; et l’exercer partout à la fabrication ce serait occasionner la ruine des forges et usines du royaume. Ces considérations ont fait juger nécessaire d’affranchir totalement les fers nationaux du droit 212 [ire Série, T. 'P*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] de marque, soit à la fabrication, soit à la circulation intérieure. Le produit de ce droit est de 1,200,000 livres -, sa suppression est donc un sacrifice considérable dans les revenus du roi; mais il est si intéressant pour le commerce, et les établissements de 1er et d’acier formés dans le royaume ont, dans les circonstances actuelles surtout, si grand besoin de protection et de faveur pour soutenir la concurrence avec l’étranger, que Sa Majesté n’a pas cru devoir hésiter à s’y déterminer. Il s’agit donc d’ordonner : 1° Qu’à compter du 1er octobre prochain le droit de la marque des fers, soit à la fabrication, soit à la circulation dans le royaume, sera et demeurera supprimé ; 2° Qu’à compter de la même époque les fers et aciers importés de l’étranger par tous les ports et bureaux du royaume indistinctement, et sans aucune exception, acquitteront les droits d’entrée fixés par le nouveau tarif. TROISIÈME MÉMOIRE. Sur la suppression du droit de subvention par doublement de celui de jauge et courtage , et de plusieurs autres droits cVaides , qui se perçoivent à la circulation. J1 ne faut pas de raisonnements pour faire apercevoir l’importance de tout ce qui tend à favoriser la libre circulation des vins, eaux-de-vie et autres boissons qui se font dans le royaume, et dont le débit est essentiellement lié au progrès de l'agriculture. Pour leur procurer les débouchés lesplus avantageux, il est nécessaire de les affranchir des droits qui, ajoutés à ceux de circulation, mettent des obstacles à leur vente, en même temps qu’à leur transport d’une province dans l’autre. Il a été rendu compte à Sa Majesté que ces droits consistaient : 1° Dans celui de subvention par doublement , lequel est de 4 livres par muid, et se perçoit au passage réciproque des pays sujets aux aides dans ceux qui ne le sont pas ; 2° Dans celui de jauge et courtage perçu dans les méfies cas ; 3° Dans le droit de neuf livres dix-huit sous par tonneau , et dans celui des anciens et nouveaux cinq sous sur les vins emportés en Picardie par les bureaux limitrophes de l’Artois ou par les ports de Calais, Boulogne et Ëtaples, lesquels droits reviennent à 10 livres par muid; 4° Dans celui de quinze sous par muid sur les vins qui, après avoir acquitté le droit de neuf livres dix-huit sous par tonneau, passent ensuite des ports de Calais, Boulogne et Étaples dans les provinces de Flandre, Artois et Cambrésis ; 5° Enfin dans le droit de treize livres dix sous par muid, revenant à vingt livres avec les dix sous pour iivre, sur les vins exportés par les généralités de Chàlons-sur-Marne , Soissons et Amiens, pour la destination de la Flandre, l’Artois, le Cambrésis, le Hainaut, la Lorraine et les Évêchés. Sa Majesté a considéré ces droits sous le même point de vue que ceux de circulation. Leur produit annuel s’élève à plus de 800,000 livres ; mais leur perception onéreuse au commerce deviendrait dispendieuse pour l’État, au moyen de la suppression des droits de circulation et des barrières nécessaires pour leur recouvrement. En conséquence; Sa Majesté a jugé qu’elle ne pouvait rien faire de plus favorable au commerce et à l’agriculture que de les supprimer. Elle n’entend pas néamoins que cette suppression s’étende aux vins, eaux-de-vie et autre boissons importées de l’étranger, sur lesquels tous ces droits peuvent être perçus sans augmentation de frais, en meme temps que les droits d’entrée. Elle a jugé devoir conserver, par cethfdilïérence, aux vins et eaux-de-vie du royaume la préférence qu’ils doivent avoir sur les boissons étrangères. Cependant il est-une exception que nécessite l’intérêt des provinces d’Alsace, Franche-Comté, Lorraine et Trois-Évêchés. Sa Majesté est instruite que la culture des vignes est très-intéressante pour ces quatre provinces, qu’elle en forme la principale richesse, que les vins qui y sont récoltés sont d’une faible qualité, et qu’ils ne peuvent obtenir de vente chez l’étranger qu’à raison de leur bas prix. Dans l’état actuel les vins de Champagne, même ceux de la Bourgogne destinés pour l’exportation à l’étranger, par l’emprunt de ces quatre provinces, ou pour leur consommation, sont sujets au droit de treize livres dix sous, qui, avec les dix sous pour iivre, revient à vingt livres par muid. Si la suppression de ce droit était ordonnée, les vins de Champagne, d’une qualité fort supérieure, seraient nécessairement préférés à ceux de ces quatre provinces, tant pour la consommation intérieure que pour la vente chez l’étranger. C’est pourquoi Sa Majesté a jugé nécessaire-de continuer la perception du droit de treize livres dix sous par muid sur les vins de Bourgogne et de Champagne, qui seront exportés, par emprunt, de la Champagne dans la Lorraine, les Évêchés, l’Alsace et la Franche-Comté. Sa Majesté s’y est déterminée d’autant plus volontiers que, sans qu’il soit besoin do conserver aucune barrière locale, la perception pourra se faire par les employés de la régie des aides. QUATRIÈME MÉMOIRE. Concernant la supression des droits de fabrication sur les huiles et savons du royaume. L’excessive quantité d’huiles qu’on tire annuellement de l’étranger pour la consommation du royaume, prouve que la culture des olives et des [ ire Série, T. Ie1'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. | noyers, celle du lin, du-colza et des autres graines propres à faire l’huile, n’est ni aussi étendue,, ni aussi favorisée qu’elle devrait l’être. L’état des importations d’huiles étrangères en France forme dans la balance du commerce un objet de 10 à 12 millions. Sa Majesté, touchée de l’importance de cette observation, et persuadée que les droits imposés à la fabrication des huiles nuisaient infiniment aux progrès de ce genre de production, s’est déterminée à les supprimer totalement par rapport aux huiles nationales. Suivant les titres de création, la perception de ces droits devait être faite à la fabrication ; mais cette forme parut si onéreuse au commerce, que près de la moitié des provinces qui composent le royaume demandèrent et obtinrent des abonnements pour leur consommation. Depuis ce temps le droit n’a plus été perçu à la fabrication ; il l’est à la sortie de ces provinces , quelle que soit leur destination, même pour l’étranger et les colonies. Les provinces qui n’étaient point abonnées ont réclamé avec instance la même grâce, et il serait juste de la leur accorder, si l’intention de Sa Majesté n’était pas de faire encore plus en faveur •de l’agriculture et du commerce. La fabrication des savons a suivi le sort de celle des huiles : elle languit de même dans le royaume ; elle ne s’est soutenue qu’à Marseille, ville franche, où la perception du droit n’a lieu que sur les huiles qui sont importées de cette ville dans le royaume. D’après toutes ces considérations, Sa Majesté a pensé qu’il serait infiniment avantageux pour cette branche de commerce de supprimer le droit sur toutes les huiles fabriquées en France. C’est même une suite du parti qu’elle croit devoir prendre d’anéantir les barrières dans l’intérieur de son royaume. Mais Sa Majesté, voulant assurer aux huiles nationales la préférence sur celles de l’étranger, laissera subsister la perception du droit de fabrication additionnellement aux droits du tarif uniforme sur les huiles qui seront importées de l’étranger ; et, pour que ces droits ne nuisent pas à la fabrication des savons dans l’intérieur du royaume, Sa Majesté se propose d’accorder une prime d’exportation en faveur des savons fabriqués en France, prime qui sera calculée sur le taux des droits qu’acquitteront les huiles étrangères. Il en résultera pour les finances de Sa Majesté une perte annuelle d’environ 1,600,000 livres; mais ce sacrifice excitera l’émulation des cultivateurs ; l’importation des huiles étrangères deviendra moins considérable ; la fabrication des huiles nationales prendra chaque jour de nouveaux accroissements ; et bientôt les progrès de ce commerce compenseront avec usure la diminution de revenu à laquelle Sa Majesté, a bien voulu consentir. CINQUIÈME MÉMOIRE. Sur la suppression du droit d’ancrage qui se perçoit sur les navires français , de celui de lestage et délestage, des six et huit sous pour livre, et d’autres droits imposés sur le commerce maritime et sur la pêche nationale-. La navigation française est assujettie à différentes sortes de droits : Les uns appartiennent à M. l’amiral à cause de sa charge, d’autres aux officiers des amirautés, quelques-uns à des propriétaires particuliers, d’autres enfin à des villes ou à dés communautés. (les droits multipliés s’opposent aux progrès de la navigation nationale et forment une charge considérable pour le commerce. Sa Majesté se propose de supprimer, dès ce moment, les plus onéreux, et, par la suite, ceux qui, d’après un examen ultérieur, se trouveraient n’ètrc fondés sur aucun titre ; de modifier les autres ; enfin d’établir l’uniformité dans les perceptions. Le roi s’est également déterminé à supprimer plusieurs droits sur la pêche, appartenant à différents propriétaires, moyennant la juste indemnité qui leur sera accordée et payée, d’après une liquidation équitable, sur le vu de leurs titres. Enfin l’intention de Sa Majesté est de fixer les taxations et droits des officiers des amirautés, de manière qu’il ne puisse y avoir aucun abus dans cette partie. SIXIÈME MÉMOIRE. Sur les droits qui seront acquittés uniformément à l’avenir sur les marchandises coloniales . Plusieurs provinces du royaume jouissent de l’exemption des droits de consommation sur les sucres. Quelques-unes en jouissent aussi sur les cafés et autres marchandises coloniales ; les unes et les autres en jouissent sous des modes différents et avec plus ou moins d’étendue. La Bretagne reçoit les sucres de nos colonies qui arrivent dans ses ports ; elle est exempte des droits de consommation , mais elle est assujettie aux droits du domaine d’Occident et à divers droits locaux ; et quand elle expédie des sucres pour les autres provinces du royaume, elles ac-quillent les droits de consommation, sans déduction des droits précédemment payés, dont la restitution n’a pas môme lieu pour les sucres qu’elle exporte à l’étranger. La Franche-Comté est exempte des droits de consommation sur les sucres, cacaos, gingembre, rocou et indigo, qu’elle tire des différents ports du royaume, par transit et sous acquit-à-caution, lire Série, T. l«.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] 244 qui constate que ces objets sont destinés à sa consommation. L’Alsace, la Lorraine et les Trois-Evêchés jouissent de l’affrancbisseinent de tous droits sur les sucres, les cafés, les cacaos, gingembre et indigo qu’ils tirent, soit de nos colonies par les ports du royaume, où ces objets ont cependant acquitté les droits du domaine d’Oecident, soit de l’étranger avec lequel ils communiquent en toute franchise. Ces différentes exemptions sont devenues une source continuelle d’abus. Sa Majesté se propose en conséquence d’ordonner : 1 « Messieurs, il n’appartient point à mon Parlement de douter de mon pouvoir, ni de celui que je lui ai confié. « C’est toujours avec peine que je me décide à faire usage de la plénitude de mon autorité, et à m’écarter des formes ordinaires ; mais mon Parlement m’y contraint aujourd’hiii, et le salut de l'État, qui est la première des lois, m’en fait un devoir. « Mon garde des sceaux va vous faire connaître mes intentions. » M. le garde des sceaux étant ensuite monté vers le roi, agenouillé à ses pieds pour recevoir ses ordres, descendu, remis en sa place, assis et couvert, après avoir dit que le roi permettait que l’on se couvrît, a dit : « Messieurs, vous n’avez pas pu douter que la résolution prise par le roi de recourir à de nouveaux impôts pour rétablir l’ordre dans sés finances n’ait été le résultat des plus mûres délibérations. « Pour mieux s’assurer, dans le choix des expédients, de la sagesse de ses conseils, Sa Majesté y a appelé de toutes les provinces de son royaume des hommes que l’estime publique indiquait à sa confiance dans les différents ordres de l’État. « Tous les grands objets de l’administration des finances ont été examinés, discutés, approfondis dans ces séances mémorables, avec un zèle éclairé et une loyauté réciproque dont la nation entière est instruite et persuadée. « C’est du milieu de ces conférences solennelles que sortent l’édit et la déclaration auxquels Sa Majesté imprime aujourd’hui le sceau des lois. « Les comptes de dépense et de recette ont été mis sous les yeux des notables. Tous les bureaux ont reconnu dans les finances du roi un déficit considérable. « Jamais, par conséquent, un nouvel examen des revenus et des charges de l’État n’a été moins nécessaire, Messieurs, qu’au moment où vous l’avez demandé. [lre Série, T. 1er. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] « Le roi s’est vu dans l’alternative d’accroître la masse des impôts, ou de manquer à ses engagements et à ceux des rois ses prédécesseurs, envers les créanciers qui ont confié leur fortune à l’État ; et la voix publique lui a dit, comme la justice, que l’honneur du gouvernement français était le premier besoin de la nation. « Ainsi, réduit à la triste nécessité d’augmenter les impositions, le roi a dû préférer les tributs qui seront payés à son trésor par la classe la plus aisée de ses sujets. « Mais, en ordonnant une augmentation sur le timbre, le roi a assigné un terme à cet impôt ; et, en exigeant une subvention territoriale qu’il espère ne devoir pas s’élever à la valeur réelle des deux vingtièmes déjà établis, Sa Majesté a reculé d’une année l’époque de son produit, pour fixer les bases qui doivent en déterminer l’application avec l’équité la plus évidente. « Maintenant, pour consoler son cœur de n’exercer que sa puissance dans un temps où il ne voudrait manifester à ses peuples que son amour, le roi peut se rendre à lui-même le témoignage de n’avoir négligé aucun des moyens qui lui ont été indiqués par l’Assemblée des notables, soit pour réparer le désordre de ses finances, soit pour raffermir la confiance publique, en rendant à jamais inviolable la sainteté de ses engagements. « Sa Majesté a d’abord déclaré que le poids des nouvelles impositions n’excéderait ni la mesure ni la durée des �véritables besoins de l’État. « L’accomplissement de cette parole royale ne sera plus garantie par un seul homme, quelque digne qu’il puisse être de la confiance du roi et de l’estime publique. Sa Majesté vient de créer un nouveau conseil des finances, dont la surveillance et l’activité en garantiront l’exécution, et rempliront par là le vœu du souverain et les espérances de la nation. « Dans le même temps Sa Majesté a formellement annoncé qu’elle allait réduire et bonifier, au moins de quarante millions, les dépenses et les recettes annuelles de son trésor. « Ces bonifications et ces économies sont déjà effectuées, Messieurs, pour plus de vingt millions, et elles sont si irrévocablement arrêtées, qu’elles font déjà partie des fonds destinés à combler le déficit des finances. « L’exécution a suivi de près la promesse du souverain : elle va la remplir tout entière, elle va même la surpasser ; et la nation doit trop de confiance et de respect à son roi, pour pouvoir douter de cette importante et prochaine réduction. « La méfiance publique serait dans ce moment l’obstacle le plus dangereux que l’on pût opposer au bien général dont le Gouvernement s’occupe. « Une administration prudente et clairée doit méditer en effet les objets des réformes qu’elle 245 prépare, en parcourant sans précipitation toutes les branches des dépenses publiques. « Rien n’est plus facile sans doute et plus éblouissant que des suppressions promptes et irréfléchies ; mais rien n’est plus digne aussi des délibérations et des précautions d’un gouvernement sage, que' d’éviter dans la réforme des abus ces décisions brusques et indiscrètes, qui compromettraient la dignité du trône, les intérêts de la justice ou la sûreté de l’État. « Un court intervalle suffira pour garantir l'administration de tous ces dangers qui l’environnent dans ce moment. « Dès le mois de janvier prochain les peuples verront exécuter l’ordre que le roi a donné de leur communiquer chaque année, par la voie de l’impression, l’état des recettes et des dépenses du trésor public. « Or, Messieurs, par l’état des recettes, la nation connaîtra successivement le produit des nouveaux impôts. Si le timbre s’élève au-dessus de la somme précise qu’il est évidemment nécessaire d’en retirer, cet excédant sera aussitôt compensé par une égale diminution sur les impôts les plus onéreux. « Par l’état des dépenses publiques, tous les sujets du roi pourront évaluer, avec autant de précision que de facilité, les économies qui leur ont été promises. « Tels sont les engagements solennels du Gouvernement. Refuser d’y croire, et en conséquence refuser de le seconder, ce serait le réduire à l’impossibilité de les remplir. « Ce n’est donc pas, Messieurs, pour envelopper le tableau de ses finances de ténèbres mystérieuses, que le roi n’a point communiqué à son Parlement les états qui viennent d’être vérifiés par une assemblée respectable, dont presque tous les chefs des cours souveraines ont été membres. « Le roi ne se méfiera jamais de la magistrature; il ne doute ni de vos lumières ni du zèle dont vous êtes animés pour son service et pour sa gloire. « Mais il a considéré que, par la constitution de la monarchie, il est le seul administrateur de son royaume ; « Qu’il doit transmettre son autorité à ses descendants, telle qu’il l’a reçue de ses augustes ancêtres; « Que les circonstances sont trop urgentes pour se concilier avec de nouveaux délais qui seraient bientôt une calamité publique; « Que la conviction des besoins de l’État est indubitable pour toute la nation, comme pour vous-mêmes ; « Qu’une crise malheureuse, mais momentanée, dans ses finances ne doit point introduire des formes inusitées dans la vérification de ses lois sur cette matière; [1W Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 246 « Qu’en écartant de son administration intérieure le voile qui la couvrait, il ne doit point se départir des règles ordinaires de sa sagesse pour le maintien de sa suprême puissance; « Enfin, que les communications insolites, récemment accordées par sa bonté à l’Assemblée des notables, ne doivent point changer l’exercice ordinaire de son autorité dans ses cours. « Les précautions que le roi a prises pour prévenir et empêcher efficacement le désordre, auquel 41 oppose dans ce moment des remèdes si douloureux pour sou cœur, méritent la plus entière confiance de ses tribunaux et de ses peuples. « Sa Majesté me permet de renouveler ici en son nom toutes les promesses qu’elle vient de faire aux notables de son royaume. « Cet engagement sacré n’est point une vaine consolation, suggérée par la circonstance, pour adoucir les sacrifices qu’on demande aux peuples. « On travaille avec ardeur, sous les yeux et sous les ordres du roi, à l’exécution de ses plans d’économie, et la nation en éprouvera incessamment les salutaires effets. » Après quoi M. le garde des sceaux a dit à M. le premier président qu’il pouvait parler. Aussitôt M. le premier président et tous messieurs s’étant mis à genoux, M. le garde des sceaux a dit : « Le roi ordonne que vous vous leviez. » M. le premier président et tous messieurs levés, restés debout et découverts, M. le premier président a dit : « Sire, votre Parlement nous a chargé, attendu le lieu où il plaît à Votre Majesté de tenir son lit de justice, et dans le cas où seraient portés en cette séance aucuns édits, déclarations ou lettres patentes, ou autres objets qui n’auraient pas été communiqués â votre Parlement, pour en être délibéré au lieu et en la manière accoutumée; ensemble, au cas où il serait introduit des personnes étrangères, et où en votre présence il serait demandé à votre Parlement des suffrages qui ne pourraient être donnés à voix haute et librement, votre Parlement ne peut, ne doit, ni n’entend donner son avis, ni prendre aucune part à ce qui pourrait être fait en la présente séance ; et, dans le cas où il plairait à Votre Majesté de faire publier les édit et déclaration sur lesquels il a déjà délibéré, Votre Parlement nous a chargé de vous réitérer nos très-humbles èt très-respectueuses représentations, et d’avoir l’honneur de vous dire en son nom : « Que les vrais intérêts de Votre Majesté, inséparables dé ceux de la nation, sont les seuls motifs qui ont conduit votre Parlement dans toutes-ses délibérations. « Il se trouve placé d’une part entre Votre Majesté, à laquelle il est attaché par les liens du respect et de l’obéissance, et dont il aura toujours à cœur 4e mériter les bontés ; et de l’autre, entre vos sujets, pour lesquels votre Parlement doit solliciter sans cesse votre justice. « Votre Parlement conçoit difficilement comment on a pu conseiller à Votre Majesté de déployer l’appareil de la puissance suprême dans une circonstance où il avait lieu d’espérer de ne voir éclater que la bienfaisance et la justice de Votre Majesté. « 11 vous supplie, Sire, de prendre en considération que, dans la Crise où se trouve l’État, crise annoncée, avouée et reconnue dans l’Assemblée des notables, votre Parlement no pouvait délibérer légalement qu’avec le secours des connaissances et des lumières qu’il a sollicitées, et qui pouvaient seules guider et déterminer l’assemblée auguste à laquelle ont été adressés, de la part de Votre Majesté, les édit et déclaration soumis à sa délibération. «Votre Parlement, affligé d’avoir eu à donner, depuis douze ans, son suffrage sur les impôts accumulés, et dont les projets présentés porteraient la masse jusqu’à plus de deux cents millions d’accroissement depuis l’avénement de Votre-Ma-jesté à la couronne, il n’a pas cru avoir des pouvoirs suffisants pour se rendre garant de l’exécution des édits vis-à-vis de vos peuples, qui ne connaissent point de bornes à leur amour et à leur zèle, mais qui voient avec effroi les suites fâcheuses d’une administration dont la déprédation excessive ne leur paraît pas même possible. « Le principe constitutionnel de la monarchie française est que les impositions soient consenties par ceux qui doivent les supporter : il n’est pas, Sire, dans le cœur d’un roi bienfaisant d’altérer ce principe qui tient aux lois primitives de votre État, à celles qui assurent l’autorité et qui garantissent l’obéissance. « Si votre Parlement a cru depuis plusieurs années pouvoir répondre à Votre Majesté de l’obéissance des peuples en matière d’impôt, il a souvent plus consulté son zèle que son pouvoir, puisqu’il est démontré que le troisième vingtième n’a pas pu être payé dans plusieurs provinces de votre royaume ; et les administrateurs les plus actifs pour la perception n’ont pas cru prudent d’ajouter la peine de la contrainte au défaut du pouvoir des contribuables. « Souvent aussi votre Parlement, qui a cru voir le terme de la libération des dettes, l’étendue des secours et la quotité déterminée de l’impôt, s’est laissé éblouir par les illusions que lui ont faites successivement plusieurs des administrateurs. « L’espoir de la libération prochaine de l’État est, Sire, une perspective si douce pour les magistrats, et si désirable pour les peuples, que votre Parlement doit être excusé s’il s’est laissé tromper par les annonces qu’il voyait insérées dans chaque édit, par un administrateur qui a su desservir [!>•« Série» T, Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Introduction. J votre Parlement auprès de Votre Majesté, et faire protéger auprès du trône ses dissipations. « Dans ce moment, Sire, où, après cinq ans de paix, tout espoir de soulagement prochain est perdu, et où vos sujets se trouvent encore menacés d’une surcharge à laquelle ils ne voient plus de terme, vos magistrats ne peuvent accorder un acquiescement que votre Parlement donnerait sans qualité, sans fruit, et sans effet pour le service de Votre Majesté, à des demandes qui excèdent les facultés de vos sujets. « La nature des impôts proposés a affligé votre Parlement, au point qu’il a eu peine à se livrer à quelque détail sur les malheurs qu’ils annoncent. « Le timbre, plus désastreux que la gabelle que Votre Majesté a jugée et condamnée, a excité une consternation générale dans le cœur de tous vos sujets. Le timbre tend à établir une sorte de guerre intestine entre tous les ordres des citoyens ; il va jusqu’à inquiéter dans leurs retraites les laboureurs qui voudraient profiter de la liberté du commerce des blés que Votre Majesté vient d’établir par une loi récente ? le commerçant ne serait pas plus tranquille dans ses opérations combinées, que le marchand à son comptoir dans son trafic de détail. Tous auraient à redouter également l’inquisition, la vexation et l’extension, caractères inséparables du projet seul de la déclaration sur le timbre, et qui la rendent entièrement inadmissible. « L’impôt présenté sous la dénomination de subvention territoriale a le môme caractère d’immoralité. Au lieu de l’imposition des vingtièmes, qui est par sa nature une imposition de quotité, dont chaque contribuable est quitte quand il a payé une portion fixe et déterminée sur ses revenus, on conseille à Votre Majesté, Sire, une imposition nouvelle qui établit entre les provinces une sorte de jalousie au profit du fisc, entre les élections d’une même généralité une recherche respective tendant toujours à la surcharge entre les habitants d’une même paroisse, une contribution solidaire qui expose chaque citoyen à une dissension domestique , établie et fomentée tous les jours par le Gouvernement; dissension capable de mettre aux prises les pères et les enfants, chaque membre d’une même famille, les seigneurs et les vassaux ; personne ne pouvant savoir au juste à quel terme peut finir la contribution dont il peut être redevable à l’État. « Dans l’impossibilité où se trouve, Sire, votre Parlement de voter pour des impositions aussi accablantes, il ne peut que réitérer les instances les plus vives à l’effet de supplier Votre Majesté, pour le maintien de son autorité, pour la gloire de son règne , pour le rétablissement de ses finances, qu’il vous plaise accorder la convocation des États généraux, qui seuls peuvent sonder 247 les plaies profondes de votre État, et donner à Votre Majesté des conseils utiles sur toutes les parties de l’administration, relatives aux corrections, améliorations et suppressions nécessaires à exécuter dans chacun des départements des finances. « Si, malgré les supplications, les instances et représentations de votre Parlement, Votre Majesté croyait encore devoir déployer son pouvoir absolu, votre Parlement ne cesserait d’employer tout son zèle, et d’élever la voix, avec autant de fermeté que de respect, contre des impositions dont l’essence serait aussi funeste que la perception en serait illégale. » Son discours fini, M. le garde des sceaux est monté vers le roi, s’est agenouillé pour prendre ses ordres ; descendu, remis à sa place, assis et couvert, a dit ; « Le roi ordonne que, par le greffier en chef de son Parlement, il soit fait lecture, les portes ouvertes, de l’édit portant suppression] des deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier, et établissement d’une subvention territoriale, » Les portes ayant été ouvertes, messire Paul-Charles Cardin-Lebret, greffier en chef civil, s’est avancé à la place de M. le garde des sceaux, et a reçu de lui l’édit ; revenu en sa place-, debout et découvert, en a fait lecture. Ensuite M. le garde des sceaux a dit aux gens du roi qu’ils pouvaient parler. Aussitôt les gens du roi s’étant mis à genoux, M. le garde des sceaux leur a dit : « Le roi ordonne que vous vous leviez. » Eux levés, restés debout et découverts, messire Antoine-Louis Seguier, avocat dudit seigneur roi, portant la parole, ont dit : « Sire, au milieu de l’appareil imposant de la souveraineté, réduits en quelque sorte à un silence respectueux, nous osons à peine élever nos regards jusqu’aux pieds de Votre Majesté. Mais si nous apercevons auprès du trône la puissance et l'autorité , nous y reconnaissons également la bonté, première vertu des rois, et la confiance, qui nous invite à remplir toutes les fonctions de notre ministère. « L’édit dont Votre Majesté vient d’ordonner lec-» ture présente à vos sujets une contribution d’autant plus onéreuse qu’elle est assise, non pas sur le revenu, mais sur le fonds même des propriétés. Le territoire entier de la France est imposé plutôt que les particuliers, qui seront contraints de payer pour les portions mêmes de leurs héritages demeurées incultes, et reconnues pour être Véritablement stériles. « Nous ne craignons point d’exposer aux regards de Votre Majesté les justes alarmes du cultivateur, interdit en apprenant qu’il va devenir débiteur de l’État, pour sa part d’une subvention -territoriale de quatre-vingts millions, indépendamment [IM Série, T. !«*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. .[Introduction.] 248 du sou pour livre ; en sorte qu’en ajoutant à cette nouvelle imposition la taille, l’industrie, la capitation, la gabelle, les aides et les droits d’entrée dans toutes les villes du royaume, il ne sera aucun de vos sujets qui ne porte au trésor royal au moins le tiers de son revenu. « Mais ce qui doit mettre le comble à l’infortune publique, c’est que cette imposition, dont l’établissement est laissé à l’ arbitrage « des assemblées provinciales, sur les états qui leur seront adressés sans aucune espèce de vérification légale, n’a d’autre terme que celui des besoins de l’État, et cette durée indéfinie épouvante les citoyens de tous les ordres, lors môme que leur amour, les sollicite de tout sacrifier pour l’intérêt général de la patrie. Votre Majesté, sans doute, doit tout attendre de leur zèle, de leur fidélité, de leur dévouement ; mais, quand ce grand mouvement de patriotisme a opéré un sacrifice volontaire, le citoyen jette un regard de douleur sur ses enfants ; il se plaint à lui-même de l’abandon qu’il est contraint de faire d’une partie de son patrimoine, qui est enlevée à l’éducation de sa famille ; il est tenté de regretter sa fécondité ; il négligera la culture de ses terres, les abandonnera tout à fait, ou peut-être le désespoir le portera à les vendre, et à placer en viager le produit, pour conserver son ancien état, et trouver les fonds nécessaires à l’entretien de tout ce qui l’environne. « Nous ne pouvons dissimuler à Votre Majesté ces vérités affligeantes; mais le devoir de «notre ministère nous force d’obéir à la volonté connue de Votre Majesté. « Nous requérons qu’au pied de l’édit, dont lec ture vient d’être faite, il soit mis qu’il a été lu et publié, Votre Majesté séante en son lit de justice, registré au greffe de la cour, pour être exécuté selon sa forme et teneur ; et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lu, publié et enregistré : enjoint à nos substituts d’y tenir la main, et d’en certifier la cour au mois. » . Ensuite M. le garde des sceaux, monté vers le roi, mit un genou en terre pour prendre ses ordres, a été aux opinions, à Monsieur, à M. le comte d’Artois, à MM. princes du sang, à MM. les pairs laïques, à MM. les grand écuyer et grand chambellan; et, revenu passer devant le roi, lui a fait une profonde révérence, a pris l’avis de MM. les pairs ecclésiastiques, maréchaux de France, des capitaines des gardes du corps; puis, descendant dans le parquet, à MM. les présidents de la cour, aux conseillers d’Étatet maîtres de requêtes venus avec lui ; aux secrétaires d’Etat, aux conseillers d’honneur, aux présidents des enquêtes et requêtes, et aux conseillers de la cour ; et remonté vers le roi s’est agenouillé; descendu, remis à sa place, assis et couvert, a prononcé : « Le roi, séant en son lit de justice, a ordonné et ordonne que l’édit qui vient d’être lu sera enregistré au greffe de son Parlement, et que, sur le repli d’icelui, il soit mis que lecture en a été faite, et l’enregistrement ordonné ; ouï et ce réquérant son procureur général, pour être le contenu en 1 icelui exécuté selon sa forme et teneur, et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lu, publié et registré : enjoint aux substituts du procureur général du roi d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois. « Pour la plus prompte exécution de ce qui vient d’être ordonné, le roi veut que, par le greffier en chef de son Parlement, il soit mis présentement sur le repli de l’édit qui vient d’être publié ce que Sa Majesté a ordonné qu’il y fût mis » ; ce qui a été exécuté à l’instant, et ledit édit remis a M. le garde des sceaux. M. le garde des sceaux étant ensuite monté vers le roi pour prendre ses ordres, agenouillé à ses pieds, descendu, remis à sa place, assis et couvert, a dit : « Le roi ordonne que par le greffier en chef de son Parlement, il soit fait lecture de la déclaration sur le timbre. » Messire Paul-Charles Cardin-Lebret, greffier en chef, s’étant approché de M. le garde des sceaux pour prendre de ses mains la déclaration ; remis en sa place, debout et découvert, en 'a fait lecture. . Après quoi, M. le garde des seaux a dit aux gens du roi qu’ils pouvaient parler. Aussitôt ils se sont mis à genoux : M. le garde des sceaux leur a dit : « Le roi ordonne que vous vous leviez ; » ils se sont levés, et restés debout et découverts, Messire Antoine-Louis Seguier, avocat dudit seigneur roi portant la parole, ont dit : « Sire, la pureté de notre zèle autorise notre ministère à s’expliquer sur les inconvénients qui pourront résulter de la loi dont nous venons d’entendre la lecture. « Que de réflexions le devoir ne nous prescrit-il pas de proposer à Votre Majesté, sur une déclaration, nécessitée sans doute par les besoins urgents de l’État, puisque Votre Majesté a bien voulu les révéler, mais qui, dans cette nécessité indispensable, présente encore à vos sujets de toute condition une gêne jusqu’à présent inconnue, et dans les familles et dans le commerce, et dans toutes les affaires de quelque nature quelles puissent être ! Est-il une loi plus rigoureuse que celle dont les dispositions tendent, à l’arbitraire, et peuvent recevoir l’extension la plus indéfinie, suivant l’adresse et la volonté de ceux à qui Votre Majesté en confiera l’exécution ; une loi où la peine de l’infraction n’est pas proportionnée au délit ; une loi enfin où la multitude et l’énormité des amendes, dans le, cas des plus faibles contraventions, semblent un code pénal plutôt qu’un se-i cours momentané propre à réparer le déficit des fl”* Série, T. Ier.J finances de l’État ? Votre Majesté ignore les abus de tous genres qui peuvent résulter d’un établissement aussi onéreux. Nous ne nous permettrons pas d’en mettre le tableau sous les yeux de Votre Majesté, les détails en seraient trop longs et trop amers, ils affligeraient le cœur sensible et humain d’un roi qui veut être bienfaisant. Nous nous contenterons de laisser entrevoir . à Votre Majesté le malheur de la France, en nous renfermant dans la rigueur des fonctions dont la présence de Sa Majesté nous fait un exprès commandement. « Nous requérons qu’au pied de la déclaration dont lecture vient d’être faite, il soit mis qu’elle a été lue et publiée, Votre Majesté séante en son lit de justice, ét registrée au greffe de la cour, pour être exécutée selon sa forme et teneur ; et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et registrée : enjoint à nos substituts d’y tenir la main, et d’en certifier la cour au mois. » Ensuite M. le garde des sceaux, monté vers le roi, ayant mis un genou en terre pour prendre ses ordres, a été aux opinions, à Monsieur, à M. le comte d’Artois, à MM. les princes du sang, à MM. les pairs laïques, à MM. les grand écuyer et grand chambellan, est revenu passer devant le roi, lui a fait une profonde révérence; A pris l’avis de MM. les pairs ecclésiastiques et maréchaux de France, des capitaines des gardes du corps, du capitaine des cent-suisse de la garde ; puis, descendant dans le parquet, à MM. les présidents de la cour, aux conseillers d’État et maîtres des requêtes venus avec lui ; aux secrétaires d’État, aux conseillers d’honneur, aux présidents des enquêtes et requêtes, et conseillers de la cour ; est remonté vers le roi, s’est agenouillé ; descendu, remis à sa place, assis et couvert, a prononcé : « Le roi, séant en son lit de justice, a ordonné et ordonne que la déclaration qui vient d’être lue sera enregistrée au greffe de son Parlement, et que, sur le repli d’icelle, il soit mis que lecture en a été faite, et l’enregistrement ordonné ; ouï et ce requérant son procureur général, pour être le contenu en icelle exécuté selon sa forme et teneur, et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et registrée : enjoint aux substituts du procureur général d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois. « Pour la plus prompte exécution de ce qui vient d’être ordonné, le roi veut que, par le greffier en chef de son Parlement, il soit mis présentement sur le repli de la déclaration qui vient d’être publiée ce queSaMajesté a ordonné qu’il y fût mis ;» Ce qui a été exécuté à l’instant, et ladite déclaration remise à M. le garde des sceaux. Ensuite le roi a dit : [Introduction. J 249 « Vous venez d’entendre mes volontés ; je compte que vous vous y conformerez. » Après quoi le roi s’est levé, et est sorti dans le même ordre qu’il était entré. ( Suivent les édits et déclarations , publiés et enregistrés , le roi tenant son lit de justice .) Règlement du roi du 9 août 1787, sur quelques dépenses de sa maison et de celle de la reine. Sa Majesté a ordonné aux personnes chargées des différents départements qui ne la touchent pas personnellement de lui présenter les économies dont ils seraient susceptibles. Plusieurs retranchements essentiels y ont déjà été Opérés ou déterminés, et les autres seront successivement portés au plus haut point qu’ils puissent atteindre. Mais Sa Majesté s’est réservé à elle-même ce qui concerne sa propre maison; elle ne regrettera jamais ni la splendeur apparente du trône, ni le faste de la cour, ni même l’espèce d’aisance et de commodité qu’on suppose résulter du grand nombre d’officiers qui l’environnent ou qui la servent : ce qu’elle regrette, et qui est un véritable sacrifice pour son cœur, c’est la privation qu’éprouveront des personnes qu’elle honore de sa bienveillance; c’est l’éloignement des serviteurs dont elle connaît le zèle et la fidélité; c’est la cessation du bien qu’elle avait fait aux uns et aux autres, et de grâces sur la durée desquelles ils avaient en quelque sorte droit de compter. Ces considérations ont vivement touché Sa Majesté, et, en même temps qu’elle -n’hésite pas à sacrifier à son amour pour ses peuples toute dépense inutile, elle se réserve de donner à ceux à qui cette réforme peut porter préjudice des preuves de sa bonté et de sa bienveillance. Quoique Sa Majesté ne puisse pas encore ordonner et régler tous les détails qui tiennent aux réformes qu’elle a projetées dans sa maison, elle a résolu d’en faire connaître les principaux objets, afin que ceux qui doivent les exécuter puissent lui présenter, sans différer, les expéditions et les règlements nécessaires pour y parvenir. En conséquence, Sa Majesté, indépendamment de l’ordre et de l’économie qu’elle veut être suivis dans toutes les dépenses qui subsisteront, et sans préjudice d’un examen encore plus approfondi de celles qui pourraient être retranchées ou modifiées, et dont le résultat sera connu par les états de recette et de dépense qu’elle se propose de publier, a ordonné et ordonne ce qui suit : l°.Sa Majesté a considéré que, si ceux qui sont attachés à son service ne peuvent tellement y être fixés toute l’année, qu’ils n’aient aucun temps pour vaquer à leurs affaires, il n’en est pas moins vrai que les services par quartier multiplient à l’excès, sans nécessité, et même sans utilité réelle pour sa personne, des places, dont plusieurs sont coûteuses, tant par elles-mêmes que par les pri-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flrc Série, T, ,1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 250 viléges qu’elles entraînent; en conséquence, à l’exception des premiers gentilshommes de la chambre, et des premiers valets de chambre, qui resteront au nombre de quatre, Sa Majesté a ordonné qu’à commencer du 1er janvier prochain tous les services de sa chambre, qui se faisaient par quartier, se feraient par semestre, et qu’en conséquence la moitié des places actuelles serait supprimée : Sa Majesté a arrêté que cette réduction tomberait sur les moins anciens, à moins qu’elle ne jugeât à propos d’accorder une retraite à quelques-uns des plus anciens. Sa Majesté se propose encore d'examiner si le nombre des places que cet arrangement laisse subsister ne pourra être diminué, son intention étant de ne conserver que celles qui lui sont nécessaires. 2° Sa Majesté veut que la suppression des services par quartier ait lieu dans sa garde-robe comme dans sa chambre, et de la même manière. Sa Majesté s’est aussi déterminée, sur la proposition du sieur duc de Liancourt, grand maître de la garde-robe, à ordonner la suppression des vingt-huit offices privilégiés d’arts et métiers qui sont dans le casuel de sa charge. 3° Sa Majesté, par son édit du mois d’août 1780, et par son règlement du 17 août 1780, fait dans la dépense de la bouche tous les retranchements dont elle est susceptible ; il ne reste qu’à y assurer dans tous les détails l’ordre et l’économie que Sa Majesté a ordonnés. Il en est de même de la dépense des menus et du garde-meuble, laquelle dépend principalement des circonstances, et Sa Majesté a ordonné que les dépenses y fussent restreintes, et qu’on mît le plus grand ordre dans celles qui seront nécessaires. 4° Quoique Sa Majesté ne puisse que se louer des projets d’économie qui lui ont été présentés par son grand écuyer et son premier écuyer ; quoique ces économies, et particulièrement celles qui lui ont été proposées pour la petite écurie, soient très-considérables, èt se portent aussi haut que le régime actuel semble le permettre, elle a cependant considéré que , si les deux écuries étaient réunies sous une seule et même administration, il en résulterait encore un bénéfice pour ses finances ; en conséquence, et malgré la satisfaction qu’elle a toujours eue des services du sieur duc de Goigny, et dont elle est disposée à lui donner des preuves, elle a résolu qu’à commencer du 1er octobre prochain il n’y aurait plus qu’une seule écurie, et de diminuer ainsi les pages, les écuyers, les bureaux, les services doubles et tous les frais que deux administrations différentes ne peuvent manquer de multiplier. Sa Majesté a de plus considéré que les traitements en chevaux et voitures, accordés à certaines personnes, étaient plus dispendieux pour 'le trésor royal que des traitements en argent, et pouvaient donner lieu à plusieurs abus ; elle a déclaré et déclare que son intention est que nul écuyer, même le grand écuyer, et généralement toutes les personnes employées au service de son écurie, ne [missent, pour leur usage personnel, et si ce n’estpour accompagner Sa Majesté, ,se servir de chevaux, voitures, harnais, cochers, postillons, palefreniers, et généralement d’aucune chose et d’aucune personne attachées à son écurie, Par la même raison Sa Majesté, a révoqué et révoque toute concession de ce genre faite jusqu’à ce jour, se réservant, s’il y a lieu, de dédommager, ainsi qu’elle le jugera convenable, les personnes à qui elles avaient été accordées, Sa Majesté a encore ordonné que les écuyers du roi, servant par quartier, fussent diminués de moitié, et que leur service fût réduit par semestre. Sa Majesté a ordonné en même temps que le nombre des chevaux, des voitures, et des personnes attachées au service de l’écurie, fût réduit à ce qui est absolument nécessaire pour son service et celui de la famille royale ; et elle a ordonné qu’il lui fût présenté un règlement pour déterminer, de la manière la plus économique, toutes les parties de dépenses qu’il n’est pas possible de retrancher. 5° Sa Majesté a ordonné que toutes les dépenses de la vénerie fussent réduites, et en même temps elle a arrêté que la grande fauconnerie, en son entier, et une grande partie du vol du cabinet ; la louveterie et tout ce qui y a rapport ; le vautrait et tout ce qui en fait partie, seraient supprimés, et ce, de manière que la dépense desdits équipages soit rayée des états de dépense au 1er octobre prochain* 6° Quoique Sa Majesté, depuis son avènement au trône, ait déjà infiniment réduit sa maison militaire, ne voulant cependant rien négliger de ce qui peut contribuer au soulagement de ses sujets, et ne retenir de l’éclat qui l’environne que celui qui est absolument essentiel à la dignité de sa couronne, elle a arrêté que les gendarmes et chevau-légers de la garde ordinaire du roi seraient réformés. Les officiers de ces corps, ainsi réformés, seront placés, suivant leur grade, dans les troupes de Sa Majesté; ils conserveront leur traitement jusqu’à cette époque ou à celle de leur promotion au grade de maréchal de camp, et seront, dans l’un ou l’autre cas, remboursés de leur finance. Sa Majesté a pareillement arrêté que la compagnie des gardes de la porte serait réformée. 7° En acquérant de nouvelles habitations, Sa Majesté a toujours eu intention de se défaire de plusieurs maisons qui avaient été la demeure des rois ses prédécesseurs, et qui, en conséquence, étaient à la charge des bâtiments. En conséquence, elle a ordonné la démolition ou la vente des châteaux de Ghoisy, la Muette, Madrid, Vin-cennes, Blois ; et en même temps elle a ordonné que foutes les maisons qu’elle possède à Paris, et [l�e Sérié, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] qui n’entrent pas dans les plans du Louvre, soient vendues. Outre la réduction des dépenses qui résultera de la suppression desdites maisons, Sa Majesté a ordonné que l’état général des dépenses des bâtiments fût remis tous les ans au conseil royal des finances, avant d’y être statué, comme il est dit au règlement concernant ledit conseil. Sa Majesté a ordonné que ledit état fût réduit au nécessaire, et particulièrement aux réparations sur lesquelles la négligence serait plutôt une dissi-* pation qu’une économie. 8° La reine, animée des mêmes vues que le roi pour le soulagement des peuples, a porté elle-même ses recherches sur toutes les parties de sa maison : la bouche, la chambre, l’écurie, tout a éprouvé une réduction considérable. Toutes les places inutiles ont été supprimées ; et quoique plusieurs de ces places exigent leur remboursement et quelques retraites indispensables, le bénéfice actueLpour le trésor royal, résultant des retranchements ordonnés par la reine, sera de plus de neuf cent mille livres. 9U Leroi, en conséquence du présent règlement arrêté par lui, a ordonné que tous édits, arrêts et règlements nécessaires à l’exécution des articles y contenus, tant pour sa maison, que de celle de la reine, lui seraient présentés, pour que ses intentions fussent suivies de l’effet qu’elles doivent avoir. Fait à Versailles le 9 août 1787. Signé Louis. Et plus bas, Le baron de Breteuil. Nota. Ce fut à la suite des réclamations faites par le Parlement dans le lit de justice du 6 août, qu’il fut relégué à Troyes en Champagne. ( Voyez le discours préliminaire.) La chambre des comptes, la cour des aides et le Châtelet, à l’enregistrement desquels les mêmes édits furent présentés, n’en imitèrent pas moins les refus et-les protestations du Parlement. L'exil de celui-ci fut un nouveau motif pour animer leur zèle ou aigrir leur mécontentement. Voici le procès-verbal publié par une de ces chambres, contenant leurs remontrances contre les édits relatifs à la subvention territoriale et au timbre. Nous n’avons pas rapporté le texte de ce dernier, parce que ses dispositions sont absolument conformes à celles du mémoire sur cet objet, inséré dans le procès-verbal de l’Assemblée des notables. Récit de ce qui s'est passé à la chambre des co mp-tes , à la cour des aides et au Châtelet de Paris , les 17, 18 et 21 août 1787. Monsieur, frère du roi, s’étant rendu à la chambre des comptes pour l’enregistrement des édits du timbre et de la subvention territoriale, et par ses ordres, M. de Nicolaï a dit : « J’obéis, Monsieur, û l’ordre exprès du roi, mon seigneur et maître. 251 « Les cours , soumises, respectent l’autorité ; elles demanderaient à la bénir. L’épuisement des finances, la consternation universelle, le Parlement arraché de son sanctuaire, l’appareil imposant dü pouvoir suprême, l’opinion publique, tout nous rappelle ce que nous devons à la nation et au roi : fidélité et franchise . « Lè sentimentde notre douleur n’affaiblira pas les expressions de notre zèle, il les rendra plus pénétrantes ; nous les déposerons dans votre sein, prince auguste et révéré ; vous les protégerez auprès du trône: vous serez pour nous un astre bienfaisant qui console pendant une nuit orageuse et profonde. « Un déficit immense vient d’être annoncé à toute l’Europe; on veut le remplir; on veut empêcher qu’il ne se renouvelle. Mais, après cinq années de paix, après avoir épuisé la confiance et le crédit, après avoir étendu les emprunts, augmenté les impôts, comment demander de nouveaux secours à la nation?*Elle gémit sous le poids de soixante millions de subsides ; et s’il faut recourir à ce moyen désastreux, le peut-on avant d’avoir employé toutes les ressources, consommé tous les sacrifices, connu tous les besoins ? « Les cours n’eurent jamais le droit d’octroyer et de consentir les impôts ; depuis longtemps la France, remettant au souverain le pouvoir d’imposer, l’a rendu l’économe de la fortune publique, et nos rois ont chargé leurs cours de les éclairer, par la vérification, sur les besoins de l’Etat. Magistrature auguste, qui nous fait peser les intérêts du monarque et des sujets, et qui tend à resserrer les liens de l’obéissance et de l’amour des peuples ! Et dans quelle circonstance, Monsieur, ce ministère imposant dût-il être exercé avec plus de scrupule et de courage? Le cœur du roi est déchiré, et les peuples gémissent ! « Eh quoi! l’on nous commanderait aujourd’hui des suffrages avant de nous avoir éclairés ! on exigerait, on suppléerait notre vœu pour des subsides dont la durée serait éloignée ou indéfinie, qui seraient inquiétants et désastreux, qui menaceraient le repos des familles, qui énerveraient le commerce, qui tariraient â la fois toutes les forces de la propriété publique : et les cours souveraines, chargées du dépôt de la loi et de la vérité, resteraient muettes! on lès verrait indifférentes sur la gloire du roi et' sur le bonheur la nation ! Non, Monsieur, jamais ! « Si les obligations de la chambre des comptes sont douloureuses à remplir, dü moins sa fidélité ne préjudiciera pas à la patrie ; les fortunes de l’État ne sont pas menacées, et le Gouvernement a pris des précautions pour assurer les engagements. « Elle doit désirer l’état des recettes et dépenses de l’année ; elle doit demander au roi la suppression des acquits au comptant, ou de les réduire â {1� Série, T. 1«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Introduction.] m leur véritable objet, au secret de l’administration. G’est sous leur voile perfide que l’on a caché les profusions les plus condamnables, et que l’intrigue et la faveur ont épuisé les trésors de l’État. « Elle demandera que l’on fixe invariablement les anticipations; dans une administration sage, elles doivent être proscrites ; dans une administration qui se régénère, il faut les connaître, les acquitter et n’en plus faire usage. « Elle suppliera le roi d’effectuer les retranchements promis ; ils doivent monter à 40 millions. Mais comment espérer une bonification aussi considérable avec les remboursements, les indemnités que ces retranchements occasionnent?... Gomment?... En y ajoutant la réforme de tous les abus. « Si ces ressources sont insuffisantes, si le déficit doit s’alimenter encore de la substance des peuples, alors les cours se réuniront pour supplier Sa Majesté de rendre à la nation assemblée le pouvoir de consentir les impôts, et le droit naturel d’être consultée sur le choix des sacrifices. « Nous venons de payer le tribut que la nation attendait de notre zèle ; suspendons l’accent de notre douleur, ouvrons encore nos cœurs à l’espérance, et rendons hommage au prince auguste que l’on voit assis parmi nous. Nos citoyens nous envieront d’avoir été leur organe; en vain sa modestie repousserait nos éloges; nous devions, dans le sanctuaire, le proposer à la vénération publique, car la reconnaissance a le même droit que la postérité. » Monseigneur le comte d’ Artois étant venu , le 17 août 1787, présenter à enregistrer a la cour des aides Védit pour la subvention territoriale , et la déclaration sur le timbre, M. le premier président lui a dit : « Monseigneur, j’obéis à l’ordre exprès du roi, mon seigneur et maître. « Le désordre des finances n’est plus un mystère; il est maintenant révélé à la nation entière, abusée trop longtemps par de fausses espérances de libération ; le bandeau fatal qui couvrait ses yeux a enfin été arraché par les notables. « L’aspect effrayant des maux de l’État les a consternés, mais sans abattre leur courage : il était soutenu par celui de deux princes auxquels le sang illustre qui leur a donné le jour rend également chers les intérêts du roi et ceux des peuples. « Ils ont tout vu, tout examiné, tout approfondi, et les membres de leurs bureaux, associés avec eux à des travaux longs et affligeants, ont admiré de plus près encore leurs connaissances, leurs lumières et leurs talents. « C’est en terminant cette noble mais pénible carrière, que Monsieur s’honorait, au nom de la noblesse, d’avoir concouru avec toute l’assemblée à remplir une mission aussi délicate qu’importante, avec zèle, avec franchise, avec loyauté. « Que ne pouvons-nous, Monseigneur, vous voir en ce jour, participant à une délibération libre, développer au milieu de nous les mêmes sentiments ! Les nôtres vous montreraient cette grandeur d’âme, ce patriotisme, qui distingueront toujours la nation française, et qu’entretient son attachement sans bornes à la véritable gloire de son souverain. « Mais un cortège imposant vous accompagne, des étrangers sont introduits dans le santuaire, une publication et un enregistrement de lois vont être ordonnés au nom du roi, sans nucune délibération préalable de ces mêmes lois, déjà répandues dans le public : il semble que l’on ait affecté de ne point les soumettre à l’examen du tribunal, dont l’origine est dû au choix de la nation, tribunal créé pour les impôts, seul compétent en matière d’impositions. « Tous ces actes illégaux en eux-mêmes portent les caractères redoutables de l’autorité absolue, privent les magistrats de la liberté des suffrages, enchaînent les mouvements de leur conscience, et les réduisent, dans le temple de la justice, à un silence morne et à des fonctions purement passives. « Daignez, Monseigneur, être le dépositaire de nos protestations contre l’irrégularité d’une séance où toutes les formes sont violées. « Daignez porter au pied du trône les impressions de notre douleur profonde, ety faire valoir la légitimité de notre réclamation. « Daignez y peindre avec cette noble franchise qui vous distingue, et si rare parmi ceux qui approchent les rois, l’abattement général dans lequel vous avez trouvé la capitale. « Daignez dire à un prince qui, loin de craindre la vérité, l’aime et la désire, que son peuple lui redemande avec respect, mais avec instance , avec larmes, des magistrats victimes en ce moment de leur devoir et de leur serment; magistrats vivement affectés, non du poids de la disgrâce , mais uniquement d’être dénoncés comme coupables aux yeux de leur maître. Témoin de presque toutes leurs délibérations, qui mieux que vous, Monseigneur, peut attester leur zèle et leur fidélité ? Qu’ils vous doivent, ou plutôt que la nation vous doive leur retour ! « Daignez enfin transmettre à Sa Majesté des vérités qu’aucune circonstance ne peut dénaturer, ni nous engager à dissimuler; vérités que nous lui devons, et que nous ne cesserons jamais de lui exposer avec force et avec énergie. « Les maux dévoilés sont grands, disait le roi aux notables, et ont dû causer de l’inquiétude dans le public. Oui, sans doute, la masse énorme du déficit l’a fortement alarmé! mais bientôt la confiance a été rappelée dans son âme agitée : [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 253 le monarque est résolu d’empêcher que ce déficit ne se reproduise; les retranchements personnels sont ceux qui coûteront le moins à son cœur, et qui seront plus promptement exécutés. « Les retranchements opérés dans sa maison et dans celle de la reine, qui s’était empressée de les ordonner, au moment même où elle avait su le désastre des finances, font désirer d’en connaî-naître également tous les détails, et surtout le montant effectif de l’universalité des réformes. Aucun objet ne doit échapper à la recherche ; tous sans exception en sont susceptibles ; nulle considération particulière ne doit arrêter, quand le salut de la patrie en dépend ; l’examen le plus scrupuleux, la révision la plus sévère doivent s’étendre à tous les dons, à toutes les grâces : il en est de méritées, leur titre seul les rend respectables ; mais il en est une multitude d’autres accordées à la faveur, au crédit, souvent à l’importunité ; il convient de les proscrire sans ménagement. « Un abus non moins dangereux consiste dans les acquits de comptant : le secret impénétrable qui les couvre fait naître de justes soupçons, et le feu qui en dévore jusqu’aux moindres traces laisse à peine le souvenir des sommes immenses ainsi dissipées et échappées à la surveillance la plus exacte. Un grand ministre, Colbert, les fit presque entièrement disparaître : ils cesseraient d’ab-sorder les richesses de l’État si la quotité en était fixée, et s’ils étaien t limités au seul département des affaires étrangères. « Nous osons, Monseigneur, par votre médiation, supplier Sa Majesté, en s’abandonnant tout à la fois à sa justice et à sa tendresse paternelle pour ses peuples, d’envisager leurs facultés sur l’étendue de leur amour. « La réforme en tout genre de tout ce qui ne touche ni à la splendeur ni à la dignité royale, procurera de grands moyens, des ressources incalculables. « Nous le disons avec confiance, les retranchements, les bonifications, les améliorations préparées avec soin, dirigées avec un sage économie, surpasseront les espérances conçues, et pourront permettre de renoncer â des surcharges nouvelles, impossibles à supporter. « Quelle imposition, en effet, plus désastreuse que celle du timbre ? Il prépare au commerce des entraves de tout genre ; il expose toutes les classes de citoyens, môme les plus pauvres, à des vexations continuelles, à des inquisitions fâcheuses, à des amendes rigoureuses, toujours prêtes à punir, non une contravention volontaire, mais une simple erreur, une négligence, un oubli ; tout impôt dont on ne peut prévoir exactement le produit est vicieux par essence. «L’accroissement de vingt-cinq millions, opéré par la subvention, n’est pas. moins désastreux; si une répartition plus juste, une égalité plus parfaite entre les contribuables, tournaient au profit des moins aisés et des indigents , ils béniraient la main qui les protégerait : mais la masse imposable augmenterait près de moitié, sans qu’ils éprouvassent aucun soulagement sensible : idée déchirante pour les peuples, surtout après plusieurs années de paix ; que n’auront-ils donc pas à redouter en temps de guerre ! « Des lois qui, en transgressant toutes les formes, ne nous ont point été adressées ; des lois dont nous ne connaissons légalement ni les dispositions particulières ni les détails, ne nous offrent, quant à présent, que ces réflexions générales. « Nous finirons, Monseigneur, en vous conjurant, au nom de la nation, de remettre sous les yeux de Sa Majesté quelques maximes fondamentales de notre constitution. « Le principe de la légitimité des impôts en fixe naturellement les limites ; ils ne peuvent être relatifs qu’aux besoins réels de l’État ; ils ne peuvent jamais les excéder, et, diminuant progressivement avec eux, ils doivent également finir avec eux. « Toute augmentation de produitd’un impôt sub ¬ sistant n’est pas plus légitime qu’un nouvel impôt, quand la nécessité n’en est pas évidente. Nécessité qui ne peut être démontrée qu’après avoir épuisé toutes les voies d’économie et de réforme ; nécessité dont les peuples doivent être instruits, en se reportant aux premières époques de la monarchie, aux premières règles de notre constitution, à ces temps heureux où le prince et la nation jouissaient du précieux avantage de se rapprocher pour l’intérêt commun ; à ces temps où le droit de propriété était tellement respecté, qu’aucune contribution ne pouvait être levée qu’avec le consentement de la nation. « Puissent ces grandes vérités, ces vérités utiles, faire impression sur l’âme du roi ! Puissent ses sujets jouir sans amertume des effets de ses sacrifices personnels! Puissent des jours de désolation et de deuil universel se changer en jours sereins! Puisse enfin la bonté naturelle du souverain le porter à n’écouter que les mouvements de son cœur, et bientôt il rendra ses bonnes grâces à des magistrats qu’il jugera dignes de sa confiance et de son estime ! » Réquisitoire sur Védit de subvention apporté en la cour des aides par M.Je comte d’Artois , le 17 août 1787. ' ; . „ Messieurs, dans le deuil actuel de toute la magistrature du royaume, frappée, dans la cour métropolitaine des autres cours, par la main qu’elle respecte le plus, comment élever notre voix autrement que par des accents de douleur ? Comment s’occuper d’aucun autre désir que de les faire parvenir jusqu’au trône. Et quelle occasion 0X4 [lre Série, T. I«.j • ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. plus favorable que celle où un prince, aimé du roi à tant de titres, daignera se charger de vos réclamations auprès de lui, et lui peindre avec énergie votre profonde affliction ! Les enfants ont gur leur père une bien forte autorité, disait l’un des plus grands hommes qui de nos jours aient illustré le Parlement, P autorité des larmes. Mais des objets encore plus touchants doivent nous distraire utilement dans ces moments précieux, la gloire du roi, le bien du royaume ; ils sont dignes d’occuper de nouveau l’attention d’un prince auguste qui, convaincu comme nous que dans l’État le chef et les membres sont un tout indivisible, se montre aussi zélé pour l’intérêt des peuples que pour ceux du roi. Si la loi que vous venez d’entendre avait été présentée à votre délibération libre, s’il vous avait été permis d’entrer dans les détails, dont la connaissance vous est propre, sur l’excès de l’oppression des peuples, sur les conditions essentielles à tout établissement d’impôts, sur les funestes effets de celui qui vient d’être annoncé, nous ne pouvons douter que vous n’eussiez ému la sensibilité du roi, que vous n’eussiez reculé l’introduction de la subvention proposée, ou du moins obtenu des termes pour sa durée provisoire, des adoucissements pour sa perception. C’est après cinq ans de paix, après un accroissement incroyable des revenus, qu’il s’agit aujourd’hui d’une imposition territoriale qui ne présente pas de terme fixe pour sa durée, tandis qu’une partie de l’impôt auquel elle est substituée devait nécessairement expirer dans trois ans. Le . besoin de l’État, sa détresse extrême au milieu d’une richesse immense est une énigme inexplicable, et vous n’avez pas, Messieurs, à espérer de pouvoir la résoudre. Dépourvus nous-mêmes de tous moyens d’y pénétrer, sommes-nous certains, est-il quelque autorité qui puisse nous garantir qu’il ne viendra pas un jour où ces besoins, aujourd’hui représentés au roi comme si pressants, lui paraîtront peut-être chimériques ou beaucoup au-dessous du nouveau produit de la subvention? Et s’il venait alors à nous demander avec sévérité de lui rendre compte des motifs pour lesquels nous aurions aveuglément laissé surcharger les peuples de fardeaux inutiles et accablants, qu’aurious-nous à lui répondre ? Que notre devoir était de déférer à ses ordres particuliers? Votre devoir, nous répondrait-on, était de suivre i’exemple de vos prédécesseurs et de requérir comme eux pour le roi contre le roi; ignoriez-vous que ce qui blesse grièvement les intérêts de son peuple l’offense et blesse aussi ses premiers intérêts ? Gomment au moins ne prendrions-nous pas pour base de notre conduite l’ordonnance qui règle les fonctions des magistrats, à la suite desquels nous avong l’honneur d’être attachés ? Elle fut enregistrée du très-exprès commandement du roi , au moment môme où vous fûtes rendus à vos états ; son enregistrement fut l’effet du pouvoir absolu. Dans quel cas cependant le roi veut-il, en l’article 3, que rien ne puisse suspendre l'exécution de ses ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes, et que nous soyons tenus de les envoyer aux sièges du ressort pour y être publiés et exécutés ? Mais dans quel cas, disons-nous ? C’est, selon cet article de l’ordonnance, lorsqu'il lui aura plu , après avoir répondu aux remontrances de sa cour des aides , défaire publier et enregistrer , en présence de personnes chargées de ses ordres , lesdites ordonnances , édits et déclarations. L’intention claire du législateur est donc que les remontrances précèdent toujours la publication faite par son autorité, puisque l’ordonnance suppose comme nécessaire que le roi ait pu vous répondre, lorsqu'il lui aura plu , est-il dit, après avoir répondu aux remontrances de sa cour des aides, de faire publier ..... Il ne nous en faudrait pas davantage, Messieurs, pour être autorisés à requérir pour le roi qu’il soit adressé à Sa Majesté de très-humbles et de très-respectueuses remontrances au sujet de l’édit dont il vient de nous faire lecture. Eh! quel fruit, Messieurs, ne devons-nous pas en attendre, quand nous faisons attention à la grande œuvre que le roi vient de fonder dans la dernière loi que vous avez reçue et enregistrée avec reconnaissance ! Vous seriez toujours, Messieurs, dans une perplexité inquiète, si vous aviez à délibérer définitivement sur une imposition qui viendrait enlever à jamais aux sujets du roi une partie de leur propriété, car tout impôt est une portion de la propriété abandonnée par celui à qui elle appartient pour conserver les autres portions. Avec qui donc est-il naturel de traiter ou statuer sur cet abandon, sinon avec le propriétaire ou son représentant ? Et voici, Messieurs, que, pour la première fois, depuis que la France existe, tous les individus du royaume, propriétaires soit des seigneuries, soit des fonds d’héritage, sont appelés à se montrer par eux-mêmes, et que de degrés en degrés, il n’en est pas un seul qui ne doive avoir dans les assemblées provinciales ses vrais représentants, puisque les membres de ces assemblées seront les vrais porteurs des pouvoirs de tous les propriétaires du royaume qui les leur auront fait transmettre. Tel est, Messieurs, le nouvel ordre décidé pour toutes les provinces et qui> commence à s’établir dans plusieurs. Eh ! qui ne voit que c’est là que se trouveront les parties élémentaires, seules capables de former ensuite facilement dans tous les temps une assemblée vraiment nationale, où l’on puisse traiter les matières qui concernent et intéressent les propriétés? [1*« Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Heureuse révolution dont le joi semble avoir voulu contracter l’engagement, par la facilité qu’il aura de le remplir ! Elle se consommera avec cette énergie presque insensible, cette douceur mêlée de force, avec cet applaudissement universel, qui accompagnent les grandes opérations vraiment utiles au bien des États, et ce seront vos remontrances , Messieurs , qui auront peut-être obtenu du roi de hâter, au delà de nos espérances, ce bienfait signalé envers la nation, envers tous les États, tous les ordres de citoyens, toutes les provinces du royaume. Dans cette circonstance (et par suite de l’article 23 de l’ordonnance du mois de novembre 1774), nous estimons qu’il y a lieu d’adresser au roi de très-humbles et de très-respectueuses remontrances, au sujet de l’édit du présent mois, portant suppression des deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième, et établissement d’une subvention territoriale ; Et cependant ordonner que sur le repli dudit édit il sera écrit, lu, publié, registré en la cour, l’audience tenante, ouï le procureur général du roi. Réquisitoire sur la déclaration du timbre , apportée en la cour des aides par M. le comte d'Artois, le 17 août 1787. Messieurs, la déclaration concernant le timbre étonne et consterne à la simple lecture. On voit toutes les communications de la société interrompues. Cet impôt ferme les grandes routes aux voituriers, menacés à chaque pas d’amendes en-' courues par le seul fait de leur ignorance involontaire. Il désole, il arrête le commerce intérieur par les inquiétudes qu’il répand sur toutes les opérations. Il ferme l’entrée du royaume au commerce de l’étranger ; commerce semblable à un fleuve, qui, arrêté par des digues, détourne aussitôt son cours, et va répandre ses eaux salutaires dans les contrées voisines. 11 ferme les relations les plus intimes, puisque, non content de gêner et de remplir d’embûches les actes publics et les actes privés, il infecte de craintes et d’amertumes les sentiments les plus doux qui existent entre les hommes, ceux que l’on exprime dans les lettres missives, qui seraient désormais assujetties au timbre, pour peu qu’il y fût fait quelque mention d’affaires, et que l’on pût à la longue en faire usage dans les tribunaux. Ce n’est ici qu’une partie du faible aperçu que l’on saisit à la simple lecture de cette terrible déclaration. Nous connaissons la noblesse et l’étendue de nos devoirs, et si notre âge et nos sentiments ne nous inspiraient pas de les remplir, le courage et la vertu de nos collègues, dont nous sommes le premier organe, ne nous permettraient pas de nous en écarter. L Les anciens usages distinguaient trois manières principales dont notre ministère exerçait ses fonctions lors des enregistrements faits du très-exprès commandement du roi, ou en présence.*Qwï et ce requérant (1) le procureur général du roi, était la formule adoptée quand il n’y avait d’autre vice que le défaut de forme, c’est-à-dire de vérification ; Ouï et consentant le procureur général (2), quand il croyait pouvoir attendre du temps et de l’expérience quel serait le succès de la nouvelle loi ; et seulement Oui le procureur général du roi (3), quand il avait cru ne pouvoir ni requérir ni consentir. Dans plus d’une occasion, et nous en avons encore un exemple récent, notre 'ministère s’est renfermé à supplier le roi de retirer son édit. Le célèbre procureur général de la Guesle crut devoir aller plus loin : J'empêche pour le roi disait-il en 1590, l'entérinement des lettres du 13 avril et lettres de jussion subséquentes. Louis Servin fit plus encore'; le roi Louis XIII était venu tenir au Parlement son lit de justice, pour y faire enregistrer quelques édits bureaux; ils étaient onéreux, ils paraissaient injustes ; Louis Servin en fait ses remontrances au roi en plein Parlement ; il lui en exposait avec feu la dureté. Plus il lui en détaillait l’iniquité, plus il était prêt à se laisser emporter peut-être par la vivacité de ses réclamations éclatantes. Qu’arrive-t-il ? Il tombe mort au pied du trône... et donne à fies successeurs l’exemple de consacrer au moins tout ce qu’ils ont d’expression et de mouvement dans l’âme, à réclamer contre des lois nuisibles au bien de l’État. Mais que pourrait, Messieurs, notre faible voix devant un prince que nous he pouvons douter avoir déjà porté au roi, à la tête de l’assemblée particulière, qui s’est fait gloire de l’avoir pour interprète, les vœux qu’elle avait formés semblables à ceux que nous pourrions exprimer? Ce sont les vœux de la nation entière, l’effroi, la terreur répandus dans tous les États par la déclaration du timbre , qu’il vous appartient d’exposer au roi avec cette vérité qu’il aime, cette énergie qui' ne peut manquer de le convaincre. La forme seule de cette séance, l’appareil de l’autorité absolue déployée avant toute délibération de votre part, avant d’avoir reçu de la cour aucune remontrance, suffiraient d’ailleurs, aux termes de l’article 23 de l’ordonnance du mois de (1) Fontanon, tome I; page 712, en 1661 ; page 738, en 1567 ; tome IV, page 721. (2) Imi). Tome 1, pages 712, 738, 750 ; tome IV, page 718, en 1516. (3) Tom. I, page 710, en 1542; deux exemples, p. 713. en 1573. Ibid, pages 715, 724, 731), 764 et 758, en 1567. (Tom. IV, page 718, en 1586. Enregistrement de la chambre des comptes.) Parcourez, tome IV, page 701, jusqu’àla page 714, où l’on voit en 1594 l’enregistrement des trois cours , et pages 776, 779 et 781 ; et pour les trois cours, page 785. 256 [Ire Série, T. Ier.] novembre 1774, que vous avez entendu , pour autoriser, pour commander nos conclusions. Dans ces circonstances, nous croyons qu’il y a lieu d’aëresser au roi de très-humbles et très-respectueuses remontrances, au sujet de la déclaration concernant le timbre, à l’effet de supplier ledit seigneur roi de révoquer ladite déclaration ; Et cependant ordonner que sur le repli de ladite déclaration il sera inscrit, lu, publié et re-gistré en la cour, l’audience tenant : Ouï le procureur général du roi, etc. Arrêté unanime de la cour des aides. du 18 août 1787. Ce jour, la cour, les’ chambres assemblées, délibérant sur les ordres apportés le jour d’hier par M. le comte d’Artois ; Considérant que le premier caractère d’un enregistrement est le libre consentement des magistrats, qu’il n’y a plus de consentement quand il n’y a plus de liberté de suffrages ; et que tout enregistrement est sans effet, par cela seul qu’il est forcé ; Que les lits de justice n’offrent plus que l’appareil affligeant du pouvoir absolu, et suivant l’expression de Henri IV, que le roi a annoncé vouloir prendre pour modèle, que des voies irrégulières qui ne ressentent que la force et la violence ; �Que l’édit de la subvention territoriale ne présente qu’une surcharge pour les peuples; que la déclaration du timbre est une loi désastreuse ; Qu’une nation qui paye près de six cents millions d’impôts devait se croire à l’abri de toutes les nouvelles inventions du génie fiscal ; que ce n’est pas après cinq ans de paix, et après avoir annoncé dans les termes les plus formels la libération prochaine des dettes de l’État, qu’on peut croire à la nécessité de nouveaux impôts ; Que les cours seules se sont maintenues dans le droit de présenter au roi la vérité sans déguisement ; que la cour des aides la lui doit plus qu’aucune autre sur le fait de l’impôt ; Que la première de toutes les lois , celle qui existe avant les empires, est la loi de la propriété ; Que la propriété est le droit essentiel de tout peuple qui n’est point esclavç, et que l impôt y dérogeant et y portant atteinte, ce serait anéantir l’établissement de tout impôt que la nation elle-même n’aurait pas octroyé ; Que les rois ont, pendant longtemps, déclaré dans différentes lois qu’ils regardaient les subsides comme un don qu’ils tenaient de la pure et franche libéralité du peuple, sans qu’eux ni leurs successeurs puissent dire que, pour raison de ce don, aucun droit nouveau leur fût acquis contre leur sujets ; Que si, dans l’espoir d’une libération prochaine, la cour s’est cru permis d’autoriser la levée de certains impôts, elle a plutôt présumé de l’amour [Introduction.] des Français pour leur souverain, qu’elle n’a mesuré l’étendue d’un pouvoir que le roi lui-môme ne peut communiquer à ses cours, puisqu’il n’appartient qu’à la nation ; Que la cour est plus fondée qu’aucune autre à demander les États généraux, elle qui fut créée, à leur demande, au moment où ils accordaient au roi Jean des secours volontaires ; que c’est même seconder les vues de bienfaisance du roi que de demander la convocation des États généraux, puisqu’en assemblant les notables, et en établissant les assemblées provinciales, il a -manifesté que le vœu de son cœur est d’avoir des relations plus intimes et plus immédiates avec ses peuples ; Que toutes les cours doivent tenir le même langage, parce qu’il est le cri de la raison et de la justice. Que les magistrats ne penseront jamais que ceux qui ont la confiance du roi osent lui persuader que les cours sont les ennemies du trône, parce qu’elles défendent les intérêts du peuple, tandis qu’elles sont les plus fermes soutiens du pouvoir monarchique et les plus sûrs garants de l’obéis-. sance des peuples ; Que la manière dont on a présenté les lois surprises à la religion du roi tend à user son pouvoir, et rappelle ces autres paroles de Henri IV : Je ne veux point employer une autorité qui se détruit en voulant V établir , et à laquelle je sais que les peuples donnent un mauvais nom ; Que ces principes sont ceux que la cour a si souvent invoqués dans ses remontrances ; Que plusieurs lois, qui ne sont pas révoquées et ne sauraient l’être, notamment une de Philippe de Valois, trois de Charles V,‘ une de Charles VII, une de Louis XII, une de François Ier, autorisent les magistrats, quelques-unes même leur ordonnent, sous peine de désobéissance, de ne pas obtempérer à ce qu’on pourrait leur proposer de contraire au bonheur public et aux privilèges de la nation; Que l’acte d’autorité exercé contre la première cour du royaume n’est qu’une peine infligée contre les malheureux justiciables qui étaient à la veille d’un jugement qui devait décider de leursort; La cour, forte de sa concience et de son honneur, inébranlable dans sa fidélité au roi comme dans ses principes, a arrêté : Qu’elle déclare illégales et milles, contraires aux vrais intérêts du roi et aux droits de la nation, les transcriptions faites le jour d’hier sur ses registres ; et cependant que ledit seigneur roi sera très-humblement supplié d’assembler les États généraux, préalablement à l’établissement d’aucun impôt, et de rappeler le Parlejnent dans le lieu ordinaire de ses fonctions ; qu’à cet effet il sera fait audit seigneur roi une députation dans la forme accoutumée, pour lui faire les supplications contenues dans le présent arrêté : sur ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lrc Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction, 257 le surplus continue la délibération au 30 de ce mois. Arrêté du Châtelet du 2b août 1787. La compagnie assemblée et délibérant au sujet de l’absence du Parlement, a arrêté qu’il serait fait au roi, en la personne de monseigneur le garde des sceaux, une députation, à l’effet de représenter à Sa Majesté la consternation universelle, et spécialement la douleur profonde que la compagnie ressent de l’éloignement du Parlement, et de supplier Sa Majesté de le rendre au vœu de la compagnie et à ceux de la capitale. L’archevêque de Toulouse, qui succéda à M. de Galonue dans le ministère des finances , persista comme lui à soutenir l’édit sur la subvention territoriale. Les Parlements, dont le mécontentement croissait, demandèrent alors eux-mêmes les Etats généraux, et s’excusaient d’enregistrer les impôts, en prétextant leur incompétence. Get appel aux comices de la nation devint le cri général de l’opinion publique ; et dès lors la cour, toujours recherchant la popularité , parut acquiescer à ce projet, quoique résolue d’en retarder indéfiniment l’exécution. Cependant les divers Parlements du royaume, à l’exemple de celui de Paris, multipliaient leurs remontrances. Celui-ci, dont les membres, accoutumés aux plaisirs de Paris , ne purent faire résister leur prétendu stoïcisme à l’ennui du séjour d’une petite ville de province, vers le commencement du mois de septembre, .annonça la disposition d’entrer en composition avec la cour. M. de Lamoignon, qui venait d’être fait garde des sceaux , avait également, de son côté, en vue de le ménager; et, se coalisant avec l’archevêque de Toulouse, pour amuser la multitude et gagner sa faveur par de nouveaux projets , il détermina la cour à substituer au timbre et à la subvention territoriale une prorogation du second vingtième, sous une forme qui assujettissait à l’impôt, comme le premier édit, tous les biens sans distinction. Get édit déplaisait donc aux cours souveraines, par le meme motif que l’impôt territorial ; il n’en fut pas moins enregistré de suite par le Parlement de Paris, qui, en se rachetant à ce prix de son exil, donna la juste mesure de son patriotisme. Nous allons en rapporter le texte. Edit du roi , donné à Versailles au mois de septembre 1787 , registré au Parlement le 19 septembre audit an, par lequel Sa Majesté révoque, tant celui du mois d'août dernier , portant suppression des deux vingtièmes et établissement d'une subvention territoriale , que la déclaration du 4 du même mois , concernant le timbre , et proroge le second vingtième pendant les années ’ 1791 et 1792. Louis, etc. Pénétré de l’importance d’apporter lre Série, T. Ier. le plus prompt remède au déficit qui s’est trouvé -dans nos finances, nous avions, d’après les observations des notables de notre royaume, adopté deux moyens qui, avec les retranchements et bonifications que nous avions projetés, nous avaient paru nécessaires pour le remplir. Mais, par l’examen approfondi que nous faisons journellement de l’état et de la nature de nos revenus, nous avons reconnu que leur assiette et leur perception sont susceptibles de changements propres à opérer de grandes améliorations ; et qu’en particulier la conversion delà gabelle, dont nous ne cessons de nous pccuper , te reculement des traites et plusieurs autres objets semblables sur lesquels nous nous proposons de porter de grandes réformes, doivent amener un ordre nouveau et produire dans nos finances la révolution désirée depuis longtemps, qui est la véritable ressource que nous ne cesserons de nous proposer, puisqu’elle peut et doit accroître nos revenus, sans être à charge à nos peuples. Dans ces circonstances, nous avons pensé que, si les besoins actuels exigeaient un secours pressant, il y aurait peut-être de l’inconvénient à le chercher dans un nouveau droit , qu’il pourrait être ensuite de notre sagesse de supprimer, et même fixer à une somme précise l’imposition sur les terres, dont le montant serait mieux déterminé, d’après l’ensemble et le produit des autres impositions. Nous avons donc jugé à propos, provisoirement seulement, et en attendant que nous soyons en état d’adopter un plan définitif, d’après les recherches que nous avons ordonnées, tant sur nos revenus que sur la dépense des différents départements, de chercher principalement et pour un temps déterminé, dans la perception des vingtièmes, la ressource extraordinaire qu’il est indispensable de nous procurer. Nous avons calculé que leur perception , jointe aux économies et bonifications, et aux autres moyens que nous avons employés et que nous emploierons , et dont le résultat passera nos premières espérances , pourrait suffire aux besoins actuels, et nous comptons que cette même perception , bien dirigée et confiée à la vigilance et aux soins des assemblées provinciales, sera un moyen d’autant plus certain de nous procurer des rentrées dont la perception ne cause aucune inquiétude à nos sujets, qu’ils seront assurés qu’aucun d’eux ne pourra payer au delà des vingtièmes et des quatre sous pour livre des revenus qui y sont soumis , en même temps que nul ne pourra s’y soustraire. Si nous sommes forcé de prolonger cette perception provisoire, c’est que la durée que nous lui assignerons est nécessaire pour préparer et effectuer plusieurs des changements utiles que nous désirons, et que le plus grand nombre même ne pourrait avoir lieu qu’autant qu’il sera suffi-17 258 sammenl reconnu que, pendant cette durée, le niveau aura été complètement rétabli entre la recette et la dépense, lais, au moyen des retran-ohemènts que nous avons déjà faits, de ceux que nous nous proposons encore, des améliorations que nous avons opérées , et de celles dont nous avons ordonné qu’on s’occupât, nous conservons l’espérance que nos sujets, avant cette époque, pourront ressentir, au moins en partie, les effets heureux du grand ouvrage que nous nous proposons. Les états de recette et de dépense que nous ferons publier tous les ans feront connaître à nos peuples le résultat et les progrès de nos soins , et il n’est point de moyen que nous ne soyons disposé à employer, lorsqu’il pourra tendre à leur bonheur et à leur soulagement. A ces causes, etc. Nous avons, par notre présent édit , perpétuel et irrévocable, révoqué et révoquons notre édit du mois d’août dernier, portant suppression des deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième, et établissement d’une subvention territoriale dans tout notre royaume , et notre déclaration du 4 du même mois, concernant le tim-- bre. Voulons et ordonnons que les édits et déclarations précédemment intervenus relativement aux vingtièmes, autres que ceux qui ont été donnés à l’occasion du troisième vingtième , soient exécutés comme avant nosdits édit et déclaration du mois d’août dernier. Prorogeons néanmoins le second vingtième pour la durée des années 1791 et 1792. Voulons que lesdits vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième soient perçus dans toute l’étendue de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, sur l’universalité du revenu des biens qui y sont soumis par lesdits édit et déclaration précédemment intervenus, sans aucune distinction ni exception, telle qu’elle puisse être , môme sur les fonds de notre domaine, soit qu’ils soient possédés à titre d’apanage ou d’engagement, ou même qu’ils soient entre nos mains et régis par les administrateurs de nos domaines ; et ce, dans la juste proportion des revenus effectifs qui doivent supporter les-dites impositions ; aux déductions néanmoins que les édits et déclarations ont accordées sur les biens qui exigent des réparations plus onéreuses aux propriétaires ; le tout, nonobstant toutes choses à ce contraires, etc. Registré, ouï et ce requérant le procureur générai du roi , pour être exécuté selon sa forme et teneur; et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lu, publié , et registré. Enjoint aux substituts du procureur général du roi esdits sièges d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois, suivant l’arrêt de ce jour. A Troyes , en Parlement , toutes les chambres assemblées, le 19 septembre 1787. Signé Lebret. [Introduction.] Le 21 septembre 1787 , M. le premier président du Parlement de Paris a prononcé le discours suivant devant Sa Majesté , à l’occasion de l’édit, ci-dessus : « Sire, Votre Majesté vient de donner à ses peuples une preuve bien signalée de son amour pour eux et de sa justice. Héritier du sceptre et des vertus de Charles V, vous serez compté, Sire, parmi les plus sages d’entre les rois. Votre Parlement, empressé de concourir aux vues bienfaisantes de Votre Majesté , sensiblement touché de l’assurance que vous daignez lui donner par votre édit, qu’il n’est pas de moyen que Votre Majesté ne soit disposée à employer lorsqu’il pourra tendre au bonheur et au soulagement de ses peuples, a ordonné l’enregistrement de l’édit, et m’a chargé, par la même délibération, de porter au pied du trône de Votre Majesté l’hommage de la reconnaissance publique , de son profond respect et de sa fidélité inaltérable. » Réponse du roi. « Je suis satisfait des marques de fidélité et d’obéissance que mon Parlement vient de me donner ; je compte qu’il s’empressera toujours de concourir à mes vues pour le bonheur de mes peuples, et de mériter ma confiance. » Arrêt du conseil d’État du roi:clu 13 octobre 1787, concernant les pensions. Le roi, en annonçant aux notables assemblés par ses ordres que son intention était de porter sur les pensions l’esprit de réforme et d’économie que Sa Majesté veut suivre dans toutes les parties de l’administration de ses finances, a bien vqulq leur promettre d’établir des règles exactes et in variables , que sa sagesse rendrait désormais insurmontables à sa propre bienfaisance , et qui fixeraient, pour la suite, sous le sceau de l'enregistrement et de la publicité , à une somme totale bien inférieure au montant actuel l’état des peu-. sions que Sa Majesté accorderait à l’avenir. Dans le même plan, et dans la nécessité d’accélérer l’exécution de cette réduction désirée par ses peuples , et propre à diminuer le poids des contributions qu’il serait indispensable d’exigçr d’eux, Sa Majesté a annoncé aux potables sa résolution d’ordonner, dès à présent, une retenue, pour quelques années, sur les pensions actuelles. Plus Sa Majesté a été libérale envers ceux de ses sujets qui les ont obtenues., plus il lui en coûté de revenir sur les effets de sa bienfaisance; mais Sa Majesté a considéré que cette retenue ne pourrait être regardée, par ceux qui sont dans le cas de la supporter, que comme une contribution qu’elle ne peut se dispenser de leur demander, lorsqu’elle est forcée d’en exiger de tous ses autres sujets. [l*e Série, T. le*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ire Série, T. Ier.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 11 est bien juste, en effet, que ceux dont le revenu total ou partiel est prélevé sur les revenus publics, partagent aussi de leur côté les sacrifices que commandent les circonstances, et auxquels doit les porter, avec plus de zèle encore, leur propre intérêt, si étroitement lié à celui de l’Etat. Mais en même temps que Sa Majestés est forcée à cette résolution, par la nécessité des engagements de l’État et par l’exécution du plan de réforme qu’elle veut accomplir, elle est assurée que le rétablissement successif de l’ordre dans ses finances pourra la dispenser, avant peu d’années, d’exiger les retenues qu’elle est aujourd’hui obligée d’établir sur cette partie. Elle ne veut rendre perpétuels que les sacrifices qui lui seront personnels, et elle croit pouvoir borner l’effet des retenues qu’elle est obligée de faire au terme de cinq ans seulement : elle s’est attachée d’ailleurs à fixer, pour ces retenues, des proportions relatives à la quotité des grâces et aux plus grands besoins présumés de ceux à qui elles avaient été accordées, et à établir, pour l’avenir, des règles relatives à la dispensation de ses grâces, qui concilient avec les mouvements de sa bienfaisance les vues d’ordre et d’économie dont elle a jugé cette partie susceptible. Voici le précis des seize articles qui composent, cet arrêt : Il sera dressé, dans tous les déparlements, des états exacts et détaillés de toutes les pensions, gratifications annuelles, appointements conservés, ou autres grâces pécuniaires annuelles, accordées pour la durée de la vie de ceux qui les ont obtenues, ou jusqu’à ce qu’ils aient obtenu quelques places ou autre faveur équivalente, sous quelque dénomination que lesdites grâces aient été accordées, et sur quelque partie des revenus du roi qu’elles soient assignées ; lesquels états contiendront les noms, surnoms, qualités et âge de ceux qui jouissent desdites grâces, leur montant annuel sur le pied de leur première fixation, les retenues dont elles sont actuellement grevées, et l’indication des fonds sur lesquels elles sont assignées. Veut Sa Majesté que, par tous les ordonnateurs particuliers, qui disposent, sous ses ordres directs, de fonds affectés à différents services, il soit incessamment dressé de semblables états de toutes lès grâces pécuniaires annuelles qui s’acquittent sur les fonds dont lesdits ordonnateurs ont la disposition ; et que lesdits états soient par eux incessamment remis aux secrétaires d’État chargés des divers départements. Ges états seront mis sous les yeux de Sa Majesté dans le cours du mois de décembre prochain. il sera rendu à Sa Majesté, au mois de mars prochain, et ensuite successivement d’année en année, au mois de mars de chaque année, un compte motivé de toutes les demandes de pensions ou autres,. grâces pécuniaires annuelles , quelles qu’elles soient, qui auront été adressées clans le cours de l’année révolue, depuis le travail de l’année précédente. Ne pourront lesdites demandes être mises sous les .veux de Sa Majesté qu’à ladite époque du mois de mars de chaque année. Seront toutes lesdites demandes portées, par forme d’état, sur une même feuille de travail, contenant les noms, surnoms, qualités et âge de toutes les personnes qui les feront. Sur cette feuille seront émargées à chaque article les décisions de Sa Majesté, et sera une ampliation de chacune desdites feuilles, avec mention des ordres de Sa Majesté, remise immédiatement après au sieur contrôleur générai des finances, pour qu’il soit aussitôt expédié des lettres patentes, sous le contre-scel desquelles seront mis lesdits états, et qui seront adressées à la chambre des comptes pour y être enregistrées, et être ensuite rendues publiques par la voie de l’impression, ainsi que les états y annexés, Jusqu’à ce que le montant total des pensions pu autres grâces pécuniaires annuelles de tous les départements réunis soit réduit à quinze millions, il ne sera accordé de nouvelles grâces, année par année, qu’à concurrence de la moitié dés extinctions connues et constatées au jour où l’état desdites grâces sera arrêté par Sa Majesté, sur le pied du montant net desdites grâces au jour de leur extinction ; à l’effet de quoi le sieur contrôleur général dressera et présentera à Sa Majesté, en son conseil royal des finances et du commerce, dans la première semaine du mois de mars _de chaque année, l’état de toutes les pensions ou autres grâces dont l’extinction se trouvera constatée depuis le travail de l’année précédente, Il sera imprimé aussitôt un état contenant d’abord, en un seul article, le montant de toutes les extinctions survenues dans le cours de l’année sur celui des pensions ou autres grâces accordées antérieurement à la date du présent arrêt ; et ensuite, article par article, les noms de toutes les personnes dont les pensions ou autres traitements gratuits, accordés depuis la date du présent arrêt, seront éteints, et le montant de chacune desdites grâces. Les pensions ou autres grâces pécuniaires que se trouveront posséder ceux qui ■ obtiendront quelque place, charge ou emploi, seront de plein droit éteintes du jour de l’obtention desdites places, si elles ne sont nommément renouvelées par Sa Majesté, dont sera fait mention dans les brevets, ainsi que dans les états annuels. Et* quant aux pensions ou autres grâces dont jouissent actuellement ceux qui sont pourvus de places, charges ou emplois, ou qui seraient par la suite accordées à ceux qui seraient antérieurement pourvus d’aueunes places, charges ou emplois, ou renouvelées au moment où ils obtieq* [l>e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 260 draient lesdites places, ces pensions ou autres grâces ne seront réputées que gratifications annuelles, et ne pourront être concervées par lesdites personnes, soit qu’elles passent à une autre place, charge ou emploi, soit qu’elles se retirent: se réservant Sa Majesté, au premier cas, de leur accorder, s’il y a lieu, une nouvelle pension du même genre, et, en cas de retraite, de proportionner, par une seule pension, leur traitement total à leur services. Lorsqu’une personne, qui jouira déjà d’une ou de plusieurs pensions ou autres traitements, demandera une nouvelle grâce, à quelque titre que ce soit, elle sera tenue d’énoncer dans sa demande toutes celles qu’elle aura précédemment obtenues, sous quelque dénomination qu’elles lui aient été accordées, et le nouveau brevet renfermera le total ou traitement dont elle aura à jouir, l’intention de Sa Majesté étant que ledit brevet seul puisse être acquitté, et qüe les gardes du trésor royal n’aient aucun égard à ceux qui auraient été précédemment obtenus. Toutes les grâces pécuniaires annuelles dont les brevets sont actuellement -expédiés, accordées avant ou depuis l’époque du 29 janvier 1 770, quelle •qu’en soit la dénomination, et de quelque département qu’elles dépendent, jusqu’à la somme annuelle de deux mille quatre cents livres, seront assujetties, sans aucune exception, pendant l’espace seulement des années 1788, 1789, 1790, 1791, et 1792, aux mêmes retenues qui ont été ordonnées par l’arrêt du conseil du 29 janvier 1770 : celles de deux mille quatre cents livres jusqu’à huit mille livres seront assujetties, pendant lesdites cinq années, à la retenue de trois dixièmes; celles de huit mille livres jusqu’à vingt mille livres, à celle de trois dixièmes et demi ; et celles de vingt mille livres et au-dessus , à quelque somme qu’elles montent, à la retenue de quatre dixièmes. Et seront employées toutes les différentes grâces annuelles dans chacune desdites divisions, eu égard au montant de chaque brevet, pris sur le pied des sommes entières originairement accordées, et ce , lors même que le brevet serait formé de la réunion de plusieurs grâces successivement obtenues. Et seront imputées, sur lesdites retenues, celles que supportent déjà les pensions ou autres grâces accordées jusqu’à présent, formant la totalité ou portion desdits brevets. Seront au surplus toutes lesdites grâces accordées ou à accorder portées, pour leur montant en entier, dans les états annuels, sur lesquels les lettres patentes seront expédiées, avec mention des retenues faites sur celles actuellement *exis-tantes, en vertu des précédents règlements ou du présent arrêt. Seront cependant exemptes de retenues, et sujettes seulement à celle des deux vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième, les pensions créées pour acquittement d’anciens arré-ragesdus par le roi, convertis en pensions viagères, comprises dans les brevets expédiés pour raison des pensions principales, ainsi que les pensions ci-devant accordées par le feu roi de Pologne. Demeureront pareillement exemptes des retenues résultantes du présent arrêt, sur les grâces qui n’y étaient pas précédemment sujettes, les pensions portées par brevets non excédant trois mille livres, qui appartiennent à des personnes présentement âgées de -soixante-quinze ans révolus, sans que les brevets excédant trois mille livres profitent de ladite exemption sur aucune partie de leur montant ; comme aussi celles, à quelque somme qu’elles montent, qui appartiennent à des personnes présentement âgées de quatre-vingts ans révolus ou au-dessus. Déclare de nouveau Sa Majesté qu’elle entend comprendre, dans toutes les dispositions portées aux précédents articles, toutes pensions, gratifications annuelles, appointements conservés ou de retraite, même les appointements de places sans exercice effectif, de quelque genre qu’elles soient et à quelque département qu’elles appartiennent, et généralement tous dons et grâces annuelles accordées antérieurement au présent arrêt, pour la durée de la vie de ceux qui les ont obtenus, ou jusqu’à ce qu’ils soient pourvus de places ou d’autres traitements équivalents. Veut Sa Majesté que tous lesdits dons annuels actuellement accordés soient assujettis aux mêmes retenues, et que tous ceux qui seront sollicités par la suite ne puissent être accordés qu’en, observant les mêmes époques et formalités ci-dessus prescrites. Nota. Il a également été publié à la même date une ordonnance sur la formation d’un conseil de guerre, dont le ministre de ce département n’aurait été que le président, et qui aurait été chargé de la formation de tous les statuts militaires, de la décision de toutes les affaires contentieuses. Ce règlement avait pour objet de regagner la confiance des officiers de l’armée, qui tous étaient dégoûtés de la versatilité des systèmes des précédents ministres, et manifestaient un mécontentement qui' fut depuis une des causes auxiliaires de la Révolution Il fut également établi par un édit du même mois un bureau de consultation des finances et du commerce, dont l’organisation devait donner à la cour une influence sur les négociants des principales places de commerce, et faciliter le succès des emprunts. Tous ces règlements annonçaient une lutte de popularité entre la cour et les Parlements. Pendant ce temps, le Parlement, revenu de son exil de Troyes, reprit ses séances à Paris, à la grande satisfaction du public. La déclaration qui rétablit son siège dans cette ville, en y appelant [lr« Série, T. 1�.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] une chambre des vacations chargée de Je représenter pendant le temps de cette translation, était datée du 20 septembre, le lendemain du jour où il consentit à enregistrer la prorogation du deuxième vingtième. Il fît son ouverture dans la grande salle, en la forme accoutumée, le 12 novembre. Il y eut une messe solennelle, à laquelle assistèrent toutes les chambres en robe rouge, ayant M. d’Aligre , premier président , à leur tête. Quelques jours après fut annoncé le fameux édit portant création d’emprunts graduels, pour le succès duquel la cour avait cédé au Parlement sur l’affaire de l’impôt territorial, mais qui bientôt fut la source de nouveaux débats, et par ceux-ci l’occasion de l’établissement de la cour plénière. L’opinion, publique fut pressentie sur ces emprunts ; mais elle leur fut peu favorable, parce qu’on n’y voyait qu’un moyen donné à la cour de fournir à de nouvelles déprédations, et un accroissement annuel des charges publiques. Le Parlement saisit encore cette occasion pour se ranger du parti populaire. L’importance de cet édit détermina le roi à se rendre lui-même au Parlement, pour en prescrire l’enregistrement avec tout l’appareil de l’autorité. Nous allons transcrire successivement, et un extrait du texte de l’édit, et le procès-verbal du lit de justice qui eut lieu pour son enregistrement. Edit du roi , donné à Versailles au mois de novembre 1787, registre en Parlement le 19 desdits mois et an , portant création d'emprunts graduels et successifs pendant cinq ans. Louis, etc. Du moment où la situation de nos finances nous a été véritablement connue, nous n’avons cessé de nous occuper de la recherche et de l’emploi de tous les moyens qui pouvaient rétablir l’ordre et l’équilibre entre la recette et la dépense, et nos peuples ont eu lieu de reconr naître qu’aucun sacrifice ne nous a coûté pour y parvenir. Mais les économies les plus multipliées ne peuvent procurer sur-le-champ tout le produit qu’elles promettent ; plusieurs ne sont qu’éventuelles ou successives, et quelques-unes nécessitent des remboursements qui, dans le moment, les rendent plus coûteuses que profitables. D’un autre côté, notre amour pour nos peuples nous éloigne de toute proposition de nouveaux impôts, tant que nous pouvons espérer d’autres ressources ; et toute opération qui pourrait altérer la fidélité de nos engagements nous .est encore plus sévèrement interdite, non-seulement parce que nous compterons toujours l’obligation de les remplir religieusement comme un de nos devoirs les plus sacrés, mais encore parce que la fortune des particuliers se trouvant liée à la fortune publique, il est impossible que celle-ci éprouve la plus légère secousse, sans que le contre-coup se fasse sentir jusqu’aux extrémités de notre royaume, et attire sur toutes les classes de nos sujets une foule de maux dont, avec l’aide de la protection divine et les efforts infatigables de notre tendresse pour eux, nous espérons les préserver. Il est donc indispensable de recourir encore à quelques emprunts ; mais si ces emprunts ne pourvoient qu’aux besoins du moment, .s’ils n’embrassent pas le présent et l’avenir, s’ils n’annoncent aucun système de libération, ni aucun terme pour l’opérer; s’ils ne présentent qu’un soulagement momentané pour nos finances, on ne verra en eux qu’une nouvelle dette, dont l’accroissement prévu nécessaire ne sera pas déter-> miné, et le trésor royal continuera à éprouver cette gêne habituelle avec laquelle les meilleures entreprises sont difficiles à exécuter, et toutes les réformes impossibles. Nous avons jugé en conséquence qu’il était de notre sagesse d’étendre tout à la fois notre prévoyance à toutes les années pendant lesquelles les emprunts seraient nécessaires. Il est utile au crédit public et à la tranquillité des créanciers de l’État, que le terme et le montant des emprunts qui peuvent encore avoir lieu soient connus; il est intéressant pour tous nos sujets qu’il ne reste aucune incertitude sur l’exactitude de tous les. payements, et il est impossible de trouver un principe de libération dans des emprunts graduels et successifs bien combinés, qui, après avoir commencé par éteindre les anciens, finissent par s’éteindre eux-mêmes, sans être, comme les emprunts passés, le principe d’une nouvelle imposition. En considérant en effet que cent millions de nos revenus vont être engagés au service de pareille somme de rentes viagères; que ces revenus sont bonifiés successivement de plus de cinquante millions d’économies; que, par le dernier règlement que nous venons de publier' sur les pensions, le fonds total, qui s’était élevé de vingt-sept à vingt-huit millions, a été invariablement fixé à quinze; qu’enfin, parmi les dépenses dont est chargé notre trésor royal, il y en a pour trente millions qui ont un terme, et plusieurs même un terme très-peu éloigné, il nous a paru démontré qu’en comptant les augmentations de recette que peut produire la réforme de nos finances, notre trésor royal devait profiter, soit par augmentation de recette, soit par diminution de ses charges, d'ici à un certain nombre d’années, de plus de cent millions, et un jour même de plus de deux cents. D’après cet aperçu, nous avons jugé que tous nos efforts devaient, en maintenant les mômes principes de sévérité et d’économie, tendre à at- 262 [lre Sérié, T. Ie*.] teindre* s’il était possible, sans convulsion et sans secousse, cette époque qui nepeut être très-reculée, et qui doit remettre infailliblement le niveau entre la recette et la dépense. NOUS n’avons point été arrêté, dans Ce système de libération, par la considération que nos revenus se trôüvâûtpersque tous engagés, nous semblions ne présenter aucune sûreté, aucun gagea de noüvéaux créanciers; une très-grande partie des emprunts que nous nous proposons devant être employée à éteindre lesebiprunts remboursables, il n’enrésül-v tera, pour cette partie, aucune surcharge pour nos finances ; et à l’égard de la portion qüi excédera ces remboursements, l’hypothèque n’en est pas plus incertaine, puisque, suivant tous les calculs de la probabilité, la masse des extinctions, sur près de deux cents millions de dépenses qui ont un terme, doit couvrir les arrérages des emprunts des deux premières années, les surpasser dans la troisième, et enfin leur devenir tellement supé-rieure, que les emprunts eux-mêmes puissent être diminués, et leur dégradation devenir un signe non équivoque de la diminution progressive de la dette. Un avantage non moins précieux qüe nous espérons retirer de cette combinaison, c’est que les emprunts, ainsi annoncés d’avance, se feront nécessairement à des conditions plus avantageuses, et notre crédit s’affermissant de jour en jour, il nous sera possible d’espérer que, par l’accroissement de la circulation, ie taux actuel de l’intérêt de l’argent baissera, en sorte que des emprunts moins défavorables succédant à des emprunts plus onéreux, sê réuniront encore à toutes les autres causes de libération, pour eh assurer les progrès. Une seule crainte a dû nous occuper en nous proposant de suivre ce régime salutaire , c’est ' qu’une guerre ne vînt en interrompre le cours; mais indépendamment de ce que nous avons la douce satisfaction d’annoncer à nos peuples que nous sommes aujourd’hui rassuré à cet égard; indépendamment de ce -qu’un des préservatifs les plus certains contre la guerre est de faire voir qu’un système suivi va faire évanouir l’embarras que nos finances ont éprouvé, nous nous sommes proposé encore dans notre sagesse d’y pourvoir d’une manière plus spéciale. Nous avons résolu en conséquence, en cas de guerre, d’en séparer les dépenses de nos dépenses ordinaires, de manière que l’excédant de dépense qu’elle pourrait entraîner, alimenté, soit par des emprunts particuliers, soutenu par des impôts qui s’éteindraient avec eux , soit par d’autres secours extraordinaires, ne puisse jamais, sous aucun prétexte et dans aucun cas, être confondu avec nos dépenses ordinaires ; et c’est pour arriver à cet ordre que nous nous appliquerons sans cesse à accélérer le jour heureux ou nous pourrons (Introduction.] remettre à nos peuples le second vingtième ou quelque impôt équivalent , afin que, destiné à servir à ces besoins extraordinaires, et tenu, en quelque sorte, en réserve, il devienne une re§a source toujours subsistante pour un temps de calamité. Nous n’avons pas craint davantage que nos peuples doutassent de la sincérité et de la stabilité de nos intentions ; la précaution que nous venons de prendre par la publicité que nous entendons donner tous les ans à notre administration et à nos dons, nous a paru devoir être pour eux un garant assuré de là fermeté de nos résolutions, et des mesures que nous prenons contre toutes les surprises que l’on pourrait faire à notre religion et à notre bienfaisance. Enfin, pour affermir encore davantage la confiance, nous avons voulu que la partie qui est destinée à des remboursements, soumise dès ce moment à l’inspection des magistrats de notre chambre des comptes, ne laissât aucun doute sur l’emploi auquel elle est destinée, en même temps que le compte qui sera publié tous les ans de nos recettes et de nos dépenses fera connaître à nos peuples qu’aücune charge n’est restée sans être acquittée, et aucun engagement sans être rempli. Après avoir pris toutes ces précautions, il ne restait à notre sagesse que de régler, de la manière la plus convenable, la proportion, la durée et la forme de ces emprunts. Quant à la proportion, nous l’avons calculée sur les besoins que présente la situation actuelle de nos finances ; et si les produits incalculables de l’ordre et de l’économie rendent encore, comme nous l’espérons, une partie de ces emprunts inutiles, nous ne regretterons pas de les avoir portés au delà de l’absolue nécessité , puisque, indépendamment de l’avantage de ne laisser aucune incertitude sur la suffisance des moyens auxquels üôüs avons recours, nous emploierons l’excédant à éteindre, au moins en partie, ces anticipations ruineuses dont il a été impossible de se passer jusqu’à présent, et qui, absorbant tous les capitaux et les rendant plus rares, ont par conséquent aussi rendu les emprunts publics plus difficiles et plus chers. La proportion de ces emprunts a du être plus forte cette année, tant parce qüe les extinctions et bénéfices sont moins sensibles, qüe parce que les préparatifs de guerre auxquels nous avons été contraint ont exigé des dépenses auxquelles nos revenus ordinaires ne pouvaient satisfaire : elle sera moindre les années suivantes, et diminuera d’année en année, de manière que les emprunts nécessaires seront réduits au plus à soixante millions en l’année 1792, après laquelle nous espérons qu’au moyen des extinctions successives dont nos finances auront profité, et de certaines réformes importantes qui ne pourront avoir lieu ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [jre Série, T, l«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES s [Introduction.] 26i qu’à cette époque, ils deviendront entièrement inutiles. Quant à la forme de ces emprunts, nous aurions désiré-ne plus recourir, dès cette année, à celle des rentes viagères ; mais forcé de céder pour le premier de ces emprunts à la circonstance, nous nous sommes attaché cependant à prévenir, autant qu’il était en nous, les dangereux effets de ce genre d’emprunt, en offrant aux prêteurs la' faculté de prêter avec remboursement ou de constituer à rentes viagères, de manière que le père de famille qui veut conserver et revoir ses capitaux, et l’homme isolé qui veut augmenter ses jouissances, puissent également être admis dans l’emprunt. Telles sont les vues que nous nous sommes proposé et que nous voulions faire connaître â nos sujets. Nous les avons adoptées d’autant plus volontiers que, sans nouveaux impôts, sans nécessité d’en établir, sans que les intérêts à payer soient une nouvelle surcharge, nous aurons, par une administration économique et combinée de nos revenus, pourvu, pendant les années qui paraissent les plus difficiles, aux dépenses indispensables et à l’acquit de nos engagements. Nous nous serons, aussi mis en état de préparer et d’opérer l’heureuse révolution que nous nous proposons dans nos finances ; et quelle satisfaction .n’éprouverons-nous pas, lorsque, aVant l’année 1792, nous pourrons montrer à la nation assemblée, comme nous nous le proposons, que l’ordre est rétabli, que les emprunts ne sont plus nécessaires, que la libération de l’État peut marcher avec assurance, et qu’enfin il n’est ni sacrifices ni soins qui aient pu nous coûter pour assurer la prospérité intérieure et extérieure de notre empire! À ces causes, etc., nous avons ordonné ce qui suit : Art. I". Des emprunts graduels et successifs seront ouverts pour les années 1788, 1789, 1790, 1791 et 1792, savoir: de cent Vingt millions pour l’année 1788, dans la forme prescrite par le présent édit ; de quatre-vingt-dix millions pour l’année 1789; de qüatre-vingt millions pour l’année 1790; de soixante-dix pour l’année 1791 ; et de soixante pour l’année 1792. Nous réservant de faire connaître successivement nos intentions Sur les époques, la forme et les conditions de ces quatre derniers emprunts. II. Les sommes nécessaires pour opérer les remboursements à époques fixes, auxquels nous sommes tenus pendant lesdites cinq années, seront prélevées sur lesdits emprunts, et employées aux remboursements. Voulant qu’à la fin de chacune desdites années, le compte dêsdits rembour-sementssoit présenté ânûtre chambre des comptes, et clos et arrêté par elle, pour être joint ensuite au compte général desdites années, III. Les intérêts desdits emprunts ou arrérages de rentes créés en conséquence seront à prendre par privilège et préférence à la partie de notre trésor royal sur tous nos revenus, que nous avons déclarés et déclarons spécialement affectés , obligés et hypothéqués, tant au payement desdits arrêtages qu’au remboursement des capitaux de celles qui seront constituées eu perpétuel; et spécialement seront lesdits intérêts ou arrérages, et successivement lesdits remboursements, affectés : 1° Sur le produit des quatre millions huit cent mille livres déjà acqüis à la décharge de nos revenus par les extinctions des rentes viagères qui avaient été réservées pour servir au remboursement des dettes Uon exigibles, aux termes de notre édit du mois d’août 1784, auquel ttoüs avons dérogé et dérogeons à cet effet. 2° Sur le produit des rentes Viagères qui viendront encore à s’éteindre pendant le cours des-dites cinq années. 3° Sur le produit des intérêts des capitaux au remboursement desquels une portion desdits emprunts aura été employée. 4° Sur le produit des pensions éteintes qui ne seront pas remplacées pendant ladite époque. 5° Sur la partie de nos revenus destinée a acquitter celles des dépenses à terme qui viendront à cesser pendant lesdites cinq années, et ce, pro-portiohnément au taux et au montant de Chacun desdits emprunts. IV. Il sera ouvert, le joür de la publication de notre préfeent édit, chez le sleür là Borde de Me-reville, garde de notre trésor royal, un emprunt de cent Vingt millions, en deniers comptants, pour le capital desquels nous avons créé et créons jusqu'à concurrence de trois millions de rentes perpétuelles, à 5 p. 0/0 non remboursables et de deux millions quatre cent livres de rente à 4 p. 0/0, remboursables, sur le pied de leurs capitaux, dans le courant de vingt années ; lesquelles rentes seront exemptes de toutes retenues. V. Nous avons en outre créé et créons au profit des acquéreurs desdites rentés, à 4 et à 5 p. 0/0, trois millions six cent mille livres de rentes viagères, qui seront distribués entre eux par la voie du Sort en vingt mille lots, conformément à la table annexée dans le contre-scel de notre présent édit; et seront lesdits lots de rentes viagères, constitués sans retenue sur une tête ou avec la retenue du dixième sur deux têtes. Vi. 11 Sera délivré par le garde de notre .trésor royal, à tous ceux qui lèveront lesdites rentes à raison de chaque somme de mille livres de fonds qu’ils auront fournie pour l’acquisition d’icelles, des reconnaissances au porteur, portant numéros depuis un jusques et y compris cent vingt mille, et il sera joint à chaque reconnaissance de mille 264 [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] livres un billet de chance portant le même numéro, pour avoir part au tirage de trois millions six cent mille livres de lots viagers. VII. Pour déterminer auxquels desdits billets appartiendront les rentes à 5 et celles à 4 p. 0/0, il sera fait un tirage particulier le dernier juin 1788, à l’effet de quoi lesdits cent vingt mille billets seront partagés en douze séries, chacune de dix mille numéros pris de suite. Les séries seront représentées par des bulletins numérotés depuis 1 jusques et compris 12. Lesdits bulletins seront tirés au sort. Gelui qui sortira le premier attribuera des rentes à 5 p 0/0 ; celui qui sortira le second, des rentes à 4 p. 0/0 ; celui qui sortira le troisième, des rentes à 5 p. 0/0 ; et ainsi alternativement, jusques et y compris le douzième et dernier bulletin. VIII. Les cent vingt mille reconnaissances participeront au tirage des vingt mille lots de rentes viagères créées par l’article V de notre présent édit, qui sera fait dans la forme ordinaire, dans la grande salle de l’hôtel de notre bonne ville de Paris, en présence des sieurs prévôt des marchands et échevins, le 1er juillet 1788 et jours suivants. IX. Les constitutions de rentes viagères provenantes des lots ci-dessus devront toutes être faites avant le dernier décembre 1788. X. Les porteurs des cent vingt mille reconnaissances pourront, au lieu des rentes à 4 et à 5 p. 0/0, qui leur seront échues, les convertir, dans le délai fixé par l’article ci-dessus, en contrats de rentes viagères, à raison de 8 p. 0/0 sur une tête, ou de 7 p. 0/0 sur deux têtes, à leur choix; à l’effet desquelles constitutions nous créons, par notre présent édit, les rentes viagères à ce nécessaires, etc. Distribution des lots des rentes viagères. Lots. Liv. 1 de ........... 40,000 1 de . . . ........ 30,000 1 de . .......... 20,000 2 de 10,000 ....... 20,000 5 de 8,000 ....... 40,000 10 de 5,000 ....... 50,000 30 de 4,000 ....... 120,000 50 de 3,000 ....... 150,000 80 de 2,000 ....... 160,000 220 de 1,000 ....... 220,000 300 de 500 ....... 150,000 500 de 400 ....... 200,000 800 de 300 ....... 240,000 18,000 de 120 ....... 2,160,000 20,000 lots. 3,600.000 liv. de rentes viagères, etc. Séance du roi en son Parlement de Paris , du 19 novembre 1787. Le roi est venu le 19 novembre prendre séance en son Parlement. Les ordres ayant été donnés la veille au soir fort tard, un grand nombre de membres de la cour ne purent se trouver à cette séance; elle n’en fut pas moins nombreuse. M. le garde des sceaux avait eu la précaution de rassembler tous les conseillers d’État et autres magistrats auxquels le titre d’honoraires donnait voix délibérative en la cour. Le roi ouvrit la séance par un discours, dans lequel Sa Majesté annonçait les lois qu’il voulait faire enregistrer. M. le garde des sceaux développa ensuite les intentions du roi. Discours du roi au Parlement. Messieurs, je viens tenir cette séance pour rappeler à mon Parlement des principes dont il ne doit pas s’écarter ; pour vous entendre sur des grands actes d’administration et de législation qui m’ont paru nécessaires ; enfin pour répondre sur les représentations que m’a faites la chambre des vacations, en faveur de mon Parlement de Bordeaux. Les principes auxquels je veux vous rappeler tiennent à l’essence de la monarchie, et je ne permettrai pas qu’ils soient méconnus ou altérés. Je n’ai pas eu besoin d’être sollicité pour assembler les notables de mon royaume. Je ne craindrai jamais de me trouver au milieu de mes sujets. Un roi de France n’est jamais mieux que quand il est entouré de leur amour et de leur fidélité ; mais c’est à moi seul à juger de l’utilité et de la nécessité de ces assemblées, et je ne souffrirai jamais qu’on me demande avec indiscrétion ce qu’on doit attendre de ma sagesse et de mon amour pour mes peuples, dont les intérêts sont indissolublement liés avec les miens. L’acte d’administration que je me propose est un édit portant création d’emprunts successifs pendant cinq années. J’aurais voulu n’avoir plus recours à cette ressource des emprunts, mais l’ordre et l’économie ne peuvent suffire qu’avec le temps. Des emprunts bornés et bien combinés reculeront un peu la libération, mais ne l’empêcheront pas. De nouveaux impôts ne seront pas établis, et mes engagements seront remplis. J’ai voulu que le même jour, qui doit être pour mes peuples le présage de la restauration prochaine de mes finances, fût marqué dans la législation de mon royaume par l’exécution d’un projet auquel je suis déterminé depuis longtemps. Je maintienderai toujours, par la protection la plus constante et sans partage, la religion sainte dans laquelle Dieu m’a fait le bonheur de naître, et je ne permettrai pas qu’elle souffre le plus léger affaiblissement dans mon royaume. Mais je crois qu’elle me commande elle-même de ne pas laisser une partie de mes sujets privés de leurs Page Blanche Ajoutée [ire Série, T, !«„] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 266 l’arbitre suprême de leurs représentations ou de leurs doléances. Cette prérogative de la couronne que vous avez tous fait, Messieurs, le serment de défendre, suffira toujours au roi pour n’envisager les États généraux de son royaume que comme les grands jours de l’amour des Français pour leur souverain. Sa Majesté ne redoutera donc jamais de se voir à la tête d’une nation qu’elle aime, dont elle est aimée, et sur laquelle son auguste famille règne depuis huit cents ans, Eh! n’est-ce pas, Messieurs, la bonté paternelle avec laquelle le roi a voulu se rapprocher de sa nation, qui vous a suggéré à vous-mêmes la pensée de solliciter les États généraux? C’est sans aucune réclamation antérieure que Sa Majesté a appelé, de son propre mouvement, les notables de son royaume autour du trône, pour les consulter sur ses projets d’administration et sur les besoins de l’État. Depuis plus d’un siècle et demi cet usage national était tombé en désuétude, sous les deux plus longs règnes de la monarchie -, et quoiqu’on eût vu sous deux minorités des orages très-alarmants, quoiqu’on eût vu sous ces deux règnes de grands changements et de grandes révolutions, des impositions auparavant inconnues, des factions, des batailles perdues, l’ennemi dans l’intérieur du royaume, des désastres publics de tout genre, aucune voix ne s’était élevée, durant un si long intervalle, pour réclamer les conseils de la nation dans ces moments de crise ; et cette grande pensée attendait pour éclore que le zèle du bien public dont le roi est animé, vînt devancer le vœu de ses peuples. A peine le roi a-t-il réuni les notables de son royaume, qu’il leur a proposé, par la seule inspiration de sa bonté, d’établir dans toute la France des assemblées provinciales, qui lui seront plus utiles sans doute que n’ont jamais pu l’être les États généraux. Ce nouveau lien d’intérêts, toujours subsistant entre le monarque et les peuples, a été béni dans tout le royaume, comme un grand bienfait national, qui suffirait pour immortaliser le règne de Sa Majesté. Des faits si récents attestent assez combien le roi aime à communiquer avec sa nation. Mais plus le roi se montre bon quand il se livre aux seuls mouvements de son cœur, plus il saura se montrer ferme quand il pourra entrevoir que l’on abuse de sa bonté .pour contester ses droits, ou pour exercer sur ses résolutions quelque apparence de contrainte. Après cette réponse que le roi devait à vos remontrances et à vos arrêtés, Messieurs, Sa Majesté veut faire connaître à son Parlement quelques détails sur les économies et les bonifications qu’elle vient d’opérer, et le convaincre de la certitude qu’elle a de subvenir à toutes les dépenses nécessaires. sans manquer à ses engagements. Toute la nation est témoin des retranchements et des sacrifices qu’a faits le roi pour rétablir l’ordre dans ses finances, ainsi que des mesures qu’il prend pour le perpétuer. La rigueur des économies est telle, Messieurs, que vous n’eussiez pas osé la demander vous-mêmes. Le compte des finances, que Sa Majesté a promis de faire publier tous les ans, va paraître dans les commencements de l’année prochaine ; èt chaque année il sera perfectionné par les précautions que Sa Majesté a ordonnées pour fixer et réduire les dépenses de tous les départements. Lé roi a arrêté qüe lé compte particulier du département de la guerre, le plus dispendieux de tous, et le plus susceptible de réforme, serait publié à part chaque année parle conseil delà guerre, qui va porter la lumière et l’économie sur tous les détails, Sa Majesté n’a encore que des aperçus généraux sur les départements si importants de la guerre et de la marine. Mais déjà le roi est assuré d’y trouver environ vingt-cinq millions d’économie, sans diminuer ses forces pour le double service de terre et de mer. . La retenue a laquelle le roi s’est déterminé à regret, pendant cinq années, sur les pensions, et qui est un impôt qu’il se voit obligé d’établir sur ses propres bienfaits, excédera cinq millions, Les retranchements sur les écuries du roi montent au delà de trois millions, Les dépenses de la maison du roi et de la famille royale ont déjà subi un retranchement de plus de deux millions; et celles de la maison de la reine ont été diminuées de neuf cent mille livres, par un travail personnel de cette auguste m princesse, qui, en ordonnant cette réduction prompte et volontaire, s’est empressée de marquer son zèle pour le bien public, Les bureaux du conseil, ou les bureaux particuliers des finances, ont fourni au roi une économie annuelle de sept cent mille livres. La dépense des bâtiments sera diminuée au moins d’un million dès l’année prochaine, et ramenée, comme toutes les autres, au niveau des besoins réels. Les arrangements arrêtés avec la recette générale, les fermiers et les régies, ont produit une bonification de trois millions. Les conventions stipulées avec les administrateurs de la poste aux lettres et de la poste aux chevaux, indépendamment des dédommagements passagers qu’elles nécessitent, augmentent le revenu du roi au moins d’un million. Si l’on ajoute à ces bonifications et à ces rth [lre Série, T» le*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introductibil.f formes les économies qui frappent sur des parties moins importantes, mais qui font masse par leur réunion -, - Si Ton y ajoute une réduction de neuf millions qu’on a retranchés de l’article des dépenses imprévues ; Si l’on y ajoute enfin les réformes qui vont être faites sur tous les détails qui en seront susceptibles, il sera évident qu’en suivant le même système d’ordre et d’économie, dont les effets sont incalculables, le roi surpassera, d’une manière fort supérieure aux espérances de la nation, les ressources qu’il comptait trouver dans l’économie. Il est vrai, Messieurs, que tous les bénéfices en ce genre ne sont pas effectifs pour le premier moment. Il est vrai encore que certains retranchements exigent des remboursements, qui les rendent d’abord plus onéreux que profitables au trésor public. Mais il n’en est pas moins démontré que ce bénéfice sera, dès l’année prochaine, assuré pour plus de cinquante millions, et qu’il doit s’élever encore au-dessus de cette somme dans les années suivantes. Je m’arrête ici, Messieurs, je ne peux plus me défendre d’une réflexion qui m’attendrit. Je m’estime heureux dans ce moment d’être l’organe de cette promesse du roi ; et je regarde comme le plus beau jour de ma vie celui où je peux annoncer à la nation, avec la plus ferme assurance, un si grand bienfait de son souverain. Pour donner à ses peuples une nouvelle preuve de son amour, Sa Majesté veut que l’on procède à la perception plus exacte des vingtièmes avec une modération qui rendra l’augmentation de cet impôt plus lente et moins productive. Mais’leroi ne regrettera jamais les tempéraments que lui suggérera sa bonté, pourvu qu’il puisse remplir ses engagements envers les créanciers de l’Etat. L’accroissement du revenu public né peut donc être que progressif. L’augmentation de l’impôt ne sera effective pour le trésor public qu’à la fin de l’année 1788. Les préparatifs de guerre, auxquels le roi s’est vu récemment obligé, pour assurer la conservation de la paix, ont encore augmenté les besoins et les dépenses de l’année courante, et ils nécessiteront un équivalent de fonds pour le remplacement. Toutes ces considérations et ces causes réunies ont obligé Sa Majesté d’élever le premier emprunt qui Ya S’ouvrir au-dessus de ceux qui le suivront. Ces emprunts ont été annoncés durant les délibérations de l'assemblée des notables, et le roi déclare aujourd’hui qu’ils se renouvelleront chaque année pendant cinq ans. mi Au défaut d’emprunt, il eût fallu nécessairement recourir à des impôts, ou à des suspensions, à des diminutions, dont la nécessité îâ plus absolue est toujours une source amère et féconde de regrets, d’injustices et de malheurs, sous quelques noms qu’on les déguise. Le seul inconvénient serait que ces emprunts ne répondissent pas aux besoins réels; mais tous les calculs certifient que leur quotité les surpassera ; et pour lors l’excédant sera employé à diminuer les services particuliers qui alimentent le trésor royal, et à éteindre les anticipations qui l’épuisent. L’emploi des excédants, s’ils ont lieu, sera connu par le compte publié annuellement, qui en énoncera l’application. Par la nature et l’étendue des engagements de l’État, il est prouvé à Sa Majesté que, sans sacrifier l’avenir au présent, des emprunts successifs employés à la libération du royaume, sous l’ins-pection-immédiate de la chambre des comptés, et combinés de manière à s’éteindre graduellement les uns par les autres, ne seront point une nouvelle charge pour la nation. Le roi fixera chaque année le taux de ces emprunts, et il en déterminera la forme de la manière la plus satisfaisante pour les prêteurs. Le plan adopté par le roi pour rétablir l’ordre et commencer la liquidation de l’État exige, pour son parfait développement, une période de cinq années. Toutes les opérations de finances sont réglées conformément à ce calcul. C’est dans cinq ans que doivent expirer les baux et les régies. C'est pour la durée de cinq ans que le roi a prorogé le second vingtième, qui était déjà établi jusqu’en 1790. C’est pour cinq ans qu’il a ordonné une retenue relative sur les pensions. Ces divers plans de Sa Majesté, qui se rapportent tous à une véritable unité de principes et de vues, sont développés dans le préambule de son édit avec une clarté et une loyauté qui doivent inspirer une confiance universelle. Ainsi la fortune publique sera évidemment assurée pendant ces cinq années; et dans cet intervalle, les économies se perfectionneront etpro-duiront tous les bénéfices qu’il est possible d’espérer sans illusion. La répartition égale des vingtièmes aura été établie par les assemblées provinciales. Des amélidrations utiles auront été exécutées, sans surcharger les peuples , dans toutes les branches des revenus publics. Et avant que cette période de la régénération des finances soit révolue, Messieurs, le roi se propose de communiquer à la nation assemblée tout ce qu’il aura fait pour sou bonheur, et les 268 [ire Série, T. !<*,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] mesures qu’il aura prises pour le rendre durable. Ce sera au milieu des Etats généraux de son royaume que Sa Majesté, entourée de ses fidèles sujets, pourra leur présenter avec confiance le consolant tableau de l’ordre établi dans ses finances; de l’agriculture et du commerce réciproquement encouragés, sous les auspices de la liberté; d’une marine redoutable, de l’armée régénérée par une constitution plus économique et plus militaire'; des abus détruits, d’un nouveau port formé dans la Manche pour assurer la gloire du pavillon français, des lois réformées, de l’éducation publique perfectionnée et florissante, du soulagement des peuples préparé par les nobles sacrifices du souverain; enfin de tous les établissements destinés à rendre indépendants _ des hommes, et stables comme la loi les divers genres de bien qui doivent perpétuer dans cet empire la félicité publique. Le grand acte de législation que le roi vient de vous annoncer, Messieurs, pour accorder un état civil à ceux de ses sujets qui ne professent pas la religion catholique, va concourir avec ses plans d’administration, dont vous venez d’entendre le développement, à la splendeur de la France et au bonheur des peuples. Le législateur, en observant les abus qui invoquent le remède des lois, a vu qu’il fallait nécessairement, ou proscrire de ses États la portion nombreuse de ses sujets qui ne professent pas la religion catholique, ou lui assurer une existence légale. Dans une pareille alternative, l’option du roi n’était pas difficile à prévoir ; et sa sagesse ne pouvait hésiter que sur le choix des moyens. Leroi a concilié, dans la nouvelle loi, les droits de la nature avec les intérêts de son autorité et de la tranquillité publique. Sa Majesté ne veut point d’autre culte public dans son royaume que celui de la religion catholique, apostolique et romaine. Cette religion sainte dans laquelle le roi est né, sous laquelle le royaume a été florissant, sera toujours la seule religion publique et autorisée dans ses États. Sa Majesté prescrit les formes légales qui doivent constater la naissance, les mariages et la mort de ses sujets non catholiques ; et elle borne sa justice à leur égard à ces facultés primitives, qui sont un droit sacré de la nature plutôt qu’un bienfait arbitraire de la loi. Toute la partie éclairée de la nation sollicitait ,depuis longtemps cette loi, que Sa Majesté n’a souscrite qu’après les plus mûres délibérations. Aux grands avantages qui doivent en résulter pour la population, pour l’agriculture, pour le commerce et pour les arts, se joindra encore celui de ne plus voir de contradiction entre les lois et la nature, entre les lois et les jugements des tribunaux, enfin entre les suppositions des ordonnances et l’évidence invincible des faits. Les sujets non catholiques du roi seront protégés par des lois qui assureront leur état, sans les rendre dangereux ; et la sage tolérance de leur religion, ainsi restreinte aux droits les plus incontestables de la nature humaine, ne sera point confondue avec une coupable indifférence pour tous les cultes. Mais pour ne laisser aujourd’hui, Messieurs, aucune de vos réclamations sans réponse, Sa Majesté veut vous communiquer avec bonté les motifs qui l’empêchent d’acquiescer aux vœux que vous avez portés au pied de son trône en faveur du Parlement de Bordeaux. Les principes généraux sur lesquels sont fondées vos respectueuses représentations ne sauraient s’appliquer aux circonstances actuelles. D’abord, Messieurs, une translation ne présente aucune irrégularité. Le roi n’a point interrompu l’exercice de la justice, en transférant son Parlement de Bordeaux, en corps de cour, dans l’une des villes de son ressort, avec toute la plénitude de ses fonctions. Nos souverains ont souvent assigné diverses résidences à cette même cour; et elle n’a vu jusqu’à présent aucune infraction à la capitulation de la Guyenne, dans les ordres du roi qui l’ont éloignée pendant plusieurs années de la capitale de cette province. Mais cette compagnie, qui semble vouloir ainsi disputer à son souverain le droit de la transférer quand le bien de son service l’exige, se croit-elle donc autorisée à exercer ses fonctions sans la participation du roi, et à se transférer elle-même hors de la ville de Bordeaux ? Il est difficile de ne pas lui attribuer cette étrange inconséquence, quand on lit les divers arrêtés qu’elle a publiés. Une pareille prétention n’a besoin que de se manifester pour être confondue. Puisque vous n’avez vu d’abord, Messieurs, dans cette translation, également sage et légale, qu’un acte purement arbitraire, des réflexions plus approfondies vous convaincront que l’autorité se devait à elle-même un tel exercice de ses droits, et qu’elle a dû donner au Parlement de Bordeaux cette marque publique de son mécontentement. Ce Parlement n’a pas osé s’élever ouvertement contre le vœu unanime du royaume qui demande les assemblées provinciales ; mais il a prétendu qu’il ne pouvait pas vérifier l’édit de leur établissement, jusqu’à ce que le roi eût fait présenter à l’enregistrement le règlement définitif qui doit en déterminer la forme et en régler les facultés. Le roi a déjà publié un règlement provisoire pour les assemblées provinciales, et il a déclaré qu’il le consacrerait irrévocablement par l’enregistrement dans ses cours, lorsque l’expérience de [lie Série/ T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] quelques années en aurait garanti les dispositions. Une circonspection si paternelle ne semblait devoir exciter dans la magistrature que des applaudissements et des hommages de reconnaissance. Sa Majesté a considéré, en effet, que ces assemblées naissantes et soumises à des essais incertains n’étaient pas encore susceptibles d’une constitution invariable ; Que, formées d’abord par le choix du roi, elles avaient besoin de se renouveler par des élections, pour recevoir leur forme morale et représenter le vœu des peuples; Qu’il ne fallait pas se priver des lumières de l’expérience, en adoptant avec précipitation un règlement exposé à toutes les représentations des assemblées provinciales ; Que déjà les observations et les demandes des provinces et des Parlements n’étaient pas uniformes ; Enfin que dans trois ans les assemblées provinciales auraient leur organisation, et que le législateur devait s’être assuré des bons effets d’un règlement public, avant de lui ‘donner sans nécessité la sanction des lois. Vous avez senti, Messieurs, la sagesse et l’évidence de ces considérations. Les mêmes observations ont suffi pour rassurer le Parlement de Rouen. Vous n’avez vu aucun piège caché dans la prudence du Gouvernement, et vous n’avez point montré à votre roi cette méfiance offensante, qui calomnie ses intentions en méconnaissant ses bien faits. Loin d’imiter l’exemple de soumission et de confiance que vous lui avez donné, le Parlement de Bordeaux a répondu à l’édit et aux ordres réitérés du roi par un arrêt de défense, qu’il a fait signifier aux assemblées provinciales, de se former dans son ressort. C’est un attentat également contraire à la raison, au bien public, au respect du à Sa Majesté, et à l’obéissance qu’elle a droit d’attendre de ses tribunaux. Quand nos rois ont établi les Parlements, Messieurs, ils ont voulu instituer des officiers chargés de la distribution de la justice et du maintien des ordonnances du royaume, et non pas élever dans leurs États une puissance rivale de l’autorité royale. Sa Majesté examinera, avec l’amour de la vérité qui la caractérise, les remontrances que son Parlement de Bordeaux vient de lui adresser ; mais c’est de sa seule soumission aux ordres qui lui ont été notifiés que cette compagnie doit attendre le retour des bontés du roi. » Après ce discours, on fit lecture du premier édit portant établissement d’emprunts graduels et suc-sessifs jusqu’à concurrence de 420 millions, pour lès années 1788, 1789, 1790, 1791, 1792. Lecture faite, M. le premier président recueillit 269 les voix en la manière accoutumée , les opinions furent très-motivées et durèrent sept heures. MM. Robert, F réteau, Duval d'Éprémesnil se firent surtout remarquer par une éloquence aussi forte que respectueuse. Ge dernier parut même avoir tellement parlé au cœur du souverain, que tous les membres de l’assemblée crurent, pendant quelques instants, que Sa Majesté allait se rendre à la demande pressante que lui faisait ce magistrat de prononcer la convocation des États généraux. Les avis ayant été donnés, M. le premier président attendait l’ordre du roi pour compter les voix, lorsque M. le garde des sceaux étant monté. vers Sa Majesté, la séance fut, à cet instant, transformée en lit de justice. Descendu à sa place, M. le garde des sceaux prononça l’enregistrement, sans que les avis eussent été réduits et les voix comptées. La cour , toutes les chambres assemblées , le roi , les princes et pairs y séant, oui et ce requérant le procureur général du roi , a ordonné et ordonne que l'édit portant, etc... soit enregistré au greffe de la cour , etc... suivant l'arrêt de ce jour. Cette forme illégale et inusitée excita la juste réclamation de M. le duc d’Orléans, lequel, adressant la parole au roi, lui dit : « Sire, je supplie Votre Majeété de permettre que je dépose à ses pieds et dans le sein de la cour la déclaration que je regarde cet enregistrement comme illégal, et qu’il serait nécessaire, pour la décharge des personnes qui sdnl censées y avoir délibéré, d’y ajouter que c’est par exprès commandenjent du roi. » Le roi a répondu : « L’enregistrement est légal, puisque j’ai entendu les avis de tous. » Puis, après avoir fait faire lecture de l’édit concernant les non catholiques, le roi a ordonné qu’il fût procédé le lendemain à son enregistrement. Sa Majesté est sortie, accompagnée des princes et des magistrats, en la forme ordinaire. M. le duc d’Orléans et-M. le duc de Bourbon rentrés à la chambre, on délibéra sür ce qui venait de se passer à la séance, et il a été arrêté ce qui suit : « La cour, considérant l’illégalité de ce qui vient de se passer à la séance du roi, ôù les voix n’ont pas été réduites en la manière prescrite par les ordonnances, de sorte que la délibération n’a pas été complète, déclare qu’elle n’entend prendre aucune part à la transcription, ordonnée être faite sur ces registres, de l’édit portant établissement d’emprunts graduels et successifs pour les années 1788, 1789, 1790, 1791, 1792; sur le plus a continué la délibération au premier jour. » Ainsi se termina cette séance. On apprit le lendemain que M. le duc d’Orléans avait été exilé dans sa terre du Raincy, que MM-Duval, Robert, Sabathier et Fréteau étaient compris dans sa disgrâce, [ire s�ie, T. Ie1'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ' [Introduction.] - 370 Le 21 novembre le roi ayant mandé à Versailles la grande députation de son Parlement, elle s’y rendit en la forme ordinaire. Les députés entrés en la chambre du roj, ga Majesté leur a dit : a Je, vous ai ordonné de m’apporter la minute de l’arrêté que vous avez pris lundi, après ma séance au Parlement. « Je ne dois pas le laisser subsister dans vos registres, et je vous défends de le remplacer d’aucune manière. « Gomment mon Parlement peut-il dire qu’il n’entend prendre aucune part à un enregistrement que je n’ai prononcé qu’après avoir entendu, pendant sept heures, leur avis, et l’ppinion de tous ceux de ses membres qui ont voulu la donner, et lorsqu’il est constant pour tous comme pour moi que la pluralité des suffrages se réunissait pour l’enregistrement de mon édit, en y joignant des supplications pour hâter la tenue des Etats généraux de mon royaume? « J’ai dit que je les convoquerais avant 1792, c’est-à-dire au plus tard en 1791 : ma parole est sacrée, « Je me suis rapproché de vous par confiance, et dans cette forme antique, si souvent réclamée par mon Parlement auprès des rois mes prédécesseurs. « Et dans le moment où j’ai bien voulu tenir mon conseil au milieu de vous sur un objet d’administration, vous essayez de le transformer en un tribunal ordinaire, et de présenter de l’illégalité dans son résultat, en invoquant les ordonnances, pour le soumettre et moi-même à des règles qui ne regardent que les tribunaux daps l’ exercice habituel de leurs fonctions, « Les réclamations de mes cours ne doivent me parvenir que par des représentations ou des remontrances respectueuses, et je désapprouverai toujours les arrêtés sur leurs registres, qui constatent leurs oppositions à ma volonté sans m’en dire les raisons, ou leurs résolutions sans m’en donner les motifs, » Ensuite M. le premier président a eu l'honneur d’adresser la parole au roi ep ces termes : « Sire, votre Parlement se rend à vos ordres, Il a été instruit ce matin, à l’ouverture de sa séance, qu’un prince auguste de votre sang avait encouru votre disgrâce ; que deux conseillers de votre cour sont privés de leur liberté. Votre Parlement consterné supplie très-humblement Votre Majesté de. rendre au prince de votre sang, et aux magistrats, la liberté qu’ils n’ont perdue que pour avoir dit librement ce que leur ont dicté, en votre présence, leur devoir et leur conscience, et dans une séance où Votre Majesté a annoncé qu’elle venait recueillir des suffrages libres, » Le roi lui a répondu : « Lorsque j’éloigne de ma personne un prince de mon sang, mnn Parlement doit croire que j’ai de fortes raisons, « J’ai puni deux magistrats dont j’ai dû être mécontent. » Malgré les coups d’autorité et les proscriptions de la cour, le Parlement, fort de l’opinion publique, continuait à avoir une grande influence. Les ducs et pairs, accoutumés au droit de prendre séance quand ils le jugeraient convenable, s’en virent à regret privés par un ordre du roi du 22 novembre ; le Parlement, de son côté, saisit cette occasion de secouer le joug de cette préséance. Des contestations s’élevèrent à ce sujet, ét donnèrent lieu et à des demandes réitérées de la part des pairs, et à des remontrances dn Parlement. Mémoire présenté au roi, par les pairs du royaume, le 24 novembre 1787. Sire, Les pairs de votre royaume, jaloux de donner à vos peuples l’exemple de l’obéissance qui vous est due, n’ont pas balancé à se conformer à vos désirs, en s’abstenant d’aller à rassemblée des chambres du 22 de ce mois, conformément à la lettre qui leur a été écrite, la veille, de la part de Votre Majesté-Mais, en exécutant la volonté de Votre Majesté, qu’ils ont regardée comme un ordre, et qui ne peut avoir d’autre caractère, ils ont espéré qu’elle n’en serait que mieux disposée à écouter favorablement les représentations respectueuses qu’il ont à lui faire. Les pairs supplient Votre Majesté de considérer que l’une des plus précieuses prérogatives de la pairie est la faculté d’aller librement et sans obstacle au Parlement, pour y remplir les-fonctions attachées à leur dignité, toutes les fois qu’ils le veulent ; tel est le droit des pairs. Ce droit leur est enlevé par la lettre que Votre Majesté leur a fait écrire. En effet, d’après la connaissance qu’ils ont par cette lettre, que Votre Majesté désire qu’ils s’abstiennent d’aller au Parlement jusqu’à ce qu’elle leur ait fait connaître des intentions contraires, ils ne peuvent point y aller prendre leurs places. Ils se croiraient dans l’impuissance de le faire, quand même la lettre ne porterait pas expressément que Votre Majesté ne doute pas qu’ils ne s’y conforment, Mais ces expressions leur en font une loi. Cependant Votre Majesté déclare qu’elle n’entend point porter préjudice auA prérogatives de la pairie. Cette déclaration serait bien précieuse aux pairs, si elle n’était pas contredite et même détruite dans ses effets par le contenu même de la lettre. Daignez observer, Sire, que le droit d’aller siéger au Parlement, qui appartient aux pairs, consiste spécialement dans une faculté perpétuelle dont ils doivent avoir toujours l’usage, et dent [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] l’essence est de pouvoir être exercée à chaque instant. Ce droit ne peut donc être arrêté, suspendu ou retardé, soit par des ordres formels, soit par la certitude de déplaire à Votre Majesté, qui est plus forte que tous les ordres, sans éprouver une véritable altération. Toute gêne dans son exercice en attaquerait le fond même -, il n’existerait plus, s’il n’était parfaitement libre. Ainsi l’assurance donnée au nom de Votre Majesté, qu’elle n’entend point porter préjudice aux droits de la pairie, ne peut être d'aucun secours aux pairs dans la circonstance actuelle. Il sera toujours vrai, si Votre Majesté ne lève pas l’obstacle qu’elle a mis aux fonctions des pairs, qu’ils auront été privés, par l’effet de votre volonté, de l’exercice actuel d’un droit qui ne peut jamais être suspendu. Les pairs ne mettront pas, Sire, sous les yeux de Votre Majesté les preuves multipliées du droit qu’ils réclament, et de. son libre exercice dans tous les temps; il suffira, pour déterminer Votre Majesté à leur rendre cette liberté précieuse, de lui rappeler que, dans une semblable circonstance, le feu roi, votre auguste aïeul, après avoir déclaré, comme Votre Majesté l’a fait aujourd’hui, qu’il n’avait point entendu préjudicier aux privilèges attachés à la pairie, en défendant aux princes et pairs d’aller au Parlement pour une affaire particulière, se rendit aux réclamations respectueuses des princes et pairs, et aux remontrances de son Parlement, et reconnut authentiquement la nécessité de laisser aux princes et pairs l’usage perpétuel, et non interrompu, de leurs séances. Voici les termes de la réponse qu’il fit au Parlement le 13 juin 1758 : « Je vous charge de dire à mon Parlement que je n’ai jamais entendu donner aucune atteinte au droit qu’ont les princes de mon sang et les pairs de mon royaume, d’y venir prendre leurs places toutes les fois qu’ils le voudront, ou qu’ils y seront invités par mon Parlement; je compte trop sur la fidélité de tous ceux qui le composent, pour n’être pas persuadé qu’on n’usera jamais de ce droit que pour le bien de mon service. » Il fut fait registre au Parlement de cette réponse, et le premier président fut chargé par le Parlement, les princes et pairs y séant, d’en témoigner au roi sa reconnaissance. Le roi eut la bonté de répondre qu’il était satisfait des témoignages de la reconnaissance de son Parlement. Cette déclaration, Sire, est précise sur l’étendue du droit que les pairs réclament, d’aller au Parlement toutes les fois qu’ils le voudront, suivant les propres termes de votre auguste aïeul. Aujourd’hui ce même droit, dont Votre Majesté reconnaît l’existence, est enchaîné par une suspension indéfinie; d’après la lettre écrite aux pairs, au nom de Votre Majesté, ils doivent, jusqu’à cp qu’elle leur ait fait connaître des intentions con-271 traires, s’abstenir de toutes les assemblées des chambres qui sont ou pourraient être indiquées par la suite. Cette suspension, illimitée dans son objet, et indéfinie dans sa durée, est une interdiction de fait; elle emporte la privation pour un temps des plus importantes fonctions des pairs. Justement alarmés. Sire, des conséquences de cette privation douloureuse, ils vous supplient de vouloir bien leur rendre l’intégrité de leurs droits et la liberté d’en jouir en tout temps, comme. le feu roi les en a assurés par sa réponse du 13 juin 1758, et comme ils en ont toujours joui jusqu’à présent. Daignez, à l’exemple de votre auguste aïeul, compter assez sur la fidélité des pairs pour être persuadé qu’ils n’useront jamais de ce droit que pour le bien de votre service ; ne les privez pas de cette confiance glorieuse que le feu roi leur a témoignée, et qu’ils n’ont pas mérité de perdre. Il est même très-important, Sire, pour le bien de votre Service, que Votre Majesté daigne rendre, sans délai, aux pairs la justice qu’ils lui demandent, parce qu’ils se trouvent liés à une délibération ordonnée par Votre Majesté elle-même, dans la séance du 19 de ce mois, et remise au mercredi 28 ; délibération dont l’objet, si intéressant pour l’ordre public, et pour les vues de bienfaisance dont Votre Majesté est animée pour tous ses sujets, mérite toute l’attentipp de la cour des pairs. Votre Majesté ne youdra pas priver leg pairs d’y concourir par leurs suffrages, après leur avoir ordonné d’y participer avec le reste du Parlement, Mais, Sire, il s’agit moins ici de l’intérêt des pairs aqtueis, de leur gloire, de leur zèle à vous servir en toute occasion dans votre Parlement, que de l’essence de leur dignité, dont ils ne peuvent disposer. La réclamation actuelle est pour eux d’une nécessité absolue ; il s’agit ici d’un droit essentiel, inhérent à la pairie, dont ils sont comptables envers vous, Sire, envers l’État entier et envers leurs successeurs, auxquels ils doivent transmettre leur pairie dans l’intégrité de leurs droits, sans altération ni diminution. Leur séance les oblige à maintenir leurs prérogatives; le res-pect qu’ils doivent aux ordres de Votre Majesté ne peut les dispenser de ce devoir rigoureux, que leurs prédécesseurs ont toujours rempli avec scrupule et avec courage. Les droits de la pairie sont inaltérables ; ils appartiennent plus à la nation qu’aux pairs mêmes. Les pairs seraient répréhensibles s’ils négligeaient de s’opposer aux moindres innovations dans les droits et les fonctions d’une dignité si essentielle, liée à la constitution de la monarchie. Enfin, Sire, qu’il soit encore permis aux pairs de porter au pied du trêne le sensible regret qu’ils éprouvent, par la suspension de leurs fonc- [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 272 lions au Parlement, de n’avoir pas pu se joindre à cette compagnie pour implorer les bontés de Votre Majesté en faveur du premier prince de son sang, qui est tombé dans sa disgrâce, et de deux magistrats qui viennent de perdre leur liberté. La voix de la cour des pairs, dont ils sont tous membres, aura sans doute plus de force sur le cœur paternel de Votre Majesté, que la réclamation isolée des pairs ; c’est surtout ce qui les afflige dans la séparation que Votre Majesté a mise entre eux et cette cour auguste, dont vous êtes le chef ; mais c’est un devoir pour eux de chercher à intéresser Votre Majesté pour un prince qui est un des pairs-nés du royaume, et pour des magistrats dont ils partagent les fonctions dans le Parlement. On ne peut, dans les circonstances actuelles, séparer leurs intérêts de ceux de la pairie. Souffrez donc, Sire, qu’en vous suppliant de rendre à la pairie son activité entière, et de rompre les barrières qui privent les pairs de l'exercice de leurs fonctions, ils osent vous demander seuls, comme ils auraient désiré de le faire avec le Parlement, le retour des bonnes grâces de Votre Majesté pour un prince digne de vos bontés, et la liberté des deux magistrats que leur compagnie réclame avec intérêt et attendrissement. Signatures des ducs et pairs. V évêque comte DE BEAUVAIS, le duc DE SULLY, le duc DE Luynes, le duc DE Brissac, le duc de Fronsac, le duc DE Mortemart, le maréchal duc de No ailles, le duc d’Aumont; Béthune, duc de Charost ; V archevêque de Paris , duc de Saint-Cloud; le duc d’Harcourt, le duc de Fitz-James, le duc de Villars-Brancas, le duc D’AlGUILLON, le maréchal duc DE DURAS, le duc DE PRASLIN, le duc DE LA ROCHEFOUCAULD. Le roi ayant pris en considération le mémoire que les pairs ont eu l’honneur de lui présenter, Sa Majesté leur a permis de tenir leur séance au Parlement le 7 décembre 1787. La cour a arrêté que les représentations faites aujourd’hui par elle seront portées demain au roi, par MM. les commissaires précédemment nommés, pour en avoir sa réponse. Au surplus continue l’assemblée à lundi prochain, 10 heures du matin. Le lit de justice du 19 septembre, et les coups d’autorité qui en furent Ja suite, furent le signal de nouvelles récriminations du Parlement, et Je commencement d’une longue guerre de remontrances et d’édits. Nous allons faire connaître les principales de ces pièces. Représentations du Parlement au roi, du 8 décembre 1787. Sire, votre Parlement, les princes et les pairs y séant, nous a chargés de porter au pied du trône ses respectueuses représentations sur la réponse de Votre Majesté à ses supplications. Les vrais magistrats et les bons citoyens sont également consternés des reproches qu’elle renferme, et des principes qu’elle manifeste. Nous sommes loin d’attribuer ces reproches aux sentiments personnels de Votre Majesté. Il serait bien affligeant qu’elle désapprouvât une exagération pardonnable dans le premier moment de la douleur et de l’effroi. La décence publique n’était sans doute que trop blessée dans le choi� des exécuteurs de vos ordres. S’ils n’ont pas poussé l’atrocité jusqu’à porter leurs mains sur la personne d’un de vos magistrats , l’exposition des autres faits , loin d’être exagérée, est incomplète, et votre Parlement aurait dû ajouter que ce magistrat, dont la maison était investie par des hommes armés, livré lui-même à des suppôts de la police comme un malfaiteur, s’est encore vu réduit à l’humiliation d’essuyér plusieurs fois les -interpellations d’un commissaire, sur sa soumission aux ordres de Votre Majesté. Qu’il nous soit permis, Sire, de vous représenter qu’en nous dévouant au service public, en promettant d’acquitter Votre Majesté de sa première dette envers la nation, celle de la justice ; en lui consacrant nos veilles, nos fortunes, notre existence ; en élevant nos enfants pour les mêmes sacrifices, nous n’avons pas cru nous destiner, et nos enfants, à de pareils malheurs, moins encore à de pareils outrages. Cependant nous venons moins réclamer les bienséances que les lois. Ce n’est plus seulement à votre humanité que nous nous adressons, ce n’est point une grâce que votre Parlement vient solliciter, il revient, Sire, vous demander justice. Cette justice a des règles indépendantes des volontés humaines, et les rois mêmes y sont assujettis. Henri IV reconnaissait qu’il avait deux souverains : Dieu et la loi. Une de ces règles est de ne condamner personne sans l’entendre ; elle est de tous les temps, de tous les lieux ; c’est le devoir de tous les hommes, et Votre Majesté nous permettra de lui représenter que ce devoir l’obligerait autant que ses sujets. � Mais Votre Majesté n’a pas même à le remplir, et c’est ici que votre Parlement aime à lui rappeler son plus beau droit, celui de faire grâce aux criminels condamnés. Les condamner elle-même n’est pas une des fonctions de Votre Majesté ; cette pénible et dangereuse fonction, le roi ne peut l’exercer que par ses juges ; et les personnes qui se plaisent à voir sortir de la bouche de Votre Majesté ce redoutable mot de punition, qui lui conseillent de punir sans entendre, de punir elle-même, d’ordonner des exils, des enlèvements, des emprisonnements-, qui supposent que la [l‘'e Série, T. ier.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. llntroduction.] bonté peut se mêler à ces actes effrayants, blessent également l’éternelle justice, les lois du royaume, et la plus douce prérogative de Votre Majesté. Elle ne permet pas que les opinions de la séance soient même présentées comme les motifs de sa rigueur, et c’est en quelque sorte une consolation pour votre Parlement. Mais si de fortes raisons motivent l’exil de M. le duc d’Orléans ; si c’est une bonté que de ne pas laisser deux magistrats exposés à périr dans des prisons étroites ou dans des lieux malsains ; s’il faut qu’à leur égard ce soit l’humanité qui tempère la justice, ils sont donc bien coupables ! C’est à votre Parlement de les juger ; nous demandons seulement que leurs crimes soient connus. Le dernier de vos sujets n’est pas moins intéressé au succès de nos réclamations que le premier prince de votre sang. Oui, Sire, non-seulement un prince de votre sang, mais tout Français puni par Votre Majesté, et surtout puni sans être entendu, devient nécessairement le sujet de l’a-larme publique. La liaison de ces idées n’est pas l’ouvrage de votre Parlement, elle est celui, de la nature, elle est le cri de la raison, elle est le principe des plus saintes lois; de ces lois qui sont gravées dans toutes les consciences, qui s’élèvent dans la vôtre, et nous assurent l’approbation intime de Votre Majesté ; de ces lois qui ne séparent point, dans les vues d’ordre public, la liberté des citoyens d’avec l’autorité du prince, et placent la sûreté personnelle à la tête de toutes les propriétés ; de ces lois enfin que de fidèles ministres n’oseraient pas combattre, parce qu’on ne peut les violer , suivant les magnifiques expressions de M. Bossuet, sans ébranler les fondements de la terre, et préparer la chute des empires. La cause de M. le duc d’Orléans et des deux magistrats est donc, sans nous, par la seule force de ces principes, la cause du trône, dont la justice est l’unique fondement, et dç la nation, qui ne peut être heureuse que par la justice. C’est au nom de ces lois, qui préservent les empires, au nom de cette liberté, dont nous sommes les interprètes respectueux et les modérateurs légitimes, au nom de voire autorité, dont nous sommes les premiers et les plus sûrs ministres, que nous osons réclamer le jugement ou la liberté de M. le duc d’Orléans et des deux magistrats, éloignés, emprisonnés par des ordres surpris, aussi contraires aux sentiments qu’aux intérêt de Votre Majesté. Assemblée tenue en la grand’ chambre, les ducs et pairs y séant , du 10 décembre 1787. La cour a arrêté que quatre commissaires par elle nommés se transporteront cejourd’hui près la personne de Sa Majesté, à l’effet de lui présenter les supplications qu’elle a arrêtées vendredi lr* Série, T. 1er. 273 dernier, lesquels commissaires rendront compte de leur mission et de la réponse du roi. Réponse du roi. « Je ferai connaître mes intentions à mon Parlement. » - Arrêté du Parlement , toutes les chambres assemblées , les princes et pairs y séant, du 10 décem-. bre 1787. La cour a continué la délibération à vendredi, pendant lequel temps M. le premier président ne cessera pas d’employer ses bons offices auprès du roi. Récit fait par un de Messieurs, en Parlement , toutes les chambres assemblées , les pairs y séant , le mardi 29 avril 1788(1). Messieurs, j’ai l’honneur de déférer à la cour un abus contraire aux lois et à la tranquillité des citoyens ; cet abus est notoire, et je crois qu’il est important que la compagnie s’occupe des moyens d’en prévenir les suites fâcheuses. Des particuliers, connus sous le nom de contrôleurs des vingtièmes , munis d’ordres ministériels, sont répandus dans les campagnes ; ils parcourent plusieurs provinces du ressort de la cour, ils adressent des ordres circulaires aux syndics des paroisses ; j’ai copie de la formule de ceux dont ils se servent en Poitou: on voit au pied la signature, Saillard, contrôleur des vingtièmes ; et plus bas, ce 30 mars 1788. De telles recherches ont toujours été proscrites avec la plus grande sévérité ; et la cour n’a jamais cessé de s’élever contre celles qui avaient été faites secrètement, en vertu d’ordres particuliers, ou même de amples lettres ministérielles. Telle a été la marohe constante du Parlement, depuis le premier établissement de ce genre de subsides, comme depuis son renouvellement en 1749. 11 serait inouï qu’on voulût profiter de quelques expressions plus ou moins claires de l’édit de septembre 1787, portant prorogation du second vingtième pendant les années 1791 et 1792, pour en induire que cet édit renversé tous les principes en matière d’impôt, et détruit toutes les lois antérieurement rendues sur les vingtièmes. Ces principes, ces lois, sont bien connus ; je vais.succinctement les parcourir. Le second vingtième fut ajouté, pour la première fois, au premier vingtième, dont la levée avait été ordonnée par édit du mois de mai 1749, par la déclaration du 7 juillet 1756, « pour ne durer qu’autant que la continuation de la guerre rendrait ce secours nécessaire, pour cesser trois mois après la publication de la paix, et pour être (1) Ce récit a été la cause de la disgrâce de M. Gois-lard, et de son enlèvement, dont on trouve ci-après les détails. 18 274 [ire Série, T. 1er.] ARGRIYRS PARLEMENTAIRES. [Introduction.! levé dans la même forme et dans les termes qui avaient été prescrits, par l’édit de mai 1749, pour le premier vingtième. » Ce sont les termes Ru textp de qette déclaration, qui fixe la durée du premier vingtième a dix années seulement, est-il dit, à compter du jour de la publication de la paix. Gette déclaration, qui semblait poser un terme certain au delà duquel le premier vingtième ne pourrait jamais être prorogé, et qui, loin d'ordonner de nouvelles vérifications et augmentations dans les cotes des contribuables, se référait au second vingtième de la masse des revenus déjà soumis au premier vingtième, ne fut cependant pas enregistrée en la cpijr, mais publiée aq phâ-tegq Re Versailles, le rpi tenant §on tjt de justice, le 26 août 1756. En 1767 le roi demanda de nouveau la levée du second vingtième, d’abord pour quatre années et demie, et, sur les représentations de la cour, Sa Majesté se borna à deux années. Ge fait est constaté par l'édit du mois de juin, portant établissement (1) de ce second vingtième pendant les années 1768 et 1769; et quoique le Parlement eût alors obtenu une abrogation de deux années et demie , il n’enregistra néanmoins cèt édit qu’à « la charge que le premier et le second vingtième, tant qu’ils auront lieu, seront perçus sur les rôles, dont les cotes ne pourront être augmentées, à peine contre les contrevenants d’être poursuivis extraordinairement par-devant les juges qui en doivent connaître. » La compagnie observe ensuite que le payement du second vingtième pendant deux années est le dernier effort que puissent faire les peuples, et (jue sa résistance à 'l’enregistrement de l’édit de mai précédent,' et aux deux lettres de jussion y relatives, est fondée sur ce que le Parlement était intimement convaincu que les peuples ne pourraient supporter, pendant un aussi long temps que qqatre années et demie, une imposition aussi onéreuse. Cependant un édit du mois de décembre 1768, publié en lit de justice, prorogea la perception de ce second vingtième pendant les deux années et demie dont le roi avait consenti là révocation par celui de juin 1767. C’est ainsi que sa prorogation se trouva arbitrairement fixée jusqu’au 1er juillet 1772. Nous étions alors ’à cette époque où les lois furent renversées et le Parlement dispersé; et l’On trouve parmi les monuments qui la caractérisent l’édit de novembre 1771, qui semble vouloir transformer ce subside momentané en reve-(1) Quoique, dans le fait, l’édit de juin 1767 a if prorogé et fion .établi Ie second yjjqpièxne, on se sert ici de l'expression établissement ,' parce5 que la déclaration du 7 juillet 1756, qui a, de fait, établi le deuxième vingtième, n’a jamais été librement enregistrée/mais seulement publiée eri lit de justice. nus permanents de l’État, et qui proroge le second vingtième jusqu’au 1er janvier 1781. Mais l’édit de février 1780 succéda à celui-ci, et fut soumis à �enregistrement de la cour ; dès ce moment les principes furent rappelés et les droits du peuple respectés. Cet édit ordonne que le second vingtième continuera d’être perçu jusqu’au dernier décembre 1790 ; c’est celui qui régit aujourd’hui le second vingtième existant jusques et compris 1790. Qu’il me soit permis de rappeler les dispositions qu’il contient, et celles de l’arrêt de son enregistrement, rendu, toutes les chambres assemblées, le 25 février 1780. L’article 1er porte, comme je viens, Monsieur, d’avoir l’honnëur de le dire : « Le second vingtième continuera d’être perçu jusqu’au dernier décembre 1890 inclusivement ; voulons que les cotes des propriétaires dont le règlement aura été fait, a compter du 1er janvier 1778, ne puissent, sous quelque prétexte que ce soit, être augmentées ni examinées de nouveau, pendant le cours des vingt années qui suivront ledit règlement, si les vingtièmes , ou partie d’iceux , continuent d’avoir îieu pendant ledit temps. » L’arrêt porte : « Registré sans aucune approbation des vérifications et augmentations mentionnées ou indiquées dans l’article 1er. « Se réserve ladite cour de supplier le roi, à la cessation des hostilités, de fixer un terme au premier vingtième, et d’abréger la duréè du second.» Ainsi le Parlement n’a jamais varié dans ses principes. En 1767 il enregistre, pour la première fois, et pour deux années seulement, l’établissement du second vingtième, à la charge que les cotes, et du premier et du second vingtième, ne pourront être changées ni augmentées. En 1768 cet impôt est prorogé d'autorité arbitraire jus’- qu’au 1er juillet 1772; cependant le mode de sa perception reste le même ; on ne songe point alors, dans ces moments si favorables à l’extension, à donner la moindre atteinte aux modifications précédemment apportées par la cour. En 1780 le roi lui-même semble regretter l’extrême rigueur et les vexations injustes et illégales qui avaient été le résultat de l’exécution de son édit de novembre 1 771 ; et de lui-même il demandé (c’est le premier article de l’édit de 1780) que ses sujets vexés en 1778 par les gens du fisc jouissent du repos que les lois devaient leur assurer pour toujours pendant vingt années. Le Parlement enregistre l’édit de 1780 ; mais dans son arrêt, rappelant les lois anciennes et se conformant à l’édit de 17$7> ?! $e£pj*j|pf (ainsi ; Sans approuver les vérifications ej qg.grpçntations mentionnées ouindiqué es par l'article lef,.C étaitdire qu’on n’avait pas eu le droit de changer les cotés en 1778, et qù’on n’avait pas celui de changêr celles qui ne l’auraient pas'éneoré été. [ire Série, T. 1er.} ARÇ:$YES M|iy:pNT4lRES. [Introduction.} Les qi$ôifijçations apposé!! aux lpis que je viens de citer fout partie intégrante de ççs mêrnés lois. Ces modifications sont conformes aux prinç.\po�, et ces principes sont qye l’impôt é tapli par Vétyp ÿe mai 1749, n’était pas de nature à croître progressif vement avec les revenus, des, contribuables, La cçmpagnie. l’a établi dans ses remontrances et itératives remontrances de l’année 1778. Elle y observe que « la teneur des édits est uniforme depuis 1710 jusqu’en 1775; » et, sur cette même prétention, que Véçfit cje 1749, auquel on reconnaissait que celui de i?7i serait référé ,, pprte expressément que les vingtièmes seraient proportionnés aux revenus des contribuables , le Parlement s’exprime ainsi : « Quanq on verrait, ce qui n’est pas, dans l’édit de, 1749, la proportion mathématique du vingtième aux feyenus, érigée eu règle par une disppsitipo précise., il faudrait encore y trouver ytmstmmdt-tiçn progressive des revenus, ordonnée d'avance , pour' justifjex les opérations entreprises depuis 1771, et qui ont augmenté les vingtièmes de près de dix millions. « C’est ce qu’on ne voit pas dans l’édit de 1749; l’article XIV en rejette l’idée ; tous les édits posr térieurs y résistent. « Votre Parlement, §àre, a éfôbji, dans ses premières remontrances, que, la proportion progressive, était un principe désavoué par la loi, par la justice et par la saine politique, « Pqpla, saine politique, à l’égard des campagnes, où l’un verrait hientât l’agriculture abandonnée, et le lundi manquer au subside, si c’était une maxime d’État que le fisc dût entrer en compte, et se. mettre en partage des fruits progressifs. de rindnstrie çfn propriétaire (1), « Par la justice, qui ne permet pas, que les subsides aient POue bases les revenus des contribuables, mais les besoins réels et PfQuyés. de l’État ; autrement, Sire, Vo,tre Majesté serait formellement copropriétaire des biens de ses sujets ; et yotre Parlement présume que l’administration sera toujours trop éclairée sur l’intérêt de vos finances, inséparable de celui de vos sujets, pour établir cette copropriété destructive de tous les deux. « Enfin par la loi, qqi déclare définitifs en 1742 les rôles pro visoires de 1741, les confirme en 1749, les fixe en 1763, les maintient de 1767, 1768, s’y réfère en 1771 (2). » (1) Suivant un calcul extrait dp rôle des impositions, cité par le Parlement dans ses remontrances de 1778, on vofi 9U? dès ÇOtte ép.0.5ae le propriétaire versait 10 sous danslles coffres du roi, par lui ou par son fermier, sur fô.' nôn’ dedtitts les cbarges ' ïoiicièfes, les réparations , droits d’aide, etc. &) Yoiçi comment le Parlement justifiait en 1778 la liberté qüi doit régner dans les Üècîaraiionis. des propriétaires, relatiyeïüent à l’imposition des vingtièmes : « yotre Parlement, Sire, s’acquitte du premier de ses devoirs, en s’élevant, avec persévérance, pour le maintien dés lois et l'avantage de la nation, contre up plan 273 Il me semble, Man lieux, qu’il est démontré qnq la nature du vingtième s'oppose à progression, qu’iljn’a jamais été destiné à s’ accroître parallèlement avec le retenu dfi çoniribua,ble ; « ce serait faire naître je besoin dé l’impôt, aq lieu, que l’impôt ne doit exister que pow le besoin (11, ». Tou| nos rois ont taçooqu ççtte vérité; opt ' toujours promis d’abolir les vingtième et si nous les voyons prorogé! encoçe, malgré lu paix, malgré le caractère inhérent à ce soMclê, malgré la parole des rois, le Parlement du pipins a toujours conservé les principes ef. tranquillisé les peuples par les modifications de |es enregistrements ; modifications approUYéés par le feu roi, indiquées par lui dans son édit de, 176.7, cor-. roborées, s’il eût été nécessaire, par celui de, 1771 même, qqi se réfère à celui de 1749, lequel renvoie aux rôles de 1741 ; principe! reconnus enfin par Sa Majesté ellp-uiêinç, IftYsqvt’en 17$2 le roi a préféré la demande du troisième yingtième,, sans auçune augmentation des çotes, à cette vérification inquisitoriale qu’on cherché à renouveler aujour-d’hqi, dont il aurait sans doute tiré Ufié] lUmmé ' éqpipollente. h ce troisième vingtième ipais qui effi été contraire à fa pâturé dé cet impôt-Le yingtième n’ayant pas été consenti éf. accordé par les États généraux i n’a îamais pu êïr| un impôt permanent ; il n’a jamais été appliqué à la dépense ordinaire de l’État; op a dp le verser dans une caisse d’aiportissetpeuf , uniquement destinée à liquider les dettes de lq guerre (2) ; c’est d’extension que le besoin a fait imaginer, qui, résistant à la nature du dixième. finirait par en tarir la source, et que les préposés érigeraient néanmoins eu principes d’administration, si yfiirç P.àrlémènfi découragé, 'ôéssait d’en exposer les iriconvénienisï....' « fiappis 1770, jusqu’en 1771, otp vofi Je.s vmgpèmes demandés par Louis XIV, par le feu roi, et toujours. dèihandés comme secours extraordinaires' : rien né ressent moins la contrainte. « Suy, les qualités de secpprs extraordipaires, de don gratuit, sont essentiels au dixiéme ;’ lit liberté' aes’ûédlà-rations qui paraît extraordinaire si l’on ne pense qu’au recouvrement, n| l’est Ras pp.ur qui s’occupe cfe la con« Tout propriétaire a droit d’accorder les subsides, ou par lui-même ou par ses représentants : s’il p’qsf pas de ce droit ep corps de nation, il faut bien y“ revenir individuellement ; autrement il n’est’ plus maître "Ité-'sa cfiose, il n’est plus, tranquille, propriétaire : la coufîançç aux déclarations personnelles est donc la seule indpni-ifite airdroit ’qûefiâ nation fi’à pas exercé, niais n’a 'pu perdre, d’accorder et répartir elle-même les vingtièmes.'.'. « Le seul moyen de rendre les impôts légitime� est : d’écouter la nation. Ail défaut de la nation, le seul moyen de les rendre supportables, est d’écouter les individus ; en sorte que la déférence apx déclarations soit du moins une image, un vestige' fin dédommagement conservatoire du droit national. 1 * J « 'Ces maximes . données par la raison, recueillies par les lois, conservées par les faits, ont' régpé., Hire,' pendant soixante, années. ' — ' Ûepfijs 177,1 on ’lfen écarté absolument : aussi je royaume est ‘ inondé d'a�bu #61 rêfentit de plaintes ; aussi tontes lés. élections s ô rit-elfe s ravaljéfs 'paf des Hommes sans ffeip,' cprpme sab's titras, qui ififit, atix yeux de'la'düstfiçe, clés co’ncussiônnâirês,' » (1) netti outrances du Parlement de Nprmàfidiç� du 6 lévrier 1788. 1 (f j Efi 1778 le Parlement reçonljafi roi que, « sj la destination des 'Vingtièmes’ avait lté remplie, |é pfin- [Introduction.] [1« Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 276 pour ce besoin extraordinaire et connu qu’il a été demandé. C’était donc une somme déterminée et fixe dont l’État avait besoin ; et la cour, en donnant à ce subside momentané une sanction provisoire, n’a jamais entendu autoriser la levée d’une somme supérieure au besoin du moment. Il est donc évident que le Parlement n’a enregistré que la simple prorogation du second vingtième, existant jusqu’en 1890, étendu .seulement sur les domaines de la couronne, et, sur ceux des princes, tenus à titre d’apanage ou d’engagement. Si cet édit contenait un nouvel impôt, la cour l’aurait-elle enregistré ? En 1778 elle remontrait au roi « que tout propriétaire a droit d’accorder les subsides, ou par lui-même ou par ses représentants;... que des monuments de notre histoire, des principes de la monarchie française, et de tout État bien ordonné, résulte cette vérité trop oubliée, mais incontestable, que le seul mogen de rendre les impôts légitimes est d’écouter la nation ; et en 1787, au moment même où le Parlement déclare son incompétence en matière d’impôt et réclame le consentement préalable des États généraux, comme indispensable à leur établissement, on oserait dire, on pourrait persuader que, changeant tout-à-coup de système, il enregistre le plus vicieux des impôts, celui de l’augmentation progressive des vingtièmes ! Et c’est à cette dernière époque que l’on placerait une démarche aussi contraire à la doctrine salutaire dont la cour a solennellement fait profession ! Non, Monsieur, la cour n’a pu ni dû, elle n’a voulu, et elle n’a en effet enregistré, je le répète encore, que la simple prorogation du second vingtième, régie, si l’on veut, par l’édit de 1749, mais aussi par toutes les lois subséquentes intervenues sur cette matière, et par les modifications apposées à leurs enregistrements. Ce vœu, cette volonté existent dans ses arrêtés, et notamment dans celui qui a accompagné l’enregistrement de cette prorogation, auquel elle ne s’est déterminée que par les plus importantes considérations. Messieurs se les rappellent sans doute : en enregistrant cet édit ils ont opéré le retrait de deux impôts désastreux qui avaient excité les alarmes des peuples, qui avaient été enregistrés en lit de justice , dont la cour avait déclaré la cipe des plaintes n’aurait pas existé. Le produit des vingtièmes, en 1649, et depuis, une partie de celui du dixièmé, devaient être versés dans une caisse d’amortissement. On a, disait alors le Parlement, supprimé cette caisse; au lieu de réformer les dépenses, on s’est dispensé d’amortir les rentes. Qu’est-il arrivé ? que les vingtièmes sont perçus et dissipés, les peuples plus foulés, et l’Etat plus obéré. Le produit des 'Vingtièmes, employé fidèlement, l’eût acquitté de près d’un milliard ; l’économie eût grossi vos trésors ; l’aisance eût consolé vas peuples; les subsides, levés avec douceur, seraient donnés sans réclamation; et votre Parlement n’aurait point à porter au pied du trône les plaintes de la nation •ur les vingtièmes. » transcription ordonnée être faite sur ses registres, les publication et distribution comme illégales et' incapables de priver la nation d'aucun de ses droits. Mais, malgré d’aussi grands motifs, la cour n’a consenti d’autre extension (1) d’impôt que celle des nouveaux objets soustraits depuis 1749 à ce genre d’imposition, quoiqu’il fût' libre au roi de les y assujettir, puisqu’il ne s’agit ici que de ses propres domaines et de ceux des princes, tenus à titre d’apanage ou d’engagement. Le vœu le plus cher de la compagnie a toujours été l’égalité proportionnelle des impôts entre tous les contribuables, mais jamais l’extension de leur masse; et la seule espérance de parveair, par la justice d’une telle répartition, à soulager le pauvre, en faisant contribuer le riche proportionné-ment à la masse des subsides existants , l’a portée à enregistrer l’établissement des assemblées provinciales, même sans attendre les règlements nécessaires à leur organisation'; et cependant, quoique cette idée fût la base de la subvention territoriale, le Parlement ne crut pas même pouvoir en prendre connaissance, parce que c’était un impôt nouveau, et qu’il présentait une surcharge pour les peuples, en ce qu’il excédait la quotité actuelle des vingtièmes. Ces mêmes motifs, si les prétentions fiscales étaient admissibles, se seraient certainement opposés à l’enregistrement de l’édit de septembre 1787, et je dois dire , ici, comme le Parlement de Toulouse l’a remontré au roi pour les provinces de son ressort, « qu’une plus exacte répartition ne doit pas servir de prétexte à doubler le poids de l’impôt, et que, si l’édit de septembre présente le sens que l’administration s’efforce de lui donner, les peuples sont à jamais placés entre la nécessité d’accepter les abonnements les plus onéreux, et le malheur d’être tourmentés de nouveau par les agents du fisc. » Mais une idée consolante doit rassurer la compagnie : l’édit même est garant de ce qu’elle a fait, comme sa conduite le sera toujours de ses sentiments; les vraies intentions du roi y sont tellement marquées, qu’il ne m’est pas permis de douter du succès des réclamations que la cour est en droit de faire. Sa Majesté y témoigne qu’elle n’à pas voulu chercher un droit nouveau dans la prorogation de ce second vingtième, puisqu’elle reconnaît qu'il y aurait peut-être de l’inconvénient à chercher dans un nouveau droit les secours même pressants que les besoins de l’État pourraient exiger. On va plus loin encore; et le roi ne veut pas que la perception de ce second vingtième puisse causer aucune inquiétude à ses sujets. Ces sentiments de justice et de paternité, tels que je viens, Monsieur, de les exposer, ne nous ont-ils pas-été confirmés de la bouche même de (1) A la séance du 19 novembre 1787, [1m Série, T. !«*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Sa Majesté, lorsqu’elle est venue dire à son Parlement : De nouveaux impôts ne seront pas établis, et mes engagements seront remplis ? (1) Je ne me permets point d’isoler cette parole royale de celles qui la précèdent ou qui la suivent ; et le véritable sens qu’elle présente à tous les 'esprits est le seul qui puisse tranquilliser les peuples : « J’aurais voulu, dit le roi, n’avoir plus recours à la ressource des emprunts, mais l’ordre et l’économie ne peuvent suffire qu’avec le temps ; des emprunts bornés et bien combinés reculeront un peu la libération, mais ne l’empêcheront pas ; de nouveaux impôts ne seront pas établis , et mes engagements seront remplis. » Ainsi le roi n’a pas voulu que de nouveaux impôts fussent établis : les augmentations des cotes seraient, sans contredit, un impôt tout nouveau, à la fois contraire aux lois, aux principes; Sa Majesté n’a donc pu ni voulu, et le Parlement n’a pu ni entendu enregistrer autre chose que la prorogation jusqu’en 1792 du second vingtième existant aujourd’hui (2). Les extensions de ce même impôt sont donc contraires au vœu du roi, à sa volonté légitime : elles alarmeront sans doute sa justice. Un seul mot dans cet édit a servi de prétexte à l’avidité fiscale ; et, quoiqu’il soit combattu d’avance par les principes, par les lois, par la volonté du législateur, je dois encore le discuter en lui-même, pour éviter jusqu’au reproche de l’avoir passé sous silence. Voici les dispositions dont on voudrait abuser, pour en induire la progression de l’impôt : «Voulons que lesdits vingtièmes et quatre sous pour livre du premier vingtième soient perçus dans toute l’étendue de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, sur l’universalité du revenu des biens qui y sont soumis par lesdits édits et déclarations pécédemment intervenus , sans aucune distinction ni exception, telles qu'elles puissent être, même sur les fonds de notre domaine, soit qu’ils soient possédés à titre d’apanage ou d’engagement, ou même qu’ils soient entre nos rnains et régis par les administrateurs de nos domaines; et ce, dans la juste proportion des revenus effectifs qui doivent supporter lesdites impositions, aux déductions néanmoins que les édits et déclarations ont accordées sur les biens qui exigent des réparations plus onéreuses aux propriétaires. » On pourrait dire qu’il résulte de ces dispositions que le roi ne demande que le second vingtième des (1) Cette vérité répond seule aux trois griefs énoncés dans l’arrêt du conseil du 4 mai 1788, et qui ont déterminé la cassation de l’arrêté pris par le Parlement sur ce récit. (2) Une simple prorogation, à l’égard des contribuables ordinaires; une extension (si l’on peut se servir de ce terme) au profit du roi, en ce que l’édit de 1787 assujettit aux 'vingtièmes les domaines de Sa Majesté, soit qu)Us soient tenus à titre d’apanage ou d’engagement. 277 revenus qui doivent suppporter lesdites impositions conformément aux précédents édits, et que le roi entend que chaque contribuable paye sa contribution dans la masse de ce second vingtième ; et ce, dans la juste proportion de ses revenus effectifs, mais sans aucune augmentation du total de l'impôt, puisque l’augmentation de l’impôt est contraire aux lois, et que ces lois sont confirmées par ce même édit. Mais cela même est décidé de la manière la plus précise par les instructions adressées le 9 novembre 1787, par les ordres du roi , à toutes les assemblées provinciales. On y trouve ce qui suit ; « L’édit du mois de septembre ne contient réellement de dispositions nouvelles que celles qui asujettissent aussi à l’imposition des vingtièmes le domaine même de la couronne, et font cesser les exceptions qui s’étaient introduites à l’égard de quelques propriétaires ; et il ne contient rien d’ailleurs qui n'ait déjà été prescrit par l’édit de mai 1749 et les lois y générales subséquentes. Il n’en faut pas davantage ; et je suppose que l’édit de septembre 1787 eôt anéanti toutes les lois précédemment intervenues sur les vingtièmes, cet édit du moins se réfère immédiatement à celui de 1740. Or, l’édit de mai 1749 n’établissait pas un impôt progressif : la compagnie l’a démontré, et ce qu’elle a dit en 1778 pourrait être répété aujourd’hui, si cela était nécessaire. Mais la défense des vérifications et des extensions de la masse des vingtièmes est toute faite; il ne s’agit ici que de la maintenir (1 ). En effet, Monsieur, l’état de subvention territoriale portait suppression des deux vingtièmes. En retirant œt édit pour laisser subsister les deux vingtièmes, on a ordonné que les lois qui les avaient établis rentreraient dans toute leur vigueur (2). Le second vingtième actuel, comme sa (1 ) Il n’a pas été possible au gouvernement de faire de l’édit de septembre 1787 un édit tout neuf. Il n’est qu’une prorogation, et cette idée se trouve malheureusement trop opposée à celle de création. Il a donc fallu nécessairement que l’édit de 1787 se rapportât à un autre édit antérieur quelconque. L’administration a cherché à écarter toutes celles des lois antérieures qui défendaient l’extension des cotes ; mais elle a été forcée de s’arrêter enfin à l’édit de 1749. Elle n’a pu se reposer sur une base qui lui fût, en apparence, plus favorable ; mais , comme l’édit même de 1749 ne remplit point son désir de gradualité, il s’ensuit que les ministres ont eu beau se faire petits, pour passer à l’enregistrement, leur système est resté à la porte. Il y a lieu de croire que les Etats généraux, loin de souscrire à rendre les impôts progressifs, ce qui est destructif de toute industrie, et mine sourdement un royaume agricole, diront que l’impôt territorial ne pourra jamais souffrir d’extension que tous les vingt-cinq ou même tous les cinquante ans, si les besoins de l’Etat l’exigent après une telle révolution d’années : alors les propriétaires jetteront leurs économies dans leurs terres, au lieu de les dissiper en objets de luxe, ou de les placer de manière à n’être pas mis à l’amende, par un surcroît d’impôts, ce qui a si cruellement augmenté parmi nous la fureur.de mettre aux emprunts, de-placer en viager, de faire l’agiot, d’user enfin de sa fortune de tant de manières également immorales et contraires au bien réel de l’Etat. (2) « Ordonnons que les édits et déclarations précé- 278 [lre Séïîe, T. I«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [IntroductioH.] pjrorôgàtîôn pendant l7�i et 1792, sont donc soumis aîïX dispositions 'et àïodifièâtïons des lois rendifà sur le seeôùd vingtième, âûtèïieureïnent à l’édit de Troyes. Or, la volonté du législateur est qtie ces lois antérieures soient maintenues èt eiécütées. Maintenues puisque l’èdit de septembre dernier l’ordonne ; exécutées, puisque le fôï ne veut pas que la perception du second vingtième cause aucune inquiétude à ses sujets, ni tjà'eilê piUs’Ssë là source d’un nouvêdù droit lèbé sur eux. U était donc âbstirfle de supposer dans i’ëdit de septembre 1787 une extension contre laquelle les principes, les lois antérieures, le vœu, l’intention, la volonté dé lâ compagnie, l’édit même résistent également. G’est ütte èrféur d'autant plUs CoUpablë que ses effets séPaieiit Sans fëïhède. Une simple prô.- rogation produire un acèroissèment ! et cet accroissement ne devenir une extension à la prorogation qu’àutant qu'un tel accroissement excéderait cette proportion mathématique actuelle, combattue par les principes, réprouvée pat la raison, la politique, et proscrite par des lois dont l’édit de septembre 1787, loin dé prononcer l'abrogation, ordonne l'exécution! Tel eSt cependant, Monsieur, lé système dé l’administration (1). Il ést assez connu pour qtie la COtir më dispense d’en rapporter la preuve écrite : On la trouverait, cette preuve, consignée dans le discours de M. le garde des sceaux à là séance du 19 novembre dernier ; dans les ordres imprimés, adressés à toutes les assemblées provinciales du royaume ; et dans le compte rendu au roi au mois de mars 1788. Je bornerais ici ttifes réflexions, si je ne croyais devoir observer encore à la Cour : demment inter ventis, relativement aux Vingtièmes, autres que ceiix qui ont été donnés à l’occasion du troisième vingtième, soient exécutés comme avant nos dits édü ét déclaration dti mois d’août dernier » Get édit est celui de la subvention territoriale, que le roi retire .- Cette déclaration est celle Sur le timbre, que le roi retire par ce même édit. Sa Majesté remplace ces deux impôts par le rétablis-sêmetit dû second vingtième (qui avait été supprimé par la subvention), et encore par la prorogation de ce second vingtième pendant 4791 et 1792. (1) Les procès-verbaux de toutes les assemblées provinciales ne permettent pas d’en douter. .. Oit y Voit nettement que, selon l’administrateur, cette simple prorogation du second vingtième, commençant par l’année 1791, pour les deux années 1791 ét 1792, doit produite, des LÉS six derniers mois de 478S, un accroissement qui n’aüra d’autre terme que celui de la prorogation indiquée par la dénomination dô deux vingtièmes et quatre sous polit livré des revenus actuels de chaque contribuable, fixés denouveâti par de nouvelles vérifications inquisitoriales, ou, ce qui eSt là même chose, par des abonnements arbitrairement fixés, et qui leur ont été demandés plutôt au-déSsus decôque pourraient produire ces nouvelles vérifications, quaü niveau de ce qu’elles pourraient atteindre, même sans compensation des irais, des lenteurs et des difficultés qu’elles nè peuvent manquer d'oecasiôiineh Qu’àü 1er juillet prochain les Potes des contribuables doivent être changées, augmentées, conformément à ce système; Que cette surchargé d’impositions, èquîpollente peut-être au troisième Vingtième éteint , ne tombera pas sur quelques particuliers illégitimement exempts des impôts légalement établis, mais sur toûs ceux qui, au jugement de soi-disant contrôleurs et vérificateurs des vingtièmes’, seront par eux censés ne pas payer, dans ce moment , dans la véritable proportion de leurs revenus effectifs actuels. (On sent qu’il n’est pas un seul propriétaire qui puisse, avec un pareil système, élever la prétention de ne pouvoir être vérifié de nouveau) ; Que les peuples vont se trouver soumis à la rigueur d’estimations nouvelles, qui, suivant le Gouvernement, « n’auront d’autre terme que celui de la proportion indiquée par la dénomination même d’impôt de deux vingtièmes et quatre sous pour livre d’icelui des revenus effectifs de chaque contribuable; cet impôt, selon l'administrateur� ne pouvant être réputé extensif qu’autant qu’il excéderait une telle proportion ; » Qu’il est par conséquent très-urgent de s’occuper de cet objet, de prévenir ces recherches odieuses, que les sujets du roi redoutent plus encore que l’impôt lui-même ; et de dissiper les incertitudes que l’on a pu faire naître dans les assemblées provinciales sur ta véritable base de leurs fonctions. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien mettre en délibération ce qu’il convient de faire sur mon récit. Arrêté du Parlement , toutes les chambres assemblées, les pairs y séant , du mardi 29 avril 1788. La cour, délibérant sur le récit d’un de Messieurs, considérant : Que l’augmentation progressive des vingtièmes sur l’augmentation progressive des revenus serait destructive de iâ propriété des citoyens et de leur industrie ; Que ce principe, repoussé par tout les édits et enregistrements depuis l’établissement du dixième, est détruit sans retour par les remontrances dé la cour, de 1778, sur la même matière; Que l’édit de septembre, vérifié à Troyes* ne l’a point autorisé; Que la cour, en ordonnant l’enregistrement de cet édit, n’a point entendu approuver un système d’augmentation et de vérification, qui, sous un autre nom, tendrait à faire payer aü peuple les vingt-quatre millions, et peut-être au delà, de la subvention territoriale, rëtequëe par l’édit de septembre dernier : A arrêté que ledit récit, ensemble les pièces y mentionnées, seront communiqués aux gens du [ire Série, T. i*.[ ARCHIVES PAfiLËMËNTÀlMËS. [introduction. j �9 roi, lesquels s’informeront, par la voix des substituts du procureur général du roi, de l’existence et de la conduite des contrôleurs des vingtièmes, indiqués audit récit, et rendront compte à la cour du résultat desdites informations, le mardi 27 mai prochain. RemôntraHcëb du Pàrlérhënt.sür là séarièë tbyttle nobernbré ilSl ,'âirtiléëë diïab bhàmbrU és-semblèëè, te il avril i7Ë8. SlRE, La liberté publique attaquée dans son principe, le despotisme-sdbstitué à la loi de l’Etat, la magistrature enfin réduite à n’être plus que l’instrument du pouvoir arbitraire : tels sont les grands et douloureux objets qui ramènent votre Parlement au pied du trône. Sujets fidèles, magistrats prévoyants, ce n’est pas sans regret que nous traitons ouvertement des questions si délicates. Tranquilles dans l’enceinte où des lois fondamentales, consacrées par le serment du roi, nous garantissent la liberté de nos suffrages et celle de nos personnes, nous tâchons d’accorder le zèle de la justice avec l’amour de la paix* Mais au dehors veille l’intrigue, au-dehors l’ambition a besoin d’aliment. L’autorité des lois, la sagesse des magistrats sont des obstacles à leurs desseins-, il faut les renverser, il faut briser les portes du sanctuaire, dénaturer les plus pures intentions, et corrompre les plus saintes maximes. G’est en vain que les peuples, c’est en vain que les rois ont le même intérêt, les peu-à respecter l’autorité, les rois à maintenir la liberté; c’est en vain que la magistrature tire elle-même toute sa force de cet heureux concert ; on trompe les peuples, on égare les rois* on décrie les magistrats. Que ne peut-on aussi les réduire au silence! 11 faut du moins rendre* s’il est possible, leur suffrage illusoire et leur voix impuissante. Ainsi raisonnent, Sire, l’intrigue et l’ambition. Les sophismes les plus captieux, les conseils les plus violents ne coûtent rien à qui fonde sa gloire et sa sûreté sur la destruction des lois. Dans cette extrémité la force paraît un droit* l’artifice est un besoin, le prestige tient lieu de vérité, et le - respect apparent des formes .nationales n’est plus qu’un moyen d’en imposer à la nation. La séance tenue par Votre Majesté en son Parlement, le 19 novembre dernier , cette auguste séance, qui devait , en rapprochant la vérité du trône, préparer les moyens de raffermir à jamais dans le royaume la liberté par la raison , et le crédit par la liberté , ne ferait au contraire qu’y produire la défiance avec la servitude , s’il suffisait d'un acte du pouvoir absolu pour effacer les principes essentiels, les preuves historiques et les lois positives sur lesquelles reposent depuis treize cents ans les droits de vos sujets. 11 n’était pas permis à votré Parlement de garder le silence sur ühe atteinte aussi formelle aux principes dé îa monarchie. Le respect et la prudence dictèrent l’arrêté qui suivit la séance. Votre Majesté en a supprimé la minute. Elle à parii en même temps confirmer, par sa réponse du 2t novembre, les maximes établies et les formes pratiquées à la séance ; enfin elle a désapprouvé l’usage des arrêtés sur les registres. La suppression de l’arrêté , la séance èt l’usage des arrêtés sur les registres formeront, Sire , la division naturelle de nos très-humbles et très-respectüëüsës remontrances. Le greffe de votre Parlement, Sire, est un dépôt inviolable. C’est ià que se conservent les titres de vos sujets et ceux mêmes de Votre Majesté* ii l’autorité absolue pouvait en disposer , que deviendraient, dans un moment de crise ou d’erreur, ces monuments antiques qui d’âge en âge nous ont transmis les droits du trône et ceux du peuple ? Où retrouverait-on ces vérités nationales qui doivent régler le zèle des magistrats? Arrachées de nos registres, elles se réfugieraient dans nos cœurs, sans doute* et la force ne pourrait les atteindre dans ce dernier asile. Mais les archives de la magistrature offrent l’exemple à côté du principe* On aime à retrouver dans ces vastes recueils, au-dessus de tout soupçon, les actes généreux qui consacrent la puissance des lois et la fidélité de leurs ministres. Nous y conservons avec soin les arrêts mémorables qui plus d’une fois ont affermi ou rétabli sur le trône votre auguste race ; les actes conservatoires des droits de la nation ne méritent pas moins , et notre vigilance et l’immortalité. D’ailleurs il est des règles positives, il est des droits particuliers * dont les seuls titres sont les actes qui les renferment* Le pouvoir d’anéantir ces actes ne peut être avoué ni par la raison ni par la loi* La fortune publique, l’intérêt des familles en souffriraient également. Tout doit être inaltérable dans les registres d’un tribunal, jusqu’à ses erreurs. La loi permet qu’on les répare, mais les moyens n’en sont pas indifférents ; et l’on ne peut s’empêcher de reconnaître que la suppression arbitraire des minutes d’un greffe ressemblerait moins à la réparation d’une erreur qu’à la violation d’Uîi dépôt. Au surplus, l’arrêté du 19 novembre offrait-il du moins une erreur à réparer ? La question est naturelle ; mais aussi le reproche ne peut frapper que la substance ou les expressions de l’arrêté. Votre Parlement, Sire, laissera parler les faits pour toute réponse. Votre Majesté vient en son Parlement et tient une séance, elle y fait présenter un édit portant établissement d’emprunts graduels et successifs pour cinq années : on en fait la ledturé ; le premier président demande les avis ; chacun Opine. L’opinion finie, au moment de recueillir et de [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.] 280 compter les voix, votre garde des sceaux prend vos ordres, prononce l’enregistrement , et Votre Majesté se retire : mais votre Parlement reste assemblé, il délibère, il prend un arrêté : cet arrêté contient une déclaration et des motifs : qu’il nous soit permis de les distinguer. « La cour , considérant l’illégalité de ce qui vient de se passer à la séance du roi, où les voix n’ont pas été comptées et réduites en la manière prescrite par les ordonnances, de sorte que la délibération n’a pas été complète... » Tels sont les motifs... « Déclare qu’elle n’entend prendre aucune part à la transcription ordonnée être faite sur les registres de l’édit portant établissement d’emprunts graduels et successifs pour les années 1787, 1788, 1789, 1790, 1791 et 1792 , et sur le surplus a continué la délibération au premier jour..... » Telle est la déclaration. En moins de mots, la délibération n’a pas été complète , et la cour n entend prendre aucune part à la transcription ordonnée sur ses registres ; voilà le fondement et l’objet de la déclaration. Ainsi la déclaration est fondée sur un fait. Le fait est-il exact? A-t-il dû conduire à la déclaration ? La déclaration est-elle enfin irréprochable dans ses expressions, et n’est-elle pas aussi respectueuse que nécessaire? Telles sont en dernière analyse les trois questions que l’arrêté présente. Le fait est-il exact? la délibération a-t-elle été complète? Nous devons croire que cette question ne fera pas la matière même d’un doute dans le conseil de Votre Majesté. Une délibération n’est complète qu’au moment où son résultat est fixé; le résultat d’un� délibération n’est fixé que par une pluralité i�évocablement déterminée ; la pluralité n’est irrévocablement déterminée qu’au moment où Ifès voix, après avoir été réduites, sont comptées sans retour. A la séance les voix n’ont pas été comptées, elles n’ont pas même été réduites. Cependant chacun était le maître de quitter son avis , d’en embrasser un autre. Les premiers opinants, peut-être ramenés intérieurement par ceux qui les suivaient, n’ont pas eu la faculté de l’exprimer : ils en avaient pourtant le droit; jusque-là, Sire, leur véritable avis n’a pas été connu ; c’est une vérité d’ordre public et d’un usage familier. Comment donc s’est-on flatté de persuader à Votre Majesté que la pluralité des suffrages se réunissait pour l’enregistrement? Non, Sire, point de réduction , point de calcul des voix, point de pluralité, point de délibération, point de résultat , point d’enregistrement , car , incomplète ou nulle pour une délibération , c’est la même chose. Tous ces faits sont liés ; de toutes ces vérités, l’une produit l’autre, c’est une chaîne indestructible. Les motifs de l’arrêté sont donc incontestables ; les voix n’ont pas été comptées; la délibération n’a pas été complète ; le fait est exact. A-t-il dû conduire à la déclaration ? Cette question est la seconde qui naisse de l’arrêté. Mais, Sire, est-il besoin d’y réfléchir pour la résoudre ? On présente à vos peuples comme Fou-vrage de votre Parlement ce qui n’est pas l’ouvrage de votre Parlement. Peut-il y consentir, peut-il y prendre part ? Son silence n’eût-il pas tenu lieu de consentement , et même de coopération? Que Votre Majesté, n’écoutant qu’elle-même, sa justice personnelle, sa loyauté connue, daigne prononcer. Un édit est publié portant établissement d’em -, prunts graduels et successifs. Au bas de cet édit imprimé on lit ces mots : Registré en la cour... pour être exécuté... enjoint aux substituts du procureur général du roi d'y tenir la main... suivant l'arrêt de ce four... Et cependant la cour n’a point ordonné d’enregistrement, la cour n’a rien enjoint aux substituts, la cour n’a point rendu d’arrêt : ainsi la mention imprimée au bas de l’édit est une fausse allégation. L’arrêt allégué n’est pas même transcrit sur nos registres. Quelle est l’autorité qui peut le suppléer, quelle est l’obéissance qui peut le supposer dans ces registres, où la vérité et l’existence de chaque ligne sont garanties sous la foi de nos serments ? Les partisans les plus zélés du pouvoir arbitraire iront-ils jusqu’à prétendre que Votre Majesté ait le droit d’attribuer à son Parlement un vœu qu’il n’a point exprimé, un arrêt qu’il n’a point rendu ? Cependant, Sire, votre Parlement n’ignore pas que des capitalistes de bonne foi, rassurés parles caractères extérieurs de l’édit imprimé, ont porté leurs fonds à l’emprunt de 120 millions ouvert pour cette année. Leur confiance serait-elle trompée ? Ce n’est pas l’intention de votre Parlement. 11 est possible d’assurer leur créance. A la vérité. le moyen n’en est plus dans les mains de votre Parlement. Mais il reste aux-prêteurs une ressource dans l’assemblée des États généraux. Les États généraux pèseront dans leur sagesse les circonstances publiques, ils sentiront tout ce qu’exige la dignité delà nation, et leur zèle éclairé confondra sans dou te l’emprunt déjà rempli avec les dettes consacrées par la loi. La déclaration était donc nécessaire; ce point ne fut jamais douteux. Et, s’il est vrai que la prudence et le respect en aient dicté les expressions, l’arrêté retenu par Votre Majesté demeure à tous égards irréprochable. Mais aurait-on dissimulé à Votre Majesté qu’un usage constant et solennel a consacré ces expressions? Elles sont employées par votre Parlement la veille, le jour et le lendemain des lits de justice. Le jour même , après la lecture des édits , elles sont adressées à la per-, sonne du roi par l’organe du premier président. f ire Série, t 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. Les lois permettent, quelquefois même elles prescrivent à votre Parlement d’aller plus loin. Ces lois, dont nous sommes les ministres, prononcent la nullité d’une délibération incomplète. Si notre zèle s’est contenu dans cette occasion , ce n’est pas assurément un sujet de reproche. Il est donc indubitable que� votre Parlement , lorsqu’il a pris l’arrêté du 19 novembre , n’a fait que ce qu’il a dû faire, n’a dit que ce qu’il a dû dire. Cet arrêté n’est que le monument fidèle et nécessaire d’un fait certain. A la vérité , il n’est plus dans nos registres, mais il est dans les mains de Votre Majesté ; et c’est là, Sire, c’est dans ces mains sacrées que votre Parlement ose du “moins le consigner, comme un dépôt qui réponde à jamais et du fait en lui-même, et de ses sentiments, à Votre Majesté comme à la nation. Ainsi triomphera des efforts de l’intrigue un acte respectueux que l’honneur, la vérité, l’ordre public exigeaient de votre Parlement. Mais il est, Sire, une autre dette que votre Parlement vient acquitter au pied du trône. Nos droits ne sont point à nous , ils appartiennent à l’État ; le devoir nous oblige à les défendre ; c’est à ce titre que votre Parlement se croit tenu de ne pas abandonner son droit de suffrage en présence du roi ; droit essentiel, droit national, compromis à la séance de Votre Majesté , mais réclamé par l’intérêt public et par la constitution. Les rois, Sire, sont exposés à des surprises, et sujets à l’erreur. Votre Majesté ne craindra pasde juger sur le principe ' la nature de son pouvoir. S’il était arbitraire, voudrait-elle en user? La seule volonté du roi n’est pas une loi complète ; la simple expression de cette volonté n’est pas une forme -nationale. 11 faut que cette volonté, pour être obligatoire , soit publiée légalement; il faut, pour qu’elle soit publiée légalement, qu’elle ait été librement vérifiée : telle est, Sire , la constitution française ; elle est née avec la monarchie. Sous la première race le roi avait, comme à présent, sa cour, le peuple ses champs de mars. Le peuple consentait ou demandait la loi, le roi la présentait "ou l’accordait, et cette loi, obtenue ou consentie par le peuple, la cour du roi la confirmait. Les suffrages du peuple, les suffrages de la cour étaient pleinement libres. Il faudrait ne connaître ni l’esprit des Francs, ni leurs lois, ni leur histoire pour en douter. La même liberté a subsisté sous la seconde race. La loi , dit un capitaine, se fait par le consentement du peuple et la constitution du roi'. La constitution du roi, reportée dans sa cour, au placité général, y recevait sa dernière forme, pour être insérée parmi lesCapitulaires. Celui de Worms, daté de 803, monument précieux échappé au ravage des temps, définit clairement les droits du 281 roi, du peuple et du placité général : du roi, pour accorder ou composer la loi ; du peuple, pour la demander ou la consentir ; du placité général, pour l’approuver et'la maintenir. La cour du roi était composée de grands, d’évêques, de sénateurs. Toutes les lois des deux premières races en sont la preuve. Hincmar les distingue dans sa fameuse lettre sur Yordre du Palais. Les membres de cette cour étaient appelés par les rois leurs féaux , leurs adjudants , leurs coopérateurs, les administrateurs de la chose publique. Leur propre titre, les mœurs nationales, les lois, l’histoire, les déclarations des rois eux-mêmes déposent de leur droit de suffrage en présence du roi. Ce droit n’a point changé sous la troisième race. La cour du roi entourait le trône quand Hugues Capel y fut placé. 11 était difficile que ce monarque songeât à la priver de son droit de suffrage avec le roi. L’histoire nous apprend au contraire que Hugues Capet et ses successeurs ont profité avec sagesse de ce droit respecté, pour recouvrer eux-mêmes les plus beaux droits et les plus grands domaines de la couronne, affaiblis, démembrés par des guerres, des usurpations ou des concessions. La cour du roi était alors indifféremment qualifiée cour du roi , cour de France , cour royale, conseil , commun conseil , grand conseil , Parlement , plein Parlement, suivant la nature des matières ou l’appareil des séances. Ainsi le prouvent les ordonnances les plus solennelles et les arrêts les plus mémorables. Quelques historiens y joignaient îe nom de baronnage ; saint Louis s’en servait. Depuis Hugues Capet jusqu’à Philippe de Valois, l’usage commun pour la confection des lois était que le roi vînt en son Parlement, où la loi se rédigeait en sa présence ; quelquefois cependant le Parlement rédigeait la loi en l’absence du roi ; et le roi la consentait ; quelquefois encore le roi l’adressait au Parlement, pour y délibérer : missa per regem, rege prœsente , rege consentiente. Au temps de Philippe de Valois, l’usage a prévalu que les lois fussent adressées au Parlement. Or, il suffit de jeter un coup d’œil sur les anciens registres, pour se convaincre que le Parlement, avant et durant le règne de Philippe de Valois, délibérait librement sur les lois comme sur les procès, en la présence du roi aussi bien qu’en son absence. • S’agissait-il de régler les privilèges des églises, l’état des serfs, les principes de la régale, les maximes des fiefs, le sort . des Juifs, la preuve par témoins, les payements des rentes et des fermages? Le roi veut-il réprimer les duels, les blasphèmes, les exactions, tempérer les prétentions de la cour de Rome, établir des principes sur les élections, les promotions, les collations des prélatures. les dîmes, les amortissements, les re- 2g2 [lre Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] traits lignagers, les bourgeoisies, les. appels des pairies, les Cubaines, les bâtardises, et sur le service des nobles durant la guerre? Veut-il fixer le prix et le cours des monnaies, les gages des officiers, Confirmer les coutumes, abréger les procès, rentrer dans ses domaines, révoquer des dons indiscrets et irréguliers, créer des capitaines dans les villes du royaume, affranchir les serfs de la couronne, accorder des privilèges aux villages, aux églises, aux monastères, aux particuliers, défendre le transport à l’étranger des vins, des blés, des autres marchandises? Veut-il, portant ses vues plus haut, ré former son royaume, promettre â la nation des ténues régulières de Parlement, défendre les guerrps privées, et redescendre ensüilë dans les détails de la procédure et du commerce? Ces règlements, ces établissements, ces confirmations, ces privilèges, ces révocations, ces défenses, ces réformés, ces promesses légales, toutes ces lois enfin sur toutes les matières, depuis l’intérêt général du royaume jusqu’à celui du moindre citoyen, étaient, avant ie règne de Philippe de Valois, formées ou confirmées au Parlement, le roi absent, le roi présent, par le commun consentement, la volonté , l’ordonnance , la délibération , la pleine , la diligente , la mûre délibération du Parlement , comme le porte le texte des lois elles-mêmes, ou celui des niandements donnés par le roi pour léur exécution. La présence du roi était une présidence. Lè roi Jean ie déclare dans l’ordonnance rendue à Paris, le 17 décëmbre 1352, pour défendre les guerres privées durant la guerre avec le roi d'Angleterre. Nous les avons déjà défendues, dit ce prince, dans notre Parlement, y présidant personnellement, in Parlamento nostro personaliter prœsiden-tes ..... . et la nouvelle défense est elle-même donnée en Parlement... Datum Parisiis in Parlamento nostro..., sans autres explications ; preuve sensible que les mêmes termes indiquent, dans les anciennes iois, la présidence du roi, et lion pas l’asservisserilent des suffrages, comme on voudrait aujourd'hui ie persuader. Sous Philippe dë Valois, le roi se renfermant dans son conseil privé, et les lois n’étant plus données en Parlement, mais adressées au Parlement, le moment est venu d’en reconnaître les véritables droits. Si les anciennes délibérations n’étaient pas libres, si le Parlement n’a pas eu droit de suffrage avec le roi, si le texte des iois n’offrait aux peuples que l’image trompeuse, et non iâ preuve, et non l’effet de ce droit précieux, le souverain, sans doute, prendra des précautions afin que son absence ne nuise pas à son autorité; il préviendra les conséquences naturelles des anciennes formules : ces formules décisives ne seront pas remplacées par de nou velles expres-s'ons non moins précises, et les preuves qui cesseront de se trouver dans le corps de la loi ne reparaîtront pas dans l’enregistrement, Cet enregistrement ne sera pas une confirmation raison-née de la loi, mais une opération purement mécanique. Cependant que voit-on à la suite des lois envoyées pàr Philippe de Valois au Parlement? ün y lit tantôt les mots suivants, lues par ta chambre, publiées par son ordre; tantôt ceux-ci, vues, lues et corrigées en Parlement. 11 nous semble inutile d’en faire davantage. Vues, lues et corrigées en Parlement. Votre Parlement* Sire, soumet bes termes à la justice de Votre Majesté. C’est ainsi que les délibérations fibres du Parlement, le roi présent, ont fait place aux vérifications fibres du Parlement, le roi absent. Cette liberté des vérifications estdevenue le droit public du royaume. ' Èile a déplu, dans tout les temps, âüx ambitieux ; mais aussi, dans tous les emps, elle a tiré une force nouvelle, un éclat plus vif dés efforts employés pour l’affàiblir. Les personnes dépravées qui dis posaient de Charles VI ont, les premières, imaginé la transformation des séances royales en lits de justice, pour faire enregistrer leurs volontés au fieu dé celles du roi. Mais bientôt Chârles VI, rendu à lui-mémë, venait présider son Parlement, les désavouer, et faire déchirer eh sa présence, après une délibération régulière, des édits hâtivement publies. Isabeau de Bavière reconnaissait les droits dü Parlement jusque dans les actes que sa haine pour Charles Vil lui dictait confié Une compagnie fidèle à son roi légitime. Que serait devenu Chartes Vil dauphin, si la liberté du Parlement n’avait pas fait partie de ia constitution? Le fameux trait du premier président de la Va-querie, à la tête du Parlement; la réponse de Louis XI, la qualification donnée par ce prince aux membres du Parlement, d'officiers essentiaux de la couronne , sont assez connus. François Ier; qui désirait si ardemment l’enregistrement du Concordat, ne voulait pas que i’en-registrement portât les caractères de la contrainte. Le chancelier Olivier reconnaissait en présence du roi, au Parlement, que le Parlement était institué à l’image du sénat de Sparte, pour réfréner (ce furent les propres termes du chancelier) la puissance trop absolue des rois, et la licence populaire. Charles IX faisait dire au pape, par son ambassadeur, que le Concordat n’était pas une loi, parce qu’il n’avait pas été librement vérifié. . Le chancelier de L’Hôpital, au lit de mort, até-nioigné au premier président son repentir de n’avoir pas assez respecté ie droit sacré de i’enre-gistrement. Sous Henri ÜI, les Etats généraux ont réclamé [1™ Sétié, T. H AftGktVES PAMÆÉÈNTÂlkES . [Introduction.] ««3 la liberté de nos suffrages, et demandé que les modifications fussent publiées avec lës édits, comme faisant partie intégrantè de la loi. Sous Henri IV, elle a sauvé la loi saliqüe dës erreurs de la Lîgüe. Le cardinal de Piichelieu,en avouant qu’il craignait les'èpiües dés compagnies, rendait hommage à leurs droits satts le vouloir. Louis XIV, si jaloux de son pouvoir, Sentit pourtant que le dixième ne serait pas përçü Sans Une vérification libre. Votre auguste prédécesseur aPeconüU lui-fnême, malgré tant de SUrprises, ce droit inviolable. ■ Et Votre Majesté ne cCoira pas pouvoir, du mépris dé des préuves, sans égard jJOur des exemples, détruire d’un seul coup la constitution, ën concentrant le Parlement dans sà personne. Ce quelle â fait, ütt régertt voulait le faire , lës conseillers de Charles Vl l’ont essayé : on né peut y penser sàhS frémir. Il est vrai, Si ré, que votre Parlement est le conseil de Votre Majesté ; mais ii en est le conseil public, lé conseil iégai, non eelüi du cabinet. Au conseil dü càbiüèt, le foi admet, le fdi éloigne qui bon lüi semble. Au conseil légal, le roi ne peut appeler ni exclure personne. Au conseil du cabinet, le choix du prince ü’ëst suivi d’examen, ni de serment, ni de réception délibérée ; aü Consëil légal, le caractère indélébile d’officier du souverain n’ést imprime que par une réception libre, précédée de Pèiabien ët du serment. Le conseil dü cabittet a la confiance du roi ; le conseil public à la confiance du roi et de la loi. Enfin, aü cohsèil dü cabinet, le roi reüd l’àfrèt. Telles en sont les formules. . . lë toi eh son consëil. . . Vu par Sa Majesté , le roi étant en sdh ùôhs’èil... Au conseil publié, Loi annoncé l’arrêt... Louis , par la grâce de DieU... Pu par la cour... Notre - dite cour a ordonné et ordonne.. Si Votre Majesté daigne réfléchir sur la différence de ces formules, aussi anciennes que les arrêts eüx-inêmes, elle reconnaîtra que les Unes sôüt dessignes certains de consultation, et les autres dëspreüVës évidentes de délibération. A Lieu ne plaise que ces principes portent jamais atteinte au pouvoir législatif de Votre Majesté ! Le droit de vérifier les lois n’est pas celui de les faire; mais si l'autorité qui fait la ioi pouvait encore suppléer ou gêner la vérification, celle-ci U’étant plus qu’üüe précaution dérisoire, ou qu'une vaine formalité, la volonté de l’homme pourrait remplacer là volonté pübliqüè, et l’Ëtat tomberait sous la main du despotisme. L’arrêté dü 20 mars 1766 a consacré d’avance toutes ces maximes, loin d’être en opposition avec elles. Cet arrêté maintiendra, dans tous les temps, l’autorité royale et la liberté pübbqué, parce ù’il ii’a point séparé les droits dü trône de ceux és peuplés, ièSdêVBilë des Sujets du serment dés fois, i’ihtérét dë là hatiOn aü± droits de sbû chef de l’intérêt du chef aux droits de la uatioü, et l’ëxercicë du pouvoir législatif dans là sëüle personne de Votre Majesté du droit dé vérification libre dahS iès iüàiüs dü Parlement, vfâî cohkistôïre Èës rois. Cè sont lës termes âë Pàrfëté. Puisqu’il existe des devoirs rëciprdqüës entre lès rois et les sujets, que deviendrait cëttë vérité dans îa pratiqué, si lës rois, d’ün seul mot, avaient le droit dé resserrer les Uns et d’éleüdfë les autres au gré des circonstances ? Votre garde des sceaux n’â cité qu’à dëüii î’âf-rêté du 20 ïnârs 1766, dénaturant dü supprimant leâ phrases décisives. Qü’il notis soit permis, Sire, d’én porter dos plaintes aü pied dü trône. Koüs devons également noüs plaindre des reprdChes rassemblés â là séance dans lë discours dü même magistrat. 11 a troUvê lë caractère de réqùîsitiüh dans la demande des Etats généraux , tâüdis qü’ëllë' est Conçue dans les termes les plus reSpectüeux ; Ü nous a reproché le doute sur nos pouvoirs eü matière d’impôts, tandis' que Loüls XIV lüi-iüëiïie doutait des siens, et que i’exefcicë de ceS pouvoirs est uü fàit récent, qtii n’est consacré par aucune loi donnée siir lè consentement libre de la üatloü ; Ü a traité noS principes, sut-le droit dés Étais généraux, de doctrine nouvelle , irréfléchie, tandis qu’une foule de lois et deS faits sàüs nombre attestent hautement, d’un siècle â l'antre, ce droit imprescriptible ; il a qualifié de concert dangereux la concorde indélibérée de toutes les cours, qui, pénétrées des mêmes Sentiments ou frappées des mêmes coups, ont dû montrer ’üüe égale prévoyance oü le même courage ; enfin il a présenté, comme un effet possible de nos réclamations respectueuses, une fermentation que les iois seules pourraient calmer, sül arrivait que l’exercice du pouvoir arbitraire la produisit. Prévenue par cés inculpations, iih’eSt pas éton-nànt que Votre Majesté ait refusé à üos prières le retour du Parlement de Bordeaux aü lieu de ses séances. Mais à présent nous osons ëSpéfër qüè Votre Majesté, convaincue de nos vrais sentiments, exaucera nos Vœux, et rendra cette Compagnie àux peuples désolés de son ressort. Là retëntir à Lte bourne, c’est eü priver toutes lës prdviücës confiées à ses soins, et c’est enfreindre, â l’égürd de de la ville de Bordeaux, un article précis de ses capitulations. Ëü opposant, avec èiogés, übtfé enregistrement des assemblées provinciales â l’arrêt du Parlement de Bordeaüx, contré la formation des mêmes assemblées dans sort ressort aVabt l’envoi des règlements, votre garde des sceaux se serait-il flatté qüten sentiment pérëoüüèl nous fermerait les yéux sur l’illégalité de cette formation, sür la clarté, sur la sagesse dès rernoütràncëâ envoyées par cette cour au pied dü tfÔüe, èt nous |lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 284 rendrait insensibles à la patience héroïque avec laquelle les magistrats confinés à Libourne supportent leur disgrâce, s’en remettent aux lois, et s’enveloppent de leur vertu ? Après avoir montré à Votre Majesté les dangers qu’entraînerait pour le roi et la nation l’enlèvement de nos minutes ; après avoir prouvé le droit de suffrage du Parlement avec le roi ; repoussé les inculpations de votre garde des sceaux ; rappelé à votre justice l’état du Parlement de Bordeaux, il nous sera facile de justifier en peu de mots l’usage des arrêtés sur .les registres. Nous étendre sur cet article, ce serait abuser des moments de Votre Majesté. Qu’elle nous permette, au moins, de lui représenter que cet usage immémorial est souvent le seul moyen de conserver pour l’intérêt du roi lui-même les vrais principes, et de concilier le zèle et le respect. Il nous reste à supplier Votre Majesté de porter un regard attentif sur l’état de son royaume. Nous ignorons si les ennemis de la magistrature et du repos public auront, pour quelque temps, la triste gloire de triompher des lois ; mais nous osons répondre à Votre Majesté du courage et de la fidélité de leurs ministres. Ce sont là, Sire, les très-humbles et très-respectueuses remontrances qu’ont crut devoir présenter à Votre , Majesté vos très-humbles, très-obéissants, très-fidèle et très-affectionnés serviteurs et sujets. LES GENS TENANT VOTRE COUR DE PARLEMENT. Réponse du roi , du il avrils auxdites remontrances. « J’ai lu vos remontrances ; j’ai voulu y répon-tlre.avec une telle authencité, que vous ne puissiez pas douter de mes intentions, ni vous permettre de vous en écarter. « 11 était superflu de me parler de la loi de l’enregistrement et de la liberté des suffrages. Lorsque je viens tenir mon Parlement, c’est pour y entendre la discussion de la loi que j’y apporte, et me déterminer sur l’enregistrement avec plus de connaissance de cause ; c’est ce que j’ai fait le 19 novembre dernier. « J’ai entendu tous les avis. « Il n’est nécessaire de les résumer que lorsque je n’assiste pas à vos délibérations ; la pluralité peut seule alors me faire connaître le résultat de vos opinions. « Lorsque je suis présent, []j’en juge moi-même. « Si la pluralité dans mes cours forçait ma volonté, la monarchie ne serait plus qu’une aristocratie de magistrats aussi contraire aux droits et aux intérêts de la nation qu’à ceux de la souveraineté. « Ce serait en effet une étrange constitution que celle qui réduirait la volonté du roi à la valeur de l’opinion d’un de ses officiers, et qui assujettirait le législateur à avoir autant de volontés qu’il y aurait de délibération différentes dans les diverses cours de justice de son royaume. « Je dois garantir la nation d’un pareil malheur. « Tout a été légal dans la séance du 19 novembre. a La délibération a été complète, parce que toutes les opinions ont été entendues. « Les avis n’ont pas été recomptés, parce que j’étais présent. « La pluralité ne doit pas être formée, lorsqu’elle ne doit pas prévaloir. « Il y a eu arrêt, parce que toutes les fois que je tiens mon Parlement pour un objet d’administration ou de législation, il n’y a d’arrêt que celui que j’ordonne de prononcer. « J’ai donc dû réprouver votre arrêté, et je vous défends d’en prendre de pareils à l’avenir. C’est épurer et non pas altérer vos registres que d’en retrancher une erreur que je veux bien n’attribuer qu’à un moment de surprise et d’illusion. « De combien de lois utiles, qui font journellement la règle de vos jugements, la France n’est-elle pas redevable à l’autorité de ses rois, qui les ont fait enregistrer, non-seulement sans égard à la pluralité des suffrages, mais contre cette pluralité même, et malgré la résistance des Parlements ! « Ces principes doivent être la règle de votre conduite. Je ne souffrirai jamais qu’il y soit donné la plus légère atteinte. » Le samedi 3 mai 1788, les chambres assemblées, les pairs y séant, un de Messieurs ( 1 ) pria M. le premier président de vouloir bien mettre en délibération ce qu’il convenait de faire sur l’état où se trouvait la chose publique, et sur les malheurs qui paraissaient menacer la magistrature. La matière mise en délibération : « La cour, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant, avertie, par la notoriété publique et par un concours de circonstances suffisamment connues, des coups qui menacent la nation en frappant la magistrature ; Considérant que les entreprises des' ministres sur la magistrature ont évidemment pour cause le parti qu’a pris la cour de résister à deux impôts désastreux, de se reconnaître incompétente eu matière de subsides, de solliciter la convocation des Étçits généraux, et de réclamer la liberté individuelle des citoyens ; Que ces mêmes entreprises ne peuvent par conséquent avoir d’autre objet que de couvrir, s’il est possible, sans recourir aux États généraux, les anciennes dissipations, par des moyens dont la cour ne serait pas le témoin sans y mettre obstacle : son devoir l’oblige d’opposer, par une constance inébranlable, l’autorité des lois, la parole (1) M. Duval d’Épréménil. 285 Llre Série, T.l«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] du roi, la foi publique, et d’hypothèque assignée sur les impôts, à tous les plans qui pourraient compromettre les droits et les engagements de la nation ; Considérant enfin que le système de la seule volonté , clairement exprimé dans les différentes réponses surprises au seigneur roi, annonce, de la part des ministres, le funeste projet d’anéantir les principes de la monarchie, et ne laisse à la nation d’autre ressource qu’une déclaration précise par la cour des maximes qu’elle est chargée de maintenir et des sentiments qu’elle ne cessera pas de professer : Déclare que la France est une monarchie gouvernée par le roi, suivant les lois ; Que de ces lois, plusieurs qui sont fondamentales, embrassent et consacrent : Le droit de la maison régnante au trône, de mâle en mâle, par ordre de primogéni-ture, à l’exclusion des filles et de leurs descendants. Le droit de la nation d’accorder librement les subsides, par l’organe des États généraux, régulièrement convoqués et composés; Les coutumes et les capitulations des provinces; L’inamovibilité des magistrats ; Le droit des cours de vérifier dans chaque province les volontés du roi, et de n’en ordonner l’enregistrement qu’autant qu’elles sont confondes aux lois constitutives de la province, ainsi qu’aux lois fondamentates de l’État ; Le droit de chaque citoyen de n’être jamais traduit en aucune matière par-devant d’autres que ses juges naturels, qui sont ceux que la loi lui désigne, Et le droit, sans lequel tous les autres sont inutiles, de n’être arrêté par quelque ordre que ce soit, que pour être remis sans délai entre les mains de juges compétents ; Proteste ladite cour contre toute atteinte qui serait portée aux principes ci-dessus exprimés; Déclare unanimement qu’elle ne peut, en aucun cas, s’en , écarter ; que ces principes également certains obligent tous les membres de la cour et sont compris dansleur serment ; qu’en conséquence aucun des membres qui la composent ne doit, ni n’entend autoriser, par sa conduite, la moindre innovation à cet égard; ni prendre place dans aucune compagnie qui ne serait pas la cour elle-même, composée des mêmes personnages et revêtue des mêmes droits ; et dans le cas où la force, en dispersant la cour, la réduirait à l’impuissance de maintenir par elle-même les principes contenus au présent arrêté, ladite cour déclare qu’elle en remet dès à présent le dépôt inviolable entre les mains du roi, de son auguste famille, des pairs du royaume, des États généraux, et de chacun des ordres réunis ou séna�és qui forment la nation. Ordonne en outre ladite cour que le présent arrêté sera, par le procureur général du roi, envoyé incontinent aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lu, publié et registré, et que' le procureur général du roi rendra compte à la cour de cet envoi lundi prochain. » A la même séance furent arrêtées les itératives remontrances sur la séance royale et sur la réponse du roi auxdites remontrances. Remontrances du Parlement. Sire, la réponse de Votre Majesté, du 17 de ce mois, est affligeante ; mais le courage de votre Parlement n’en est point abattu. L’excès du despotisme était l’unique ressource des ennemis de la nation et de la vérité : ils n’ont pas craint de l’employer ; leur succès est le présage desjdus grands maux. Les prévenir, s’il est possible, sera jusqu’au dernier moment l’objet du zèle de votre Parlement : par son silence il trahirait les plus chers intérêts de Votre Majesté, en livrant le royaume à toutes les invasions du pouvoir arbitraire. Telle, en effet, serait la conséquence des maximes surprises à Votre Majesté. Si vos ministres les faisaient prévaloir, nos rois ne seraient plus des monarques, mais des despotes : ils ne régneraient plus par la loi, mais par la force, sur des esclaves substitués à des sujets. La marche des ministres ambitieux est toujours la même : étendre leur pouvoir sous le nom du roi, voilà leur but; calomnier la magistrature, voilà leur moyen. Fidèles à cette ancienne et funeste méthode, ils nous imputent le projet insensé d’établir dans le royaume une aristocratie de magistrats. Mais quel moment ont-ils choisi pour cette imputation? Celui où votre Parlement, éclairé par les faits et revenant sur ses pas, prouve qu’il est plus attaché aux droits de la nation qu’à ses propres exemples. La constitution française paraissait oubliée, on traitait de chimère l’assemblée des États généraux. Richelieu, et ses cruautés; Louis XIV, et sa gloire; la régence, et ses désordres ; les ministres du feu roi et leur insensibilité, semblaient avoir pour jamais effacé des esprits et des cœurs jusqu’au nom de la nation : tous les états par où passent les peuples pour arriver à l’abandon d’eux-mêmes, terreur, enthousiasme, corruption, indifférence, le ministère n’avait rien négligé pour y laisser tomber la nation française. Mais il restait le Parlement : on le croyait frappé d’une léthargie, en apparence universelle; on se trompait. Averti tout à coup de l’état des finances, forcé de s’expliquer sur deux édits désastreux, il s’inquiète, il cesse de se faire illusion : il juge de l’avenir par le passé, il ne voit pour la nation qu’une ressource, la nation elle-même. Bientôt, après de mûres et sages réflexions, il se décide, il donne à l’univers l’exemple inouï d’un corps [lrc Série, T. I«r.| A�Ç|j(YES PAitbJ2MENTAlRE§. [Introduction!. 286 antique, d’up çoyjfê accrédité, tenant aux racines de l’Etui (lui cpqiet de iqi-ménae à ses concitoyens lin grand ppuyoir, dont il psait pour eux depuis, un siècle, mais sans leur consentement exprès. Ur prompt succèsi répond à fpp courage : le 6 juillet il exprime leyçpu des États généraux; le 19 septembre il déclare formellement sa propre inçpmpétpnpe ; |e |9 nov émigré, Votre blpjesté annonce elle-même les États généraux ; le surlendemain elle les promet, elle en fixe le terme; sa parole est sacrée. Qu’on trouve sur la terre, qu’on cfiercbe dans l’histoire un seul empire où le rpi et la natipn aient fait aussi paisiblement d’apssi grands pas en aussi peu Je temps • Ie roi vers la justice, et la nation vers lq liberté. Les États généraux rentreront dans leur droit! Nous pouvons le demander à vos ministres : A qui le roi doit-il PO grand dessein? à qui la patjQn doit-elleT pe grand bienfait? Et vos ministres osent nous accuser auprès des peuples, auprès du roi, d’aspirer au pouvoir aristocratique! Qn n’aYait pas songé à nous faire ce reproche ep 1697, quand votre Parlement enregistrait la capitation ; en 1710, quand il enregistrait le dixième; depuis 1710 jusqu’en 1782, quand il en consentait la prorogation, on même l’accroissement, par le moyep d’un trp|- sième vingtième-Quel est dPUP c0 nouyeau «èie ? Les ministres ne doutent pas de nos. pouvoirs, les ministres rendent justice à nos bonnes iutgutiQqs, tant qu’ils espèrent abuser de UPS suffrages figur accabler la, nation d’emprunts ou d’jmpôts, et pe voient plus en nous que d’ambitieux aristP.pralps, quand nous refusons de favoriser ou dé ppitager leur despotisme-Non, Sire, point d’aristocratie en France, rnais point de despotisme. Telle est la constitution : tel est aussi le vœu de votre Parlement, et ('intérêt de Votre Majesté. Qu’on admette un moment les maximes surprises à Votre Majesté; que sa seule volonté fasse l’arrêf eu matière d’administration ou de législation, et que lqs conséquences éclairent enfin sur lé principe. L�héritier de la couronne est nommé par la loi ; la nation a ses droits, la pairie a les siens ; la magistrature est inamovible ; chaque province a ses coutumes, ses capitulations ; chaque sujet a ses juges naturels ; tout citoyen a ses propriétés ; s’il est pauvre, il a du moins la liberté. Qrt nous osons le demander, quels sont les; droits, quelles sont les lois qui pourraient résister à la prétention annoncée par vos. ministres., sons le nom de Votre Majesté? Sa seule volonté fera l’arrêt en matière de législation ! Elle pourra donc, par une loi, disposer de la couronne, choisir son héritier, céder ses provinces, priver les États généraux du droit d’accorder les suhsides ; dénaturer la pairie, rendre la magistrature amovible, changer les coutumes, intervertir l’ordre des fribpn�px, l’ipyestir effe-môme dp droit de juger seule, ou de choisir les jpges çq matière civile, pu matière çnmipej]ç ; se déclarer enfin copropriétaire des biens de ses sujets, et maîtresse dp leur liberté ? L’administration embrasse fes emprunts pt le§ impûtsf, La volopté du, rpi fera Varret : fp roj ppurfa donc enfin cyéer à spn gré les emprunts et les impôt? ! S’il plaisait an roi, trompé, çle supprimer, et sur-lerchanip de reçyépr tordes Ips ponrs souveraines de son royaume, PÔUr les borner à rendre la justice ; s’il lui plaisait de transplanter d’une proyince à l’aptre des citoyens, des magistrats, des familles, dps compagnies entières ; s’il lui plaisait d’élever, spy ie,s ruines de l’ancienpe magistrature, un corps unique, qqi fût un simulacre de liberté, mais un instrument de servitude ; s’il lui plaisait, par l’effet d’upe surprise encore plus funeste, de iaisspr lps ministres semer la diyisipn parmi les magistrats, nous opposer les uns aux aptres, nous placer entre l’opprobre et la disgrâce, choisir dans les Parlements ceux qui perdraient, ceux qui conserveraient fe, droit dp vérification; il faudrait donc quitter son domicile, renoncer à son pays, se dépouiller de ses affêp-tions, s’arracher à sps confrères, violer spn serment, trahir l’État, et s’exposer au déshonneur, ou se livrer aux coups dp despotisme, et tout cela sur m seul mot de la bouche du roi ! (fir, a-t-on que le rpi n’abusera jamais du droit qu’on lui suppose ? qu’il sera toujours juste ? que ses lois pt ses arrêts respecteront toujours les droits de tous, depuis spn bis aîné jusqu’au dernier de ses sujets ? Votre Parlement, Sire, sera forcé de répondre que la supposition est impossible ; que les rois sont hommes, et qu’il n’est point d’homme infaillible : et c’est précisément parce qu’il n’est pas donné aux rois d’être toujours en garde contre l’erreur PU la séduction; c’est pour ne pas abandonner la nation aux malheureux effets des volontés surprises, que la constitution exige, en matière de lois, la vérification des cours; -en matière de subsides, l’octroi préalable des États généraux, pour être sur que la volonté du roi sera conforme à la justice, et ses demandes aux besoins de l'État-Le 4ro.it d’accorder librement les subsides ne fait pas des États généraux une aristocratie de citoyens. : le droit de vérifier librement les lois ne fait pas des Parlements une aristocratie de magistrats. Qn est gouverné par les aristocrates ; mais votre Parlement n’aspire point à gouverner, Hans ses jugements il est soumis, aux lois ; sa volonté n’est rien. 11 prononce, mais la loi a décidé ; nous nous faisons gloire d’en convenir, et nous aimons à retrouver dans la mémoire de nos cou citoyens cette phrase usitée ; Lu cour ne peut se dispenser de [lre Série, T. le*.] ABCHlVESi PARLE!J[E�TAI|iES-[Introduction.] 287 rendre tel arrêt. Ils put raison : cette phrase, qui rend hommage à la justice de votre Parlement, rappelle ses devoirs. La cour ne peut se dispenser de juger suivant la loi ; la cour ne peut se dispenser de "remontrer suivant la loi; la cour ne peut se dispenser de résister avec respect, suivant la loi. S’ensuit-il cependant que votre Parlement prétende réduire la volonté du roi à la valeur de l’opinion d’un de ses officiers ? Non, Sire ; il est au pied du trône pour l’appuyer et l’éclairer; cette place suffit à son ambition. Ses droits même les plus certains, il ne sait les exprimer qu’en termes respectueux : mais le respect n’est pas incompatible avec la liberté. S’agit-il d’un procès, le roi n’a point de volonté. La loi est faite : elle doit décider ; il est le premier juge. Votre auguste prédécesseur l’a reconnu dans l’affaire de Bretagne ; la plupart des témoins de son avis siègent encore au Parlement et dans votre conseil. On affecte, il est vrai, de répandre la maxime contraire : on prétend que les bieqs, la yie, la liberté, l’honneur des citoyens sont dans la main clu roi; présent, dit-on, il fait l’arrêt; absent, il pejjt le changer: La servitude elle-même ne tiendrait pas un langage plus vil; mais du moins yos ministres n’ont pas encore poussé les choses jusque-là-S’agit-il d’un subside, c’est à la nation de l’accorder. La liberté des États généraux n’a pas encore fait la matière d’un doute. S’agit-il d’une loi, c’est aux cours à la vérifier : mais le droit de vérifier les lois n’étant pas celui de les faire, les cours ne peuvent nj forcer ni suppléer la volonté du roi. Votre Parlement, Sire, l’a déjà protesté, et le répétera aussi souvent que. ses ministres tâcheront d’obscurcir cette vérité. Au reste, dans leur propre système, la pluralité même n’a pas été connue de Votre Majesté le jour de sa séance, fl est inconcevable que les ministres distinguent le résultat des opinions de la plurqjjLté, comme si la plurarité n’était pas ce résultat 1 et qq’lls veuillent persuader à Votre Majesté Upe, poqr ayoir eptenclu 9,es opinions isolées, elle a pu juger par elle-meme du résultat qu’auraient dionnê les opjpions peeueillies; comme s’ils ignoraient que les premiers opinants sont quelquefois raroepés par les derniers ! S’il était arrivé que votre Parlement eût refusé des iqis utiles, il faudrait plaindre l'humanité, sans rendre le roi despote, sans détruire la constitution, sans'éfabür la servitude par Ie système de la seule volonté. Mais est-il vrai que votre Parlement ait à se reprocher des refus de cette espèce? Il ose demander quelles sont les lois utiles qui fopt la règle de ses jugements, et dont la France est redevable jà l’uutorjté absolue .de ses rois ? Ce n’est pas le Concordat : le Parlement en a différé, il est vrai, la publication, mais toute la France pensait comme lui. Votre Majesté n’ignore pas que cette loi faisait gémir également l’Église et l’État. Ce n’est pas l’ordonnance de Moulins : le Parlement a combattu, non pas la loi, mais l’article 2 de cefle loi, lequel portait atteinte aux droits sacrés de l’enregistrement; article déplorable, Je premier de son genre, et le sujet dq repentir de L’Hôpital mourant. Ce n’est pas l’ordonnance de 1629, vulgairement appelée le code Michaut. L’article 53 offrait le même vice que le deuxième article de celle de Moulins. Le code Michaut, enregistré en lit de justice, n’a pas eu d’exécution. Ce n’est pas l’ordonnance de 1667 : on peut dire au contraire qu’elle fut en partie l’ouvrage du Parlement. Ses députés l’ont 'concertée avec les commissaires du conseil : ceux-ci soumettaient les articles au roi ; les députés du Parlement en rendaient compte à leurs chambres respectives. On reportait aux conférences les intentions du roi et les réflexions des chambres : l’ordonnance fut enfin rédigée. Cette loi était utile; mais le titre premier, qui détruisait le droit de vérification, étant inadmissible, Louis XIV crut ayoir besoin d’un lit de justice * c’était sans doute le moyen de compromettre l’exécution de l’ordonnance Vojci l’événement. Le Parlement eut le courage de ne pas reconnaître le premier titre, et ia sagesse de consacrer par ses arrêts le surplus de l’ordonnance. Lui serait-il permis d’opposer à sop tour, aux ennemis du droit de vérification, la foule dés fois fâcheuses dues aux lits de justice? Sansremonter plus haut que la régence, si, depuis cette époque, nos lois� nos mœurs, la fortune publique, tous les états, toutes les compagnies, la plupart des familles ont éprouvé tant de secousses, ne sont-ce 'pas les tristes fruits du pouvoir arbitraire, manifestés par des lits de justice? Si lés impôts n’ont fait qu’augmenter les dépenses, n’est-ce pas un effet de la sécurité que les lits de justice inspiraient aux ministres ? Si l’économie a pris sérieusement la place de l'autorité, n’est-ce pas au moment où les ministres ont cessé de compter sur la même facilité ? Le règne du feu roi (pourquoi le tairions-nous ? au défaut du Parlement, l’histoire l’observerait), ce règne, marqué par tant de lits de justice, l’est aussi par l’excès des impôts, des emprunts et des profusions. En vain, pour justifier le despotisme, on affecte de craindre pour le législateur. Il y aÿrà donc, autant de volontés que de cours dans son royaume?: Telle est l’objectjon 4e YOS ministres. La $gopse est dans l’histoire, la réponse est dans les lois. Un serment général, celui du sacre, lie à toute' la France son souverain. Mars le roi ne règne pàl sur toutes les provinces au même titre ; en Normandie, en Bretagne, en Guyenne, en. Lângjjedoc, en Provence, en Dauphiné, en Alsace, en Bour- 288 [lr* Sériel T. !«=«•. I gogne, en Franche-Comté, dans les pays conquis, daïis les pays unis, différentes conditions règlent l’obéissance. En Béarn le premier article de la coutume est un serment du roi d’en respecter les privilèges. Ce serment est renouvelé à chaque règne, par le roi en personne, aux députés des États de cette province ; après quoi la province prête le sien. Vous l’avez, Sire, renouvelé vous-même. La volonté du roi, pour être juste, doit donc varier suivant les provinces : ce ne sont point les cours qui l’enchaînent, mais les principes. Chaînes heureuses ! qui rendent plus solide le pouvoir légitime ! Chaque province a demandé un Parlement pour la défense de ses droits particulier s. Ces droits ne sont pas des chimères, ces Parlements ne sont pas de vaines institutions ; autrement le roi pourrait dire à la Bretagne : Je vous ôte vos États; à la Guyenne : J’abroge vos capitulations ; aux peuples du Béarn : Je n’entends plus vous prêter de serment ; à la nation même : Je veux changer celui du sacre ; à toutes les provinces : Vos libertés sont des chaînes pour le législateur, vos Parlements, l’obligent à varier ses volontés ; j’abolis vos libertés, je détruis vos Parlements... Il est certain qu’alors, la volonté du roi pourrait être uniforme. Mais, Sire, ah ! qu’il soit permis au Parlement d’en concevoir quelques alarmes 1 serait-elle juste, serait-elle prudente, serait-il enfin possible que vos ministres eussent formé de tels projets ? Ce n’est ni l’intention ni l’intérêt de Votre Majesté. Pour votre Parlement, ses principes, ou plutôt, Sire, ceux de l’État qui lui sont confiés, sont immuables : il n’est pas en son pouvoir de changer de conduite. Quelquefois les magistrats sont appelés à s’immoler aux lois ; mais telle est leur honorable et périlleuse condition, qu’ils doivent cesser d’être avant que la nation cesse d’être libre. Ce sont là, Sire, les très-humbles et très-respectueuses remontrances de vos très-humbles, très-obéissants et très-fidèles sujets. LES GENS TENANT VOTRE COUR DU PARLEMENT. A Paris, ce 4 mai 1788. (1) Le lundi 5 mai, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant au nombre de dix, un de Messieurs (2) dénonça à la cour un imprimé ayant pour titre -..Arrêté du Parlement du 3 mai 1788, (1) Le récit des�événements des 5 et 6 mai a été imprimé, d’après le manuscrit du rédacteur, en différentes éditions; il n’en est pas une seule où les éditeurs ne se soient permis d’altérer essentiellement le manuscrit, soit dans les faits, soit dans les réflexions; plusieurs ont été même jusqu’à y ajouter un titre très-déplacé, et des déclamations propres à diminuer la confiance du lecteur dans la vérité des événements ; ils sont assez tristes par eux-mêmes, et la simple vérité paraîtra peut-être encore invraisemblable à la postérité. Le récit exact des faits, semé de quelques réflexions qui naissent de la chose même, peut seul convenir à la gravité d’un tel sujet. On se fait donc un devoir de rétablir ici le manuscrit du rédacteur dans toute sa pureté. (2) M. Duval d’Épréménil. [Introduction.] et contenant, entre autres falsifications, au lieu de ces mots : Les entreprises des ministres sur la magistrature , ceux-ci : Les entreprises de Sa Majesté sur la magistrature. Il fut arrêté que l’imprimé serait remis entre mains des gens du roi, pour donner leurs conclusions sur-le-champ. Les gens du roi entrés, M. 1e premier président leur fit part de l’arrêté ; ils demandèrent à se retirer au parquet pour rédiger leurs conclusions. Étant rentrés peu de temps après, maître Antoine-Louis Séguier portant la parole, ont dit : « Messieurs, nous venons de prendre communication de l’imprimé que la cour nous a fait remettre. Outre la clandestinité et le défaut du nom d’imprimeur et du lieu de l’impression, nous y avons remarqué avec indignation des mots supprimés, et qui sont remplacés par des lettres initiales : en sorte que, par cette altération criminelle, et cette abréviation, aussi insidieuse que téméraire, il semble qu’on ait cherché à donner le change au public, et à présenter un sens directement opposé aux véritables intentions de la cour'. Elle est trop pénétrée du respect qu’elle doit à son roi, et dont elle ne s’écartera jamais, pour se permettre de pareilles expressions, et sa fidélité exige, non-seulement un désavœu authentique, mais une flétrissure éclatante. Elle se doit à elle-même cette espèce de réparation publique, et à toute la France un témoignage solennel de la pureté de ses sentiments. « C’est l’objet des conclusions par écrit que nous avons prises et que nous laissons à la cour. » Et se sont les gens du roi retirés. La matière mise en délibération, il a été rendu l’arrêt suivant : « Vu par la cour, etc., l’arrêt du 3 de ce mois, conçu en ces termes ; « La cour, avertie par la notoriété publique, etc; « Vu pareillement un imprimé commençant par ces mots, etc. ; dans lequel imprimé se trouve, entre autres falsifications, au lieu de ces mots : Les entreprises des ministres sur la magistrature, ceux-ci : Les entreprises de Sa Majesté sur la magistrature ; la cour a ordonné et ordonne que ledit imprimé sera lacéré et brûlé, au bas du grand escalier du palais, par l’exécuteur de la haute justice, comme contenant une falsification insidieuse contraire au respect dû au roi, et faite à dessein d’imputer à la cour des sentiments et des expressions incompatibles avec le profond respect pour la personne sacrée du roi, dont la cour ne s’écartera jamais et ne cessera jamais de donner l’exemple aux autres citoyens, à quelque extrémité qu’elle se trouve réduite :ordônnne en outre que le présent arrêt sera publié, audience tenante, et porté au roi par M. le premier président » (1). (1) La rédaction de cet arrêt fut encore l’ouvrage de 31. d’Épréménil. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lr® Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] djgO Ensuite M. Duval d’Éprémesnil rendit compte à la cour des tentatives faites la nuit précédente pour l’enlever de sa maison. M. Goislard de Montsabert ayant pareillement rendu compte de semblables tentatives pratiquées contre lui, l’on mit en délibération ce qu’il convenait de faire à ce sujet. La matière mise en délibération, on prit l’arrêté suivant : « La cour, délibérant sur le récit fait par MM. Duval et Goislard des mesures prises la nuit dernière pour les enlever de leurs maisons ; « Considérant que les ministres, loin d’être ramenés aux principes de la monarchie par les démarches de la cour, toujours légales et toujours respectueuses envers le roi, ne s’occupent au contraire qu’à déployer toutes les ressources du despotisme qu’ils s’efforcent de substituer aux lois ; « Que les ministres viennent encore d’attenter à la liberté de deux magistrats de la cour, dont tout le crime est d’avoir uni leur zèle à celui de la compagnie, pour défendre les droits les plus sacrés de la nation ; « Considérant en outre que les ordres particuliers qui violent l'asile des citoyens, les mettant dans l’impuissance de recourir aux lois, et ne tendant pas à remettre sans délai les personnes arrêtées entre les mains des juges compétents, n’obligent pas légalement les citoyens, « A mis et met MM. Duval, Goislard et tous les autres magistrats et citoyens sous la sauvegarde du roi et de la loi ; « Et cependant a arrêté que M. le premier président, deux de MM. les présidents (1) et quatre de MM. les conseillers (2) se transporteront sur-le-champ à Versailles, à l’effet de représenter au roi l’excès des malheurs qui menacent la nation, et le supplier d’écouter dans sa sagesse d’autres conseils que ceux qui sont prêts d’entraîner l’autorité légitime et la liberté publique dans un abîme, dont il deviendrait peut-être impossible au zèle des magistrats de les tirer -, « A arrêté en outre que la cour attendra, sans déplacer, le retour de M. le premier président et des députés de la cour ; et qù’expédition en forme du présent arrêté sera délivrée à chacun de MM. Duval et Goislard. » Les députés sont partis sur-le-champ, et les chambres sont restées assemblées jusqu’à leur retour. Vers les onze heures du soir, les Gardes-Françaises commencèrent à s’emparer des cours du palais et du grand escalier du Mai. A minuit un quart commença la scène désastreuse dont l’histoire d’aucun peuple ne fournit d’exemple (3). (1) MM. d’Ormesson et Saron. (2) MM. d’Àmmécourt, Robert de Saint-Vincent, Àmelot, Barbier d’Ingreville. (3) Nous conserverons toutes les expressions de ce drc Série, T. 1er. Les Gardes-Françaises, la baïonnette au bout du fusil, précédés de sapeurs, commandés par le capitaine Vincent d’Agoust, s’emparèrent de toutes les avenues du palais, et investirent la grand’- chambre. Dès cet instant toute communication fut interceptée, au point que toutes les personnes étrangères qui se trouvaient dans la grand'cham-bre ne pouvaient plus en sortir. Les gens du roi eux-mêmes, renfermés dans leur parquet, ne pouvaient plus communiquer avec la cour; et, il a fallu un nouvel ordre pour leur procurer par la suite cette liberté. . La cour ayant voulu délibérer sur cet événement, la présence des étrangers gênait la délibération. On agita la question de savoir si la chose était possible ; on observa que cela était absolument contre la règle, et on conclut que, malgré le péril urgent, il était impossible de délibérer devant des étrangers. Quelqu’un s’étant aperçu que les soldats ne s’étaient pas encore emparés de la petite porte qui conduit à la buvette, en avertit. Alors on invita les étrangers à se retirer par cette porte ; ils se réfugièrent à la chambre Saint-Louis, où ils restèrent consignés jusqu’au lendemain matin. Cette portion du public était composée de la plus haute noblesse du royaume ; c’étaient les parents ou amis des ducs et pairs siégeants, des présidents et autres magistrats. Cinq minutes plus tard il devenait impossible de faire retirer ces étrangers, la consigne étant de ne laisser sortir personne de la grand’qjpambre. Si ces gentilshommes, témoin de l'entrée du sieur d’Agoust, eussent, par des murmures ou même d’une manière plus marquée, fait connaître leur indignation, au moindre bruit les Gardes-Françaises forçaient les portes, et la grand’chambre pouvait être arrosée du sang de l’élite de la noblesse et de la magistrature. La seule possibilité de ce malheur, dont le hasard nous a préservés, fait frémir. En effet, presque aussitôt après la retraite de ces étrangers, la garde s’empara de ce dernier poste; et dès ce moment aucuns pairs, présidents ou autres membres de la cour, ne furent plus libres de se rendre de la chambre à la’buvette, même pour les besoins les plus urgents, sans être escortés par deux fusiliers qui les gardaient à vue. Pour mieux s’assurer des deux magistrats, on avait poussé l’exactitude jusqu’à retenir au palais toutes les personnes qui s’y étaient trouvées, même les femmes. Cette précaution outrée donna lieu à la scène suivante : Une femme demanda à sortir, en. représentant qu’elle avait chez elle trois enfants, dont elle nourrissait le plus jeune. On en référa au sieur d’A-récit, qui a été rédigé par les parlementaires, et publié par eux. 19 [Ire s�rie, T. lPr.] ARCfilVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] hausse-col. » Sur cette observation le sieur d’A-m .goust, qui refusa-Cette malheureuse mère resta au palais toute la nuit, et ses enfants passèrent tout ce temps sans secours et sans nourriture. On se préparait à délibérer, lorsque le capitaine d’Agoüst frappa à la porte du greffe. La porte ayant été ouyérte, il demanda à parler en particulier, de là part du roi, a M. le président de Gourgues, qui présidait en l’absence de M. le premier président. M. le président s’étant rendu à la porte de la chambre, le sieur d’Agoust lui dit qu’il était chargé d’ordres du roi, et qu’il demandait à entrer seul dans la chambre. M. le président,, retourné à sa place, rendit compte de cette demande à la compagnie. On fit instruire le sieur d’Agpust que l’usage était que les personnes chargées d’ordres du roi se retirassent au parquet des gens du roi, pour se. faire annoncer et introduire par eux ; il s’y conforma. M. le procureur général étant entré, annonça à la cour que le sieur d’Agoust, porteur des ordres du mi, demandait à être introduit dans rassemblée ; ce qui fut accordé. Qpipme pn ignorait la nature des ordres dont Je sieur d’Agoust était porteur, et qu’on les supposait adressés à la cour et non à lui-même, M. le président Je fit asseoir, suivant l’usage, entre lpa deux derniers conseillers, du côté du greffier, où se met le maître des cérémonies-Le sieur d’Agoust fit lecture d’ua ordre à lui adressé, et conçu à peu�près en ces termes : « J’ordonne au sieur d’Agoust, capitaine de mes Gardes-Françaises, de se rendre au palais à la tête de six compagnies, d’en occuper toutes les avenues, et d’arrêter dans la grand ’chambre de mon Parlement, ou partout ailleurs, MM. Duvâlet Goislard, conseillers, pour les remettre entre les mains des officiers de la prévôté de l’hôtel. « Signé Louis. » Lecture faite, le sieur d’Agoust se leva et somma M. le président de lui remettre ces deux messieurs, M. de Gourgues fit réponse qu’il fallait que la cour délibérât sur cet ordre ; que tel était dans tous les temps et dans tous les cas l’usage de la compagnie. Le sieur d’Agoust répliqua avec beaucoup de dureté : « Messieurs, je ne connais pas vos formes, moi. L’ordre, comme vous le voyez, m’ordonne d’arrêter sur-le-champ MM. Duval et Goislard dans la chambre ; ainsi vous voudrez bien me les indiquer. » On lui observa que l’ordre ne portait pas sur-le-champ, et par conséquent qu’on pouvait délibérer ; il répondit que ses ordres verbaux portaient que telle était V intention du roi . Ce fut à cet instant que M. le duc de Luynes, adressant la parole à ce capitaine, lui dit : « J’ob-»erve à M. d’Agoust qu’il n’est pas revêtu de son goust tira de sa poche son hausse-Gol qu’il fit voir. Messieurs persistant à refuser de livrer leurs deux confrères, l’embarras du sieur d’Agoust augmentait sensiblement. Sur quoi M. le duc de Praslin lui dit : « Monsieur d’Agoust, lorsqu’on se charge d’ordres semblables à celui dont vous ôtes porteur, on doit les prendre assez clairs pour n’étre_ pas embarrassé dans leur exécution. Si vous avez cru pouvoir vous en charger, vous n’avez pas imaginé que nous vous livrerions deux membres de la cour; si vous ne les connaissez pas, ce ne sera pas nous certainement qui vous les ferons connaître. » Au môme moment tous Messieurs s’écrièrent par acclamation : « Nous sommes tous MM. Duval et Goislard ; si vous prétendez les enlever, enlevez-t nous tous. » Le sieur d’Agoust proposa alors à M. le président de Gourgues de lui signer le refus de remettre les deux membres de la cour qu’il était chargé d’enlever. On lui répondit que M. le président ne pouvait signer seul; que le refus étant général, tous étaient prêts à le signer. Alors le sieur d’Agoust déclara qu’il allait se retirer pour faire à son chef le rapport de ce qui s’était passé. Il était alors deux heures et demie. Vers trois heures M. le premier président revint de Versailles avec les députés ; il rendit compte à la compagnie de l'événement de la députation. 11 annonça qu’ils étaient descendus chez M. le garde des sceaux, qu’ils avaient appris que ce magistrat était en ce moment chez le roi; qu’ils s’étaient rendus ensuite chez M. l’archevêque de Sens ; que ce ministre était aussi auprès du roi ; qu’ayant eu connaissance de l’arrivée de la députation,- le principal ministre leur fit dire qu’il reviendrait bientôt; qu’après l’avoir attendu trois quarts d’heure, il parut enfin, s’entretint quelque temps avec les députés, et leur dit que M. le garde des sceaux rapporterait la réponse du roi. Qu’à dix heures ils étaient retournés chez M. le garde des sceaux, qui leur dit attendre lui-même les intentions de Sa Majesté. Qu’à minuit est arrivée cette réponse, par laquelle le roi annonçait qu’il ne recevrait pas la députation de son Parlement, attendu qu’il n’en avait pas été prévenu en la forme ordinaire. ' M. le premier président observa de plus à la cour qu’on avait refusé de leur donner cette réponse par écrit ; qu’ils auraient tenté de nouvelles démarches, mais que l’heure ne leur avait pas permis de le faire. On mit en délibération ce qu’il convenait de faire sur le récit de M. le premier président. Il fut arrêté que les gens du roi se retireraient sur-le-champ à Versailles, à l’effet de savoir le jour, [1W Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flntredaCtlon. l’heure et le lieu auxquels il plairait au roi de recevoir les supplications de son Parlement, et que la cour attendrait en silence leur retour et les événements. Les gens du roi ayant reçu les ordres de la cour, se disposèrent à partir ; mais ils étaient consignés dans leur parquet. M. le procureur général fut obligé d’écrire à M, le maréchal de Biron, pour lui dire qu’il avait ordre de la cour de se rendre à Versailles; qu’il fallait en conséquence qu’il fût libre de sortir de son parquet. Le maréchal envoya la lettre au baron de Breteuil, et celui-ci St réponse qu’il allait la faire passer au roi pour savoir ses intentions. Il résulta de toutes ces longueurs affectées que le procureur général ne put remplir sa mission. Ainsi, lorsque le Parlement se rend auprès du roi sans l’en avoir prévenu, on lui répond que le Foi ne recevra que des députations faites en la forme ordinaire; et, lorsqu’il veut remplir cette forme, on retient les gens du roi prisonniers dans leur parquet; c’était un sûr moyen pour empêcher que le roi ne fût informé des désordres qui se commettaient sous son nom. Sur les six heures du matin, M. le duc de, Luynes, qui s’était rendu la veille au soir en fa cour, malgré une attaque de goutte des plus violentes, fut-invité par Messieurs, témoins des souffrances qu’il endurait, à se retirer pour prendre du repos. Ne pouvant plus résister à la violence de son mal, M. le duc de Luynes céda aux instances de la compagnie, et sortit de rassemblée, en lui témoignant les plus vifs regrets. A la porte du parquet des huissiers, M. le duc éprouva toutes sortes de difficultés de la part du sieur d’Agoust, qui se détermina cependant, d’après l’état de souffrance où M. de Luynes se trouvait, à lever la consigne à son égard. Vers les neuf heures du matin, on lit passer mystérieusement aux pairs des lettres de cachet portant invitation de ne pas se rendre au Parlement, vu les circonstances, quand même ils y auraient été invités. La lettre de cachet était datée de la veille. Quelques moments après, le sieur d’Agoust leur apprit qu’ils étaient libres de sortir de l'assemblée des chambres. Les pairs s’étant consultés, décidèrent qu’ils resteraient, et prendraient part aux délibérations qui pourraient avoir lieu. A onze heures du mutin se renouvela la scène de la npit. Le premier président et ses vénérables collègues les pairs de France et tous lés membres de la cour étaient sur les fleurs de lis. Le silence le plus profond régnait dans l’assemblée, la douleur et la consternation étaient peintes sur tous les visages. Si les portes se fussent ouvertes dans cet instant,, les satellites eux-mêmes eussent été désarmés à l&~vue de ce sénat antique, objet de la vénération des peuples. m Le sieur d’Agoust entre dans la grand’chambre; il s’avance presque au milieu de ce parquet qüe les princes du sang royal et les présidents ont seuls le droit de traverser lorsque la eour est séante ; il fait lecture d’un ordre à lui adressé pour arrêter MM. Duval et Goisïard.dans la grand’¬ chambre. 11 enjoint à ces deux magistrats de le suivre; tous gardent le silence le plus profond; il réitère trois fois cette injonction ; le silence continue ; il insiste, en disant qu’il a ordre de faire entrer le sieur Larehier, exempt de robe-courte, pour lui désigner MM. Durai et Goislard. 11 déclare que puisqu’on ne veut pas le suivre il va exécuter cet ordre. Il sort en effet de la gran'd’chambre, et rentre aussitôt avec l’exempt; il l’amène à la barré, et lui dit : « Je vous enjoins, de la part du roi, de me dire si MM. Duval et Goislard sont ici présents, et de me les indiquer. » Le visage de l’exempt était sensiblement altéré; ses yeux étaient incertains et troublés ; le capitaine d’Agoust suivait attentivement tous ses mouvements. L’exempt ayant déclaré qu’il ne voyait pas ces deux magistrats, le capitaine insista : le sieur Larehier ayant toujours persisté, le sieur d’Àgoust le fit retirer. « J’interpelle la cour, dit-il alors en s’adressant à M. le président, de me désigner MM. Duval et Goislard. » Malgré le silence que l’on s’était imposé, cette interpellation, que l’on ne saurait qualifier, faite à la cour des pairs, excita un frémissement d’indignation dans foute l’assemblée. Le silence y fut rétabli au même instant. « Puisque personne ne répond, ajouta le sieur d’Agoust, je vais me retirer pour rendre compte de ce refus. » Le sieur d’Agoust retiré, MM. Duval et Goislard demeurèrent d’accord avec tous leurs généreux confrères qu’il était temps de mettre fin à cette scène, dans la crainte surtout d’exposer le sieur Larehier à être une troisième victime immolée au despotisme. Ils demandèrent que l’on fît rentrer le sieur d’Agoust. Celui-ci arrivé à la barre de ’ la cour, M. Duval assis sur les hauts sièges vers le milieu du banc à gauche, et couvert, lui adressa la parole à peu près en ces termes : « Je suis l’un des magistrats que vous cherchez ; la loi me défend, à ce titre, d’obéir aux lettres closes, aux ordres surpris au souverain ; c’ésfcpour obéir à la loi que je ne me suis pas nommé jusqu’à ce moment. Je sens qu’il est temps enfin de consommer le sacrifice de ma personne, qué j’ai juré de lui faire au pied des saints autels. Jé Vous somme donc de me déclarer si, dans le cas où je ne vous suivrais pas volontairement, vous avez l’ordre de m’arracher par la force du la place que j’occupe en ce moment. » 292 [1» Série, T. l«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] « Oui, Monsieur, répondit le sieur d’Àgoust ; et je l’exécuterai. » « Lorsque vous en aurez tenté les moyens, répliqua le magistrat, je verrai ce qu’il me conviendra défaire.» Le sieur d’Agoust ayant déclaré qu’il allait faire entrer ses satellites : « C’en est assez, lui dit le magistrat; pour ne pas exposer la cour des pairs, le temple de la justice, le sanctuaire des lois à une plus grande profanation, je cède à la force. » Puis, s’étant levé de son siège et s’étant découvert, M. d’Éprémesnil adressa la parole à M. le premier président. « Monsieur, lui dit-il, je vous prie de me permettre que je dépose dans le sein de la cour la protestation que je fais contre les violences que l’on exerce en ce moment sur ma personne, et dont je supplie la cour de me donner acte, lui déclarant que je les regarde comme attentatoires aux lois protectrices de la liberté des citoyens en général, et de celle des magistrats en particulier ; qu’elles sont la suite d’ordres évidemment surpris à un roi juste, qui a déclaré ne vouloir régner que par les lois; que je cède à la force qui contraint mon corps sans enchaîner ma conscience. J’ose aussi vous conjurer, ajouta-t-il, de ne vous pas laisser abattre par d’aussi grands malheurs. Ou-bliez-moi, et ne vous occupez que de la chose publique. Je vous recommande tout ce qui m’est cher; pour moi, je puis vous protester que, quel que soit le sort qui m’est réservé, jamais les promesses, les menaces, les tourments, la mort elle-même, ne pourront me faire abandonner un seul instant les principes de cette compagnie ; que je mettrai ma gloire à les professer jusqu’à ma der-nièreheure, etqu’enfin jeneme permettrai jamais aucune démarche qui ne soit digne d’un magistrat et d’un membre de la cour des pairs. » Il dit : et après avoir salué profondément le chef du sénat, il descendit les marches du tribunal suprême. Il faut avoir été témoin de cette scène de douleur pour pouvoir s’en former une idée. Comment se peindre ces vénérables présidents, ces magnanimes pairs de France, ces magistrats de tous les rangs et de tous les âges, suffoqués par leurs sanglots; les voûtes sacrées du temple de la justice retentissant des accents que la douleur arrachait à ses ministres; le procureur général du roi évanoui dans les bras de ses collègues; la cour des pairs, le p'remier sénat du royaume, réduit à répandre d’inutiles larmes 1 M. d’Éprémesnil, supérieur à son infortune, conserva toute sa sérénité; plusieurs de ses jeunes confrères quittèrent leur place pour lui dire un dernier adieu. 11 reçut leurs embrassements, il se sentit baigné de leurs larmes sans en verser une seule. Régulus, retournant à Carthage, n’était pas plus ferme et plus tranquille. Le sieur d’Agoust s’empara de sa personne , sortit de la grand’chambre ; M. d’Éprémesnil fut conduit entre deux haies de baïonnettes jusqu’à une voiture qui l’attendait dans la cour Neuve. Telle a été la récompense des plus sublimes vertus, des talents les plus distingués ; tel a été le prix des veilles, des sacrifices continuels de cet illustre magistrat. Dévoré de l'amour de son roi, de la gloire de son pays, du bonheur de ses concitoyens, il y sacrifiait son existence entière. Jamais l’infortuné ne l’invoqua en vain ; peines, soins, démarches, sollicitations, rien ne lui coûtait pour arracher au despotisme ses malheureuses victimes. Ainsi fut enlevé au roi un de ses plus fidèles sujets; à l’État un de ses plus fermes soutiens; à la magistrature un de ses plus beaux ornements ; aux citoyens de tous les ordres un de leurs plus généreux défenseurs. A Rome on eut décoré son front de la couronne civique; en Angleterre il serait chancelier de l’échiquier ; en France il est dans les fers. La cour, toujours investie, -attendait dans la consternation et le silence qu’on vînt lui arracher la seconde victime. Cette situation douloureuse fut prolongée pendant une heure et demie. À une heure environ le sieur d’Agoust rentra dans la grand’chambre, et, s’avançant à la barre de la cour, annonça qu’il venait pour arrêter M. Goislard. Ce jeune magistrat, assis à la même place d’où on avait enlevé son confrère, et s’étant couvert, lui dit : « Je suis cet autre magistrat que vous cherchez ; il me tarde de subir le sort de mon confrère, et l’attente dans laquelle vous m’avez laissé depuis son enlèvement a été le plus cruel de mes maux ; comme lui je vous demanderai si, dans le cas où je ne vous suivrais pas volontairement, vousavez l’ordre de m’enlever de force de la place que j’occupe. » « Oui,- Monsieur, » répondit le sieur* d’Âgoust. « Comme lui je cède à la force, » continua le magistrat. Puis s’étant levé et découvert : « Monsieur, dit-il en s’adressant à M. le premier président, j’ai l’honneur de déposer dans le sein de la cour la même protestation que mon confrère, contre les violences que l’on exerce sur ma personne; je déclare que j’adhère à tout son contenu, et supplie la cour de m’en donner acte ; ma jeunesse et mon peu d’expérience ne me donnent pas le même droit qu’à M. Duval de réclamer, de la part de la cour, les mêmes sentiments; le zèle pur dont je suis animé pour le bien public, le nom que je porte et les services rendus par mes pères les réclameront pour moi. Je prie la cour de croire que ni les promesses ni les menaces, n’ébranleront mon courage; que je verrai, le bil- [1** Série, T. 1«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] lot devant moi, la hache levée sur ma tête, sans oublier les exemples que m’ont donnés mes pères, et sans abandonner les principes que j’ai puisés dans le sein de la cour. » Ayant salué M. le premier président, il descendit de sa place; le sieur d’Agoust se saisit de sa personne, au milieu des embrassements et des larmes de ses confrères. Avant de sortir de la grand’ chambre, ce capitaine revint sur ses pas pour annoncer à la cour qu’elle était libre , qu’il allait faire retirer ses gardes; mais que l’intention du roi était que les portes du palais restassent fermées et gardées après la séance. 11 sortit avec son prisonnier, escorté comme la première fois. Malgré les fatigues inséparables d’une séance de trente heures, passée dans les alarmes et les angoisses, les magistrats eurent encore le courage de déposer le dernier soupir de la liberté mourante dans un arrêté conçu en ces termes : « La cour, vivement affectée du spectacle accablant de l’enlèvement de deux magistrats, arrachés avec violence du sanctuaire de la justice et des lois, au milieu de gens armés qui ont violé l’asile de la liberté publique, a arrêté que les députés chargés de porter au roi les représentations arrêtées le 5 du présent mois, auront l’honneur de représenter au seigneur roi qu’il aurait été attendri, s’il avait pu être témoin du morne et triste silence qui a précédé, accompagné et suivi l’exécution des ordres rigoureux, faite au milieu de l’assemblée la plus respectable ; de la noble fermeté avec laquelle les magistrats enlevés ont soutenu le coup qui les a frappés, dont les pairs de France et les magistrats ont partagé la sensibilité, comme si cette même disgrâce eût été personnelle à chacun d’eux; que ces sentiments sont l’expression naturelle de l’attachement et du respect qu’inspirent à tous les membres du Parlement les vertus du premier des deux magistrats enlevés, cher à son corps, précieux à la nation par des talents supérieurs, par un zèle infatigable pour le service du roi, et par sa passion vive et active pour la gloire du monarque, le maintien des lois et la libeité publique. « Que le second, jeune encore, a déjà fait concevoir les plus flatteuses espérances ; qu’il semblerait que les talents personnels deviennent l’objet d’une persécution déclarée ; qu’il peut se faire que les talents soient craints par ceux qui ne sont point attachés au service du roi et à l’honneur du Parlement; qu’il semble qu’on ait voulu humilier la magistrature, en formant autour de la cour des pairs un siège militaire, qui ne se préparé que contre des places rebelles, et non contre des magistrats qui n’opposent aux ennemis des lois que la force de la raison et des principes. « Que ledit seigneur roi est supplié de rendre à 293 leurs fonctions des magistrats aussi utiles au roi par leur mérite que par leur attachement à la défense des maximes du royaume. » Ainsi se termina cet acte terrible du despotisme le plus absolu. Les nations étrangères, les siècles à venir, refuseront de croire les détails que nous venons de tracer d’une manière faible et bien au-dessous de la réalité. On n’imaginera jamais que chez un peuple libre, sous un gouvernement monarchique, sous le règne d’un prince ami des lois, on soit parvenu à le tromper au point de lui faire signer des ordres pour enlever des magistrats fidèles, dont tout le crime est d’avoir agi et parlé comme leur devoir, leur conscience, leurs serments, et les intérêts du souverain et de la nation leur ordonnaient de faire ; pour investir, par des satellites armés de baïonnettes, précédés de sapeurs, munis de haches, de massues et de marteaux de forge, le temple de la justice, le sanctuaire de la majesté royale ; pour arracher de dessus les fleurs de lis deux membres de la cour des pairs, la cour séante ; pour violer cet asile sacré jusqu’à nos jours, où le criminel condamné au dernier supplice serait respecté s’il avait le bonheur de s’y réfugier. Si, dans l’excès de tant de maux, une consolation peut les adoucir, c’est le souvenir de l’héroïsme de ces deux victimes de la liberté et des lois, c’est le courage que montrent encore en ce moment leurs généreux collègues. La vérité percera enfin le voile épais qui la dérobe aux yeux du souverain ; il vengera l’outrage fait à sa majesté royale, aux princes de son sang, aux pairs de son royaume et à la nation entière. Le mercredi 7, neuf heures du matin, les chambres assemblées, les gens du roi ayant demandé à entrer, annoncèrent à la cour que le maître de» cérémonies était au parquet des huissiers. Le maître des cérémonies entré, assis et couvert, suivant l'usage, fit lecture de la lettre de cachet du roi, dont suit la copie : « Nos amés et féaux, nous avons résolu de tenir, jeudi prochain 8 de ce mois, en notre château de Versailles, notre lit de justice, pour y faire entendre notre volonté. Nous vous en donnons avis ; que tous et un chacun de vous se rendent à neuf heures du matin en notre château de Versailles, pour s’y assembler en corps de cour et en robe rouge, et nous recevoir lorsque nous entrerons en notre Parlement, avec l’honneur qui nous est dû, et ainsi qu’il est accoutumé en s*emblable occasion. Nous remettant du reste sur ce que le grand maître des cérémonies vous fera savoir de notre part, et de l’heure que nous nous rendrons en notre Parlement. Si n’y faites faute, car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le 6 mai 1788. « Signé Louis. » Et plus bas , Le baron de Breteuil. M. le premier président fit réponse que la cour [l*e Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [iAtrdductioft.j m ne manquerait pas dé se rendre aux ordres du roi. Le maître des cérémonies retiré, là cour prit un arrêté qui fut prononcé le lendemain, au roi en son lit de justice, par M. ie premier président. Le 8 de ce mois Sa Majesté tint à Versailles un lit de justice pour l’enregistrement de différentes lois, dont on va connaître la nature. Les princes du sang, les pairs, les grands officiers, les ministres et le Parlement de Paris y assistèrent en vertu de leur convocation. Dans l'après-midi du même jour, les mêmes lois furent enregistrées à la chambre des comptes et à la cour des aides, mandées également à Versailles ; enregistrement fait en présence de Monsieur, dans la première de ces cours, et de M. le comte d’Artois, dans la seconde. Voici les différents discours prononcés par Sa Majesté et par M. le garde des sceaux, au lit de justice; nous donnerons successivement les édits qui en font l’objet. Discours du roi , à Couverture du lit de justice tenu à Versailles le 8 mai 1188. Il n’èst point d’écart auquel mon Parlement de Paris ne se soit livré depuis une année. Non content d’élever l’opinion de chacun de ses membres au niveau de ma volonté, il a osé faire entendre qu’un enregistrement auquel il ne pouvait être forcé était nécessaire pour confirmer ce que j’aurais déterminé, même sur la demande de la nation. Les Parlements de province se sont permis lés mêmes prétentions, les mêmes entreprises. Il en résulte que dès lois intéressantes et désirées ne sont pas généralement exécutées ; qüe les meilleures opérations languissent; que le crédit s’altère ; que la justice est interrompue ou suspendue; qü’enfm la tranquillité publique pourrait être ébranlée Je dois à mes peuples, je me dois à moi-même, je dois à mes successeurs d’arrêter de pareils écarts. J’aurais pu les réprimer ; j’aime mieux en prévenir les effets. J’ai été forcé de punir quelques magistrats, mais les actes de rigueur répugnent à ma bonté, lors même qu’ils sont indispensables. Je ne veux donc point détruire mes Parlements, mais les ramener à leur devoir et à leur institution. Je veux convertir un moment de crise ën une époque salutaire poür mes sujets ; Commencer, la rèformation de l’ordre judiciaire par celle des tribunaux, qui en doit être la base; Procurer aux justiciables Une justice plus prompte et moins dispendieuse ; Confier de nouveau à la nation l’exercice de ses droits légitimes, qui doivent toujours se concilier avec les talents. Je veux surtout mettre dans toutes les parties de la monarchie nette unité de vues, cet ensemble, sans lesquels Un grand royaume est affaibli par le nombre même et l’étendue de ses provinces. L’ordre que je veux établir n’est pas nouveau ; le Parlement était unique quand Philippe-le-Bel le rendit sédentaire à Paris. Il faut à un grand État un seul roi, une seule loi, un seul enregistrement; Des tribunaux d’un ressort peu étendu, chargés de juger le plus grand nombre deB procès ; • Des Parlements auxquels les plus importants seront réservés ; Une cour unique, dépositaire des lois communes à tout le royaume, et chargée de leur enregistrement-. Enfin des États généraux assemblés, non une fois, mais toutes les fois que les besoins de l’État l’exigeront. Telle est la restauration que mon amour poür mes sujets a préparée et Consacre aujourd’hui pour leür bonheur. Mon unique but sera toujours de lés rendre heureux. Mon garde des sceaux va vous faire connaître plus en détail mes intentions. Discours de M. le garde des sceaux , pour annoncer l'ordonnance du roi sur l'administration de la justice. Messieurs, avant d’exercer aujourd’hui dans cette coür la plénitude de sa puissance, le roi s’est fait représenter dans ses conseils les plus salutaires ordonnances de ses prédécesseurs. Sa Majesté a reconnu d’abord, par la seule inspection de leur enregistrement, que l’autorité souveraine avait été obligée de se déployer tout entière, pour ordonner aux Parlements de vérifier la plupart des lois qui oht assuré la prospérité de la nation. Cet examen a déterminé Sa Majesté à faire publier en sa présence plusieurs nouveaux édits qüe sa sagesse a conçus pour le bien de ses peuples. Ce n’est, en effet, Messieurs, que dans cette forme absolue, ou du très-exprès commandement du roi, que sont inscrites dans vos registres les meilleures lois de cette monarchie ; L’ordonnance de Charles Y, qui fixe la majorité des rois à quatorze ans, de 1375; L’ordonnance de Charles VîII, sur le fait de justice, de 1493 ; L’ordonnanèe de Louis Xil, donnée â Blois en 1498 ; L’édit de François Ier, portant création d’un lieutenant criminel dans chaque bailliage et sénéchaussée, de 1523; L’édit de création et l’édit d’ampliation des présidiaux, de Henri II, en 1551 ; [1*0 Série. T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [introduction.] 293 L’ordohnance d’Orléans, deChafléSlX, en 1560 ; L’édit de RoüSsillon, de 1563; L’ordonnance de la même année, sur l’abréviation des procès ; L’édit de Charles IX, sur la juridiction des juges-consuls, de 1563; La déclaration sur l’ordonnance de Moulins, en 1566; L’ordonnance de Blois, en 1579 ; L’édit de Henri III, portant établissement des greffes, pour les contrats sujets à retraits lignagers, de 1586; L’édit de Henri IV, portant création des greffiers civils èt criminels, en 1597 ; L’ordonnance de Louis XIII, sur les plaintes des États généraux, en 1 614 ; L’édit de Louis Xliî, sür le domaine, en 1619; L’édit de Louis XIV, contre les duels, ën 1651; L'ordonnance civile de Louis XIV, eh 1667; L’édit du louis XIV, portant établissement des greffes pour la conservation des hypothèques, en 1673; L’édit pour les épices, vacations et àütfes frais de jüstice, de la même année ; Enfin l’édit de 1774, qui vous à rétablis dans vos fonctions. Ces exemples. Messieurs, avertissent lé foi du digne Usage qu’il peut faire du pouvoir suprême, pour le bien de la nation. Sa Majesté doit incontestablement la justice à ses peuples. Mais jusqu'à présent cette grande protection a été trop lente et trop dispendieuse dans ses États. Des plaintes universelles avertissent depuis longtemps Sa Majesté de plusieurs abus importants én ce genre ; et toutes les provinces de son royaume lui demandent également d’y pourvoir. En matière criminelle, vous éprouvez souvent, Messieurs, que vos jugements portent sur des délits commis à cënt lieües de la capitale. C’est de la même distance qu’en matière civile les sujets du roi sont obligés de Venir solliciter vos arrêts ; et ce n’est bien souvent qu’àprès plusieurs années d’attente qu’ils parviennent à les obtenir. Des contestations, dont le plus grand nombre est de peu d’importance, les asservissent à de longs et ruineux Séjoürs dans la capitale ; et l’art inépuisable de la chicane applique encore à de légers intérêts les formes lentes des discussions les plus épineuses et les plus compliquées. Cependant Sa Majesté ne vous impute point ces lenteurs, et elle se plaît à rendre aujourd’hui, Messieurs, un témoignage .solennel de satisfaction à votre activité, à votre zèle, à vos lumières. Quoique cet inconvénient d’un trop long délai Soit plus marqué dans cette cour, à cause de l’immense étendue de son ressort, Sa Majesté n’ignore pas qu’il se fait encore trop sentir dans le ressort de ses autres Parlements. Pour y remédier, ie roi s’est vu réduit à l’iflé-Vitable alternative, ou de multiplier ses cours souveraines, ou d’augmenter lés poutoifS deS tribunaux dü second ordre. C’est ce dernier moyen que sa sagesse à préféré. En conséquence, le roi se déterminé à donner une constitution nouvelle à ses bailliages; il les autorise tous à juger définitivement les contestations dont le fond n’excédera pas 4,000 livres, En même temps, et au-dessus de ce premier ordre de bailliages, Sa Majesté choisit, dans les villes les plus-considérables de votre ressort, JëM tribuhaüx qui y sont établis, pour les ê lever à une compétence plus considérable ; et sous la dénomination de grands bailliages iis décideront sans appel les affaires criminelles, de même qiie les procès civils, lorsque la valeur de l’objet contesté ne s’élèvera pas au-dessus de 20,000 livres. Ainsi Sa Majesté vous réserve, Messieurs, en matière ci file, toutes les contestations qui excéderont cette dernière attribution, et de plus toutes les causes qüi dë leur nature doivent reSsoftir à ses cours ; et en matière criminelle vous connaîtrez, comme par le passé, des causes des privilégiés. Par cet ordre qu’elle prescrit, Sa Majesté vous fixe à vos véritables fonctions. Elle conserve aux ecclésiastiques, aux gentilshommes et à tous ceux de ses sujets qui participent à leur privilèges, le droit de n’avoir que vous seuls pour juges suprêmes en matière criminelle. Elle vous attribue également en matière civile le jugement définitif des grandes affaires, pour lesquelles ses cours ont été principalement établies, selon les termes du roi Henri II dans l’édit de création des présidiaux. Le roi, regardant comme un sage principe de législation de soumettre à deux jugements différents les questions d’une certaine importance, assure à tous ses sujets deux degrés de juridiction pour les affaires de cette espèce. Ainsi Sa Majesté n’abolit aucun tribunal, n’exerce aucune contrainte, et elle se borne à rapprocher la justice des justiciables, dans les mêmes tribunaux qui la leur rendent depuis longtemps. Il en coûtera aux peuples beaucoup moins de peine, de temps et de dépense pour l’obtenir. Quant aux jugements criminels, quoique la vie d’un homme soit aux yeux de Sa Majesté d’un prix incomparablement plus grand que les propriétés les plus importantes, de sages considérations ont pourtant déterminé le roi à accorder le dernier ressort aux grands bailliages, en matière criminelle, en même temps qu’il restreint, en Page Blanche Ajoutée |lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.) ®97 l’alternative d’un remplacement ou d’un remboursement successif. Discours de M. le garde des sceaux , pour annoncer la déclaration du roi relative a l'ordonnance criminelle. Messieurs, la nécessité de réformer l’ordonnance criminelle et le Gode pénal est universellement reconnue. Toute la nation demande au roi cet acte important de législation, et Sa Majesté a résolu dans ses conseils de se rendre au vœu de ses peuples. Sa Majesté a voulu d’abord qu’on établit dans l’ordonnance criminelle une distinction précise entre les abus qui tiennent à l’ensemble de la législation, et les abus qui, n’étant pas de même inhérents à la loi, peuvent en être détachés avant la rédaction générale de la réforme. Le premier et le plus alarmant de ces abus particuliers, celui qui, sous une législation défectueuse, rendrait tous les autres irréparables, c’est la disposition de l’ordonnance qui enjoint l’exécution des arrêts de mort dès qu’ils ont été prononcés. C’est pour prévenir de funestes erreurs, qui sont rares sans doute, mais dont les fastes des tribunaux ne fournissent encore que trop d’exemples , qu’en accordant aux grands bailliages le dernier ressort en matière criminelle, le roi veut assurer à tous les condamnés le temps nécessaire pour solliciter sa clémence ou pour éclairer sa justice. Dans cette vue, Sa Majesté ordonne, par la loi que vous allez connaître, un mois de surséance pour l’exécution de tous les arrêts de mort. Cette précaution, commandée par la circonstance, sera également précieuse à conserver après la réforme des lois criminelles. Il est notoire en effet, Messieurs, que, dans les États les plus éclairés de l’Europe, tous les jugements portant peine de mort sont soumis à l’autorisation préalable du souverain. C’est un usage d’autant plus digne de passer en loi dans la monarchie française, que le droit de faire grâce étant le plus bel attribut de la royauté, cette prérogative deviendrait illusoire si les jugements étaient exécutés avant que le prince pût savoir qu’ils ont été rendus. Mais, en s’assurant ainsi pour toujours un droit dont il ne veut user qu’avec sagesse, le roi autorise néanmoins l’exécution immédiate des arrêts de mort dans les cas d’émeute et de rébellion , où la promptitude des supplices peut hâter le rétablissement de l’ordre. En accordant à tous les condamnés un mois de surséance, le roi a statué que ce délai de l’exécution daterait du jour où le coupable aurait entendu la lecture de son jugement. Cette disposition, que Sa Majesté avait profondément méditée dans ses conseils, a excité vos réclamations. Mais vous le savez, Messieurs, la conscience des coupables, les interrogatoires qu’ils ont subis, les preuves qu’on leur a opposées, leur passage-de la prison commune dans les cachots immédiatement après leur condamnation, leur renvoi devant les premiers juges, enfin je ne sais quelle publicité soudaine que les décisions de la justice ont communément dans l’enceinte qui rassemble les malfaiteurs, ne leur laisse presque jamais ignorer leur sort, dès qu’il est irrévocablement fixé. L’état habituel des choses a donc ici préparé d’avance la disposition de la loi. Mais quand même ce serait une innovation, si elle est juste et salutaire, la compassion qu’on lui oppose a-t-elle droit d’y mettre obstacle ? Ce n’est point à de tels mouvements que le législateur doit se livrer. Sa compassion consiste, d’une part, à diminuer la rigueur des peines, autant que le maintien de l’ordre et de la sûreté publique lui permet de les tnodérer ; de l’autre, à ménager aux condamnés tous les moyens légitimes d’éviter le supplice. Il est dont essentiel, Messieurs, d’établir un ordre nouveau, où le jugement de l’accusé lui soit révélé, afin qu’il puisse profiter et du délai qu’il a pour se défendre, et du conseil qu’il a pour s’éclairer. N’y eût-il, Messieurs, dans tout un siècle, qu’un seul innocent à qui cette signification anticipée pût conserver la vie, c’est de celui-là que le législateur doit s’occuper. A la suite de ce règlement, la vigilance du roi s’est portée vers d’autres objets non moins dignes de sa sagesse. Ainsi Sa Majesté interdit la formule adoptée dans la rédaction de vos arrêts, pour condamner, sur les cas résultants du procès, sans articuler les crimes que vous punissez au nom de la loi. La dignité même de vos jugements exige l’énonciation expresse des délits. Quel tribunal pourrait être jaloux de la prérogative d’infliger des peines capitales, sans motiver ses arrêts ? Le roi a donc pensé, Messieurs, que toute condamnation solennelle, qui met la peine à la suite du délit, devait montrer le délit à côté de la peine. Après avoir déterminé la forme du jugement des coupables, le roi s’est occupé des dédommagements que vous décernez aux innocents, lorsqu’ils ont subi, sur de faux indices, les rigueurs d’une poursuite criminelle. Sa Majesté a voulu connaître le genre de réparations que la loi devait leur avoir assurées. Je dois le déclarer hautement, Messieurs, Sa Majesté a vu, avec la plus grande surprise, que la législation de son royaume n’avait encore rien [Ire Série, T. Ie**.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m statué en leur faveur \ et que, s’il üë se trouvait pas au procès une partie civile qui pût être con-daiüriëe aux frais dé l’impression et de l’affiche de ces jügeMéntB d’absolütibn, cëtte faible indemnité n’était pas môme accordée à l’innocëüce. Le roi s’occupe de ces réparations, qu’il regarde comme une dette de sa justice. Mais, en attendant que Sa Majesté puisse atteindre ce but d’une législation vraiment équitable, qui, prévoyant la possibilité de confondre d’abord l’innocent avec le malfaiteur, ne se borne point à punir, et se croit alors obligée à dédommager, elle veut que Ces jugements d’absolution soient imprimés et affichés aux dépens de Sëii domaine. Les mêmes considérations d’humanité et de justice, qui Suggërébt au roi Ces précautions tutélaires en faveur de l’innocence, déterminent Sa Majesté à lui épargner une honte qu’elle subit qüelqUefois devant vous ; et C’est dans ce dessein qué le roi vient d’abolir l’usage d’interroger les accüsés sur la sellette. Cette formalité fut admise dans les tribunaux comme üb adoucissement l’humânifé envers les prisonniers, qui comparaissaient autrefois chargés de fers devant leurs juges. Mais, dans nos mœurs, la sellette est devenue Une véritable flétrissure. L’ordonnance de 1670 y avait assujetti les accusés contre lesquels il y aurait des conclusions â peine afflictive ; l’üsàge y a soumis tous les àccUséS contré lesquels il y a des conclusions è peine infamante. Cependant le ministère public est leur partie et non pas léür jugé. 11 ne doit donc pas aVoir le droit de leur imprimer, avant même leur jugement, Une espèce de tache déshonorante, par le sëUl énoncé de son opinion, qui n’obtient pas toujours la sanction de vos arrêts. Si l’accusé est coupable, l’humanité défend de le troubler ; et, s’il est innocent, la justice ne permet pas de le flétrjf. Enfin ufi dernier objet de réforme préparatoire a fixé l’attention dé Sa Majesté : C’est la question préalable. Sa Majesté a considéré que la loi réprouvait elle-même ce cruel moyen de découvrir la vérité, puisqu’elle frappe de nullité les aveux que le patient ne ratifie pas quand il a cessé de souffrir; Que ces déclarations, arrachées par la violence de la douleur, et soutenues ensuite par la crainte d’être remis à la torture, pouvaient faire tomber ies juges dans les erreurs les plUs fübestes ; Enfin qu’il suffisait qüe futilité et la nécessité de la question préalable fussent contestées par tant dë réclamations, pour que le législateur dût essayer Un autre moyen d’obtenir des coupables la révélation de leurs complices. Telles sont, Messieurs, lès dispositions par lesquelles Sa Majesté commence â procéder à réforme des lois criminelles. Tous les temps sont propres sans doute à pré-venii* le mal et à faire le bien ; et, lorsque futilité d’un Changement dans la législation est manifestée, et que l’exécution en est possible, c’est un bienfait public qu’il ne faut jamais différer. Discours de M. le garde des sceaux , pour annoncer Ve' dit du roi portant réduction d'offices dans sa cour de Parlement de Paris. Messieurs, les principes qtii forment là base de l’ordonnance du roi sur l’administration de là justice, appellent les conséquences que vous àllez voir développées daüs uû houVel édit de 8a Majesté concernant là suppression de plusieurs offices dans cette cour. Il f aura beaucoup inoifiS d’affaires à jugeT ; il n’est donc paS nécessaire d’y entretenir lé même nombre de juges . Mais, avant de prononcer cette suppression, le roi a commencé par s’assurer qu’elle n’aurait rien de contraire à la sage et célèbre ordonnance de Louis XI, du 21 octobre 1467, sur l’inamovibilité des offices. La discussion de cette loi mémorable s’est faite dans le conseil du roi, et elle a pleinement rassuré la justice dè Sa Majesté. Voici, Messieurs, les termes précis de cette Ordonnance, qui intéresse encore plus les justiciables que les juges. Gommé depuis notre avènement à la couronne, plusieurs mutations ont été faites en nos offices..., noiis statuons que désormais nous n'eb donnerons aucun , s'il n’est vacant par mort , ou par résignation , ou par forfaiture préalablement jugée. C’est donc, [Messieurs , à l’inconvénient de la mutation que la loi de Louis XI a voülü remédier. Qüand il û’y a point de mutation ü. afis les offices, la disposition de l’ordofinance n’a donc plus d’application. Ainsi nos rois ont renoncé à f usagé ancien et abusif de dépouiller Un jugé de son office, pour en revêtir üii autre. Mais, par la même raison qu’ils ont toujours pü multiplier Cés offices dans les tribünâux, ils n’ont jamais perdü lé droit inhérent à la couronne d’en réduire lé nombre dès que le bien de l’Ëtat exigerait cette réduction. Il est en effet de toute 'évidence que c’est l’ina-* mdvibilité des Officiers, et nofi pas la perpétuité des offices de. jüdicatürë, qu’à établie l’ordonnance de Louis XI. Depuis cette époque, Messieurs, nos rois ont créé de nouveaux parlements ; ils obi aboli dés coürs entières qüi n’existent plus; et ces créations et ces suppressions n'ont été qüe f exercice naturel dé i’àütorité souveraine. [1™ Série, T. I*.] ARCHIVES PARüSMENTÀIRES. [Introduction.] Sa Majesté reconnaît hautement que la destitution personnelle d’un jugé, pour en substituer uù autre, ou, Ce qui serait la même chose, la suppression d’un tribunal pour lé remplacer par un autre, exige une forfaiture préalablement jugée. Voilà, Messieurs la sauvegarde de la magistrature, ou plutôt des peuples, auxquels voüs administrez la justice au nom du roi. Mais Sa Majesté a appris, des ordonnances de son royaume, ainsi que des exemples de ses prédécesseurs, qu’une suppression collective d'offices, qui n’est qu’une réforme nécessaire dans Un corps de judicature, ne doit pas être confondue avec ces destitutions individuelles qüi exigent ütt jugement préalable, et qu’elle appartient essentiellement à l’administration générale de l’État. Après avpir fait uü légitime usage de sa puissance, en réduisant le nombre des jugés au besoin des justiciables, lë roi n’a négligé dans cette suppression aucune des précautions qué pouvait lui suggérer la plus exacte et la plus impartiale justice. Sa Majesté conserve d’abord, à ceux d’entre vous sur qui tombe lâ suppression qu’elle va ordonner, tous les honneurs attachés à vos offices, hors dü tribunal dont vous cesserez d’être membres. En Supprimant les charges des magistrats qui ont été le plus récemment pourvus d’offices en cette Cour, le roi leur en rembourse dès à présent la finance en deniers comptants. Les ordres sont donnés, les fonds sont prêts, et ces remboursements n’essuieront aucun délai. Cette suppression s’opérera d’ailleurs sans distinction, sans exception, et suivant rigoureusement Tordre du tableau. Les offices actuellement vacants seront comptés au nombre de ceux que le roi supprimé ; et l’excédant de la suppression portera sur les derniers titulaires reçus dans cette cour. Enfin, Messieurs, Sa Majesté m'ordonne de déclarer en son nom que, lorsqu’il y aUra désormais des charges vacantes dans sdh Parlement, elle les accordera de préférence à ceux des magistrats dont elle supprime les offices. C’est Une consolatioh que ie roi se plaît à donner à son Parlement, que l’espérance de voir successivement revenir dans son sein ceux de ses membres qui méritent ses regrets , et que les ’ circonstances obligent Sa Majesté d’en séparer. Discours de M. le garde des sceaux * pour annoncer l'édit du roi portant rétablissement de la cour plénière. Messieurs, avant même que cette cour fût composée d’un si grand nombre de magistrats, François, Ier, Henri II, Henri IV et Louis &III avaient senti le danger d’admettre fa jeune magistrature 4M auX délibérations de leurs Parlements sur lés affaires publiques. Ils avaient considéré qu’étant exclue dû jugement des causes importantes, elle devait bien moins encore participer à la discussion dé cëllés qui intéressaient l’État, où elle aurait dominé par lemombre. - - Frappé des mêmes inconvénients, le roi exécute aujourd’hui le projet que ses prédécesseurs avaient conçu. Sa Majesté n’admet de son Parlement de Paris que la seule grand’chambre à la coür qU’élle rétablit, pour procéder à la vérification et publication de ses lois générales. Mais, jaloux de rendre Cette cour aussi digne qu’il est possible de sa confiance et de celle de la nation, le roi réunit cette portion éminente de la magistrature aüX princes de son sang, aüx pairs de son royaume, aux grands officiers de sa couronne, à des prélats, des maréchaux de France, et autres personnages qualifiés, des gouverneurs de provinces, des chevaliers de ses ordres, un magistrat de chacun de ses Parlements, des membres choisis dans son conseil, deux magistrats de la chambre dgs comptes et deux de la coür des aides de Paris. C’est dans cette forme que le roi rétablit aujourd’hui ce tribunal suprême’ qui existait autrefois, et qui, selon les expressions mémorables de Philippe de Valois et Charles lë Sage, était le consistoire des féaux et des barons , la cour du héron-nage et des pairs , le Parlement universel , la justice capitale de lâ France , la seule image de la majesté souveraine, la-source unique de toute la justice du royaume , et lé principal coïiseil dés rois. Cette résolution, Messieurs, n’est pas nouvelle dans les conseils de Sa Majesté ; Voüs n’avez pas oublié qu’elle vous fut annoncée dans la première de ses lois, au moment où voüs fûtes . rendus à vos fonctions. Mais il fallait que l’exécution d’uü si grând changement fût sollicitée par ies Circonstances. Les circonstances l’exigent en effet. Ce n’est pas, Messieurs, que jusqu’à la convocation des États généraux, promise par le roi, Sa Majesté se propose de riëü ajouter aux impôts qüi ont déjà reçu leur sanction légale. . Et si, par malheur, une guerre imprévue ou d’autres nécessités urgentes de l’État rendaient indispensables de nouvelles perceptions, cë në serait que provisoirement et jùsqu’à l’assemblée de la nation, que le roi demanderait à la coür plénière d’en Vérifier les édits. Mais il y a d’autres lois que des lois bursàlës, des lois d’une importance reconnue, doüt la résistance des Parlements a diversement contrarie l’exécution, et qui exigent qu’une seule et même sanction les mette en activité dans tout le royaume. 300 [1» Série, T. I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] De l’unité de ce conseil suprême doivent nécessairement résulter, Messieurs, des avantages inestimables pour une grande monarchie. Déjà les diverses coutumes qui régissent les différentes provinces, et même souvent les différentes villes de chaque province, ont fait un chaos de la législation française. Il entre dans les vues législatives de Sa Majesté de simplifier ces coutumes diverses, et d'en réduire le nombre avec tous les ménagements que méritent d’anciennes lois, lorsqu’elles sont liées aux mœurs locales. Mais si, à cette diversité de lois particulières, il fallait ajouter encore, dans l’exécution des lois générales, de nouvelles différences causées dans chaque ressort, tantôt pàr le refus, tantôt par les clauses de l’enregistrement, il n’y aurait plus ni unité dans la législation, ni ensemble dans la monarchie. A ces considérations, qui seules auraient rendu indispensable le rétablissement de la cour plénière, se joignent encore, Messieurs, des motifs d’un grand poids. Le roi, sans doute, est loin de supposer que ses Parlements puissent jamais oublier tout ce qu’ils doivent d’obéissance et de fidélité à l’autorité souveraine. Mais enfin, Messieurs, sous l’empire des lois, toutes les classes de citoyeus doivent se reconnaître justiciables d’un tribunal; et les Parlements n’auraient eu jusqu’à présent d’autre juge que le roi seul, dans le cas même de forfaiture. Ce n’est qu’à la cour plénière que Sa Majesté peut confier cette fonction rigoureuse, dont l’exercice doit éviter à sa bonté l’usage personnel de son autorité contre les magistrats qu’elle s’est vue plusieurs fois dans la nécessité d’employer. Pour rétablir cette cour, le roi n’a eu besoin d’aucune innovation ; il lui a suffi de remonter au delà de l’érection de ses Parlements. C’est dans les monuments de notre histoire que Sa Majesté a trouvé le modèle de cette grande institution. En effet, avant la création des cours dans les provinces, dont la première époque est du quatorzième siècle, il n’existait encore que le Parlement de Paris, qui enregistrait les lois pour tout le royaume. Ce premier Parlement formait alors la cour plénière dans les occasions importantes ; et cette cour plénière était composée comme le roi la compose aujourd’hui. Quant aux Parlements de province, dont la création successive est postérieure à cette ancienne forme d’administration, ils doivent être d’autant moins étonnés de perdre le droit d’enregistrement, que nos rois leur ont interdit la connaissance de plusieurs espèces de causes attribuées 3ans réclamation au seul Parlement de Paris. Cependant, Messieurs, pour ne point se priver des connaissances locales qui peuvent avertir sa bonté ou éclairer sa justice, le roi admet à sa cour plénière un magistrat de chacun de ses parlements. Ainsi, quand les provinces de leur ressort auront des intérêts particuliers à discuter, elles y trouveront toujours un fidèle interprète de leurs réclamations et de leurs devoirs. Pour vous, Messieurs, vous serez tous appelés successivement, par ordre d’ancienneté, à cette cour auguste. Vous ne subirez, pour devenir membres de la cour plénière, que les mêmes délais auxquels vous êtes soumis pour siéger à la grand’chambre. Rendus à vos fonctions naturelles, vous jouirez désormais paisiblement de la considération que méritent vos services. Vous verrez l’État prospérer sous une administration économique, tranquille et modérée ; vous bénirez le roi qui se montrera entièrement occupé à réparer, de concert avec la nation, les maux passés, et à préparer les biens à venir; qui, loin d’avoir voulu concentrer son autorité dans un seul corps, pour la rendre arbitraire, ne demandera jamais, soit à la nation, soit à ce tribunal patriotique, qu’un zèle sincère, des conseils éclairés, le respect pour la justice, l’amour des peuples, un couragêux dévouement âu bien public ; et qui enfin est aussi décidé à n’abuser jamais de sa puissance, qu’à la maintenir et à la faire respecter. Discours de M. le garde des sceaux , pour annoncer la déclaration du roi sur les vacances. Messieurs, en vertu de la nouvelle ordonnance du roi sur l’administration de la justice, la plupart des procès actuellement engagés dans les cours souveraines doivent être renvoyés et distribués aux tribunaux du second ordre, pour y être jugés en dernier ressort. 11 vous serait presque impossible, Messieurs, d’apprécier vous-mêmes, dans la foule et la confusion de tant d’intérêts divers, cette exacte valeur des objets contestés, qui désormais doit être la mesure des différentes attributions. C’est aux parties intéressées à convenir de leurs prétentions réciproques, et à recourir en conséquence au tribunal auquel il appartient d’en décider. Ces discussions préliminaires demandent du temps pour être réglées entre les plaideurs, et pour leur éviter tous ces procès de compétence, que le roi, dans le nouveau plan qu’il a conçu relativement à l’administration de la justice, a eu tant à cœur de prévenir. Enfin, quand même les déplacements des causes, et le changement des défenseurs, auraient exigé moins de délais, et que la distribution des procès, [Ire Série, T. 1».J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Introduction.] selon la valeur des objets en litige, eût pu s’exécuter sans retardement, la poursuite des procès n’en serait pas moins inévitablement interrompue, en attendant que les tribunaux du second ordre soient formés complètement, et leurs districts déterminés. Il doit y avoir en effet un accord perpétuel et une correspondance continue entre l’activité des tribunaux inférieurs et celle des cours souveraines. Cette harmonie, Messieurs, sera incessamment et parfaitement établie. Mais, pour donner à tous ces tribunaux cette constitution graduelle et régulière d’où leur accord dépend, Sa Majesté a jugé indispensable de suspendre l’exercice de vos fonctions. Le roi trouve d’autant moins d’inconvénient à cette interruption dans l’action de ses cours souveraines, qu’elle n’est qu’une extension de vos vacances ordinaires. Sa Majesté vous rappellera, Messieurs, aux fonctions qui vous sont réservées, dès que les deux ordres de bailliages qu’elle institue seront formés dans votre ressort. Discours du roi , à la fin du lit de justice tenu h Versailles le 8 mai 1788. Vous venez d’entendre mes volontés. Plus elles sont modérées, plus elles seront fermement exécutées ; elles tendent toutes.au bonheur de mes sujets. Je compte sur le zèle de ceux d’entre vous qui doivent dans le moment composer ma cour plénière; les autres mériteront sans doute par leur conduite d’y être successivement appelés. Je vais faire nommer les premiers, et leur or-* donner de rester à Versailles, et aux autres de se retirer. Ordonnance du roi sur V administration de la justice. Louis, etc. Depuis que nous avons porté nos regards sur l’administration de la justice dans notre royaume, nous avons été frappé de la nécessité de soumettre à une révision générale nos lois civiles et notre ordonnance criminelle; et la régénération de nos tribunaux s’est d’abord présentée à nous comme une partie essentielle et un préliminaire indispensable de cette double réforme. Nous avons reconnu dès lors que, s’il était de notre justice d’accorder à nos sujets la faculté d’avoir dans la discussion de leurs droits deux degrés de juridiction, il était aussi de notre bonté de ne pas les forcer d’en reconnaître un plus grand nombre. Nous avons reconnu qu’en matière civile des-contestations peu importantes avaient eu quelquefois cinq ou six jugements à subir ; qu’il résultait de ces appels multipliés une prolongation inévitable dans les procès, des frais immenses, des 301 déplacements ruineux, et enfin une continuelle affluence des plaideurs, du fond deleursprovinces, dans les villes où résident nos cours, pour y solliciter un jugement définitif. Nous avons reconnu que cet inconvénient, si préjudiciale à nos sujets en matière civile, ne l’était pas moins en matière criminelle. Le premier remède qui s’offrait à notre autorité pour obvier à tant d’abus, c’était de diminuer l’étendue de la juridiction assignée à nos cours ; mais de grandes et importantes considérations ne nous permettant pas de restreindre les ressorts de nos Parlements, nous avons cherché dans notre sagesse d’autres moyens de rapprocher les justiciables de leurs juges. Ce grand objet de législation avait souvent attiré l’attention des rois nos prédécesseurs : ce fut dans le même esprit qui nous anime, et dans la vue de simplifier l’administration de la justice, que fut rendue l’ordonnance de Louis XII en 1498, l’ordonnance de François Ier en 1535, l’ordonnance du même prince donnée à Villers-Coterets en 1539, pour l’abréviation des procès; l’ordonnance d’Orléans en 1560, l’ordonnance du château de Roussillon en 1563, l’ordonnance de Moulins en 1566, l’ordonnance de Blois en 1579, enfin l’ordonnance de Louis XIV en 1667, et son ordonnance criminelle en 1670. Mais la plus sage de toutes les lois de nos prédécesseurs sur cette matière c’est l’édit de création des présidiaux, donné par Henri II en 1551. Le principe de cette loi est que nos cours souve -, raines ont été principalement établies pour juger de grandes affaires dont il y avait appel interjeté ; et sa disposition veut que les présidiaux décident sans appel toutes les contestations dont le fond n’excédera pas la valeur de 250 livres. Immédiatement après notre avènement au trûne, nous crûmes nous-même ne pouvoir donner à nos peuples une preuve plus signalée de notre amour, qu’en augmentant cette justice en dernier ressort, qu’ils étaient obligés d’aller chercher loin de leur domicile, sur des objets de médiocre importance. Nous donnâmes en conséquence, dès le mois de novembre 1774, une extension aüx pouvoirs des présidiaux. L’expérience nous a fait connaître depuis, et l’insuffisance de cette nouvelle ampliation, que le prix progressif de l’argent laissait encore au-dessous de l’attribution primitive, et l’abus des formalités prescrites pour décider préalablement la compétence présidiale, abus qui a multiplié les délais, les contestations, et les frais que nous avions eu l’intention de diminuer. Ces considérations nous ont déterminé à établir dans l’administration de la justice un ordre et une distribution plus conformes à l’esprit de l’édit de Henri II ; et nous avons jugé que le moyen le plus simple et le plus sûr d’y parvenir était d’augmenter dans toute l’étendue de notre royaume [lre Série, X-I6*’-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.) m les pouvoirs êtes tribunaux du. second ordre, tant en matière civile qu’en matière criminelle. Nous n’avons cependant pas oublié que les justices seigneuriales font partie du droit des fiefs ; ét la protection que nous devons à toutes les propriétés de nos, sujets écartera toujours de nos conseils l’intention d’y porter atteinte. Ainsi, loin de rien retrancher des. justices des seigneurs, nous les maintenons dans l’exercice d’une justice im-.- médiate et locale, et 'nous les déchargeons en même temps de tous les frais des poursuites criminelles, pourvu que leurs officiers soient exacts à les commencer et à les déférer à. nos tribunaux. Nous n’interdisons d’ailleufs à aucun de leurs justiciables le recours à leurs juridictions, quand les deux parties jugeront à propos de s’y sou-mettre. Mais, en laissant à tous ceux de nos sujets domiciliés dans le district de ces justices inférieures la liberté d’y défendre leurs droits à la charge de l’appel, nous leur donnons en même temps la faculté de franchir ce premier degré de juridiction, et nous autorisons chacune des parties à traduire l’antre immédiatement aux tribunaux de la justice royale. Ces tribunaux de première instance seront nos présidiaux, que nous composons d’une manière proportionnée à l’acroisse-ment de leurs pouvoirs, et nous leur attribuons le droit de juger en dernier ressort jusqu’à la concurrence de la somme de 4,000 livres. Mais au-dessus dp ces premiers présidiaux, nous avons senti la nécessité d’en établir de supérieurs dans les ressorts de toutes nos cours, pour tenir le milieu entre les procès qui peuvent être terminés au premier degré de lu juridiction royale, et les causes dont la décision doit être réservée à nos cours ; telle est la destination des grands bailliages que nous institutions ; en conséquence, nous avons soin de les fermer de la manière la plus propre à inspirer une confiance universelle à nos peuples, et nous les autorisons à juger en dernier ressort toutes les contestations dont le fond n’excédera pas 20,000 livres. En réglant ainsi les limites de chaque degré de juridiction, nous avons eu soin d’excepter, dans les dispositions de notre ordonnancé, tontes les causes qui, par leur nature, doivent être réservées à la décision de nos cours, indépendamment delà valeur du fond contesté. Moyennant cette nouvelle distribution, noscours rempliront l’objet essentiel et primitif de leur établissement, et ne seront plus occupées que d’affaires importantes, qu’elles pourront examiner avec attention et expédier avec célérité. Il n’y aura donc plus désormais dans notre royaume que deux degrés de juridiction forcée en matière civile, pour les plus grands intérêts, quand les parties voudront s’y astreindre. Telle doit être la marche d’une législation sage ; et, si les parties consentent respectivement à subir un plus grand nombre de décisions judiciaires sujettes à l’appel*, ce sera de leur part un assujettissement volontaire qu’elles ne pourront plus imputer à la loi. La même simplicité et le même ordre, qui bar* meront ainsi à deux jugements toutes les contestations civiles, maintiendront également à deux ..degrés inévitables de juridiction toutes les poursuites criminelles. Les procès de cette dernière classe, commencés d’abord, quand il y aura lieu, par les juges des seigneurs, pour constater les délits, recueillir les preuves et s’assurer des coupables, pourront être aussitôt déférés à nos présidiaux, qui les jugeront en première instance, et ils seront portés ensuite par appel à nos grands bailliages, qui prononceront en dernier ressort, à moins qu’ils ne concernent des ecclésiastiques, des gentilshommes , ou adirés privilégiés, que nous maintenons dans le droit de n’être jugés en dernier ressort qu’en .nos cours, en matière criminelle. Cet ordre que nous introduisons dans l’administration de notre justice criminelle aura l’avantage, pour les accusés qui seront innocents, ou qui ne seront coupables que de légers délits, cle diminuer la peine et le danger d’être trop longtemps détenus dans les prisons,, qui ne sont trop souvent pour eux qu’une école du crime. Le soin principal qui doit maintenant occuper notre sagesse c’est de donner aux tribunaux inférieurs une composition qui réponde à l’importance des fonctions que nous allons leur confier. Nous nous y préparons d’avance par l’exécution graduelle et générale d’un plan de législation dont toutes les parties se correspondent, et singulièrement en donnant l’attention la pins sérieuse à l'amélioration des études que nous ferons surveiller de plus près dans nos universités, et qui seront constatées par des examens et des épreuves les plus sévères. La réforme de nos facultés de droit est arrêtée, et elle sera bientôt mise à exécution dans toute sa vigueur. Mais, en attendant que ces précautions et les prérogatives que nous attachons dés à présent aux magistratures du second ordre aient excité une émulation universelle parmi ceux qui aspireront à occuper des charges de judicature, nous trouverons dans ' la suppression des tribunaux extraordinaires, dans la réduction d’un grand nombre d’offices, et dans la réunion de plusieurs sièges inférieurs, assez de sujets iutruits et intègres pour remplir dans nos présidiaux, ainsi que dans nos grands bailliages, les vues de notre sagesse et l’attente de nos peuples. A ces causes, et autres à ce nous mouvant, de l’avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, déclaré et ordonné; disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit Art. I®1. Avons érigé et érigeons en grands Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] bailliages, dans toute l’étendue de notre royaume, les bailliages et sénéchaussées dénommés dans l’état annexé sous le contre-seel de la présente ordonnance, auxquels attribuons provisoirement pour ressort et arrondissement les juridictions énoncées audit état, ainsi que celles situées dans l’arrondissement formé par lesdites juridictions, encore que ledit état n’en contienne une énom dation expresse. II. Voulons que tous les autres bailliages et sénéchaussées de notre royaume soient érigés en présidiaux, en sorte qu’il n’y ait dans nos États d’autres juridictions nuement ressortissantes en nos cours, que les présidiaux et de grands bailliages ; nous nous réservons en conséquence de supprimer et réunir à des présidiaux voisins les bailliages et sénéchaussées dans lesquels la pré-sidialité ne pourrait être établie ou maintenue, d’en créer de nouveaux où besoin sera, même ordonner les augmentations et distractions de ressort nécessaires, le tout d’après les procès-verbaux auxquels nous ordonnons, par l’article LX de la présente ordonnance, être incessamment procédé, sauf à établir, dans les lieux où les suppressions seront effectuées, des prévôts ou autres officiers pour y maintenir la tranquillité publique, en la forme qui sera ci-après prescrite. III. Révoquons l’attribution en dernier ressort ci-devant donnée à nos présidiaux, en matière criminelle, par nos édits et ordonnances-, en conséquence ne pourront nosdits présidiaux connaître d’aucuns crimes et délits qu’à la charge de l’appel. IV. Augmentons l’attribution présidiale en matière civile, jusqu’à In somme de quatre mille livres ; voulons que nos présidiaux jugent en dernier ressort jusqu’à concurrence de ladite somme. V. Attribuons à nos grands bailliages le droit de connaître en dernier ressort, par appel des juridictions y ressortissantes, jusqu’à concurrence de vingt mille livres. VI. Chacun de nos présidiaux et de nos grands bailliages sera composé d’un lieutenant général, un lieutenant criminel, un lieutenant particulier civil et un lieutenant particulier criminel; seront au surplus composés nos présidiaux, de huit conseillers, un notre avocat et un notre procureur seulement, et nos grands bailliages, de vingt conseillers, deux nos avocats et un notre procureur. VII. Avons crée et établi, créons et établissons, dans chacun de nos présidiaux et grands bailliages où-il n’y aurait des offices créés dans le nombre prescrit par l’article précédent , les offices nécessaires pour compléter ce nombre-, nous réservant de l’augmenter où le demanderont la multitude et l’importance des affaires* m VIII. Continueront nos présidiaux à fte former qu’une chambre, tant pour les causes du dernier ressort que pour celles à charge de l’appel. À l’égard des grands bailliages, le service y sera distribué en deux chambres : la première, qui sera la chambre du dernier ressort, sera composée du lieutenant général, du lieutenant criminel’ et de quatorze conseillers ; et la seeonde chambre, laquelle ne pourra juger qu’à la charge de l’appel, sera composée du lieutenant particulier civil, du lieutenant particulier criminel, et de six conseillers. IX. Les doyen et sous-doyen des conseillers aux grands baillages demeureront fixés à la première chambre ; seront les autres dix-huit conseillers distribués en trois colonnes, formées de la manière usitée en notre Châtelet de Paris, deux desquelles serviront à la première chambre pendant que la troisième sera de service à la seconde4, tourneront lesdites colonnes et changeront de service tous les ans à îa rentrée de la Saint-Martin. X. Les affaires criminelles, dont la connaissance appartenait aux bailliages et sénéchaussées ériges en présidiaux, seront portées auxdits présidiaux pour y être jugées à la charge de l’appel ; à l’égard des affaires civiles, celles excédant la somme de quatre mille livres y seront pareillement jugées à la charge de l’appel, et celles non excédant ladite somme, en dernier ressort. XI. Les affaires criminelles, dont la connaissance appartenait aux bailliages et sénéchaussées érigés en grands bailliages, seront portées auf secondes chambres desdits grands bailliages pour y être pareillement jugées, à la charge de l’appel : à l’égard des affaires civiles, il n’y aura que celles excédant la somme de quatre mille livres qui soient portées auxdites secondes chambres, pour être jugées à la charge de l’appel ; celles non excédant ladite somme seront portées aux premières chambres, et y jugées en dernier res-sot. XII. Les appels des jugements rendus en matière criminelle, tant par les secondes chambres de nos grand bailliages, que par les présidiaux de leur ressort et arrondissement, ainsi que par les justices y situées, seront portés aux premières chambres desdits grands bailliages, pour y être les accusés jugés en dernier ressort. XIII. Ne seront compris dans la disposition de l’article précédent, les privilégiés auxquels le droit appartient de ne pouvoir être poursuivis ni jugés en matière criminelle, que les chambres de nos Parlements assemblées, ou qu’ès grand - chambres desdites cours ; les ecclésiastiques, gentilshommes, officiers de justice et autres accusés, autorisés à requérir le renvoi auxdites grand’- chambres, non plus que ceux à qui le droit a été accordé de ne pouvoir être jugés que dans les cours où ils sont pourvus d’offices. [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,] 304 XIV. Voulons néanmoins que les lieutenants généraux et particuliers, nos avocats et procureurs aux présidiaux et grands bailliages, lesquels ont le droit de requérir le renvoi auxdites grand’- cbambres, puissent, s’ils sont accusés de prévarication ou fautes commises dans l’exercice des 'fonctions en dernier ressort attribuées à leurs sièges, demander d’être jugés, les deux chambres du grand bailliage assemblées, sans que le renvoi puisse leur être refusé, ni qu’après ladite demande aucune poursuite puisse être continuée contre eux en aucune chambre de nos Parlements. ; . XV. Les appels des sentences, rendues en matière civile par nos présidiaux et par les secondes chambres des grands bailliages, seront portés aux premières chambres desdits grands bailliages, lorsque l’affaire n’excédera' la somme de vingt mille livres, pour y être lesdits appels jugés en dernier ressort; et les affaires excédant ladite somme, les appels seront directement portés en nos cours. XVI. Nos présidiaux et grands bailliages connaîtront, exclusivement à nos prévôts, châtelains et autres nos juges inférieurs et aux juges des seigneurs, de tous les cas royaux et de toutes les autres matières dont la connaissance était spécialement attribuée aux bailliages et sénéchausées auxquels ils seront subrogés. XVII. Les prévôts, châtelains et autres nos juges inférieurs ne pourront rendre en matière •riminelle aucun jugement définitif ; leur interdisons à cet égard l’exercice de la juridiction criminelle. XVIII. Enjoignons aux seigneurs hauts justiciers, conformément aux ordonnances des rois nos prédécesseurs, d’avoir auditoire, greffe et prisons saines et sûres ; voulons aussi qu’ils aient, dans le chef lieu de leur justice, un juge gradué, un procureur fiscal, un greffier et un geôlier y résidants ou domiciliés , reçus au présidial ou grand bailliage , après information de vie et mœurs, et examen de leur capacité; si ce n’est qu’il suffira au geôlier, pour être approuvé d’après l’examen, de faire preuve qu’il sait lire et écrire ; tous lesquels officiers seront en outre tenus de faire au greffe soumission, dont l’acte sera visé dans le jugement de réception, de continuer leur résidence et domicile, tant qu’ils conserveront leurs offices. XIX. Dans le cas où lesdits seigneurs hauts justiciers n’auraient rempli tout ce qui leur est enjoint par l’article précédent, ou faute par eux d’avoir dans la suite des juges reçus et résidants, ainsi et de la manière y prescrite, l’exercice de leur justice criminelle demeurera de plein droit suspendu, et sera la connaissance des crimes et délits, commis dans l’étendue de leur justice, dévolue à nos présidiaux et grands bailliages. XX. Permettons néanmoins et même enjoignons à nos prévôts et nos autres juges inférieurs, ainsi qu’aux juges des seigneurs, encore qu’ils n’aient la qualité et la résidence portées en l’article XVIII ci-dessus, ou que les justices où ils seraient établis manquent de prisons ou d’auditoire, dans les termes prescrits par ledit article, d’informer et décréter, même arrêter les accusés en flagrant délit ou à la clameur publique, ainsi que tous vagabonds et gens sans aveu; à la charge, par nosdits juges inférieurs, de renvoyer à nos présidiaux et grands bailliages la procédure et les accusés après l’interrogatoire ; et, par les juges des seigneurs, de faire le renvoi de la procédure dans les vingt-quatre heures après le décret , et le renvoi des accusés , s’ils sont arrêtés, immédiatement après leur capture : même à la charge, par le procureur fiscal, dans le cas où la capture en flagrant délit ou autrement aurait précédé l’information, d’envoyer à notre procureur une liste de lui signée, indicative des témoins qu’il conviendrait faire ouïr. XXI. En satisfaisant, par les officiers des seigneurs, à tout ce qui est prescrit par l’article précédent, tous les frais nécessaires pour l’instruction, le jugement et son exécution, seront à la charge de notre domaine, sans aucune répétition contre les seigneurs. XXII. Voulons aussi que, lors même que les seigneurs auront rempli tout ce qui leur est ci-dessus prescrit pour l’exercice de leur justice, leurs juges puissent renvoyer les procès et les accusés, après l’interrogatoire, à nos présidiaux et grands bailliages, après lequel renvoi tous les frais seront à notre charge. XXIII. Maintenons nos présidiaux et grands bailliages dans le droit de prévention et concurrence, en matière criminelle, tant sur les juges des seigneurs que sur nos juges inférieurs; lorsqu’ils auront prévenu les juges des seigneurs, soit que ceux-ci n’aient que le droit d’informer et décréter, ou qu’ils aient le droit de juger, tous les frais seront à la charge des seigneurs. XXIV. Auront aussi nosdits présidiaux et grands bailliages la prévention et concurrence, en matière civile, sur nos juges inférieurs, même sur ceux des seigneurs, si ce n’est dans les coutumes qui interdisent expressément à nos juges la prévention sur les juges des seigneurs, dans lesquelles nos présidiaux et grands bailliages ne connaîtront par prévention sur lesdits juges que jusqu’à la revendication des seigneurs. XXV. Nos présidiaux et grands baillages auront prévenu, lorsque le demandeur aura fait assigner devant lesdits sièges, ou que le défendeur aura déclaré dans ses défenses leur porter la connaissance de l’affaire. XXVI. Voulons aussi qu’où les parties auraient laissé rendre des jugements par nos juges infé- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.) 305 rieurs ou ceux des seigneurs, il soit libre à l’une ou à l’autre de porter directement la cause d’appel, suivant la valeur de l’objet contesté, à nos présidiaux, à nos grands bailliages ou en nos cours, sans qu’aucune desdites parties soit tenue de suivre aucun degré intermédiaire de juridiction ; et à cet effet pourra l’intimé, si l’appel a été porté à quelque juridiction intermédiaire, en demander l’évocation, encore qu’il ne puisse y être statué à l’audience sur-le-champ; le tout sauf la revendication des seigneurs dans les coutumes qui leur en accordent expressément le droit. XXVII. Réservons toutefois à nos prévôts, châtelains et autres nos juges inférieurs et à ceux des seigneurs, l’exercice de la police, les appositions de scellés, les actes la tutelle, même les confections d’inventaire, dans les cas où nos ordonnances autorisent les juges à y procéder, sans que nos présidiaux et grands bailliages puissent les troubler dans aucune de ces fonctions, par prévention ou autrement, même à la réquisition des parties, si ce n’est dans les cas spécialement attribués par nos ordonnances aux bailliages et sénéchaussées dont ils exercent les droits. XXVIII. Toute compétence en dernier ressort, présidiale ou de grand bailliage, sera réglée par la somme demandée, ou par la valeur de l’objet contesté, ou par la restriction du demandeur; et ne seront compris dans ladite somme, valeur ou restriction, les intérêts, arrérages et fruits échus avant ou après la demande, ni les dommages, intérêts et dépens. XXIX. Pourra le demandeur, pour obtenir d’être jugé en dernier ressort, déclarer en tout état de cause, avant le jugement définitif, qu’il restreint et évalue sa demande à la somme fixée pour la compétence présidiale ou de grand bailliage, encore qu’elle ait pour objet un fonds ou un droit incorporel; et seront, audit cas, les juges tenus de donner au défendeur, par le jugements definitif, l’option de délaisser l’objet contesté, ou de payer la somme portée en la restriction. • XXX. Ne pourra ladite restriction être faite par aucune personne qui n’aurait la libre disposition de ses biens, qu’elle n’y soit dûment autorisée, ni par les gens de mainmorte, qu’avec les formalités prescrites pour l’aliénation de leurs biens. XXXI. Pourra le défendeur, qui voudra être jugé en dernier ressort, prouver, par les mercuriales, baux à ferme et autres documents, que l’objet contesté n’excède pas la somme fixée pour la compétence présidiale ou de grand bailliage, sans qu’audit cas le demandeur, si la demande lui est adjugée, puisse être obligé de se contenter du montant de l’estimation. XXXII. Ne seront tenus nos présidiaux et autres grands bailliages de rendre aucun jugement lre Série, T. 1er. de rétention, ni de statuer sur la compétence, qu'elle ne soit contestée. XXXIII. Tout jugement de compétence sera rendu sur les conclusions de nos avocats et procureurs, à l’audience ou sur délibéré, sans qu’il puisse être prononcé aucun appointement. XXXIV. Autorisons nos procureurs à requérir d’office que les affaires de la compétence présidiale ou de grand bailliage soient jugées en dernier ressort par lesdits sièges, même à les revendiquer, devant quelques cours qu’elles soient portées, à l’effet de faire prononcer par lesdits sièges, sur la compétence; à obtenir en conséquence un jugement pour assigner les parties, avec défense deprocéder ailleurs avant que ladite compétence soit jugée, à peine de nullité, cassation et amende; et ce, en offrant, par nosdits procureurs, d’établir la valeur de l’objet contesté par l’une des voies ci-dessus prescrites. XXXV. Ne pourront nos présidiaux et grands bailliages connaître en dernier ressort de la régale et autres droits de notre couronne, des affaires de notre domaine, de celle des prairies, des séparations d’habitation ou de biens, des interdictions, de l’état des personnes, ni des appels comme d’abus, excepté dans les cas où ils seraient incidents à une affaire de leur compétence. XXXVI. Voulons aussi qu’ils ne puissent connaître én dernier ressort des appositions de scellés et confections d’inventaire, si ce n’est que la valeur des effets mis sous les scellés ou celle de la succession comprise dans l’inventaire, soit convenue par toutes les parties ; et, à l’égard des qualités d’héritier, associé, femme commune ou séparée, ainsi qu’à l’égard des partages, mouvances , droits et devoirs seigneuriaux, retraits seigneuriaux et lignagers, ils pourront en connaître lorsque les qualités d’héritier et autres ne seront contestées que par voie d’exception et incidemment à une demande principale, ou que la valeur delà part réclamée dans la masse à partager, celle de la mouvance, droit ou devoir seigneurial, le prix et les loyaux coûts de la vente qui aura donné lieu au retrait, n’excéderont la somme fixée pour leur compétence. XXXVII. Dans tous les cas où les sentences consulaires sont sujettes à l’appel, il sera porté en nos présidiaux et grands bailliages, encore que la condamnation soit par corps, pour y être jugé en dernier ressort, jusqu’à concurrence de la somme fixée pour leur compétence ; et, à l’égard desdites sentences non sujettes à l’appel, ils connaîtront en dernier ressort de leur exécution. XXXV11I. Pourront les premières chambres de nos grands bailliages prononcer en dernier ressort les injonctions et peines, même des amendes, jusqu’à concurrence de ladite somme fixée pour leur compétence, contre nos juges inférieurs, ceux des seigneurs et autres leurs justiciables 20 /[l*e Série, T. Ièr.] ARCHIVAS MRLËMÈNTAIRËS. (Introduction.] 306 excepté les privilégiés désignés en l’article XIII ci-dessus ; n’entendons néanmoins qu’ils puissent faire aucuns règlements entre nosdits juges inférieurs et ceux des seigneurs. XXXIX. Les règlements faits par nos cours sur les droits et fonctions de nosdits présidiaux et grands bailliages, n’auront effet et exécution que relativement à la juridiction de première instance, ressortissante ès dites cours : à l’égard de la juridiction en dernier ressort, réservons à nous et à notre conseil le droit de faire les règlements qU’il appartiendra. XL. Nos lettres en forme de déclaration et lettres patentes seront par nous adressées aux grands bailliages, pour les vérification et enregistrement d’icelles, soit que lesdite» lettres soient données sur requête de partie, ou de notre propre mouvement, pourvu toutefois qu’elles n’intéressent que l’arrondissement particulier desdits grands bailliages, ou qu’elles ne portent que sur le bien et l’accélération de la justice dans leur ressort. XL1. Ne pourra être rendu en dernier ressort aucun jugement présidial qu’au nombre de sept juges, ni aucun jugement de grand bailliage qu’au nombre de dix ; auquel effet autorisons nos grands bailliages à emprunter à l’une des chambres pour le service de l’autre ; et nos présidiaux même nos grands bailliages, jusqu’à ce que les .offices nouvellement créés y soient remplis, à appeler, si besoin est, des gradués. XLII. Aucun jugement préparatoire, interlocutoire ou définitif, même de compétence, ne sera sans appel, s’il ne porte expressément dansle dispositif qu’il est donné en dernier ressort; et il suffira dans les grands bailliages qu’il soit signé par {'officier qui aura président par le rapporteur. XL1I1. Ne pourra aucun jugement, portant dans le dispositif qu’il est donné en dernier ressort, être attaqué que par opposition, s’il n’est contradictoire, par requête civile, par révision en matière criminelle, et par cassation en notre conseil; défendons à toutes les parties, notamment à nos procureurs généraux, d’en interjeter appel pour quelque cause que ce puisse être, même d’incompétence ou autrement; aux maîtres des requêtes ordinaires de notre bétel, d’en expédier ou sceller aucunes lettres ; à tous huissiers, de les signifier ni mettre à exécution; â Cous procureurs, de se présenter, ni occuper, et à nos cours, de recevoir ledit appel, ni connaître, soit par évocation, soit sous prétexte d’inspection de police, ou pour toute autre eause, de ce qui aura été prononcé par lesdits jugements ; leur défendons aussi d’ordonner l’apport du procès au greffe, à l’effet de vérifier s’il était dans le cas d’ètee jugé en dernier ressort j ou de décerner des amendes et autres peines contre les parties qui feraient exécuter, ou contre ceux qui* exécuteraient lesdits jugements, le tout à peine de nullité et de cassation des procédures : et encore les parties, procurants et huissiers, à peine de tous dépens, dommages et intérêts, et de 3,000 livres d’amende, encourue par chacun des contrevenants, et chaque contravention, lesquelles nullité, restitutions et amendes seront prononcées en notre conseil. XL1V. Autorisons nos procureurs ês présidiaux et grands bailliages à se pourvoir en notre conseil, pour y faire statuer sur la nullité des appels, procédures et arrêts en contravention à l’article précédent; et seront les contrevenants condamnés aux amendes y portées, encore qu’il n’y ait sur ce chef des conclusions de nosdits procureurs; nous réservant d’annuler et casser lesdits appels, procédures et arrêts, par des arrêts rendus en notre conseil, de notre propre mouvement et sans requête de partie. XLY. Dans tous les cas où il aura été rendu, tant auxdits présidiaux et grands bailliages qu’ett nos cours, des jugements et des arrêts de décharge des assignations, défenses de procéder ailleurs et autres semblables, il sera expédié des lettres ou arrêt de règlement de juges; et sera ledit règlement sommairement jugé en notre conseil, sur une seule requête de chacune des parties. XLV1. Il sera libre aux lieutenants généraux et aux lieutenants criminels de nos grands bailliages d’entrer et présider à la seconde chambre pour le jugement des affaires civiles ou criminelles, même de s’en réserver l’instruction, à la charge par eux de ne pouvoir juger en la première chambre les affaires où ils auront fait en première instance quelque partie de ladite instruction, donné quelque ordonnance, ou assisté à quelque jugement, sans que de la permission d’assigner, de celle d’informer, ou d’aucun ap-pointement simple sur requête, il puisse résulter contre eux aucune récusation, ni antre empêchement. XLY1I. Lorsqae le lieutenant général ou le lieutenant criminel d’un grand bailliage sera réco;- sable, absent, on empêché, sera tenu le lieutenant particulier civil, ou le lieutenant particulier criminel, de passer de la . seconde chambre à la première, pour y présider au jugement des affaires1; et sera, audit cas, l’instruction, en la première chambre, dévolue au lieutenant particulier chargé de présider. XLVIII. Enjoignons au surplus aux lieutenants particuliers desdits grands bailliages, dans tous les cas où ils ne seront pas occupés ait service de la seconde chambre, d’assister à tous les jugements en la première; et aux lieutenants généraux et particuliers des présidiaux, d’assisté? à tous les jugements rendus par lesdits présidiaux. XL1X. Les lieutenants généraux et particuliers, nos avocats et procureurs des présidiaux et grands bailliages seront tenus de se faire* recevoir et de prêter serment ès grand’chamfrre' de nos Parle- [lrc Sérié, T. Ér.J ARCHIVÉS PA$liÉÉÉffTAIRES. [Introduction.] mèâts, si ce1 n’est qü'ils èn soient par nous dispensés ; tOufons qu’ audit cas iis soient reçus et prêtent serment aux présidiaux èt grands bailliages. A l’égard de tous les autres officiers, ils se feront rëéeteif et prètèronf sèrmè’nt' àuidits présidiattx et grànds bailliages. L. En cas d’absence ou autre léjgitifne ëffipé-chetttenl de nos procureurs ès présidiaux et grands bailliages, ïèürS fonctions dans fés affaires en dernier ressort seront dévolues à nos avocats, préférablement à leurs substituts, dan's les lieux où if ÿ en à d’établis.. Ll. Seront tetius nos procureurs ès présidiaux d’envoyer, tous les trois mois, à nos procureurs ès grands bailliages, l’état des prisons du présidial èt de cçlles de son ressort, contenant le noffl des prisonniers qui y sont écroUés, la date et la cause de leur écroU ; et à cet effet seront tenus nos procureurs, ceux des seigneurs èî dés geôliers des prisons de nos juridictions inférieures et des justices des seigneUrs, ressortissants ès dits présidiaux, d’envoyer tous les trois’ mois, à nos procureurs ès dits sièges, un état en la forme ci-dessùs desdites prisons' et dès prisonniers y écroués. LU. Il sera tenu en chaque présidial des séances différentes pour lès causes en dernier ressort et pour celles à la. charge de l’appel, sans qu’il soit nécessaire de sentence de renvoi d’une séance à l’autre, mais seulement d’une sentence de remise à la séance du dernier ressort, signifiée, si besoin. est, comme sentence d’instruction, et sans que pour saisir le dernier ressort, tant au grand bailliage qu’au présidial, il soit besoin de commission, ni que les amendes et droits du greffe pour les défauts faute de comparoire puissent y être perçus que sur le même pied qu’ils l’ont été jusqu’à présent, ès grands bailliages et sénéchaussées ; voulons au surplus que les jugements de compétence, de revendication et autres interlocutoires, ne soient expédiés en parchemin, scellés, ni signés en chef. LIII. Éteignons et supprimons dans nos grands bailliages les offices de présidents, dont la réunion à ceux de lieutenants généraux et de lieutenants criminels ne serait effectuée ; en conséquence, ne pourront les pourvus desdifs offices en exercer à l’avenir aucunes fonctions ; voulons qu’ils soient tenus de remettre dans trois mois, ès mains du contrôleur générai de nos finances, leurs titres de propriété, quittances de finances et autres pièces, pour, par eux, recevoir leur remboursement desdeniers qui seront par noüs à ce destinés ; nous réservant de reprendre et faire payer ladite finance par ceux qui, à la première vacance des offices de lieutenant général et de lieutenant criminel, en seront par nous pourvus; jouiront néanmoins iesdits présidents, pendants leur vie, des privilèges attachés à leurs offices, avec entrée, fart g,’ 307 séance après l’officier qui présidera, et voix délibérative. LfV. Accordons aux lieutenants généraux et particuliers, civils et criminels, conseillers, nos avocats et procureurs en nos grands bailliages seulement, la noblesse personnelle, voulons qu’elle soit transmise à leur postérité par Iesdits lieutenants généraux et particuliers, nos avocats et procureurs, lorsque le père et le bis. auront successivement rempli un desdits offices chacun pendant vingt-cinq ans révolus, ou seront décédés dans l’exercice dudit office; et par les conseillers, lorsque l’aïeul, le père et te fils auront successivement rempli un desdîts offices, chacun pendant trente ans révolus, ou y seront pareillement décédés. LY. Accordons auxdits lieutenants généraux et - parficuîiérs, nos avocats et procureurs en nos grànds bailliages seulement, le droit de porter là robè ronge dans lés cérémonies publiques, èt à raûdieùcé dé rentrée <ïe là Saint-Martin. LVI. Les offices de lieutenant généraux et particuliers, civils et criminels, nos avocats et procureurs én nos grârtds haiHiages, né pourront dorénavant être résignés ; mais vacations avenant par décès, démission ou autrement, il ÿ sera jp'ar noüs pourvu, et la financé, surfe pied’ de dévaluation de f’ office, remboursée d‘aüs fés six mOïs par nous, ou par celui à qui nous en âccofdéfôffsf des proŸisiûÏÏs ; dispensons en conséquence les pourvus desdits offices du1 centième deûier, saffs qu’ils puissent, ni lêürs héritiers, être’ rechêïchéé pouf lés années' ùoü payées, ni pué la financé, pour raison de ce, puisse étrê’ diminuée lofs dû remboursement. LVfl. Avoué êvôqUé et évôqUoUs à nous éf à: notre côUSéi‘1 lés ânaîfeS Civiles et CrimïrtéîféS qüi n’excèdent fiattribution donnée âfUx pfêsi-diàUx ét grands bailliages par là pfêseùte ordonnance, et qUi soUt pendantes et indécises d'ans noS cours ; renvoyons lesditcs affaires aUxdits présidiaux èt grands bailliages, pouf ÿ étrè jugées en dériiièr fes'sôrt, suivant les dernréfs errements ; et dans' lé cas où1 të présidial on grand bailliage auqiïél là cônnaissànce ëü âppâfffëtf-drait ne pourrait en éôtftfàttref, Soit pouf ïëa avoir' jngéés en prertïièf e instance on potif toute autre cause de récusàtrôn ou empêchement, feu .renvoyons au présidial ou grand bailliage' le pîUS voisin non Suspect; Ÿoulons que lès accusés écroués dans les prisons près nôs cours soient renvoyés, et leurs procès, auXd'its présidiaux et grands bailliages ; éf qha'nt ânx affairés civiles, défendons à’ tous greffiers de retenir les actés et pièces qUC lés parités Vofidf ont rëtiféf dé leurs greffés ; à foüs procureurs d’ûCCUper et procéder devant lesdifés cours; aux pârtiêSde SépôUfvôir ailleurs qu’ès dits présidiaux et grands bailliages, à peine de nullité, cassation, dépens, dommages 30g [!»• Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] et intérêts, et de 3,000 livres d’amende contre les greffiers, les parties et leurs procureurs, encourue par chacun des contrevenants et pour chaque contravention-, et seront lesdites peines prononcées en notre conseil. LVIII. Notre Châtelet de Paris, compris dans le nombre des sièges auxquels nous avons accordé l’attribution donnée aux grands bailliages par la présente ordonnance, continuera néanmoins de porter le nom et titre de Châtelet; voulons que jusqu’à ce qu’il en soit par nous autrement ordonné, d’après les mémoires qui seront incessamment remis à notre garde des sceaux, par les officiers dudit Châtelet, les appels des sentences en matière criminelle, ainsi que les appels des sentences dans les affaires civiles, non excédant la somme de vingt mille livres, rendus, tant par ledit Châtelet que par les juges de son ressort et arrondissement, soient portées à la séance du présidial pour y être jugées en dernier ressort ; pourront en conséquence, tant le lieutenant civil que le lieutenant criminel dudit Châtelet, entrer et présider à ladite séance du présidial pour le jugement, tant à l’audience qu’au conseil, de toutes les affaires civiles et criminelles, même s’en réserver l’instruction, ainsi et delà manière qu’il a été par nous ci-dessus statué à l’égard des lieutenants généraux et lieutenants criminels des autres grands bailliages. L1X. Augmentons jusqu’à la somme de vingt mille livres l’attribution accordée au conseil pro-. vincial d’Artois, pour juger en dernier ressort en matière civile, sans rien innover quant à la juridiction criminelle dudit conseil. LX. Incontinent après la publication et enregistrement de la présente ordonnance, des commissaires seront par nous députés, à l’effet d’examiner si l’arrondissement provisoirement donné aux grands bailliages ci-dessus établis doit être rendu définitif, ou s’il convient d’y porter quelque changement; s’il est nécessaire d’y créer de nouveaux présidiaux, d’en supprimer et d’en réunir d’anciens; de laisser à chacun des présidiaux qui seront conservés leur territoire et ressort, de l’augmenter ou diminuer; entendront, pour raison de ce, lesdits commissaires, les officiers des différentes juridictions, ainsi que les officiers municipaux, et généralement prendront tous les éclaircissements convenables, pour procurer sur les lieux une plus prompte et meilleure justice ; seront en même temps chargés de vérifier par eux-mêmes ou par les personnes qu’ils commettront, et, si besoin est, de constater par estimation d’experts l’état des auditoires, greffes et prisons, la qualité des juges et autres officiers des seigneurs; et si lesdit juges et officiers sont domiciliés et résidants, pour, sur les procès-verbaux desdits commissaires, être par nous ordonné ce u’il appartiendra; et, jusqu’à ce qu’il ait été par nous statué, défendons à toutes nos cours et juges de connaître d’aucunes contestations qui pourraient s’élever à ce sujet, lesquelles évoquons à nous et à notre conseil. LXI. Voulons au surplus que la présente ordonnance soit gardée et observée dans tout notre royaume, à compter du jour de la publication qui en sera faite. Abrogeons toutes ordonnances, lois, coutumes et usages différents, ou qui seraient contraires aux dispositions y contenues. Si donnons en mandement à nos amés et féaux les gens tenant nos cours de Parlement, grand couseil, chambre des comptes, cour des aides, grands bailliages, présidiaux, et tous autres officiers, que ces présentes ils gardent, observent, entretiennent, fassent garder, observer et entretenir; et, pour les rendre notoires à nos sujets,' les fassent lire, publier et registrer ; car tel est notre plaisir. Donné à Versailles, au mois de mai, l’an de grâce mil sept cent quatre-vingt-huit, et de notre règne le quatorzième. Signé Louis. Et plus bas : Par le roi, Le baron de Breteuil. Visa De Lamoignon. ÉTAT DES GRANDS BAILLIAGES. Parlement de Paris. Châtelet de Paris, Amiens, Angoulême, Beauvais, Bourges, Châlons-sur-Marne, Langres, Lyon, le Mans, Moulins, Orléans, Poitiers, Riom, Sens, Soissons, Tours. Parlement de Toulouse. Toulouse, Auch, Carcassonne, Nîmes, Villefran-che en Rouergue. Parlement de Grenoble. Le bailliage de Grésivaudan séant à Grenoble, Valence. Parlement de Bordeaux. Bordeaux, Condom, Dax, Périgueux. Parlement de Dijon. Dijon, Ghâlon-sur-Saône, Bourg-en-Bresse. Parlement de Rouen. Rouen, Caen, Alençon. Parlement d'Aix. Aix, Digne. , Parlement de Pau. La sénéchaussée de Pau. Parlement de Rennes. Rennes, Nantes, Quimper. Parlement de Metz. Metz. Parlement de Besançon. Besançon, Vesoul. [1™ Série, T. 1er.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [Introduction.} Parlement de Douai. La gouvernance de Douai. Parlement de Nancy. Nancy, Mirecourt. Conseil supérieur d'Alsace. Colmar. Conseil supérieur du Roussillon. Perpignan. Fait et arrêté au conseil d’état du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le premier mai mil sept cent quatre-vingt-huit. Signé Le baron de Breteuil. Edit du roi portant suppression des tribunaux d'exception. Le roi supprime les bureaux des finances, élections et juridictions des traites dans tout le royaume, ainsi que la chambre du domaine et du trésor établie à Paris ; sépare la juridiction contentieuse, appartenante à ces tribunaux, de la partie d’administration qui pourrait leur avoir été accordée, se réservant de statuer incessamment sur le renvoi de ladite partie d’administration, tant en son conseil qu’aux états provinciaux et assemblées provinciales du royaume ; sépare pareillement de l’administration, appartenante aux maîtrises des eaux et forêts et aux greniers à sel, la juridiction contentieuse-, maintient les officiers dans l’administration, aménagement, inspection et visite des eaux et forêts, et dans le droit de veiller à l’emmagasinement et distribution du sel, etc. Attribue la connaissance des affaires desdits tribunaux séparés aux présidiaux et grands bailliages, pour y être jugées en dernier ressort, ou à la charge de l’appel aux cours de Parlement ou cour des aides. Déclaration du roi , du 1er mai 1788, relative à l'ordonnance criminelle. Louis, etc. Les grands objets d’administration dont nous sommes occupé ne nous font pas perdre de vue les autres genres de bien que peut opérer notre amour pour nos peuples. La législation de notre royaume sollicite particulièrement notre vigilance. Nos lois criminelles surtout, cette portion si importante de l’ordre public, méritent d’autant plus de fixer notre attention qu’elles intéressent à la fois notre humanité et notre justice, Lorsque Louis XIV, de glorieuse mémoire, voulut donner à ses tribunaux le code qui règle encore aujourd’hui leurs jugements en matière criminelle, il fit précéder cet acte mémorable de sa sagesse par des conférences solennelles; et, après s’être éclairé par les conseils des magistrats les plus recommandables de la nation, il publia son ordonnance de mil six cent soixante et dix. Malgré des précautions si dignes de concilier à 309 cette loi le suffrage universel, nous ne saurions nous dissimuler qu’en conservant le plus grand nombre de ses dispositions nous pouvons en changer avantageusement plusieurs articles principaux, et la réformer sans l’abolir. Nous avons donc considéré que ces commissaires eux-mêmes n’ont pu tout prévoir, en débrouillant le chaos de la jurisprudence criminelle ; que les procès verbaux de leurs conférences attestent qu’ils furent souvent divisés sur des points importants, et que la décision ne parut pas confirmer toujours les avis les plus sages ; que depuis la rédaction de cette ordonnance le seul progrès des lumières suffirait pour nous inviter à en revoir attentivement les dispositions, et à les rapprocher de cette raison publique, au niveau de laquelle nous voulons mettre nos lois ; enfin que le temps lui-même a pu introduire ou dévoiler, dans l’exécution de l’ordonnance criminelle , des abus essentiels à réformer ; et, à l’exemple des législateurs de l’antiquité, dont la sagesse bornait l’autorité de leur code à une période de cent années, afin qu’après cette épreuve la nation pût juger les lois, nous avons observé que, ce terme étant maintenant expiré, nous devions soumettre à une révision générale cette même ordonnance criminelle qui a subi le jugement d’un siècle révolu. Pour procéder à ce grand ouvrage avec l’ordre et la sagesse qu’il exige, nous nous proposons de nous environner de toutes les lumières que nous pourrons réunir autour du trône où la divine Providence nous a placé. Tous nos sujets auront la faculté de concourir à l’exécution du projet qui nous occupe, en adressant à notre garde des sceaux les observations et mémoires qu’ils jugeront propres à nous éclairer. Nous élèverons ainsi au rang des lois les résultats de l’opinion publique, après qu’ils auront été soumis à l’épreuve d’un mûr et profond examen, et nous chercherons tous les moyens d’adoucir la sévérité des peines, sans compromettre le bon ordre et la sûreté générale. L'esprit systématique n’excitera jamais que notre méfiance. Nous voülons éviter tout excès dans la réforme de nos lois criminelles, celui même de la clémence, auquel il serait si doux de se livrer, s’il n’enhardissait au crime par l’espoir de l’impunité. Notre objet invariable dans la révision de nos lois criminelles est de prévenir les délits par la certitude et l’exemple des suppliées, de rassurer l’innocence, en la protégeant par les formes les plus propres à la manifester ; de rendre les châtiments inévitables, en écartant de la peine un excès de rigueur qui porterait à tolérer le crime plutôt qu’à le dénoncer à nos tribunaux ; et de punir les malfaiteurs avec toute la modération que l’humanité réclame et que l’intérêt de la société peut permettre à la loi. 310 ‘ [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Mais, en attendant que notre sagesse ait opéré une si utile révolution, dont nous espérons que nos sujets éprouveront incessamment les heureux effets, nous voulons, en annonçant nos intentions à nos peuples, abroger, dès à présent, plusieurs abus auxquels il nous à paru instant de remédier. Le principal abus, qui rendrait en c,e genre tous les autres irrémédiables jusqu’à la parfaite réforme de nos lois criminelles, a pour principe la disposition de l’article XXÎ du titre XXV de l’ordonnance de 1670, qui, en ordonnant que les jugements seront exécutés le même jour qu’ils auront été prononcés aux condamnés, laisse aux juges la faculté de les mettre à exécution aussitôt qu’ils sont rendus. Cette promptitufle peut être utile dans des cas particuliers où il importe de rétablir le bon ordre par la terreur d’un exemple qui ne' souffre point de délai : et nous l’avons autorisée dans cçs circonstances. Mais, dans la punition des autres délits, une pareille forme rend illusoire l’espoir de recourir à notre clémence ou d’éïairer notre justice. Notre humanité n’est point effrayée de mettre un intervalle entre la signification des arrêts de mort et leur exécution. Nous avons reconnu que les condamnés étaient presque toujours instruits d’avance de leurs jugements dans les prisons, et tpié cette notification était d’autant plus néces-cessaire qu’elle ne serait encore qu’insuffisam-ment suppléée par le conseil que nous nous proposons de leur donner pour les diriger dans leurs défenses. ........ * Un autre abus, que nous pouvons supprimer dès à présent, c’est l’interrogatoire sur la sellette. Cette formalité flétrissante n’éntra jamais dans la classe des peines imposées par qos lois ; elle blesse d’ailléurs ouvertement ïe premier de tous les principes en matière criminelle qui veut qu’un accusé, fût-il condamné à mort en première instance, soit toujours réputé innocent1 aux yeux de la loi, jusqu’à ce que sa sentence soit confirmée en dernier ressort-U n'est donc pas juste que le supplice de l’ignominie précède cet arrêt définitif, gippeut seul constater irrévocablement son crime, et d’expose à perdre la tranquillité d’esprit dont il a besoin pour se défendre devant ses juges. ' v Attentif à nous défendre de toute, précipitation dans l’amour même du bien , nous avions déjà porté nos regards sur ce genre de peine que la loi avait autorisée dans l’enceinte des tribunaux. Nous avions pensé que la question, toujours injuste pour compléter la preuve des délits, pouvait être nécessaire pour obtenir la révélation des complices; et en conséquence, par nôtre ‘déclaration du 24 août 1780, 'nous afions proscrit' la question préparatoire, sans abolir encore la question prêalâbl'e'. De nouvelles ré dèxions nous ont convaincu de l’illusion et des inconvénients dè ce genre d’épreuve, qui ne conduit jamais sûrement à la connaissance de la vérité, prolonge ordinairement sans fruit le supplice des condamnés, et peut plus souvent égarer nos juges que les éclairer. Cette épreuve devient presque toujours équivoque par les aveux absurdes, les contradictions et les rétractactions des crimipels. Elle est embarrassante pour les juges, qui ne peuvent plus démêler la vérité au milieu des cris de la douleur. Enfin elle est dangereuse pour j’in-nocence, en ce que la torture pousse les patients à des déclarations fausses qu’ils n’osent plue rétracter de peur de voir renouveler leurs tourments. Ces consjdératiqps qqus opt déterminé à tenter un moyen plus doux, saps êjtre moins sûr, pour forcer les malfaiteurs de nommer leurs complices. Nous avons pensé que la loi ayant confié a la religion du serment les plus grands intérêts de la société, puisqu’elle en fait dépendre la vie* des hommes* elle pouvait l’adopter aussi pour garant de la sûreté publique, dans' les dernières déclarations des coupables. Nous nous sommes donc décidé à essayer, du moins provisoirement, fde ce moyen ; nous' réservant, quoiqu’à regret, dè rétablir la question préalable, si, après qqelcpes années d’expérience, les rapports ‘ de-nos juges nous apprenaient qu’elle fût d’une indispensable nécessité. La sage institution de faire imprimer pt afficher les arrêts en matière criminelle nous a paru d’autant plus précieuse au maintien de l’ordrq public, qu’elle multiplie en quelque sorte l’exemple des supplices, qu’elle contribue à prévenir les . crimes par la ' crainte des châtiments, qu’elle reproduit sans cesse sous les yeux des peuples l’action des lois qui les protègent, et qu’elle sert à exciter la vigilance des juges, par là seule publicité de leur jugement. Mais plusieurs dq nos ppqrs ont restreint l’influence d’un usage si salutaire, en adoptant dans leur arrêts une formule vague, qui, sans articuler expressément le crime, ne motive les jugements portant peine de mort1 que sur les seuls cas résultants1 du procès. D’où'il suit que nos peuples peuvent quelquefois ignorer les causes de ces Condamnations solennelles, qui, en mettant la peine à la suite du délit, doivent toujours montrer le délit à côté de la peine. Cette formule, si évidemment contraire à l’objet et à l’esprit des lois pénales, nous exposant d’ailleurs rious-même tous les jours à dèmàndeï dés éclaircissements sur les arrêts qui nous sont déférés, nous avons cru devoir enjoindre à nos cours, soit cju’elles prononcent en première ou en dernière instance, d’indiquer à l’avenir en termes exprès et formels, dans leurs jugements i les crimes pour lesquels elles infligeront �es peines afflictives ou infamantes. [|w Série, T. I".] AftGPlYlS PAULEiENYAÏfiES [Intrpa«etion.] Enfin nous avqné cqnpidéré que les précautions qu’exjgo la pureté publique obligeaient qpplqueT fq|p pps tribunaux fie suivre, dans la recherche dep crimes, des indicé? trompeurs, et les exposaient à eonfopdre d’abord les innppents avec }ps coupables. Qepoqdant, après que, sur fie fausses appapeqces, ppp sujets, pipsi traduite en justice, qpt §Ubi toutes les rigueurs d’une poursuite pri-tpiuelle, s’il-p’y a poipt de partie civile au procès sut* laquelle tombent les dépeps, nqs cppcs les déchargent, il est yraij de fqpitp accpsatfon, et les cenyoiept absous, mais elles pe font point imprimer et afficher au porn de la loi ces arrêts d’absolution qui doivent les réintégrer pans I’q-pipfqp publique. Nous désirons pt pqus espérons de pPUYDir Ippr procurer dans la suite les dédommagements auxquels ils ont alors le droit 40 préteqdre; et npus nous réduisons avec peine aujourd’hui à n’accorder pour indemnité à leur innocence que la certitude d’être solennellement reconnue et manifestée; mais du rpoins, en attendant que pqus puissions compenser pleinepappt lp? dPfilUiages qu’ellp aura soufferts, nous voulops lp| assurer, dès ce pioment, dans tpute son intégrité pet|e pér paration qui laisse encpre à potre justice de si légitimes regrets. L’honneur de tous pos sujets étant spus notre ppotection spéciale, cornrpe la plus prpcippse dfi leurs propriétés, c’est à nous à fournir aux de l’impressiqn fie l’affiche de pes jpgpmepts d’absolution, et nous ne balançons pas d’ep imposer la charge à notre domaine� comme une poptipn essentielle de la justice que nops devons à pos peuples. A ces causes, et autres à ce nous mouvant, de l’avis de notre conseil, et de notre certaine scipnce, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons, voulons et pops plaîf cp qui suit : Art. Ier. Abolissons l’usage de Ja sellptte; seront les accusés, ainsi que les impétrants nos lettres d’abolition, rémission et autres en matière ppimi-nelle, interrogés, lors du jugement� derrière je barreau, encore qu’il y ait’ contre eux des condamnations ou conclusions à des peines afflictives ou infamantes ; ordonnons à cet effet qu’il sera placé dans nos cours et juridictions ? derrière le barreau, un siège ou banc de bois assez élpyé pour que les accusés puissent être vus dg tous leurs juges; laissons au choix desdits àcpusés cjp rester debout ou assis, ce dont les présidents de nos cours et les juges qui présideront au jugement dans les juridictions seront tenus Je les avertir. II. Défendons de dépouiller les accusés {les vêtements distinctifs de leur état, mêpie des marques extérieures de leiirs dignijés, s’ils en sont rèvê-34 i tus 5 pourront néanmoins être obligés de quitter leurs armes, in, le pourront nos juges, même ses cours, prpnopper en matière criminelle, pmr \n m rd*- sultaifits du procès ; voulons que tout arrêt 0U jugement énpppe et qualifie expressément les crimes et délits dont l’acousé aura été con vaincu, et peur lesquels il sera condamné : exceptons loi arrêts purement confirpiatifs de sentences des premiers juges, dans lesquelles lesdits mimes et délits §e-raiept expressément ppqnGés; è la ebtlFgP PUF nos cours de faire transcrire, dans le yp de leurs arrêts, ipsdites sentence? des premiers juge�, 4® . tout à pejpe de nullité. IV. La disposition de nos ordoppanc.es, par quelle il suffît, pour que les arrpts en matière criminelle passent à l'avis le plus sévère, que çp| ayis prévale de dpp* voix, n’aura imp qu’à i’èprd de toutes autres peines que celle de mqrt ; YQUlPfi§ qu’apeune condamnation à la peipe de mort ne puisse être prpppncée en dernier ressort, si l’avis ne prévaut de trois ypix. Y. Aucun jugement portant peipe de mOF* pas tpreiie ne pqurra être exécuté qu’un oieis après qu’il aura été prononcé ap pppdamné : prdppnqqs à nos procureurs généraux aipsi qp’à pps procureurs ès grands bailliages d’instruire notre cbapr. ceifer ou garde des sepppx, par Je Rremi§F PPU?' rier qui suivra la date desdits jugements, de la nature des délits sur lesquels ils seront intpryepps, de la date du jour où ils auront été rendus, et de celle du procès-verbal de leur prononciation au condamné; leur défendons de faire en aucun cas procéder à l’exécutipp ayant l’expiration dudit délai, sj cp p’est qu’il ep spit pgf nous autrement ordoppé. - Y|. ExcePtOPS de la disposition de l’arlicle prêt cèdent je§ jugements rendue pour le ca? de Sédition qn émotion popnia|Fe j seront lesdits jugpmepts exécutés le jour qu’ils auront été prononcés aux condampés. yji. îfos cours et juges ordonneront que tout arfêt ou jugement d'absolution* rendu en dernier ressort, QU dopt jl n’y apra appqj, §gra imprjmé et affiché aux frais de la partie civile� s’il y eu sinon aux frais de potre domaine ; les autorisons à décerner pour lesdits frais exéqitoireg sur notre domaine, en là forme ordinaire� juscju’g. cQncpr-reppe de dpux cent? exemplaires eu BQtFe coup de Parlement et cour de§ aides de Paris, cept cinquante exemplaires en pps autres cours supérieures, et cept ' exemplaires ep nos grands bai|îigge§ j sapf aux apeusés, renvoyés abspùs? d’en faire imprimer et afficher un plus grand nombre à leurs V • •-««« « ‘V»*0 frais. VIII. Notre déclaration du 24 août 178Q sera « >,* j1 •• v uf.t.w.1 {.»*. ü w v I * v» m' y exécutée, et y ajou|ant � aî>Fpf§ons la question préalable. IX. Voulons néanmoins que , le jopr de l’exé- [lre Série, T. Ier.] 312 cution, il soit procédé par le juge-commissaire, eii la forme prescrite par nos ordonnances, à l’interrogatoire des condamnés à mort; et seront les-dits condamnés interrogés, encore qu’ils aient constamment dénié dans le cours del’inslruction, et qu’il paraisse par la nature du crime et par la qualité des preuves qu’il n’y a lieu à révélation d’aucun complice. X. Voulons aussi qu’encore que lesdits condamnés aient persisté à dénier dans leur dit interrogatoire , ils soient récolés sur icelui , et qu’il ne soit procédé au récolement qu’au moment de l’exécution, à l’effet de quoi sera tout condamné préalablement conduit à la salle destinée au juge ou commissaire. XI. Dans le cas où le condamné aurait chargé des complices , il sera procédé à la confrontation en la forme ordinaire, de la seule ordonnance du commissaire. XII. Laissons néanmoins à la prudence dudit commissaire d’ordonner qu’il sera procédé sur-le-champ au récolement, dans le cas où il y aurait nécessité urgente , constatée par le rapport de médecin ou gens à ce connaissant, lequel rapport sera joint au procès ; et sera, tout ce qui est prescrit par le présent article et par les deux articles précédents, observé, à peine de nullité de l’interrogatoire et récolement, qui ne pourront faire charge et ne serviront que de simple mémoire, etc. Édit du roi portant réduction d'offices dans sa cour du Parlement de Paris. Cette cour sera composée , à l'avenir , de la grand’chambre, de la Tournelle, et d’une chambre des enquêtes, formant soixante-sept membres. Les deuxième et troisième chambres des enquêtes sont supprimées. La suppression tombera d’abord sur les offices vacants, ensuite sur les offices dont sont pourvus les conseillers derniers reçus. Les titulaires et propriétaires des offices supprimés remettront dans trois mois leurs titres de propriété, quittances de finances et autres pièces au contrôleur général, pour recevoir leur remboursement, à moins qu’ils ne préfèrent de conserver leurs offices pour être remplacés lors des vacances qui pourront survenir ; dans ce cas, ils sont autorisés à garder leurs quittances de finances, dont l’intérêt leur sera payé à raison de 5 p. 0/0 jusqu’à ce que leur remplacement puisse s’effectuer. Ils sont maintenus dans les privilèges attribués à leurs offices , et les conserveront pendant leur vie. Le premier président est autorisé à déterminer, avec le procureur général , le nombre auquel devront être fixés , pour le bien du service, les offices de greffiers, procureurs et huissiers en la cour du Parlement. Nul ne pourra être reçu en l’office de conseiller qu’il n’ait vingt-cinq ans accomplis, si ce n’est qu’il soit fils ou petit-[Inlroduction.] fils de président, conseiller, avocat ou procureur général; alors il pourra l’être à vingt-trois ans. Aucun conseiller en ladite cour ne pourra avoir voix délibérative, ni même entrée et séance à l’assemblée des chambres , qu’il n’ait trente ans révolus. Pour être admis auxdits offices de conseillers, outre l’âge requis ci-dessus , il faudra avoir servi, pendant quatre ans, dans un des offices de lieutenant, conseiller, avocat ou procureur du roi au Châtelet de Paris, ou autre grand bailliage, ou dans l’office de substitut du procureur général, ou suivi, pendant le même nombre d’années, les audiences, et exercé la profession d’avocat au Parlement. Nous rapporterons successivement les principaux édits qui précèdent les discours qu’on vient de lire; et d’abord voici celui portant rétablissement de la cour plénière. Édit du roi portant rétablissement de la cour plénière. Louis, etc. Par notre nouvelle ordonnance sur l’administration de la justice, nous avons changé la composition et augmenté les pouvoirs de nos tribunaux du second ordre ; mais, après avoir ainsi établi dans toutes les provinces des juges qui puissent terminer définitivement le plus grand nombre des procès sur les lieux, ou près des lieux qui les voient naître, la législation générale demande encore que nous fassions connaître nos intentions sur le dépôt universel de nos lois et sur leur enregistrement. Les lois, qui intéressent uniquement un ressort ou une partie de notre royaume, doivent incontestablement être publiées et vérifiées dans les cours supérieures qui sont chargées d’y rendre la justice à nos peuples ; mais, si les lois qui doivent être communes à toutes nos provinces continuaient d’être adressées à chacun de nos Parlements, nous ne nous saurions nous promettre dans leur enregistrement, la promptitude et l’uniformité qu’exige leur exécution. Cet inconvénient devient de jour en jour plus sensible depuis une année. Notre édit concernant les assemblées provinciales, désirées par les notables, éprouve encore, dans quelques-uns de nos Parlements, une résistance que l’utilité de ces assemblées et le vœu delà nation ne permettaient pas de présumer. Plusieurs de nos provinces sont également privées des avantages qui doivent résulter pour elles de la liberté du commerce des grains et de la conversion de la corvée en une prestation pécuniaire. La prorogation du second vingtième , enregistrée en notre Parlement de Paris , déjà adoptée par les États provinciaux et par plusieurs assemblées provinciales, est aussi rejetée par plusieurs de nos cours. La loi même qui fixe l’état civil de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. !«•'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. - [Introduction.] nos sujets non catholiques est devenue l’objet des remontrances de deux de nos cours; et ces remonstrances n’ont pu être arrêtées par notre volonté bien connue de n’y point déférer. Cette résistance peut sans doute être vaincue par notre "autorité, et, en la déployant dans toute sa force, nous ramènerions nos cours à l’uniformité et à la soumission dont elles n’auraient pas dû s’écarter ; mais ces actes multipliés et continuels de rigueur, quelque nécessaires qu’ils puissent être, répugnent à notre bonté paternelle. Pendant que nous sommes obligé d’v avoir recours, l’inquiétude et l’alarme se répandent , le crédit s’altèrè, les meilleures opérations restent problématiques ou imparfaites, et il nous devient impossible de suivre dans son universalité le plan d’administration que nous avons arrêté dans nos conseils. Ces considérations ont longtemps occupé notre sagesse; elles doivent convaincre nos peuples, comme elles nous ont convaincu nous-même , qu’il est nécessaire que les lois communes à tout le royaume soient enregistrées dans une cour qui soit aussi commune à tout le royaume. La nécessité de cette cour unique est devenue encore plus urgente, par la déclaration que nous ont faite presque tous les Parlements, qu’ils étaient incompétents pour procéder à l’enregistrement de l’accroissement ou de l’établissement d’aucun impôt. Quoique les mesures que nous avons prises par nos bonifications et nos économies nous donnent toute espérance de rétablir l’ordre dans nos finances, sans recourir à de nouvelles impositions , il n’est pas impossible que, dans des circonstances extraordinaires, des besoins pressants ne nous obligent d’établir des impôts passagers. La loi de l’enregistrement nous paraît trop conforme à nos intérêts et à ceux de nos peuples, pour n’être pas invariablement maintenue ; et il est par conséquent indispensable qu’il y ait habituellement dans nos États une cour toujours subsistante pour vérifier immédiatement nos volontés et les transmettre à nos peuples. Malgré tous ces motifs, qui nécessitent rétablissement d’une cour unique , nous aurions eu de la peine à nous y déterminer, si cette institution n’eût pas été fondée sur Pancienne constitution de nos États. Nous avons reconnu que deux sortes d’assemblées font partie de la constitution française : les assemblées momentanées des représentants de la nation, pour délibérer sur les besoins publics et nous offrir des doléances ; et les assemblées permanentes d’un certain nombre de personnes préposées pour vérifier et publier nos lois. Déjà nous avons solennellement annoncé que nous convoquerions la nation avant 1789, et nous n’hésiterons jamais de l’assembler, toutes les fois que l’intérêt de l’État l’exigera. Les autres assem-313 blées n’ont jamais cessé d’avoir lieu dans notre royaume ; antérieures à nos Parlements , elles subsistaient encore au moment où notre Parlement de Paris est devenu sédentaire. Insensiblement les rois nos prédécesseurs ont diminué le ressort de cette cour plénière et suprême , en créant de nouveaux Parlements, par des actes de leur autorité. Mais quand ils ont établi ces tribunaux, dont ils ont successivement augmenté les membres, ils ri’ont jamais entendu changer la constitution primitive de la monarchie , qui est restée toujours la même. Nos Parlements ont donc été plus ou moins multipliés : chacune de ces cours a été composée d’un plus grand ou d’un moindre nombre d’officiers : les formes accidentelles ont varié, mais le principe fondamental n’a subi aucun changement. Une cour unique était originairement dépositaire des lois ; et la rétablir ce n’est pas altérer , c’est faire revivre la constitution de la monarchie. Le projet de ce rétablissement n’eot pas nouveau dans nos conseils. Lorsque, par notre ordonnance du mois de novembre 1774, nous rappelâmes à leurs fonctions les anciens officiers de nos Parlements , l’expérience du passé nous avertit qu’il pourrait arriver encore, qu’en s’écartant de l’objet de leur institution, ils prissent des délibérations contraires au bien de notre service : en conséquence, pour soumettre le jugement des cas de forfaiture à un tribunal juridique , nous en attribuâmes d’avance la connaissance exclusive à notre cour plénière, et nous annonçâmes dès lors formellement, dans une loi enregistrée, l’intention de la rétablir. C’est donc pour enregistrer les lois communes à tout le royaume, et, en cas de contravention des tribunaux à nos ordonnances, pour leur donner à eux-mêmes des juges , que nous exécutons aujourd’hui le projet, annoncé dès notre avènement au trône, de rétablir notre cour plénière, et que nous réglons les objets et la forme de ses délibérations, ainsi quela tenue et l’ordre deses séances. Nous révoquons en conséquence le droit, que nous avions accordé à nos Parlements, de vérifier toutes nos lettres en forme d’ordonnances, édits, déclarations ou lettres patentes, tant en matière de législation que d’administration générale; mais une marque particulière de distinction et de confiance que nous nous plaisons à donner à notre Parlement de Paris, c’est d’admettre successivement à notre cour plénière tous les membres qui le composent, à mesure que, par ordre d’ancienneté, iis siégeront à la grand’chambre, laquelle,' en son entier, fera partie de la cour plénière. Et en même temps nous y admettons un député de chacun des Parlements de notre royaume, pour y représenter les intérêts ainsi que les privilèges des provinces de leur ressort. flre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 3Ï4 Nous n’qvpp négligé d'ailleurs aucune précaution popr noug assurer du zèle éclairé dp pe conseil, que nous chargeons expressément de nous faire connaître lg vérité. Dans la vue de composer notre cour plénière de la manière la plps prpprp d’inspirer à nos peuples une confiance universelle, nous y appelons des membres phofsis dans les premiers ordres de l’État. Moyennant ce rétablissement légal et perpétuel de notre cour plénière, il n’y aura désormais pour tous nos États qu’un enregistrement unique et solennel de -toutes nos lois générales ; et ces lois ainsi promulguées par une seule cour ne seront plus exposées à perdre, fan tôt par défaut de vérification, tantôt par des modifications partir cpHères, qui ep rendent l'exécution incertaine et variable', le caractère d’uniyprsaJité et d’unir for-mité qu’elles doivent avoir dans toute l’étendue de potre royaume. A ces causes., et autres à ce nous mouyant, de l’avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, uous avons, par le présent édit, perpétuel et irrévocable, dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit : Art. |er. Avops rétabli et rétablissons notre cqpr pjéuière. II. La copr plénière sera composée dp pofre chancelier op de notre garde des sceaux ; de la grand’chapibre de notre copr de Parlement de Paris, dans laquelle prendront séance lps pripceg de potre sang, les pairs de notre royaume, les deux conseillers d’honneur nés, sans qu’aucun pourvu de lettres d’honoraire puisse y être admis. Ladite cour géra aussi composée de notre grapd aupnônier, grand maître de potre maison, grand chambellan, grand écuyer, de deux archeYêqne� et deux évêques, deux maréchaux de france, deux gouverneurs ef deux lieutenants généraux de nos provinces, deux chevaliers de nos ordres, quatre autres personnages qualifiés dp nptre rpyaume, six conseillers d’Etat, dont un d’église et un d’épée, quatre maîtres des requêtes, unprésnipnt ou cqn-seijler de chacun des autres Parlements, deux de la cjiambre des comptes, et deux de la cpur ffps aides de Paris. Le capitaine de nos gardes y qpra entrée pt séance, ayec voix délibérative, toutes les fois qu’il nous y accompagnera. , llj. Notre grand aumônier, grand maître de notre mqisou, grand chaipbellan et grand écuyer, les archevêques et évêques, maréchaux de Prince, gouverneurs pt lieutenants généraux de nqs provinces, chevaliers \] XIX. La cour plénière ne jugera aucun procès civil ou criminel, si ce n’est ceux concernant les forfaitures énoncées notamment dans notre ordonnance du mois de novembre 1774, et celles encourues par les contraventions à notre présent édit, ou par le défaut de soumission aux arrêts de ladite cour plénière : connaîtra ladite cour desdites forfaitures directement et en dernier ressort, contre toutes nos cours et juges supérieurs ou inférieurs, sans aucune exception, et prononcera ' sur icelles les peines portées par nos ordon� nances. XX. Dans le cas où, indépendamment de la forfaiture, l’officier serait accusé de quelque autre délit, il sera renvoyé aux cours et juges qui en doivent connaître, pour être jugé sur ledit dédit en la forme ordinaire, même, si besoin est, les chambres assemblées ; sauf, après le jugement du délit, être ledit accusé jugé, s’il y a lieu, en la cour plénière, pour forfaiture. XXI. Ne pourra néanmoins aucun membre d’une cour accusé de forfaiture, encore qu’il soit membre de la cour plénière, et qu’il ne soit personnellement accusé, assister ni opiner au jugement sur l’accusation portée contre ladite cour ; mais ledit jugement sera rendu par les autres membres delà cour plénière, et les absents seront suppléés ainsi qu’il est porté en l’article. Vil ci - dessus. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de Parlement à Paris, que notre présent édit ils aient à faire lire, publier et observer selon sa forme et teneur, car tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel. Donné à Versailles au mois de mai, l’an de grâce mil sept cent quatre-vint-huit, et de notre règne le quatorzième. Signé Louis. Et plus bas: Par le roi, Le baron de Breteuil. Visa De Lamoignon. Après la lecture de ces divers discours et édits, M. le premier président prit ainsi la parole : « Sire, votre Parlement, attendu le lieu où il plaît à Votre Majesté de tenir son lit de justice, et dans le cas où seraient portés dans cette séance aucuns édits, déclarations ou lettres patentes, ou autres objets qui n’auraient pas été communiqués à votre Parlement pour en être délibéré au lieu et en la manière accoutumée ; ensemble, au cas où il serait introduit des personnes étrangères, et où, en votre présence, il serait demandé à votre Parlement des suffrages qui ne pourraient être donnés à voix haute et librement, déclare qu'il ne peut, ne doit ni n’entend donner son avis, ni prendre aucune part à ce qui pourrait être fait dans la présente séance. « Sire, tout annonce à votre-Parlement une inno-[Introduction.] vation totale dans la constitution de la monarchie. Votre Parlement a cru devoir porter au pied du trône les alarmes et la réclamation : il arrête une députation ; aussitôt on exerce en votre nom un acte d’autorité absolue contre deux magistrats, dont la conduite irréprochable et consacrée tout entière au soutien des droits de la monarchie semblait devoir mériter la bienveillance de Votre Majesté : tandis que les députés de votre Parlement étaient ap pied du trône à solliciter l’au-- dience que les circonstances avaient déterminé à demander, le siège de la justice souveraine se trouvait investi par une troupe de gens armés, qui commençaient, au milieu de la nuit, l’acte de violence qui a été consommé le jour même, au milieu de votre Parlement assemblé. On a conseillé à Votre Majesté de ne pas recevoir les députés de votre Parlement, parce que Votre Majesté n’avait pas été prévenue par l’envoi des gens du roi ; et lorsque le Parlement les a envoyés l’on a conseillé à Votre Majesté de ne les pas recevoir. « Ces disgrâces, ces efforts, que l’on fait sous différentes formes pour empêcher la vérité de parvenir jusqu’au trône, n’annoncent que trop le changement de constitution que les ennemis de la magistrature avaient tenté dès 1771, et qu’ils se flattent de pouvoir consommer en ce moment, en les présentant sous des dehors plus spécieux. «Votre Majesté arrivant au trône s’était concilié l’amour de son peuple en rétablissant l’ordre antique et vénérable qui subsiste dans votre royaume depuis plusieurs siècles. Sire, la nation française n’adoptera jamais le despotisme qu'on veut* aujourd’hui mettre dans vos mains, et dont les premiers efforts frappent, dans toutes les parties du royaume, sur les magistrats les plus fidèles. Nous nous garderons bien, Sire, de détailler dans ce moment tous les malheurs particuliers qui nous affligent ; nous nous contenterons de vous exprimer, avec la plus respectueuse fermeté, que les lois fondamentales de votre royaume sont inébranlables; que votre autorité ne peut être aimée qu’autant qu’elle sera tempérée par la justice et la conservation des formes anciennes ; que la réclamation de votre Parlement pour que les impôts soient délibérés et consentis par la nation assemblée légalement en États généraux, régulièrement convoqués et composés, ne doit pas être le motif de l’innovation illégale dont la magistrature entière est menacée. « C’est l’intérêt de la nation qui a déterminé tous et chacun des membres de votre Parlement à ne participer en rien, soit en corps, soit par individus, à aucune fonction qui pourrait être la suite de nouveaux projets, en quelque temps, dans quelque lieu et avec quelque personne que ce puisse être, et à ne prendre place dans aucun corps qui ne serait pas la cour elle-même, composée des mêmes personnages et revêtue des ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l»-e Série, T. 1er. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] mêmes droits. Telle est,- Sire, la nature des principes de la monarchie française, que les avantages apparents ou momentanés dont on essayerait de masquer le danger des innovations, ne substitueraient qu’une illusion funeste aux principes, qu’il n’est jamais permis de sacrifier. « Cet objet est si important pour Votre Majesté et la tranquillité de ses États, que cette considération absorbe en nous tout autre sentiment, et nous laisse à peine la force de réclamer votre justice en faveur des magistrats enlevés récemment sous nos yeux, avec des circonstances que nous n’osons pas vous peindre. «Votre Majesté reconnaîtra tôt ou tard la justice de nos réclamations ; et, .dans quelque circonstance que se trouve votre Parlement, il se rendra à lui-même le témoignage intime qu’il n’a travaillé que pour son roi et pour la nation. » Au lit de justice du B mai, M. Séguier, avocat général, prononça successivement, à l’égard des divers édits, les discours qui suivent. Sur V ordonnance concernant l'administration de la justice. Sire, dans une lecture aussi rapide, il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de saisir l’esprit général et le développement des dispositions particulières que renferme la nouvelle ordonnance que Votre Majesté vient de faire publier. Réduits à l’impuissance morale et physique de nous expliquer sur une loi que nous connaissons à peine, nous croyons ne pouvoir donner une plus grande preuve de fidélité que de nous en rapporter à la sagesse de Votre Majesté, d’en ordonner l’enregistrement. Sur l'édit portant suppression des tribunaux à' exception. Sire, les mêmes motifs nous obligeraient de présenter à Votre Majesté les mêmes réflexions ; le défaut de connaissance entière de la loi, l’im» possibilité d’en rapprocher les dispositions, la crainte même de ne pouvoir embrasser tous les objets contenus dans l’édit de suppression dont nous venons d’entendre la lecture, le même zèle et la même fidélité, tout nous fait un devoir de nous en rapporter encore à la sagesse de Votre Majesté. Sur V édit portant établissement de la cour plénière. Sire, une nouvelle cour des pairs, spécialement destinée à la vérification et à l’enregistrement des lois, pourra-t-elle remplacer ces Parlements antiques où la nation assemblée délibérait sur la formation des ordonnances, et accordait à son roi les subsides que la nécessité des temps le forçait de lever sur ses sujets? Une cour unique en France, une cour dont le 317 pouvoir s’étendra d’un bout à l’autre du royaume, comment les membres qui la composeront pourront-ils connaître les intérêts de chaque province; comment pouîront-ils porter au pied du trône les besoins, les vœux et les réclamations de tous les sujets de Votre Majesté? Nous craindrions de nous perdre dans une matière aussi vaste; et, toujours réduits à l’impuissance de nous expliquer sur une loi qui ne nous est connue que par la lecture qui vient d’en être faite, nous croyons remplir tout ce que Votre Majesté peut attendre de notre obéissance, en nous en rapportant de même à sa sagesse. Sur l’édit portant réduction d'offices dans la cour de Parlement de Paris. Sire, la loi concernant l’inamovibilité des offices a été dressée à la cour par Louis XI, le 21 octobre 1467, et registrée le 23 novembre suivant ; elle porte : « Statuons et ordonnons que désormais nous ne donnerons aucun de nos offices, s’il n’est vacant par mbrt, ou par résignation faite du. bon gré et consentement du résignant, dont il apparaisse dûment, ou par forfaiture préalablement jugée et déclarée judiciairement, et selon les termes de justice, par juges compétents, et dont il apparaisse semblablement. » Quinze ans après avoir publié cette ordonnance, le même roi, avant de mourir, en fit jurer l’exécution à son fils Charles VIII ; il envoya à son Parlement l’acte authentique de ce serment, pour y être publié et enregistré. Au commencement du règne de Charles VIII, les États généraux, assemblés à Tours en 1484, crurent qu’il ôtait nécessaire de consacrer de nouveau cette loi par un vœu solennel ; ils en firent la demande à ce même prince, qui répondit aux États qu’il était raisonnable que nul officier ne soit destitué de son office et état, sinon par mort , résignation , ou forfaiture préalablement jugée par juges compétents. En conséquence il accorde la demande, I et veut que l’article soit entretenu et observé dorénavant. Depuis cette époque, la loi de l’inamovibilité est devenue une loi du royaume. Votre Majesté veut donc déroger à cette loi si solennelle! Supprimer un office c’est destituer l’officier titulaire, lorsqu’on l’enlève à ses fonctions. Abîmés dans la plus profonde douleur, après avoir représenté à Votre Majesté les inconvénients d’une suppression si contraire aux ordonnances du royaume, il ne nous reste qu’à nous renfermer dans une obéissance passive, et à nous en rapporter à la sagesse de Votre Majesté. Sur la déclaration relative à l'ordonnance criminelle. Sire, la déclaration dont nous venons d’enten- 348 [lre Sérié, T. 1er.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [Introduction. dre la fëéf tilé pfêsédtê pfUsiéUrs' actes d’hufliarfitê et de bienfaisance, dofnt tous les Français s’em> presseront de fendre dè trêë-îrümbféê actions dfé grâce è£ leur souverain. Pénétrés ncmë-tUêfttês dès sentiments dont Votre Majesté ést animée, Sàns _ qu’il riotis Soit possible de lui faire connaître èn ce moment les inconvénients qui pouffont diminuer la grandeur d’Un tel bienfait, surfont par lé désespoir des malhetifeüx condamnés (Jui fésté-ront uü mois entier entré la vie et la moft, nous né-nous permettrons que cette seule Considération, etj par suite du respect et de la Soumission la plus profonde, nous nous en rapportons à la sagesse de* Votre Majesté. Sur la déclctfâtiùn concernant les vacances. Sire, l’intérruption que Votre Majesté ordonne des fonctions ordinaires de son Parlémênt ne’ peut être envisagée que comme une espèce d’interdiction, qui, quoique momentanée, ne présenté pas moins une espèce de flétrissure sur le premier Parlement dü royaume, dont l’activité est nécessaire au bien de votre service. Effrayés d’une suspension aussi affligeante qu’inattendue, il ne nous reste qu’à lever leS mains au ciel et faire les instances les plus respectueuses, ei à supplier très-humblement Votre Majesté' dé retirer, poûr sa propre gloire, une déclaration qui semblé compromettre aux yeux de toute la nation l’honneur de son Parlement.- Es sortant du lit dé justice , MeSsien'is dé grand’ehambre écrivirent au roi la lettre sui van lé': T-Ierl supplications; eux dont le dévouement entier ne se réserve que l’honneur et la conscience; eux enfin qui, animés du même esprit qûe tous les militaires du royaume, prodigueraient leur sang et leur vie pour là conservation de leur prince et la gloire de son règne? « 11 n’est rien que le souverain ne puisse exiger de notre amour; il peut tout se promettre de notre fidélité ; mais qui pourrait relever les magistrats du serment qu’ils ont fait de garder et observer les ordonnances? « Il en est de deux sortes. Les unes sont les ordonnances des rois, qui varient suivant la diversité des temps et la nature des circonstances. Les autres sont les ordonnances du royaume, les coutumes-et les capitulations des provinces. Ces ordonnances, ces coutumes, ces capitulations ne peuvent être changées ni altérées, ou parce qu’elles tiennent à la constitution de la monarchie, et parce qu’elles ont été formées sur les demandes des États, ou parce qu’elles sont la condition irritante sous laquelle les provinces ont été unies et incorporées à la couronne. C’est un contrat synallagmatique; et le monarque ne peut pas plus y donner atteinte, que les peuples se soustraire à leur serment de fidélité. « Yoilà les ordonnances que nous sommes spécialement chargés, sur notre honneur et notre conscience, de conserver, au péril même d’encourir la disgrâce du souverain. La nation pourrait nous demander compte de notre ministère, nous accuser de prévarication, et le roi lui-même nous reprocher un jour notre faiblesse. L’honneur, oui l’honneur est plus impérieux que l’autorité ; et, s’il fallait abandonner la cause des lois pour se prêter avec complaisance aux projets désastreux qui ont interrompu le cours de la justice, aucun des membres de la cour ne balancerait à offrir le généreux sacrifice d’un état qu’il ne pourrait plus exercer sans rougir. Les âmes viles se laissent corrompre par de grandes promesses; les âmes nobles se ressemblent toujours à elles-mêmes, et la pureté de leurs intentions est la règle de leur conduite. « Nous ne nous permettrons plus qu’une réflexion, elle est bien importante. L’administration des finances est devenue la base de tous les gouvernements; cet objet seul commande à tous les autres, et influe jusque sur la législation française. Souvent il fait taire les lois elles-mêmes; ce sont les besoins du moment .qui exposent les tribunaux aux coups d’autorité les plus inattendus. On a suspendu l’activité des cours souveraines pour se débarrasser des réclamations, toujours impuissantes, que le bien public les obligeait de renouveler sans cesse; on a voulu faire craindre pour la liberté, lorsqu’on se proposait d’envahir les propriétés. [Introduction.] « La facilité des emprunts, qui sont infailliblement le germe des impôts, la multiplicité des impôts; qui sont la suite nécessaire des emprunts, ont, depuis trois règnes, accumulé la masse énorme des engagements de l’État. Cette masse, semblable à ces avalanches qui tombent du haut des montagnes, s’est accrue dans la rapidité de sa chute, et a creusé un abîme effrayant, dont les administrateurs eux-mêmes n’ont pu jusqu’ici mesurer la profondeur. « La France est obérée, mais elle n’est pas sans ressource. La plus forte, comme la plus prompte, est'dans le. cœur des Français, Henri IV, l’idole de la France, n’en connaissait point de plus assurée. S’il dut une partie de la gloire de son règne au ministre vertueux qu’il honora de sa confiance et de son amitié, le roi s’applaudira un jour d’avoir rappelé au pied du trône un ministre qui va s’efforcer de marcher sur les traces de Sully. On reconnaît en lui le même caractère, la même austérité de mœurs, le même esprit d’ordre et d'économie, la même prudence, les mêmes principes. Récompensé d’avance, et selon son cœur, par l’enthousiasme général, il se dévouera tout entier à la patrie qu’il a volontairement adoptée. Il répondra à l’attente d’un grand peuple, qui n’a plus désespéré de ses maux du moment que l’administration des finances lui a été rendue : il répondra à l’attente d’un grand roi, qui compte assez sur sa vertu pour le placer dans ses conseils. L’énergie de son âme acquittera sa reconnaissance envers la France et son souverain, en donnant un nouveau degré d’activité aux talents qu’il a déjà si heureusement développés. « Il n’a pas craint de dire au roi ce que le roi s’était déjà dit à lui-même : Que c’est à la nation à acquitter la dette de la nation ; qu’il s’est engagé à convoquer les États généraux du royaume ; que sa parole est sacrée. Il ne restait plus qu’à en publier la convocation. Le roi en fixe aujourd’hui l’époque. C’était le seul remède à l’état de langueur où la France entière est réduite. « Un roi n’est jamais plus grand qu’au milieu de son peuple. C’est dans cette noble assemblée qu'il entend de la bouche même de ses sujets les motifs de leurs alarmes, la cause de leurs malheurs, les moyens de les réparer. La nation ne peut faire parvenir jusqu’au trône ses plaintes et ses supplications. Biles sont presque toujours affaiblies ou mal interprétées par l’organe des ministres chargés de les présenter dans les conseils. Un souverain, attentif à la voix du peuple dont il est chéri, juge par lui-même de sa situation, de ses ressources, de ses besoins et de ses efforts. 11 reconnaît qu’il suffit de sa présence pour exciter les Français à lui donner des preuves éclatantes de leur dévouement. « Non, la nation n’a pas besoin d’être régénérée : elle est encore la même. Ce sont toujours ces an-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ciens Francs qui ont élevé Clovis sur le pavois, et qui ont appelé librement Hugues Gapet à la couronne : le successeur de Louis XII et de Henri IV trouvera dans tous les cœurs les mêmes sentiments, la même fidélité, le même amour. « La nation se contemple elle-même dans le prince qui la gouverne. Elle voit avec complaisance dans son auguste personne cette longue succession de monarques, dont aucun peuple ne peut présenter une suite aussi nombreuse. Elle en attend les mêmes vertus. Ses espérances se sont réalisées. Les exemples de tant de rois suffisaient pour convaincre leur successeur qu’un souverain se couronne de gloire aux yeux de l’univers , en détruisant son propre ouvrage , lorsqu’il reconnaît qu’on a voulu faire illusion à sa sagesse. « Ce prince si grand, si magnanime, et qui peut marcher de pair avec tous les héros de l’antiquité ; ce conquérant de l’Europe presque entière, qui a porté le nom français au plus haut degré d’élévation ; cet empereur enfin si jaloux de son autorité, mais plus jaloux encore de faire éclater sa justice, Charlemagne, -après avoir déployé toute sa puissance pour opérer une révolution qu’il croyait utile, assembla la nation et ne rougit pas de déclarer en sa présence qu’il renonçait -à ce projet ; qu’il venait se réformer lui-même , et laisser ce grand exemple à ses successeurs. « Charles V, encore dauphin et régent du royaume, après avoir desti tué le chancelier Pierre La Fo-rest, le premier président Simon de Bussy, et un grand nombre de magistrats, sur de fausses inculpations, rendit, en plein Parlement, cet arrêtù’é-ternelle mémoire : « Nous, sans avoir été requis, ains de notre pur et noble office, auquel appartient de rappeler et corriger tant notre fait comme l’autrui, toutefois que connaissons qu’en icelui justice a été blessée ou pervertie, spécialement en grevant et opprimant l’innocence par fausse et calomnieuse suggestion, avons, de notre propre bouche, déclaré la privation par nous faite, avoir procédé de fait seulement, et non de droit ne de raison..., etc. » « Un aveu aussi noble fit autant d’honneur au régent qu’aux magistrats. Mais Charles V fut surnommé le Sage. « Louis XIII, à l’instigation du cardinal de Richelieu, exila, destitua, fit condamner par une commission , et exécuter en effigie plusieurs membres de son Parlement. Le nom que je porte ne m’imposera pas silence, et j’oserai dire que le chancelier Séguier, trop asservi aux volontés du cardinal, oublia ce qu’il devait à la dignité dont il était revêtu, et ce qu’il se devait à lui-même. Les rois veulent le bien : c’est l’influence du ministère qui les trompe. Le cardinal mourut : la vérité sortit du nuage, où elle était enveloppée. Louis XIII se repentit d’avoir trop écouté son 325 premier ministre. Attaqué d’une maladie mortelle, en ce moment où les rois de la terre, près de rendre compte du pouvoir qui leur avait été confié, portent des regards inquiets sur leur conduite, et pèsent leurs actions aux pieds du sanctuaire, Louis XIII manda le Parlement à Saint-Germain en Laye. La cour fut introduite dans la chambre du roi. La reine, assise au pied de son lit, tenait M. le dauphin sur ses genoux. Tous les officiers de la couronne, les grands du royaume, les ministres étaient présents. Louis XIII déclara qu’il voulait que les membres du Parlement qu’il avait fait absenter, et dont les charges avaient été supprimées, fussent rétablis. Il commanda aux gens du roi de le faire obéir; et, quoiqu’une parole aussi solennelle fût plus que suffisante , trois jours après il adressa au Parlement une déclaration sur ce prompt rétablissement. « Si Charles V fut surnommé le Sage> Louis XIII . fut surnommé le Juste , noms précieux que la postérité leur a conservés. « Telles sont les sublimes leçons que nos anciens rois ont laissées à leurs augustes successeurs. Le roi n’a eu besoin pour les suivre que de se livrer à l’impulsion de son âme. Il a pris conseil de cette sagesse héréditaire qui ne craint pas d’avouer qu’elle a été trompée; il s’est approprié cet héroïsme si digne d’être imité. « Avoir suspendu, c’est avoir abandonné le projet chimérique de rétablissement de cette cour plénière, qui n’a jamais existé comme cour de justice ou de législation; qui est incompatible avec la police générale du royaume, qui est destructive , de tous les concordats passés avec les provinces réunies à la couronne. Véritable colosse de puissance, s’il pouvait exister jamais; d’argile dans le principe, mais qui pourrait un jour se changer en airain, et couvrir de son ombre ou écraser de son poids le trône au pied duquel il aurait été élevé. « Avec quelle satisfaction la nation ne voit-elle pas son roi marcher aujourd’hui sur les traces de Charlemagne, de Charles V, de Louis XIII, et donner à la .postérité le nouvel exemple d’un roi qui aura eu le courage de se réformer lui-même! Les droits de l’autorité sont inaliénables; ils seront toujours respectés. Les droits de la nation sont imprescriptibles; elle ne craindra jamais d’offenser un roi juste en les réclamant. Il écoutera ses vœux et ses doléances; il ne consultera que la bonté de son cœur. « Déjà, sur l’espoir de la nouvelle administration, la confiance altérée se rétablit, le crédit chancelant sort de son assoupissement, le commerce renouvelle ses spéculations et reprend son activité. Le rétablissement des cours souveraines achèvera de dissiper le deuil et la tristesse. Un cri d’allégresse s’est élevé dans le capitale, qui va retentir jusqu’aux extrémités du royaume.' Les 326 [ire Série» T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] craintes, les inquiétudes, les alarmes, la terreur et l’effroi vont se perdre dans les transports de la joie universelle. Tous les cœurs réunis béniront Ja main bienfaisante qui a dissipé l’orage dont la France était menacée. Le roi jouira urie seconde fois de son ouvrage. Tous ses sujets seront Heureux. Lui-même partagera la félicité de son peuple ; et la nation, en consacrant dans ses fastes le souvenir de ce grand événement, apprendra à nos derniers neveux que, si les rois ne sont pas à l’abri de la surprise, ils se montrent plus dignes âe l’amour et de la vénération de leurs sujets, lorsqu’ils ont le courage de renoncer à ces révolutions politiques, préparées dans le silence, combinées avec artifice, exécutées avec éclat, et plutôt conçues pour satisfaire l’intérêt ou l’ambition des ministres qui les dirigent, que pour opérer le bien public, et ajouter à la gloire ou au bonheur du souverain, « Nous laissons à la cour la déclaration avec la lettre de cachet du roi envoyée sur icelle, et les conclusions par nous prises par écrit sur ladite déclaration. » Et se sont les gens du roi retirés. Eux retirés , Lecture faite de la lettré de cachet du roi et de ladite déclaration, ensemble des conclusions du procureur général du roi par lui prises par écrit sur icelle ; La matière sur ce mise en délibération , Il a été arrêté que la délibération serait continuée à demain jeudi 25, jour auquel les princes et pairs seront invités à venir prendre leur place en la cour. M. d’Ammécourt, rapporteur de la cour, fit rapport des provisions de M. de Barentin, garde des sceaux ; elles furent enregistrées unanimement. Ensuite un de Messieurs dénonça à la cour les excès, violences et meurtres commis dans la ville de Paris depuis le 26 août dernier. Il fut arrêté que le sieur Dubois, commandant du guet, et M. de Crosne, lieutenant de police, seraient mandés à l’instant en cour, pour donner des éclaircissements sur ces faits, et que M. le duc.de Biron serait invité à venir le lendemain prendre sa place en la cour. Deux huissiers de la cour se transportèrent chez M. le lieutenant de police et chez le commandant du guet. Ce dernier s’étant excusé sur une attaque de goutte, envoya à sa place le major de sa troupe, qui fit lecture d’une espèce de procès-verbal des événements. M. de Crosne étant entré ensuite, donna très-peu d’éclaircissements. Sur quoi, la matière mise en délibération, la cour a reçu le procureur général du roi plaignant des excès, violences et meurtres commis dans la ville de Paris, depuis le 26 août dernier ; a ordonné qu’il serait informé, môme en temps de vacations, desdits faits, circonstances et dépendances, pour ladite information rapportée, être par la cour ordonné ce qu’il appartiendra. La séance se termina à quatre heures et demie. La fouie était immense. Les salles et les cours du palais étaient remplies d’un peuple innombrable ; les cris de joie et les applaudissements retentissaient de toutes parts. En ce moment les magistrats recueillirent les témoignages non suspects de la satisfaction universelle; juste récompense de leur zèle et de leur dévouement au bien public, et la seule qui soit digne de leurs vertus patriotiques. Le jeudi 25 la cour entra à huit heures. Il ne s’y trouva qu’un de MM. les ducs de plus que la veille, M. le duc de Noailles. M. Fréteau, un des quatre conseillers enlevés, arriva au palais à huit heures, au milieu des applaudissements du public. Les ordres étaient partis pour les autres ; mais l’éloignement du lieu de leur détention n’a pas permis un retour aussi prompt. La séance a commencé par la lecture des procès-verbaux de ce qui s’était passé depuis le 3 mai. On a ordonné que les protestations des 9 mai et 15 septembre, ensemble les lettres de Messieurs, seraient annexées aux registres de la cour. Ensuite M. le duc de Piney a dit qu’il était chargé de déclarer à la cour que les pairs avaient fait les mêmes protestations que le Parlement, et de demander qu’elles fussent pareillement annexées aux registres. M. de Praslin demanda également que sa lettre originale écrite au roi, et à lui renvoyée avec la réponse de Sa Majesté, fût également insérée audit registre. M. Fréteau de Saint-Just a dit que la grande exactitude que la cour apportait à la rédaction de ses procès-verbaux l’engageait à demander à M. le premier président de lui permettre de prendre en communication ceux dressés lors de son enlèvement, pour pouvoir donner ensuite à la cour quelques éclaircissements sur certains faits qui auraient pu lui avoir été mal rendus en son absence. M. le premier président fit lecture d’une lettre de M. de Biron, par laquelle ce duc s’excusait de ne pas se rendre en la cour, pour raison de maladie. On opina ensuite sur la déclaration ; l’enregistrement fut ordonné avec des modifications. Suit la teneur de ladite déclaration . Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre : à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Animé constamment par le désir d’opérer le bien de l’État, nous avions adopté les projets qui nous avaient été présentés pour rendre l’administration de la justice plus simple, [1« Série, T, l«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | Introduettaw,! 3&7 plus faeile et moins dispendieuse. Ce sont ees différentes vues qui avaient été le motif des lois enregistrées en notre présence le 8 mai dernier ; nous n’avions eu pour but, en adoptant ces lois, que. la perfection de l’ordre et le plus grand avantage de nos peuples : ainsi les mêmes sentiments ont dû nous engager à prêter toute notre attention aux diverses représentations qui nous ont été faites; et, conformément aux vues que nous avons toujours annoncées, elles ont servi à nous faire connaître des inconvénients qui ne nous avaient pas d’abord frappé; et puisque différentes considérations nous ont engagé à rapprocher le terme des États généraux, et qu’incessamment nous allons jouir du secours des lumières de la nation, nous avons cru pouvoir renvoyer jusqu’à cette époque prochaine l’accomplissement de nos vues bienfaisantes. Rien ne pourra nous détourner de la ferme intention où nous sommes de diminuer les frais des contestations civiles, de simplifier les formes des procédures, et de remédier aux inconvénients inséparables de l’éloignement où sont plusieurs provinces des tribunaux supérieurs ; mais, comme nous ne tenons essentiellement qu’au plus grand bien de nos peuples, aujourd’hui que le rapprochement des États généraux nous offre un moyen d’atteindre à notre but, avec cet accord qui naît de la confiance publique, nous ne changeons point, mais nous remplissons plus sûrement nos intentions en remettant nos dernières résolutions jusqu’après la tenue des États généraux. C'est par ce motif que nous nous déterminons à rétablir tous les tribunaux dans leur ancien état, jusqu’au moment où, éclairé par la nation assemblée, nous pourrons adopter un plan fixe et immuable. Nous n’attendrons pas cette époque pour réformer quelques dispositions de la jurisprudence criminelle qui intéressent notre humanité ; et nous enverrons incessamment à nos cours une loi où, en profitant des observations qui nous ont été faites, nous satisferons le vœu de notre cœur d’une manière plus étendue que nous ne l’avions fait dans celle du 8 mai, et nous éviterons en même temps les inconvénients attachés à l’une des dispositions que nous avions adoptées. Le bien est difficile à faire, nous en acquérons chaque jour la triste expérience ; mais nous ne nous lasserons jamais de le vouloir et de le chercher. Nous invitons nos cours à seconder les diverses intentions que nous venons de manifester, en nous éclairant elles-mêmes sur les moyens les plus efficaces pour perfectionner l’administration de la justice, et nous nous confions assez à la pureté de leur zèle pour être persuadé qu’elles ne seront arrêtées par ducune considération personnelle. Le moment est venu où tous les ordres de l’État doivent concourir au bien public, et nos cours se plaisent à donner l’exemple de cette impartialité qui peut seule conduire à une fin si désirable. Nous comptons parmi les devoirs essentiels de notre justice de prendre sous notre protection la plus spéciale ceux de nos sujets qui, par leur zèle et leur obéissance, ont concouru à l’exécution des volontés que nous avions manifestées ; et, quand nous éloignons de notre souvenir tout ce qui pourrait nous distraire des véritables intérêts de nos sujets, nous ne pourrions supporter qu’aucun sentiment étranger au bien public vînt contrarier les vues de sagesse, de justice et de bonté que nous avons consignées dans cette loi, et que nos cours doivent adopter avec une fidèle reconnaissance. À ces causes, et autres à ce nous mouvant, de l’avis de notre conseil et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, déclaré et ordonné, et par ces présentes, signées de notre main, disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui suit : Art. Ier. Nous voulons et ordonnons que l’assemblée des États généraux ait lieu dans le courant de janvier de l’année prochaine. II. Ordonnons en conséquence que tous les officiers de nos cours, sans aucune exception, continuent d’exercer comme ci-devant les fonctions de leurs offices. III. Voulons pareillement qu’il ne soit rien innové dans l’ordre des juridictions, tant ordinaires que d’attribution et d’exception, tel qu’il était établi avant le mois de mai dernier. IV. Prescrivons néanmoins que tous les jugements, soit civils, soit criminels, qui pourraient avoir été rendus dans les tribunaux créés à cette époque, soient exécutés suivant leur forme et teneur. V. N’entendons point cependant interdire aux parties la faculté de se pourvoir par les voies de droit contre iesdits jugements. VI. Imposons un silence absolu à nos procureurs généraux et autres nos procureurs, en ce qui concerne l’exécution des précédents édits. VII. Avons dérogé et dérogeons à toutes choses contraires à notre présente déclaration. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre cour de Parlement à Paris, que ces présentes ils aient à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en icelles exécuter selon sa forme et teneur ; cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements, et nonobstant toutes choses à ce contraires, car tel est notre plaisir. En témoin de quoi nous avons fait mettre notre scel à cesdites présentes. Donnée à Versailles, le vingt-troisième jour du mois de. septembre, l’an de grâce 1788, et de notre règne le quinzième. Signé Louis. Et plus bas : Par le roi, Laurent de Villedeuil. Et scellée du grand sceau de cire jaune. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 328 La cour, persistant dans les principes qui ont dicté ses arrêtés des 3 et 5 mai dernier et dans ses délibérations subséquentes, ouï et ce requérant le procureur général du roi, ordonne que ladite déclaration sera registrée au greffe de la cour, pour être exécutée selon sà forme et teneur, sans que l’on puisse induire du préambule ni d’aucun des articles de ladite déclaration que la cour eût besoin d’un rétablissement pour reprendre des fonctions que la violence seule avait suspendues ; sans que le silence imposé au procureur général du roi, relativement à l’exécution des ordonnances, édits et déclarations du 8 mai dernier, puisse empêcher la cour de prendre connaissance des délits que la cour serait dans l’obligation de poursuivre ; sans que l’on puisse induire des articles IV et V que les jugements y mentionnés ne soient pas sujets à l’appel ; et sans qu’aucun de ceux qui n’auraient pas subi examen et prêté serment en la cour, suivant les ordonnances, arrêts et règlements de ladite cour, puisse exercer les fonctions de juges dans les tribunaux inférieurs ; et ne cessera ladite cour, conformément à son arrêté du 3 mai dernier, de réclamer pour que les États généraux, indiqués pour le mois de janvier prochain , soient régulièrement convoqués et composés, et ce, suivant la forme observée en 1614; et copies collationnées de ladite déclaration envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et registrée ; enjoint aux substituts du procureur général du roi èsdits sièges d’y tenir la main, et d’en certifier la cour-dans le mois, suivant l’arrêt de ce jour. A Paris, en Parlement, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant, le 25 septembre 1788. Signé LEBRET. Ensuite la cour prit les deux arrêts suivants : « La cour' a arrêté que M. le premier président sera chargé de se retirer par -devant le roi, à l’effet de lui représenter que son Parlement, animé de zèle pour son service et d’amour pour la justice, ne peut se dispenser de le supplier de permettre à son Parlement de continuer, pendant le temps des vacations présentes, le service ordinaire, à l’effet de venir au secours des sujets du roi, et de faire cesser des maux qu’ils ont éprouvés par l’interruption forcée de l’administration de la justice. » Arrêté dudit jour. « La cour a arrêté que le roi sera très-humblement supplié de rendre la liberté aux magistrats et officiers inférieurs, et aux citoyens de tous les ordres de la société qui peuvent se trouver encore dans les prisons d’État, ou éloignés de leur domicile, à l’occasion des derniers troubles dont le roi veut éteindre le souvenir ; De rendre justice à tous ceux de ses sujets sur la fidélité desquels on a voulu élever des nuages, et qui se trouvent, par l’effet des intrigues ministérielles, privés de leur état et dignité, comme aussi de rétablir les nobles et généreux militaires que la pureté et la délicatesse de leurs sentiments ont forcés de se démettre de leurs emplois. » M. le président de la première chambre des enquêtes proposa, au nom de sa chambre, de mettre en délibération s’il ne convenait pas d’adresser des remercîments à M. le premier président, du zèle infatigable que ce magistrat avait manifesté dans les circonstances difficiles où la compagnie s’est trouvée. Les remercîments les plus sincères ont été votés par acclamation universelle. Dénonciation de MM. de Brienne et de Lamoignon. ' Un de Messieurs (1) portant la parole, a dit : « Messieurs, de tous les devoirs des cours souveraines, les plus grands et dont l’observation est la plus essentielle, sont ceux qui tiennent le plus au maintien de la tranquillité publique et les droits de la nation. « La cour manquerait dans ce moment à un de ses devoirs les plus sacrés, aile manquerait au roi, à l’État, aux lois, à elle-même, si elle ne s’occupait de la manière la plus sévère des moyens d!empêcher que la nation ne tombe par la suite dans une crise pareille à celle qui a été dernièrement sur le point de la perdre. « Un de ces moyens est de rendre plus sensible que jamais cette importante maxime, sur laquelle est fondé le repos des empires : « Que c’est le plus grand des crimes d’entreprendre de renverser les lois. » « JNfe pas fixer l’attention publique sur cette matière, ce serait assurer l’impunité, et par conséquent encourager les ministres qui seraient encore capables de sacrifier les intérêts des peuples aux intérêts des différentes personnes en crédit, et de verser le sang des citoyens, pour anéantir les droits de la nation. « Tout alors se réunirait auprès des ministres, pour les engager dans des tentatives désastreuses. « Quelles digues pourraient les arrêter, puisque, même en ne réussissant pas, ils auraient la certitude d’une retraite paisible, dans laquelle iis jouiraient des grâces dont eux-mêmes se seraient couverts, et des fruits de leurs déprédations? «Si au contraire quelques-unes de ces circonstances qui réussissent quelquefois pour le malheur des' peuples, secondaient leurs projets, une faveur soutenue, leur ambition toujours contentée, seraient le prix de leurs coupables succès. « Les désastres qui font gémir toute la France ne (1) M. Bodkin de Filtz-Gérald. ]ire Série, T. !<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] prouvent que trop l’influence des ministres mal intentionnés sur le sort des nations. • « Eh ! sous quel règne ne feraient-ils pas éprouver aux peuples le poids du malheur, puisqu’ils y sont parvenus sous celui d’un roi dont les intentions bienfaisantes sont connues, et qui, s’il n’avait été cruellement trompé sous l’apparence du bien de ses sujets (prétexte toujours puissant sur un bon roi), n’aurait jamais consenti à de prétendus actes de législation, dont l’exécution a fait couler le sang des citoyens, de ces mêmes citoyens qui, suivant le discours de M. le garde des sceaux au lit de justice du 8 mai, devaient applaudir aux nouvelles ordonnances ! « Sans doute les dépositaires actuels de l’autorité s’empresseront de réparer les maux faits par leurs prédécesseurs ; mais ils peuvent se trouver remplacés par des ministres qui tenteraient de renouveler les dernières calamités, si la cour ne prévenait les excès auxquels ils pourraient se porter, en montrant qu’ils en seraient responsables. « Si les ministres n’étaient pas responsables, le sort des rois serait affreux ; ils resteraient chargés des malédictions du peuple, que ces mêmes ministres auraient seuls méritées. « Celui qui exécute, a dit Montesquieu, ne peut exécuter mal, sans avoir des conseillers méchants qui haïssent les lois comme ministres, quoi qu’elles les favorisent comme hommes , ceux-ci peuvent être recherchés et punis. » Aussi la cour a-t-elle montré plusieurs fois qu’elle était persuadée que les ministres, devant être les premiers protecteurs des lois au pied du trône, étaient coupables, non-seulement lorsqu’ils essayaient de les renverser, mais même lorsqu’ils cessaient d’en être les appuis. Le chancelier Poyet, le chancelier Duprat, archevêque de Sens, et tant d’autres généralement connus, en sont la preuve. « Les faits sur lesquels ces ministres furent poursuivis étaient bien criminels; mais combien ne le sont pas davantage ceux dont je vais mettre le tableau sous les veux de la cour, et dont les auteurs sont MM. de Lamoignon et de Brienne ! « On ne peut séparer ces deux ministres, puisque l’un possédant la place de garde des sceaux, et l’autre celle de principal ministre et de chef du conseil des finances, ils ont présidé ensemble aux dernières opérations du Gouvernement, ont concouru à tremper le roi, et sont également accusés par l’opinion publique. « D’après ces considérations, j’ai l’honneur de déférer à la cour : « 1° La résolution prouvée de ces deux ministres, d’anéantir les droits constitutionnels de la nation, par un système général, qui a commencé à être public dans la séance du 19 novembre 1787. Le faux matériel qu’ils ont commis à l’occasion de l’emprunt du même jour, qui porte enregistré , quoiqu’il n’y ait pas eu d’enregistrement. 329 « 2° Les manœuvres perfides par lesquelles ils ont attiré la disgrâce du roi sur un prince de son sang et sur deux magistrats qui n’avaient fait qu’employer leur zèle, de la manière la plus modérée, à exposer à Sa Majesté la vérité des principes, et le respect dû aux droits de la nation. « 3° L’établissement du système de la seule volonté, dans les réponses qu’ils ont surprises au roi et les attaques qu’ils ont portées aux principes qui assurent la liberté individuelle des citoyens. « 4° L’abus d’autorité auquel ils ont porté le roi par l’enlèvement de MM. Duval d’Éprémesnil et Goislard de Montsabert, exécuté par le sieur Vincent d’Agoust, au milieu de la cour des pairs. « 5° Le renversement des principes constitutionnels au lit de justice du 8 mai; # « La violation des capitulations des provinces, en persuadant au roi qu’elles étaient respectées ; « L’attribution du droit d’enregistrement des emprunts et des impôts à une cour plénière, constituée de la manière la plus illégale, quoique le roi ait déclaré, peu de temps après, qu’aucune cour ne pouvait suppléer la nation ; « L’atteinte portée à l’inamovibilité des offices, et aux tribunaux d’exception consacrés par la nation ; « Enfin le mépris pour la vie des citoyens, poussé au point d’attribuer aux grands bailliages le jugement à mort au nombre de sept juges. « 6° Le faux d’un imprimé, portant que ces édits étaient enregistrés, ce requérant le procureur général du roi, qui n’a' requis l’enregistrement d’aucun, et s’est opposé au dernier. « 7° Les actes d’autorité auxquels ils ont porté le roi contre toutes les cours souveraines, et l’usage qu’ils ont fait des lettres de cachet, en privant de la liberté une foule de citoyens, de magistrats, et douze gentilshommes bretons, dépositaires des vœux et des réclamations de leur province. « 8° Leurs tentatives pour s’emparer de l’opinion du peuple, en protégeant des écrits scandaleux et séditieux contre les magistrats, et en défendant, sous les peines les plus sévères, d’imprimer les réponses à ces calomnies. « 9° L’erreur dans laquelle ils ont induit le roi et le public en affirmant que les fonds étaient assurés pour plus d’un an, tandis que peu de temps après les payements ont été suspendus. « 10° Le sang des citoyens qu’ils ont fait répandre pour l’établissement des nouvelles lois. « 11° Enfin la privation de la justice, première dette du souverain, qu’ils ont refusée pendant plus de quatre mois à vingt-quatre millions d’hommes, suspension affreuse, dont il est résulté le désordre dans toutes les fortunes, la ruine du commerce, l’impunité des coupables et le. désespoir des innocents. « On ne peut fixer les regards sur le tableau de tant de crimes, et concevoir qu’ils ont été commis 330 Série, T.I**.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] par deux ministres en un an de ministère ; la vraisemblance manque pour ainsi dire à la vérité. « Ces ministres ne peuvent rester impunis, et la nation n’aura pas ce reproche à faire à la cour, qui a prouvé plusieurs fois qu’elle était persuadée que plus les coupables étaient puissants, plus ils étaient dangereux, et plus l’exemple de leur pu-, niiion était nécessaire à la tranquillité publique. « Si, dans des siècles d’ignorance et de préjugés, la cour s’est montrée instruite des droits de la nation, et les a soutenus avec la plus grande fermeté, quelles espérances ne doit-on pas concevoir sur la manière dont elle les soutiendra dans un temps où les progrès des lumières, d’accord avec les intérêts du souverain et des peuples, lui prescrivent d’instruire un procès que l’opinion publique a pour ainsi dire commencé ! « Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien mettre en délibération ce qu’il convient de faire sur mon fécit. » Sur ce, la matière mise en délibération, il a été rendu l’arrêt suivant : « La cour reçoit le procureur général plaignant des faits contenus dans le récit d’un de Messieurs, circonstances et dépendances, lui donne acte de ladite plainte, et lui permet d’informer, pour, l’information faite et rapportée en la cour, être ordonné ce qu’il appartiendra. » Le samedi 27, les chambres assemblées, les pairs y séant, M. le premier président rendit compte de sa mission à Versailles, et fit lecture de la réponse du roi, conçue en ces termes : « La continuation des services de mon Parlement ne serait pas utile, à cause des délais nécessaires pour mettre les affaires en état. Mon intention est qu’il soit procédé à l’enregistrement de ma déclaration portant établissement de la chambre des vacations. J’ai autorisé les procureurs et les huissiers à faire, pendant sa durée, des significations, pour que les procès puissent être à portée d’être jugés au moment de la rentrée. Ma bonté avait prévenu le vœu de mon Parlement, en rappelant les personnes que j’avais jugé à propos d’éloigner. La distribution des grâces et la discipline militaire sont des objets étrangers à mon Parlement. » Ensuite, les gens du roi étant entrés, messire Antoine-Louis Séguier, portant la parole, a dit : « Messieurs, nous apportons à la cour une déclaration du roi, pour la chambre des vacations du Parlement. « L’établissement de cette chambre annonce à la France le retour si désiré de ces jours calmes et tranquilles où le citoyen, sous l’égide de la loi, trouvait dans les tribunaux inférieurs des juges non pas décorés de la pourpre, mais environnés de l’estime et de la confiance publique ; des juges en garde contre l’injustice et la surprise, et dans l’heureuse impuissance de se .réformer eux-mêmes; des juges instruits et gradués, qui ne peuvent être unis que pour concourir à l’intérêt général; des juges enfin qui, surveillés sans cesse par des magistrats supérieurs, prononcent avec sécurité, parce que les parties sont assurées de trouver, dans les dépositaires de l’autorité souveraine, une ressource contre les erreurs involontaires, mais inséparables de la faiblesse de l’esprit humain. « Le magistral nommé pour remplir la dignité éminente de garde des sceaux prouve que le roi, dans sa sagesse, a préféré la restauration entière de l’ordre ancien de la magistrature, aux vues ambitieuses et destructives que l’animosité et l’artifice avaient pu lui suggérer. « Les talents de M. le garde des sceaux vous sont connus ; nous l*es avons vus se former dans les pénibles fonctions du ministère. Une conduite toujours pure et mesurée, son assiduité au travail et sa modération, l’avaient placé à la tête d’une cour qui le regretterait en ce moment, si son élévation n’était pas la juste récompense denses vertus. Elle le verra sans crainte, ainsi que toute la magistrature, chargé du poids de la législation. L’attachement qu’il a toujours conservé pour le maintien des vrais principes, les exemples domestiques qu’il trouvera dans sa propre famille, et surtout ceux d’un oncle (1) dont les lumières, la justice et l’intégrité font' l’ornement de ce premier sénat du royaume; cet heureux concours de vertus patriotiques, font espérer à tous les tribunaux que désormais, à l’abri des révolutions sur lesquelles la vanité ou la présomption établissent leur renommée, les lois affermies reprendront leur activité, et le roi jouira lui-même de la douce satisfaction de rendre son peuple heureux, par la confiance qu’inspirent la protection et la stabilité de la loi. « Nous laissons à la cour la déclaration avec la lettre de cachet du roi envoyée sur icelle, et les conclusions par nous prises par écrit sur ladite déclaration. » Et se sont les gens du roi retirés. Eux retirés, Lecture faite de la lettre de cachet du roi et de ladite déclaration, ensemble des conclusions du procureur général du roi par lui prises par écrit sur icelle. La matière mise en délibération, La cour a ordonné l’enregistrement de ladite déclaration. Suit la teneur de ladite déclaration , et de l’arrêt d'enregistrement d'icelle, ’ Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre : à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de Parlement à Paris, salut. (1) M. d’Ormesson. 331 [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Étant nécessaire de pourvoir au service accoutumé de la chambre des vacations, nous avons ordonné et ordonnons qu’il soit tenu une chambre des vacations pour commencer ses séances au premier jour après l’enregistrement des présentes, et continuer jusqu’au 8 novembre inclusivement, et à cet effet, nous avons commis, ordonné et député, commettons, ordonnons et députons nos amés et féaux conseillers, présidents de notre cour de Parlement, les sieurs Boehart de Saron et de Gourgues, pour, conjointement et en l’absence l’un de l’autre, avec nos amés et féaux les sieurs Le Goigneux, de Constance, Lefebvre d’Ammé-court, Titon, Glatigny, Robert de Saint-Vincent, Nouet, Dionis, Serre de Saint-Roman, Le Riche de Chevigné, Clément de Verneuil, Langlois de Pom-meuse, Camus et Clément de Blavette, conseillers en ladite cour, composer et tenir ladite chambre des vacations, depuis le premier jour d’après l’enregistrement de notre présente déclaration, suivant le pouvoir attribué par notre édit du mois d’août 1669, et les règlements sur ce intervenus, aux présidents et conseillers de ladite chambre des vacations. Désirant pourvoir à ce que, par l’indisposition desdits conseillers, le cours de la justice ne soit retardé, nous voulons et entendons que quatre conseillers de chacune des trois chambres des enquêtes, qui ont été nommés par nos ordres en la manière accoutumée, puissent entrer, avoir séance et voix délibérative dans toutes les affaires civiles et criminelles qui se jugeront à l’audience et par écrit dans ladite chambre des vacations, même y faire le rapport des procès qui leur ont été ou seront distribués, et avons à cet effet autorisé et autorisons les jugements qui seront par eux rendus ; voulons et nous plaît qu’ils soient de même force et vertu que s’ils étaient donnés en notre cour de Parlement : voulons en outre que les mercredi et vendredi de chaque semaine, ou autres jours qui seront réglés par les-dits présidents en notre chambre des vacations, il se donne des audiences à huis clos en ladite chambre pour toutes les affaires provisoires, d’instruction, opposition à l’exécution des arrêts de défenses et autres qui se trouvent requérir célérité, lesquelles seront plaidées par procureurs, sans ministère d’avocats, si ce n’est qu’il en ait été autrement ordonné : et pour en faciliter l’expédition, seront par chacune semaine fait des rôles en papier par le président qui présidera en ladite chambre des vacations, et de lui seulement signés, lesquels seront publiés à la barre de notre dite cour, deux jours au moins avant que d’être plaidés, par le premier huissier, et par lui communiqués en la forme ordinaire, et ensuite mis entre les mains de l’huissier de service : le tout sans autres frais ni droits que ceux qu’on a accoutumé de taxer aux huissiers pour appeler les causes à la barre : et en cas qu’il soit fête les mercredi ou vendredi, l’audience sera tenue les mardi et jeudi précédents, sans que les causes qui resteront à plaider de ces rôles puissent être appointées par aucun appointement général, mais seront mises dans les suivants : et après que ces rôles auront été aussi publiés, les défauts et congés qui seront donnés contre les défaillants ne pourront être rabattus dans la huitaine, et les parties se pourvoir par opposition ni autrement, que par requête civile. Voulant en même temps pourvoir à la plus prompte expédition des affaires après la rentrée de la Saint-Martin prochaine, nous avons autorisé et autorisons les procureurs et autres officiers ministériels de notre dite cour, à faire et faire faire, dès à présent, et en temps de vacations, toules les significations' nécessaires, et autres actes d’instruction dans les causes, instances et procès pendants en notre cour ; dérogeant à cet effet, et pour ce regard seulement, à toutes ordonnances et règlements contraires, car tel est notre plaisir. Donnée à Versailles, le vingt-troisième jour du .mois de septembre, l’an de grâce mil sept cent quatre-vingt-huit, et de notre règne le quinzième. Signé LOUIS. Et plus bas : Par le roi, Laurent de Villedeuil. Et scellée du grand sceau de cire jaune. Registrée , ouï ce requérant le procureur général du roi, pour être exécutée selon sa forme et teneur ; et pour remplir plus parfaitement les vues du roi, et pourvoir à la plus prompte expédition des affaires à la rentrée de Saint-Martin, autorise, sous le bon plaisir du roi, les procureurs à obtenir a la chambre des vacations les arrêts et ordonnances de règlement nécessaires pour l'instruction des instances et procès ; et copies collationnées de ladite déclaration envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et enregistrée : enjoint aux substituts du procureur général du roi èsdits sièges d'y tenir la main, et d'en certifier la cour dans le mois , suivant l'arrêt de ce jour. A Paris, en Parlement , toutes les chambres assemblées , les pairs y séant, le 27 septembre 1788. Signé LëBRET. Les gens du roi étant rentrés une seconde fois, M. Séguier portant la parole, ont dit : « Messieurs, il vient de tomber entre nos mains une des feuilles de l’ouvrage périodique intitulé : Annales politiques, civiles et littéraires, par M. Linguet, tome XVe, n° CXVI. « Cet auteur, que sa méchanceté et ses calomnies ont forcé de s’éloigner de la France, s’est retiré dans les pays étrangers; et c’est de cet asile qu’il répand avec impunité le fiel dont sa plume est abreuvée. Par une fatalité inconcevable, le public, toujours avide de nouveauté, surtout quand elle est assaisonnée de tout ce que la sa- 332 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ' [Introduction.] tire et la malignité ont de piquant, se dispute à qui jouira le plus tôt de ses productions envenimées. Il s’est promis, sans doute, de remplacer ce satirique fameux du siècle de Charles-Quint ; il voudrait, comme lui, mettre à contribution les peuples et les couronnes ; et, dans le délire de son aveugle présomption, il s’est érigé en censeur, en réformateur de toutes les nations, de tous les corps politiques, de tous les gouvernements. « On lit avec surprise, dans une feuille détachée du numéro que nous venons de citer, et qui lui sert d’enveloppe (page 3), qu’tme franchise décente î, un soin soutenu de tout rapporter à l'utilité publique, un respect constant pour les mœurs, le culte et le gouvernement , sont les caractères qui ont toujours distingué et qui distingueront toujours cet ouvrage. « Nous ne nous attacherons pas à rechercher ce qui concerne les mœurs, le culte et le gouvernement. Nous ne dirons rien de cette franchise décente dont il ose se décorer, et que les esprits les plus modérés ne craindront pas de qualifier de cynisme et d’impudence. Nous nous contenterons d’examiner avec attention s’il peut se vanter d’avoir un soin soutenu de tout rapporter à Putilité publique. « Après avoir rendu compte de l’arrêt du conseil qui ordonnait que les payements seraient faits en partie avec des billets du trésor royal, il compare la révolution du système à l’état où se trouvait la France à l’époque du mois d'août dernier. Il oppose le silence de la nation, lors des opérations de Law, aux fureurs qu’elle a fait éclater dans les circonstances actuelles. 11 se demande : A quoi cet arrêt portait-il atteinte ? Cet arrêt , ajoute-t-il (page 21 1 ) n'atten tait pas à la propriété des prêteurs ; mais il leur présentait un gage, une caution dans le billet du trésor royal.... C'étaient des effets de la même valeur que le titre original. Et, par cette espèce d’ironie, où il se permet de Compromettre la personne du roi, il affecte de méconnaître les emprunts revêtus de la sanction légale, faits en vertu d’un enregistrement libre et volontaire, qui donnait le caractère de dette de l’État à des sommes que la confiance des sujets n’avait pas craint de déposer dans les mains de leur roi, pour subvenir aux besoins de l’administration. « Dans cette ignorance simulée, il établit deux hypothèses: De deux choses l'une , dit-il (page 212) : ou les Etats généraux hypothéqueront la France aux dissipations passées...., ou ils l'en déclareront affranchie. Dans le premier cas , la petite surcharge des billets du trésor royal , fabriqués en vertu de l'arrêt du 16 août, aurait-elle été méconnue et repoussée ? Dans le second , aurait-elle paru un motif de plus pour déterminer à cette grande, à cette importante, faut-il le dire, à cette salutaire opération ? « Et comme la franchise et l'utilité publique sont les cara'ctères qui distinguent cet écrivain, il ajoute (page 212) que le seul reproche que le ministère aurait peut-être à se faire.... pour tranquilliser les esprits, est de ne s'être pas assuré d’une maison qui eût annoncé qu'elle reprendrait au pair les billets donnés au lieu d’argent. « Ce préservatif innocent , on n'a pu, ni dû même y songer quand il était praticable. Peut-être le serait-il encore, aujourd'hui que la confiance a paru renaître avec aussi peu de fondement réel qu'elle s'était éteinte. « Il faut avouer que cette supercherie ministérielle est bien digne de la bonne foi de celui qui ose la conseiller -, mais quelle est donc cette grande, cette importante , cette salutaire opération, que l’auteur de cet écrit propose aux États généraux assemblés? Il n’est pas difficile d’expliquer cette énigme. 11 renvoie, dans une note à ce sujet, à un écrit qu’il a distribué en 1777 : et il l’a fait transcrire littéralement dans sa nouvelle feuille. « Nous trouvons à la page 226 : L'anéantissement de la dette publique, en France, à chaque génération, serait une opération sage, humaine, légitime; elle serait chez nos voisins une banqueroute honteuse et criminelle. 11 donne la raison de cette différence capitale. En Angleterre , c'est le peuple qui dépense, c'est lui qui emprunte, c'est lui qui s'engage; et les créanciers ont une hypothèque sur la nation elle-même. Et il avait dit auparavant (page 225) : En France, c'est le roi qui s'engage et non pas le royaume. Et, sur ce principe, il voudrait qu’une voix courageuse dît au princé, à son avènement au trône : Prince, c’est à porter la couronne, et non à dresser des bilans, que la Providence vous appelle; cette couronne, en vous arrivant est libre et pure : ne vous occupez du passé que pour le faire oublier ..... la justice et la loi vous déclarent quitte de tout engagement pécuniaire contracté avant vous. « Voilà les maximes affreuses que cet écrivain aussi audacieux qu’extravagant ne rougit pas de donner pour base à tous les gouvernements. Se laissera-t-il toujours emporter par la manie d’avancer des paradoxes ?-Et comment caractériser un écrit où l’on conseille à un roi de manquer aux dettes légales contractées par son prédécesseur, où l’on suppose que les États généraux, les représentants d’une nation entière, aussi noble que généreuse, peuvent concevoir même l’idée d’une banqueroute nationale? « Cette invitation est injurieuse au roi, qui n’adoptera jamais des vues contraires à la foi publique; elle est injurieuse à la nation, qui, fidèle aux engagements contractés sous la garantie de l’autorité publique, rougirait de donner l’exemple, aüx étrangers devenus créanciers de l’État, d’une injustice jusqu’à présent inouïe. L’administration des finances elle-même, dirigée par la probité la [Introduction.] [ire Série, T. I*r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. plus exacte, repoussera avec indignation un sys-. tème qui, loin de faciliter le rétablissement de l’ordre et de ramener le crédit, doit nécessairement obstruer tous les canaux que la confiance entretient, et qui font circuler les richesses oisives des particuliers dans le trésor du prince, pour les répandre ensuite dans le public et augmenter le patrimoine des familles. Ressource prompte et assurée dans les besoins de l’État, quand le souverain est attentif à remplir ses engagements. « Nous devons également faire considérer lé moment �ue l’on a choisi pour répandre cette production, pour ainsi dire, séditieuse. C’est précisément l’époque où un accord parfait entre l’autorité et les ministres de la justice vient de détruire tout ce que les derniers événements avaient pu inspirer d’alarmes et de défiance : c’est à l’approche de 1’assemblée solennelle d’une nation aussi distinguée par son caractère de franchise et de loyauté, que par son zèle vraiment patriotique et son attachement à ses souverains. On ne peut se le dissimuler : lorsque tout concourt à assurer une garantie générale de la dette de l’État, il n’y a qu’un esprit perturbateur, un ennemi du bien public, qui puisse entreprendre de semer des doutes, et de retarder, s’il était possible, le retour de la confiance. Notre ministère a dû s’élever contre un écrit aussi calomnieux. Il est de votre sagesse d’en interrompre le cours : il est de la sagesse du gouvernement d’empêcher l’introduction dans le royaume de ces dissertations politiques, si opposées aux principes de la morale et de la justice naturelle. 11 est à craindre qu’une plume aussi vénale ne serve la passion des esprits malintentionnés. Mais les réflexions que nous venons de 'présenter déposeront à perpétuité du zèle que la cour ne cessera d’apporter à réclamer l’exécution des engagements auxquels, par une délibération libre et réfléchie, elle a imprimé le caractère indélébile de l’authenticité légale, et même des engagements volontaires contractés sous le sceau de la foi publique. « La condamnation motivée de cet ouvrage est l’objet des conclusions par écrit que nous avons prises. Nous les laissons à la cour, avec ledit imprimé. » Et se sont les gens du roi retirés, après avoir laissé sur le bureau ledit imprimé, et les conclusions par eux prises par écrit sur icelui. Eux retirés , « Yu l’imprimé intitulé : Annales politiques, civiles et littéraires , par Linguet , tome XVe, commençant par ces mots : Extrait du privilège , et finissant par ceux-ci : A la fin de septembre prochain. Conclusions du procureur général du roi. « Ouï le rapport de Me Adrien-Louis Lefebvre d’Ammécourt, conseiller ; « La matière mise en délibération ; 333 « La cour ordonne que ledit imprimé sera lacéré et brûlé en la cour du Palais, au pied du grand escalier d’icelui, par l’exécuteur de la haute justice, comme injurieux au roi, injurieux à la nation dont il calomnie les intentions; tendant à semer le trouble et la division dans les esprits, et à détruire la confiance publique; tendant pareillement à détruire les principes de la morale et de la justice naturelle ; enjoint à tous ceux qui en ont des exemplaires de les apporter au greffe de la cour, pour y être supprimés ; fait très-expresses inhibitions et défenses à tous libraires, imprimeurs, d’imprimer, vendre et débiter ledit imprimé, et à tous colporteurs, distributeurs et autres, de le colporter et distribuer, à peine d’être poursuivis extraordinairement, et punis suivant la rigueur des ordonnances; fait pareillement défenses, sous les mêmes peines, au, nommé À... Sauzai, ancien négociant, demeurant hôtel de Bullion, rue Plàtrière, à Paris, de recevoir aucune souscription pour lesdites Annales politiques , civiles et littéraires, de distribuer à l’avenir ledit imprimé et les feuilles subséquentes, ni de tenir aucun bureau ouvert pour les souscriptions et distribution desdites Annales ; ordonne qu’à la requête du procureur général du roi, il sera informé par-devant le conseiller rapporteur pour les témoins qui se trouveront à Paris, et par-devant les lieutenants criminels des bailliages et sénéchaussées pour les témoins qui sont hors de Paris, de la composition et distribution dudit imprimé; pour les informations faites, rapportées et communiquées au procureur général du roi, être par lui requis, et par la cour ordonné ce qu’il appartiendra. « Ordonne à cet effet qu’un exemplaire dudit imprimé sera déposé au greffe de la cour, pour servir à l’instruction du procès. « Ordonne que le présent arrêt sera imprimé, publié et affiché partout où besoin sera, et copies collationnées envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être lu, publié et re-gistré ; enjoint aux substituts du procureur général du roi èsdits sièges d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois. « Fait en Parlement, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant, le 27 septembre 1788. Collationné : Lutton. « Signé DüFRANC. » Et ledit jour 27 septembre 1788, à la levée de la cour , ledit imprimé ci-dessus énoncé , intitulé : Annales politiques, civiles et littéraires, a été lacéré et brûlé par V exécuteur de la haute justice, au pied du grand escalier du Palais , en présence de moi François-Louis Dufranc, écuyer , l'un des greffiers de la grand' chambre, assisté de deux huissiers de la cour. Signé DüFRANC. [ire Série, T, 1».} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 334 Arrêté de la cour des aides de Paris , du 5 mai 1788. La cour, avertie, par la consternation publique et les alarmes de tous les ordres de citoyens, des dangers dont la constitution française est menacée ; Affligée des efforts des ennemis de l’État pour diminuer, s’il était possible, l’attachement et le respect de la nation envers son souverain, que lui rendent si cher et ses vertus personnelles, et l’amour qu’il porte à ses sujets* Considérant que le courage des magistrats doit s’accroître avec les dangers de la patrie; Que, chargés de défendre les droits du peuple, ils doivent jusqu’au dernier soupir lui consacrer leur voix et leurs forces*, et que leur silence dans ce moment serait un véritable crime de ièse-ma-jesté royale et nationale ; Que les essais réitérés du pouvoir arbitraire renversent les lois fondamentales; et qu’en les renversant Us ébranlent , suivant l’expression de Bossuet, les fondements de la terre> après quoi il ne reste plus que la chute des empires ; Que les cours seules défendent la cause de la monarchie, qui est celle du seigneur roi ; Que, si elles ne peuvent pas être rigoureusement considérées comme les représentants de la nation , elles en sont au moins les organes nécessaires, puisque seules depuis 4a cessation des États généraux, elles se sont conservées dans la prérogative de porter la vérité au pied du trône ; Que l’administration du royaume étant trop compliquée, pour que le souverain puisse toujours connaître la vérité par lui-même, ce serait agir en ennemi public de chercher à le priver des lumières qui résultent de la variété même des opinions des différentes cours ; Que tout tribunal qu’on tenterait de créer, pour échapper à la loi protectrice de l’enregistrement dans les cours, ou pour en changer la forme, quelque nom qu’il portât, de-quelques membres qu’il fût composé, serait illégal et anticonstitutionnel, tant qü’il n’aürait pas reçu son existence de la nation assemblée ; Que la monarchie étant le gouvernement où la loi commande, la France cesserait d’être une monarchie si la volonté d’un seul disposait arbitrairement des états, des propriétés et des personnes; Que 6e principe, consacré par les lois, a été reconnu par tous nos souverains ; que Louis X. écrivait *. Ce royaume est le royaume des Francs , et là chose en vérité doit être accordante au nom ; que Louis Xî lui-même, dans ses instructions à Charles Vlïî, son fils, disait : Quand les princes ne ont regard à ta loi ; en ce faisant , Us font leur peuple serf, et perdent le nom de roi; Que c’est pour les cours un devoir sacré de conserver intact le dépôt des lois constitutives qui leur fut confié; Que les magistrats doivent au roi, à la patrie, à leur empêcher autant qu’il est en eux, même au péril de leur vie, ce dépôt inviolable de passer en des mains étrangères. La cour, se rappelant plus que jamais qu’elle doit sa première existence aux États généraux, pour répondre à la confiance du seigneur roi et à celle de la nation, A arrêté unanimement que, dans le cas où il serait proposé quelque opération, autre que de simple administration, quelque acte de législation tendant à étouffer la voix des cours, ou qui pût, en quoi que ce soit, porter atteinte aux lois constitutives, et qui n’aurait pas été légalement consenti par la nation légalement assemblée en États généraux, elle .-ne peut, elle ne doit ni n’entend participer en rien à de pareils actes, ni remplir, soit en corps, soit par des individus, aucunes fonctions qui pourraient en être la suite, en quelque temps, dans quelque lieu et avec quelque personne que ce puisse être; et que, dans le cas otr la force l’empêcherait de protester de nullité et de remplir ses devoirs dans toute leur intégrité, elle remet dès à présent ses droits, tels qu’ils lui furent confiés, entre les mains du roi et de la nation. Discours prononcé à la séance de la cour des aides, tenue à Versailles le 8 mai 1788» (J’obéis à l’ordre exprès du roi mon seigneur et maître.) Monseigneur, le lieu qui nous rassemble hors de notre tribunal ordinaire, l’état passif où la nature de cette séance réduit des magistrats, quoique réunis en corps de cour : tout annonce des formes et des opérations illégales. La conscience, la religion du serment, la fidélité aux lois fondamentales, l’attachement le plus pur et le plus vrai à la personne sacrée et à la gloire du prince, ainsi qu’aux intérêts de la nation, nous imposent la loi rigoureuse de protester �contre tout ce qui va se passer, contre la faculté qui nous est interdite, soit de délibérer, soit de donner nos suffrages. Des projets vastes ont été préparés dans le secret; ce secret, et tout ce qui l’a accompagné, jettent dans les esprits l’alarme et la consternation. Notre origine, Monseigneur, remonte aux États généraux, et l’époque des impôts a été celle de notre naissance. - La compétence des cours des aides embrasse l’universalité de toutes les impositions; aussi l’examen, la vérification et la publication de toutes les lois leur appartiennent essentiellement. Les leur enlever, ou seulement en éluder la forme, deviendrait la subversion de tous les principes, la transgression de toutes les ordonnances, et à cet égard le renversement de la constitution française. / [iw Série, T. K] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flntrodüôtion.] De pareils pouvoirs ne pourraient être transmis à une cour étrangère à l’impôt, à une cour in-eoïmue dans nos fastes, à une cour, en un mot, dont les fondements seraient élevés sur les débris de la magistrature. Non, Monseigneur, eu vain présenterait-on des innovations consacrées par le seul effet du pouvoir absolu, comme des actes de bienfaisance, comme offrant aux peuples de grands avantages. Si tels en étaient les caractères distinctifs, pourquoi les annoncer avec un éclat imposant, au lieu de les montrer comme une lumière douce et salutaire, qui flatte autant qu’elle éclaire ? Pourquoi soustraire de pareils actes à l’œil austère, à la discussion approfondie, au zèle éclairé des magistrats, à qui l’honneur et la conscience répondent qu’ils n’ont pas cessé d’être dignes de la confiance du roi et de l’estime publique? Si un examen réfléchi de toutes ces lois nous était permis, si vous pouviez, Monseigneur, entendre et peser nos opinions sur chacune d’elles, transmises par vous à Sa Majesté, avec cette franchise qui vous est si naturelle, elles parviendraient à l’éclairer, soit sur l’utilité, soit sur l’inconvénient de ces mêmes lois, et ce prince apprendrait par vous que chacun des membres de cette cour n’est jamais guidé dans son avis que par son amour pour son roi, et un attachement sans bornes aux droits de la puissance monarchique, toujours inséparable de l’intérêt de la nation. Nous imposer un silence douloureux, c’est priver un prince, ami de la vérité, et jaloux du bonheur de ses peuples , des lumières qu’il a droit d’attendre du zèle et du courage des magistrats ; c’est exposer l’autorité royale â ne pouvoir plus se défendre des surprises qui trop souvent investissent le trône ; c’est enfin préparer à la nation un avenir effrayant. Organe fidèle du sentiment de ma compagnie, je suis expressément chargé par elle de vous représenter que son silence deviendrait un crime, si elle ne vous suppliait avec instance de porter au pied du trône les expressions de sa vive douleur et sa consternation profonde. Par une entreprise que nos descendants ne liront qu’avec effroi dans les fastes de la France, le temple de la justice, ce séjour de paix et de liberté, au milieu de la nuit s’est trouvé tout à coup transformé en une place assiégée* Les ministres de la loi ont été investis de nôm-breuX bataillons, et accompagnés de soldats au moindre déplacement le plus indifférent par lui-même. Quel nom donner à cette violation inouïe, nous devons le dire, à cette profanation publique du sanctuaire de la justice ? Deux magistrats, tristes victimes de leur devoir, ont été militairement arrachés au milieu des larmes de leurs confrères. Que n’avez-vous été, Monseigneur, témoin de 338 cette scène Vraiment attendrissante! Votre âme sensible et généreuse en eût été affectée, et l’émotion publique se, fût répétée dans votre cœur. Daignez mettre ce tableau exact sou S les yeux de Sa Majesté, lui peindre avec intérêt le détail de tout ce qui s’est passé, et réclamer sa bonté ou plutôt sa justice, en faveur de deux magistrats frappés d’ordres rigoureux, sans aucun délit connu, et qui, s’ils étaient coupables, ne pourraient être punis que par les formes judiciaires. Apprenez à Sa Majesté que cet appareil militaire a suspendu le Cours de la justice dans tous les tribunaux de l’enceinte du Palais; l’accès en était interdit par des gens à hautes armes : et malgré nos instances réitérées, nous avons été repoussés des lieux où notre devoir nous appelait. journée désastreuse ! dont le souvenir pourrait affaiblir la fermeté des magistrats, si leur coû-rage, leur -zèle et leur vertu n’étaient supérieurs à tous les revers. Arrêté de la chambre des comptes, du 6 mai 1788. Ce jour, la chambre extraordinairement assemblée (les députés des conseillers, correcteurs et auditeurs présents, en leurs places ordinaires), à l’occasion des refus faits aux différents membres qui la composent, de l’entrée du sanctuaire de la justice; prévenue par le cri public que cet obstacle est la suite de la détention dé deux magistrats, arrachés à leurs fonctions, pour avoir écouté lé zèle qui les animait, et leur attachement aux intérêts du roi et de l’État; Considérant que l’enlèvement de ces magistrats est aussi contraire à l'esprit des ordonnances qu’aux sentiments de justice de Sa Majesté ; Que la vérité, trop souvent éloignée du trône, ne peut y parvenir que par l’organe des cours ; Que l’intérêt 'dudit seigneur roi comme celui de la nation est si essentiellement lié à la conservation des lois, qu’il n’est point de Vrai magis ¬ trat qui puisse laisser altérer l’intégralité de ses fonctions, puisqu’elles sont la base de la tranquillité publique, de la gloire et du bonheur dudit seigneur roi, A arrêté qu’il sera très-humblement représenté audit seigneur roi qu’il est préjudiciable au bien de son service de rendre périlleuse la liberté des suffrages, et de supplier Sa Majesté défaire cesser les alarmes de la nation, et de rendre aux magistrats qui ont eu le malheur de lui déplaire la bienveillance que mérite la pureté de leur zèle et de leur fidélité. StippUeations de là chambre des cûfhptés an rôt', relativement à la dêlentiôn de dente officiers d,n Parlement , et aux bruits répandus contre là magistrâinre. Sire, Votre chambre des comptes devait être, dans [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 336 cette triste circonstance, l’interprète de la douleur publique ; ce devoir l’amène au pied du trône, pour y faire entendre la vérité, pour réclamer auprès du législateur suprême le libre cours de la justice et la liberté de ses dépositaires. Vous trouverez, Sire, au fond de votre cœur comme dans les lois du royaume, que la propriété la plus sacrée, celle qui doit être la plus inviolable, c’est la liberté. Quelle serait donc, Sire, la condition des magistrats? Organes de la justice du souverain et les garants de la soumission des peuples, pourquoi seraient-ils punis par la privation du premier de tous les biens, pour n’avoir point adouci es expressions de leur zèle, pour n’avoir point, dans les circonstances critiques, affaibli des paroles dont la courageuse énergie pouvait fixer l’attention de Votre Majesté sur des objets de la plus grande importance? Ah! Sire, écoutez les mouvements de votre cœur ; rendez vos bontés aux deux magistrats de votre Parlement; rendez à la nation des jours sereins et tranquilles, à cette nation libre et généreuse, et toujours accoutumée à chérir ses souverains. Votre chambre des comptes, Sire, vient aussi vous dénoncer les alarmes générales sur le sort qui paraît menacer la magistrature ; vous en fûtes le restaurateur, vous ne détruirez point votre ouvrage. Votre chambre des comptes, inébranlable dans ses principes, même au milieu des orages, vient déposer aux pieds du souverain le serment qui lui assure l’estime de Votre Majesté et la confiance de la nation. Quels que soient les événements qui se préparent, elle n’écoutera que la voix de la conscience et de l’honneur. Ce sont, Sire, les très-humbles, etc. Monsieur, frère du roi, étant venu tenir la séance à Versailles, le 8 mai 1788, M. le premier président de la chambre des comptes, lui a dit : Monseigneur, (J’obéis à l’ordre du roi mon souverain seigneur et maître.) Le voile impénétrable dont on se plaît à couvrir, depuis si longtemps, la destinée de la magistrature; la consternation qui s’étend du centre aux extrémités du royaume ; le silence d’abattement qui règne dans cette enceinte, parlent plus éloquemment que des paroles ; ils peignent les sentiments de nos cœurs. Puisse cette assemblée où va se déployer toute la puissance de l’autorité royale, ne point devenir l’époque tristement mémorable de la décadence ou de la subversion des lois ! Les Français, Monseigneur, obéissent à leur souverain et à l’honneur ; les magistrats en donnent les premiers l’exemple. Heureux accord du sentiment et des devoirs, conservez-vous toujours ! Ne pouvant rien prévoir, ignorant tout, n’osant également espérer ni craindre, je ne chercherai point, par de vains discours, à suspendre les événements de cette grande journée. Dans des temps plus heureux, Monseigneur, il m’eût été bien doux de faire votre éloge. Organe de la vérité, j’aurais acquitté la reconnaissance publique ; mais mon âme oppressée a perdu toutes ses facultés ..... elle est anéantie par la douleur... Je ranime à peine mes accents, pour vous conjurer d’être auprès du roi notre dieu tutélaire, et de faire entendre au pied du trône le serment de notre fidélité et de notre courage. Nous n’écouterons que le cri de la conscience, et nous serons toujours jaloux de l’estime de nos concitoyens et du jugement de la postérité. Arrêté du Châtelet de Paris , du 18 mai 1788. Ge jour, etc. La compagnie voyant avec la plus vive douleur les actes d’autorité multipliés contre les différentes cours du royaume, le temple de la justice investi par des gardes armés, la liberté des suffrages violée par l’enlèvement des magistrats qui ne peuvent être personnellement responsables de délibérations essentiellement secrètes ; le cours de la justice interrompu, la magistrature avilie, l’ordre ancien interverti sous un monarque qui a déclaré ne vouloir régner que par les lois, et dont les intentions bienfaisantes sont le gage du bonheur de ses sujets ; Considérant que les ordonnances, édits et déclarations apportés par le procureur du roi n’ont point été délibérés par le Parlement, auquel il reste le droit certain et reconnu par Sa Majesté même de lui adresser ses remontrances ; droit dont il ne peut en ce moment user par la suspension forcée de ses fonctions, a arrêté unanimement qu’elle ne peut ni ne doit procéder à la lecture, publication et enregistrement desdits édits, déclarations et ordonnances. Et à l’instant les gens du roi ayant été mandés, M. le lieutenant civil leur a donné connaissance du présent arrêté, et ils ont déclaré qu’ils y adhéraient unanimement, ce dont il leur a été donné acte. < Fait les jour et an que dessus. Déclaration faite a M. de Four queux, commissaire du roi , lors de V enregistrement forcé des nouvelles lois , par M. Angran , lieutenant civil. Monsieur, la compagnie me charge de vous déclarer qu’elle proteste unanimement contre tout ce qui pourrait être fait dans cette séance de contraire à ses droits, usages et arrêtés, et notamment à celui du 16 de ce mois, dans lequel elle persiste. L’enregistrement fait à l’audience, Messieurs se [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] retirèrent en la chambre du conseil, où ils prirent l’arrêté suivant : « La compagnie, persévérant dans les protestations de cejourd’hui, par elle faites et notifiées au commissaire du roi, tant en la chambre du conseil qu’en l’audience du parc civil, proteste de nouveau contre la transcription faite de l’exprès commandement de Sa Majesté sur ses registres en la chambre du conseil, et pareillement contre la lecture et publication faite à l’audience, et transcription faite ès registres des bannières, ne se croyant liée par aucun desdits actes, s’en référant à son arrêté du 16 mai présent mois, et y persistant unanimement. » Et à l’instant les gens du roi, etc., etc. Ils ont déclaré qu’ils y adhéraient unanimement, ce dont il leur a été donné acte. Le Parlement de Paris n’était pas le seul à soutenir contre la cour cette fameuse guerre de remontrances qui fut un des motifs de la convocation des États généraux ; ceux des provinces suivirent son exemple, et chacun répandit dans le royaume ‘une foule de déclarations qui contribuaient à aigrir les esprits contre la cour. Nous allons en rapporter quelques-unes. Très-humbles et très-respectueuses remontrances que présentent au roi , notre très-honoré et souverain seigneur , les gens tenant sa cour de Parlement de Dauphiné , au sujet de Vexil de M. le duc d'Orléans , de l'enlèvement de MM. Freteau et Sa-bathier , conseillers au Parlement de Paris , et de Vexil du Parlement de Bordeaux à Libourne. Sire, le premier prince de votre sang, prince si cher à tous les titres à votre Parlement et à cette province, exilé ; deux magistrats de votre Parlement de Paris prisonniers ; Je Parlement de Bordeaux transféré ou plutôt exilé à Libourne, éloigné de tous les suppôts de la justice, sans lesquels elle ne peut être administrée ; enfin une lettre injurieuse aux officiers de service à la chambre ordonnée en temps de vacations , écrite par votre garde des sceaux au premier président de la cour : tels sont, Sire, les objets déchirants qui conduisent votre Parlement au pied du trône , pour répandre dans le sein paternel de Votre Majesté les sentiments d’amertume et de douleur dont il est pénétré. Vous ne commandez pas , Sire, à des esclaves ; vous commandez à une nation libre; Votre Majesté lui doit la liberté des lois; vous êtes le soixante-deuxième des rois chrétiens qui successivement ont juré de conserver à chacun, suivant son état et sa condition, les lois sous lesquelles ils ont vécu pendant les règnes précédents (1). Ainsi un de nos plus grands rois, dont la nation ne saurait se rappeler le souvenir sans attendrissement, Henri IV, (1) Petit Carême de Massillon. Baluse, tome II, fol. 6. lïe Série. T. Ie*. 337 reconnaissait que la première loi du souverain est de les observer toutes et qu’il avait lui-même deux souverains : Dieu et la loi (1). Quelque étendu et quelque respectable que soit le souverain pouvoir des rois , il n'est pas au-dessus de la nature même et de la loi fondamentale de l'État ; c'est à cette sainte et inviolable maxime , à ses généreux défenseurs, que la France fut redevable de son salut sous Charles VI, et que la maison de Bourbon doit la couronne (2). Telles sont les lois que le bonheur de vivre sous votre empire, et notre amour pour votre personne sacrée, ont gravées en caractères de feu dans nos cœurs, et que notre zèle et notre fidélité conserveront jusqu’au dernier soupir. Telles sont les lois que le chancelier de L’Hôpital, dont le nom doit vivre à jamais dans la mémoire des hommes qui aiment la justice, recommandait aux magistrats d’observer, lorsqu’il leur disait qu’iis devaient , non pas garder tous les commandements du roi, mais bien garder les ordonnances, qui sont ses vrais commandements (3). Telles sont enfin ces lois, dont il est écrit qu’eu les violant on ébranle les fondements de la terre ; après quoi il ne reste plus que la chute des empires (4). Parmi cès lois, celle-là est une des plus saintes et des plus inviolables, perpétuée d’âge en âge, de ne publier ni lois ni ordonnances, qui ne soient vérifiées au Parlement; l’importance et la nécessité de cette loi sont attestées par les lits de justice et les enregistrements militaires, qui, même en la violant, la confirment; et cette loi, gardienne des autres lois, qui contraint moins qu’elle ne persuade l’obéissance aux peuples, toujours protégée par nos rois, souvent invoquée par eux-mêmes, votre Parlement proteste de la maintenir dans toute son intégrité. Nous lisons dans un ouvrage publié en 1667, sous le nom et par les ordres de Louis XlV, ce monarque si absolu, que les rois, par un tribut même de leur souveraineté, sont dans une bienheureuse impuissance de détruire les lois de leur État...; qu'on ne peut dire que le souverain ne soit pas sujet aux lois de son État, puisque la proposition contraire est une vérité du droit des gens , que la flatterie a quelquefois attaquée, et que les bons princes ont toujours défendue comme une divinité tutélaire de leur Etat (5). Telles sont les maximes sacrées sur lesquelles reposent la puissance du souverain et la liberté légitime des peuples, qui ne nous permettaient pas de prévoir que dans la séance de Votre Majesté au Parlement de Paris, du 19 novembre, on présen-(1) Mémoires de Sully, pag. 420. (2) Requête des princes du sang au roi, 1717. (3) Hénault, tom. I, pag. 514. Reg. du Parlement. (4) Bossuet, Politique sacrée, liv. I., art. 4, prop. 8. (5) Droits delà reine, deuxième partie, page 191. 22 [ile Série, T. Ier. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES-fliilroduetion,} 338 terait, comme un principe invariable de la mo-narçhie, puisée dans l’arrêté de cette cour du 20 mars 1766, que le pouvoir législatif réside dans la personne du souverain, sans dépendance et sans pàrtage ; et que, pour ériger cette assertion en principe, on l’isolerait de ce qui la suit immédiatement, et qu’il est de notre devoir de rappeler, que telle est la sage économie du gouvernement français, qu’avant que la loi ait reçu sa dernière forme , et qu’elle puisse être exécutée, elle doit être vérifiée au Parlement , qui est le vrai consistoire du roi ; que cette vérification consiste dans l’examen que font les magistrats pour comparer la loi nouvelle avec les anciennes dont il est le dépositaire, et s’assurer qu'elle ne blesse ni l’ordre public, ni le droit des citoyens. Et dans quel objet, Sire, a-t-on présenté cette assertion comme un principe invariable de la monarchie? Pour en tirer la conséquence qu’au roi seul appartient le droit de convoquer les Etats généraux ; que lui seul doit juger si cette convocation est nécessaire; qu'il n’a besoin d'aucun pouvoir extraordinaire pour l’administration de son royaume; qu’un roi de France ne pourrait trouver, dans les représentants des trois ordres de l’Etat, qu’un conseil plus étendu, composé de membres choisis d’une famille dont il est le chef, et qu’il serait toujours l'arbitre suprême de leurs représentations et doléances (1). Votre Parlement, Sire, n’aperçoit qu’avec effroi les suites funestes qu’entraîneraient ces conséquences, que nous ne saurions concilier avec le droit public, propre à la nation, et les ordonnances du royaume, qui, en assurant les droits du souverain , assurent en même temps ceux des sujets, leur liberté, leur propriété, droits essentiels à tout ce qui n’est pas esclave, Il serait également impossible de les concilier avec la naturelle franchise de la France et la doctrine du roi saint Louis, qui commanda et bailla pour doctrine à son fils de ne lever taille sur son peuple sans grand besoin et nécessité sans assembler les trois états, que les gens desdits états le consentent , en gardant les privilèges en chacun pays (2). Dans les deux lits de justice tenus à Paris, sous le règne de François Ier, au sujet du traité de Madrid, en 1527, on se décidait sur les mêmes principes ; et le roi Henri IV y était tellement attaché qu’il disait au Parlement : A Dieu ne plaise que je me serve jamais de cette autorité qui se détruit souvent en la voulant établir , et à laquelle je sais que les peuples donnent un mauvais nom! Mais nous n’insisterons pas davantage pour réfuter des maximes si contraires aux droits de la nation, et qui n’entreront jamais dans le cœur de Votre Majesté. (1) Discours de M. le garde des sceaux. (2) Remontrances des Etats tenus à Tours en 1484. Sous le gouvernement français, le lien indissoluble des lois de la monarchie attache à jamais la nation au souverain, et le souverain à la nation ; et, d’après cet engagement sacré, la nation réclame et soutient au prix de son sang les lois qui assurent les intérêts et les'droits du souverain, et le souverain, dans l’exercice d’une autorité dirigée par les lois, maintient ces mêmes lois, protectrices delà sûreté et de la liberté légitime des peuples, et affermit le bonheur et la tranquillité des sujets. Mais que ne peut l’intrigue, même auprès du meilleur des rois ! La candeur de votre âme, Sire, l’excellence de voire cœur, incapable de défiance, vous exposent à des surprises pratiquées avec cette adresse qui n’est connue qu’à la cour des princes, et que la plus haute sagesse ne saurait quelquefois écarter. Et quel autre moyen aurait pu réussir, pour vous engager, Sire, à éloigner de votre personne, avec autant d’éclat et de rigueur, le premier prince de votre sang ? On ne saurait concevoir, Sire, que M. le duc d’Orléans, si digne à tous égards de votre confiance, ait pu déplaire à Votre Majesté pour avoir donné des preuves éclatantes d’un zèle si nécessaire à votre gloire, en vous faisant connaître la vérité. Daignez, Sire, recevoir avec bonté nos très-humbles supplications, et les vœux que nous dictent notre amour et notre respect pour le retour d’un prince auguste, gouverneur de cette province, et qui, en cette qualité, occupe la première place dans votre Parlement. Deux magistrats du Parlement de Paris, enlevés à leurs fonctions, à leurs familles et traduits avec éclat dans des prisons d’État, offrent un spectacle bien affligeant pour vos sujets, et qui deviendrait de la plus dangereuse conséquence pour l’administration de la justice. Le magistrat appartient à l’État sous deux rapports, et comme simple citoyen, et comme magistrat, ministre essentiel de la loi. Sous ces deux rapports la loi réclame pour lui contre les ordres rigoureux surpris à la religion du souverain et désavoués par les lois : elles revendiquent les droits de la naissance ; elles réclament enfin qu il soit jugé suivant les lois, dont la garde appartient naturellement à notre Parlement (1). En effet, si le magistrat est exposé à des persécutions, à des vexations, pour avoir obéi à son honneur et à sa conscience, bientôt il n’y aura plus de dépositaires de la loi, et les droits de la nation seront infailliblement compromis. Après une malheureuse expérience, Louis XI reconnut la nécessité de pourvoir à la sûreté des magistrats en, son service, tellement qu’ils aient cause d’y persévérer ainsi qu’ils doivent; en conséquence il ordonna qu’il ne donnerait aucun de ses offices, (1) Henri IV, lettres patentes du 4 juillet 1591. |1«» Série, T. -!«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRE S . [introduction.! s’il n’était vacant par mort et résignation , ou par forfaiture préalablement jugée et déclarée par jugement compétent : et, convaincu par la suite de l’importance de cette loi, il en fit jurer l’exécution par Charles VIII, en lui représentant que l’observation d’icelle serait une des grandes assurances de son État; et pour donner plus d'authenticité à cet acté il l’envoya au Parlement pour y être enregistré (1). Charles VIII, sur les représentations des États assemblés à Tours (2), renouvela les mêmes dispositions ; ellesfurent confirmées par Louis XIII (3); enfin Louis XIV ordonna que ces lois seraient exécutées selon leur forme et teneur ; et icelles interprétant et exécutant , défendit qu’aucun de ses officiers , de cour souveraine et autres , fût troublé ni inquiété en l’exercice et fonctions de leurs charges , par lettres de cachet ou autrement , en quelque sorte et manière que ce soit. Si des temps d’orage et d’erreur ont jeté des nuages sur ces lois, jusqu’à faire méconnaître leur empire ; si les magistrats, par les actes les plus rigoureux du despotisme, ont été réduits au silence, la loi a protesté pour eux, tandis que leur conduite ferme , et respectueuse protestait pour la loi, et combattait l’intrigue et la délation. Mais que sous votre règne, Sire, où l’on a vu la justice rétablie dans son empire, la loi dans son sanctuaire, et ses ministres dans leurs fonctions, deux magistrats fidèles soient emprisonnés; que le Parlement de Bordeaux soit transféré ou plutôt exilé à Libourne ; qu’une grande province soit sans justice ; que ses magistrats soient privés des moyens de la rendre, et réduits à l’impuissance la plus absolue d’acquitter ce devoir en votre nom et à votre décharge ; enfin que ces malheurs soient devenus les suites inévitables des ordres surpris à Votre Majesté nous ne le dissimulerons pas, Sire, nous ne saurions même le concevoir ; et, saisis d’effroi et de douleur, nous demanderons ce que sont devenues les lois. Nous n’avons garde de vouloir pénétrer dans les secrets de votre sagesse ; mais si nous fixons nos regards sur les événements qui affligent la nation ; si tous les bons citoyens s’empressent d’en connaître la cause, on ne saurait apercevoir dans la conduite d’un prince auguste, exilé avec éclat, qu’une démarche digne de son rang, et qu’il devait à son amour pour la vérité, pour Votre Majesté, pour votre gloire, enfin pour la nation , qui a applaudi à son zèle et à son courage. Les deux magistrats enlevés à leur état et à leurs familles devaient-ils dissimuler la vérité que vous leur demandiez? et pourraient-ils être devenus coupables, en la manifestant avec cette généreuse liberté qu’autorisait leur confiance en (1) 21 octobre 1467. (2) 1483. (3) 1616. votre justice, ou qui caractérise les magistrats dignes de vous servir ? Enfin, si l’on demande le motif de la translation, ou plutôt de l’exil du Parlement de Bordeaux, on ne pourra apprendre, sans la plus grande surprise qu’il a encouru la disgrâce de Votre Majesté pour avoir jugé, en son honneur et conscience, qu’il nepouvait, sans trahir son devoir, enregistrer un établissement qu’il ne connaissait pas, et compromettre le bonheur des peuples confiés à sa vigilance, en voyant se former des assemblées dont il n’avait pas enregistré les règlements (1). Les lois divines ordonnent au magistrat du descendre du tribunal, s’il n’a pas assez de fermeté pour faire triompher la loi et garantir l’innocence du glaive de l’homme puissant. Telle est, dit l’illustre Daguesseau, V honorable rigueur de la condition du magistrat , qu’elle n’admet aucun mélange de faiblesse. Celui qui ne se sent pas assez de courage pour dompter les efforts de la fortuite et briser les remparts de l’iniquité, est indigne de porter le nom de juge ; le magistrat qui n’est pas un héros n’est pas même un homme de bien (2). Et, si le chancelier de L’Hôpi tal ne se fût pas armé de la fermeté la plus intrépide, les ennemis de l’État auraient fait périr un prince de votre auguste maison. Mais quelle serait la condition du magistrat, si, rassuré par le témoignage intérieur de sa conscience, il n’était supérieur aux disgrâces et aux événements, si l’inestimable honneur d’avoir satisfait à ce qu’il doit au souverain et à la nation ne devenait pour lui une égide impénétrable contre la crainte et la terreur qu’inspirent si souvent les traits de la surprise, d’une intrigue de cour ou d’une obscure délation ? Nos rois ont investi le magistrat des dispositions les plüs précises des ordonnances, pouf sa tranquillité, pour sa sûreté, pour le maintenir dans le libre exercice du pouvoir confié à sa fidélité; lés lois défendent de troubler ou inquiéter tes officiers de vos cours souveraines et autres , dans les fonctions de leurs charges , par lettres de cachet ou autrement. Cependant de tous les sujets de Vôtre Majesté, Sire, ce sont les magistrats auxquels on les a prodiguées avec le plus d’éclat et d’affectation. L’ordre naturel des choses a été interverti, et toute la prévoyance de la loi en faveur de ses ministres a été travestie en des ordres arrachés par importunité, bien plus rigoureux que des décrets judiciaires, qui laissent à vos sujets l’espoir d’une réparation. Si le prince de votre sang, si les deux magistrats du Parlement de Paris, enfin si le Parlement de Bordeaux sont coupables , s’ils sont (4) Remontrances du parlement de Bordeaux, du 21 octobre. (2) Ecclesiast., cap. 4, vers. 33. Daguesseau, vol. 1. p. 174. [!*• Série. T. I«J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 340 même accusés, ils doivent être jugés selon les lois. Dans les Etats monarchiques le prince est la partie qui poursuit les accusés ; s'il jugeait lui-même, il serait le juge et la partie ; il perdrait le plus bel attribut de la souveraineté , qui est celui de faire grâce (1). Lorsque l’implacable Richelieu engagea , par importunité ou par surprise, Louis XIII à prendre place parmi les juges qu’il avait appelés pour faire Je procès au duc de la Valette, le président de Bellièvre ne fut point intimidé des regards menaçants d’un ministre cruel ; il eut assez de fermeté pour représenter au roi qu'il voyait dans cette affaire une chose étrange, un prince opiner dans le procès d’un de ses sujets ; que les rois ne s'étaient réservé que les grâces, et qu’ils renvoyaient les condamnations vers leurs sujets... ; que la face du prince porte les grâces...; que ce jugement était sans exemple, voire contre les exemples du passé jusqu'à lui (2). L’honneur est le ressort du gouvernement monarchique, et c’est l'honneur qu’écoute votre Parlement, c’est l’honneur qui dirige ses démarches; c’est l’honneur enfin qui lui ordonne de réclamer au pied du trône contre les imputations que s’est permises votre garde des sceaux dans sa lettre du 12 novenbre. Votre Parlement, Sire, avait enregistré l’édit du mois de juillet dernier, portant qu’il sera établi une administration provinciale en Dauphiné ; et, par son arrêt d’enregistrement, il avait très-humblement supplié Votre Majesté de lui adresser in-cessammentles règlements particuliers énoncés en l’article VI dudit édit, pour y être vérifiés, et leur donner la même sanction qu’audit édit, dont ils doivent faire partie. Nous attendions avec une confiance respectueuse que ces règlements nous seraient envoyés, lorsque la publication et affiche en fut faite de l’ordre du commissaire départi. Les officiers de votre Parlement, de service à la chambre ordonnée en temps de vacations, furent on ne peut pas plus surpris de voir ces règlements publiés et exécutés, sans avoir été revêtus des formes essentielles de l’enregistrement. Dans ces circonstances, la chambre des vacations ne pouvait, sans manquer à ses devoirs, tolérer une contravention aussi frappante ; elle y était d’autant plus obligée que ces règlements, en établissant un nouveau régime j auraient répandu le désordre dans la province : en conséquence, elle arrêta le 6 octobre qu’il en serait référé au Parlement séant ; et cependant, par provision et sous le bon plaisir de Votre Majesté, sursit l’exécution de ces règlements, et fit inhibitions et défi) Esprit des Lois, liv. VI, chap. v. (2) Ibid. fenses aux communautés de la province et à toutes personnes de les metttre à exécution. Après l’ouverture des séances de votre Parlement, les officiers de service à la chambre des vacations en oût référé ; et, d’après le compte qui en a été rendu, votre Parlement a trouvé cet arrêt si juste, si régulier et si nécessaire pour maintenir l’ordre et la tranquillité publique, qu’il en a ordonné l’exécution par son arrêt du 15 de ce mois. Mais les ordonnances défendent à votre Parlement de souffrir les inculpations injurieuses renfermées dans la lettre de votre garde des sceaux contre les magistrats qui ont assisté à l’arrêt de la chambre des vacations, parce que l’honneur du roi ne le souffre point , et qu'elles nous apprennent que Votre Majesté met au nombre de ses obligations celle de conserver l'honneur des magistrats , qu'elle regarde comme faisant partie de sa justice même ( 1 ) . A la vue des imputations faites à la chambre des vacations, d’avoir imaginé de rendre un arrêt sur une matière où elle était évidemment incompétente ; de s’être livrée à la critique la plus amère et la moins raisonnable des règlements provisoires des assemblées provinciales, enfin d'établir dans son arrêt des assertions au moins téméraires, et qui ne peuvent qu'échauffer les esprits et troubler la tranquillité publique, votre Parlement a été frappé d’étonnement ; mais cette impression s’est bientôt dissipée, lorsqu’il s’est convaincu, d’après le plus sérieux examen, qu’il n’est aucune deces inculpations qui ne soit au moins hasardée et dénuée de toute espèce de vraisemblance. A Dieu ne plaise, Sire, que nous reconnaissions dans cette lettre les intentions de Votre Majesté ! Et comment pourrait-on même le présumer, après l’hommage que nous n’avons cessé de rendre, dans tous les-temps, à la bonté de votre cœur ? Nous sommes même persuadés que cette lettre a été surprise à votre garde des sceaux, et nous espérons qu’à l’exemple du chancelier de Roche-fort (2) il se hâtera de rendre la justice qui est due au zèle et à la fidélité des magistrats qui ont assisté à l’arrêté du 9 octobre. En effet, sans remonter à l’institution de la chambre des vacations, il suffirait de rappeler les dispositions de l’édit de juillet 1685, pour établir sa compétence. On ne saurait traiter de critique la plus amère des observations qui ont été dictées par l’amour (1) Ordonnance de 1318, déclaration du 27 mai 1707. (2) Du 15 mai 1598, ce jour pour ce que le chancelier avaic retiré un ajournement au cas d’appel, qu’un huissier exécutait, lui furent envoyés aucuns conseillers, afin de lui montrer qu’il le rendît; ce qu’il refusa le disant à la cour; et pour ce qu’il le refusait, lui fut donné assignation au lendemain; et M. le chancelier vint en la cour, et fut ledit ajournement rendu. (Reg. du Parlement.) [1« Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | Introduction.] du bien public, dont la justice a été reconnue par les administrateurs eux-mêmes, et que les circonstances rendaient absolument indispensables. Si vous daignez, Sire, ne consulter que les sentiments de votre cœur, notre confiance entière et sans bornes en votre amour pour vos sujets deviendra pour nous l’heureux augure du retour d’un prince auguste, qui a fait naître dans nos cœurs le sentiment profond de la reconnaissance la plus respectueuse : nous aurons la plus ferme espérance que le Parlement de Paris n’aura pas réclamé en vain deux magistrats vertueux ; enfin que vous aurez entendu les vœux et les soupirs d’une grande province qui appelle le Parlement de Bordeaux à ses fonctions, dont la privation est si funeste à de fidèles sujets. Si vous daignez, Sire, peser au poids de votre sagesse nos très-humbles supplications, l’oracle qui émanera de votre justice rétablira l’empire des lois, et répandra la joie et l’allégresse. Une erreur d’un moment donna lieu à un, événement à peu près pareil sous le règne de Charles V ; mais ce roi, appelé le Sage , à qui la France dut son salut, ce grand roi rétablit par sa prudence l’ordre qui avait été troublé, et annonça à la nation que des conspirateurs en contre l'honneur et bien de la couronne et royaume de France , par leur malice et instigation , avaient fait éloigner plusieurs conseillers et officiers , sachant qu'ils ne pourraient accomplir leurs mauvaises intentions , tant que lesdits officiers, qui étaient bons et loyaux prud'hommes et sages experts ez besoignes du royaume , demeureraient en leur état : et reconnaissant que Injustice avait été blessée ou pervertie, en grevant et opprimant l'innocent par fausse et calomnieuse suggestion , et qu'au souverain appartient corriger son fait et celui de V autrui, ce roi, ce roi sage, annula tout ce qui avait été fait, comme ayant été pourchassé frauduleusement et calomnieusement , sans connaissance ou existence de cause. LES GENS. TENANT VOTRE COUR DE PARLEMENT DE DAUPHINÉ, ETC. Remontrances du Parlement de Pau contre l’établissement de la cour plénière. Sire, votre Parlement de Navarre avait été dispersé par le pouvoir militaire, après la séance illégale du 8 mai, dans laquelle les magistrats furent les témoins forcés de la subversion des lois; les portes du lieu de leurs assemblées étaient fermées, en vertu d’ordres surpris à Votre Majesté ; le dépôt du greffe n’avait plus ses gardiens légitimes, et les organes de la justice étaient réduits au silence. Les maux du peuple s’annonçaient par une morne consternation ; nous ne pouvions que donner des larmes à la patrie. A peine six semaines s’étaient écoulées depuis que le pouvoir arbitraire avait essayé d’établir un 341 système de gouvernement incohérent, impolitique et insocial ; les réclamations de toutes les classes de citoyens s’étaient réunies pour défendre la constitution ; la nation française, sans assemblée commune, avait un vœu uniforme, qui s’élevait de toutes les parties de votre vaste empire; ce vœu était entendu de Votre Majesté: nous devions espérer enfin le triomphe des lois. Tout à coup au calme de la consternation ont succédé autour de nous les signes effrayants du désespoir. Le peuple s’est agité, des cris tumultueux se sont fait entendre, ces cris invoquaient la justice; la foule s’est précipitée chez le commissaire de Votre Majesté, réclamant l’ouverture du Palais; sur son refus, elle en a brisé les portes, elle a couru chez le chef du Parlement, l’a sommé de convoquer cette compagnie. Elle a assiégé une seconde fois la maison de votre commissaire, en a exigé un ordre pour l’assemblée du Parlement. Le tumulte croissait, la police ordinaire était impuissante. Dans ce moment, Sire, il ne restait qu’un moyen de prévenir les derniers excès du désordre ; c’était de leur opposer la seule autorité que le peuple respectait encore dans son délire; le Parlement se rassemble dans la maison de son chef, se présente à cette multitude; et, traversant la ville sans escorte, se rend au palais : les orages de la fermentation se dissipent. Si la loi avait fermé les portes du temple de la justice dans ce moment, le plus pressant devoir aurait appelé les magistrats à leur tribunal, la nécessité de rétablir la tranquillité publique leur aurait rendu leurs pouvoirs. Combien ce devoir n’était-il pas plus impérieux pour eux, qui, arrachés militairement à leurs fonctions, n’étaient point affranchis de leurs obligations légales! Il ne leur était pas permis de différer le remède aux maux publics. Le Parlement s’est hâté de défendre les assemblées tumultueuses ; cette défense aurait été inefficace, s’il n’avait pas annoncé en même temps que l’autorité des lois, toujours résidante en lui, ne cesserait point de veiller au maintien de la police. Après les premiers soins dus à la sûreté publique, votre Parlement a fixé son attention sur la nature des ordres surpris à Votre Majesté, et exécutés dans la séance du 8 mai. 11 y a eu tant d’atteintes portées à notre constitution, qu’il est impossible d’en réunir le détail. Nous ne pouvons que présenter à Votre Majesté les principaux caractères du plan le plus oppressif qui ait jamais été conçu. Depuis que les administrateurs des finances ont essayé d’envahir arbitrairement les propriétés, pour les faire servir à leurs profusions, jamais ils n’avaient proposé à Votre Majesté un système de gouvernement aussi favorable à leurs vues que [i*e Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 3$ celui d’une cour plénière unique, telle qu’elle est formée par l’édit du 1er mai. Projet effrayant, de substituer à un corps antique et immuable, avoué parla nation, une assemblée composée d’une manière incertaine par le choix des dépositaires passagers de la puissance royale ; où les princes et pairs chefs de la noblesse partageraient leur droit légal de suffrage avec les courtisans désignés par le crédit; où le droit du Parlement, reconnu par les auteurs eux-mêmes du plan, serait éludé par la faculté qu’ils se sont réservée de mettre à la place des magistrats les membres dociles du conseil ; où le Parlement n’aurait que des représentants en nombre fixé arbitrairement, au lieu qu’il est essentiellement et en entier le conseil légal du roi, établi dans différents sièges avec des devoirs communs. Déjà des diverses provinces de votre royaume, il s’est élevé des réclamations contre une forme de gouvernement inconstitutionnelle , par cela seul qu’elle est opposée aux formes antiques , conçue dans le mystère par un petit nombre d’hommes qui caractérise les conjurations contre la chose publique, forme incertaine que de nouveaux ministres pourraient varier à leur gré, si ceux du moment avaient pu lui soumettre la nation. Nous, Sire, citoyensjinagistratsd’unpaysétran-ger à la France, quoique soumis au même roi, nous devons exposer à Votre Majesté les droits particuliers de deux nations, que la précipitation des administrateurs a confondues avec vos sujets des diverses provinces de France. Jamais on n’a prétendu que la Navarre fût un fief relevant de la couronne de France ; le seul titre de royaume exclut l’idée de vasselage. Quoiqu’une partie de ce royaume ait passé depuis longtemps sous une domination étrangère, ceux de cette nation qui sont demeurés fidèles à vos prédécesseurs ont continué d’être gouvernés au même titre. Son authenticité est assurée par la double couronne de Votre Majesté. Le Béarn était aussi de temps immémorial, et a continué d’être une souveraineté indépendante, avec les caractères d’une monarchie tempérée par la plus grande influence du peuple. Son histoire en offre une suite de preuves non équivoques. Permettez-nous, Sire, de citer quelques faits dont les monuments sont conservés dans nos archives nationales. En 1391, après la mort de Gaston de Foix, les États assemblés déférèrent la régence du pays à Jean de Béarn, Fils naturel de leur dernier souverain. Gaston-Phœbus,son successeur, obligé de rendre hommage à Charles VI, roi de France, pour ses fiefs relevant de la couronne, exprima, dans la convention passée sur cet objet, que l’hommage n’était point relatif au Béarn, qu’il gouvernait en toute souveraineté, et l’hommage fut accepté sous cette condition en 1399. En 1472, Louis XI, prince si absolu, reconnut que le Béarn était étranger à ses Etats. En 1481, le même roi donna des lettres de naturalité en France à Jean de Meretein, son chambellan, né en Béarn, avec toutes les clauses que le droit d’aubaine rendait nécessaires aux étrangers. Lettre de créance de Louis XI aux États de Béarn, après la mort du prince de Navarre. En 1484, il s’éleva un différend sur la succession du souverain de Béarn, entre la princesse de Vienne et Jean de Foix. Charles VIII réserva au Parlement de Paris le jugement sur les fiefs relevant de sa couronne, mais il laissa aux Étals du Béarn la décision relative à leur souveraineté ; il leur envoya dans cette vue, non des commissaires, mais des ambassadeurs. Les États prononcèrent. Leur indépendance sur un objet aussi important fut reconnue par une déclaration de Charles VIII de 1484. Louis XII la reconnut aussi par une lettre qu’il écrivit au roi et à la reine de Navarre, pour les prier de ne point accorder d’asile aux malfaiteurs de la province de Soûle, tant dans le royaume de Navarre qu'au pays de Béarn. Nos princes , indépendants de tout souverain étranger, dépendirent toujours de la constitution nationale. Telle était l’influence des États sur le gouvernement, que leur consentement était nécessaire pour le mariage des enfants de leur souverain ; ce fut ainsi que les maisons de Foix et d’Àlbret furent appelées successivement à la souveraineté du Béarn ; ce fut ainsi que les États, après avoir donné l’exclusion au duc de Clèves, que Henri d’Àlbret avait désigné pour son gendre, fixèrent son choix sur Antoine de Bourbon, en rappelant dans leur délibération, qui est conservée, à Henri que, suivant leurs fors constamment gardés et observés par ses prédécesseurs, leur seigneur ne peut marier sans leur consentement ses enfants, à plus forte raison sa fille unique. La nation, consultée sur tous les objets importants du gouvernement, avait surtout la principale part à la législation. Lorsque Henri d’Albret conçut le projet de de . venir Je législateur de ses peuples, il ne prétendit point leur imposer des lois. Les États assemblés choisirent des hommes éclairés des trois ordres pour revoir avec des commissaires du souverain les anciens fors du pays. L’ouvrage consommé fut rapporté à l’assemblée générale des États ; les trois ordres l’acceptèrent, tant pour eux que comme représentant les autres habitants du Béarn absents, le 26 novembre 1551 ; Henri d’Albret y donna son consentement le lendemain 27 novembre, et autorisa l’exécution des lois nouvellement rédigées, sous la réserve pour [l*è Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction, 343 lui et pour ses successeurs de pouvoir corriger et réformer à ces fors toutes les fois qu’il serait trouvé par lui et les gens des trois États être utile et nécessaire pour son service et bien public. Celte rédaction fut faite avec une telle équité de part et d’autre, que les premières dispositions renferment les devoirs respectifs du prince et des sujets. Et la préface également authentique établit que la loi précéda le pouvoir souverain. Les habitants de la seigneurie et principauté de Béarn , au commencement , se gouvernaient par leurs fors et coutumes, et pour s'entretenir en liberté et observation d’icelles , élèvent successivement divers chevaliers pour leurs seigneurs. Le premier devoir exprimé dans le corps de droit public est le serment qui doit être prêté par le seigneur du Béarn à son avènement (1); dans les dispositions suivantes, sous le premier chapitre, est, rapporté le détail des obligations du prince envers ses sujets, de ceux-ci envers lui. Sous tous les gouvernements, Sire, l’exercice de l’autorité souveraine est réglé par quelques lois sociales, puisque la fidélité des sujets est un devoir. L’obéissance ne serait qu’une contrainte intérieure, si l’autorité n’était que le pouvoir actuel de se faire obéir; mais les règles de ces obligations respectives que les grandes nations cherchent dans ces traditions obscures de l’histoire, dans les conjectures de la philosophie, le Béarn les a conservées ; et ce que des hommes peu instruits désignent sous le nom vulgaire de coutume du Béarn est le titre le plus authentique des droits de ce pays ; c’est le renouvellement de son contrat social originaire, avec les stipulations également obligatoires de la nation assemblée d’une part, du prince de l’autre. Vous êtes, Sire, trop juste pour ne pas exécuter ce qu’un de vos plus sages prédécesseurs a reconnu devoir après l’examen le plus réfléchi, ce que vous avez juré vous-même entre les mains des députés du Béarn, avant de recevoir leur serment de fidélité. La Navarre, Sire, a aussi l’avantage d’avoir conservé les preuves de ses droits nationaux, quoiqu’on eût essayé de les faire perdre de vue dans la compilation de ses fors publiés sous Louis XIII, en 1622, malgré l’opposition des États. Dans ce recueil infidèle, le premier article présente le devoir des sujets ; mais la trace de leurs droits est encore conservée dans l’ancien for de Navarre, dont la première disposition exprime les obligations de la royauté (2). (1) Le seigneur de Béarn, à son nouvel avènement, est tenu de jurer à la cour, baron, gentieux, et à tous autres habitants de Béarn, qu’il leur sera fidèle seigneur, et jugera avec droiture le pauvre comme le riche, sans acception de personne, et ne leur fera tort ni préjudice en corps ni en biens, et les gardera et entretiendra en leurs fors, coutumes, privilèges et libertés, tant en commun qu’en particulier, et tiendra pour ferme ce que par justice sera ordonné. (2) Il fut premièrement établi, pour for, d’élire un roi Les Béarnais et les Nayarrais, Sire, pe perdirent point des droits inaliénables, lorsque la mort de Henri III sans postérité appela leur spu-r verain au trône de France. Henri IV gouverna séparément ses anciens et nouveaux États (1). Louis XIII unit leur gouvernement, mais sans les incorporer. Gomme le Béarn et la Navarre pouvaient passer à des filles, il prévit les inconvénients d’un ordre successif qui séparait ces pays de la France ; il voulut les prévenir : tel fut le seul motif exprimé dans le préambule de l’édit d’union ; tel fut le seul objet de ses dispositions, sans néanmoins déroger , y est-il dit, aux fors , franchises, libertés , privilèges et droits appartenants à nos sujets dudit royaume de Navarre et pays de Béarn. Cette union ne fut point acceptée par les États du pays, malgré les précautions destinées à assurer leurs droits ; si leur affaiblissement pouvait en être la conséquence, la justice ne permettrait pas de faire prévaloir ces vains raisonnements du génie fiscal sur un contrat social antérieur à la royauté. Mais les successeurs de Henri IV ont fidèlement rempli les engagements de nos anciens souverains ; et vous-même, Sire, non content du serment prêté entre les mains des députés dp Béarn, vous avez fait expédier, comme vos prédécesseurs, en faveur de la Navarre, des lettres patentes contenant vos obligations royales. Daignez juger, Sire, par l’exposé fidèle de nos titres particuliers, quelle a été la précipitation de ceux qui ont essayé de nous soumettre à une prétendue cour plénière de France pour l’administration et la législation. L’idée systématique d’établir dans vos nombreux États un plan uniforme de gouvernement est inconciliable avec les divers intérêts locaux, avec la variété des droits de vos provinces ; et le zèle qui nous anime pour la gloire de votre règne soutiendrait seul nos réclamations contre le projet de sacrifier les privilèges les plus précieux à la facilité des opérations des ministres. Mais cette uniformité, impraticable dans les différentes provinces de votre royaume, ne peut sous aucun rapport s’appliquer à un pays qui n’a jamais été, qui n’est pas devenu une province de France. L’avantage que nous avons d’être goqver-pour toujours; et, pour qu’aucun roi ne pût jamais faire de mal au peuple qui l’élisait et qui lui donnait tout Ge qu’il avait déjà conquis sur les Maures, et tout ce qu’il pourrait conquérir par la suite, il fut arrêté que le roi, avant djêtre proclamé, jurerait, sur la croix et sur les saints Évangdes, qu’il maintiendrait les droits de ses sujets, qu’il améliorerait leurs fors, et jamais ne les empirerait, qu’il réparerait les violences qui leur auraient été faites. (1) Il donna à Loménie, son ancien ministre, la qualité de secrétaire d’Etat de France; mais il y joignit le titre de secrétaire d’Etat de Navarre, 344 [lrc Série, T. Ier.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,] nés par le même roi ne nous assujettit pas à une cour étrangère pour l’administration et la législation. Lorsque l’empereur Charles régnait en même temps sur l’Allemagne, sur les nations belgiques et les nombreux royaumes d’Espagne, ce prince, si absolu, ne conçut point le plan chimérique d’une administration, d’une législation uniformes dans ses États. Actuellement même les divers royaumes d’Espagne ont des constitutions diverses. La partie de la Navarre soustraite à votre domination conserve ses anciens fors, et le roi d’Espagne a renouvelé _ le serinent de les observer comme vous l’avez promis à vos sujets fidèles du même royaume. Vous accorderez, Sire, à tous vos sujets, vous accorderez au Béarn et à la Navarre la révocation de l’édit portant rétablissement la cour plénière; vous daignerez désavouer la prétendue maxime qui termine le préambule de cette loi : « le caractère d’universalité et d’uniformité qu’elles ( les lois ) doivent avoir dans toute l’étendue de notre royaume. » Sdivant le droit public authentique du Béarn et de la Navarre, la forme de la législatisn n’est point incertaine. il résulte du détail que nous avons développé à Votre Majesté sur le renouvellement de nos anciens fors, que la loi est préparée par les députés de la nation en présence des commissaires du prince, approuvée ensuite par la nation assemblée, et ratifiée par le souverain qui a déclaré qu’il ne pouvait y déroger sans le concours des États : ce droit imprescriptible a pour lui la possession jointe au titre. Lorsque Louis XIV fit publier l’ordonnance de 1667, destinée à établir une procédure uniforme dans ses États, la distraction de ses ministres fit adresser cette loi au Parlement de Navarre ; mais bientôt l’erreur fut aperçue par le conseil éclairé de Louis XIV, qui reconnut qu’il ne devait, qu’il ne pouvait toucher à notre législation. L’ordonnance fut retirée : le Parlement a continué d’observer ses formes anciennes. Ainsi en Navarre, et en Béarn la nature des tribunaux n’a point été altérée, les bornes de leur juridiction n’ont point été reculées, leurs habitants privilégiés n’ont cessé de jouir de l’avantage constitutionnel de' porter librement leurs différends au tribunal souverain, d’éviter la lenteur de plusieurs juridictions graduelles. Votre ordonnance, Sire, sur l’administration de la justice, tend à renverser tous les principes de l’ordre judiciaire établi parmi nous. Le plus ancien tribunal en Béarn est celui des jurats : la constitution de ce pays leur assure non-seulement la police, mais la juridiction civile et criminelle, sans en excepter les cas royaux. L’article2 de votre ordonnance anéantirait leurs droits par cette décision, qu'il n’y ait dans vos Etats d'autres juridictions , nûment ressortissante en vos cours , que de présidiaux ou de grands bailliages. L’établissement des grands bailliages et présidiaux attaque à la fois deux droits précieux aux Béarnais et aux Navarrais. Premièrement, celui de n’avoir pour juge en dernier ressort que le Parlement représentant le conseil et la chancellerie réunis. Secondement, la liberté de porter leurs causes civiles en première instance, à leur choix, ôu devant les juges inférieurs ou en la cour, droit confirmé par la déclaration de 1693 : « Maintenons nos sujets de Béarn et de Navarre dans la liberté de faire assigner les parties en première instance à notredite cour. » L’attribution exclusive à ces deux tribunaux des causes civiles au-dessous de 4,000 et 20,000 livres, cette étrange évaluation de l’importance des affaires, est le rêve de quelque administrateur qui, jugeant des fortunes de vos sujets par l’opulence qui l'environne, a pris pour base de ses calculs les profusions de la finance. En Béarn et Navarre surtout, 400 livres sont souvent la dot de la fille d’un gentilhomme. Nos pères se formèrent une idée bien plus juste de l’importance des affaires; celles du moindre intérêt numéraire leur parurent les plus dignes de fixer l’attention des magistrats souverains. La liberté que laissent nos lois, de suivre ou d’éviter plusieurs degrés de juridiction, cesse en faveur des pauvres. Nos fors veulent (rub. du conseil, art. IX) que le tribunal souverain connaisse toujours en première instance de là demande d’aliments, des causes des pupilles , et des personnes misérables. Mais comment pourrions-nous qualifier les vues qui ont dirigé la rédaction de cette ordonnance, relativement à la jurisprudence criminelle? L’honneur et la vie du tiers-état entier sont abandonnés au jugement d’un tribunal à qui on n’ose confier la décision de certaines affaires d’intérêt : résultat affreux des calculs du génie fiscal, qui évalue moins les hommes que l’argent. Il a commis un crime de lèse-humanité, celui qui, voulant réserver au jugement des magistrats les plus éclairés la cause de l’honneur et de la vie de la noblesse et du clergé, a conseillé à Votre Majesté de priver la nation de la même sûreté. Une loi incompatible avec la dignité des Français est repoussée par notre constitution particulière. En Béarn le Parlement prononce seul sur la punition des crimes. En Navarre les juges inférieurs exercent la juridiction criminelle en première instance, en concours avec le Parlement ; mais les lois de ces deux pays sont également violées par l’érection d’un nouvel ordre de juridiction que les États n’ont point accepté. [lre Série, T. Ier>] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,] 345 Si Votre Majesté a promis de les faire juger suivant leurs fors ; si la moindre disposition nouvelle du droit privé doit être concertée avec eux, quel serait l’abus du pouvoir qui détruirait tout à coup l’organisation de leur droit public? La constitution particulière delà foule réclame aussi contre le nouvel ordre projeté dans les tribunaux, suivant la coutume de ce pays (article 1er du titre II) : les potentats et les gentilshommes ont la qualité de juges, sans qu’ils aient besoin d’aucun pouvoir émané du roi ; qualité attachée à certaines seigneuries désignées dans l’article IV du même titre. Les vues arbitraires d’un plan de réforme ne sauraient prévaloir sur un droit de propriété, par lequel le corps de la noblesse forme avec le châtelain, ou son lieutenant, le premier tribunal de cette province ; droit précieux, qu’elle a mérité de conserver par sa fidélité, et qui lui a été confirmé par l’édit d’octobre 1776. Avec de tels titres contre cette innovation, nous n’avons pas besoin de représenter à Votre Majesté que, par l’établissement des nouveaux tribunaux, les propriétés et la sûreté de vos sujets seraient confiées à des hommes sans capacité, dans un pays où les sièges inférieurs, bornés la plupart à un seul officier, toujours occupé des plus minces objets, n’ont pas même les secours de l’expérience; où les lumières du barreau sont toutes réunies auprès du tribunal souverain, par la discussion de tous les objets importants ; que le prétexte allégué par le rédacteur de votre ordonnance, de rapprocher les justiciables de leurs juges, est sans application à un ressort de l’étendue la plus bornée ; qu’on n’a pas même essayé de rendre plausible le motif de l’établissement du grand bailliage, en n’en érigeant qu’un seul dans le siège même du Parlement. Nous ne pouvons nous refuser à une réflexion qui frappera l’équité de Votre Majesté : s’il se trouve des hommes assez inconséquents pour chercher l’influence des fonctions de juge dans les places que l’opinion publique a flétries d’avance, quel sera dans les hommes de cette trempe le sentiment garant de l’intégrité de leur conduite? Mais si des spéculations d’intérêt les faisaient asseoir sur le tribunal, le pouvoir de juger dégénérerait bientôt en un funeste trafic. Vous ne voudrez pas, Sire, qu’on abuse de votre nom pour dégrader la justice. En conservant au Parlement toute l’étendue de sa juridiction, vous dissiperez les inquiétudes de ses justiciables, qui, dans la dignité de ce tribunal, voient un des fermes appuis de leur confiance. Ainsi Votre Majesté retirera son ordonnance sur l’administration de la justice. Les mêmes maximes, qui s’opposent à l’érection des nouveaux tribunaux, s’élèvent contre l’édit portant réduction d’offices au Parlement : innovation présentée dans son préambule comme une conséquence de la précédente, également contraire au droit d’une nation libre, qui, par ses fors, doit concourir avec le prince à toutes les parties de la législation. A cette considération puissante, qui appartient au Béarn et à la Navarre, se joint la loi commune des propriétés : celle de l’inamovibilité des offices par les provisions scellées de votre sceau royal ; Votre Majesté avait donné à chacun des magistrats de cette compagnie un titre perpétuel, et vos ministres ont essayé d’effacer ce caractère qui, suivant votre engagement et celui de vos prédécesseurs, ne pouvait cesser que par mort, démission ou forfaiture eompétemment jugée. Inutilement votre garde des sceaux, reconnaissant l’illégalité d’une opération moins désastreuse d’un de ses prédécesseurs, s’est-il efforcé de faire illusion sur l’étendue de la loi d’inamovibilité ; puisqu’il est avoué que (1) la suppression d’un tribunal pour le remplacer par un autre exige une forfaiture préalablement jugée, sans doute il est également inconstitutionnel d’attribuer à un tribunal de nouvelle convention la plus grande partie de la juridiction du Parlement, pour avoir le prétexte de supprimer une partie des offices de cette compagnie. Si la perpétuité des offices n’est pas essentiellement liée à la constitution, le maintien de l’officier dans ses fonctions pendant sa vie est une suite nécessaire de son inamovibilité, sans quoi il serait toujours facile à l’autorité de l’éluder, en supprimant l’office du magistrat qu’elle voudrait éloigner. Mais le droit de supprimer un office se concilie avec l’inamovibilité de celui qui le remplit. Les rois, prédécesseurs de Votre Majesté, l’ont toujours exercé avec ce tempérament. Charles IX, dans l’ordonnance d’Orléans, voulant supprimer quelques offices, s’exprime ainsi : dès maintenant comme pour lors , quand vacation adviendra, avons supprimé tous offices de judicature et finance, etc. , créés depuis le règne, etc. C’est ainsi que Henri III, dans l’article XLV de l’ordonnance de Blois, ordonna la suppression d’offices dans les présidiaux, vacation advenant par mort , forfaiture ou autrement , dernier mot, qui désigne la démission. Ainsi votre auguste prédécesseur, voulant réduire en 1756 le nombre des magistrats du Parlement de Paris, conserva à chacun d’eux leurs fonctions essentielles, pendant leur vie. Votre Majesté elle-même a suivi récemment cet exemple dans la suppression de quelques offices de MM. des requêtes. Vous maintiendrez, Sire, la loi de l’inamovibilité qu’on est forcé de reconnaître inviolable, (1) Discours de M. le garde des sceaux, au lit de justice du 8 mai. [*» Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m lorsqu’on est forcé de là rendre illusoire ; cette loi précieuse qui affranchit les magistrats de toute autre dépendance que celle de leur devoir. La même maxime s’élève de l’inamovibilité des offices contre l’édit portant suppression des tribunaux d’exception. 11 est utile saus doute de prévenir les conflits de juridiction. Cette réforme désirable serait l’objet d’un règlement, rédigé avec clarté, sur les fonctions des divers tribunaux. Il a paru plus facile d’en détruire une partie, sans égard pour d’anciens établissements, sans respect pour les propriétés, pour la foi royale, engagée aux titulaires d’offices dans leurs provisions. Telle est l’inconséquence du préambule de cette loi, qu’après y avoir indiqué les conditions exigées par les États généraux, pour concilier l'inamovibilité avec la suppression des offices, on a conseillé à Vôtre Majesté de ne point remplir ces conditions, d’anéantir en un seul jour un grand nombre de tribunaux importants. On a poussé l’injustice envers les titulaires jusqu’à les priver des exemptions des tailles et autres charges pu-' bliques attachées à leurs offices, s’ils ne les ont pas exercés pendant vingt ans. Pour votre Parlement de Navarre, Sire, l’effet de cet édit serait de lui enlever une partie importante de juridiction, dont le titre est bien respectable. Henri d’Albret avait érigé une chambre des comptes à Pau, pour ses souverainetés de Béarn et de Navarre ; une autre à Nérac, pour la conservation de ses domaines enclavés dans les provinces de France, et relevant de ce royaume. Henri IV érigea la chambre de Nérac en tribunal souverain. Louis XIII la réunit à celle de Pau, par édit de 1624 , qui contient cette clause : « Pour l’administration et direction de ses domaines, maison et finances de Navarre, et anciens domaines ressortants desdites chambres, avec la même juridiction que les autres chambres des comptes, sans en rien déroger aux droits et attributions accordés aux chambres de Pau et de Nérac par leur création. » Cette dernière clause est relative à la juridiction contentieuse, domaniale et féodale de la chambre des domaines de Nérac, qui a été constamment exercée par la chambre des comptes de Pau, avant et depuis son union au Parlement ; juridiction souvent attaquée par les tribunaux voisins, toujours maintenue par les rois vos prédécesseurs: En réclamant des droits aussi certains, nous sollicitons la justice de Votre Majesté, moins pour nous que pour cette ville, qui a trouvé ses principaux moyens de subsistance dans les divers genres de juridictions appartenant au Parlement dé Navarre. Ses habitants, environnés d’un sol ingrat, sans navigation, sans moyens, sont entièrement privés des facilités accordées à des situations plus heureuses pour les spéculations du commerce. L’édit dont nous parierons dans un moment concourrait, avec l’étahfissement des présidiaux, à la ruine totale de cette ville, qui, après avoir été le berceau de Henri IV, a tant de droits à la protection de Votre Majesté. Après avoir exposé, Sire, les principes de notre constitution, qui s’opposent à une législation arbitraire, nous implorons votre justice pour le maintien de nos propriétés. Dans cette séance du 8 mai, destinée à anéantir l’autorité des maximes natioïiales, tandis qu’on paraissait leur conserver un reste de respect ; où la vérification a été présentée-comme une faculté accordée passagèrement aux cours par le gouvernement, non comme un droit constitutionnel ; dans cette séance même le pouvoir absolu a entrepris de faire servir aux vues fiscales un droit dont il attaquait la validité; il a fait transcrire sur nos registres un édit du mois d’octobre 1787, qui ordonne la prorogation du second vingtième pour deux ans, et la levée du premier et second dans la juste proportion des revenus effectifs. D’autres cours ont déjà représenté à Votre Majesté que, sous tout gouvernement réglé par quelques lois, le prince ne dispose point des propriétés; qu’une suite de ce principe dans la monarchie française a été de donner aux seuls représentants de la nation la faculté de régler les contributions des citoyens aux charges publiques; que les rois ont reconnu ces bornes de leur pouvoir, en désignant les contributions sous le nom de donation et d’octroi. La nation béarnaise a des lois formelles sur l’établissement de l’impôt; toujours il a été dans ce pays un don librement accordé au prince. Henri d’Albret désavoua, par ses lettres patentes du 30 mars 1523, des levées extraordinaires faites sous son nom, par forme d’emprunt, contre les droits et libertés du pays ; il donna sa parole royale de n’en point permettre à l’avenir. Le même prince, sur la demande des États, reconnut plus clairement les droits de ses sujets par lettres patentes de 1 526 ; il s’engagea à n’ordonner ni permettre aucun emprunt , contribution , donation ni exaction de deniers en commun ni en particulier, sans le consentement et octroi des gens des trois États. Ces franchises, communes à la Navarre et au Béarn , ont été confirmées de règne en règne ; elles ont été reconnues dans les pouvoirs donnés aux commissaires du roi, pour la tenue des États, toujours qualifiés États généraux ; ainsi, dans les lettres patentes adressées par Louis XIII au comte de Grammont, pour l’assemblée des États de Navarre et Béarn, en 1624, 1626, 1628, 1629 et 1630, le commissaire est chargé de faire accorder, par les gens des trois états , la donation accoutumée [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. �Introduction.] ou plus grande; on y lit les clauses suivantes : et généralement traiter , conclure et arrêter en cette assemblée, avec les avis des principaux du clergé , de la noblesse et du tiers-état , tout ce que par nous y pourrait être fait, conclu et arrêté. Richelieu lui-même, l’âme du conseil de Louis XIII, ne croyait pas pouvoir soumettre le Béarn et la Navarre à un impôt arbitraire ; mais seulement traiter avec une nation libre sur des secours librement accordés. Sous les règnes suivants , lorsque des besoins nouveaux déterminèrent à établir en France la capitation, 3e dixième, et dans la suite un ou plusieurs vingtièmes, le Béarn et la Navarre ne refusèrent point leurs secours à la patrie commune ; mais l’étendue et la forme de leur contribution furent concertées avec leurs représentants. Tel fut l’objet des contrats passés avec les États généraux de ces deux pays, sur divers abonnements, contrats toujours renouvelés sous la même forme, qui, par le caractère de ce genre de traité, supposent une égale liberté dans les conventions réciproques. Cette année même, Votre Majesté a annoncé aux États du Béarn et de la Navarre la même déférence pour leur constitution, en leur demandant une augmentation d’abonnements, pour tenir lieu des vingtièmes rigoureux, et la prorogation du deuxième vingtième, avant d’en envoyer rédit au Parlement. Les États ont refusé cette prorogation, dans l’impuissance de supporter un surcroît annuel de charges ; et cependant ils ont ouvert un emprunt, pour accorder à Votre Majesté un secours extraordinaire, qui a été accepté par vos ministres. Instruit de ce traité ainsi consommé, le Parlement ne devait pas s’attendre à voir transcrire sur ses registres un édit portant une prorogation qui a été refusée par les États du Béarn et de Navarre , un édit qui, ordonnant une perception proportionnelle aux revenus, porte atteinte aux contrats d’abonnement de ces deux pays. La seule ancienne province de France unie à notre ressort est aussi en possession d’accorder librement ses contributions, d’en régler la mesure et d’en répartir elle-même la charge dans l’assemblée de ses États; ses privilèges, reconnus par le gouvernement, s’élèvent contre l’établissement du nouvel impôt. Ceux qui ont conseillé d’insérer, parmi les ordres adressés à votre Parlement, l’édit du mois d’octobre 1787, ont cru prévenir le premier soulèvement des esprits, en prenant des mesures pour que cet édit ne fût pas imprimé et envoyé aux sièges inférieurs. Cette infraction des franchises de notre ressort formait un contraste trop révoltant avec les vains prétextes par lesquels on voulait colorer de grandes réformes dans des préambules captieux. L'équité de Votre Majesté s’indignera des ma-347 n œuvres obscures employées contre les droits de ses peuples ; il suffit de vous montrer la justice, le sang de Henri IV enflamme votrecœurpour le bonheur de vos sujets. Mais ce n’était point assez pour les ennemis de votre gloire de renverser la constitution générale, de fouler aux pieds les droits authentiques de deux nations, de les soumettre à une législation arbitraire, de disposer de leurs propriétés.; il restait à commettre un dernier attentat contre la sûreté sociale. En exécution d’un projet enveloppé du plus impénétrable mystère, le même jour, dans toutes les parties de vos vastes États, le pouvoir des armes a imposé silence à l’autorité des lois. On n’a pu se dissimuler les effets de cette mesure inouïe jusqu’à nos jours, qu’ôtant toute espèce de frein à la licence, elle livrait votre empire entier à la fois aux désordres d’une anarchie absolue. Elle était bien désastreuse en elle-même, cette mesure, puisque ses auteurs ont voulu retarder sa publicité en empêchant l’impression et l’envoi aux sièges inférieurs de la déclaration qui ordonne que le Parlement soit et demeure en vacance jusqu’après V établissement du nouvel ordre dans les tribunaux inférieurs; comme s’il était possible de laisser ignorer à vos suj ets que le même jour tous les tribunaux inférieurs sont supprimés ou dénaturés, toutes les cours souveraines réduites à l’inaction, les propriétés sans protecteurs, la sûreté personnelle sans sauvegarde. C’était sur les débris de tous les corps de magistrature que devait s’élever l’édifice monstrueux d’une législation sans principes, destinée à confondre les droits, parce qu’elle ne respecte aucun titre. Le mystère devait précéder, les armes devaient protéger l’exécution subite de ce plan, qui, à peine dévoilé, a été proscrit par le cri général de la nation ; pourquoi nous étonnerions-nous, dans cette subversion générale des lois, qu’on n’ait pas craint d’offenser la vérité; qu’après des enregistrements obscurs d’ordres surpris à Votre Majesté, on ait écrit sur les revers de ces ordres qu’ils avaient été publiés, tandis qu’on écarta avec soin le peuple du lieu de la séance, et qu’aucune publication n’a été faite à l’audience du Parlement? Il fallait tromper les officiers des sièges inférieurs, leur persuader que les formes extérieures de la promulgation des lois avaient été remplies et ne laissaient rien à leur examen. Enfin, Sire, pour consommer l’abus de votre autorité, il fallait , après avoir détruit les lois, essayer d’avilir leurs ministres : tandis que les porteurs de vos ordres les faisaient transcrire sur les registres du Parlement en sa présence, il était environné de l’appareil des armes. Cette même milice, destinée par son institution à exécuter les décrets de la justice, à obéir à la voix des ma-gistats, fut employée en ce jour à leur faire violence. Par elle les magistrats furent forcés â de- 348 re Série, T. 1er. I ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] meurerassemblés un jour entier; par elle ils furent arrachés de leur siège à la fin de cette séance, marquée par tous les caractères d’un pouvoir affranchi des règles. On ne devait pas être arrêté par quelque égard pour les bienséances, lorsqu’un intérêt puissant entraînaiten ce jour destiné à priver à la fois toutes les cours de la vérification des lois ; il fallait que la transcription des ordres de Votre Majesté sur leurs registres fût accompagnée de preuves Si évidentes de la contrainte des magistrats, qu’on ne leur laissât pas même les apparences d’une libre délibération. Après de tels tableaux, que nous reste-t-il à dire à Votre Majesté ? Nous ne pourrions lui peindre les suites de l’anarchie qui désole ses vastes Etats; les effets plus prompts de ce fléau dans le pays qui nous environne, dans nos campagnes où tout le peuple est propriétaire, où, par cette circonstance, les oppositions d’intérêts sont plus multipliées qu’ailleurs. Déjà le ressort de la police ordinaire était trop faible pour contenir une nation que l’esprit de propriété exalte sous un climat brûlant; qui, disposée à la fermentation et à ses orages, serait devenue redoutable, si le Parlement n’avait rétabli le calme et pourvu à la sûreté publique. Telles sont les très-humbles et très-respectueuses remontrances que présentent à Votre Majesté, Sire, de Votre Majesté, Les très-humbles, très-obéissants, très-fidèles serviteurs et sujets. LES GENS TENANT VOTRE COUR DU PARLEMENT DE NAVARRE. Arrêt du Parlement de Navarre , du 21 juin 1788, fait en exécution du procès-verbal et de l'arrêt du 19 du même mois. La cour : considérant que les édits transcrits le 8 mai dans ses registres, avec l’appareil de la puissance militaire, tendent à saper les fondements de la monarchie française, et qu’ils anéantissent la constitution particulière de la Navarre et du Béarn, pays indépendants et souverains, unis simplement à la couronne de France, sous les réserves expresses, entières et formelles, de leurs privilèges, de leurs droits, de leurs libertés et de leurs usages; réserves énoncées dans l’édit d’union dont elles forment la principale, et, pour ainsi dire, l’unique clause ; réserves devenues plus authentiques encore par le serment solennel que Sa Majesté a prêté, entre les mains des députés des États du Béarn, à son avènement à la couronne; Que l’édit portant prorogation des vingtièmes, présenté pour la première fois dans la séance du 8 mai, ne devait ni ne pouvait être enregistré en la cour, sans être communiqué aux États et consenti par leur assemblée ; que telles sont les formes constitutives, observées dans le ressort, et consacrées par des lois particulières, suivant lesquelles nul ne peut être imposé en Béarn , Navarre et Soûle , si ce n'est de son consentement donné , par lui ou par ses représentants, dans l'assemblée générale des Etats ; Que l’ordonnance concernant l’administration de la justice ne peut, sous aucun point de vue, convenir au ressort de la cour ; que ce ressort est d’une médiocre étendue ; que la plus grande partie des affaires civiles ne s’élèvent point au-dessus de 4,000 livres ; que les Béarnais et les Navarrais ont le droit de porter leurs causes en première instance en la cour ; qu’elles y sont jugées à moins de frais et avec plus de célérité que dans les plus petites juridictions de France ; en sorte qu’il n’existe dans le ressort de la cour aucun des inconvénients que le rédacteur de cette ordonnance paraît avoir eu l’intention de prévenir, et que ces inconvénients y naîtraient au contraire de l’exécution même de cette ordonnance, s’il était possible qu’elle y fût jamais exécutée. Que la cour verra toujours avec regret que, sous le nom sacré d’un roi français, d’un roi compatissant et sensible, on ait publié une espèce de code, dans lequel la vie d’un homme est regardée comme moins importante qu’une somme de 20,000 livres, et dans lequel la cause du pauvre est déclarée être au-dessous de la dignité d’une cour souveraine; Que l’édit portant rétablissement d’une cour plénière renverserait le plus beau droit des Navarrais et des Béarnais, celui de concourir à la formation des lois qui doivent les gouverner, et de traiter directement, même en matière de législation, avec leur souverain et leur roi. Que l’édit portant suppression des tribunaux d’exception est presque entièrement inutile dans le ressort de la cour, puisqu’elle y réunit en elle seule les attributions partagées ailleurs entre plusieurs tribunaux ; que cet édit ne peut avoir à son égard d’autre objet que de la dépouiller d’une juridiction qu’elle exerce en premier et en dernier ressort, comme chambre des finances, sur toutes les terres du domaine de Navarre, juridiction dans laquelle elle a été constamment maintenue, et à laquelle Sa Majesté doit peut-être la conservation de ses plus anciens domaines ; Que l’édit portant réduction d’offices est contraire à la loi sacrée de l’inamovibilité, loi sans laquelle un souverain n’aurait pour magistrats que des esclaves ; que cet édit, qui semble vouloir augmenter la dignité des magistrats, en diminuant leur nombre, n’est à l’égard du Béarn qu’une dérision amère, puisque, dans la même ville et dans le même moment où l’on retranche d’une cour souveraine vingt-deux magistrats, on se propose d’en établir vingt-sept dans un tribunal de nouvelle création, et qu’on doit, suivant le même [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] plan, en établir un plus grand nombre encore dans les autres parties du ressort ; Que la déclaration concernant les vacances tend -à priver le ressort de la cour de toute espèce de justice, à jeter le peuple dans l’anarchie, et à le livrer à une fermentation dangereuse, en lui ôtant le frein des lois. Que tous ces édits et déclarations, lus à la séance du 8 mai, n’ont pas été publiés en la cour; que les portes et chaiûbres du conseil et de l’audience ont toujours été fermées et gardées pendant la séance, et que néanmoins on a inséré dans l’acte de transcription de ces édits ces mots : lus, publiés et registres. Que ce faux manifeste paraît avoir été commis dans le dessein de tromper les juges des sièges inférieurs, qui n’auraient pas osé, sans doute , au mépris de leur devoir, publier dans leur ressort les ordonnances qui n’avaient point été publiées en la cour. Que les ministres du roi ont porté le désir de faire illusion au peuple du ressort, jusque dans l’attention avec laquelle ils ont donné la plus grande publicité à ceux des nouveaux édits dont les préambules captieux offrent des avantages imaginaires, et jusque dans les précautions exactes avec lesquelles ils ont caché dans l’obscurité du greffe l’édit portant prorogation des deux vingtièmes et la déclaration des vacances, lesquels n’ont été ni imprimés ni envoyés dans les sièges inférieurs ; édits sur lesquels il était impossible de donner le change au peuple , parce que l’un porte atteinte à sa propriété, et que l’autre le prive de la justice, qui en est la sauvegarde; Que la cour doit aux habitants de son ressort de les défendre, autant qu’il est en elle, contre les entreprises de ceux qui essayeraient de faire exécuter ces édits funestes, et de substituer le despotisme ministériel à l’autorité de la loi ; Que la cour doit encore au roi, à qui elle a juré une fidélité sans bornes, de lui dénoncer de nouveau les ministres qui, contre le vœu de son cœur, lui ont arraché des ordres contraires au serment solennel qu’il a fait à son peuple ; ceux qui ont calomnié la magistrature auprès du trône, et qui ont engagé Sa Majesté à déployer contre des magistrats soumis et vertueux l’appareil des armes destinées à punir la rébellion et le crime. Que la cour ne peut mieux les désigner à Sa Majesté qu’en employant les expressions d’un magistrat, assis aujourd’hui dans le conseil du roi, et alors premier (1) président d’une cour souveraine : « S’il s’élevait, disait-il, comme par une espèce de prédiction, s’il s’élevait jamais un de ces génies inquiets qui ne peuvent avoir d’existence que par les troubles; s’il osait faire entendre ces maximes funestes, que la puissance n’est jamais (t) Discours de M. de Malesherbes, adressé à M. le comte d’Artois, dans la séance tenue à la cour des aides, le 12 novembre 1775. 349 respectée quand la terreur ne marche pas devant elle, que l’autorité est intéressée à soutenir tous ceux qui ont eu le pouvoir en main, lors même qu’ils en ont abusé; enfin que les plus fidèles sujets du roi sont ceux qui se dévouent à la haine du peuple ; alors, sans recourir à ce qui s’est passé dans les jours heureux de saint Louis, de Charles V, de Louis XII, de Henri IV, il suffira au roi de se rappeler ce qu'il a vu daus les premiers jours de son règne ; » Par ces considérations, la cour, persistant dans ses protestations du 2 mai, et les renouvelant en tant que de besoin, proteste de nouveau contre tout ce qui a été fait en la cour, le 8 du même mois, par les commissaires du roi, notamment contre l’introduction des troupes dans le lieu de ses séances ; contre l’envoi fait dans les sièges inférieurs des édits, ordonnances et déclarations qui n’ont point été vérifiés par elle, et qui même n’y ont pâs été publiés, et généralement contre tout ce qui s’en est ensuivi. Déclare que le tout est nul et incapable de produire aucun effet ; déclare au surplus que tous ceux qui concourront, d’une manière quelconque, à î’exécution desdits édits, ordonnances et déclarations, seront réputés traîtres au roi , coupables envers la nation , et comme tels mis hors de la protection des lois. Ordonne que le procès-verbal de ce jour, le présent arrêt, ensemble l’arrêté du 2 mai dernier, seront imprimés par Daumon, imprimeur de la cour, et que du tout il sera envoyé des copies, dûment collationnées, aux sièges inférieurs du ressort, à la diligence du procureur général, pour y être lues et enregistrées; enjoint à ses substituts d’y tenir la main, et d’en certifier la cour incessamment, aux formes ordinaires ; que pareille copie sera remise par le greffier en chef aux syndics généraux du Béarn, pour être déposée-aux archives des États. Ordonne aussi qu’il en sera adressé des exemplaires à tous les ministres, au gouverneur de la province, aux frères du roi, aux princes du sang, aux pairs du royaume et au clergé de France, présentement assemblé. Prononcé à Pau, en Parlement, chambres assemblées, le 21 juin 1788. Extrait des registres du Parlement de Navarre. Ce jour, deux mai mil sept cent quatre-vingt huit, les chambres étant assemblées, la cour, considérant que les mesures employées depuis quelque temps, daus l’administration générale du royaume, développent le système formé d’un gouvernement arbitraire ; que, par l’usage fréquent des ordres absolus, substitués à des accusations juridiques, on essaie d’altérer les maximes précieuses de notre législatif, qui veille à la sûreté personnelle ; que, sous prétexte de besoins indispensables de l’État, on cherche à introduire le pouvoir inconstitutionnel de lever à volonté des impôts non accordés par la na- [ire Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [introduction.] 350 tion, d’étendre la quotité et la durée de ceux qui sont déjà établis ; que ce système effrayant, arrêté jusqu’à présent dans ses progrès par ia .constance des magistrats à implorer la loi, protectrice des propriétés et de la liberté, laisse apercevoir le projet conçu de priver les peuples de la réclamation des cours souveraines auprès du roi; Considérant que les coups du pouvoir absolu pourraient être si subits, et tellement concertés, qu’ils ôteraient à la cour la liberté de réclamer en faveur de la constitution nationale ; de déclarer lesprincipes qui rattachent immuablement à la loi, qui est son unique règle, qui est le seul appui inébranlable de l’autorité du roi, le seul garant incorruptible des droits de la nation. A protesté et proteste contre toutes transcriptions qui seraient faites sur ses registres, des projets de lois, ou ordres surpris à la religion dudit seigneur roi, dont l’enregistrement n’aurait pas été ordonné par ladite cour, après une libre vérification i comme aussi contre toute présence et assistance, contrainte d’aucuns des membres de ladite cour auxdites transcriptions, lesquelles elle déclare nulles et incapables de donner aux-dits ordres la sanction légale ; A protesté et proteste en général contre toute subversion des formes légales, soit dans, la constitution du Parlement, soit dans la manière d’y délibérer, soit dans la nature et les objets de ses délibérations ; particulièrement contre tout ce qui rendrait incertaine la liberté individuelle des sujets dudit seigneur roi; contre tout ce qui tendrait à séparer du gouvernement français un de ses ressorts principaux et essentiels qui est le Parlement; Ladite cour déclare que si, par voie de fait, elle était privée de la liberté de s’assembler, si ses membres ou quelqu’un d’eux étaient illégalement éloignés de l’exercice de leur office, ladite cour ne cesserait pas d’être le vrai et unique Parlement de Navarre, et ses membres conserveraient toujours le même caractère public, dont ils ne peuvent être dépouillés que par mort, résignation libre, ou forfaiture compétemment jugée ; que par conséquent chacun des magistrats de ladite cour demeurerait assujetti à tous les engagements qu’ils ont tous juré de remplir, et ne pourrait consentir à restreindre ses fonctions, même sous quelque nouvelle dénomination, sans violer le serment qui embrasse tous les devoirs de la magistrature, sans se rendre complice des atteintes portées à la constitution nationale ; Ladite cour ordonne que la présente protestation, formée par le concert unanime de tous Jes magistrats qui la composent, sera transcrite sur ses registres, en témoignage de leurs principes, pour être la règle invariable de leur conduite, et comme un monument éternel d’amour et de fidélité qu’ils consacrent au roi et à la nation : ordonne que copies dûment collationnées des présentes protestations seront d’ores et déjà expédiées par le greffier en chef, pour être envoyées en temps et lieu à qui il appartiendra. Signé GlLLET de Lacaze. Collationné. Signé D’AüREROT-SedzE, greffier en chef. Le Parlement de Bordeaux adressa au roi, à la même époque, plusieurs remontrances d’un style plus énergique eneore, mais que nous nous dispenserons de rapporter, parce qu’elles portent sur le même objet, et s’annoncent que les mêmes motifs que les précédentes. Voici la réponse que lui fit le roi, en prorogeant son exil à Libourne : Réponse aux remontrances du Parlement de Bordeaux. Le roi a examiné avec la plus grande attention les remontrances que vous lui avez adressées le 31 octobre dernier. Sa Majesté a reconnu qu’elles se divisaient naturellement en trois parties principales. La première contient un tableau de la situation des finances, et des motifs qui ont amené l’Assemblée des notables. La seconde contient uue longue discussion sur l’établissement des assemblées provinciales. La troisième enfin contient une réclamation contre votre translation à Libourne. Leroi m’ordonn'e d’entrer avec vous dans les détails suivants sur ces trois objets. Le roi désapprouve toute la première partie de vos remontrances, où vous faites un tableau inutile de la situation de l’État, au moment où il est monté sur le trône et depuis son règne; vous y parlez en effet d’une matière sur laquelle vous n’avez aucune base, et vous risquez ainsi de donner aux sujets-du roi une fausse idée de son administration et de leur situation. Yous exagérez les revenus et les charges, en vous appuyant sur des comptes qui n’ont jamais été rendus publics, et en citant des écrits qui n’ont jamais eu aucune authenticité. Yous y faites des comparaisons déplacées entre les différents ministres que le roi a employés à l’administration de ses finances; vous y parlez des obstacles que l’économie trouve autour du trône, parce que vous ignorez qu’elle est déjà portée à plus de cinquante millions assurés pour l’année prochaine. Yous cherchez dans des détails d’administration, qui sont loin de vous, les motifs qui ont pu amener l’Assemblée des notables, pendant que vous deviez les trouver dqns les sentiments du roi, qui n’a pas eu besoin d'être sollicité pour les rassembler autour de lui , qui aime à se trouver au milieu de ses sujets, et quipense qu’un foi de France n’est jamais mieux que lorsqu’il est entouré de leur amour et de leur fidélité. Mre Série, T. 1er. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. [ 3R1 Le roi ne répond rien à cette première partie de vos remontrances, qui ne concerne en aucune manière vos fonctions : Sa Majesté est étonnée que vous vous en soyez occupés, et elle ne veut plus qu’elle soit la matière de vos délibérations par la suite. La seconde partie de vos remontrances contient une discussion sur les assemblées provinciales. Le roi m’ordonne de répondre d’abord à eët objet, dans les mêmes termes qu’il a fait' connaître sa volonté au Parlement de Paris, le 19 de ce mois : « Vous n’avez pas osé, Messieurs, vous élever ouvertement contre le vœu unanime du royaume, qui demande les assemblées provinciales ; mais vous avez prétendu que vous ne pouviez pas vérifier l’édit de leur établissement, jusqu’à ce que le roi eût fait présenter à l’enregistrement les règlements définitifs qui doivent en déterminer la forme et en régler les facultés. « Le roi a déjà publié plusieurs règlements provisoires pour les assemblées provinciales, et il a déclaré qu’il les consacrerait irrévocablement par l’enregistrement dans ses cours, lorsque l’expérience de quelques années en aurait garanti les dispositions. « Une circonspection si paternelle ne semblait devoir exciter dans la magistrature que des applaudissements et des hommages de reconnaissance. « Sa Majesté a considéré en effet que ces assemblées naissantes, et soumises à des essais incertains, n’étaient pas encore susceptibles d’une constitution invariable ; a Que, formées d’abord par le choix du roi, elles avaient besoin de se renouveler par des élections, pour recevoir leur forme morale, et représenter le vœu des peuples « Qu’il ne fallait pas se priver des lumières de l’expérience, en adoptant avec précipitation un règlement exposé à toutes les représentations des assemblées provinciales ; « Que déjà les observations et les demandes des provinces et des Parlements n’étaient pas uniformes ; « Enfin que dans trois ans les assemblées provinciales auraient leur organisation, et que le législateur devait s’être assuré des bons effets d’un règlement public, avant de lui donner sans nécessité la sanction des lois. » Le Parlement de Paris, Messieurs, a senti la sagesse et l’évidence de ces considérations ; les mêmes observations ont suffi pour rassurer le Parlement de Rouen ; ils n’ont vu aucunpie'âie caché dans la prudence du gouvernement, et n’ont point montré au roi une méfiance offensante, qui calommie ses intentions en méconnaissant ses bienfaits. Loin d’imiter cet exemple de soumission et de confiance; vous avez répondu à l’édit et aux ordres réitérés du roi par un arrêt de défense que vous avez fait signifier aux assemblées provinciales de se former dans votre ressort. » Cette première réponse générale repousse une partie des détails de vos remontrances sur le second objet ; comme les inconvénients demembres choisis par le roi, pdur former les assemblées provinciales ; comme l'assertion que l’édit qui les établit n’est que le préambule de la loi, dont les réglements ne doivent être que les articles; comme la variété dans les fonctions des assemblées provinciales ; de l’autorité des commissaires départis ; du refus d’envoyer au Parlement les règlements constitutifs de ces assémblées. Mais vos remontrances contiennent en outre des assertions sur lesquelles le roi m’ordonne de vous faire connaître ses intentions et ses principes. Vous dites que le principe de la nécessité de l’enregistrement dans les cours est prouvé par les modifications que les cours, ont, de toute ancienneté, opposées à l’enregistrement des lois. Cette faculté, dont le roi a quelquefois permis l’usage à ses cours, ne peut s’appliquer qu’aux modifications qui n’altèrent en rien le fond de la loi, parce qu’il n’y a que le législateur qui puisse changer sa volonté ; et pour lors les cours y ajoutent ces mots de soumission et de respect : sous le bon plaisir du roi7 et jusqu’à ce qu’il ait fait connaître sa volonté. Vous dites que les assemblées provinciales font un tel changement dans l’impôt, qu’il intéresse la constitution française; et de là vous tirez la conséquence que les États généraux peuvent seuls l’opérer. C’est méconnaître le véritable objet des assemblées provinciales, si bien déterminé par le roi, de remplacer, d’une façon plus utile pour les peuples, le ministère de commissaires départis dans les provinces, pour la répartition de l’impôt. Le roi n’a besoin d’aucun pouvoir extraordinaire pour l’administration de son royaume ; il n’appartient' point à ses officiers de douter de son autorité. Une répartition mieux faite de l’impôt n’en change point la nature. * 11 ne résulte point, d’une prestation plus exacte d’un impôt de quotité, «ne surcharge générale, mais une distribution proportionnée aux facultés des contribuables. La justice du foi ne pouvait pas tolérer plus longtemps que les charges de l’État pesassent inégalement sur ses sujets, et d’une façon plus rigoureuse sur la portion la plus pauvre et la plus intéressante pour son cœur. Vous n’ignorez pas, 'Messieurs, et Sa Majesté en est instruite, que plusieurs propriétaires puissants de votre ressort sont imposés par un rôle séparé [1* Série, T. I«.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! 352 de celui des autres sujets de la province, et que le montant de ce rôle est évidemment inférieur à leurs facultés. C’est ainsi qu’en perdant de vue l’objet principal des assemblées provinciales, vous liez leur formation avec la tenue des États généraux ; Que vous faites regarder les règlements qui doivent les diriger comme devant émaner de l’assemblée de la nation. La nation sera assemblée, Messieurs ; elle le sera par la volonté du roi ; elle le sera au plus tard en 1789, d’après sa parole sacrée ; et Sa Majesté recevra de la nation le témoignage de reconnaissance qu’elle lui doit, pour le grand bienfait dont vous osez révoquer en doute l’utilité. L’arrêt que vous avez rendu, pour empêcher les premières assemblées d’avoir lieu, est contre tout principe ; et en vous rappelant la lettre que je vous ai adressée de la part du roi le 10 août dernier, il m’ordonne de vous dire qu’il n’a pas besoin de l’enregistrement des cours pour rassembler, quand et comme il lui plaît, une portion de ses sujets ; et que c’estabuser des ordonnances qui défendent les assemblées illicites, que de les appliquer k celles formées par ses ordres , et qu’il autorise d’une façon publique. Cet arrêt est un attentat, également contraire au bien public, au respect dû. à Sa Majesté, et à l’obéissance qu’elle a droit attendre de ses tribunaux. Quand nos rois ont établi les Parlements, ils ont voulu instituer des officiers chargés de la distribution de la justice et du maintien des ordonnances du royaume, et non pas élever dans leurs États une puissance rivale de l’autorité royale. La troisième et dernière partie de vos remontrances porte sur la translation de tout le Parlement à Libourne. Vous vous plaignez de la forme et de l’effet de cette translation. Dans la forme, vous prétendez que c’est contrevenir au traité passé entre Charles Vil et les États de Guyenne, en 1451 ; et vous taisez qu’en 1462, lors du rétablissement du Parlement à Bordeaux par Louis XI, il est dit dans les lettres que la résidence du Parlement sera à Bordeanx, tant qu’il plaira au roi , quamdiu rtostrœ placuerit voluntati. Aussi est-ce la première fois que le Parlement voit l’infraction de ce traité dans sa traDslation, au milieu de toutes celles qu’il a éprouvées. Vous vous plaignez des lettres closes employées pour opérer votre translation-, mais vous taisez qu’elles n’ont été employées que pour transporter vos personnes, et qu’il a été expédié des lettres patentes pour la translation du Parlement. Le roi voit cependant avec satisfaction que vous avez senti l’irrégularité de’ ce que contenaient à cet égard vos précédents arrêtés, et qu’il n’est plus mention dans vos remontrances de la méconnaissance du droit qui lui appartient de vous assigner telle ou telle résidence, pendant que vous vous attribuez cette faculté, sans sa participation. Yous parcourez ensuite les inconvénients de la translation, en en examinant les effets. Les peuples de la Guyenne sont privés des juges ' de leur ressort ; et cependant le. Parlement a été transféré dans une ville de son ressort, eu corps de cour, et avec toutes ses fonctions. De là vous en faites résulter la perte de la liberté, de la vie et de l’honneur des citoyens : ils savent tous que leurs droits reposent à l’ombre de l’autorité du roi, et que ce n’est qu’en en maintenant l’exercice vis-à-vis des cours, qu’ils peuvent y trouver les avantages que les rois prédécesseurs de Sa Majesté et elle-même y ont préparés pour eux. Si la justice est interrompue, vous ne pouvez en accuser que vous-mêmes. Yous n’avez rempli à Libourne aucun de vos devoirs. Vous invoquez le serment que vous avez fait d’observer les, ordonnances : elles vous enjoignent de rendre sans interruption la justice aux sujets du roi ; elles fixent l’époque de votre rentrée, la publication des rôles pour le jugement des affaires d'audience, et vous n’avez obéi à aucun de ces commandements. Comparant ensuite votre sort à celui des autres sujets du roi, vous les trouvez heureux d’avoir, dans les tribunaux, les défenseurs de leurs droits et de leurs libertés, et vous vous affligez de n’avoir aucun défenseur. Le roi est celui de tous les magistrats, lorsqu’ils remplissent leurs devoirs envers lui et envers ses sujets. Mais il repousse leurs réclamations, lorsqu’elles ne sont appuyées ni sur leur zèle pour la distribution de la justice ni sur une soumission respectueuse à ses volontés. Vous voyez, Messieurs, par tous les détails dans lesquels je viens d’entrer par ordre du roi, l’attention avec laquelle Sa Majesté a examiné vos remontrances; vous connaissez d’ailleurs son amour pour la vérité. Le roi m’ordonne de vous mander que c est de votre seule soumission aux ordres qui vous ont été notifiés, que vous devez attendre le retour de ses bontés. Arrêt du conseil d'État du roi , du 28 juin 1788, portant suppression des délibérations et protestations des cours et autres corps et communautés faites depuis la publication des lois portées au lit de justice du 8 mai dernier ; extrait des registres du conseil d'Etat du roi. Le roi s’étant fait représenter plusieurs écrits clandestinement publiés, Sa Majesté a reconnu qu’elle n’avait consulté jusqu’à ce moment que son [1» Série, T. I<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] indulgence, en les livrant à l’oubli dont ils sont dignes. La publication affectée qu’on leur a donnée; les signatures multipliées par lesquelles on a -cherché à les accréditer, déterminent sa sagesse à les proscrire, après en. avoir fait sentir à ses peuples l’illusion et le danger. Ces écrits, répandus sous le nom d’arrêtés ou de protestations de plusieurs cours, corps ou communautés, ne portent avec eux qu’un caractère de désobéissance et de révolte, contraire au devoir de tous ses sujets, et surtout des officiers qui composent ces corps, dont l’exercice n’a pas toujours été continuel, que le roi avait le droit de faire vaquer suivant sa volonté, même d’interdire de leurs fonctions, et auxquels il vient de défendre de former aucune assemblée, de prendre aucune délibération sans de nouveaux ordres de Sa Majesté, de laquelle seule ils tiennent leurs pouvoirs et la faculté de les exercer. Dans la forme, ces écrits sont donc illicites; dans l’effet que l’on cherche à leur faire produire, ils sont illusoires. Dans leur contenu, ils ne sont pas moins condamnables. Les officiers et autres sujets qui y parlent s’élèvent au-dessus de l’autorité royale; osent juger et proscrire les actes émanés du roi, les déclarer absurdes dans leurs combinaisons , despotiques dans leurs principes , tyranniques dans leurs effets, destructifs de la monarchie, des droits et des capitulations des provinces; comme si le roi n’avait pas déclaré, par les lois enregistrées au lit de justice du 8 mai dernier, qu’il n’entendait porter aucune atteinte aux droits et privilèges des provinces ; Gomme s’il pouvait jamais appartenir à des sujets d’élever des actes d’une autorité particulière contre les actes de l’autorité légitime; Comme si la nation pouvait jamais croire que le monarque voulût détruire la monarchie; que le roi, qui est venu au secours de ses peuples, qui leur a confié la répartition des impôts pour en alléger le poids, veut changer la monarchie en despotisme ; Comme si la nation pouvait jamais croire qu’il existe entre les mains de quelques officiers du roi un pouvoir national, et un droit de contrarier 1 l’autorité dont ils émanent, et d’en déterminer le caractère ! Les uns osent passér de l’examen des actes à celui du pouvoir qui les a ordonnés. Ils voudraient persuader que le roi a ignoré et ignore ce qui s’est passé par ses ordres dans toutes les cours du royaume. De là ils annoncent au peuple que le roi a été surpris et est trompé; que toutes les avenues du trône sont fermées à la vérité. Comme s’il était possible que le roi ignorât ce qui s’est passé sous ses yeux et en son lit de justice ; 383 Comme si tout ce qui s’est fait dans les provinces n’était pas une suite de ce premier enregistrement; Comme si les édits portés au lit de justice du 8 mai ne prouvaient pas à la nation entière que les vérités les plus intéressantes pour le peuple ont environné le trône ; Que le roi a entendu la vérité, lorsqu’il a statué sur les plaintes de tous les justiciables, r'uinés par le déplacement et par les frais de la justice; Lorsqu’il a écouté les cris des accusés renfermés dans les prisons, souvent sans secours, sans moyens de se justifier, et exposés à des peines contre lesquelles ils ne pouvaient réclamer l’indulgence du roi ou sa justice; Lorsqu’il a été sensible aux plaintes du peuple, gémissant de l’oppression qu’il éprouvait, par la multitude des privilèges qu’a occasionnés la multitude des charges et des tribunaux ; Lorsqu’il a mis un frein à la résistance des cours contre toutes les opérations du gouvernement, pour empêcher les charges publiques de peser d’une manière plus forte sur le pauvre que sur les autres sujets du roi ; résistance fondée sur des motifs qui s’éloignent de l’intérêt général, et dont l’effet reconnu est une inégalité de répartition au préjudice du peuple ! D’autres ont prétendu que les nouveaux édits changeaient la monarchie en aristocratie; Comme si une cour unique, composée d’officiers du roi, soumise à son autorité et circonscrite dans ses facultés, n’était pas analogue à la monarchie et au pouvoir du monarque ! D’autres ont considéré cette cour comme le moyen le plus sûr du despotisme. La vérité sur ces grands objets est encore parvenue au trône. Il n’y a point de despotisme où la nation exerce tous ses droits ; et le roi a déclaré qu’il voulait la rétablir dans tous ceux qui lui appartiennent, en la convoquant toujours pour les subsides qui pourront être nécessaires à l’État, en écoutant ses plaintes et ses doléances, en ne se réservant de pouvoir que celui qui a toujours été en France dans les mains du monarque, et qui ne peut êtrq partagé dans une monarchie sans entraîner le malheur du peuple. ' D’autres, en reprenant le système proscrit dans tous les temps, que les Parlements ne sont qu’un corps dont tous les membres sont distribués dans les différentes provinces du royaume, mais tous indivisibles, prétendent, qu’ils forment un corps national; Comme si ce n’étaient pas des officiers du roi qui composent tous ces corps, et que des officiers du roi pussent être les représentants de la nation ! Ainsi on veut attribuer aux Parlements une autorité personnelle , comme s’ils pouvaient en exercer une autre que celle du roi. lle Série, T. Ier. 23 354 Qre Série, T. 1er.] Passant des principes aux conséquences, des cours, des corps se sont érigés en législateurs pour leurs intérêts particuliers. Ils ont essayé d’arrêter le cours de la justice dans le royaume, en faisant signifier, par toutes sortes de. voles, leurs arrêtés et protestations à des tribunaux du second ordre, dont la plus grande partie des membres connaissent leurs devoirs, comme Sa Majesté connaît leur 'fidélité. Ils ont cherché à ébranler rattachement de ces tribunaux au roi, et leur devoir envers les peuples, en déclarant traîtres 'à la patrie et notés d’infamie ceux d’entre eux qui obéiraient à l’autorité légitime, qui recevraient ou qui exerceraient ï’àüg-mentation du pouvoir que le roi leur a coûfié ; Gomme s’il dépendait d’officiers des cours ou de tous autres corps, de faire des lois, et de les approprier aux circonstances gui les intéressent ; Comme si la patrie résidait eh eux et dans leurs vaines prétentions ; Ccrnlïfne s’il leur appartenait de retenir dàns leurs màins un pouvoir dont le roi seul est dispensateur, et que Sa Majesté est forcée de restreindre pour l’intérêt de Ses peuples ! Quelques-uns ont osé faire craindre ail peuple de nouveaux impôts, tandis que Sa Majesté a solennellement déclaré qu’elle n’en 'demanderait aucun nouveau avant rassemblée des États; Tandis que les mesures qu’elle a annoncées prouvent que jusqu’à cette époque de nouveaux ' impôts ne lui sont pas nécessaires; Tandis qu’il n’est aucune réforme, aucun sacrifice auxquels Sa Majesté ne se soit livrée pour épargner de nouvelles charges à ses peuples, et qu’elle vient de leur remettre l’augmentation qu’elle aurait pu se promettre pour cette année d’un impôt déjà établi, et dont l’accroissement ne provenait que d’une plus entière et égale répartition. Il est de la justice de Sa Majesté d’éclairer la nation sur ses véritables intérêts, comme de la rappeler à ses véritables droits. 11 est de sa bonté d’attendre que la réflexion et le repentir viennent effacer des écarts dont elle voudrait perdre le souvenir. Sa Majesté doit à son autorité, elle doit à ses fidèles sujets, elle doit à ses peuples de prévenir pour l’avenir de pareils actes qui, dénués des' formes les plus simples, rendus sans pouvoir, hors des lieux des séances ordinaires, contre les ordres exprès de Sa Majesté, échappent à la cassation par le vice même de leurs formes, puisque les casser serait leur supposer une existence régulière; mais qui, répandus avec profusion pour alarmer les peuples sur les véritables intentions de Sa Majesté, n’en méritent pas moins toute son animadversion, puisqu’ils sont capables de troubler la tranquillité publique, par l’esprit d’indépendance et de révolte qu’ils respirent. [Introduction.] A quoi voulant pourvoir, ouï le rapport, le roi , étant en son conseil , a ordonné et ordonne que les délibérations et protestations de ses cours et autres corps et communautés, faites depuis la publication des lois portées au lit de justice du b mai dernier, pour en empêcher l’exécution ou en dénaturer les objets, seront et demeureront supprimées comme séditieuses, attentatoires à l’autorité royale, faites sans pouvoir, et tendantes à tromper les peuples sur les intentions de Sa Majesté. Fait défenses à toutes personnes, notamment à tous les officiers de ses cours ou autres juges, et à tous corps ou communautés, dè prendre de sernblàbles délibérations, et de faire de semblables protestations, aux peines portées par les ordonnances, et notamment à peine de forfaiture et de perte de tout état, charge, commission et emploi militaire ou civil, contre tous ceux qui les auraient délibérées ou signées. Fait aussi défenses, Sa Majesté, sous les mêmes peines, à tous et chacun ses officiers, dans les différents tribunaux de son royaume, d’avoir égard auxdits arrêtés et protestations, et aux significations qui auraient pu leur en être faites; déclare en conséquence, Sa Majesté, prendre spécialement sous sa protection, pour le présent et pour l’avenir, céùx de ses tribunaux et àutres ses sujets, qui, soumis auxdites lois, s’empressent de les exécuter ; et en conséquence vouloir et entendre les garantir par la suite et en toute occasion des menaces impuissantes et séditieuses qui auraient pu ou pourraient alarmer leur fidélité ; comme aussi déclare lesdits tribunaux et autres ses sujets fidèles au roi, à la nation et à l’État; ordonne aux commandants pour Sa Majesté, et aux commissaires départis dans les provinces, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, lequel sera imprimé, publié et affiché partout ou besoin sera, et notifié de l’ordre exprès de Sa Majesté à tous les grands bailliages et présidiaux de son royaume. Fait au conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 20 juin 1788. Signé Le baron DE Breteuïl. L’édit que l’on vient de lire ne ralentit que faiblement l’activité des débats qui subsistaient entre la cour et les différents Parlements. Les pièces que nous venons de transcrire sur cette matière font assez connaître l’objet de leurs remontrances et de leurs protestations. Nous allons rapporter quelques nouveaux édits, indices de la lutte plus pénible que la cour avait à soutenir contre le désordre des finances. Le premier porta la plus violente secousse au crédit en légalisant les atermoiements et suspensions de payements, qui depuis longtemps excitaient les murmures. Édit du 16 août concernant le mode des payements. Le roi a fait connaître à l’assemblée des nota-ÀRCHIVES PARLEMENTAIRES. [lre Série; T jer.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! blés, et depuis à tous ses sujets, l’état et I’èmbar-ras de ses finances ; une différence considérable s’est trouvée entre la recette et la dépense ; et, ce qui est encore plus fâcheux, des anticipations, portées à un taux excessif, rendaient les services difficiles, et mettaient l'administration dans une continuelle dépendance' Malgré ces embarras, de grandes économies, de sévères réductions, l'extinction progressive des charges et des rentes viagères, présentaient des ressources que des emprunts successifs devaient donner le temps d’attendre ; et, si rien n’eût troublé la marche et la suite des opérations ordonnées par Sa Majesté, la confiance publique se serait soutenue, ces emprunts auraient été remplis, les sacrifices qu’ils exigeaient auraient été compensés par le mérite inespéré de la fidélité à tous les engagements ; les services se seraient faits avec exactitude, et les anticipations auraient même pu être diminuées. Mais, par des circonstances dont Sa Majesté se plaît à écarter le souvenir, la confiance publique a été altérée par ceux mêmes qui auraient dû conspirer à la soutenir; les emprunts publics ont été contrariés comme s’ils n’eussent pas été nécessaires, et discrédités comme si le gage en eût été incertain ; l’intempérie des saisons, en exigeant des secours, et rendant une partie des recouvrements plus difficiles, a encore accru l’inquiétude; les services son t devenus laborieux ; les ressources ont été plus rares; et, comme il arrive presque toujours dans les terreurs populaires, l’embarras s’est trouvé extrême, par l’empresse-,ment même que chacun a mis à s’y soustraire. Au milieu de ces difficultés, Sa Majesté n’a pas désespéré de la fortune publique ; elle a considéré que si la détresse était grande, les ressources l’étaient encore davantage ; que rien n’était en péril que par l’opinion et par la crainte, et que la crise devait d’autant moins effrayer que, l’époque des États généraux étant prochaine, il ne s’agissait que d’arrangements provisoires qui doivent être suivis d’une restauration universelle. Ces arrangements doivent être tels, que, jusqu’à l’époque des États généraux, et même pendant l’année 1789, tous les payements soient assurés, et que les Objets les plus intéressants pour le crédit public soient garantis de toute alarme et de toute inquiétude. C’est ce qui serait résulté d’un emprunt, au moyen duquel l’insuffisance des rentrées eût pu être provisoirement suppléée; mais, puisque tout fait craindre qu’un emprunt offert dans ce moment au public, comble les emprunts précédents, ne fût tenté sans succès, il devient nécessaire d’y suppléer par une opération qui produise les mêmes ressources sans laisser la même incertitude. C’est à quoi Sa Majesté a voulu parvenir, en 3»S ordonnant qu’une partie des payements qui se , font dans les caisses royales s’effectue, non par du papier-monnaie, dont Sa Majesté connaît, les inconvénients et le danger, mais par des billets du trésor royal, proportionnés à ces payements et destinés à y satisfaire. Ces billets du trésor royal porteront intérêt à 5 pour 0/o ; et, lorsque les circonstances permettront à Sa Majesté d’ouvrir un emprunt, ils 7 seront reçus comme argent comptant et par préférence. L’intention de Sa Majesté n’est pas de comprendre dans ces payements la solde de l’armée, celle de la marine, les pensions qui ont éprouvé une réduction, les rentes au-dessoüs de cinq cents livres, les appointements au-dessous de douze cents livres, ni tous les objets qui intéressent la classe la moins aisée de ses sujets ; toutes ces parties continueront à être acquittées en argent, comme par le passé, et en totalité. [ Sa Majesté n’entend pas non plus que les autres payements soient faits en totalité, au moyen de ces billets. Les dons, les gratifications et tous les payements de ce genre seront seuls acquittés dans leur totalité en billets du trésor royal. Tous les autres pavements seront faits partie en argent, partie en billets, et de manière qu’une partie considérable soit toujours acquittée en argent. Au reste, Sa Majesté a pris toutes les précautions pour que ces billets du trésor royal ne puissent excéder les payements déterminés ; et pour qu’il ne restât aucune inquiétude à ce sujet, elle a ordonné qu’ils fussent tous numérotés et cotés, et que le compte en soit joint à celui des finances qu’elle fera connaître aux États généraux. Sa Majesté aurait désiré que cette manière de satisfaire à une partie des payements indispensables eût pu suffire pour établir, jusqu’en 1790, le niveau entre la recette et la-dépense ; mais elle a considéré que, surtout à la veille des États généraux, il ne fallait laisser aucun doute sur l’acquittement de toutes 'les dépenses, et que tant que ce doute subsisterait le crédit ne pouvait renaître. Elle s’est donc déterminée à retarder d’une année les remboursements, et même à ordonner que les assignations et billets sur les do-: piaines fussent renouvelés pour un an. Elle a pensé que cés assignations et billets ayant moins de cours, leur renouvellement porterait moins de préjudice au crédit public, et que les autres effets se trouvant à l’abri de toute inquiétude conserveraient plus sûrement la faveur dont ils jouissent. Sa Majesté espère, par ces moyens, avoir concilié, de la manière la moins pénible, la justice, qu’elle veut toujours rendre aux créanciers de l’État, avec la rigueur des circonstances. Si elles la contraignent à des mesures qu’il lui est devenu impossible d’éviter, elle a au moins la con- 356 [ire série, T. !«•'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] solation de penser que ces mesures ne sont que momentanées. Le résultat des États généraux fera nécessairement l’équilibre entre la recette et la dépense. Sa Majesté peut garantir à ses sujets que cet équilibre une fois rétabli ne sera pas détruit; l’excès du mal en aura tari la source, et en préviendra à jamais le retour. A quoi voulant pourvoir : ouï le. rapport du sieur Lambert, conseiller d’État et ordinaire au conseil royal des finances, le roi , étant en son conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. A compter du jour de la publication du présent arrêt, jusqu’au dernier décembre 1789, tous les dons, grâces et gratifications ordinaires et extraordinaires, soit qu’ils soient additionnels à des traitements ou appointements, ou qu’ils ne soient liés à aucun traitement, seront acquittés en billets du trésor royal, à l’exception des pensions assujetties aux retenues ordonnées par l’arrêt du conseil du 13 octobre 1787, lesquelles continueront à être payées en deniers comptants. Quant aux pensions, gratifications annuelles ou traitements conservés, qui ont été jugés par Sa Majesté exempts desdites retenues, ils seront payés trois cinquièmes en argent et deux cinquièmes en billets du trésor royal. Les billets résultant du présent article seront numérotés et cotés dons et gratifications. II. Tous les appointements, gages et traitements, jusqu’à la concurrence de douze cents livres, seront payés argent comptant. Ceux qui excéderont douze cents livres, jusques et compris trois mille livres, seront payés cinq huitièmes en argent et trois huitièmes en billets du trésor royal, de manière cependant que les payements en argent ne puisent être moindres que de douze cents livres, et que le surplus seulement soit payé en billets, dans le cas où la proportion ci-dessus réglée réduirait le payement en argent au-dessous de douze cents livres; ceux au-dessus de trois mille livres, à quelque somme qu’ils puissent monter, seront payés trois cinquièmes en argent et deux cinquièmes en billets , de manière aussi que les payements en argent ne puissent être moindres que de la somme de dix-huit cent soixante-quinze livres, que doivent toucher en argent ceux dont les traitements ne sont que de trois mille livres. Ces billets seront numérotés et cotés appointements, gages, etc. 111. Les intérêts des fonds d’avance et cautionnement des offices et places de finances, seront acquittés cinq huitièmes en argent, et trois huitièmes en billets du trésor royal ; et quant aux taxations, droits d’exercice ou de présence, et autres attributions desdits offices ou places, ils seront payés moitié en argent et moitié en billets. Ces billets seront numérotés et Cotés intérêts oü taxations , etc. IV. Toutes les dépenses des divers départements, autres néanmoins que la solde des troupes et les objets indispensablement payables en argent par leur nature, ou à raison de leur subdivision, seront payées trois cinquièmes en argent et deux cinquièmes en billets du trésor royal. Ces billets seront numérotés et cotés du nom du département, avec l’indication de l’objet de la dépense. V. Toutes les rentes, soit perpétuelles, soit viagères, ou intérêts dus par le roi, à quelque titre que ce soit (autres que ceux compris dans l’article III ci-dessus), qui n’excéderont pas, sur le pied pour lequel ils sont employés dans les États du roi, la somme de cinq cents livres, seront payés en deniers comptants ; ceux au-dessus de ciuq cents livres, jusques et compris douze cents livres, seront acquittés, cinq huitièmes en argent et trois huitièmes en billets du trésor royal, de manière cependant que les payements en argent ne puissent être moindres que de cinq cents livres, et que le surplus seulement sera payé en billets, dans le cas où la proportion ci-dessus réglée réduirait le payement en argent au-dessous de cinq cents livres. Ceux au-dessus de douze cents livres, à quelque somme qu’ils puissent monter, feront payés trois cinquièmes en argent et deux cinquièmes en billets, de manière aussi que les payements en argent ne puissent être moindres que de la somme de sept cent cinquante livres, que doivent toucher, en argent, ceux dont les rentes ne sont que de douze cents livres. Ces billets seront numérotés et cotés rentes et intérêts. VI. Tous les billets qui auront été donnés en payement pour les objets énoncés aux articles ci-dessus, porteront intérêt à 5 p. 0/0 sans retenue, et seront reçus pour comptant, en capitaux et intérêts, dans l’emprunt de quatre-vingt-dix millions, qui sera ouvert en exécution de l’édit de novembre 1787. VII. Les billets seront signés par les commis du trésor royal, ci-après nommés, savoir : Ceux du département de la guerre, par le sieur Bonnemerre ; Ceux du département de la marine, par le sieur Boisdon ; Ceux du département des pensions, amortissements, etc., par le sieur Liard ; Ceux du département de la maison du roi, etc., par le sieur Provandier ; Ceux des payements assignés sur les revenus, par le sieur Dubra. Tous lesdits billets seront visés par le sieur de Souches, premier commis du département de la caisse générale du trésor royal. VIII. Tous les payements qui, aux termes des articles ci-dessus, doivent être faits en totalité en argent comptant, continueront d’être effectués sans aucun retardement. 337 [1™ Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Quant à ceux qui doivent être faits partie en billets, le payement n’en sera ouvert qu’au premier septembre prochain, époque à laquelle lesdits billets pourront être délivrés. IX. Tous les remboursements en capitaux et primes, résultant des tirages faits ou à faire des emprunts, autres que ceux des pays d’États, ou ceux faits dans l’étranger, par traités particuliers, ainsi que les remboursements des capitaux dus pour acquisitions ou échanges, ou pour quelque autre cause que ce puisse être, seront retardés d’une année, pendant laquelle les intérêts continueront d'être payés sur le même pied que par le passé. X. Les assignations etbilletsdesdomainesetbois seront renouvelés à leur échéance pour une année, et les intérêts seront payés comme par le passé. XI. L’état et le compte des billets qui auront été distribués, en exécution du présent arrêt, et de leur emploi, seront joints au compte général des finances, ‘que Sa Majesté entend être mis sous les yeux des États généraux. Fait au conseil d’état du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 16 août 1788. Signé Laurent de Villedeuil. Un autre édit parut le 9 août 1788, concernant la liquidation des offices supprimés. En effet, chaque Parlement du royaume venait d’éprouver successivement des réformes considérables. A tous lesdits officiers liquidés, il sera délivré par le trésor royal des quittances de finance, portant intérêt à 5 p. 0/0, assignées sur les aides et gabelles, et autres revenus de Sa Majesté, lesquels intérêts, pour ceux des officiers actuellement supprimés qui se sont présentés et se présenteront dans le délai de trois mois, à compter de la date du présent arrêt, commenceront à courir du jour de la publication desdits édit et ordonnance ; et après l’expiration de ce terme, lesdits intérêts n’auront cours qu’à compter du premier jour du quartier dans lequel lesdits officiers se présenteront pour leur liquidation. A peine l’édit du 16 août, qui autorisait le payement en papier, à un an de date, d’une partie des charges de l’État, fut-il connu, qu’il excita un murmure universel : la cour, forcée de céder, révoqua son édit, et ne vit qu’accroître par là la nécessité, qu’elle éludait depuis longtemps, d’effectuer enfin la convocation des États généraux. Voici le texte de l’arrêt de révocation : Arrêt du conseil d’Etat du roi, du 14 septembre 1788, portant révocation des dispositions ordonnées par celui du 16 août pour le payement en papier d’une partie des rentes et des autres charges de l'Etat. Extrait duregistre du conseil d’Etat. Le roi, instruit de l’alarme qu’avait répandue parmi ses sujets et dans les pays étrangers l’arrêt qui a autorisé le trésor royal et toutes les caisses publiques à payer en effets, à un an de date, une partie des rentes sur l’hôtel de ville, des intérêts affectés sur divers revenus, des gages des offices, des dépenses des divers départements, des appointements et de plusieurs autres charges annuelles, Sa Majesté s’est fait rendre compte de la situation de ses finances, afin de savoir si elle pourrait renoncer à une disposition qu’elle avait adoptée avec le sentiment le plus pénible. Son ministre ne lui a point dissimulé l’état de crise dans lequel se trouvaient toutes les affaires ; mais elle a vu cependant qu’en retardant un peu les payements les moins pressés, en veillant exactement sur toutes les distributions de recette et de dépense, et en faisant concourir au but chaque partie du grand ensemble des finances, elle n’aurait besoin que. d’une étendue mesurée de crédit pour atteindre sans désordre à l’époque des États généraux, puisque Sa Majesté, guidée par un amour constant du bien public, se dispose d’en accélérer la convocation, ainsi qu’elle le fera connaître incessamment. Cette époque solennelle, où tout doit se ranimer, où tout doit prendre une vigueur nouvelle, mettra fin pour toujours aux diverses inquiétudes de fortune, et rassurera le crédit, en procurant successivement le moyen de s’en passer dans tous les temps ordinaires, car on doit être certain que les représentants de la plus riche et de la plus généreuse des nations ne se sépareront point avant d’avoir concouru efficacement à établir un parfait accord entre les revenus et les dépenses de l’État. Déjà Sa Majesté a jeté un premier coup d’œil sur les moyens qui sont entre ses mains pour approcher de ce terme si désirable d’une manière qui ne soit pas trop onéreuse à ses fidèles sujets : elle a ordonné qu’on mît sous ses yeux tous les renseignements propres àéclairer ses déterminations; elle a dit que si de nouveaux sacrifices de sa part étaient nécessaires, elle y consentirait sans peine, et qu’elle désirait, avant tout et par-dessus tout, contribuer au bonheur et à la tranquillité de ses peuples. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport fait au conseil royal dés finances et du commerce, le roi, étant en son conseil, a ordonné et ordonne que toutes les rentes, soit perpétuelles, soit viagères, tous les intérêts dus par Sa Majesté, tous les appointements, gages et traitements, toutes les dépenses des divers départements, et généralement toutes les dépenses à la charge de Sa Majesté, continueront à être payés, dans leur totalité, en argent comptant, comme par le passé. Fait au conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant tenu à Versailles le 14 septembre 1788. Signé Laurent de Villedeuil. Les billets de la caisse d’escompte étaient de- [1� Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. [ 388 Venus lq principale ressource du trésor public, et l’on fut contraint d’en faire en -quelque sorte un papier-monnaie d’un cours forcé, en suspendant ïeur remboursement, auquel la caisse était hors d’état de subvenir, par les avances considérables qu’elle avait faites au gouvernement. Arrêt du conseil d'Etat du roi , du 18 août 1788, concernant la circulation des billets de la caisse d'escompte. Par cet arrêt, le roi a autorisé le caissier général de la caisse d’escompte à payer jusqu’au J er janvier 1788, à ceux des porteurs des billets de la caisse qui ne voudront pas les laisser dans la circulation, le montant desdits billets en bpns effets et lettres de change sur particuliers, en bonifiant l’escompte. Ordonne, Sa Majesté, que lesdits billets de la caisse d’escompte continueront d’avoir cours et d’être donnés et reçus pour comptant, comme par le passé dans toutes les caisses générales et particulières, à Paris seulement. Fait défenses, Sa Majesté, à tous porteurs de faire aucune poursuite jusqu’au 1er janvier prochain, pour le payement en espèces desdits billets. Fait pareillement défenses à tous notaires ouhuis-§ÎPfS de faire aucun protêt ou d’autres poursuites jusqu’au 1er janvier prochain, pour raison des lettres de change ou billets, dont le payement aura été réellement offert en billets de la caisse d’escompte : Sa Majesté se réservant et à son conseil la connaissance de toutes poursuites et contestations concernant l’exécution du présent arrêt, et icelles interdisant, à toutes ses cours et autres juges. Idem , en faveur de la caisse d’escompte, Sa Majesté proposant de donner de nouvelles marques de sa protection à un établissement que i’exactituçté et l’utilité de ses services lui ont rendu recommandable, le rpi interprétant en tant que tle besoin l’artfcle Y de l’arrêt rendu en icelui le Ifi dh présent mois, a déclaré et déclare n’avoir entendq comprendre dans les dispositions dudit article ,Jes intérêts du dépôt de soixante-dix niil-lions remis au trésor royal par la caisse d’escompte, en exécution de l’arrêt du 18 février 1787 ; ordonne que lesdits intérêts continueront d’être payés, comme par le passé, en deniers comptants pOUr la totalité, sans que, pour quelque prétexte que ce soit, aucun billet du trésor royal puisse entrer dans l’acquittement desdits intérêts, non plus que du capital, le cas de la remise dudit dépôt arrivant. Arrêt du conseil d'Etat du roi , du 7 septembre 1788, qui suspend l’exportation des grains à l’étranger par tous les ports et sorties du royaume. Le roi, en établissant, par sa déclaration du 17 juip 1787, la libre exportation des grains, s’est réservé déjà suspendre, lorsque les commissions intermédiaires des États provinciaux, ou assemblées provinciales, l’inviteront à cet acte de prudence. Plusieurs d’entre elles, et surtout celles de l’intérieur, ont fait connaître à Sa Majesté leur vœu à cet égard, et l’ont appuyé sur des motifs également justes et raisonnables : Sa Majesté est instruite que les blés qui sont en magasin dans différentes provinces suffisent et au delà aux besoins du royaume ; mais comme Sa Majesté sait en même temps qu’il n’y a pas assez de superflu pour continuer à permettre d’exporter ces mêmes blés à l’étranger, et pour favoriser par là les spéculations auxquelles la liberté de l’exportation dopne néces-sairemênte lieu, Sa Majesté a cru devoir la suspendre, se réservant de changer ou de modifier cette disposition, d’après les demandes qui lui seront faites, et les éclaircissements qui lui seront fournis par les commissions intermédiaires des pays d’États et des assemblées provinciales : Sq Majesté en même temps conserve une liberté entière d’exportation pour les blés qui seraient apportés de l’étranger; et, par l’effet de ces différentes mesures,elle espère maintenir l’abondance, et prévenir des écarts dans' les prix qui ne seraient pas la suite d’une disette réelle. A quoi voulant poùrvoir : ouï le rapport fait au conseil royal des finances et du commerce, le roi, étant en son conseil, a ordonné et ordonne qu’à compter du jour de la publication dq présent arrêt, toutes expéditions et exportations de blés, farines et menus grains à l’étranger par tous les ports et autres sorties du royaume, seront suspendues jusqu’à ce qu’il en soit par Sa Majesté autrement ordonné. N’entend, Sa Majesté, qu’il soit apporté aucun obstacle à la libre circulation des grains dans toute retendue de son royaume, ni meme à la sortie des blés étrangers qui seraient importés en France, lesquels pourront être réexportés librement et en exemption de tous droits, conformément aux dispositions des arrêts du conseil des 14 juillet 1770 et 13 septembre 1774 : n’entend pareillement Sa Majesté comprendre, dans la suspension ordonnée par le présent arrêt, les navires dont le chargement en grains serait déjà commencé, ni les grains qui ayant été expédiés de l’intérieur à la destination de l’étranger, se tro riveraient arrivés à la frontière au moment de la publication de l’arrêt. Enjoint Sa Majesté aux sieurs intendants et commissaires départis dans les provinces, à leurs subdélégués, aux prévôts généraux et officiers de maréchaussées, aux officiers municipaux et aux directeurs des fermes, détenir la main à l’exécution du présent arrêt, qui sera imprimé, publié et affiché partout où besoin sera, [1™ Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. J, Arrêt du conseil d’État du roi, du 23 novembre 1788, concernant le commerce des grains. Cet arrêt est composé de huit articles, dont la substance est exprimée dans le préambule que voici : Le roi, s’étant fait rendre compte du prix des grains, et des différentes circonstances qui influent sur sa cherté, a appris avec peine que les gerbes n’avaient pas rendu la quantité de grains ordinaire, et que les cultivateurs avaient été généralement trompés clans leur attente. Il est de plus universellement connu qu’une grêle désastreuse g ravagé une vaste étendue de terrains, et plusieurs causes malheureuses ont ainsi concouru à la médiocrité des récoltes dans la plus nombreuse partie des provinces du royaume. Sa Majesté néanmoins est informée qu’aucune disette ne paraît à craindre ; mais il manque peut être la quantité de superflu qécessaire pour entretenir le prix dans la juste mesure qui serait désirable. Il n’est pas au pouvoir de Sa Majesté de dominer les lois de la nature ; mais, attentive à tout ce qui est soumis à l’influence de ses soins et de son autorité, elle a d’abord défendu strictement l’exportation des grains, et en même temps elle a maintenu la plus parfaite liberté dans la circulation intérieure, afin que toutes les provinces de son royaume puissent s’entr’aider mutuellement; Sa Majesté, par une suite de son inquiétude paternelle et sur des plaintes qui lui ont été adressées, croit devoir aujourd’hui mettre obstacle à un genre de spéculation qui n’est point utile aux propriétaires, et qui nuit essentiellement aux consommateurs : ce sont les achats et les accaparements entrepris uniquement dans la vue de profiter de la hausse des prix, et qui inspirent ensuite le désir dangereux de voir arriver ce renchérissement. De telles spéculations, qui ont leur avantage dans les années abondantes, excitent des alarmes et peuvent avoir des conséquences fâcheuses lorsque le prix des subsistances est déjà fort élevé. Sa Majesté, ne voulant cependant autoriser aucune des inquisitions dont il est si facile d’abuser, a cru devoir se borner à rétablir pour cette année l’ancienne obligation de ne vendre et de n’acheter que dans les marchés, afin de rnettre ainsi les officiers de police à portée d’éclairer la conduite de ceux qui se livreraient à un trafic déshonnête ; elle a cru devoir en même temps renouveler les anciennes ordonnances, en interdisant toute espèce de commerce de grains aux personnes chargées de veiller sur la police et le bon ordre, et en étendant cette défense à tous ceux qui ont le maniement des deniers royaux, ou qui sont attachés de quelque manière à l’administration. Elle promet en même tpmps sa protection la plus particulière aux négociants qui intrpduisent en France (les blés achetés dans 359, les pays étrangers, ou qui s’occupent de faire passer des grains d’une prpvince à l’autre et d’égaliser ainsi entre ses sujets les ressources et les moyens de subsistance. Sa Majesté ne peut garantir que, malgré ces précautions, et toutes celles qu’elle prendra par voie d’administration, pour exciter l’importation djes blés étrangers dans le royaume, le prix de cette denrée ne soit constamment cher cette année; mais nonobstant l’état pénible de ses finances, elle accordera des secours plus considérables que dans d'autres temps à la partie la plus indigente de ses peuples, et elle ne cessera de faire tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de sa bienfaisance et de ses moyens. A Quoi voulant pouryoir, etc. Arrêt du conseil d’État du roi , du 23 novembre 1788, pour encourager , par des primes , V importation en France des blés et des farines venant des Etats-Unis de l 'Amérique. Cet arrêt, dicté comme le précédent par la fâcheuse circonstance du renchérissement des grains, alloue une gratification de 30 sous par quintal de blé, et de 40 sous par quintal de farine, importé en France des Etats-Unis de l’Amérique, à compter du 15 février prochain jusqu’au 30 juin suivant. L’usage de publier l’état des finances, introduit depuis 1752, produisit quelques effets heureux : il éclaira le peuple; mais cette affectation de franchise et de confiance servait en même temps, en faveur de la cour, à soutenir le erédit ; il lui donnait d’ailleurs les moyens de dissimuler, par des comptes artistement rédigés, une partie du déficit, et d’exagérer les ressources pour soutenir les esprits par l’espérance, et éloigner, s’il était possible, lé terme fatal où les Etats généraux deviendraient inévitables. Tel paraît avoir été le motif de l’arrêt suivant : Arrêt du conseil d’Etat du roi , du 15 mars 1788, portant établissement d’un comité consultatif pour la discussion des plans relatifs à l'amélioration des finances et l’ordre du service du trésor royal. Le roi, ayant jugé utile au bien de son service et à l'affermissement de la confiance publique que les dispositions à faire, pour rétablir le meilleur ordre et procurer les économies les plps étendues et les plus invariables dans j’admiqis-tration de ses finances, soient concertées par son principal ministre, chef du conseil royal des finances et du commerce, et par le contrôleur général de ses finances, avec des personnes particulièrement versées dans les opérations de finances, dignes de la confiance de Sa Majesté, pt en possession de celle du public, Sa Majesté aurait porté ses vues sqr les sieurs Magon Üe la Balue, le Normand, receveur général des finances, et jfiojard, 360 [l*e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] premier commis des finances, dont elle connaît le zèle pour son service, les lumières et l’expérience, et aurait jugé nécessaire de donner tant auxdits principal ministre et contrôleur général des finances, qu’aux dits sieurs Magonde la Balue, le Normand et Gojard, les autorisations à ce nécessaires. A quoi voulant pourvoir, etc., le roi a autorisé le principal ministre, chef du conseil royal des finances et du commerce, et le contrôleur général de ses finances, à donner auxdits sieurs Magon de la Balue, le Normand et Gojard, communication de toutes instructions, pièces ou propositions qu’ils jugeront convenable d’examiner, ou concerter avec eux sur les différents détails ' concernant les finances. Veut Sa Majesté que les-dits sieurs Magon de la Balue, le Normand et Gojard s’assemblent une fois par semaine chez le principal ministre avec le contrôleur général des finances, pour y traiter des plans d’amélioration propres à procurer et affermir le meilleur ordre de toutes les parties des finances, dans lequel comité sera concerté tout ce qui appartient à l’ordre des services du trésor royal, à l’assignat de tous les payements, à la direction des services qui se font par anticipation, à la détermination des moyens de diminuer lesdites anticipations, et généralement à tout ce qui a rapport au maniement et à la distribution des fonds du trésor royal. Et seront toutes les dispositions proposées dans ledit comité, mises sous les yeux de Sa Majesté en son conseil par le contrôleur général des finances, pour être, sûr lesdites propositions, donné par Sa Majesté tels ordres qu’il appartiendra. Edit du roi , donné à Versailles , au mois de mars 1788", registre en la chambre des comptes , le 28 avril suivant, portant suppression de tous les offices de garde du trésor royal,' de trésoriers de la guerre , de la marine, de la maison du roi et de la reine , des bâtiments , des dépenses dicer-• ses , des ponts et chaussées ; et création de cinq administrateurs pour gérer conjointement tout ce qui concerne les recettes et dejienses du trésor royal. « Louis, etc. Nos finances éprouvent depuis longtemps les inconvénients sans nombre qui résultent de la multitude des caisses où nos revenus sont successivement versés, pour acquitter les dépenses auxquelles ils sont destinés. Ce grand nombre de caisses donne lieu à des opérations diverses, qui, ne partant ni des mômes principes, ni des mêmes intérêts, se nuisent quelquefois réciproquement, et souvent compromettent le crédit général dont elles devraient être le soutien et l’aliment. L’habitude et même la nécessité de verser dans ces caisses, à des époques déterminées, les fonds qui leur sont assignés, privent souvent notre trésor royal de sommes dont il lui serait important de ne se pas dessaisir, et qui, au moment où elles en sont tirées, ne sont pas toujours nécessaires pour satisfaire aux payements auxquels elles sont destinées. Ges remises habituelles et anticipées de fonds considérables sont quelquefois d’autant plus préjudiciables à notre trésor royal, que, dans la nécessité où il estde recourir à des anticipations, il peut arriver qu’il reçoive ensuite comme fonds d’avance une partie des mômes sommes dont il a été sans nécessité obligé de se dessaisir. Enfin il est arrivé que quelques trésoriers de ces différentes caisses, ne séparant pas toujours leurs propres affaires de celles qui leur étaient confiées, le désordre survenu dans leur fortune est retombé sur notre trésor royal, soit par des avances qu’on a eu la facilité de leur faire, soit par la confusion des traites, et la difficulté de : distinguer celles qui ont eu rapport à notre service, soit par des débets que, malgré les précautions prises par les ordonnances, il a été souvent impossible de recouvrer en leur entier. Pour remédier à ces inconvénients, nous avons pris la résolution, dont le plan nous a été en quelque sorte inspiré par le vœu public, de supprimer ces différentes caisses, et d’en former une seule où tous nos revenus soient désormais réunis, et d’où ils soient ensuite distribués au moment et dans la proportion que chaque dépense peut exiger. Cette caisse a dû être naturellement notre trésor royal ; en l’établissant, comme il doit l’être, la source unique où chaque partie prenante reçoive immédiatement ce qui lui est dû, nous n’aurons plus à craindre des principes opposés, ni des vues particulières , ni le dérangement même des affaires de ceux qui seront préposés à son administration ; nous éviterons toute interversion de fonds; aucun ne restera mort et perdu pour nos finances : il résultera d’ailleurs de la simplification du service une économie véritablement intéressante pour nos finances, et par conséquent avantageuse à nos peuples, sur les gages, taxations, attributions de trésoriers, et sur beaucoup d’autres frais qu’entraînait le détail des différents services ; et, nul intérêt ne s’opposant à la reddition prompte des comptes que ce nouvel établissement rendra en même temps plus simple et plus facile, nous parviendrons enfin à assurer une comptabilité bien ordonnée, sans laquelle l’ordre ne peut être utilement et constamment établi. A ces causes, etc. Les offices de gardes du trésor royal, ceux des trésoriers de la guerre, de la marine, de la maison du roi, seront et demeureront supprimés au 1er juillet 1788. Les officiers ci-dessus supprimés seront tenus de remettre au contrôleur général de nos finances les quittances de finance, provisions et autres [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] titres de propriété de leurs offices, pour être procédé à la liquidation desdites finances et être pourvu à leur remboursement en deniers comptants , lequel remboursement sera effectué en trois payements égaux par tiers. Pour remplir les fonctions des gardes du trésor royal et des trésoriers supprimés, le roi créé par le présent édit un seul et unique trésor royal, composé de cinq départements, pour le service desquels on établit cinq administrateurs. Un desdits départements sera chargé de la caisse générale pour toutes les recettes et l’acquit de toutes les dépenses ; Un autre du payement des pensions, des intérêts et remboursements d’effets royaux, provenants d’emprunts, des reconstitutions, des amortissements, des coupons et actions de l’ancienne compagnie des Indes, et généralement de toutes les dépenses qui ne seront point attribuées à l’un des trois départements ci-après ; Un des dépenses du département de la guerre ; Un autre de celles de la marine et des colonies; Un autre des dépenses de la maison du roi et de la reine, des bâtiments, des ponts et chaussées, et de toutes celles dont était chargé, par les lettres patentes du 31 octobre 1784, le trésorier général des dépenses diverses. Lesdits cinq administrateurs seront comptables en la chambre des comptes, chacun pour les parties comprises dans son département; pour la sûreté de leur gestion, ils fourniront chacun un cautionnement de douze cent mille livres, dont les intérêts leur seront payés sur le pied de 5 p. 0/0 par an sans retenue. A chacun des administrateurs est attribué un traitement fixe de cinquante mille livres par an sans retenue, pour tout émolument. L’administrateur chargé de la caisse générale présentera au conseil, dans le mois d’avril de chaque année, l’état au vrai de toutes les recettes et dépenses par lui faites pendant l’année précédente, et il sera tenu d’en rendre compte ensuite à la chambre des comptes, etc. » Ce fut par suite des deux édits précédents que parut quelque temps après le Compte rendu dont nous allons tracer une esquisse, Ce compte, rendu à Sa Majesté, au mois de mars 1788, et publié par ses ordres, est précédé du discours suivant : « Avant de soumettre à Votre Majesté les différents articles de ce compte, elle voudra bien permettre que nous lui en exposions en peu de mots les principes, l’intention et les résultats. « Un compte peut être considéré et rendu sous trois rapports, et s’il y a un déficit, la véritable notion de ce déficit dépend de celui de ces rapports sous lequel le compte est rendu. « Ainsi un compte peut être le bilan delà fortune de celui qui le rend, et dans ce cas le déficit, s’il 361 y en a, tombe sur les capitaux, et tant qu’il y a des capitaux libres il n’y a pas de déficit réel. « Un compte peut être le résumé de l’estimation d’une année commune du revenu de celui qui le rend, et dans ce cas le déficit tombe sur les revenus et non sur les capitaux ; mais comme des remboursement et autres charges extraordinaires ne peuvent entrer dans l’estimation d’une année commune, le déficit dans un tel compte ne peut être calculé que d’après les dépenses ordinaires et les intérêts des sommes nécessaires pour acquitter les dépenses extraordinaires. « Enfin un compte peut être l’état des recettes et des dépenses pour une année déterminée. Si un tel compte se rend au commencement de l’année, il n’est que l’aperçu de ces recettes et de ces dépenses ; si l'année est terminée il en est le compte effectif. « Dans un tel compte le déficit est tout simplement la différence entre la recette et la-dépense. Si cette différence est entre la recette et la dépense ordinaires, le déficit est habituel et permanent ; il n’est que passager et éventuel si la différence vient de causes extraordinaires, qui diminuent la recette et augmentent la dépense. « De ces trois manières de rendre un compte la première ne convient pas au compte des finances publiques. Quoiqu’on puisse dire que les revenus de l’État supposent un capital qui sert d’hypothèque aux dettes qu’il contracte, ce n’est pas de ces capitaux qu’il importe de s’occuper, et jamais leur discussion ne peut être un objet d’intérêt ni d’inquiétude. « La seconde manière de rendre un compte serait pour un Etat, si l’on y mettait trop de confiance, une source d’erreurs et d’illusions. En s’y bornant on pourrait se persuader qu’il n’y a pas de déficit, tandis qu’il y aurait chaque année impossibilité de suffire à ce qui doit être acquitté. 11 y a plus, ce calcul d’une année commune s’évanouirait à chaque instant : dans l’année où le revenu serait inférieur à la dépense, il faudrait y suppléer par un emprunt ; les intérêts de cet emprunt dérangeraient les calculs des années suivantes, et l’année commune qu’on aurait supposé finirait par n’avoir jamais existé. « Ce n’est donc, Sire, ni un compte qui soit le bilan général des finances, ni un compte qui présente l’estimation d’une année commune, qu’il s’agit aujourd’hui de vous présenter ; c’est l’état des recettes et des dépenses d’une année déterminée; et, comme nous sommes au commencement de celle qu’il faut parcourir, l’état qui doit être mis sous vos yeux est l’aperçu des recettes et des dépenses de l’année 1788. Il sera possible en 1789 de vous présenter le compte effectif (1). (1) Quand on dil qu’un compte effectif pourra être 362 [lre Série, T. 1er.] « Gest ce compte d’une année déterminée qui dans la pratique a une réelle utilité ; c’est ce compte qui,' renouvelé tous les ans, vous fera connaître la situation de vos finances; c’est enfin ce compte qui peut être entendu et même jugé par les personnes les moins versées dans ces matières, en même temps que les spéculateurs les moins attentifs y trouveront les éléments nécessaires à leurs Combinaisons. Ce compte ainsi rendu est, comme tout compte, composé de recette et de dépense; l’une et l’autre sont ordinaires ou extraordinaires (1), l’une et l’autre seront jointes sous le même titre pour éviter les répétitions ; mais, pour la clarté, les résultats en seront séparés à la fin du compte; et cette distinction est d’autant plus nécessaire, que si la totalité du déficit peut, au premier aspect, inspirer quelque effroi, on est assuré, en considérant que les dépenses extraordinaires en font la plus grande partie , que ces dépenses ont un terme, et qu’ainsi elles ne peuvent former Un déficit habituel et permanent. « Nous pouvons assurer à Votre Majesté qu’on s’est donné tous les soins pour mettre dans toutes les parties du compte l’exactitude qu’elle avait recommandée, Pour s’en assurer encore, elle a voulu que la recette fût visée et certifiée par des personnes éclairées et dignes de la confiance publique, en même temps que les états de la dépense seraient remis par les ordonnatenrs mêmes qui la dirigent. Enfin Votre Majesté a ordonné que tous les articles fussent examinés, dans plusieurs conférences, par tous ceux qui ont l’honneur de composer le conseil des finances. rendu en 1789, on n’enlend point un compte qui ne comprenne que les recettes elles dépenses appartenantes à l’année 1788. Il n’est personne qui n’éprouve dans sa fortune que tous les revenus d’une année ne sont jamais perçus dans l’année même, ni toutes les dépenses acquittées. On supplée à ces retards nécessaires par des chapitres de reprise, qui avancent la comptabilité, mais ne la complètent pas. Leur usage introduit dans les comptes publics en, accélérerait la reddition; mais, quelque prompte qu’elle soit, ce ne sera jamais en 1789 qu’on pourra espérer de rendre le compte de tout ce qui appartient proprement à l'année 1788. Ce qu’on peut se promettre, et qui suflit pour le bon ordre, c’est de rendre îè cotnpte des recettes faites et des dépenses acquittées PU 1788, à quelque année que les unes et les autres puissent appartenir. C’est ce compte qui correspondra à l’aperçu que celui-ci présente et qui en sera la vé-riücàtionj et dans ce sens il peut être regardé comme effectif. (1) On entend par dépenses ordinaires celles qui sont habituelles, quoique variables; et par dépenses extraordinaires, celles qui sont passagères., quoique les mêmes pendant le temps de leur durée. Il faut cependant convenir que cette distinction n’a pu être tellement suivie, que, parmi les dépenses ordinaires il ne s’en trouve quelques-unes (comme les intérêts des emprunts dont lè remboursement se fait annuellement) qui pourraient aussi être placées parmi les dépenses extraordinaires ; et que de même parmi celles-çi,ü ne s’en trouve (comme celles qui concernent des travaux) qui auraient pu également être rangées parmi les dépenses ordinaires; mais une extrême précision n’a pu être observée, et on peut remarquer que, sous quelque rapport qu’on eût envisagé ces dépenses, le résultat eût cté à peu près le même. [Introduction,] « Malgré cés précautions, ce serait induire Votre Majesté en erreur que de lui répondre que ce compte en sera entièrement exempt, fl n’est que l’aperçu pour 1788 des recettes et des dépenses, et le compte effectif seul peut être à l’abri de toute incertitude. « Ce qui rendrait quelques erreurs singulièrement excusables, c’est la méthode que nous. avons été obligés de suivre. Les recettes et les dépenses (ne sont pas classées dans ce compte comme elles devraient l’être ; les déductions jointes aux recettes n’en sont pas toujours dépendantes ; le même département puise en plusieurs caisses ; les dépenses du même genre ne sont pas réunies sous le môme ordonnateur : ces défauts, Sire , tiennent à d’anciens usages et au manque d’une comptabilité bien entendue. Si nous avions voulu nous écarter de la route tracée, nous aurions embarrassé ceux que nous devions employer; vos ordres et l’attente publique n’auraient pas été remplis. « Il a fallu, pour une première fois, se soumettre à une méthode moins parfaite , il a fallu s’y soumettre pour arriver à une plus régulière et plus simple. Nous pouvons dire avec confiance que ce compte est le plus entier, le plus complet, le plus détaillé qui ait jamais été rendu; mais nousajou-tons en même temps qu’il se perfectionnera chaque année, et surtout par l’ordre général que Votre Majesté se propose de mettre dans la comptabilité. « L’économie aussi, en améliorant la recette et réduisant la dépense, rendra les comptes plus simples et plus réguliers , comme des comptes plus réguliers rendront l’économie pins facile. Déjà celui-ci nous a . fait entrevoir plusieurs retranchements ; les détails que chaque année ajoutera en découvriront d’autres qq’on ne pouvait soupçonner : tout, Sire, tient à l’ordre, et l’ordre lui-même à la publicité que Votre Majesté a adoptée ; il n’est point d’abus que l’ordre et la publicité ne parviennent à détruire. « En vous présentant chaque article, Sire, nous y joindrons le plus succinctement que nous pourrons les réflexions dont il sera susceptible. Il nous reste à vous offrir, en peu de mots , l’ensemble du compte et ses résultats. « Votre Majesté y verra ; « 1° Que le produit des recettes ordinaires, déduction faite des payements qui s’effectuent avant que ce produit soit porté au trésor royal , ef du supplément indispensable pour compléter ces payements, est de 211,708,977 livres; « 2° Qu’attendu que tous ces paiements no font pqs partie de la dépense ordinaire , et qu’au contraire il s’en trouve pour 20,285, 852 liv. en remboursements et dépenses extraordinaires , dont par conséquent le montant ne doit pas être déduit de la recette ordinaire, ie produit de cette ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. 1er ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Introduction.! âRR recette ordinaire est, pour l’année 1788 , de 231,994,829 livres ; « 3° Que la dépense ordinaire payée par le trésor royal, monte , pour l’année 1788, S la somme de 286,834,369 livres ; ce qui établit entre là recette ordinaire et la dépense ordinaire du trésor royal une différence de 54,839,540 livres, qui détermine ce qu’on peut appeler le déficit ordinaire pour 1788 ; « 4° Que ce déficit ordinaire se trouve ainsi réduit : 1° par les bonifications obtenues sur la recette ordinaire, qui, pour l’année 1788, së portent à la somme de 4,038,037 livres; 2° par les réductions des dépenses ordinaires, qui ont été diminuées, pour l’année 1788, de 26,788,800 livres, sans lesquelles bonifications et réductions le déficit ordinaire eût monté à 85,663,377 livres. « Dans les réductions sur les dépenses, on trouve la suspension des amortissements ordonnés par l’édit de novembre 1787. C’est sans doute avec regret qU’on a proposé à Votre Majesté de les interrompre ; mais quand on est obligé de payer des anticipations à six et six et demi ; quand on est forcé d’emprunter à très-gros intérêt , il n‘y a ni ordre ni économie à rembourser des emprunts non exigibles, et dont l’intérêt est moindre. On proposera à Votre Majesté de rétablir ces remboursements (lès qu’il sera possible , mais en les affectant toujours de préférence aux emprunts les plus onéreux. « Votre Majesté verra : « 5° Que ce déficit ordinaire ainsi réduit est considérablement augmenté : 1° par les remboursements auxquels il était indispensable de satisfaire ; 2° par les dépenses extraordinaires qui n’ont pu être évitées, ou qui doivent être soldées pendant l’année 1788 ; « 6° Que ces remboursements, tant ceux qui sont compris dans les déductions que, ceux qui sont acquittés par le trésor royal, forment une somme totale de 76,502,367 livres. « Et les dépenses extraordinaires pareillement, tant celles qui font partie des déductions que celles qui sont acquittées parle trésor royal, forment une somme de 29,395,585 livres; ce qui comporte une somme totale de dépense extraordinaire, pour l’année 1788, de 105,897,952 livres; « 7° Que cette sqmpie de 105,897,952 livres étant ajoutée à celle du déficit ordinaire de 54,839,540 livres, forme une somme totale de 160,737,492 livres, qui représente le déficit total de l’année 1788, lequel déficit aurait monté à la somme de 191,561,329 livres, sans les bonifications et économies faites sur les recettes et dépenses ordinaires de cette même année (1) ; (I) Il aurait même été à 196, 914,329 liv., si l’on y ajoutait �,3�3,000 liv., de bonifications faites sur la recette extraordinaire, car les bonifications et déductions HW l’année 1788 forment un, total de 36,176,83.9 liv. « 8° Que cette somme de 160,737,492 livres, qui forme le déficit total de l’année 1788, est�entière-ment remplie : 1° par les recettes extraordinaires qui ont pu avoir lieu pour l'année 1788 ; 2° par les emprunts auxquels on a été contraint d’avoir recours : ces recettes extraordinaires et ces emprunts forment une somme de |68, 130, 500 livres,, qui excède le déficit total de celle de 7,393,000 livres ; de sorte qu’au moyen des mesures que Votre Majesté a prises, elle a été assurée, dès le mois de janvier, que sans aucun moyen ni expédient nouveau pendant le cours de l’année , tous ses engagements seraient remplis , et toutes |es dépenses nécessaires acquittées. « Votre Majesté verra enfin que cette assurance est d’autant plus fondée , qu’on n’a point compté dans les ressources de l’année : « 1° Le produit qui résultera de l’augmentation des vingtièmes, ni celui qu’on doit attendre de la contribution du clergé; « 2° Le bénéfice de plusieurs économies, dont les unes sont calculées d’après la plus faible estimation, et dont les autres s’opèrent journellement ou ne sont encore que projetées , mais qui dès cette année même ne seront pas inutiles ; « 3° Èe produit de la vente de la maison acquise par madame la duchesse de Bourbon, et celui qu’on doit espérer de la vente des maisons royales, ordonnée par Votre Majesté ; « 4° Quelque augmentation dont plusieurs parties fie recettes sont susceptibles, et en particulier celle qu’on doit attendre des arrangements que Votre Majesté vient de prendre sur les domaines ; a 5° Enfin plusieurs rentrées dont on ne pouvait déterminer le taux et le montant, telles que celles qui proviennent de la liquidation des biens des sieurs de Saint-James et de Seriliy , et d’autres affaires qui ont besoin de discussion pour être utilement terminées. « Ces différents produits doivent procurer pour l’année de nouvelles ressources, et faire espérer à Votre Majesté que les anticipations pourront être diminuées au moins pour l’année 1789. « fêl est, Sire, le résultat du compte que nous allons vous présenter, et on en peut conclure : « 1° Que, tant à raison de quelques articles qui ont été exactement vérifiés , qu’à raison des dépenses que les huit derniers mois de 1787 ont exigées, le déficit, loin d’être douteux ou d’avoir été exagéré, est, pour l’année 1788 , supérieur à celui que l’examen des notables avait pu constater , et qui paraissait résulter de leur commune opinion ; « 2° Que, pqur remplir ce déficit, Votre Majesté a dû commencer par recourir à tous les retranchements et réductions dont ses dépenses étaient susceptibles ; qu’elle s’y est portée avec courage et sans délai, malgré la peine extrême qu’elle a 364 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] éprouvée en rétractant , pour ainsi dire, une partie de ses dons , en se privant de serviteurs fidèles, en retranchant des charges remplies par des personnes qu’elle honore de sa bienveillance, en supprimant et réduisant des corps distingués par leur zèle et par leurs services ; que ces sacrifices rigoureux, mais nécessaires, ont dès cette année produit une économie considérable, et qui le sera encore plus pour les années suivantes ; mais, quelque idée qu’on puisse se faire de ces produits, il était impossible qu’ils pussent suffire à remplir le déficit de 1788, de sorte qu’il était indispensable pour Votre Majesté de recourir à d’autres moyens, ou (ce dont l’idée seule révoltera toujours) de manquer à une partie de ses engagements ; • « 3° Que c’est par cette raison impérieuse, et dont l’intérêt public ainsi que l’honneur et la justice faisaient une loi à Votre Majesté , qu’elle s’est déterminée à demander de nouveaux secours à ses peuples ; mais que, considérant que ces secours ne pourraient jamais atteindre la totalité du déficit, et ne consultant que son amour pour ses sujets, elle s’est bornée à ne chercher ce secours extraordinaire que dans l’exacte répartition d’un impôt déjà établi, ne voulant pas qu’il en résultât aucune surcharge pour les classes inférieures et malaisées qui satisfaisaient à cet impôt en son entier, et comptant que les personnes plus riches ne se trouveraient pas lésées lorsque , remises, au niveau commun, elles ne feraient qu’acquitter, pour le soulagement de l’État, une charge qu’elles auraient dû depuis longtemps partager avec plus d’égalité ; « 4° Que Votre Majesté s’est d’autant plus déterminée à se contenter de cette contribution, qu’elle a considéré qu’une grande partie des charges qu’il fallait acquitter étant momentanée, il n’était question, pour sortir de la détresse dans laquelle l’État paraissait se trouver, que de gagner un certain nombre d’années, pendant lesquelles ces charges passagères viendraient à disparaître, et qu’il était possible d’y parvenir au moyen d’emprunts successifs, dont les intérêts se trouveraient assurés par l’extinction de ces mêmes charges qui doivent cesser, et plusieurs même en peu d’années ; « 5° Que si ces emprunts n’eussent été effectués, il était, vu l’uniformité du déficit ordinaire et extraordinaire, impossible de prévoir l’extrémité dont l’État était menacé , tandis qu’au moyen de ces emprunts tous les payements sont assurés cette année, et qu’à l’aide de ceux que Votre Majesté a en même temps ordonnés, elle peut se promettre la même certitude pour les années suivantes -, « 6° Enfin que cette certitude se fortifiera chaque année par l’accroissement du produit des économies et des réductions, parla cessation de plusieurs dépenses extraordinaires, par l’extinction des rentes viagères, enfin par le rétablissement de l’ordre dans toutes les parties. « Votre Majesté verra dans ce compte ce que les moyens qu’elle a adoptés pour y parvenir ont déjà pu produire. Il est certain que ces mômes moyens feront disparaître en 1789 une grande partie du déficit, et qui dans le fond ne sont pas une nouvelle charge, ainsi qu’à des dépenses extraordinaire, dont le nom seul annonce une fin nécessaires et la possibilité delà rendre plus prompte. « C’est sur la diminution des dépenses ordinaires, et la cessation successive des autres, que repose le rétablissement des affaires. Quiconque méditera ce compte avec attention, découvrira dans presque tous les chapitres qui le composent le principe et le germe de ce rétablissement ; il ne s’agissait que d’obtenir du temps, qui seul, avec l’ordre, suffit à un grand État pour tout réparer, et qui fera bientôt oublier le passé, si rien ne trouble la suite et la marche des opérations que Votre Majesté a ordonnées. « Suivant tous les états certifiés des recettes, tant ordinaires qu’extraordinaires, de dépenses de même nature, bonifications, retranchements et économies, tous ces articles ensemble donnent le résultat suivant : État général des recettes , tant ordinaires qu’extraordinaires , pour Vannée 1788. PREMIER CHAPITRE. Recettes ordinaires. OBJETS DE RECETTE. Produits. N° 1. Fermes générales. . . I50,106,875liv. Moitié revenant au roi dans les bénéfices connus à l’expiration du dernier bail, 2,460,000 livres, payables à mesure des répartitions pendant chacune des cinq dernières années du bail actuel .......... 2,460,000 Remise annuelle offerte par les fermiers généraux sur leurs traitements, en sus du prix du bail .......... 500,000 2. Recettes générales des finances des pays d’élections et pays conquis, y compris les impositions de la ville de Paris. . . 154,725,280 Reste des impositions et des vingtièmes de la ville de Paris de 1786 ....... ... 1,316,730 Déduction annuelle sur les ' gages et taxations des receveurs généraux et particuliers des finances ......... 436,000 3. Régie générale. . . . . 51 .000,000 A reporter ...... 358,544,780 liv. [I*e Série, T. 1er.] Reporl ....... Portion revenant au roi dans l’excédant des produits au delà des 51 raillions par évaluation, d’après 1787, première année. . Remise annuelle offerte par les régisseurs généraux sur leurs traitements ........ 4 . Administration des domaines. Portion revenant au roi dans l’exeédant des produits au delà des 50 millions par évaluation, d’après 1787, première année. Remise annuelle offerte par les administrateurs des domaines sur leurs traitements ..... 5. Revenus casuels et marc d’or. ....... /. . . Fermes des postes ..... 6. Augmentation à cause de la suppression des franchises et contre-seings ...... 7. Ferme des messageries. . 8. Fermes de Sceaux et de Poissy. . . ..... '. . 9. Abonnement des droits de la Flandre maritime ..... 10. Régie des poudres. . . 1 1 . Loterie royale de France. 12. Vingtièmes abonnés. . . 13. Bénéfices des monnaies. 14. Ferme des affinages. . 15. Dixième ...... 16. États de Languedoc . . 17. Idem , de Bretagne. . . 18. Idem , de Bourgogne. . 19. Idem, de Provence. . . 20.Receltes générales des finances de Languedoc et Roussillon. 21. Idem , de Bretagne. . . 22. Idem, de Bresse, Bugey et Gex ......... 23. Idem , de Provence et terres adjacentes . . . . . . ' 24. Idem , de Pau, Bayonne et Foix ...... .... 25. Créances sur les États-Unis de l’Amérique . . . . 26. Forges de la Chaussade. 27. Fonds des villes pour les fortifications ....... Don gratuit du clergé (Mémoire). Débets des comptables, anciennes créances et autres petites rentes particulières (Mé-. moire). Les déductions, pour charges A reporter ..... . . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 358,544,780 liv 800,000 140,000 472,415,549 liv. flnlroüuction.] 3@g Report. ....... 472,415,549 liv, et assignations sur les divers objets de recette ci-dessus spécifiés, s’élèvent à la somme de 260,706,572 Beste net pour le trésor royal. 211,708,977 liv. DEUXIÈME CHAPITRE. Recettes extraordinaires. Dépenses à payer par le trésor royal , pendant l'année 1788, déduction faite des diminutions et réductions déjà effectuées. N° 1. Département de la guerre, comprenant la [pe Série, T.'ïer.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 366 maison militaire du roi, l’extraordinaire des guerres, l’artillerie et le génie, les maréchaussées et les garnisons ordinaires, indépendamment des taxations des trésoriers, des frais de comptes, etc ......... 2. Département de la mariné et des colonies, décision du mois d’avril 1787. . . . . . . 3. Département des affaires étrangères. . . . . ... Ligues suisses ...... Troisième à-compte sur un subside de 4,500,000 florins que le roi s’est engagé à payer, suivant les conventions arrêtées à Fontainebleau en 1785 ( Mémoire ). 4. Département de la maison du roi, comprenant celle de Sa Majesté, celle de la reine , de Monseigneur le dauphin , les enfants de France , Madame Élisabeth, et Mesdames tantes du roi, les bâtiments, etc., les maisons royales, les gages des officiers, etc ..... . . 5. Fonds accordés par le roi pour la maison de Monsieur et de Madame, de Monseigneur comte et de Madame comtesse d’Artois, pour M. le duc d’An-goulême et deM. le ducde Berry. 6. Appointements et traitements par ordonnances particulières, accordés aux personnes attachées à la maison du roi, à celle de la reine et à la famille royale ......... 7. Pensions ...... 8. Ponts et chaussées. . . 9. Port de Cherbourg (Mémoire). 10. Mendicité. ..... 11. Ancienne compagnie des Indes, liquidations. . . . . 12. Supplément à fournir par le trésor royal pour les rentes de l’hôtel de ville, au clelà des fonds réservés sur la fermé, là régie générale, etc., compris les six millions' de rentes viagères dé rédit de mai. 1787. . . . 13. Diverses rentes, intérêts et indemnités pour acquisitions, échanges et autres arrangements ........ . • 14. Dépenses diverses, remboursements d’acquisitions, appointements et traiteinents par ordonnances particulières , . ‘ 1,408,900 iiv i5. Intérêts d’emprunts . . 22,084,900 16. Intérêts et frais d’anticipations. . . ...... 14,860,000 17. Remboursements d’emprunts à termes fixes. . . . 18. Traitements et appointements compris dans les états de gages du conseil ..... 4 ,057,000 19. Gages des offices du point d’honneur. ....... 360,000 20. Gages, intérêts des financiers, taxations et appointements, frais de bureaux et de comptabilité des gardes du trésor royal, des trésoriers généraux, et des commissaires au bureau des dépenses de la maison du roi . . ..... 3,169,900 21. Supplément pour les dépenses civiles de la Corse . . 250,000 22. Secours aux familles acadiennes établies en Bretagne. 18,000 23. Dépenses du département des mines ........ 90,000 24. Haras ....... 354,000 25. Écoles vétérinaires . . 72,000 26. Dépenses de Paris, police générale du royaume, maréchaussée de rile-de-France . 3,33-1,300 27. Académies, gens de lettres et travaux littéraires. . . . 323,000 28. Bibliothèque du roi. . . 120,000 29. Jardin du roi et cabinet d’histoire naturelle. .... 107,000 30. Imprimerie royale. . . 90,000 31. Des monnaies médailles 42,500 32.Hôpitaux etenfants trouvés 743,000 33. Secours à des communautés religieuses, subsistance des jésuites, etc ...... 452,500 34. Forges de la Chaussade. 74,000 35. Retraites et indemnités relatives aux suppressions faites dans la maison du roi et de la reine, et dans les traitements des commissaires du conseil . . 683,369 36. Intérêts et remboursements des charges supprimées dans la maison du roi et de la reine (Mémoire). 37. Payement de l’arriéré des dépenses ordinaires de la maison du roi et de la reine ( Mé - moire). 38. Dépenses imprévues, réserves, etc. (Mémoire). Totaux. . • . . . . 286,834,399 liv. '100, 230, 000 Iiv. 45,000,000 8,300,000 830,000 23,066,000 7,612,000 1,239,700 1 27,000,000 2,010,000 . ! 950,000 j 300,000 , 13,408,000 4,218,200 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. 367 « Les dépenses extraordinaires (compris les remboursements) à ajouter aùx dépenses ordinaires ci-dessus, forment la somme de 85,612,100 liv. « total des dépenses ordinaires et extraordinaires, déduction faite des diminutions et réductions déjà effectuées, 372,446,469 livres. « Pour terminer cet extrait sommaire, nous allons récapituler, d’après ce compté, lès différents tableaux qde bous avons exposés en détail. « Les è'ernîérs tableaux qui suivent sont le résumé des états précédents, et la preuve du résultat énoncé au commencement de ce compte. « Votre Majesté remarquera dans celui du déficit qu’il est calculé d’àprès là somme totale des recettes, au lieu qu’il lui a été présenté d’après ces recettes réduites à ce qui est porté au tfésor royal, ! parles déductions antérieures; ces deux manières : de calculer donnent le même résultat : un déficit de 160,737,492 livres, en ne comprenant pas les - recettes extraordinaires, et, en les comprenant, un èxcèdafit de 7,393,000 livres. / • « Votre Majesté Verra aussi, dans le tableau des réductions et des bonifications qui ont pu avoir lieu cette année, qu'elles montent à 36, 176, 837 liv. Cette somme sera considérablement àccrue l’année prochaine, et encore plus les années suivantes. Les remboursements diminueront, et, au moyen de cette diminution et de celle de plusieurs autres dépenses , les aperçus que nous avons sous les yeux présentent, d’ici à cinq années, un bénéfice de 80 millions sur les dépenses< en même temps que les bonifications de recette en offrent u n de plus d e 20 millions . « Il est vrai que dans lés dépenses énoncées dans cet aperçu on ne comprend pas les intérêts des nouveaux emprunts ; mais aussi dans leur diminution, comme dans l’augmentation de recette, on n’a pas fait entrer l’accroissement des vingtièmes, la contribution du clergé, le produit des arrangements sur les domaines, le bénéfice qui proviendra de la nouvelle constitution du trésor royal, enfin aucun de ceux que l’ordre et les améliorations successives promettent et font espérer dans toutes les parties. « Votre Majesté remarquera, surtout dans le tableau des remboursements, qu’ils entrent dans le déficit pour76,502,367 livres. On ne peut pas regarder comme une nouvelle charge les sommes empruntées pour satisfaire à ces remboursements, et cette considération doit, comme nous l’avons dit, affaiblir extrêmement la première impression que fait naître le montant du déficit. « Il n’a pu être rempli cette année que par des emprunts,. il le sera encore par le même moyen les années suivantes ; mais chaque année ces emprunts diminueront ; chacune, d’ici à 1792, amènera des améliorations' ces améliorations prendront successivement la place des emprunts, et, pour finir ce compte comme nous l’avons commencé, Votre Majesté doit espérer que, si pendant ces cinq années rien ne trouble la marche et la suite des opérations qu’elle a ordonnées, l’ordre sera, rétabli, et le souvenir du passé presque entièrement effacé. Résumé tjëné'fal êtes états êtes recettes et êtes défenses , tant ordinaires qu’extraordinaires , pour 1788. Recettes. Les recettes ordinaires, sans déduction des charges dont elles sont grevées, montent à . . . 472,415,549 liv. Les recettes extraordinaires à 168,130,500 Total ...... 640,546,049 liv~ Les charges et dépenses ordinaires assignées sur lés revenus, ' compris les 2,280,787 livrés pour l’excédant des chargés sur le Languedoc ........ è4Ô,420,720 Les charges et dépensés !ex-traordinàlres, ci. ..... 6,656,285 Les remboursements, ci . . 13,629,567 Les dépenses ordinaires à payer par le trésor fôyal . . . 286,834,369 Les dépenses extraordinaires. 22,739,300 Les remboursements à termes fixes et autres ...... 62,872,800 Total ...... 633,153,041 liv. Excédant de recette pour 1788 7,398,003 liv. DETAIL DU DÉFICIT POUR 1788. Les dépenses ordinaires assignées sur les revenus . . . 240,420,720 liv. Celles du trésor royal . . . 286,834,369, . . Total ...... 527,255,089 liv. Les recettes ordinaires . . . 472,415,549 Déficit ordinaire .... . 54,839,540 liv. Les remboursements assigna és sur les recettes. . . 13,629,567 1. Sur le trésor Éôval. 62, 872, 800 , Total “..... 76,502,367 Les dépenses extraordinaires assignées sur les recettes. 6,656,2851. Sur le trésor royal. 22,739,300 29,395,585 Total ..... . . 160,737,49.2 li Y, RÉSULTAT. Les recettes extraordinaires montent à ; 168,130,500 liv. Le déficit pour 1788, ainsi qu’il . est ci-dessus détaillé', monté* à . 160,737,492 Reste un excédant de recette pour 1788 . ....... 7, 393*, 008 liv. 368 [ire série, T-ler-l En vertu d’une déclaration du roi, du 23 septembre, registrée au Parlement le 27 du même mois, cette compagnie a pris ses vacances jusqu’au 8 novembre inclusivement, et il a été formé une chambre des vacations. M. le premier président ayant été chargé de porter, le 26, à Sa Majesté, le vœu du Parlement sur la continuation de ses séances, et sur quelques autres objets, il reçut du roi la réponse que voici : « La continuation du service de mon Parlement ne serait pas utile, à cause des délais nécessaires pour mettre les choses en état; mon intention est qu’il procède à l’enregistrement de la déclaration portant établissement de la chambre des vacations. « J’ai autorisé les procureurs et huissiers à faire pendant sa durée les significations, pour que les procès puissent être jugés au moment de la rentrée. Ma bonté avait prévenule vœu de mon Parlement, en rappelant les personnes que j’avais jugé à propos d’éloigner. « La distribution des grâces et la discipline militaire sont des objets étrangers à mon Parlement. » Le 29, la chambre des vacations, entrée en exercice, a rendu un nouvel arrêt contre les attroupements et contre les actes qui. en avaient été la suite ; ordonnant de faire le procès aux auteurs et complices des désordres et excès commis depuis le 24 septembre dans diverses provinces , et ceux qui ont été arrêtés devant en conséquence être traduits aux prisons de la conciergerie du palais. (Nota. Nous parlerons ailleurs de ces mouvements qui eurent lieu à la fois dans tous les pays d’Étals). Pendant toute l’année 1788, il parut successivement un très-grand nombre d’édits pour régler l’organisation, la composition et les pouvoirs des diverses assemblées provinciales. Celles des pays d’Êtats, devant participer à la forme des anciens États et à celle des nouvelles assemblées qu’on établissait dans les provinces qui n’en avaient point encore, furent principalement l’objet de ces règlements : nous n’en rapporterons qu’un qui fera connaître l’esprit de tous. Arrêt du conseil d'Étai du roi, du 22 octobre 1788, portant règlement pour la nouvelle formation des États de la province du Dauphiné. ( Extrait des registres du conseil d' État.) Le roi, par l’arrêt de son conseil du 2 août, a ordonné qu’il se tiendrait, le 30 du même mois, dans la ville de Romans, une assemblée des trois ordres du Dauphiné, afin d’avoir leur vœu et de recevoir leurs mémoires sur une nouvelle formation des États de la provinee. Sa Majesté s’est fait rendre compte du projet qui a été adopté dans ladite assemblée ; elle a remarqué, avec une parfaite satisfaction, les vues sages et bien combinées qui ont été suivies pour, assurer la représentation [Inlrodhction.] des différentes parties de la province, et pour déterminer l’ordre des élections, leur renouvellement successif et l’organisation intérieure des États. Sa Majesté a approuvé, dans son entier et sans aucune modification, toute cette partie du plan arrêté dans l’assemblée de Romans ; mais elle a suspendu sa décision sur les dispositions qui, par leur importance, lui ont paru devoir être renvoyées à la délibération des États généraux ; et en apportant, “par d’autres considérations, quelques changements à un petit nombre d’articles, elle a voulu que ces motifs fussent parfaitement connus, et elle a autorisé ses commissaires à en donner communication aux trois ordres de la province, assemblés à Romans. Sa Majesté sera toujours disposée à écouter les observations qui tendront à éclairer sa justice, et qui pourront seconder le désir qu’eüe a de concourir à la satisfaction de-sa province du Dauphiné ; elle ne tiendra jamais irrévocablement qu’aux principes essentiels de l’ordre public, et aux dispositions qui seront fondées sur les lois de son royaume et sur les antiques usages de la monarchie. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport, le roi, étant ën son conseil, a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. Les États du Dauphiné seront formés par cent quarante-quatre représentants ou députés des trois ordres de la province , savoir : Vingt-quatre membres du clergé, quarante-huit delà noblesse, et soixante-douze du tiers-état. II. Nul ne pourra être admis aux États, ni voter pour la nomination des représentants, qu’il ne soit âgé de vingt-cinq ans accomplis, et domicilié dans le royaume ou dans le comtat d’Avignon ou Venaissin. III. Aucun membre des États ne pourra se faire représenter par procureur. IV. La représentation du clergé sera formée par trois archevêques ou évêques, trois commandeurs de Malte, sept députés des églises cathédrales , savoir : un de celle de Vienne, un de celle d'Em-bruu, un de celle de Grenoble, un de celle de Valence, un de celle de Gap, un de celle de Die, et un de celle de Saint-Paul-Trois-Châteaux ; cinq députés des églises, collégiales, savoir ; un de celle de Saint-Pierre et de Saint-Chef de Vienne, un de Saint-André de Grenoble, un de Saint-Bernard de Romans, un de celle de Grest, et un de celle de Montélimar ; deux curés propriétaires ; deux députés des abbés, prieurs commendataires, prieurs simples, chapelains et autres bénéficiers; un député des ordres et communautés régulières d’hommes, y compris celle des religieux hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu, à l'exception" néanmoins des religieux mendiants ; un député des abbayes et communautés régulières de filles, à l’exception des communautés, mendiantes, pris parmi le clergé séculier ou régulier de chacune desdites communautés. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 369 [1 re Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. V. L’élection des députés sera faite de la manière suivante : les archevêques ou évêques s’éliront entre eux ; les commandeurs de Malte seront nommés#par leurs chapitres, ceux des églises cathédrales et collégiales le seront également par leurs chapitres. Les curés seront choisis alternativement dans chaque diocèse, suivant l’ordre ci-après, savoir : Vienne et Embruu, Grenoble et Valence, Die et Gap, Saint-Paul-Trois-Ghâteaux et Vienne, et ainsi successivement. L’élection desdits curés se fera dans une assemblée formée d’un député de chaque archiprêtré, et tenue devant les évêques des diocèses en tour pour députer. VI. Les curés de la province dont les bénéfices dépendent de diocèses étrangers se réuniront, savoir : ceux du diocèse de Lyon au diocèse de Vienne, ceux du diocèse de Belley à celui de Grenoble, ceux des diocèses de Sisteron et de Vai-son à celui de Saint-Paul-Trois-Ghâteaux, et y enverront les députés de leur archiprêtré pour concourir aux élections. VII. Les deux députés des abbés et prieurs commendataires , prieurs simples, chapelains et autres bénéficiers, seront aussi choisis alternafi-vement dans chaque diocèse , suivant l’ordre prescrit par l’article V, et leur élection se fera dans une assemblée convoquée devant les évêques des diocèses qui seront en tour de députer, à laquelle seront appelés les abbés, prieurs et autres bénéficiers simples, dont les bénéfices situés dans la province seront dépendants de diocèses étrangers, en suivant l’ordre expliqué par l’article VI. VIII. Le député des ordres et communautés régulières d’hommes sera pris alternativement dans chaque diocèse, en commençant, par celui de Vienne, et en observant que les communautés régulières des diocèses d’Embrun et de Gap se réuniront à celui de Grenoble, pour ne former entre elles qu’un seul député; que celles des diocèses de Die et Saiqt-Paul-Trois-Châteaux se réuniront à celui de Valence. Leur élection sera faite dans une assemblée composée d’un député de chacune des communautés régulières, à laquelle sera appelé, dans l’ordre expliqué ci-dessus, un député des communautés régulières des diocèses étrangers, et qui sera tenue par-devant l’évêque du diocèse de la province en tour de députer. IX. Le représentant des communautés de filles sera élu alternativement dans chaque diocèse, suivant l’ordre expliqué par l’article V, et dans une assemblée formée par les députés du clergé séculier ou régulier de chacune desdites communautés, laquelle sera tenue devant l’évêque du diocèse en tour de députer. X. Les États s’occuperont le plus tôt possible de diviser la province en arrondissements ou districts, et d’y répartir les députés suivant les >* lre Série, T. Ier. [Introduction.] proportions qu’ils jugeront convenables; mais, pour la première convocation seulement, on suivra la division des ressorts des six élections, dans lesquelles les députés seront répartis de la manière ci-dessous indiquée, d’après les rapports combinés du nombre des feux, de celui des habitants et de la somme de leurs impositions. XI. La noblesse, pour l’élection de ses membres, s’assemblera par district devant un syndic qu’elle nommera dans chacun de ces districts ; elle répartira ses députés suivant les arrondissements qui seront formés par les États, et suivant la proportion qui sera par eux indiquée, en exécution de l’article ci-dessus : et en attendant cette formation les membres de cet ordre s’assembleront dans le chef-lieu des élections, et nommeront, par la voie du scrutin, onze députés pour le ressort de l’élection de Grenoble, douze pour celle de vienne, sept pour celle de Romans, cinq pour celle de Valence, six pour celle de Gap, et sept pour celle de Montélimar. Le procès-verbal de leur nomination sera envoyé au secrétaire des Etats, et l’on y inscrira le nom des quatre personnes qui auront réuni le plus de voix après les députés, dans l’ordre indiqué par la pluralité des suffrages. XII. Pour pouvoir être électeur dans l’ordre de la noblesse, il suffira d’avoir la noblesse acquise et transmissible, et de posséder une propriété dans le district. XIII. Pour être éligible dans le même ordre, il faudra faire preuve de quatre générations, faisant cent ans de noblesse, avoir la libre administration d’immeubles féodaux ou ruraux situés dans l’arrondissement, et soumis à cinquante livres d’impositions royales foncières, sans qu’il soit nécessaire d’y être domicilié. XIV. Aucun noble ne pourra être électeur ni éligible en deux districts à la fois. Le syndic de la noblesse de chaque district tiendra un rôle dans lequel se feront inscrire les membres de cet ordre qui pourront être électeurs ou éligibles, et cette inscription déterminera irrévocablement pour quatre ans le district dans lequel ils pourront élire ou être élus, sans qu’il soit permis, pendant cet intervalle, de se faire inscrire dans un autre, à moins qu’on ait cessé d’être propriétaire dans le premier. XV. Les maris dont les femmes auront des biens soumis à cinquante livres d’impositions royales foncières, pourront être électeurs et éligibles. Il en sera de même des veuves propriétaires, qui pourront se faire représenter par un de leurs enfants majeurs, en vertu d’une procuration, au moyen de laquelle ils seront électeurs ou éligibles. Les dispositions de cet article auront lieu pour le tiers état. XVI. Les ecclésiastiques et les nobles ne pourront être admis parmi les représentants du tiers U 370 [lre Série, T. I«r.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] état, ni assister aux assemblées qui seront tenues j II sera fait tous les deux ans, par les officiers pour nommer les députés de cet ordre. municipaux de chaque lieu, un rôle des élee-XVII. Lors de la première nomination des représentants du tiers état, le district de l’élection de Grenoble fournira dix-sept députés, celui de Vienne dix-huit, celui de Romans dix, celui de Valence sept, celui du Gap neuf, et celui de Mon-télimar onze ; dans lequel nombre seront compris lés députés des villes ci-après nommées, savoir trois pour la ville de Grenoble, deux pour chacune des villes de Vienne, Valence et Romans, et un* pour chacune des villes de Gap, Embrun, Briançon, Montélimar, Saint-Mareellin, Die, Grest et le Buis ; sauf aux états à régler définitivement quelles villes doivent avoir des députés particuliers, leur nombre et la réparti tien des députés des autres villes, bourgs et communautés pour chaque district. XVIII. Nul ne pourra être représentant de l’ordre du tiers dans les États, qu’il n’ait là libre administration de propriétés situées dans l’arrondissement où il devra être élu, et soumises -à cinquante livres d’impositions royales foncières, à l’exception du Briançonnais et de la vallée de Queyras, où il suffira de payer vingt-cinq livres d’impositions royales foncières, sans préjudice néanmoins des dispositions portées par l’article XV. XIX. Ne pourront être élus ceux qui sont chargés directement ou indirectement d’aucune adjudication ou entreprise d’ouvrage public aux frais de la province. XX. Aucune personne employée en qualité d’agent ou collecteur pour la levée des rentes, dîmes et droits seigneuriaux, ne pourra être élue tant qu’elle sera aux gages du seigneur ou propriétaire qui l’emploiera. XXI. A l’égard des fermiers que la délibération de Rassemblée exclurait des États pendant la durée de leur ferme, Sa Majesté ne pouvant point admettre sans réserve cette exclusion, même pour la première élection, veut qu’on puisse en élire un dans chacun des six districts qui partagent la province, sans que cette limitation doive être regardée comme définitivement établie; Sa Ma-.jesté se réservant de statuer, d’après une plus ample instruction, sur le droit que peuvent avoir tous les fermiers indistinctement d’être admis aux Etats, quand ils ont d’ailleurs les qualités requises. XXII. Le roi, ayant égard au vœu des trois ordres, permet provisoirement, et pour la première élection, qu’on ne puisse élire les subdélégués du commissaire départi, leurs commis et secrétaires, non plus que ceux qui exercent quelques charges, emplois ou commissions, médiates ou immédiates dans toutes les parties des finances de Sa'Majesté. XXIII. Dans l’ordre du tiers état, nul ne pourra être électeur ni éligible en-deux lieux à la fois* teurs et des éligibles. Lorsqu’on y aura été inscrit, on ne participera point aux élections qui Se feront dans d’autres communautés. On ne pourra être inscrit dans le rôle d’une autre communauté qu’après le terme de quatre ans, à moins que pendant cet intervalle on n’ait cessé d’être propriétaire dans la première. XXIV. Les villes qui auront des députés particuliers les enverront directement aux États, et les nommeront, par la voie du scrutin, dans leurs assemblées municipales, auxquelles seront appelés un syndic de chaque corporation du tiers état, et les propriétaires domiciliés du même ordre, payant; savoir : dans la ville de Grenoble quarante livres d’impositions royales foncières, vingt livres dans celles de Vienne, Valence et Romans, et dans les autres dix livres. XXV. Dans les autres lieux, même dans ceux qui sont régis par l’édit municipal, les communautés tiendront chacune des assemblées particulières aux formes ordinaires ; pourront néanmoins celles qui n’ont point de municipalité tenir leurs assemblées devant les consuls, en l’absence des châtelains. Ges assemblées seront indiquées;par affiches, huitaine à l’avance. Dans les communautés qui ont des corps municipaux, on convoquera les propriétaires payant dix livres d’impositions royales foncières, et dans les autres tous les propriétaires payant six livres. On convoquera également dans toutes les communautés les propriétaires forains qui, payant les mêmes charges, auront été inscrits dans le rôle des électeurs. XXVI. Dans lesdites assemblées, les communautés qui n’auront que cinq feux et au-dessous nommeront chacune un 'député, lequel se rendra au lieu destiné pour Rassemblée de l’arrondissement ; celles qui auront un plus grand nombre de feux nommeront un député par cinq feux, sans égard au nombre intermédiaire, sauf aux États à régler le nombre des députés des communautés, suivant une proportion plus juste, s’ils peuvent y parvenir. Les députés ne pourront être choisis que parmi les propriétaires domiciliés ou forains qui auront été inscrits dans les rôles des éligibles, et qui auront les qualités prescrites pour être élus aux États, sans qu’il soit nécessaire d’être présent à Rassemblée pour être élu. XXVII. Les États indiqueront les chefs-lieux d’arrondissement ailleurs que dans les villes qui ont des députés particuliers ; et pour la première convocation, les députés de l’élection de Grenoble se réuniront à Vizille ; ceux de l’élection de Vienne à Bourgoin ; ceux de l’élection de Romans à Beau-repaire ; ceux de l’élection de Valence àGhabeuil; ceux de l’élection de Gap à Ghorges ; et ceux de l’élection de Montélimar à Dieu-le-Fit. [1* Série, T. !•«■.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] XXVIII. Les députés des communautés, rassemblés dans le chef-lieu du district ou de l’arrondissement, éliront parmi eux, par la voie du scrutin, un président et un secrétaire. Ils nommeront également par la même voie ceux qui devront représenter le district aux États. Le procès-verbal de cette nomination sera envoyé au secrétaire des États, et l’on y inscrira le nom des six personnes qui auront réuni le plus de voix, après les députés élus dans l’ordre indiqué par la pluralité des suffrages. XXIX. Le roi fera convoquer les États chaque année au mois de novembre. Ils pourront, à la fin de chaque assemblée, exprimer leur vœu sur le lieu où devra se tenir l’assemblée de l’année suivante. XXX. Les députés des différents ordres, sans aucune distinction, recevront six livres par jour, sans que ce payement puisse continuer pendant plus de trente jours, y compris le temps nécessaire pour faire leur voyage, quand même la tenue des États serait prorogée au delà de ce terme. XXXI. Les États choisiront leurprésident parmi les membres du premier ou second ordre de la province, ayant les qualités requises pour être admis aux États, et ce président devra être agréé par Sa Majesté, Il sera élu au scrutin dans le cours de la quatrième année, pour entrer en fonctions l’année suivante • et celui des deux premiers ordres dans lequel le président aura été nommé aura un député de moins, le président devant être compté parmi les membres des États. XXXII. Les États nommeront deux procureurs généraux syndics, l’un pris dans le premier ou le second ordre, et l’autre dans celui du tiers. Ils choisiront dans ce dernier ordre un secrétaire qui ne fera point partie des cent quarante-quatre députés, sera révocable à volonté, et n’aura que voix instructive. XXXIII. Le roi autorise les États à choisir, pour les recettes et dépenses particulières de la province, un trésorier qui sera domicilié en Dauphiné, ainsi que ses cautions , il ne sera point membre des États,, et ne pourra y entrer que lorsqu’il sera appelé : il sera également révocable à volonté. �XXIV. Les États éliront parmi leurs membres deux personnes du clergé, quatre de la noblesse et six du tiers état, y compris les deux procureurs généraux syndics ; ces douze personnes, avec le secrétaire, formeront la commission intermédiaire ; les membres de cette commission seront choisis de manière qu’il s’y trouve des députés de chaque district. XXXY. Toutes les nominations seront faites par la voie du scrutin, et il sera repris jusqu’à ce que l’une des personnes désignées ait réuni plus de la moitié des suffrages. XXXVI. Pour seconder les travaux de la eom-8tl mission intermédiaire, les États pourront établir dans leurs arrondissements, de la manière qu’ils jugeront convenable, des correspondants qui seront choisis parmi les personnes députées aux États. XXXVII. La commission intermédiaire élira son président, par la voie du scrutin, dans l’un des deux premiers ordres. XXXVIII. Le président, soit des États, soit de la commission intermédiaire, sera remplacé en son absence, s’il est de l’ordre de l’Église, par le plus âgé des gentilshommes -, et s’il est de l’ordre de la noblesse, par celui qui se trouvera avoir la première séance dans l’ordre du clergé. XXXIX. La commission intermédiaire tiendra ses séances à Grenoble, sauf aux États à demander au roi qu’elle fût placée dans un autre lieu, si le bien du service l’exigeait. Les membres de cette commission ne pourront s’absenter sang une nécessité indispensable que pendant trois mois de l’année, de manière cependant qu’ils restent toujours au nombre de huit dans le lieu de son établissement, et les procureurs généraux syndics ne pourront jamais s’absenter tous deux à là fois. XL. La commission intermédiaire s’assemblera au moins Une fois par semaine ; mais le président pourra convoquer, et les syndics pourront requérir des assemblées plus fréquentes, toutes les fois que le bien du service leur paraîtra l’exiger, XLI. Lès membres de la commission intermédiaire ne pourront prendre aucune délibération qu’ils ne soient âü nombre de sept. XLII. Les membres des États resteront en place pour la première fois pendant quatre ans sans aucun changement ; et après ce terme il sera élu un nouveau président, et la moitié des députés, dans chaque ordre et dans chaque district, sortira par la voie du sort ; deux ans après l’autre moitié se retirera, et ensuite tous les deux ans la moitié sortira par ancienneté, de manière qu’à l’avenir aucun membre ne reste dans les États plus de quatre ans, à" �exception des procureurs généraux syndics, qui pourront être continués pâr une nouvelle élection pour quatre années seulement ; ils ne pourront néanmoins être changés tous les deux eù même temps ; et à cet effet, pottr la première fois, l’un des deux procureurs généraux syndics se retirera par le sort, à l’expiration des quatre premières années, et l’autre après Six ans. XLIII. Au premier changement de la moitié des membres des États, on fera sortir par la voie du sort un archevêque ou évêque, deux commandeurs de Malte, trois députés des églises cathédrales, trois députés des églises collégiales, un curé, un député des abbés, prieurs et autres bénéficiers simples, et un syndic des communautés régulières. Au second changement sortiront deux archevêques ou évêques, un commandeur [1« Série, T. I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 3l2 de Malte, quatre députés des églises cathédrales, deux députés des églises collégiales, un curé, un député des abbés, prieurs et bénéficiers simples, et un syndic des communautés régulières. XLIV. Nul ne pourra être élu de nouveau membre des États, qu après un intervalle de deux ans depuis qu’il en sera sorti. XLV. On fera connaître à temps ceux des membres des États qui par le sort auront été obligés de se retirer, afin que les divers corps du clergé, de la noblesse et du tiers état dans chaque district, puissent les remplacer; il en sera usé de même pour la commission intermédiaire, qui sera renouvelée par les États aux mêmes époques. XLY1. Lorsqu’il vaquera des places dans les États avant les époques où les membres doivent être renouvelés par moitié, les différents corps du clergé procéderont à de nouvelles élections, suivant les formes prescrites ; et quant aux dé pûtes de la noblesse et du tiers état, ils seront alors remplacés dans les divers districts par ceux qui, suivant le résultat du scrutin, auront, dans la nomination précédente, réuni le plus de suffrages après les personnes élues. Ceux qui seront admis à remplir les places ainsi vacantes ne pourront rester dans les États que jusqu’au terme où auraient dû en sortir les députés auxquels ils ont succédé, à. moins qu’ils ne soient élus de nouveau dans les assemblées de district. XLVII. Lorsque les places vaqueront de la même manière dans la commission intermédiaire, elle pourra y nommer des membres des États, pris dans le même ordre et dans le même district ; et, dans le cas où l’une des places des deux procureurs généraux syndics viendrait, à vaquer, elle pourra en confier les fonctions à l’un de ses membres, et ces différentes nominations n’auront lieu que jusqu’à la première convocation des États. XL VIII. Les États feront la répartition et assiette de toutes les impositions foncières et personnelles, tant de celles qui seront destinées pour le trésor royal, que de celles qui seront relatives aux besoins de la province. Ils ordonneront, sous l’autorité du roi, la confection de tous les chemins, ponts et chaussées, canaux, digues et autres ouvrages publics qui se feront aux frais de la province ; ils surveilleront l’exécution, et ils en passeront les adjudications par eux, ou par la commission intermédiaire, ou par autres délégués. XL1X. Les États seront chargés de la distribution des dégrèvements accordés par le roi; ils pourront arrêter, sous le bon plaisir de Sa Majesté, les récompenses, les indemnités et les encouragements qu’ils trouveront convenables pour l’agriculture, le commerce et les arts. L. Le roi autorise les États et la commission intermédiaire à vérifier les comptes des communautés, et à déterminer sur .leur requête les dépenses relatives aux réparations des églises, presbytères et autres dépenses particulières à chaque communauté, lorsqu’elles n’excéderont pas à la fois la somme de six cents livres. Pourront également les États ou la commission intermédiaire, permettre, jusqu’à concurrence de la même somme, telle levée de deniers ou imposition locale qui sera délibérée par chacune des communautés, pour acquitter les dépenses autorisées comme ci-dessus. Entend toutefois Sa Majesté que les États requerront son approbation sur la demande des communautés, lorsque les dépenses ou les impositions locales, dont elles solliciteront son autorisation, s’élèveront à une plus forte somme. LI. Les villes de la province qui auront à solliciter l’autorisation de quelques dépenses nouvelles, la création, l’augmentation ou la prorogation de quelques octrois ou de quelque autre imposition locale pour y subvenir, enverront leur requête à l’assemblée des États, ou à la commission intermédiaire, qui sera tenue de les adresser, avec son avis, au conseil. Sa Majesté se réserve de faire connaître ses intentions sur la vérification des comptes des villes, d’après les nouveaux éclaircissements qu’elle prendra à cet égard. LU. Le roi se réserve pareillement d’attribuer successivement aux États et à la commission intermédiaire la surveillance sur d’autres objets d’administration intérieure, et Sa Majesté autorise et invite lesdits États et leur commission intermédiaire à lui adresser dans toutes les circonstances telles représentations qu’ils jugeront utiles au bien de la province. LUI. Les États ne pourront faire aucun emprunt ni imposer aucune somme pour leurs affaires particulières, qu’après avoir obtenu la permission de Sa Majesté, et sous la condition qu’ils ne feront jamais aucun emprunt qu’en destinant préalablement les fonds nécessaires pour le payement des intérêts et le remboursement des capitaux, à des époques fixes et déterminées. LIV. Tous les ans, avant leur clôture, les États remettront à la commission intermédiaire une instruction sur les objets dont elle devra s’occuper, et de l’exécution desquels elle rendra compte lors de leur prochaine convocation. LV. La commission intermédiaire ne pourra prendre de délibérations que pour exécuter celles de la dernière assemblée des États, à l’exception des objets qu’il serait impossible de différer jusqu’à la première assemblée des États, et sous la réserve expresse de leur approbation. LYI. Dans les États et la commission intermédiaire, il ne pourra être pris de délibération que par les trois ordres réunis; pourra néanmoins l’un des ordres faire renvoyer jusqu’au jour suivant une délibération proposée. LVII. Les procureurs généraux synifcs pourront [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] présenter des requêtes, former des demandes devant tous juges compétents, et intervenir dans toutes les affaires qui pourraient intéresser la province, les communautés et les particuliers, après y avoir été autorisés par les États ou la commission intermédiaire. LVIII. Les États nommeront chaque année une commission particulière pour recevoir les comptes que le trésorier aura rendus à la commission intermédiaire, et pour examiner ceux qui ne l’auront pas été; et, d’après le rapport des commissaires, ils arrêteront tous les comptes de l’année. LIX. Le trésorier ne pourra disposer d’aucune somme sans un mandat exprès des États ou de la commission intermédiaire. LX. Le tableau de situation des fonds du pays, par recette et par dépense, l’état motivé et nominatif de la répartition des dégrèvements, ‘indemnités, gratifications, seront insérés dans les procès-verbaux des assemblées, et rendus publics chaque année par la voie de l’impression ; il en sera envoyé un exemplaire au conseil du roi ; pourront les États ou la commission intermédiaire en envoyer un exemplaire à chaque communauté, pour y être déposé dans ses archives. LXI. Les États fixeront le traitement du président, des autres officiers de la commission intermédiaire et des correspondants ; ils régleront les frais de bureau et autres dépenses nécessaires ; tous ces frais, après qu’ils auront été autorisés par Sa Majesté, seront supportés par les trois ordres. Et seront sur le présent arrêt expédiées toutes lettres à ce nécessaires. Fait au conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le vingt-deux octobre mil sept cent quatre-vingt huit. Signé De Loménie, Comte de Brienne. Au mois de juin 1788, la cour, espérant obtenir du clergé un don gratuit, convoqua une assemblée extraordinaire de prélats, de bénéficiers. Bientôt on vit celle-ci, effrayée comme les Parlements du projet de l’égalité de répartition de l’impôt territorial, rester sourde à la voix des besoins de l’État, pour ne s’occuper, comme les premiers, que de ce qui alarmait leur intérêt. Au lieu de fournir le don gratuit, qui eût pu combler une partie du déficit, ils firent de longues remontrances en faveur de leurs immunités contre la cour plénière et les édits bursaux de la cour. Nous allons en rapporter quelques-unes, qui serviront à faire connaître l’esprit de ce corps. Remontrances du clergé, présentées au roi le 15 juin 1788, Sire, en ordonnant la convocation d’une assemblée extraordinaire du clergé de France, Votre Majesté a pensé que la présence d'un plus grand nombre de députés ne pourrait que rendre plus so-373 lides et plus respectables les délibérations qui doivent tendre à resserrer les liens de tous les ordres de son royaume. Lorsque le premier ordre de l’État se trouve le seul qui puisse élever la voix, que le cri public le sollicite de porter les vœux de tous les autres au pied de votre trône, que l’intérêt national et son zèle pour votre service le commandent, il n’est plus glorieux de parler; il est honteux de se taire. Notre silence serait un de ces crimes dont la nation et la postérité ne voudraient jamais nous absoudre. Votre Majesté vient d’opérer dans le lit de justice du 8 mai un grand mouvement dans les choses et dans lés personnes; et le royaume s’est trouvé sans juges et sans tribunaux. La justice et la magistrature ont toujours été un objet important de considération pour les assemblées nationales, et nous avons de sages ordonnances rendues sur leurs représentations. Nous pouvions peut-être espérer que, si pareille révolution devait jamais s’effectuer, elle serait la suite, plutôt que le préliminaire des États généraux. Cet ébranlement général a été préparé avec un mystère qui ne paraissait réservé qu’aux opérations politiques et militaires. Telle est la constitution de ce ' royaume, que toutes les lois sont conçues dans le conseil privé du souverain, et sont ensuite vérifiées et publiées dans ses conseils publics et permanents. Les remontrances, les lenteurs et la liberté des cours sont une partie de leurs devoirs et de leur obéissance; et Votre Majesté, d’après toutes les anciennes ordonnances, ayant confirmé, dans son édit de 1774, le droit de faire des remontrances, s’est imposé personnellement le devoir de les entendre, parce que nous vivons dans un empire tempéré, qui se régit plutôt par des communications, des rapprochements et des conseils, que par des exécutions soudaines qui mettent la crainte à la place de la confiance et de l’amour. La volonté du* prince, qui n’a pas été éclairée par ses cours, peut être regardée -comme sa volonté momentanée ; elle n’acquiert cette majesté qui assure l’exécution et l’obéissance, que préalablement, selon le langage de nos prédécesseurs aux États de Blois, les motifs et les remontrances de vosdites cours n’aient été entendus en votre privé conseil. La constance des maximes, la gravité des conseils, la solennité des formes, et la soumission majestueuse des souverains eux-mêmes aux règles et aux lois, donnent aux empires une fondation stable, et aux lois un caractère sacré et immortel . Votre Majesté a rendu dans la même séance un édit portant rétablissement de la cour plénière: cette cour a rappelé un ancien nom, sans rappeler les anciennes idées. Quand même elle eût été autrefois le tribunal suprême de nos rois, elle ne présente point maintenant cette assemblée nom- [Ire Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 374 breuse de prélats, de barons, de féaux réunis ; la nation n’y voit qu’un tribunal de cour , dont elle craindrait toujours la complaisance, excepté peut-être dans les régences et les minorités, où elle redouterait ses mouvements et ses intrigues. L’édit annonce que l’unité de ce tribunal assurerait la promptitude de l’exécution; mais la promptitude n’est désirable qu’autant qu’elle ne peut jamais nuire à la maturité. L’unité d’un tribunal n’est elle-même un avantage qu’autant que l’uniformité des lois pourrait en être un. Il est essentiel que tous les pays observent les lois; maiq il ne l’est pas que tous les pays aient les mêmes, lois. La sagesse de l’administration consiste à mettre partout des liens et de l’harmonie, à rapprocher les extrêmes, à diriger vers le même but des instruments différents. La diversité de climats, de peuples, de mœurs et de régime décore un grand empire ; et les Romains, pour s’attacher les vaincus, avaient soin de leur laisser leurs coutumes et leurs lois. L’ancienne cour plénière pouvait être un tribunal unique, quand le royaume était resserré dans des bornes étroites. Les établissements royaux n’avaient de force et d'exécution que sur les terres du roi; les autres parties du royaume avaient une législation, des tribunaux et des souverains particuliers. La Normandie, la Guyenne, le Dauphiné, ■ la Provence, la Bretagne et tant d’autres pays, n’ont été réunis à la couronne qu’à certaines conditions, et la justice absolue, et des lois uniformes, deviendraient pour eux une injustice distributive. Si les nouvelles lois n’étaient pas vérifiées dans les mêmes lieux où les anciennes l’ont été et où elles sont mieux connues, qui pourrait garantir leur convenance avec les privilèges, les mœurs et les localités? Un seul membre ou quelques membres du Parlement, qui.ne seraient pas même choisis par lui, auraient-ils autant de lumières, .de zèle, de poids, que le corps ehtier, pour faire valoir tous les intérêts du ressort ? Nous avons vu l’influence d’une réclamation puissante dans le célèbre arrêt que Votre Majesté a rendu contre elle-même. Si les propriétaires des alluvions n’avaient eu pour défenseur qu’un membre isolé d’une cour générale, naturellement froide pour les intérêts éloignés, sa réclamation dans la cour plénière eût été étouffée, et la Guyenne livrée aux invasions du fisc. Les peuples pourraient-ils avoir dans ce tribunal, concentré dans la capitale ou à la suite de la cour, et plus près de toutes les séductions, la même confiance que dans des juges siégeant au milieu d’eux, et liés à leurs concitoyens par des intérêts communs? A quoi serviraient les pactes , les capitulations et; tpus les droits particuliers, qui sont cependant une. partie de notre droit public, s’ils étaient oubliés et confondus dans une législation générale? En vain l’édit paraît-il les respecter en donnant la liberté de faire des remontrances, et en distinguant les lois générales des particulières : la cour plénière par le fait n’en resterait pas moins l’arbitre de l’application de cette distinction et de l’exécution. Toutes les cours, par l’article 16 de l’édit, sont tenues d'ordonner la transcription et publication des lois registrées en la cour plénière , sauf à lui adresser ensuite leurs remontrances. Le droit ancien et naturel, consacré de nouveau dans l’édit de discipline de 1774, est de faire les représentations avant l’enregistrement, pour éclairer sur les inconvénients. Les droits particuliers seront ici provisoirement violés, et même pendant longtemps, parce que la cour plénière ne tenant ses séances qu’une partie de l’année, les réponses seront tardives, et pourra-t-on en espérer de favorables d’un tribunal toujours juge de ses propres jugements? Un génie fait pour éclairer les rois disait à votre auguste bisaïeul sur la fidélité aux capitulations : Qu'y aurait-il de sacré si une promesse si solennelle ne l'est pas ? C'est un contrat fait avec vos peuples pour se rendre vos sujets : commenceriez-vous par violer votre titre fondamental ? La nouvelle cour plénière, tribunal suprême en matière de législation, est aussi établie tribunal provisoire en matière d’impôts. Sous le premier rapport, elle intéresse le clergé de votre royaume, et les formes de l’enregistrement ne peuvent pas lui être indifférentes, puisque plusieurs de ses opérations sont appuyées sur des enregistrements ; mais il oublie ses propres intérêts pour ne s’occuper que de la cause nationale. La cour plénière, par l’article XII de l’édit, a le droit d’enregistrer tous les impôts; et c’est ici qu’il est important de fixer l’attention de Votre Majesté. Vos peuples ne demandent, Sire, pour obéir à votre volonté, que de la connaître. Il faut qu’elle leur soit annoncée dans toutes les formes régulières et solennelles. Puisse le ciel éloigner pour toujours tous les combats entre Votre Majesté et vos cours I Ainsi, quand toutes les remontrances sont faites, que toutes les formes sont épuisées, nous pensons que votre volonté réitérée et définitive doit être supérieure à toutes les volontés. Les erreurs ne pourront pas être dangereuses ni durables, parce que l’obéissance forcée des cours finira par être volontaire, ou le législateur finirait par se réformer lui-même. Mais il est un point sur lequel la nation a toujours réclamé invariablement son consentement et sa volonté libre : ce sont les impôts, parce que les impôts attaquent la propriété de chaque citoyen ; qu’ils tiennent à toutes les passions qui ont intérêt de les établir et de les perpétuer, et que le fisc veille sans cesse pour reculer ses bornes. [Ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Le droit de gouverner par votre sagesse et par votre puissance, de diriger le temps et les événements , d’assurer le bonheur et la paix au dedans, la considération au dehors, voilà l’apanage sublime de Votre Majesté ; mais porter le poids des charges, publiques, les acquitter à la sueur de leurs fronts, et vous offrir librement une partie de leurs veilles et de leurs travaux, voilà le partage de vos sujets. Donner leur consentement libre sur les subsides, et faire des remontrances, plaintes et doléances sur les autres objets : tel est le testament de leurs ancêtres, gravé dans tous nos monuments ; cet héritage est le seul garant de la prospérité publique, et votre puissance ne peut pas se donner un fondement plus stable. C’est sous le règne d’un prince ami de l’ordre et de l’économie, dont les passions n’ont rien coûté à ses sujets, que nous avons vu l’excès des impôts, des emprunts, et s’ouvrir un abîme mémorable à jamais dans notre histoire, Le peuple français n’est donc pas imposable à volonté, La propriété est un droit fondamental et sacré ; et cette vérité se trouve dans nos annales, quand même elle ne serait pas dans la justice et dans la nature. Les Francs étaient un peuple libre, qui comprenait si peu cette foule de tributs inventés par le fisc, à la décadence de l’empire romain, qu’il ne les faisait pas même lever dans les pays conquis. Les princes vivaient de leurs domaines et des présents qu’on leur faisait aux assemblées du champ de mars. Ce qui nous est parvenu, sur les revenus de Charlemagne et les détails domestiques du palais, est de la plus imposante simplicité. On voit dans les Etablissements de saint Louis que le roi ne pouvait pas étendre ses règlements sur les terres de ses barons, sans leur assentiment , ni, à plus forte raison, y lever des subsides. Lorsque, après les affranchissements, les privilèges accordés aux villes, aux communes, la nature humaine commença àreprendre sa dignité, et le peuple à se compter pour quelque chose, les trois ordres parurent dans les États généraux. Depuis Philippe le Bel on trouve dans une longue suite de règnes et d’ordonnances le langage uniforme que les subsides et les aides sont octroyés de la bonne volonté et grâce spéciale , par la liberté et courtoisie, qui ne peuvent tourner à préjudice ni servitude contre les sujets, ni à nouvel droit pour le souverain. Cette foule d'ordonnances sur la levée, l’emploi, le terme de ces secours gracieux , amiablement et bénignement octroyés , indique clairement que l’impôt est libre, passager, et mesuré sur les besoins publics. Depuis les premiers États généraux jusqu’à ceux d’Orléans et de Blois1, le principe ne se perd jamais de vue, que nulle imposition ne peut se le-ver sans assembler les trois états , et sam que les gens desdits états n’y consentent. Aux derniers États de Paris, le président Jean-nin, fidèle à l’ancienne doctrine, établit que la première fin de l'Assemblée est de représenter au prince les abus et les désordres ; la seconde, d’ouïr par les sujets la nécessité du prince pour être secouru et assisté des moyens nécessaires à supporter le pesant fardeau de l’Etat, Au milieu des troubles, de la confusion des pouvoirs, on remarque toujours de loin en loin deà lumières et des traces qui empêchent de s’égarer. N’y aurait-il que les droits de prescriptibles, et les infractions seraient-elles inviolables et sacrées ? Mais si l’on trouve des entreprises, des violations de droits, on trouve aussi des réclamations, des redressements, et même des remords. Philippe le Bel recommande à son fils de ne pas l’imiter; et le fils révoque tout ce qui était contraire aux anciens usages, coutumes et libertés, Louis XI lui-même exhorte le dauphin à remonter à l’ancien droit du royaume, de ne pas faire de levées sans l’octroi des peuples. Les États généraux de Tours ont soin d’exprimer qu’ils n’entendent pas que dorénavant on mette sus aucune somme de deniers sans leur vou-loir et consentement, en regardant et observant les privilèges et libertés de ce royaume , et que les nou-velletés et griefs et mauvaises inductions qui par ci-devant , puis certain temps , en ça ont été fai* tes , soient réparés. Tel est l’ancien droit du royaume, conservé tout entier dans les pays d’États. Le clergé, dans ses assemblées, en offre aussi les principes et les formes; il les a toujours réclamés, non pas seulement comme des exemptions particulières, mais comme J es restes des anciennes franchises nationales. Si ces franchises sont suspendues, elles ne sont pas détruites. Si les Parlements ont vérifié les lois bur sales, ils pouvaient avoir un titre apparent et coloré : la nation les avait appelés une forme des trois états raccourcis au petit pied. Quand elle n’est pas assemblée, les Parlements, qui ont veillé sur ces droits, méritent toute sa reconnaissance : ils la méritent encore, quand ils ont observé que la capitation, les vingtièmes et toutes les extensions bursales s’étaient introduits pendant leur exercice, et qu’il était temps enfin de déclarer leur incompétence, et de restituer leurs droits aux légitimes propriétaires. Substituer maintenant à des corps anciens, dépositaires des lois et de la confiance publique, une cour uniquo et dépendante, qui, sous une dénomination antique, présente une composition et une attribution nouvelles ; transporter en des mains étrangères les droits naturels de la nation qui ne les a jamais aliénés, c’est exciter des alarmes et une consternation qu’il est de notre devoir de déposer dans le sein paternel de Votre Majesté. [ i r® Série, T. I«] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 376 L’article XII de J’édit donne à la cour plénière le droit d’enregistrer les impôts provisoirement, et ne fixe ni la quotité ni le terme de la provision. Les impôts, de leur nature, ne peuvent être que provisoires et passagers : dès lors la cour plénière peut provisoirement épuiser toutes les ressources , et son pouvoir indéfini est aussi dangereux que s’il était absolu. Quand même la pio-vision aurait un terme, si le produit de l’impôt est affecté à des emprunts, il devient en conséquence le gage des prêteurs. La nation assemblée ne pourrait plus être passive ; il ne lui resterait que d’adopter tous les impôts anciens, et peut-être d’en chercher de nouveaux, s’il y avait des dépenses ou des dettes non fondées; autrement ce serait compromettre les sujets avec le souverain, car des impôts, hypothéqués d’avance aux créanciers, des dépenses faites, des comptes à solder, ne peuvent plus se discuter aussi amiablement que des projets d’impôts et des dépenses. De la combinaison des article XII et XIII naissent les plus fâcheuses conséquences. L’articleXIII n’assujettit les emprunts qu’à l’enregistrement à la chambre des comptes, pour ce qui concerne la comptabilité , quand les intérêts et les rembourse-ments pourront être affectés sur les revenus actuels , et par l'effet de leur administration. Cette administration, libre et indépendante, peut employer autrement ses revenus, consommer le gage affecté aux prêteurs ; et de là résulteraient ces autres circonstances extraordinaires , où l’article XII autorise les impôts provisoires pour satisfaire aux besoins pressants de F Etat, ou aux intérêts et remboursements d'emprunts . L’article XIII paraît considérer les revenus actuels comme permanents, et pouvant, quand ils sont libres, s’affecter à des emprunt nouveaux. Mais quand les revenus provenant des impôts sont libres, ils ne peuvent être traités comme les revenus provenant des domaines, et ils doivent cesser quand le besoin cesse, parce qu’ils appartiennent au peuple et doivent tourner à son soulagement. Que conclure donc delà facilitédes emprunts et .des impôts provisoires, sinon qu’il n’y a plus de termes ni aux uns ni aux autres ? Loin d’affranchir les emprunts des formes rigoureuses, il se-semit digne d’une sage prévoyance d’en inventer de plus de sévères encore contre une méthode dont la facilité augmente les dangers, car les impôts s’établissent au grand jour, mais les emprunts, les anticipations, les affaires se taisent et se cachent. Qui pouvait se douter de ce fatal secret découvert dans l’Assemblée des notables, pendant que les édits annonçaient solennellement qu’une libération toujours désirée, souvent entreprise, et jamais effectuée , allait enfin s’opérer? Nous n’avons pas à craindre ce retour désastreux sous l’administration présente ; mais l’avenir effraie, et dès que le danger est dans la loi, rien ne peut rassurer. Puisque le besoin autorise les impôts provisoires, le besoin devient comme un filet qui s’étend aisément, et qui embrasse toutes les propriétés. Dès que le besoin n’appelle plus les États généraux, les États généraux s’éloignent et s’oublient ; et la nation retombe dans ce cercle ancien et uniforme de rares économies et de fréquentes dissipations. Pourquoi d’ailleurs ne l’assemblerait-on que pour lui annoncer de grands maux, et lui demander des remèdes ? Elle pourrait toujours se réunir, ne fût-ce que pour voir le tableau fidèle et consolant de la prospériété publique. Que ces assemblées seraient surtout utiles, si elles pouvaient être rapprochées etpériodiques ! Alors éclateraient la confiance réciproque et tout le dévouement de vos sujets : Votre Majesté a tant de droits sur eux I Elle se montrera avec des réformes, des économies austères, des comptes rendus avec simplicité et avec des conseils pour toutes les branches de l’administration. Sans les assemblées nationales, le bien du règne le plus long ne peut être qu’un bien passager : la prospérité d’un empire repose sur une seule tête. Dans notre antique monarchie, qu’avons-nous à citer? Quelques hommes et quelques années éparses ; et, quand il s’agit d’empires et de siècles, que sont quelques hommes, quelques années? Toutes les annales du monde nous apprennent que c’est dans le désordre des finances et la misère publique que les cœurs se refroidissent et que les trônes s’ébranlent. Les économies de Sully ét les trésors de Henri IV furent dévorés en peu de moments. Hélas ! nous travaillons en vain, il perdra, tout, disait en soupirant sur son successeur ce bon roi, qui mérita le nom de père de son peuple. Les bienfaits des amis du genre humain ne sont pas plus durables qu’eux ; mais Votre Majesté peut s’ouvrir une nouvelle carrière. Il est digne d’elle de se prolonger dans l’avenir et de régner sur la postérité. C’est à votre cœur que nous demandons des remparts tutélaires ; et en sollicitant pour votre royaume, nous plaidons encore plus pour votre puissance et pour votre grandeur. Vos États sont vastes et vos armées nombreuses ; mais, sans des finances et des affaires ordonnées, tout devient impuissant. Assemblez la nation, et vous serez invincible ; vos armes et votre médiation seront les sûrs garants de la paix universelle ; l’amour de votre peuple pour votre personne et l’esprit national sont d’inépuisables sentiments. Rien n’est jamais perdu, parce que l’honneur lui reste, et Votre Majesté trouvera au milieu des États généraux des sujets fidèles, animés de cette fierté antique qui ne voulait jamais après une défaite entendre parler de paix. Charlemagne, malgré ses conquêtes et ses courses rapides de l’Elbe aux Pyrénées, tenait ces as- [l�e Série, T. I**.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Inlroduction.] semblées féquentes et célèbres, où, se posaient les fondements de notre police ecclésiastique et civile. Que Votre Majesté parcoure les monuments des assemblées nationales ; elle y trouvera des vues d’ordre et de sagesse qui feraient honte aux prétendues lumières de ce siècle. Si elles n’ont pas produit des effets plus heureux, c’est qu'elles ont été convoquées rarement, tenues avec défiance, et séparées sans précaution. Mais les éloigner ou les craindre, les calomnier comme ennemies de votre autorité, c’est, au témoignage d’un judicieux historien, commettre un crime envers Dieu, le roi et la chose publique. Il pouvait les juger, puisqu’il avait vu les États généraux de Tours témoigner dans les plus sensibles expressions qu’ils seront prêts et appareillés de cœur , corps , voulenté et courage, sans y rien espargnier, en façon et manière que le roi , notre souverain seigneur , aura cause de soi contenter , de son bon et loyal peuple. Ce même auteur, qui n’avait pas sans doute appris à la cour de Louis XI à dissimuler la vérité; pensait que notre roi est le seigneur du monde qui devait le moins dire : J’ai privilège de lever , sur mes sujets ce qui me plaît , car ne lui , ni autre l'a. Il pensait au contraire que ceux qui veulent le louer et l’agrandir devaient lui prêter cet autre langage : J'ai des sujets si bons et si loyaux , qu’ils ne me refusent chose que je leur sache demander , et suis plus craint , obéi et servi de mes sujets que nul autre prince qui vive sur la terre, et qui plus patiemment endurent tous maux et toutes rudesses, et à qui moins il souvient de leurs dommages passés. A Dieu ne plaise, Sire, que les évêques de votre royaume puissent jamais souffrir qu’on veuille diminuer l’éclat de votre couronne! Ils portent tous dans leur cœur le serment qu’ils vous ont prêté : la reconnaissance est pour eux un devoir religieux ; ils ne travaillent qu’à vous faire régner dans les cœurs et dans les consciences. Eh ! dans quel lieu votre autorité pourrait-elle avoir plus de défenseurs que dans nos assemblées? Le trône et l’autel reposent sur les mêmes bases et n’ont que les mêmes ennemis. Nous détestons cet esprit turbulent du siècle qui va chercher des maximes étrangères, inapplicables aux lieux, aux mœurs et à nos lois. Les réformateurs sans doctrine ni expérience, les imitateurs serviles de tous les usages frivoles, sont pour nous dans la même classe, parce qu’ils n’ont tous que le même esprit. Nous sommes Français, Sire, et nous sommes monarchiques ; nous ne connaissons pas de plus beaux titres, et l’amour pour nos rois est le premier d�nos sentiments ; ils exercent un ministère dont la fin, selon l’oracle du dernier siècle, est la gloire de Dieu et le bonheur des peuples. Le ciel les fait régner et sur nous et pour nous, et notre félicité est un devoir dont fis lui rendront un jour 377 un compte rigoureux. Voilà ce que la religion consacre et récompense : mais la nature l’enseigne jusque dans le fond des montagnes et des forêts. Si tu es un Dieu , disait un peuple barbare à un célèbre conquérant, tu dois faire du bien aux hommes . Nos fonctions sont sacrées, lorsque nous montons à l’autel pour faire descendre les bénédictions célestes sur les rois et sur leurs royaumes ; elles le sont encore, lorsque, après avoir annoncé aux peuples leurs devoirs, nous leur représentons leurs droits; lorsque nous portons la vérité au pied du trône, et qu’en sollicitant pour les affligés et pour les absents privés de leur état ou de leur liberté, nous réclamons la justice du prince. De saints pontifes ont tant de fois intercédé pour leur peuple et fléchi des conquérants, des rois, des empereurs ! N’aurions-nous pas aujourd’hui cette tendre sollicitude pour cette nation chrétienne et catholique qui, depuis tant de siècles, se plaît à respecter l’Église et ses ministres? Le clergé de votre royaume vous tend des mains supliantes : il est beau et touchant de voir la force et la puissance céder à la prière. Quelques provinces ont déjà fait entendre leurs réclamations, et Votre Majesté les a reçues avec bonté. Le clergé de France a cru devoir au bien de votre service et à la gloire de votre règne un témoignage éclatant de zèle et de fidélité. Les tribunaux sont dans le silence et dans l'éloignement. Daignez, Sire, leur rendre une activité sans laquelle la religion du législateur ne peut être éclairée : ne vous privez pas plus longtemps de leurs lumières, et ouvrez à leurs voix tous les accès du trône : il ne vous restera plus alors que d’entendre la_ voix de la nation. Recevez, Sire, par notre bouche, ses immortelles actions de grâces, pour lui avoir promis ses anciennes assemblées. La restauration de l’ordre et de la paix rend ce bienfait nécessaire : plus il sera prompt, plus il sera utile; plus tôt vous serez proclamé l’ami du genre humain, le bienfaiteur des générations présentes et futures, plus tôt vous recevrez le dévouement entier de votre peuple. Les maux sont grands, mais les remèdes le sont encore plus, car la gloire de Votre Majesté n’est pas d’être roi de France, mais d’être roi des Français ; et le cœur de vos sujets est le plus beau de vos domaines. Remontrances du clergé, présentées au roi, le dimanche 15 juin 1788, sur les droits, franchises et immunités du clergé. Le clergé de France, assemblé par la permission de Votre Majesté, est forcé de réclamer au pied du trône la conservation de ses immunités, droits et franchises, la liberté de ses dons, la stabilité de son administration. Qu’il nous soit permis de mettre sous les yeux 378 de Votre Majesté la nature et les titres de nos immunités; l’usage que nous avons fait de la liberté de nos dons et de notre administration ; les attaques contre lesquelles nous Sommes forcés de réclamer, et les actes de protection que nous osons attendre de votre bonté et de votre justice. Nos immunités prennent leur source dans la consécration, la destination et l’affranchissement primitif de üos biens ; ces biens sont voués, consacrés à Dieu, avec exemption de toute charge étrangère à leur destination. Ils sont destinés à la décence du culte divin, à la subsistance des ministres de la religion, à la nourriture des pauvret C’est pour remplir ces vœux et ces charges que les biens du clergé, par un consentement irrévocable des rois et de la nation, depuis l’origine de la monarchie, ont été réputés hors de commerce, sont frappés d’une substitution perpétuelle, forment un domaine inaliénable et sacré. Les ministres de la religion sont établis par l’Église, et reconnus dans l’État gardiens et dispensateurs des biens consacrés à Dieu, pour les employer à leur destination. Lorsque les besoins de l’État paraissent exiger des secours auxquels le clergé - peut contribuer, il règle lui-même ceux qu’il doit offrir à l’État, sans faire un trop grand préjudice à la destination essentielle des biens de l’Église (1). . Son amour pour la patrie , disaient, Sire, nos prédécesseurs à votre auguste aïeul, deviendrait criminelle s'il en suivait les mouvements aux dépens du fonds du dépôt qui lui est confié. Nos dons ne sont permis qu'autant qu'ils seront libres et volontaires (2). Nous oserons dire à un maître dont la magnificence égale la puissance : Notre conscience et notre honneur ne nous permettent pas de consentir à voir changer en tribut nécessaire ce qui ne peut être que l 'offrande de notre amour. Ce langage est dicté par les décisions et les maximes, non-seulement des conciles et des assemblées ecclésiastiques depuis Clovis jusqu’à nous, mais encore des anciennes assemblées de la nation, des États généraux, des cours et des magistrats, et par le concert unanime des lois canoniques et civiles. Cette immunité des biens consacrés à Dieu, cette liberté de nos dons et de notre administration, sont entièrement conformes à l’ancien droit des Francs, dans lequel le clergé s’est toujours maintenu. La franchise naturelle des propriétés ne se bornait pas aux* seuls biens consacrés à Dieu dans la main des ministres de la religion. Les autres citoyens, après avoir rempli leurs charges fixes (1) Assemblée de 1725. (2) Assemblée de 1750. {Introduction.] et les services de leur condition personnelle, n’étaient soumis à aucun impôt extraordinaire que de leur libre consentement. Telle est encore la possession actuelle des pays d’États. Non-seulement la noblesse, mais encore les membres du tiers état ne peuvent y être assujettis au payement des impositions, si elles n’ont été librement consenties par leurs représentants, qui seuls accordent, abondent et répartissent les impositions, sans l’intervention d’aucune main étrangère à leur administration. L’ordre dii clergé a conservé, sous sa propre inspection, son administration personnelle, séparée de celle des autres ordres. Il se réunit comme le premier corps de l’État dans les assemblés du clergé de France ; et lorsque ces assemblées, conformément aux pouvoirs donnés par leurs commettants, délibèrent sur les objets de notre administration temporelle, elles sont, à l’égard des membres du clergé*, dispersés dans les seize provinces, ce que sont dans les pays qui ont conservé leur constitution primitive, les assemblées d’États pour les membres de la noblesse et du tiers. Sire, Votre Majesté, sûre du cœur des Français, le plus précieux etleplus inépuisable de tous leurs biens, connaît le prix de régner sur un peuple libre. Elle en recevra l’hommage le plus digne d’elle, lorsque le corps entier de la nation se trouvera réuni sous ses yeux. Le premier ordre de vos sujets présentera alors au pied de votre trône tous les droits qu’il réclame; il les rappellera avec d’autant plus de satisfaction et de confiance, que ses principales prérogatives dans l’État sont conformes aux anciens droits de la nation. * La nation applaudira aux lois récentes de nos derniers rois ; elle applaudira avec nous à celles •qui sont émanées de Votre Majesté pour reconnaître authentiquement les immunités , franchises, libertés et exemptions du clergé . Louis XIV, que la postérité n’accusera jamais d’avoir altéré les droits de l’autorité royale, a déclaré solennellement le 27 octobre 1711 -.que tous les biens ecclésiastiques des bénéficiers, des communautés séculières et régulières de l'un et de l'autre sexe, des fabriques, des fondations, des confréries , des hôpitaux , n’ont été et n’ont pu être compris dans la déclaration du octobre 1710 pour l'établissement du dixième, voulant Sa Majesté que tous les biens qui appartiennent actuellement à UÉglise... en demeurent exempts à perpétuité, tant pour le passé que pour l'avenir, sans qu’ils puissent jamais y être assujettis pour quelque cause et occasion que ce soit et puisse être, sans aucune exception ni réserve, tel événement qui puisse arriver. La déclaration du 8 octobre 1726, sous le dernier règne, a établi les mêmes principes. Louis XV [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 379 [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.] y prononce en termes exprès : que les biens ecclésiastiques n'ont pu être compris dans la déclaration du 5 juin 1 725, pour la levée du cinquantième; qu'ils en seront exempts à perpétuité , et de toutes autres taxes , impositions et levées , sjms . qu'ils puissent jamais y être assujettis... comme ne pouvant lesdits biens ecclésiastiques y être jamais compris, et sans qu’il soit besoin d'obtenir d’autre déclaration ou décharges que les présentes. Le même roi déclare qu’il veut suivre en faveur des biens , droits , franchises et immunités appartenants à l'Église, les exemples de piété et de justice de ses prédécesseurs, et qu-il envisage comme une obligation essentielle de donner une singulière attention à ce que les immunités attachées aux biens ecclésiastiques soient inviolable-ment conservées, et qu’à l’avenir on ne puisse, sous quelque prétexte que ce soit, leur porter aucune atteinte (1). Ainsi nos souverains, par des paroles dignes de la majesté du prince qui se reconnaît soumis aux lois, rendent hommage, pour eux et pour leurs successeurs, aux devoirs essentiels que la piété et la justice leur prescrivent, et montrent eux-mêmes les bornes où s’arrête leur autorité. Les droits, franchises et immunités du clergé reposent donc sur des fondements inébranlables. Ils existaient avant la monarchie, ils se sont consolidés avec elle; possession perpétuelle qu’une longue suite de siècles nous a transmise, et qui a triomphé de toutes les contradictions; restes précieux du droit commun delà nation, conservés par le clergé, par les serments solennels de nos rois dans l’auguste cérémonie de leur sacre; engagements authentiques et mille fois renouvelés, reconnus successivement par la nation aux époques des États généraux, et par tous nos� souverains, Quelle base plu3 solide pourrait assurer la propriété, l’ordre, la stabilité des biens, des conditions, du repos des citoyens, l'inaliénabilité du domaine de la couronne, les droits de la pairie, la constitution des provinces régies en pays d’É-tats, et celle de tout le royaume I Plaise à Dieu de conserver toujours à la France cette antique constitution qui, par la force de son esprit, supérieure à la révolution des temps et à la licence des opinions, a porté le royaume au plus haut degré de splendeur! S’il en pouvait déchoir, ce serait par les illusions de cette philosophie téméraire qui depuis longtemps semble avoir entrepris de vouloir donner de nouvelles lois au monde; qui voudrait tout détruire dans l’ordre politique, comme dans celui de la religion, sous prétexte de tout réformer, et qui professe hautement l’opposition à toutes les anciennes maximes. Celles du royaume ne permet-(I) L. Digna de legibus. tent pas qu’on y substitue la confusion, le désordre d’une fausse égalité, aux distinctions, aux prérogatives établies dans l’État et qui en forment les ressorts. L’heureuse constitution de la France assurera toujours au monarque la plénitude de son autorité souveraine; à la nation qui aime le plus ses rois, la gloire et le bonheur de son obéissance ; à tous les ordres de l’État, leurs droits et leur liberté légitime. Sire, le clergé de votre royaume peut assurer avec confiance que dans l’exercice de ses droits et de ses immunités il n’a jamais perdu de vue le bien de votre service et celui de l’État. Sous quel règne a-t-il pu espérer d’être maintenu plus paisiblement dans son ancienne possession, et de recevoir des marques plus constantes des bontés et de la protection de son souverain ? Votre Majesté a daigné lui en donner les plus fortes assurances. Depuis que nous avons, Sire, le bonheur de vivre sous vos lois, quatre procès-verbaux de nos assemblées conservent les témoignages honorables de votre satisfaction. Les trois dernières assemblées du clergé, tenues depuis 1780, ont fait verser au trésor royal 64 mi-lions dans l’espace de cinq années. Le clergé acquitte sur ses impositions l’intérêt de tous les emprunts faits à cette occasion, et ajoute seulement à sa caisse d’amortissement les sommes annuelles que Votre Majesté lui a assurées, d’un milion en 1780 pour quatorze ans, et de quinze cent mille livres pour vingt ans en 1782, y compris les cinq cent mille livres qui ont commencé en 1748. - Une de ces trois assemblées, celle de 1782, n’a été provoquée que par le vœu d’un zèle national. Le clergé désira, comme une grâce, qu’il lui fût permis d’offrir, pour réparer les pertes de la ma-� rine, un secours que Votre Majesté ne demandait pas. Tous les autres secours qu’elle a fait demander aux autres assemblées ont été accordés avec em~* pressement. Dans le cours de Ces cinq années, la masse des impositions annuelles a été augmentée de plus d’un dixième; à la charge des contribuables du clergé. La division de tous les contribuables du clergé, comme membres d’une grande famille, en plusieurs classes, n’offre un plan compliqué, en apparence, que pour rendre l’imposition plus conforme aux premières et simples notions de la justice distributive. Les besoins comme les services ne sont comptés pour rien dans toutes les administration fiscales qui ne connaissent que l’inflexibilité de leurs règles arithmétiques. Dans le clergé, les besoins, les services -des différentes classes se réunissent et se combinent avec l’estimation du revenu réel, [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 380 pour former la mesure des répartitions des charges. Le régime économe et paternel de nos impositions a mérité d’être cité comme un modèle. Nous osons dire que l’administration de nos finances le mérite aussi. Le clergé n’emprunte jamais, sans faire le fonds d’amortissement des capitaux, en même temps que celui des arrérages. Il procède sans relâche à cet amortissement, non-seulement pour les rentes à 5, 4 1/2 et 4 p. 0/o, mais encore pour celles à 2 p. 0/o Le créanciers originaires au denier cinquante sont appelés successivement à recevoir le capital entier de leur rente, suivant le tableau imprimé qui a fixé en 1766 l’ordre de ces remboursements. A l'égard des rentes plus onéreuses, le clergé ne se contente pas d’en assurer le remboursement. Il l’accélère encore sur les fonds qu’on lui présente à 4 p. 0/o. Jamais il n’applique à la décharge des contribuables le bénéfice résultant de la conversion des rentes à un denier plus avantageux. Ce bénéfice, qui a été très-considérable depuis 1761, a toujours été versé dans la caisse de libération des dettes du clergé. Dans les lettres de convocation de notre assemblée, Votre Majesté reconnaît que les dettes du clergé ont été contractées pour le bien de son service. L’immensité des demandes du gouvernement a réduit le clergé à l’impossibilité d'y satisfaire par la voie d’imposition, comme autrefois, dans le cours d’une année, ou du moins dans l’intervalle d’une assemblée à l’autre. C’est le gouvernement qui a dicté au clergé la voie d’anticipation des secours, par emprunt, à intérêt pour une longue suite d’années. Mais alors le payement entier des arrérages et le remboursement au moins d’une partie des capitaux ont toujours été fondés sur le produit de nos impositions. La marche graduelle de ces remboursements n’aurait-elle pas plusieurs fois atteint le terme marqué pour la libération du clergé, si le gouvernement ne l’eût pas retardée par ses demandes multipliées? Pour y satisfaire, il a fallu redoubler les anticipations et allonger les progressions et les charges du clergé. La sage économie-du clergé, en réduisant à 4 p. ü/o l’intérêt d’une grande partie des sommes anticipées, a fourni les anticipations les moins onéreuses à l’État. Le gouvernement même, voulant ménager et étendre cette ressource, nous a proposé, depuis quarante ans, d’ajouter de ses propres fonds, pour un temps déterminé, à notre caisse de libération. Le clergé, voulant toujours fournir de ses deniers une portion considérable de ses remboursements, s’est même refusé à de plus grands secours offerts par le gouvernement. Dans l’administration générale des" finances de l’État, les anticipations qui sont l’emploi présent des ‘revenus futurs peuvent être utiles pour des besoins imprévus et urgents. Si les avantages et la facilité de cette ressource ont tourné en abus, on ne peut imputer cet abus au clergé. La somme de nos dons et la forme de leur distribution en plusieurs années, par la voie d’anticipation ; nos emprunts , nos remboursements, les progressions et les termes de notre libération, nos impositions et leur accroissement : toutes ces mesures ont été excitées, dirigées, approuvées par le gouvernement ; tout a été autorisé par des lettres patentes enregistrées ; tout a été et est encore ponctuellement exécuté par le clergé. Ce corps, si exact observateur des formes légales, si fidèle à ses engagements, si sûr de la confiance de ses créanciers, a été, Sire, en votre présence, l’année dernière, menacé tout à la fois et de perdre ses immunités, et de se voir contraint à la vente d’une partie de ses biens. Si depuis cette attaque aussi affligeante qu’inattendue, nous paraissons rassurés sur la conservation de nos biens, nous sommes encore livrés aux plus vives alarmes sur l’objet également sacré de nos immunités, droits et franchises. Le principe destructif de nos immunités a été clairement annoncé dans le mémoire présenté à l’assemblée des notables, sur le remboursement des dettes du clergé. Suivant les termes de ce mémoire, « lorsqu’une imposition est acquittée par la noblesse et la magistrature, le clergé, quels que soient ses usages, ne peut s’en croire exempt. « Il n’est pas seulement nécessaire que ses possessions territoriales soient soumises au même impôt que celles de tous les autres citoyens ; il convient aussi qu’elles le soient de la même manière, et que, dans là répartition, il n’existe aucune différence entre ses biens et ceux des autres contribuables. » Le clergé, Sire, a la douleur de voir ses immunités perpétuellement menacées par suite des mêmes principes. Combien n’a-t-il pas redouté de les voir anéanties par l’exécution de l’édit du mois d’août 1787, portant établissement d’une subvention territoriale dans tout le royaume, si cette loi eût subsisté ! Elle ne dénommait pas expressément le clergé, mais tout faisait craindre que la généralité des expressions qui semblait l’envelopper ne renfermât le projet de l’assujettir à la subvention territoriale. L’édit du mois de septembre 1787, qui a révoqué celui de la subvention territoriale et rétabli 381 [lre Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] les deux vingtièmes, présente aussi, sans toutefois nommer le clergé, une généralité d’expression infiniment alarmante pour ses immunités. A quoi sont-elles réduites, ainsi que la stabilité de notre administration, lorsqu’on examine, soit les paroles de l’instruction adressée au nom de Votre Majesté à quelques pays d’États et à toutes les assemblées provinciales, soit les suites qu’on a prétendu donner à cette instruction? L’article concernant le clergé pour l’exécution du dernier édit des vingtièmes s’exprime ainsi : « Les détails mis sous les yeux de Sa Majesté l’ayant convaincue que la forme de répartition adoptée, quant à présent, par le clergé, pour celle du don gratuit, était avantageuse aux curés et ecclésiastiques pauvres, Sa Majesté a jugé de sa sagesse de ne point ôter à ce premier corps de l’État ses formes anciennes ; mais elle veut que les revenus qui appartiennent au clergé soient aussi portés sur les rôles des vingtièmes, afin que, quoique énoncés pour mémoire, on puisse cependant connaître la juste proportion de ce que ces biens pourraient payer, à raison de leurs revenus, par comparaison avec les autres propriétés foncières du royaume, y compris ceux du propre domaine de Sa Majesté. » ' Serait-ce donc uniquement par la considération de l’avantage que les curés et ecclésiastiques pauvres retirent de la forme de répartition adoptée, quant à présent, par le clergé, qu’on n’aurait point ôté à ce premier corps de l’État ses formes anciennes? Sans cette considération, les lois les plus sacrées de la propriété seraient donc insuffisantes pour préserver le clergé delà perte de ses immunités ? Quoique cette instruction ait employé le terme de don gratuit, elle paraît réduire ses immunités à la seule forme de répartition. Nous dirons, avec l’assemblée de 1750, « qu’on affecte de confondre les biens ecclésiastiques avec les biens laïques. On veut faire entendre que nos biens sont également engagés aux dettes et aux charges de l’État et qu’ils ne sont que plus particulièrement hypothéqués aux dettes du clergé ; ce qui est entièrement contraire à la nature et à la destination des biens ecclésiastiques. « Qu’il a paru qu’on voulait réduire les immunités ecclésiastiques au seul usage de faire la répartition des secours offerts au roi. » Nous ajouterons, avec la même assemblée, qu’on attaque directement la liberté de nos dons, en affectant de rendre nos immunités dépendantes de la concession des souverains. Rien n’est plus dans le genre d’une simple concession des souverains révocable à leur volonté, que ce qui ne subsiste que par. des considérations de leur sagesse. Ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire suivant leur sagesse est à leur disposition libre; ils se déterminent alors par les circonstances particulières du temps, des lieux, des personnes. Les souverains peuvent renfermer en eux -mêmes les vues profondes et quelquefois arbitraires de leur sagesse. La justice au contraire est publique, perpétuelle, universelle, la première dette des souverains : le droit d’y recourir appartient à tous les sujets. Le premier ordre de l’État doit la réclamer, pour être rassuré, par un titre authentique, contre une attaque aussi effrayante pour sa constitution. 11 voit avec douleur qu’on suppose ouvertement dans la main du prince le droit de lui ôter ses formes anciennes, puisque cette expression de formes est la seule qu’on affecte d’employer aujourd’hui pour caractériser ses droits, franchises et immunités si disertement énoncées et reconnues dans toute notre législation. Nous osons, Sire, rappeler à Votre Majesté, que les rois vos prédécesseurs ont solennellement déclaré que l’obligation essentielle de maintenir les immunités et de les protéger était un devoir de justice. Les suites qu’on a données à cette instruction n’ont que trop justifié les craintes du clergé. Les revenus ecclésiastiques se trouvent portés, avec ceux de tous les autres contribuables, dans un rôle d’imposition absolument étranger au clergé. La confection, la direction, l’exécution de ce rôle où l’on veut que le clergé soit compris, dépendent d'une autorité qu’il ne peut reconnaître.; mais l’administration temporelle du clergé et la taxation de ses contribuables ne sont-elles pas uniquement et privativement confiées aux chambres ecclésiastiques de chaque diocèse, sous le ressort des chambres souveraines, conformément aux règlements et instructions des assemblées générales? Telles sont les maximes de notre droit public, reconnues dans tous les tribunaux, établies dans les lettres patentes de nos rois, et renouvelées dans les contrats de toutes nos assemblées. Les alarmes du clergé sur une pareille innovation ne peuvent être calmées par la clause de l’instruction, qui porte que les revenus du clergé ne seront énoncés que pour mémoire dans les rôles des administrations provinciales. La somme à laquelle ces revenus sont portés pour mémoire est fournie en même temps à ces assemblées par le gouvernement, comme s’il avait une connaissance exacte et parfaite de ces revenus et du tarif qui en résulte, pour leur imposition aux vingtièmes. Ainsi, sans aucune participation du clergé, ses revenus se trouvent tarifés et taxés à un impôt qui ne les concerne point, et dans lequel, suivant l’expression même de nos rois, le clergé n’a pu être compris. Qu’cst-il résulté des mémoires arbitraires publiés dans tout le royaume à la charge du clergé, 3ga [l™ Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sur l’objet des vingtièmes? C’est : 1° que le elergé a été annoncé partout et enregistré comme débiteur d’une somme qu’il ne doit à aucun titre ; 2° qu’en supposant même la légitimité de la taxe, cette prétendue dette du elergé était annoncée sur un pied exorbitant ; 3° que rien n’était plus capable d’entretenir les préventions semées depuis •quelque temps dans la nation contre le clergé, que de le dénoncer partout comme débiteur de sommes considérables qu’il ne payait pas, et de faire cette dénonciation devant ceux que le gouvernement établissait administrateurs de l’impôt, pour la grande équité de la répartition, et pour la décharge du peuple. Aux États de Bourgogne, la noblesse et le tiers, prétendant que leurs voix réunies forment décret contre le clergé, ont pris acte de semblables instructions du gouvernement, pour apposer à l’abonnement des vingtièmes la condition que le clergé en supporterait sa portion, et qu’à cet effet il serait vérifié. L’ordre du clergé n’a pu faire que la réserve de ses privilèges et des antiques formes de son régime d’imposition, se référant d’avance, à cet égard, à ta prochaine assemblée du clergé. On voit dans presque tous les procès-verbaux des assemblées provinciales qui ont accepté l’abonnement des vingtièmes, les réserves que les membres du clergé y ont faites des droits et privilèges de leur ordre, contre les inductions qui résultent de l’article des instructions concernant le clergé. L’assemblée d’Orléans a reçu ces réserves comme une trace des anciens privilèges de la nation. Mais tout n’annonce que trop un projet formé d’assujettir de fait et de droit les biens ecclésiastiques à l’imposition laïque des vingtièmes. On ne cesse d’exercer une inquisition plus ou moins sourde ou éclatante, pour constater, dans le plus grand détail, la valeur de toutes les possessions du clergé. Partout où l’on ne craint pas de demander hautement aux bénéficiers des déclarations de leurs propriétés, ils sont pressés d’y satisfaire. On n’entend parler que de consultations et de plaintes de leur part sur ce nouveau genre d’exaetion, quoiqu’en 1750 cette entreprise ait été abandonnée aussitôt que formée, et que depuis cette époque jusqu’à ces derniers temps, toutes les fois qu’il y a eu plainte des bénéficiers à cet égard contre la sollicitude des agents du fisc, le clergé ait obtenu des ordres satisfaisants du gouvernement. Mais aujourd’hui la sagesse même du gouvernement, laquelle seule (suivant l’instruction) empêehait, pour quelques considérations, qu’on ôtât au premier corps de l’État ses formes anciennes, ne peut-elle pas être surprise et permettre qu’on les ôte? De nouvelles preuves constatent que le gouvernement l’a déjà permis, approuvé, ou même ordonné. Une lettre très récente de M. Lambert, contrôleur général des finances, à la commission intermédiaire de l’administration provinciale de Poitou, fait connaître les vues et intime les ordres du gouvernement, sur les opérations prescrites par le conseil aux employés des vingtièmes, pour la formation définitive du rôle de cette année. On lit dans cette lettre r « L’intention de Sa Majesté est que tous les résultats dev ce travail ( celui des vérifications partielles ) portent sur des bases que les contribuables mêmes ne puissent désavouer ; elle veut que la plus grande publicité démontre avec évidence la justesse et la précision des travaux qui seront faits en exécution de ses ordres. « IV après ces considérations, l’administration a ordonné à tous les contrôleurs des vingtièmes de se rendre dans chaque paroisse et d’y vérifier : 1° les biens nouvellement imposables, tels que ceux du domaine, du clergé, des princes du sang, de l’ordre de Malte, des hôpitaux, etc. » Resterait-il encore quelque lueur d’espérance au clergé d’échapper à l’imposition d'es vingtièmes, après qu’on a combiné la généralité du texte de rédit de septembre 1787, et les particularités du texte de Pinstruction aux assemblées provinciales, pour ce qui concerne le clergé, après avoir considéré tout ce qui a précédé et suivi, les termes précis de la nouvelle lettre de M. le contrôleur général dissiperaient absolument tout reste d’espoir. Ils nous révèlent une vérité que tout annonçait, mais qui n’était pas encore positivement déclarée, c’est que le Gouvernement regarde comme biens nouvellement imposables aux vingtièmes les biens du domaine, du clergé et des hôpitaux. Mais quelles conséquences résultent d’une pareille nouveauté contre nos immunités, dont l’anéantissement est si nettement prononcé ? Si les biens du clergé sont actuellement imposables aux vingtièmes, les bénéficiers, déjà gémissant sous le poids des décimes, ne pourraient supporter une double charge ; ainsi celle du payement des vingtièmes et autres impositions laïques serait substituée à nos décimes, ce qui entraînerait une prompte destruction-de toute notre administration temporelle. G’est aussi, Sire, un devoir bien cher au clergé, qui a toujours considéré les pauvres çomme une portion privilégiée de sa famille, de porter ses plaintes aux pieds dé Votre Maj esté contre ce nouvel assujettissement des hôpitaux à l’imposition des vingtièmes. Nous sommes surs d’émouvoir le cœur paternel de Votre Majesté, en faisant valoir auprès d’elle les droits de l’humanité souffrante. Les hôpitaux du royaume, ceux qu’on regarde comme les plus riches, sont en général trop pauvres eux-mêmes pour les besoins de ceux qu’ils assistent. Ges précieux établissements exigeraient, la plupart, des secours de l’Etat, et ne [ire série, T. I*r.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 383 pourraient en fournir au trésor royal sans retrancher des ressources déjà insuffisantes à la misère du pauvre. Nous réunissons, Sire, les hôpitaux dans la classe des contribuables avec d’autant plus de zèle, que c’est pour les tenir exempts de toute imposition, tant laïque qu’ecclésiastique. Nous fîmes valoir dans des remontrances au feu roi, en 1765, l’immunité des hôpitaux, bien moins attaquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. « Les hôpitaux, disions-nous, ne doivent leur première origine qu’à l’Église ; et si elle ne les dota pas tous dans les premiers temps, du moins ne furent-ils établis qu’avec la permission des archevêques et évêques diocésains, qui même leur donnèrent leurs premiers statuts, leurs premiers règlements ; parce qu’en effet ces établissements tiennent à l’Église, tant par l’administration des sacrements et des autres secours spirituels qu’y reçoivent les pauvres et les malades, que parce qu’étant des monuments de la charité publique, ils font partie des œuvres pies, dont la principale direction et administration a toujours appartenu aux archevêques et évêques. « Aussi les lois du royaume, ainsi que les arrêts, les décident-ils capables d’unions de bénéfices ; aussi y en a-t-il qui sont eux-mêmes de vrais titres de bénéfices ; aussi enfin, et les lois du royaume et les arrêts ont-ils unanimement et uniformément donné aux archevêques et évêques la présidence aux assemblées des hôpitaux, et réservé en leur absence un droit de séance à ces assemblées en faveur do leurs ' vicaires généraux (1). « G’est d’après ces principes qu’ils n’ont jamais été compris, pour aucune sorte de leurs biens, dans les rôles des impositions laïques, et que par la déclaration du 27 octobre 1711, enregistrée» purement et simplement le 27 novembre suivant, la totalité de leurs biens, sans aucune exception, a été déclarée n’avoir été ni pu être comprise dans celle du 14 octobre 1710, qui avait établi le dixième, comme biens consacrés à Dieu, donnés à l'Église pour le culte divin, la nourriture des pauvres et leur subsistance. » Nous terminerons, Sire, le récit des maux qui menacent et affligent déjà nos églises et les hôpitaux, en rappelant à Votre Majesté les paroles qu’un évêque, choisi par Louis XIV et par la voix publique (2) pour l’éducation de monseigneur le dauphin, adressait à son auguste élève sur le testament de saint Remi : « Ce grand saint et ce nouveau Samuel (3) , appelé pour sacrer les rois, sacra ceux de France en la personne de Clovis, comme il dit lui-même, pour être les perpétuels défenseurs de l'Église et (1) Edit de 1695. (2) Polit, tirée de l'Ecriture, tom. -II, pag. 117. (3) Tost. S. Remigii apud Ffodoardum, Jib. I, cap. 28. des pauvres , qui est le plus digne objet de la royauté, », Le même prélat exposait à monseigneur le dauphin l’abrégé du serment du sacre ; « Le prince jure à Dieu, dans son sacre, de maintenir les privilèges des églises, de conserver la foi catholique qu’il a reçue de ses pères, d’empêcher les violences, et de rendre justice à tous ses sujets. Ce serment est le fondement du repos public; et Dieu est d’autant plus obligé, par sa propre vérité, à se le faire tenir, qu’il en est le seul vengeur, » Nous espérons, Sire, que Votre Majesté ne sera pas insensible au tableau des malheurs et des alarmes du clergé. Dose attendre de votre justice et de votre protection des remèdes dignes d’elle. Les immunités et l’administration du clergé ont été inculpées et dénoncées avec éclat dans rassemblée des notables, au nom du gouvernement. Nous avons rendu compte à Votre Majesté de tout ce que les nouvelles lois sur la subvention territoriale et sur les vingtièmes ont du nous faire craindre. Nous avons dépeint l’affliction que nos églises ressentent du nouvel éclat avec lequel l’instruction concernant le clergé, sur l’objet des vingtièmes, a été répandue et suivie dans presque tout le royaume. Sire, en 1711, quoique l’intention de Louis XIV n’eût point été de comprendre dans sa déclaration du 14 octobre 1710, pour l’établissement du dixième, les biens ecclésiastiques, la généralité des expressions avaitservi de prétexte aux payeurs des rentes et autres débiteurs des bénéficiers, pour leur retenir le dixième de leur revenu. Le roi ne se contenta pas de pourvoir à ce grief du clergé par des ordres particuliers, mais, sur la remontrance de Rassemblée du clergé de 1711, il donna la déclaration du 23 obtobre de la même année, portant que les biens ecclésiastiques et ceux qui appartiennent aux communautés, fabriques et hôpitaux, ne sont point compris et n’ont pu l’être dans celle du 14 octobre 1710, qui établit la levée du dixième» La déclaration du 5 juin 1725, portant établissement du cinquantième, avait excité de vives alarmes dans l’Église de France. L’assemblée du clergé de 1725, forcée de se séparer sans être rassurée, avait terminé ses séances par la déclaration des maximes dans lesquelles elle persistait pour la conservation de ses immunités. Après la séparation de cette assemblée, le feu roi rendit une première justice au clergé, en ordonnant la surséance des adjudications du droit du cinquantième , où les biens ecclésiastiques avaient été compris ; mais en 1726 il donna sa déclaration du 8 octobre 1726* dont nous avons déjà rendu compte, et dans laquelle il s'explique 384 [lrc Série, T. !«■'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] en ces termes : Voulant, dit-il, donner à la religion et au clergé de notre royaume des marques plus particulières de notre justice et de notre protection , nous avons résolu d'expliquer si précisément nos intentions, qu'il ne puisse plus rester à cet égard le moindre doute, tant pour le présent que pour l'avenir. Cette déclaration fut enregistrée au Parlement de Paris en vacation, le 25 octobre 1726 ; mais s’il a été observé que cet enregistrement n’a pas été réitéré après la Saint-Martin, le défaut de cette réitération doit être attribué seulement à quelques circonstances particulières, puisque des mémoires certains nous offrent la date de l’enregistrement de cette déclaration (1), après la Saint-Martin, dans les sept autres Parlements, qui, avec celui de Paris, comprennent les seize provinces du clergé de France dans leurs ressorts. Cette déclaration du 8 octobre 1726 fut rendue pendant l’assemblée du clergé , laquelle avait commencé le 25 septembre précédent ; mais ce ne fut qu’à la suite de cette déclaration que MM. les commissaires du roi firent leur première visite, le 10 octobre, à l’assemblée, où M. Le Pelletier, contrôleur général des fmances, annonça dès lors la déclaration en ces termes : Le roi a voulu marquer le commencement de son règne, en faisant connaître aux ministres des autels que sa première attention a été de maintenir dam toute leur étendue les privilèges du clergé. Les mêmes commissaires revinrent le 12 octobre pour la demande du don gratuit ; mais avant que d’en parler, M. le contrôleur général commença son discours par ces paroles remarquables, qui d’une part contiennent la justification et l’éloge de la conduite et des sentiments du clergé, et d’autre part annoncent l’attention du gouvernements à faire précéder toute demande du don gratuit, par le titre authentique qui devait pleinement rassurer le clergé sur ses immunités. « Ce n’est plus, dit M. Le Pelletier, comme autrefois pour ménager, pour ainsi dire, une négociation entre le roi et le premier ordre de son royaume, que nous avons l’honneur d’entrer dans cette auguste assemblée. « Sa Majesté prévient aujourd’hui vos désirs, en vous envoyant la déclaration que nous vous apportons par ses ordres. « Elle contient une décharge absolue du cinquantième des revenus des biens ecclésiastiques, celle de la confirmation, qu’à l’exemple des rois ses prédécesseurs, Sa Majesté est en droit de lever sur ses sujets à son avènement à la couronne ; (1) A Rouen, le 20 novembre 1726. A Bordeaux, le 2 décembre 1726. A Aix, le 9 décembre 1726. A Dijon, le 10 décembre 1726. A Toulouse, le 16 décembre 1726. A Grenoble, le 14 janvier 1727. enfin une confirmation pleine et entière de tous les droits, privilèges et prérogatives du clergé. « Vous la trouverez conçue dans les termes les plus forts et les plus honorables pour vous, Messieurs, et vous ne pouvez recevoir une marque plus précieuse et plus authentique de la protection, des bontés du fils aîné de l’Église. « Vous les avez méritées dans tous les temps, Messieurs, par votre zèle pour le bien de l’État, et votre attachement inviolable pour la personne de nos rois. » Sire, le clergé dé France, aujourd’hui placé dans des circonstances beaucoup plus critiques, aurait pu espérer qu’après tant d’attaques, et lorsque les plaies faites à nos immunités saignent de toutes parts, le commencement de cette assemblée aurait été signalé par la promulgation d’une loi pareille à celles de 1711 et de 1726. La liberté de nos dons et de notre administration est le point essentiel et fondamental de nos immunités. On ne peut nous ôter la liberté de nos dons et de notre administration, sans nous ôter aussi la faculté de donner et d’offrir. Les attaques formées contre nos immunités ont procuré dans tous les temps au clergé les titres les plus précieux. On a considéré qu’il ne suffit pas que des entreprises publiques et éclatantes soient annulées par des actes privés. Dea actes publics et authentiques peuvent seuls, en réparant le passé, mettre en sûreté pour l’avenir. Sire, plus nous sommes empressés de montrer notre dévouement au service de Votre Majesté, plus nous désirons qu’elle ait la bonté de favoriser les hommages de notre zèle. Nous supplions Votre Majesté, avec la plus respectueuse instance, d’accorder aux besoins pressants de l’Église de France une loi pareille à celles qu’elle a obtenues en 1711 et 1726, sous les deux derniers règnes. Puisse celui de Votre Majesté, pour lequel nous formons tant de vœux , offrir aux annales de l’Église de France un titre solennel de la protection qu’elle a droit d’attendre de votre piété et de votre justice ! Ce sont, Sire, les très-humbles et très-respectueuses remontrances que présentent à Votre Majesté ses très-humbles, très-soumis serviteurs et fidèles sujets, les archevêques, évêques et autres ecclésiastiques composant l’assemblée générale du clergé de France. Réponse du roi aux remontrances du clergé, du 15 /«m 1788. Je vois, par les remontrances du clergé, qu’il n’a pas saisi mes véritables intentions dans l’interprétation qu’il a donnée à plusieurs articles démon édit portant établissement de ma cour plénière. Mre Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 3«k Je n’ai jamais voulu déroger aux privilèges et capitulations des provinces; leurs droits sont expressément réservés dans mon édit, et je n’ai désiré d’uniformité que pour les lois qui, devant être communes à tout le royaume, ne peuvent sans inconvénient être différentes ou diversement modifiées. Tout respire dans mes édits la ferme résolution de n’établir aucune imposition sans le consentement des États généraux. L’enregistrement provisoire ordonné par l’article 12 ne peut être présumé devoir être indéterminé, ni pour sa durée, ni pour son objet. Mon intention a toujours été que cet enregistrement, ne devantavoir d’effet que jusqu’aux États généraux, ne fût jamais séparé de leur convocation à une époque prochaine et déterminée. Les emprunts dont il est question dans l’article 13 sont des emprunts de pure administration, tels que ceux qui tendent à convertir une dette plus onéreuse en une dette qui l’est moins, à faire des remboursements, à couvrir des anticipations, à d’autres opérations de même genre, qui améliorent la fortune publique et ne l’altèrent pas. Je n’ai point entendu substituer à la nation une cour dont les membres tiendraient de moi leurs pouvoirs et leurs fonctions. Nulle cour ne peut représenter la nation, qui ne peut l’être que par les États généraux Je ne dois pas tolérer qu’aucun corps particulier usurpe mes droits et les siens : mais j’ai dit que je voulais confier de nouveau à la nation l’exercice de ceux qui lui appartiennent ; j’ai dit que je l’assemblerais, non une fois, mais toutes les fois que les besoins de l’État l’exigeraient. C’est au milieu des Etats que je veux, pour assurer à jamais la liberté et le bonheur de mes peuples, consommer le grand ouvrage que j’ai entrepris de la régénération du royaume, et du rétablissement de l’ordre dans toutes ses parties. Au surplus, j’examinerai les remontrances du clergé, et les pèserai avec toute l’attention qu’elles méritent. Troisième mémoire du clergé au roi. Sire, lorsque le clergé de votre royaume a déposé les alarmes de la nation dans le sein de Votre Majesté, votre justice et votre bonté le rassuraient d’avance pour le succès de ses démarches. Aussi n'avons-nous pas de nouveaux sentiments à témoigner, et nous n’avons qu’à renouveler notre ancienne et invariable confiance dans vos intentions paternelles. 'L’élise de France bénira toujours une constitution dont les représentations, les conseils et les communications font l’essence, et qui permet au dernier de ses sujets, comme au premier ordre de l’État, de porter ses plaintes aux pieds du souverain : c’est en effet au pied du trône comme au lre Série, T. 1er. pied des autels, que tous les cœurs doiveùt s’ouvrir avec confiance ; et rien n’est dans les princes plus aimable ni plus populaire, disait un grand évêque à un grand empereur (1), que cette facilité de leur parler. Nous conserverons précieusement dans nos annales la réponse que Votre Majesté a daigné nous faire ; ou plutôt encore, c’est dans le cœur de tous les Français que se graveront ces mémorables paroles : Q’aucune imposition ne s’établira sans le consentement des États généraux ; Que nulle cour ne peut représenter la nation, qui ne peut l’être que par les États généraux; et que Votre Majesté veut lui rendre l’exercice des droits qui lui appartiennent. Aucun de vos sujets n’a jamais dû penser que Votre Majesté voulût déroger aux privilèges et aux capitulations des provinces ; ils ont toujours espéré que la dernière. fin de vos bonnes intentions serait de se réaliser, et de rejeter tout ce qui pourrait les contredire. Ces bonnes intentions et les saines maximes étaient toujours pour eux, lors même que les édits et les faits leur étaient contraires. .Vous offrons à Votre Majesté toute notre reconnaissance pour tout ce qu’elle a dit, mais encore pour ce qu’elle a promis; et puisqu’elle veut bien examiner et peser nos humbles et respectueuses remontrances, nous sommes dans la ferme confiance qu’elle s’assurera : Que la législation ne doit jamais perdre ses formes antiques, ni sa marche grave et solennelle; que si l’uniformité des lois est quelquefois avantageuse, l’unité de l’enregistrement ne le serait jamais, parce que la cour plénière a été convaincue d’être inutile ou dangereuse; et quand la nécessité exigera des lois uniformes, elles pourront s’établir par plusieurs enregistrements particuliers; Que le silence forcé des lois et des tribunaux est une source de désordre, de confusion, et une calamité publique, parce que la justice est un besoin journalier de toutes les sociétés, le plus auguste office de la souveraineté ; et ce n’est que par l’action continue des magistrats, que l’œil et le bras du prince peuvent être présents partout; Que si la nation a le droit d’octroyer l’impôt, l’impôt provisoire, par une conséquence immédiate, ne saurait être excepté : et si quelque circonstance rend nécessaire cet impôt provisoire, le zèle de la nation doit pourvoir à cette circonstance ; Que l’emprunt doit être, régi par les mêmes principes que l’impôt, parce qu’une méthode, qui suppose toujours un bon emploi et une administration économe, est une méthode imaginaire et (I) Saint Ambroise à Théodosc. 3o [lie Série, T. 1er.) ARCHIVES PÀRLSéMENTAIRES.. p'éHllëiièë : bri t'oit riiafheüreüsemeüt, ën consul - tântle c'oiirs dèâ choses humaines, qüèi’abüs est si prés de l’uSâge, que lëâ Übiiries intèriticrrife doivéiit teiiiiyàui choses plus qü’aüx perSbhiiës ; et si là faculté des emprunts est quelquefois utilë, elle sera jjréâqüe tBÜjoÜrS rüineuâë. Qüé Votre Majesté jette Ses rëgatds sur le passé, et devenir de-vieiidra sûreüirittt l’dbjèt de ses inquiétudes et dé sa prëvdyânbe. C’est au milieu des États généraux qüé Votre Majesté veut assurer à jamais la liberté et le bonheur de ses peuples : un si, noble sentiment rie peut sortir que d’üne grande âriié, et fasse le Ciel qüe ri bus puissibhs bientôt eû rèCiieillir les Heureux effets ! Tdus leS droits seront respectés, tous les corps balancés, lés bris pâr les autres, et dirigés par votre sagesse. Votre trôrie brillera fl’uh übnvei éclat, quand Votre Majesté n’aürà plüs à Craindre les tériips de désordres et d’épiii-seiriettt, et quand élle s’assurera, par la stabilité des mesures et par le crédit natibrial, des ressources toujours prêtes polir tous les éVétieüientS : c’ést alors Qrie la France, forte dé Son ancienne coiis titütiori, niairitiendra son ràn£ daüsrünivers, et jettera la terreur parmi ses ennemis. • La prospérité de votée royaume et la gloire de Vôtre règne sont inséparables, et "Sont l’objet de rios vœux et dé nos démarches : nous connaissons trop le siècle, poür ndüs laissée entraîner ou séduire ; nous savons, dépuisTorigine de la monarchie et le sacre du p'remier roi chrétien, quels sont lés fils aînés de l’Église, Ses fidêl’ës et gëhé-rëûx protecteurs, et ce que nous leur devons à tàrit de titres. C’ést dans des momeüts orâgéux où 'lés e’Sprits s’agi teht et Se jettent dans les extrêmes, prie notre ministère est surtout nécessaire. Si, êü qualité de citoyens du preiriier Ordre de l’Etat, ririUS pouvons ri dus apercevoir de t'bris les événements , comme ministres d’une religion, règle infaillible de tous les devoirs, nous drivons donner l’exeMpie d’uhe obéissance éclairée, 'd’üne franchise respectueuse : c’est à des hommes qui par leur état doivent être amis du silence, de la solitude, de l’Ordre et de la paix, qu’il appartient, au riiiliéu des clameurs et du tumulte, dé faire entendre là VÔix feririe et tranquille de la justice et de la vérité. Notre sëulri àiribition doit être de Servir la religion, les souverains et leurs sujets : ÜodS n’àvons d’àütre manière de vous plaire que dé vous être Utiles, et ndüs serons éhcoüragês dans nos peines et dans nri's travàux lorsque Votre Majesté daignera nous témoigner que nos remontrances sont lëgitiriies, qüe riotre zèle lui est agréable, et qU’elife coütiàît l’esprit qui nous anime, parce que notre ariiOur et riotre fidélité pour vôtre personne sabrée sont également pour nous uû sentiment et un devoir, [Introduction.] Discours au roi, prononcé à Versailles, par M. V archevêque de Narbonne, à la clôture de rassemblée du clergé, le dimanche 27 juillet 1788. Sire, nous termirions nos Séances, comme nous les avoris commencées, en por tarit au pied du trône de Votre Majesté nos vœux et nos plus respectueux hommages. Des évêques assemblés devaient s’occuper principalement dé leüïs intérêts les plus chers, des intérêts de la religion. ' Gardiens ët ofganès des vérités qu’elle enseigne, dépositaires de ses Salutaires maximes, ce n’est ‘qü’â la 1 délit* de de doublé flambeau qu’il ndiis est permis d’apercevoir les objets qui ndüs environnent. Celui de la ràisori répand un nouvel éclat sur la résolution que Votre Majesté a mariiféstéé d’alTeriiiir, de plus en plus dans ses États l’imité du cülte public, de conserver à là foi antique de nos pêreS, à cette religion bienfaisante, qui tient aux racines de la monarchie française, la prépondérâiiée de là religion nationale et dominante. Elle a des caractères qui ne permettront jamais dé la mécoimaïthi : à elle seule appartient le droit de rensriigüëÜientreligieux dans le royaume; seule elle a des ministres, des temples, des rites et des cérémonies ; elle exerce une juridiction légale; les officiers de Votre Majesté sont chargés d e veiller à i’exécutibh de ses jugetnents, ét c’est à ce tflre que le prince est appelé l’évêque du dehors. Quand la réligibn cathûliqüe s’établit dans les Gàüles, elle rie dut qu’à la persuasion la rapidité de ses progrès; elle employa sa première in-v fluence à adoucir les mœurs d’une nation fière de son caractère et de ses victoires, fliais non encore policée; c’est la religion qui formates liens qui ünirent les Gaulois et les Francs; c’est elle qui, toujours dominante et toujours salutaire, apprit aux souverains les droits de l’humanité ; c’est elle qui suspendit la fureur des guerres ; c’est elle qui délia lés chaînes de la servitude, ét qui conserva les restes précieux des arts, d‘ëS sciences et des lettres. Une religion nouvelle aurait-elle pu s’attribuer cette longue possession de bienfaits, perpétués d’âge en âge, et s’approprier dés titres qui ferment l’honorable patrimoine dé la seule religioü catholique? Élle est sans doute, dans tout ce qui intéresse le dogme (et c’est un apanage qui n’appartient qu’à la vérité), elle est la plus intolérante des croyances ; mais autant elle est ennemie de toute composition avec l’erreur, autant elle rejette avec indignation les conseils perfides et hypocrites d’üne coupable indifférence ; autant elle est fidèle à ne prescrire et à n’adopter, pour ramener dans son sein ses enfants égarés, que les voies de paix, de persüasiori ët de charité. [lrc Série, T. £*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Qu’il nous soit permis de nous féliciter de n’a-voir ù consulter que nos propres fastes (1), pour trouver des modèles de l’amour, de la douceur et de là tendresse qui doivent animer et régler notre sollicitude. Non, Sire, nous n’avtins à changer ni d’esprit ni de langage, et, en rendant grâces à Votre Majesté d’avoir éloigné de nos autels -la pi’oFdnation et le parjure, nous n’envierons jamais à nos frères errants les doux noms de pères et d’épbux ; nous verrons avec satisfaction des enfants, nés sans honte, partager, sous la protection de la loi, l’héritage de ceux qui leur ont donné le jOuV ; nous bénirons Votre Majesté !d’a-voir 'enfin mis an terme à l’étonnante contradie-tion qui armait les lois contre les droits de là Rature. Retranchez, Sire, de vos ordonnances, ce sont les évêques de votre royaume qui vous en conjurent au nom de la religion, ces peines rigoureuses, que désavouent également la raison, la justice et Phumaiiité. Si nous déposons dans Votre sein paternel les Alarmes que nous causent plusieurs dispositions dè Votre loi, c’est pour obtenir de Votre Majesté xjU’éRe lui imprime le caractère d’un bienfait â jamais durable, et dans l’ordre de la religion et dans celui de la société. Vous trouverez* Sire, dans votre sagesse, les moyens de dissiper üos craintes ; et notre respectueuse confiance Sur le - choix de ces moyens s’accroît encore du sentiment que toutes vos Vèrttis nbUS aUsprreut. Réponse du roi. « C’est eti parlant de la religion que le clergé peüt particulièrement être assuré d’exciter mon intérêt et ma bienveillance. Tout ce qui la regarde est le premier de SeS devoirs, et le mien est de la protéger. « Jë Vois avéC Satisfaction qu’il rend hommage aüx vues humaines et religieuses qui ont dicté dion édit concerUaüt les non Catholiques ; en leur accordant fêtai civil, j’ai eu soin de maintenir l’unité du cUl te publie dans mon royaume. La foi que j’ai reçuê de mes pères sera toujours la foi nationale et dominante daüs nies États. « Le clergé doit compter sur moh amour et mon attachement pour la religion, comme je dois être assuré du Zèle et de la fidélité de CéuX qui en sont les ministres, fi Les obstaéleS dh tous les genres s’élevèrent contre les vües du ministère ; ils forcèrent enfin à anttÜnCér d’une manière positive la convocation dés États généraux. La première déclaration stif (1) Lettre circulaire adressée à tous les évêques de FVàiïôe. ÀvértisSïihietïk pàstoràl à éêüx dfe la religtoh prétendue réformée. Mémoire concernant ies différentes méthodes dont on peut se servir pour la conversion des prétendus réformés. Procès-verbal de l’assemblée de 1682. Pièces justificatives, pag. 266 étsuiv. mi ce sujet est du 8 août. Nous allons la transcrire avec celles qui la suivirent • Arrêt du conseil dé État du roi , Au 8 août 1788, qui fixe au premier mai prochain la tenue des États 'généraux du royaume, et suspend jusqu’à cette époque le rétablissement de la cour 'plénière. (Extrait des registres du conseil d'Êtat du roi.) Le roi, en ordonnaUt, par l’arrêt de son conseil du b juillet dernier, que Içs résultats prescrits audit arrêt lui fussent remis dans les deux premiers mois cte l’année 1789, Sa Majesté a voulu se mettre à pOrtée de convoquer les États généraux de son royaume immédiatement après qu’elle se serait fait rendre compte desdits résultats : et elle ne pouvait choisir une époque plus rapprochée, puisque avant, et pour cette convocation, il était nécessaire d’assembler les États provinciaux, dans lés provinces où ils existent, de les rétablir dans quelques provinces où ils étaient suspendus* et de 'déterminer les préliminaires des élections, surtout datis îesprovinces réunies â la France depuis 1614 ’ enfin de prendre Une saison plus commode que l’hiver pour le transport et la réunion des députés de toutes les parties du royâUme. Depuis que cet arrêt a été rendu* Sa Majesté a pris des éclaircissements, tant sur le lieu que sur le temps auquel lesdits États généraux peuvent être assemblés. Elle n’a pas encore déterminé le lieu Où ils se tiendront, mais elle peut annoncer à ses sujets qüe leur assemblée est fixée en 1er mai prochain* et c’est avec satisfaction que Sa Majesté envisage le moment oti elle se trouvera environnée des représentants de la nation généreuse et fidèle qu’elle a le bonheur de gouverner. Assurée de recueillir les heureux’ effets, de leur zèle et de leur amour, elle jouit d’avance du consolant espoir de voir des jours sereins et tranquilles succéder à des jours d’orage et �inquiétude, l’ordre renaître dans toutes les parties, la dette publique être entièrement Consolidée* et la France jouir sans altération du poids et de la considération que lui assurent son étendue, sa population, ses richesses et le caractère de ses habitants. Sa Majesté a en même temps considéré que les États généraux devant être assemblés au 1er mai, cinq mois au-plus s’écouleront entre cette époque et celle à laquelle est fixée l’assemblée de la coür plénière dont elle a ordonné le rétablisseiheiït ; que pendant ce court espace de temps, et à la veille dés États généraux, aucune loi commune à tout le royaume ne serajt envoyée à cette cour ; qU’ainsi elle serait, pendant ces cinq mois, sans exercice et sans fonctions ; et comme Sa Majesté est en même temps informée que le rétablissement de cette cour a excité, parmi un grand nombre de ses sujets, des alarmes et des inquiétudes, que sa bonté la portera toujours à calmer, lors même qu’elles sont sans fondement, elle a résolu de suspendre ce ré* [I'e Série, T.' Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 388 tablissement jusqu’à la tenue des États généraux, et d’attendre sur l’existence de cette cour, ainsi que sur sa composition et son pouvoir, les représentations qu’ils pourront lui adresser. Après avoir ainsi avancé et déterminé l’époque des États généraux ; après avoir suspendu jusqu’à cette époque le rétablissement de la cour plénière, Sa Majesté a la confiance que si, avec fermeté et constance, quoique avec les restrictions et modifications nécessaires, et que peuvent exiger les besoins de certains ressorts et les privilèges de certaines provinces,, elle continue à poursuivre, comme elle se le propose, l’exécution de ce qu’elle a ordonné pour la réformation de la justice dqns son royaume, il ne restera aucun doute à ses sujets qu’elle ne soit uniquement occupée de leurs intérêts ; c’est à eux qu’il importe que les juges soient rapprochés des justiciables ; que les degrés des juridictions et les tribunaux ne soient pas indiscrètement multipliés; enfin, que le pauvre ne soit pas dans l’impossibilité d’obtenir justice par l’impossibilité d’y avoir recours. Aussi Sa Majesté ne négligera-t-elle rien pour procurer ces avantages à ses peuples ; et, fidèle au système dont l’intérêt public, encore plus que celui de son autorité, ne lui permet pas de s’écarter, elle ne tolérera pas qu’aucun corps particulier transgresse pas bornes qui lui sont prescrites, en même temps qu’elle se plaît à remettre la nation dans l’entier exercice de tous les droits qui lui appartiennent. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport, le roi, étant en son conseil, a déclaré et déclare que les États généraux de son royaume seront assemblés au 1er mai prochain dans le lieu qui sera à cet effet déterminé par Sa Majesté. Ordonne de nouveau, Sa Majesté, que les ré�iltats qu’elle a demandés par l’arrêt du 5 juillet dernier lui soient remis au plus tard au terme prescrit par ledit arrêt, pour être, aussitôt après ladite remise, expédiées les lettres de convocation nécessaires , et jusqu’à ce que lesdits États soient assemblés, Sa Majesté a suspendu et suspend le rétablissement de la cour plénière, ordonné par l’édit du mois de mai dernier. Signé Laurent de Villedeuil. Déclaration du roi , donnée à Versailles le 23 septembre 1788, registrée en Parlement le 25 dudit mois , qui ordonne que rassemblée des États généraux aura lieu dans le courant de janvier de l'année 1789, et que les officiers des cours reprendront l'exercice de leurs fonctions. Louis, etc. Animé constamment par le désir d’opérer le bien de l’État, nous avions adopté les projets qui nous avaient été présentés pour rendre l’administration de la justice plus simple, plus facile et moins dispendieuse. Ce sont ces différentes vues qui avaient été le motif des lois enregistrées en notre présence le 8 mai dernier ; nous n’avions eu pour but, en adoptant ces lois, que la perfection de l’ordre et le plus grand avantage de nos peuples : ainsi les mêmes sentiments ont dû nous engager à prêter toute notre attention aux diverses représentations qui nous ont été faites ; et, conformément aux vues que nous avons toujours annoncées, elles ont servi à nous faire ' connaître des inconvénients qui ne nous avaient pas d’abord frappé ; et puisque différentes considérations nous ont engagé à rapprocher le terme des États généraux, et qu’inces-samment nous allons jouir du secours des lumières de la nation, nous avons cru pouvoir renvoyer jusqu’à cette époque prochaine l’accomplissement de nos vues bienfaisantes. Rien ne pourra nous détourner de la ferme intention où nous sommes de diminuer les frais des contestations civiles, de simplifier les formes des procédures, et de remédier aux inconvénients inséparables de l’éloignement où sont plusieurs provinces des tribunaux supérieurs ; mais, comme nous ne tenons essentiellement qu’au plus grand bien de nos peuples, aujourd’hui que le rapprochement des États généraux nous offre un moyen d’atteindre à notre but, avec cet accord qui naît de la confiance publique, nous ne changeons point, mais nous remplissons plus sûrement nos intentions en remettant nos dernières résolutions jusqu’après la tenue des États généraux. C’est par ce motif que nous nous déterminons à rétablir tous les tribunaux dans leur ancien état, j usqu’au moment où, éclairé par la nation assemblée, nous pourrons adopter un plan fixe et immuable. Nous n’attendrons pas cette époque, pour réformer quelques dispositions de la jurisprudence criminelle qui intéressent notre humanité, et nous enverrons incessamment à nos cours une loi où, en profitant des observations qui nous ont été faites, nous satisferons le vœu de notre cœur d’une.manière plus étendue que nous ne l’avions fait dans celle du 8 mai, et nous éviterons en môme temps les inconvénients attachés à l’une des dispositions que nous avions adoptées., Le bien est difficile à faire, nous en acquérons chaque jour la triste expérience ; mais nous ne nous lasserons jamais de le vouloir et de le chercher ; nous invitons nos cours à seconder les diverses intentions que nous venons de manifester en nous éclairant elles-mêmes sur les moyens les plus efficaces, pour perfectionner l’administration de la justice, et nous nous confions assez à la pureté de leur zèle, pour être persuadé qu’elles ne seront arrêtées par aucune considération personnelle. Le moment est venu où tous les ordres de l’État doivent concourir au bien public, et nos cours se plaisent à donner l’exemple de cette impartialité, qui peut seule conduire à une fin si désirable. Nous comptons parmi les devoirs essentiels de notre justice de prendre sous notre protection la [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] plus spéciale ceux de nos sujets qui, par leur zèle et leur obéissance, ont concouru à l’exécution des volontés que nous avions manifestées; et quand nous éloignons de notre souvenir tout ce qui pourrait nous distraire des véritables intérêts de nos sujets, nous ne pourrions supporter qu’aucun sentiment étranger au bien public vînt contrarier les vues de sagesse, de justice et de bonté que nous avons consignées dans cette loi, et que nos cours doivent adopter avec une Adèle reconnaissance. À ces causes, etc., nous avons ordonné ce qui suit : Art. Ier. Nous voulons et ordonnons que l’assemblée des États généraux ait lieu dans le courant de janvier de l’année prochaine. II. Ordonnons en conséquence que tous les of-Aciers de nos cours, sans aucune exception, continuent d’exercer, comme ci-devant, les fonctions de leurs ofAces. III. Voulons pareillement qu’il ne soit rien innové dans l’ordre des juridictions, tant ordinaires que d’attribution et d’exception, tel qu’il était établi avant le mois de mai dernier. IV. Prescrivons néanmoins que tous les jugements, soit civils, soit criminels, qui pourraient avoir été rendus dans les tribunaux créés à cette époque, soient exécutés suivant leur forme, et teneur. V. N’entendons point cependant interdire aux parties la faculté de se pourvoir, par les voies de droit, contre lesdits jugements. VI. Imposons un silence absolu à nos procureurs généraux et autres nos procureurs, en ce qui concerne l’exécution des précédents édits. VII. Avons dérogé et dérogeons à toutes choses contraires à notre présente déclaration.' Si donnons en mandement, etc. Arrêté du Parlement de Paris (1). « La cour, persistant dans les principes qui ont dicté ses arrêtés des 3 et 5 mai dernier, et dans ses délibérations subséquentes, ouï et ce requérant le procureur général du roi, ordonne que ladite déclaration sera registrée au greffe de la cour, pour être exécutée selon sa forme et teneur, sans que l’on puisse induire, du préambule ni d’aucun des articles de ladite déclaration, que la cour eût besoin d’un rétablissement pour reprendre des fonctions que la violence seule avait suspendues ; sans que le silence imposé au procureur général du roi, relativement à l’exécution des ordonnances, édits et déclarations du 8 mai dernier, puisse empêcher la cour de prendre connaissance des délits que la cour serait dans l’obligation de poursuivre ; sans que l’on puisse induire des articles IV et V que les jugements y (1) Le Parlement prit, au sujet de cetle déclaration, l’arrêté suivant que nous croyons devoir rappeler ici. 389 mentionnés ne soient pas sujets à l’appel, et sans qu’aucun de ceux qui n’auraient pas subi examen et prêté serment en la cour, suivant les ordonnances, arrêts et règlements de ladite cour, puisse exercer les fonctions de juge dans les tribunaux inférieurs : et ne cessera ladite cour, conformé-à son arrêté du 3 mai dernier, de réclamer pour que les États généraux, indiqués pour le mois de janvier prochain, soient régulièrement convoqués et composés, et ce suivant la forme observée en mil six cent quatorze ; et copies collationnées de ladite déclaration envoyées aux bailliages et sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lues, publiées et registrées. Enjoint aux substituts du procureur général du roi èsdits sièges d’y tenir la main, et d’en certifier la cour dans le mois, suivant l’arrêt de ce jour. » « A Paris, en Parlement, toutes les chambres assemblées, les pairs y séant, le vingt-cinq septembre mil sept cent quatre-vingt-huit. » Enfin c’est le 5 octobre 1788, que le roi annonça la convocation d’une seconde assemblée des notables pour aviser aux questions que le Parlemen t avait élevées sur leur composition. Le Parlement demandait qu’ils eussent la même faveur que ceux de 1614, dans lesquels ôn votait par ordre, et où le tiers-état n’était en plus grande partie représenté que par des membres des Parlements, bailliages et présidiaux. Les assemblées libres qui s’étaient déjà tenues à cette époque dans plusieurs provinces réclamaient , par une feuille d’adresses et de supplications, le vote par tête, le doublement de la représentation du tiers-état, et la liberté illimitée des élections. M. Necker semblait favoriser cette opinion, ainsi que M. le duc d’Orléans. Un grand nombre d’écrits politiques qui circulaient malgré la censure, fortifiaient l’opinion publique dans ces réclamations. (Nous donnons à la fin de cet ouvrage une notice de quelques-uns de ces écrits.) La décision de ces contestations fut le but de la seconde assemblée des notables, dont la composition devait faire présager à la cour un avis favorable au système aristocratique. Nous allons donner un extrait du procès-verbal de cette assemblée, en tête duquel se trouve l’édit qui ordonne la convocation. § IV. EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DE LA SECONDE ASSEMBLÉE DES NOTABLES, Tenue à Versailles en Vannée 1788. L’an de grâce mil sept-cent-quatre-vingt-huit, du règne de Louis XVI, roi de France et de Navarre, le quinzième, le dimanche 5 octobre, Sa Majesté ayant arrêté dans son conseil d’État de rassembler de nouveau à Versailles les mêmes notables qu’elle y avait appelés au mois de février [lrc Série, T. Rr.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 390 mi sept cent quatre-vingt-sept, pour les consulter sur la meilleure manière de convoquer les États géoéraux de son royaume, a fait publier éii conséquence l’arrêt dont la teneur suit r Arrêté du conseil d'État du ï°i-Le roi, occupé de la composition des États généraux, que Sa Majesté se propose d’assembler dans le cours du mois de janvier prochain, s’est fait rendre compte des diverses formes qui ont été adoptées à plusieurs époques de la monarchie; et Sa Majesté a vu que ces formes avaient souvent différé jes unes des autres-d’une manière essentielle. Le roi aurait désiré que celles suivies pour la dernière tenue des États généraux eussent pu servir de modèle en tous les points ; mais Sa Majesté a reconnu que plusieurs se concilieraient difficilement avec l’état présent des choses, et que d’autres avaient excité des réclamations dignes au moins d’un examen attentif; Que les élections du tiers-état avaient été concentrées dans les villes principales du royaume, connues alors sotis le nom de bonnes villes , en sorte que les autres villes de France en très-grand nombre, et dont plusieurs sont considérables depuis l’époque des derniers États généraux , n eurent aucun représentant ; Que les habitants des campagnes, excepté dans un petit nombre de districts, ne paraissent pas avoir été appelés à concourir par leurs suffrages à l’élection des députés aux États généraux ; Que les municipalités des villes furent principalement chargées des élections du tiers-état ; mais, dans la plus grande partie du royaume, les membres de ces municipalités, choisis autrefois par la commune, doivent aujourd’hui i’exercice de leurs fonctions à la propriété d’un office acquis à prix d’argent; Que l’ordre du tiers fut presque entièrement composé de personnes qualifiées nobles dans les procès-verbaux de la dernière tenue en 1614 ; Que les élections étaient faites par bailliages,' et chaque bailliage avait à peu près le même nombre de députés, quoiqu’ils différassent considérablement les uns des autres en étendue, en richesse et en population; Que les États généraux se divisèrent à la vérité en douze gouvernements, dont chacun n’avait qu’une voix ; mais cette forme n’établissait point une égalité proportionnelle, puisque les voix, dans chacune de ces sections, étaient recueillies par bajjliages; ef qu’ainsi le plus petit et le plus grand avaient une même induepee ; Qu’il n’y avait même aucune parité entre les gouyernemepts, plusieurs étant de moitié agrdes-sps des autres, suit en étendue, soit ep popula-tÎPU, j Que les inégalités entre les bailliages et tes sér i Déchaussées sent devenues beaucoup plus grandes-■ qu’elles ne l’étaient en 1614, parce que, dans tes changements faits depuis cette époque, on a perdu de vue tes dispositions appropriées aux États généraux, et Fou s’est principalement occupé des convenances relatives à l’administration de la-jus». tice ; Que le nombre des bailliages ou sénéchaussées, dans la seule partie du royaume soumise en 4644 à la domination française, est aujourd’hui censi* dérabtement augmenté; Que tes provinces réunies au royaume depuis cette époque, en y comprenant les Trois-Évêehés, qui n’eurentpoint de députés aux États généraux, représentent aujourd’hui près de la septième partie du royaume ; Qu’ainsi la manière dont ces provinces doivent concourir aux élections pour les États généraux ne peut être' réglée par aucun exempte; et la forme usitée pour les autres provinces peut d’autant moins y être applicable, que dans la seule province de Lorraine il y a 35 bailliages, division. qui n’a aucune parité avec le petit nombre de bailliages ou sénéchaussées dont plusieurs généralités du royaume sont composées ; Que les élections du clergé eurent lieu d'une manière très-différente, selon les districts et selon les diverses prétentions auxquelles ces élections donnèrent naissance; Que le nombre respectif des députés des différents ordres ne fut pas déterminé d’une manière uniforme dans chaque bailliage, en sorte que la proportion entre les membres du clergé, de la noblesse et du tiers-état, ne fut pas la même pour tous ; Qu’enfin unemultitude de contestations relatives aux électiops consumèrent une granqe partie de la tenue des derniers États généraux, et qu’on se plaignit fréquemment de la disproportion établie pour la répartition des suffrages. Sa Majesté, frappée de ces diverses considérations et de plusieurs autres moins importantes, mais qui réunies ensemble méritent une sérieuse attention, a cru ne deyoir pas resserrer dans sou conseil l’examen d’une des plus grandes dispositions dont le gouvernement ait jamais été appelé à s’occuper. Le roi veut que les États généraux soit composés d’une manière constitutionnelle, et que tes anciens usages soient respectés dans tous les règlements applicables au temps présent, et dans toutes les dispositions conformes . à la raison et aux vœux légitimes de la plus grande partie de lq nation. Le roi attend avec confiance des États généraux de son royaume la régénération du bonheur public et raffermissement de la puissance de l’empire français. L’on doit donc être persuadé qpe son unique désir est de [lre Série, T. I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Préparer h l’avance les voies qui peuvent conduire à cette harmonie, sans laquelle toutes les lumières et toutes les lionnes intentions (deviennent muti|es-S� Majesté a donc pensé qu’uprès cept soixante quinze ans d’interruption des Etats généraux, et après de grands changements survenus dans plusieurs parties essentielles 4e l’ordre public, elle ne pouvait prendre trop de précautions, non-seulement pour éclairer sûrement ses déterminations, mais encore pour donner piç plans qu’elle adoptera la sanction la plps imposante. Animée d’qn Pareil esprit, et cédant uniquement à pet amour fju bien WÎ dirige tous les sentiments de spq cœur, Sa Majesté a considéré pomme le parti le plus, sage d’appeler auprès d’ejlp, pour être aidée de leurs conseils, les mêmes notables assemblés. par ses ordres au mois de janvier 17§7, et dont le zèle et Ips travaux ont mérité son approbation, et obtenu, la confiance publique-Çes notables ayant été convoqués ]a première fois pour des affaires absolument étrangères à la grande question sur laquelle le roi veut aujourd’hui les consulter, je choix de Sa Majesté manifeste encore davantage cpt esprit d’imPartia4té qui s’allie §i bien à Ja pureté de ses vues. Le nombre des personnes qui composeront cette assemblée ne retardera pas leurs délibérations, puisque ce nombre même affermira leur ppiujQn, par la confiance qui naît du rapprochement des lumières; et sans dépité qu’elles donneront leur avis avec la noble franchise que l’pn doit naturellement attendre d’une réunion d’hommes distingués et comptables uniquement de leur zèle pour le bien public. Sa Majesté aperçoit plus que jamais le prix inestimable du concours général des sentiments et des ppinions; elle veut y mettre sa force elle veuf y chercher sqn bonheur, et elle secondera de sa puissance les efforts de tous ceux qui, dirigés par un véritable esppit de patpiotismê, seront dignes d’être associés à ses intentions bieufai-santes. A quoi voulant pourvoir : puï le rapport, le roi, étant en son popseil, a ordonné et ordonne que toutes les personnes qui ont formé pp 1787 l’assemblée des notables, seront de nouveau convoquées, pour se trouver réunies pn sa ville de Versailles je 3 du W\§ 4e novembre prochain, suivant lps lettres particulières qui seront udreʧ|êes à chacune d’elles, pour y délibérer uniquement sur la manière Ja plgs régulière et la plus convenable de procéder à la formation des États généraux de 1789 ; à l’effet de quoi Pq Majesté leur fera commuTnquCr Ie? différents renseignements qu’il aupa été possible de se procurer sur ja constitution des ppécédepts États généraux, et sur les formes qui opt pté suivies ppnp la cpnvopatipu pt l'élection des mCRbres de ces assemblées nationales, de manière qu’elles puissent présenter Uh M.l avis dans le cours dudit moi8 de novembre ; et Sa Majesté se réserve de remplacer, par dps personnes dé même qualité et condition, ceux d’entre les notables de rassemblée de 1787 CjUÎ sont décédés, ou qui &e trouveraient yalablement empêchés. Fait au couspil d’État Un PPsL Sa Majesté ¥ étant, tenu à Versailles le cinq octobre mil sept .cent quatre-yingt-buit-Signé Laurent pe Vilueuejjii,. PREMIÈRE SÉANCE, Le jeudi 6 novembre 1788. Le jeudi b novembre, jour auquel le roi avait fixé l’ouverture de l’assemblée des potables, la salle et toutes les pièces qui en dépendaient ont été fermées dès le matin, et on n’y a laissé entrer personne, non plus que dans l’appartement destiné pour le roi. Tputps ces piècps avaient éjé; rétablies dans le même ordre qu’en 1787. Au sortir de la messe, Sa Majesté s’est rendue à rassemblée dans ses voilures de cérémonie. Elle avait dans son carrosse Monsieur, monseigneur comte d’Artois, messeigneurs les duc d’Orléans, prince de Coudé et due de Bourbon. Le cortège du roi était lp même qu’à la précédente assemblée. Un dptachemênt des gardes du corps remplaçait celpi des chevau-légers, réformés par ordonnance du roi du 30 septembre 1787, et les officiers entouraient la yoiturp de Sa Majesté, Le roi a été reçu à la descente de son carrosse par messeigneurs les dpc d’Enghien et prince de Conti, qui s’étaient rpndP d’avance à l’hôtel des Menus-Plaisirs, n’ayapt pu avpir place dans le carrosse dp Sa Majesté. Qn a marché à l’appartement dans fordre accoutumé, et le roi, après s’être reposé quelques instants, est entré dons la salle d’asserohlée, et est monté sur son trône. Monseigneur le duc d’Enghien a tenu sou rang de prince. Monseigneur de Barentin, garde des sceaux de Frapce, s’est placé sur son siège à bras sans dossier, ayant derrière lui les deux huissiers de la chancellerie, qui avaient caché leur masse. . Le roi avait bien voulu permettre que quelques*1 uns des officiers de sa maison et de celles des princes entrassent dans la salle d’assemblée, et se tinssent debout derrière le trône, sans tirer à conséquence ppur une autre occasion. Derrière les barrières qui terminaient la séance, était placé un assez grand nombre de personnes-de l’un et l’autre sexe, qui étaient entrées sur les listes du capitaine des gardes et du grand-maître des cérémonies. Le roi, après s’être assis sur son trône, avoir ôté et rends son chapeau, a prononcé le discours suivant •’ [1-c Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 392 a Messieurs, les preuves que j’ai eues de vos lumières, de vos talents et de votre zèle pour le bien public, m’ont engagé à vous rassembler de nouveau auprès de moi. « J’ai fixé au commencement de l’année prochaine l’assemblée des États généraux de mon royaume ; mon cœur attend avec impatience le moment où, entouré des représentants de mes fidèles sujets, je pourrai concerter avec eux les moyens de réparer les maux de l’État; et, en maintenant l’autorité que j’ai reçue de mes ancêtres, assurer pour jamais le bonheur de mes peuples, qui en est inséparable, et qui sera toujours mon unique but. « Avant de convoquer les États généraux j’ai voulu vous consulter, Messieurs, sur la forme que je dois préférer pour les rendre plus utiles à tout mon royaume. « J’ai ordonné qu’on mît sous vos yeux tous les renseignements propres à vous éclairer dans l’examen des différents objets dont vous allez vous occuper. « J.e suis assuré d’avance que, par le zèle et la célérité que vous porterez dans votre travail, vous répondrez à ma confiance et à l’attente publique. » Après le discours du roi, monseigneur le garde des sceaux s’est approché du trône en faisant trois profondes inclinations : la première avant de quitter sa place, la seconde après avoir fait > quelques pas, et la troisième lorsqu’il a été sur le premier degré du trône ; puis il a pris à genoux les ordres de Sa Majesté. 11 est ensuite retourné à sa place, n faisant encore trois profondes inclinations à Sa Majesté. Lorsqu’il a, été à sa place, il a dit : Le roi ordonne que Von prenne séance. Toute l’assemblée a pris séance. Monseigneur le garde des sceaux a dit ensuite : Le roi permet que Von se couvre. Ceux qui avaient droit de se couvrir se sont couverts, ainsi que monseigneur le garde des sceaux; après quoi il a prononcé le discours suivant, assis et couvert : « Messieurs, les assemblées des notables furent toujours déterminées par de grands motifs et par de puissantes considérations. « C’est surtout dans des” circonstances importantes qu’un monarque qui ne veut que le bien, qui ne cherche que la vérité, aime à s’environner de lumières et à se procurer des conseils. « Ainsi se sont montrés ceux de nos souverains dont l’histoire a consacré les noms à la postérité, pour servir de modèles à leurs successeurs. Ainsi se montra le prince dont le nom déjà si cher aux Français semble le devenir encore davantage depuis que le roi nous a retracé ses vertus. « De tous les événements de son règne, le plus mémorable sans doute sera la convocation des États généraux. Quel bienfait plus signalé la nation pourrait-elle recevoir de sa justice et de sa bonté ! Mais la tendre sollicitudede Sa Majesté ne se borne point à les assembler elle désire aplanir d!avance les difficultés possibles à prévoir, connaître la manière la plus parfaite, la plus utile pour ses peuples, de parvenir à cette convocation; et, au lieu de se livrer seule ou dans son conseil ordinaire à cet examen que le long intervalle écoulé depuis la dernière tenue des États généraux en 1614, et l’accroissement que le royaume a reçu depuis cette époque rendent encore plus important, Sa Majesté veut que vous l’éclairiez sur les moyens les plus sûrs et les plus efficaces de consommer la plus grande opération de son administration et la plus intéressante à ses yeux, puisqu’elle a pour but la félicité générale. « Elle vient avec plaisir s’investir au milieu de vous de l’opinion publique, et puiser une partie de sa force et de son bonheur dans le concours de vos lumières et de vos sentiments. L’heureuse épreuve qu'elle en a déjà faite soutient sa confiance, et vous la justifierez. « Afin que vous puissiez mesurer d’un coup d’œil toute l’étendue de la carrière que vous avez à parcourir, afin que vous soyez en état de fixer des idées certaines sur tous les différents points de discussion, Sa Majesté a autorisé le ministre de ses finances à vous développer tout l’ensemble des questions sur lesquelles vous avez à vous expliquer. Cette marche, aussi simple que naturelle, facilitera votre travail, en réglera l’ordre, et vous fournira les moyens de répondre plus promptement à la juste impatience du monarque de connaître vos opinions. « C’est ainsi, Messieurs, que vous jouirez de la gloire d’avoir préparé cette assemblée vraiment constitutionnelle, où , par l’effet d’un heureux concours, la nation va reprendre une nouvelle vigueur, et acquérir un nouveau lustre. « Empressez-vous de remplir une fonction aussi honorable : déjà tous les regards se tournent vers vous ; et le Français se rappelle avec reconnaissance les preuves récentes que vous lui avez données de votre zèle et de votre attachement aux vrais intérêts de l’État. « Ministres des autels, vous dont la France respecte les vertus, honore les lumières, vous vous distinguerez par des connaissances dues à l’habitude du travail, et par cet esprit de conciliation que vous puisez surtout dans les principes de cette religion sainte dont vous êtes les pontifes. « Et vous, noblesse guerrière, si précieuse au souverain et à la patrie par une naissance illustre et des services héréditaires, vous vous montrerez, par la sagesse de vos avis, aussi recommandables lorsqu’il s’agit de veiller dans l’intérieur à la cause générale, que lorsque vous la défendez au dehors par votre valeur au péril de votre repos et même de votre sang. 393 [ire Série, T. !<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] « Premiers magistrats du royaume, vous qui présidez ces corps antiques, dignes organes et vénérables dépositaires des lois, que ne doit-on pas attendre de vos lumières profondes, de votre expérience consommée et de votre dévouement aux maximes sur lesquelles repose le bonheur nécessairement lié et inséparable du prince et de ses sujets ! « Vous en finies chefs de cette classe nombreuse qui, par son travail, son industrie et son activité, est le véritable soutien des empires, vous ne tromperez pas son attente; et Je fruit de vos réflexions sera toujours dirigé vers tout ce qui peut tendre à l’avantage commun. « Oui, Messieurs, dans quelque rang que la société vous place, des rapports intimes vous attachent à toutes les parties constitutives de l’État. Le bonheur public vous appelle et vous réunit en ce moment : le bonheur public ! il présidera seul aux discussions importantes dont vous allez être occupés. Uniquement fixés sur lui, vous le saisirez avec précision, vous voue efforcerez d’écarter du plan des États généraux et de prévenir ces discussions frivoles qui autrefois , et surtout en 1614, consumèrent vainement des moments précieux pour la patrie. « Vous ne perdrez point de vue cette idée si simple et si touchante, que vous ne formez tous qu’une même famille; que cette famille ne peut avoir qu’un même, intérêt, un même honneur; que si le chef auguste qui la préside se doit essentiellement et tout entier au bonheur de tous, s’il est le conciliateur naturel, le protecteur-né de tous les droits mis sous sa tutelle, il a les titres les plus sacrés à votre respect, à votre amour. « Ainsi, quand sa confiance vous appelle et vous admet, en quelque sorte, à son conseil intime, vos lumières et votre zèle, dont il a droit de tout attendre, seront le tribut de la piété filiale, qui s’empresse de répondre aux tendres épanchements d’un père. » Après son discours fini, M. le garde des sceaux est remonté au pied du trône avec le même cérémonial que ci-dessus, pour prendre les ordres du roi ; redescendu et remis à sa place, il a fait signe à M. le directeur général, qui, après avoir salué et s’être assis et couvert, a dit : « Messieurs, je n’ajouterai rien à ce que vient de dire M. le garde des sceaux, sur l’importance des délibérations qui vont vous occuper. Être appelés à poser la première basse de l’assemblée nationale, dont la France attend sa force et sa prospérité, le roi son repos et son bonheur, c’est une des plus augustes fonctions dont on puisse être investi par son souverain. « Lé roi, qui attend d’être éclairé par vos recherches, par vos discussions et par votre vœu, ne peut en ce moment qu’animer votre zèle et votre amour pour le bien public. « C’est vous, Messieurs, qui devez l’aider à prendre la meilleure voie. Il sait quel respect on doit avoir pour les antiques usages d’une monarchie; c’est par leur filiation que tous les droits constitutifs acquièrent un nouveau degré de force, et assurent le maintien de l’ordre public, en opposant de salutaires obstacles à l’amour inconsidéré des innovations. Mais Sa Majesté est également pénétrée de ces premiers principes de justice, qui n’ont ni date, ni époque, ni dernier terme, et qui lui imposent le devoir de chercher à connaître par une juste représentation le vœu de ses sujets. « Vous apercevrez, Messieurs, combien de choses sont changées depuis l’époque des derniers États généraux. L’accroissement considérable du numéraire a introduit comme une nouvelle sorte'de richesses, et l’immensité de la dette publique nous montre une classp nombreuse de citoyens étroitement unis à la prospérité de l’État, mais par des liens inconnus dans les temps anciens de la monarchie. Le commerce, les manufactures et les arts de tout genre, parvenus à un terme dont on n’avait pas même autrefois conçu l’idée, vivifient aujourd’hui le royaume par tous les moyens qui dépendent d’une active industrie, et nous sommes entourés de précieux citoyens, dont les travaux enrichissent l’État, et à qui l’État, par utf juste retour, doit de l’estime et de la confiance. Enfin l’accroissement des lumières et l'affranchissement graduel d’une multitude de préjugés nous ont fait connaître l’honorable opinion que nous devions avoir de tous ceux qui, dans les campagnes, s’adonnent paisiblement aux travaux féconds de l’agriculture, et qui n’affaiblissent notre reconnaissance que par la constante uniformité de leurs bienfaits. Au milieu de ces divers citoyens recom-mandablesà tant de titres, le roi distingue toujours ce qu’il doit particulièrement aux deux premiers ordres de son royaume. L’un réunit à des droits consacrés par le temps le mérite unique et précieux d’influer sur l’ordre moral par ses instructions et par ses exemples, et de veiller assidûment à la garde de ces barrières, plus sûres encore aujourd’hui que toutes les précautions de notre prudence. Enfin, lorsque Sa Majesté fixe ses regards sur cette généreuse noblesse unie à la France et à ses rois par tant de glorieux services, elle éprouve un sentiment de reconnaissance d’autant plus cher à son cœur, qu’il est en elle héréditaire, et comme transmis de siècle en siècle par les annales de l’histoire et par tous les fastes de la monarchie. « Sa Majesté, cédant à l’impression de tant de motifs différents, et attentive à tous les droits qu’elle voudrait à la fois satisfaire, a senti que, dans une si grande circonstance, elle pouvait tirer un important secours des lumières d’une assemblée si digne de sa confiance, d’une assemblée dont l’opinion pût devenir à la fois son consei [l™ Sto, T, ïer,} - ARCHJYP PARPMENTAIRES. [Introducpoo.] et sep premier garant, et la préserver du moins de regrets, si, après, avoir pris toutes les précautions que sp sggessp lui a suggérées, elle pe pouvait rëpoudre à Ma k§. YMSi filte � pp�vuit concilier qu’jmpar 41 temM les droits des ups avec les. justes ppéiteptions des autres, et les sentiments de SPP çpeur avec les règles de 4 raison et de la prudence-Alors, mais ayec peine, plie attendrait, de lp suite des temps et de la perfection que les États généraux pourraient donner eux-mêmes à leur copstitutiQPî cp contentement général et cette satisfaction unapime dont elle serait si pressée de jouir, % Vous secpndere? sÛremPïîf, Messieurs, les nobles et touchantes intentions de ypfre souverain -, vous aiderez ppr yos travaux le meilleur et le plus juste des pripees, et vqus sere� a’d est permis s’expliquer aipsi, vous serez; les précurseurs de cefte confiance qu’il q le droit d’attendfp delà natiop upsêlftlldi ÛÎ YQUS aplanirez les voies à ce qu’il désire par-dessus tent, l’amour et le pondeur de ses sujets, « Vous n ’ayez sûrement besoin d’aucun guide, et c’est y ops. Messieurs, qui aider#? Ips ministres du roi à lui offrir des conseils éclairés ; mais, Sa Majesté ayant bjpp voulu me charger particulièrement dp recueillir les renseignemeuts qui peuvent vous pipe utiles, je vais, selon les ordreg du roi, VOUS rendre compte de là méthode qui a été suivi# dans cette recherche, « Vraisemblablement, Messieurs, yous cbeyclmT rez d’ahnrd à aequérjr une exacte information des détails relatifs à 4 dernière tenue des États, en 1614, et vous désirerez de connaître, non-seulement les dispositions dont on nous a transmis la mémoire, mais euppre leurs rapports avec les précédents usages -, yous voudrez sûrement que les principes d’équité générale, servent au moins d’interprète aux choses obscures, et vnus voudrez que ces principes vous aident à concilier, non-seulement la diversité de§ exemples, mais encore les oppositions que yous apercevriez entre l’esprit des anciennes formes et les différentes applications qu’on pn aurait faites. Enfin vous pèserez encore dans votre sagesse quelle dpit être l’influence d’un intervalle de près de deux siècles, pris dans une Période où les opinions politiques et morale 3 ont éprouvé les plus grandes révolutions, pt vous trouverez peut-être que, pour conserver strictement et sans aucune exception, sans aucune modification quelconque, toutes les formes de 1614, il faudrait retracer et consacrer plusieurs vest|ges de moeurs qui ne sub-, sistept plus. Il est donc vraisemblable quten rendant un juste respect à tout ce qui vous paraîtra constitutionnel, vous voudrez cependant qulune méditation réfléchie et qu?un examen impartial vous servent aussi de guides. C’est donc pour vous aider, Messieurs, dans toutes les routes que vous ‘jugerez à propos de suivre, qu’on a classé avec ordre les renseignements propres | vous éclairer -, et il est nécessaire de yoqs rpndre compte de la méthode qui a été observée A cet égard. <( Qn a présumé que vous voudriez peut-être diviser vos examens en quatre sections. « La première serait relative à la composition des États généraux ; « La Seconde à la forme des convocations ; « Éa troisième à l’ordre des élections ; $ Éu quatrième à la manière de régler la tenue des diverses assemblées qui doivent délibérer sur les instructions des députés aux États généraux. % ÉU vous occupant de la première section, cJest à-dire de la composition des prochains États généraux, VOUS jugerez . peut-être convenable de déterminer d’abord le nombre générai des députés dopt cette assemblée nationale doii être composée ; et pour yous guider dans votre délibération on a formé le recensement du nombre des députés aux précédents États généraux, et l’on vous présentera dp plus des notions exactes sur l’étendue et la population, de tout le royaume, et particulièrement s»ir l’étendue et la population des provinces, qui, réunies à la mouarchie postérieurement à l’année 1614, n’eurent point de députés aux États généraux tenus h cette époque. « Vos réflexions se porteront ensuite sur le nombre des représentants de chaque ordre en particulier, et l’on mettra sous vos yeux les propositions établies en 1614 et dans les précédentes tenues d’États. il est vraisemblable qu’en vous occupant de cet objet, vous serez conduits à prendre connaissance de la manière dont les États généraux ont pu délibérer anciennement, et peut-être encore de la manière dont il vous paraîtrait désirable qu’ils le fissent; car la fixation du nombre, respectif des trois ordres est plus ou moins intéressante, selon les règles observées dans les États généraux. Cette fixatinn est d’une conséquence majeure lorsque les trois ordres se réunissent pour délibérer en commun : elle est moins importante lorsqu’ils opèrent séparément et formeutconslqmment une voix distincte. « Votre sentiment sur les questions qui se rapportent à la composition des États généraux étant une fois arrêté, vous rechercherez sans doute quelle est la manière la plus convenable de procéder à leur convocation. « Vous aurez à considérer si les lettres de convocation doivent être adressées aux mêmes mandataires pour tous les ordres indistinctement, et si l’autorité de présider aux élections doit être pareillement établie d’une manière uniforme, ou s’il est préférable que ces fonctions soient attribuées, pour les élections du clergé, à l’archevêque métropolitain ou à i’évêque diocésain; pour les [ire Sérié, T. 1�.] ARfifilYïLS [Intro�ction.]. élections de la noblesse, aux sénéchaux et aux baillis d’épée, pu aux gouverneurs et lieutenant* généraux -de Sa Majesté dans les prqvinces ; et pour les élections du: tiers-état� aux baillis de robe et aux maires et échevins des villes. Enfin, vous examinerez encore, Messieurs, Jes différentes modifications dont cette marche est susceptible. « La forme des citations devant telle personne choisie par le Foi pour présider aux élections vous paraîtra encore digne d’attention, puisque si elles devaient être faites non personnellement, mais dans le chef-lieu du bénéfice pour le clergé, ou dans le fief et la justice du seigneur pour la noblesse, il faudrait examiner si les mêmes personnes peuvent élire ou être élues en plus, d’un endroit, et de quelle, manière cette faculté peut être conférée, et de quelle manière elle peut être exercée « Après avoir arrêté. Messieurs, votre attention sur la composition des États généraux et spr les for ines de convocation, vous serez amenés naturellement à vous occuper de tout ce qui est relatif aux élections, et cette partie de vos délibérations vous paraîtra peut-être la plus étendue et la plus susceptible de modifications différentes. « Les élections de tans les députés aux États généraux peuvent être faîtes par les trois ordres réunis ; elles pnpvent l’être divisement, chaque ordre choisissant seul ses représentants. « L’idée n’est jamais venue que le clergé ne choisît pas un ecclésiastique pour député, la noblesse un hPiUfPe de son ordre. La même règle n’a pas été imposée par l’usage au choix du tiersTptat, Vqus croirez donc, Messieurs, devoir examiner ah: tentivement une si importante question ; et, par une singularité qui honorera notre siècle et la nation francise, c’CSt dans une assen#ée dont presque tous les membres jouissent des privilèges de la noblesse, que cette question sera traitée avec je plu� d’imPflTti4ité-« béa former d’éiectjqn par scrutin ou de toute autre manière, 4 détermination de la pluralité ou de la supériorité de suffrages nécessaires pour être légitimement élu, soptdes examens qui fixeront encore votre attention, « Vous aurez surtout à réfléchir sur la règle de proportion qui serait la plus convenable pour la détermination du nombre des députés de chaque partie du royaume. Ypps aurez à considérer si les subdivisions connues S0WS le titre de gouvernements, de généralités, de provinces, de diocèses, d’élections, dp bailliages, 4e paroisses, doivent, en raispn seule d’une partie de dénomination, avoir le même nombre de députés; vous examinerez, par exemple, s’il est bien que le bailliage de Gex, epmPQ§é de douze mille habitants, celui à'hwm de quarante mille, aient, comme ep 1614, le même sufiragP et la même influence que la sé? nécbaussée de Poitou ou le grand bailliage dp Berry, quoique ces deux districts contiennent aujourd’hui l’un six cent mille âmes, et l’autre trois cent mille. Vous discuterez doncv Messieurs, jusqu’à quel point il est nécessaire de prendre en considération l’étendue de chaque district, le nombre de se� habitants, pt la. quotité de ses contributions. « C’est pour jeter un nouveau jour sur pes diverses questions qu’on a plqssé dans u,n ordre exact l’étendue, superficielle et la population de chaque généralité, dp Chaque élection, de chaque �>ail-liagfo. et enfin la population de chaque ville principale et fie chaque paroisse. « On est occupé dpm nouveau travail considérable, destiné à désigner les contributions de chaque généralité -y mais il ne sera terminé l’époque des États généraux. Ainsi Pop ne peut se rapporter dans ce moment qu'aux notions déjàr répandues sur cette matière., « L’on a de pips rassepibié sftus nn titre partir. eufier les renseignements propres à voua éclairer sur la manière dont les élections se lopt faites à l’époque fies diverses tennei d’Ét�ts. « Les instructions fies députés ans Étals généraux forment la quatrième section dans 1| division qui vous a été indiquée, et yofis aurez à déterminer l’ordre et la règle des assemblées de délibération qui doiyent précéder ces instructions,- fies éclaircissements qui peuvent être relatifs à pette partie de vos examens seront pareillement-extraits des procès-verbaux, et classés séparément,, comme toutes les autres informations qui serfiPt misve sous vos yeux. « lops les titres originaux seront déposés entre les mains des deux secrétaires de Rassemblée des notables i et si VOUS ayez besoin de quelques autres pièces vous les chargerez d’en faire la recherche, et ils seront secondes à cet égard par l’antO"' rite du rpi. % Enfin, Messieurs, pour TOUS procurer tqus les secours que l’on peut tirer d’une couyersation instmctiye, e| rendre eq meme temps votre tra-? vaif plus facile, il y aura constamment à Versailles deux Pif trois personnes appelées par l’ordre dp roi, lesquelles joignent | leurs connaissances sur |e droit public français en général, le mérite particulier fie s’être occupées depuis quelque temps de recherches relatives aux Importants ofir jets fini vont fixer votre attention. Sa Majesté a de plus ordonné flfl’une dee personnes les plus instruites de la nomenclature des manuscrits contenus dans les archives de sa bibliothèque* se tînt assidûment près de vous, Messieurs, « Oq a en bien peu de temps, Messieurs* pomme vous êtes à portée d’en juger, pour former toutes les collections et rassembler tqus les reuseigppn ments qui vous seront nécessaires ; cependant pp y a mis font d’activité qu’il ne vqus manquera 396 f-lre Série, T. I*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] . peut-être aucune instruction essentielle, et celles que vous voudrez encore, on vous les procurera avec la même célérité. « On a fait de tous les extraits et même de la plupart des pièces originales six copies, afin que chacun des bureaux dont votre assemblée sera composée soit en état de se livrer tout de suite aux examens et aux discussions qui peuvent vous conduire à un avis éclairé. « Il sera remis de la part du roi à chacun des bureaux une liste précise des questions qui semblent le plus propres à guider vos recherches ; mais, comme cette liste ne sera qu’un indice soumis à Vos propres réflexions, vous penserez peut-être, Messieurs, que la première séance de chaque bureau devrait être employée à examiner si l’ordre et le genre de ces questions peuvent véritablement diriger votre marche. Tous les bureaux donneraient leur avis à cet égard, et après vous être entendus, par des députés, pour déterminer et fixer d’une manière uniforme les points successifs sur lesquels vous devez délibérer, chacun des bureaux procéderait à leur examen. « Vous apercevrez, Messieurs, la nécessité d’avoir un comité composé d’un certain nombre de députés, lequel devra s’assembler pour comparer les avis de chaque bureau, et former un résultat commun. Vous jugerez aussi que ces rapprochements d’opinions ne doivent pas être renvoyés à la fin de vos discussions, puisque, s’il n’y avait pas un premier accord entre vous sur les principes les plus importants, vous vous trouveriez trop éloignés les uns des autres au dernier terme de votre travail. « C’est dans le cours de vos discussions, c’est après le rapport du comité formé par les députés de chaque bureau, que vous connaîtrez, Messieurs, s’il est des questions où il soit nécessaire de vous réunir dans une assemblée générale. L’accord qui a existé entre vous, Messieurs, l’année dernière et ce lien naturel que forment entre les bons esprit la justice et la raison, donnent lieu d’espérer que vous arriverez à un vœu commun, et que vous donnerez ainsi comme un premier mouvement à l’établissement et à l’affermissement successif de cette harmonie générale, dë laquelle on verrait naître tant de force et tant de bonheur « Maintenant, Messieurs, pour rassembler d’une manière encore plus méthodique les objets qui viennent d’être soumis à votre attention, je vais lire la liste précise des questions qui ont paru au roi et à son conseil devoir servir de premier guide à vos délibérations. Sa Majesté cependant ne vous astreint point à suivre strictement cette marche. On a cherché seulement à placer des point fixes de distance en distance ; vous remplirez leurs intervalles, et vous les déplacerez même si vous le jugez convenable. « Il y a parmi les objets soumis à votre délibération des questions qui ne sont pas susceptibles de doutes ; mais on a cru cependant devoir les indiquer, afin de ne pas déranger l’ordre des réflexions auxquelles une si importante matière donne naissance. PREMIÈRE DIVISION. Composition des États généraux. « Quel doit être le nombre des députés aux États généraux ? « Quel doit être le nombre respectif de chaque ordre? Convocation. * A qui le roi doit-il préférer d’adresser ses lettres de convocation ? * Quelle règle et quelles formes doivent être adoptées pour les citations des électeurs? « Qui doit présider les élections ? « Cette double fonction de citer et de présider doit-elle être attribuée par le roi aux mêmes personnes pour les trois ordres, ou chaque ordre doit-il être convoqué, cité et présidé par des personnes d’un état différent? Élection. « Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur et éligible dans l’ordre du clergé? « Dans quelle proportion seront admis aux États généraux les divers ordres qui composent le clergé? « Les commandeurs-baillis et chevaliers de Malte seront-ils ad mis aux États généraux ; à quel titre de propriété le seront-ils, et dans quel ordre, soit de la noblesse, soit du clergé, doivent-ils avoir place ? « Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre de la noblesse? « Les propriétaires de fiefs seront-ils seuls admissibles aux États généraux? Les gentilshommes possédant une propriété quelconque auront-ils le même droit, et quelle devra être l’étendue de la propriété seigneuriale ou rurale nécessaire, soit pour être éligible, soit pour être électeur? « Sera-t-il convenable d’exiger un certain degré de noblesse, soit pour être électeur, soit pour être éligible? « Quelle serait alors la participation aux États généraux des nobles d’une création moderne? « A quelles conditions pourra-t-on être électeur ou éligible dans l’ordre du tiers-état? « La valeur de la propriété susceptible de discussion doit-elle être prise pourmesure, ou faut-il choisir pour règle la quotité des impositions? « Cette mesure de propriété ou de contribution doit-elle varier selon la richesse des provinces? « Les membres du tiers, même les plus riches, tels que les négociants, les chefs de manufactures et les capitalistes, n’ayant pas toujours des pro- 397 [1M Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] priétés foncières, la mesure de l’imposition territoriale peut-elle être généralement applicable à la faculté d’élire ou d’être élu dans le tiers-état ? « Le tiers-état doit-il avoir la faculté de choisir pour ses députés des personnes d’un autre ordre que le sien, et jouissant de privilèges auxquels il ne participe pas? « Les personnes qui sont aux gages des seigneurs ecclésiastiques ou laïques, ou dans leur dépendance de quelque autre manière, cesseraient-ils par cette raison d’être éligibles par le tiers-état? « Y a-t-il quelque proportion à observer pour le nombre respectif des députés des villes et des députés des campagnes? « Le nombre des députés -doit-il être déterminé en raison des gouvernements, des généralités, des provinces, des élections, des diocèses, des bailliages, du nombre des paroisses, de la mesure décrite d’un arrondissement, de l’étendue de sa population, de sa somme contributive, ou de toute autre manière quelconque ? « Convient-il, dans cette subdivision, de séparer les villes des bourgs et des campagnes? « Pourra-1- on être électeur ou éligible dans les divers districts où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufruitières, et de quelle manière une telle faculté serait-elle conférée? « Les élections doivent-elles se faire à haute voix ou au scrutin, et quelles sont les autres formes dont l’observation mérite d’être recommandée? Instructions. «. Quel ordre et quelles règles serait-il convenable de prescrire dans les assemblées où les instructions des députés aux États généraux seront délibérées et rédigées? v A tous ces objets de délibération, Messieurs, vraisemblablement vous en ajouterez d’autres, surtout à mesure que vous entrerez dans la discussion dont le roi vous a confié l’examen. On ne vous propose ici qu’un premier indice ; la réunion de vos lumières fera le reste, et le roi recevra de vous, Messieurs, toutes les instructions qu’il a droit d’attendre de votre sagesse. Les regards de la nation vont être attachés sur vous; mais vous avez pour encouragement et l’estime publique et l’entière liberté que le roi vous laisse. Jamais d’ailleurs on ne doit compte que de la pureté de ses motifs, et tôt ou tard tout plie, tout fléchit devant la raison et devant l’esprit de justice. Il y a quelque chose de si majestueux dans la recherche pure et sincère du bien public, elle semble entourée de tant d’appuis connus et inconnus, qu’il y aurait de la faiblesse à ne pas s’y livrer avec confiance. Le roi est impatient de connaître enfin avec sûreté ce qu’il peut faire de mieux pour le bonheur de ses peuples. Commencez, Messieurs, à fixer ses incertitudes ; elles tiennent à un sentiment digne de votre hommage et de votre reconnaissance. L’administration de toutes les parties d’un si vaste royaume, au moment où toutes les questions sont agitées offre tant de difficultés, tant de principes qui se choquent et se contrarient, que les forces d’un monarque n’y peuvent suffire, et il remplit, aux regards de son peuple et de la postérité, tout ce qu’on peut attendre de sa bienfaisance et de sa vertu, lorsqu’il rassemble autour de lui, tantôt les députés de la nation entière pour concerter avec eux le grand ouvrage du bien public, et tantôt, comme aujourd’hui, un nombre considérable de personnes distinguées dans les divers états de la société, afin de recevoir d’elles des cod-seils et des avis éclairés. « C’est un grand but, Messieurs, qui vous appelle et vous irez en avant avec promptitude, car il presse à votre souverain, il presse à toute la nation de voir arriver ce beau jour où, après une si longue surséance, les députés de tous les ordres de l’État viendront former la plus auguste des alliances, en réunissant leurs volontés, leur zèle et leurs lumières pour assurer la confiance des peuples, la prospérité de l’État et le bonheur du monarque. » Le discours de M. le directeur général fini, monseigneur le garde des sceaux a été prendre les ordres du roi ; revenu à sa place, assis et couvert, il a dit : Si quelqu’un désire exprimer au roi ses sentiments, Sa Majesté lui permet de parler. ' Toute l’assemblée s’est alors levée pour entendre Monsieur, qui a exprimé les sentiments de la noblesse par le discours suivant, qu’il a prononcé debout et couvert, après avoir salué Sa Màjesté : « Sire , nous recevons aujourd’hui la récompense la plus honorable que Votre Majesté pût nous donner des travaux auxquels elle nous a ordonné de nous livrer l’année passée : elle nous appelle une seconde fois auprès d’elle, elle veut bien encore nous consulter. Le premier de nos sentiments doit être la reconnaissance, et j’ose, au nom des gentilshommes assemblés ici par l’ordre de Votre Majesté, en déposer l’hommage à ses pieds. Notre devoir en ce moment est de justifier une confiance aussi flatteuse, et notre unique ambition est de nous en montrer dignes. Zèle, respect, amour, tels sont les motifs qui nous animeront; puissent-ils être agréables à Votre Majesté, et puissent nos efforts nous mériter de nouveaux témoignages de son approbation ! » Monsieur l’archevêque de Narbonne, le plus ancien de sacre des évêques convoqués, est resté debout, ainsi que tous les membres du clergé, et a prononcé son discours, après avoir salué Sa Majesté : « Sire, l’honneur d’être admis une seconde fois en présence de Votre Majesté est une des récompenses les plus précieuses que pouvaient mériter [l*é Série, ï. îer.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] «Ce sont, Sire, ces deux caractères que vous nous ordonnez aujourd’hui de chercher dans la tè zefë, la trânciiîse, la loyauté âe vos lïdèlës notables. « Daîgnëz permettre, $îrè, aux membres du premier ordih de votre royaume de vous en témoigner leur plus respectueuse reconnaissance , de porter au pied de votre trône l’hommage des voëüx ardênts qü’its ne cesserbht de former, pour que Votre Majesté trouve, dans l’auguste assemblée dont elle nous ordonne de lui indiquer la formé, les ressources, les consolations qu’ün père tendre et chéri a droit dé se promettre du dévoilement et du libre - essor de ses enfants réunis. » , M. îé premier président du Paffement de Paris a pris aussitôt la parole, et après avoir salué le roi, à prononcé son discours, pendant lequel il s’est tenu debout, ainsi que tous les premiers présidents, présidents et procureurs généraux des parleihents et conseils souverains. « Sire, vos sujets sont accoutumés à reconnaître dans tpus vos desseins le caractère de la sagesse et celui de la bienfaisance. « Une première fois Votre Majesté a assemblé les notables de son royaume pour les consulter avec confiance sur l’état de ses finances. « Effrayés à Taspect d’un immense déficit , ils ont prévu que les Etats généraux seraient seuls capables de pourvoira de si grands maux. « Dès ce moment la magistrature s’est portée ? avec zèle vers ce grand moyen de restauration ; 1 le Parlement a supplié Votre Majesté de convoquer : lesîtat-s ; et bientôt tous vos sujets, conduits par le sentiment du bien général, ont élevé une voix universelle pour porter le même voeu, au pied du trône. « Vœu si intéressant lorsqu’il est unanime ; si puissant lorsqu’il est l’expression de la nécessité; ; si pressant lorsque le péril de la chose publique le commande ; vœu enfin auquel un bon roi ne : saurait fermer son cœur.. « Vous l’avez écouté, Sire, vous l’avez couronné, en accélérant le moment où il doit être tout à fait accompli, parce que vous êtes, Sire, aussi juste, aussi tendre envers la nation entière, que vous l’êtes chaque jour pour chacun de vos sujets. « Il était digne de Votre Majesté de nous apprendre par cette heureuse résolution qu’il est dans l’âme des rois, pour les grands ohjets, une justice, une bonté, une vertu, une sagesse d’un ordre supérieur ; que ses vues sont aussi vastes que les .plus grands empires, aussi profondes que la science du gouvernement, aussi sublimes que l’art de rendre les hommes heureux ; qu’elles embrassent l’ordre public dans toutes les parties; qu’elles pénètrent tous les besoins, préparent toutes les ressources, et ne choisissent dans les moyens qu’elles emploient que ceux qui portent l’empreinte de la régularité et de la convenance. manière de procéder à la formation des Etats généraux. « Déjà, par l’examen des monuments que renferment les dépôts de la justice, votre Parlement, Sire, a aperçu ces deux caractères dans la forme pratiquée en 1614, et il s’est prescrit de la réclamer. « Elle paraîtra à Votre Mjaesté mériter toute son attention, non-seulement à cause des formalités légales dont elle est accompagnée pour conserver les droits de chacun, mais parce que son origine est ancienne, et qu’en même temps qu’elle fixe le dernier état elle paraît prouver le véritable usage de la monarchie. « Votre intention, Sire, est de prendre la voie la plus capable de constituer de vrais et légitimes représentants de la nation, et qu’il leur soit conféré des caractères certains, des titres reconnus et des pouvoirs efficaces. « Qu’il serait cruel, pour l’assemblée auguste et majestueuse de la nation, de trouver dans sa propre constitution des obstacles à son activité pour le bien qu’elle se proposera ! « Puissent au contraire la sagesse du souverain, l’ardeur des princes pour le bien public, les lumières du clergé, l’héroïsme de la noblesse, le patriotisme des citoyens, n’avoir à s’occuper de concert que du bonheur de la France ; que de poser des bases fixes où pùissent s’attacher le génie des peuples, l’habitude de leurs idées, la répétition ordinaire de leurs actions, le cours des opinions raisonnables, la créance des hommes sages, le nœud de la foi publique, et tout ce qui doit se rapporter, se réunir et .se combiner pour concourir à la félicité universelle ! « Puisse enfin l’esprit de la nation, par l’unité des vues et des principes, déployer toute son excellence et son énergie, et montrer à l’univers, dans ce noble spectacle, l’empire français avec toute la supériorité de ses lumières et toute la plénitude de sa splendeur ! » Monseigneur le garde des sceaux est ensuite monté au trône pour prendre les ordres du roi'; redescendu à sa place, il a dit : « L’intention du roi est que cette assemblée se partage en bureaux comme la précédente, pour faire l’examen des objets sur lesquels Sa Majesté se propose de les consulter. Le roi ordonne qu’il soit fait lecture de la liste des bureaux. » M. de Villedeuil a remis la lettre au sieur Hennin, premier secrétaire-greffier de l’assemblée, lequel en a fait lecture debout et découvert; Là lecture faite, monseigneur le garde des sceaux a été prendre les ordres du roi, et revenu à sa place a dit : « Le roi compte sur le zèle de l’assemblée, et Sa Majesté est assurée que tous ceux qui la corn- [ire Séïie, T. 1er.] iëieHÎVES PAÉLLttfAMËS. [Introduction.] posent ëVileroflt avec soin toutes les disCUèëibns ijui pourraient nuire à sOÜ objet principal. En cOn&ëqüehce Sa Majesté à donné une déclaration par laquelle elle ordonne que rien ne pourra tirer à conséquence pour les rangs, ni préjudicier aUX drdit's dé personne. L’intention de Sa Majesté est qu’ri sbit fait lecture de sa déclaration, et tfü’eîie soit ibsêrée dans le procès-verbal de l’assemblée, qüi sëta rédigé par son ordre. » M. üë Ÿiîîedeuil a remis la déclaration au sieur Dupont, Sefiond secrétaire-greffier âë l’assemblée, qui en a fait lecture debout et découvert. Déclaration du roi . Lbüis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceüx qui ces présentes lettres Verront, salut. Depuis notre avènement âu trône, nous avons toujours eu à cœur de maintenir cha-cUû dé nos sujets dans tous les droits auxquels îlS péüVent prétendre. Le désir dont nous sommes animé pour le bonheur de nos peuples ndüs avant fait convoquer en ce liëti iine assemblée composée d’une partie des plUs notables personnages de notre royaume, dont là fidélité, rattachement â notre personrië el le zèle pour ia gloire ët là splendeur de notre État nous sont connus, et fait 'désirer que parmi eux il y eût Uü grand litimbfe de prélats, gentilshommes, magistrats et officiers municipaux de nos principales villes, pour être aidé de leurs conseils, comme ils ont aidé les rois nos prédécesseurs et nous de leurs lumières et même de leur sang, pour le maintien de ïibtre royaume et la prospérité de nos ârhies ; ils ont satisfait à notre volonté, et pris là place cjüe hôus leur avons expressément choisie, et qü'è nous avons commandé à nos officiers des cérémonies de leur donner de notre part comme IiôiiOfâble et avantageuse. Et parce que qüelqüës-iihs pourraient n’être pas satisfaits â cause de leur dignité personnelle, ces places n’étant céllés qu’ils ont accofitumô de tenir aux États généraux, lits de juSti'ce et aütr’és cérémonies auxquelles ils se trouvent en Corps, iious léur avons voplu déclarer, comme nous faisons par cés présentés, mû de la bonne volonté que nous aVOü's tOUjolirs ëüe pour les prélats et noblesse de notre royaume, et autres nds sujets, que notée intention n’a point été en cette convocation de tenir une assemblée d’états, lit dé justice oü autre de pareille nature, et que nous leur avons ordonné cette séance proche de notre personne et de ceux qui présideront en notre absence, comme très-honorable, avantageuse ôt convenable à l’action, tant de l’ouverture de ladite assemblée que de la continuation d’icelle', sans qu’elje püisse préjudicier ni rien diminuer des honneurs et prérogatives qui leür sont ordinairement attribués, et que nous entendons et voulons leur être conservés. Mandons à ces fins à tous qu’il appartiendra que dû fiOUtënü On fies présentes ils lés lâfssëilt user pleinement et paisiblement, car tel est noire jalâîsir. Èn téihoM de quoi nous aVohsfait mettre Outre scel â fieSdites présentes. Dohüé à Versailles, le cinquième jour de novembre, l’an Uë grâce mil sept cent quatre-vingt-huit, et de notre règne le quinzième. Signé LOUIS. Et pMsbas , Parle roi : LàuRexî de VïlLedeuil. Lé rai a terminé la séance. Bâ Majësté S’est retirée dans le même ordre qu’ëlîe était arrivée. • En conséquence des Ordres dû roi , annoncés dans la séanfie générâlë par monseigneur le garde des sceaux,, Monsieur, monseigneur comte d’Artois et ihëëSeigneurs les princes dti sang ont fait avertir respectivement chafidh des membres du bureau qu’ils devaient présider, de Se rendre le lendemain chez ëûx, pour commencer a délibérer sur lès points contenus dans le discours deM. le directeur général dés finances. Dès le premier jour motiseîgueur le duc d’Orléans avait montré l’intention de ne faire aücühe fôtictiôtt de présideiît. Le lendemain 8 novembre, messieurs lës notables composant le troisième bureau, dans llftcertitüde de savoir par qui U serait présidé, ont fait supplier Monsieur de vouluir bien prendre à ce sujet la décision de 8a Majesté. Le roi n’étant pas alors à Versailles, Monsieur n’a pü réporidré sur-le-champ au vœu du bureau; mais le iüfidi 10 ce prince a fait remettre au bu-réaü lé billet suivant écrit de sa main : ù Le roi a décidé qu’en l’absence du prince du sang et dü duc et pair, les bureaUx seraient présidés pàr le maréchal de France, et, à son défaut; par le conseiller d’Éiat. « Signé LOuis-Stànislas-Xavier. » Dëpehdàht il eSt à remarquer que des viaghcinq sédUces tenues dans le troisième bureau, monseigneur le duc d’Orléans à assisté à dix, et qu’il y a pris alors le rang de président, et donné Sa voix 'confine les autres membres. Messieurs les notables , s’étant rendus à l’invitation des princés présidents pont commencé dès le 7 novembre à se conformer à l’intention du roi, en s’occupant de la discussion des questions qui leur avaient été proposées �de la part de 8a Majesté. Le travail de l’assemblée était divisé en quatre sections. La première comprenait tOUt fie qûi -UVait rapport h là composition déS prochains États généraux, tâht relativement LU nbmbre général des députés que cette assemblée pourrait comporter , calculé d’après célui dés précédents États généraux, et des notions acquises sur l’étendue et la population du royaume , et particulièrement sür celles des provinces réunies a la France depuis 1614, époque de la dernière assemblée nationale [!«■• Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lutroduction.j 400 que sur la fixation du nombre des représentants de chaque ordre. La seconde traitait de la convocation de ceux à qui les lettres pouvaient être* adressées, et des formes qui devaient être adoptées pour la citation des électeurs et la présidence des assemblées électives. La troisième avait pour objet les élections. On proposait de déterminer les conditions nécessaires pour être électeur ou éligible dans chacun des trois ordres; dans quelle proportion y seraient admis les différents ordres qui constituent le clergé ; si la propriété des fiefs serait le seul titre des gentilshommes pour être élus dans l’ordre de la noblesse ; à quelle classe appartiendrait celle de création moderne ; si la valeur d’une propriété quelconque ou la quotité des impositions pouvait servir de base pour la participation aux États généraux des membres du tiers-état; et comment se devaient faire les élections, etc. Enfin la quatrième portait sur les règles à prescrire dans les assemblées où seraient rédigées les instructions des députés aux États généraux. M. le directeur général ayant fait remettre successivement aux princes présidents ce qu’il avait été possible de se procurer de pièces sur chacun des ces objets, les conseillers d’État rapporteurs en ont fait lecture dans chacun des six bureaux entre lesquels l’assemblée était partagée. Dès que les bureaux ont eu commencé à approfondir l’examen de toutes les questions proposées dans le discours de M. le directeur général, on s’est aperçu qu’il pourrait y avoir une diversité d’opinions sur la manière de les classer , ce qui entraînerait nécessairement de la disparité dans la rédaction des réponses qui devaient être mises sous les yeux de Sa Majesté. En conséquence, tous les bureaux ont arrêté de se réunir en comité chez Monsieur , le 10 novembre, pour déterminer le plan uniforme de leur travail. D’après ce vœu général, il a été nommé dans chaque bureau quatre commissaires (avec plein pouvoir, pour cette fois seulement , de déférer à l’avis qui serait adopté par la pluralité des commissaires), pour assister avec le président au comité ci-dessus indiqué. Il a eu lieu de la manière suivante : Premier comité tenu chez Monsieur , le 10 novern-, ■ bre 1788. A raison des arrêtés pris ce matin dans chaque bureau, les commissaires de tous les bureaux se sont réunis dans le cabinet de Monsieur à sept heures du soir. Monsieur a dit qu’il s’agissait de délibérer sur l’ordre dans lequel il paraîtrait le plus avantageux de traiter les questions proposées et de convenir de cet ordre , pour établir une marche uniforme dans le travail des bureaux. Monsieur a exposé ensuite quelle avait été à cet égard l’opinion de son bureau, et que l’on avait regardé comme fondamentale la quinzième question de la troisième division , conçue en ces termes : « Le nombre des députés doit-il être déterminé en raison des gouvernements , des généralités, des provinces, des élections, des diocèses, des bailliages, du nombre des paroisses, de la mesure décrite d’un arrondissement , de l’étendue de sa population, de la somme contributive ou de toute autre manière quelconque ? » Plusieurs de ces messieurs ont exposé les opinions des bureaux dont ils étaient membres, Et, après une discussion approfondie il a été résolu de suivre, pour l’examen des questions, l’ordre dans lequel elles ont été proposées par M. le directeur général des finances, sans s’interdire le rapprochement de celles qui ont une con ¬ nexion marquée; de s’abstenir de délibérer jusqu’à ce que cet examen fût terminé ; et, lorsqu’il le serait, de rassembler des commissaires de tous les bureaux, pour régler définitivement l’ordre dans lequel on mettrait les questions en délibération. Monsieur a nommé MM. l’archevêque d’Aix , le duc de Luxembourg , de Néville et le maire de Limoges, pour rédiger et motiver cet avis, et a continué le comité au lendemain dix heures trois quarts du matin, pour examiner la rédaction. Le comité s’est séparé à neuf heures. ' Du 11 novembre. Lelendemain.il novembre , les commissaires s’étant rassemblés dans le même ordre à l’heure indiquée, Monsieur a ordonné ia lecture du projet d’arrêté ; et, après que messeigneurs et messieurs ont eu proposé et discuté les changements qu’ils ont crus convenables dans quelques expressions, le comité a unanimement pris l’arrêté qui suit : « Le comité, présidé par Monsieur, et formé des commissaires députés par tous les bureaux, pour procurer la plus grande célérité dans' leur travail et préparer l’uniformité dans l’ordre des délibérations; considérant que la liste des questions présentées dans le discours de M. le directeur des finances est le fruit d’un travail réfléchi , que les-pièces qui se rapportent à chacune d’elles sont l’objet de recherches successives , et qu’en intervertissant l’ordre proposé il serait à craindre que les renseignements se fissent attendre et que le travail fût interrompu ; que dans le moment où toutes ces questions ne sont point encore approfondies, l’assemblée ne pourrait pas espérer de les classer de la manière la plus méthodique ; que, lorsqu’un plus ample examen aura fait saisir tous les rapports qui les lient entre elles, il sera temps de se fixer sur l’ordre dans lequel elles pourront être soumises à la délibération ; et que cette mar- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] che doit conduire à des résultats plus prompts et plus sûrs : « A arrêté que les bureaux suivront l’ordre proposé par M. le directeur général , dans la discussion de toutes les questions et dans l’examen des pièces instructives qui doivent être mises sous les yeux ; et qu’avant de former aucun vœu, des commissaires des différents bureaux se rassembleront à l’effet d’établir la correspondance et l’uniformité dans l’ordre des délibérations. » Monsieur a levé la séance à midi et demi. Tous les bureaux se sont ensuite occupés pendant seize jours de l’examen des questions qui leur avaient été proposées , en ne formant toutefois que des préavis, sans prendre un arrêté définitif. Mais, comme le premier comité, ainsi qu’on vient de le voir, n’était qu’un acheminement à un second, Monsieur a fait prévenir tous les bureaux qu’il aurait lieu le 27 novembre ; en conséquence ils ont nommé la veille quatre nouveaux commissaires , également munis de pleins pouvoirs, pour y arrêter le plan uniforme du travail de toute l’assemblée, ainsi qu’il suit : Second comité tenu chez Monsieur , les 27 et 28 novembre 1788. Par suite de l’arrêté pris au comité tenu chez Monsieur, le 11 de ce mois, et de ceux qu’ont fait hier tous les bureaux, des commissaires de tous les bureaux se sont réunis chez Monsieur cejour-d’hui, à onze heures du matin ; savoir : Du premier bureau. Monsieur. M. l’archevêque de Narbonne. M. le duc du Châtelet. M. Joly de Fleury, doyen du conseil. M. le prévôt des marchands de Lyon. Du second bureau. Monseigneur comte d’Artois. M. le duc de Guines. M.-de Montyon, conseiller d’État. M. le député de la uoblesse des États de Provence. N. B. M. l’archevêque d’Aix , qui avait été nommé, est demeuré absent pour cause d’indisposition. Du troisième bureau. M. le maréchal duc de Brogkie. M. l’archevêque de Bordeaux. M. le duc de Groï. M. de Yidaud, conseiller d’État. M. le député du tiers-état de Bretagne. Du quatrième bureau. Monseigneur le prince de Condé. M. l’archevêque d’Arles. M. le marquis de Mirepoix. lre Série, T. 1er. 40i M. Dupleix de Bacquencourt, conseiller d’État. M. le prévôt de Valenciennes. Du cinquième bureau. Monseigneur le duc de Bourbon. M. l’archevêque de Toulouse. M. Je comte de Caraman. M. Le Noir, conseiller d’État. M. le maire de Troyes. Du sixième bureau. Monseigneur le prince de Conti. M. l’évêque d’Arras. M. le duc de Luxembourg. M. de la Galaisière, conseiller d’Etat. M. le député du tiers-état de Languedoc. Monsieur et monseigneur comte d’Artois ont pris place sous un dais. Monseigneur le prince de Condé sur la même ligne hors du dais, à droite de Monsieur. Monseigneur le duc de Bourbon de l’autre côté, et de même à gauche de monseigneur comte d’Artois. Monseigneur le prince de Conti de même à droite de monseigneur le prince de Condé. Monsieur a jugé qu’il y aurait de l’avantage à placer à côté l’un de l’autre des commissaires de chaque bureau ; en conséquence ceux du premier bureau ont pris place sur le côté droit du cabinet, à la droite de monseigneur le prince de Conti. Ceux du second bureau sur le côté gauche du cabinet, à la gauche de monseigneur le duc de Bourbon. Ceux du troisième bureau sur le côté droit du cabinet, après ceux du premier. Ceux du quatrième bureau sur le côté gauche du cabinet, après ceux du second. Ceux du cinquième après ceux du quatrième, partie sur le côté gauche du cabinet, et partie en face des princes. Ceux du sixième bureau ensuite et en face des princes. Les deux secrétaires de l’assemblée tenant la plume sur deux petites tables, hors de rang. Monsieur a fait lire l’arrêté pris le jour d’hier dans son bureau, et dont la teneur suit : « Le bureau présidé par Monsieur a arrêté de nommer des commissaires, lesquels commenceront par établir, dans l’ordre qu’ils jugeront convenable, toutes les questions proposées par monsieur le directeur général des finances, et ils auront soin d’intercaler à ces questions premières toutes les questions secondaires que les différents bureaux auraient agitées. Les commissaires auront plein pouvoir pour faire cette première opération. « Quand cette première opération sera finie, les commissaires se communiqueront les avis des divers bureaux sur toutes ces questions ; ils s’é-26 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! 402 [lre Série, T. Ier.] clairèrorit réciproquement sur les motifs qüi ont décidé les divers bureaux -, ils en feront un tableau à six colonnes, dont ils feront le rapport au bureau, lequel prendra alors une délibération sur les instructions Ultérieures à donner à ses commissaires. » Sur quoi Monsieur, ayant été unanimement süp-plié de nommer les commissaires, a fait choix de . messieurs : L’archevêque de Narbonne, Le duc du Châtelet, Joly de Fleury, doyen du conseil, Le prévôt des marchands de Lyon. Monsieur a ensuite exposé que lés cohiüiiésaii'es de son bureau a vaient plein pouvoir polir concourir à régler l’ordre des questions sur lesquelles rassemblée avait à délibérer, et la meilleure volonté pour se prêter à cet égard aux vœux des autres bureaux. Monsieur l’archevêque de Narbonne â lu les questions qui ont été traitées àü premier bureau, dans l’ordre selon lequel messieurs les notables du premier bureau s’en sont occupés. Après quelques observations faites par plusieurs de messieurs les commissaires, ceux du premier bureau ont été priés de faire une secondé lecture de leur travail. À mesure que chaque question à été énoncée, Monsieur a demandé aux commissàirês des divers bureaux si elle avait été traitée dans leurs bureaux, et s’il en avait-été traité quelqu’une d’analogue qui pût être placée a la suite de belle qu’on venait de lire. Ce travail a produit quelques intercalations, à la suite desquelles Monsieur a proposé que messieurs tes conseillers d’Ètat se rassemblassent dans l’après-midi, pour s’assurer s’il n’y aurait pas encore quelques questions qui eussent été traitées dans quelqu’un des bureaux, et qui pussent être intercalées parmi celles qu’on venait d’entendre, et qu’ils fissent demain rapport au comité dû résultat dç leur travail. Cette mesure ayant été adoptée unanimement, Monsieur a levé la séance à trois heures vingt-cinq minutes, en indiquant le comité pour-demain à onze heures du matin. Du 28 novembre. Le 28, à l’heure indiquée, messieurs les commissaires se sont rassemblés en nombre complet, M. l’archevêque d’Àix ayant pu assister ; et la séance reprise dans le même ordre qU’iiiër, monseigneur le prince de Conti, adressant la parole à Monsieur, a fait la motion dont la teneur suit : « Monsieur, je dois à l’acquit de mà cons'eiënc'è, à Ja position critique de l’État et à ma naissance, de vous faire observer que nous sommes inondés d’écrits scandaleux, qui répandent de toutes parts dans le royaume le trouble et la division. « La monarchie est attaquée; on veut son anéati-tissement, et nous touchons à ce moment fatal. « Mais, Monsiëür, il est impossible qü’enfin le roi n’büvrë pas les yeux, et quë les princes ses frères n’ÿ coopêrënt ptts. « Veuillez dodc, Më'tisièÜjif; Féprëâetitëf àü Loi combien il est important, pour la stabilité dë son trône, pour lës iôië et le Loû ordre, toüs lèë nouveàitàc systènièS sdietit ptiàscrité à jdmttis , êi que là cotistitU’tioti et lès fortifies ditbiënties èoiètii maintenues dànè leur intégrité. « Au reste, Monsieur, quoi qu’il arrive, je n’aurai point à me reprocher de vbüs avoir laissé ignorer l’excès des maux dont nous sommes accablés, et ceux plus grands ëncore dont nous sommes menacés ; et je ne cesserai dë former les vœux leà plus ardents pour la prospérité de l’État et le bonheur dû roi, qüi en est inséparable. « Je terminëfâi, Monsieur, èh Voüs priant de Vouloir bien mettre eiï délibération dans ce comité, où se trouvent rassemblés les commissaires des différents bureaux, s’ils adhèrent ou non à ce qu’il vous plaise de faire parvenir aU roi toiit ce que | je viens d’articuler. r J « Et dans le cas oû MM. les commissaires ne' se croiraient pas munis de pouvoirs suffisants pour prononcer, jè vous supplie, Moiisieur, de les engager à en référer chacun à leurs bureaux respectifs, et d’avoir là bonté dë leür indiquer Uh comité chez VOUS, à l’effet dé VOUS rendre compte du vœu des bureaux à cet égard, parce que mon intention n’est pas de vous proposer une chose qu’ils n’approuveraient point. » Monsieur ayant mis la matière en délibération, il a été unanimement résolu que, selon le désir de monseigneur le prince de Conti, MM. les-commissaires en référeraient à leurs bureaux. Après quoi M. de Montyon a rendu compte du travail qu’ont fait hier après-midi MM. les conseillers d’État, conformément à ce qui avait été résolu au comité hier matin. Il a lu les questions déjà posées hier, et celles que MM. les rapporteurs des différents bUreaüx ont cru devoir y intercaler. Le bureau y en a encore ajouté quelques-unès, tirées du discours de M. le directeur général des finances; et en résultat l’ordre des questions a été unanimement arrêté, ainsi qu’il suit : (Voyez ci-après les questions et les réponses qui y ont été faites dans chaque bureau.) La première partie de la mission donnée à MM. les commissaires, et pour laquelle ils avaient plein pouvoir, aux termes des arrêtés pris avant-hier dans tous les bureaux, ayant ainsi été rem - plie, ils ont jugé à propos de surseoir à l’exécution de la seconde, jusqu’à ce qu’ils eussent fait rapport à leurs bUrëàUX respéëtifs de l’ordre qui venait d’être arrêté, et qu’ils en eussent pris des instructions ultérieures. [4re Série, T. Ier.] La motion suivante a été faite dans ce point de vue par monseigneur comte d’Artois, « L’ordre des questions étant établi d’une manière stable, il faut s'occuper des moyens qui doivent terminer l’assemblée de la manière là plus prompte et la plus sûre. On proposerait que les commissaires rapportent à leurs bureaux respectifs les questions dans l’ordre établi au comité. Les bureau! s’occuperont tout de suite de prendrë des délibérations motivées sur toutes les questions; ils ajouteront dé combien de voix chaque délibération l’aura emporté sur toutes les questions. Ce travail fini, lés commissaires se rassembleront pour comparer toutes les délibérations, et par ce moyen on parviendra facilement à un résultat définitif du vœu des notables sur toutes les questions. » MM. les commissaires sont convenus qu’ils la communiqueraient à ieurs bureaux, qui rendraient compte a Monsieur de ce qu’ils arrêteraient' à ce sujet. Monsieur a levé la séance à trois heures et demie. Dans l'après-midi, Monsieur a porté au roi la motion que monseigneur le prince de Gonti avait faite dans le comité du même jour, et qu’il l’avait prié de vouloir bien mettre sous les yeux de Sa Majesté. Le lendemain le roi, après avoir pris lecture de cette pièce, l’a renvoyée à Monsieur, avec la lettre suivante, écrite de la main de Sa Majesté ; Lettre du roi à Monsieur. « Je vous renvoie, mon cher frère, le papier que M. le prince de Gonti a remis au comité hier ; après l’avoir examiné, j’ai trouvé que l’objet dont il y était question s’écartait absolument de ceux pour l’examen desquels j’ai assemblé les notables ; ainsi je défends aux bureaux de s’en occuper, et ils doivent continuer leur travail ordinaire. M. le prince de Gonti, comme les autres princes de mon sang, doivent s’adresser directement à moi, et je les écouterai toujours avec plaisir quand ils voudront me dire ce qu’ils croiront m’être utile. « Signé Louis. « Faites passer cette note aux autres bureaux, n’ayant pas le temps de la recopier. » tous les bureaux se sont conformés aux ordres du roi de ne pas délibérer sur la motion de monseigneur le prince de Conti. Lorsqu’il s’est agi de former un vœu sur chacune des questions arrêtées dans le second comité, des doutes se sont élevés dans plusieurs bureaux, pour savoir si les avis des notables sur les objets soumis à leur examen seraient défini-tifs„ où seulement provisoires. Le plus grand nombre des opinants a pensé que les bureaux étaient en état de former des avis définitifs; [Introduction.] 403 cependant il a été arrêté que Monsieur serait prié de demander au roi ses intentions à cet égard. Le 1er décembre, à l’ouverture des bureaux, il a été fait lecture d’une note écrite de la main du roi, contenant la réponse de Sa Majesté aux demandes que Monsieur avait été prié de lui faire au nom des différents bureaux ; cette note était conçue en ces termes : « Mon intention est que tous les bureaux prennent un vœu définitif sur chacune des questions dont la série a été réglée dans le comité du 28 novembre, et que ces avis, suffisamment motivés et développés, me soient remis avec le compte des voix sur chacun d’eux, me réservant de prononcer sur les points que je voudrai qui soient débattus dans l’assemblée générale. « Signé LOUIS. « 30 novembre. « Monsieur voudra bien faire passer cette note aux autres bureaux. » En conséquence de la note qu’on vient de lire, les bureaux se sont occupés de former des avis définitifs sur toutes les questions. Il a été convenu que ces avis seraient inscrits à mi-marge de chacune des questions, qu’il serait fait mention du nombre des voix pour ou contre, et que des commissaires de chaque bureau feraient la rédaction des motifs qui avaient déterminé les avis. Dès que les réponses sur chaque question ont été arrêtées, on a procédé dans tous les bureaux à la nomination de commissaires, pour en rédi-ger séparément les motifs ; leur travail, rapporté et discuté dans les séances finales des bureàuX, a été adopté et f émis au roi, par les princes présidents, la veille de rassemblée générale. Gomme il aurait été difficile de réunir vis-à-vis de chaque question les réponses qui y ont été faites dans les six bureaux, les secrétaires-greffiers de l’assemblée ont préféré de donner ici séparément copie des avis motivés de chaque bureau, et de répéter les cinquante-qüatre questions sur lesquelles ils portent. On a cru devoir y joindre les préambules mis en tête de l’arrêté de quelques bureaux, et les vœux définitifs qu’il leur a paru nécessaire d’ajouter aux avis motives sur les questions, pour que le présent procès-verbal contînt en substance le résultat du travail de toute l’assemblée . PREMIER BUREAU. QUESTIONS PROPOSÉES A L’EXAMEN DES NOTABLES, SUIVANT L’ORDRE ARRÊTÉ AU COMITÉ TENU CHEZ MONSIEUR, LE 28 NOVEMBRE 1788. Avis et motifs rédigés par les commissaires du bureau ët apprëuvés. COMMISSAIRES. MM. l’archevêque de Narbonne. Le baron de Flachslanden. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lTe Série, T. 1er. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 404 MM. Joly de Fleury, doyen du conseil. Boutin, conseiller d’État. PREMIÈRE QUESTION, Divisée en quatre parties. Le nombre des députés doit-il être en raison des gouvernements, des généralités, des provinces, des élections, des diocèses, des bailliages? AVIS. Le bureau a adopté la nomination par bailliages, comme étant une forme légale et judiciaire. Arrêté unanimement. motif. On a pensé que la convocation devait être faite par bailliages et sénéchaussées, attendu que cette forme est ancienne, légale, et que dans l’état actuel on ne peut se passer d’une forme judiciaire. DEUXIÈME QUESTION. 1° De quelle nature doivent être les bailliages qui auront la prérogative de députer directement aux États généraux? AVIS. Tout bailliage royal ayant bailli d’épée, les cas royaux, le ressort sur d’autres juridictions, et ressortissant nûment à un Parlement. Unanimement. MOTIF. Parce qu’ils sont les juges reconnus du clergé et de la noblesse. 2° Doit-on n’accorder cette distinction, quant aux provinces qui ont député par bailliages en 1614, qu’aux seuls bailliages qui ont député directement à cette époque, soit qu’ils eussent ou non des baillis d’épée ? AVIS. Tous les bailliages royaux qui ont député en 1614, soit qu’ils eussent des baillis d’épée ou non, seront appelés à députer, en vertu de leur possession. Unanimement. 3° Écartera-t-on de la députation directe les bailliages qui, ayant eu à cette époque des baillis d’épée, paraissent n’avoir député que secondairement? AVIS. On rappellera tous les bailliages royaux qui avaient eu en 1614 les quatre conditions exprimées ci-dessus, soient qu’ils aient été oubliés, ou qu’ils aient négligé de s’y rendre. # MOTIF. On a cru devoir les admettre, parce qu’ayant j les mêmes droits et les mêmes fonctions, on n’a pu les priver du même avantage. 4° Enfin admettra-t-on pour la députation directe les bailliages créés depuis 1614, avec baillis d’épée, cas royaux, ressort sur d’autres juridictions, et ressortissants nûment à un Parlement? AVIS. Les bailliages créés depuis 1614 ayant ces quatre conditions, doivent être appelés, parce qu’ils sont aux mêmes droits que les autres. Unanimement. TROISIÈME QUESTION. Les provinces ou pays qui ont député en forme de pays d’élats en 1614, ou aux trois tenues précédentes, continueront-elles de jouir de cet avantage? AVIS. Les provinces qui sont actuellement pays d’états seront les seules qui enverront aux États généraux, suivant leurs formes particulières et leurs usages. Pluralité de 21 voix contre 4. MOTIF. On a regardé cette décision comme la seule capable de prévenir des réclamations, -attendu que les provinces, et surtout celles qui ont le droit de s’assembler, sont fort attachées à leurs anciens usages. QUATRIÈME QUESTION. Pour fixer le nombre des députations que chaque bailliage enverra aux Etats généraux, aura-t-on égard à leur population ? • Il y aura de la différence dans le nombre des députations. 24 voix contre 1 . Ou le nombre des ' députations sera-t-il égal entre tous les bailliages, sans égard à leur population ? AVIS. La population servira de base pour établir la différence. 23 voix contre 2. MOTIF. On a préféré la population à la somme de contribution, parce que cette proportion a paru plus facile à connaître et plus juste. Et dans le premier cas, quelle sera l’échelle de proportion qu’il faudrait établir entre eux ? AVIS. Tout bailliage qui aura cent mille habitants et aü-dessous enverra une députation; celui qui en aura de cent mille à deux cent mille enverra deux députations, et celui qui en aura deux cent [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] mille et au-dessus enverra trois députations et non plus. 17 voix contre 8. * MOTIF. On n’a pas cru devoir se proposer de suivre un calcul arithmétique, afin de ne pas trop multiplier le nombre des députés aux États généraux, et Von a pensé que le plus grand bailliage serait suffisamment représenté par trois députations. CINQUIÈME QUESTION. Quel doit être le nombre respectif des députés de chaque ordre? Sera-t-il égal pour chaque députation? AVIS. Chaque députation sera composée d’un député de l’ordre de l’église, d’un de la noblesse, et de deu*. du tiers-état, c’est-à-dire égalité du tiers au nombre réuni de l’église et de la noblesse. 13 voix contre 12. MOTIFS. Quand les faits ne présentent ni mesure ni proportion, quand les exemples se contrarient et se détruisent, il est absolument nécessaire de se former des principes d’après la justice et la raison. Les lettres de convocation depuis 1483 semblent annoncer des dispositions précises ; elles appellent un député de chaque ordre : les unes, un de chaque ordre au moins ; les autres, un de chaque ordre et non plus, toutes suivant ce qui s’est pratiqué en pareil cas. C’est apparemment le vague de cette dernière disposition qui a produit l’étonnante diversité que nous remarquons dans l’exécution des lettres de convocation ; il n’y a qu’un point qui paraisse offrir une espèce d’uniformité, c’est la supériorité du nombre des députés du tiers sur celui des députés de chacun des deux ordres pris séparément. En 1483 les représentants du tiers surpassent de trente ceux du clergé, et de trente-deux ceux de la noblesse. En 1576, supériorité du tiers : sur le clergé de quarante-six, sur la noblesse de soixante-dix -huit. En 1588, supériorité du tiers : sur le clergé de cinquante-huit, sur la noblesse de douze seulement. . En 1614, supériorité du tiers : sur le clergé de cinquante et un, sur la noblesse de cinquante-sept. On a droit de penser, d’après ces résultats, que les bailliages se croyaient autorisés à députer aux États le nombre de représentants que bon leur semblait. Faudra-t-il donc prendre pour règle une mesure si incertaine et aussi bizarre? Non, sans doute; mais ne doit-on passe rapprocher de l’esprit des faits, quand on est obligé d’en abandonner la lettre ? Or, réduire lè nombre des députés 405 de chaque ordre à une égalité numérique, n’est-ce point contrarier des faits constants, n'est-ce point interrompre une possession avouée, consentie, consacrée par la .nation même, puisque* les députés nommés à ces diverses époques ont été admis par les États? Il est essentiel d’observer que l’infériorité ou la supériorité de nombre dans les représentants de chaque ordre seront des nuances à peu près indifférentes toutes les fois que les États opineront par ordre ; mais qu’il n’en est pas de même s’ils jugent quelquefois à propos d’opiner par tête. Personne sans doute ne contestera aux États le droit de régler leur police intérieure, l’autorité de déterminer la manière dont les suffrages seront donnés et recueillis. Il ne faut donc pas, en préparant l’organisation des États, créer d’avance des obstacles insurmontables à l’exercice libre de cette précieuse autorité. Les États peuvent craindre que la puissance et la facilité du veto attribuées à chaque ordre ne les condamnent dans des occasions importantes à l’inaction la plus nuisible au bien du royaume; il faut donc qu’il y ait des moyens possibles de prévenir cette inaction, et par conséquent d’obtenir des résultats. Les États peuvent donc et doivent désirer d’opiner quelquefois par tête ; or, l’égalité numérique dans les représentants de chaque ordre deviendrait dans ce cas, surtout quand il sera question d’impôts, une injustice manifeste. Les trois ordres doivent certainement demeurer toujours distincts; mais, quoique l’intérêt personnel bien entendu se confonde nécessairément avec l’intérêt général, il y a une foule d’occasions où les rapports qui les unissent ne sont pas facilement aperçus. Il arrivera donc, surtout en matière d’impôts, qu’un intérêt commun associera les deux premiers ordres, et les opposera à l’in-. térêt du troisième. Alors, malgré la distinction constitutionnelle des trois ordres, il n'y aura que deux intérêts, celui des privilégiés et celui des non privilégiés; alors, si l’égalité numérique des représentants de chaque ordre a lieu, il existera une lutte inégale et par conséquent injuste, celle de deux contre un. Que veulent donc ceux qui désirent que le tiers ait des représentants égaux en nombre à ceux des deux autres ordres réunis? Ils veulent ne point imposer de gêne aux États, ils veulent ne point interdire l’exercice éventuel d’une faculté dont personne ne peut dépouiller les États, et dont ils pourront, suivant leur sagesse, user ou ne pas user. Ceux qui adoptent l’opinion contraire paraissent vouloir proscrire toute autre matière que celle d’opiner par ordre. w Il a paru aux partisans de la première opinion 4ÔC> [lp* Série, T. Ier.] cju’il n’y avait point à balancer entreprendre des précautions conservatrices de la liberté essentielle des États, on les S�emm davantage à pu . régiipe capable d’enchaîner leur libre activité, ef |è; reflue leur prochaine, assemblée ,'tpt désirée aussi infructueuse que la plupart dé celles qui l’ont précédée-{1 a paru que si, frappé de l’injustice de l’égalité prescrite jusqu’à présent dans la représentation des plus grands comme des plus petits bailliages, on est convenu de proposer au roi d’y remédier, jl n’est pi moins jus, te, pi moins pressant de pourvoir aux inconvénients de l’égalité numérique des députés de chacun désordres. AVIS des douze membres opposants. Le pombye des députés doit être égal dans les trois ordres. MOTIFS. d’égalité du nppibre des représentants des troqs prdres est fondée sur l’égalité d’ipfluepce qui leur appartient dans les Étpts généraux. Le clergé, la noblesse, le tiers-état y diffèrent par leurs rangs, ils y trouvent des mêmes droits ; leur privilège commun est d’y accorder volontairement les mêmes tp�buts ; leur intérêt particulier est d’y conserver feur iadépen�Uçe ; les délibérations y so,nt prises par le concours des trois ordres, et nulle délibération n’est égale si ce concours n’est intervenu. II résulte dp ces principes pe le vçep dp tiers-état ne peut pas lier ia noblesse, qpe le vcep (jp jja noblesse ne peut pas lier le clergé, (pie. deux ordres même réunis ne lieraient pas le, troisième, parce qu’il est aussi libre qu’eux; qu’enfin l’égalité des charges que la justice commande ne peut se maintenir qup par l’égalité de la représentation. Telle est en France la balance des forces publiques ; elle ne donne pas au tiers-état un ascendant injuste sur les autres ordres, mais elle lui assigne la même mesure d.e pouvoir ; elle ne l’autorise pas à leur donner la lo|, mais pi|e pe permet pas qu’il la reçoive, La raison avoue ces rapports; les ordonnances de 1555 et de 1560 les cjmentent ; les |tpts généraux ue pourraient pas les changer, et nos rois ne se sont jamais erp permis d’y porter atteinte, C’est pour pela que les trois ordres sont appelés en noipbré égal aux assemblées de ja nation, depuis qqe des foripes régulières y ont été suivies. tes lettres de convocation en renferment la preuve pepuis plusieurs siècles, et leur expression p’a pas varié depuis 148.3. Vainement on dirait que la pratique des trois ordres n’y a pqs été conforme, puisque ia pluralité des députés n’a pas multiplié les suffrages par bailliages, ainsi qu’elle n’a produit qqe le même nombre de yoix par gouvernement. [Introduction.] L’attribution au tiers-état d’une représentation égale à celle des deux premiers ordres réunis renverserait toutes ces idées, en môme temps qu’elle confondrait tous les droits; elle conduirait à la forme de délibérer' par tête, elle en inspirerait la pensée, elle en ferait chercher lgs moyens ; et qui pourrait en calculer les funestes conséquences? C’est vers cet objet important que la première délibération des États serait forcément dirigée, et son effet serait d’y produire la plus orageuse fermentation. La noblesse et le clergé craindraient avec raison que cette interversion des formes ne les privât de la liberté que notre constitution leur assure, que la plus exacte justice réclame pour eux, et ils ne négligeraient rien pour la défendre. Le tiers-état y apercevrait l’espoir d’y acquérir la supériorité par le nombre, de fixer en sa faveur la prépondérance des suffrages, et il résisterait difficilement au désir de se les procurer. 0,u le • nouvel équilibre des forces y prendrait de Ja consistance, et alors l’assemblée tomberait dans une éternelle inaction ; ou les ordres y délibéreraient, et ce ne serait qu’en se-dominant tour à tftur qu’on empiéterait les uns sur les autres. Sous cette étrange constitution il serait possible que les intérêts d’un ordre fussent stipulés sans mission par les députés des deux autres; qu’il ne se formât plus 4e vœu national, parçe que le concours des trois ordres n’en légitimerait aucun; qqe tontes les délibérations fussent attaquées de nullité, parce que chaque ordre n’aurait donné de pouvoir que pour traiter qe ses intérêts ; que Le tiersrétat même, quoique le plus nombreux, vît s’anéantir son indépendance, s’il arrivait qu’m1 ou deux de ses membres se détachassent du venu qu’il aurait formé ; qu’une nation immense fut tout à coup livrée à la plus affligeante, versatilité de principes, parce que l’ordre prédominant pourrait-les changer à son gré. Il serait surtout à craindre qu’au fuipeu dé lent d’agitations il ne s’élevât des doutes sqr 1$ légalité des tributs, parce que les ordres ne les croiraient pas consentis par leurs représentants légitimes; et que le résultat de ces inportitudes ne fût de laisser le trésor public s�ns r.esspi|r.ces, et l’autorité sans moyens. Entraînés par ces motifs, douze membres du bureau de Monsieur ontpeuséque le nombre respectif des représentants des trois ordres ne devait être l’objet d’aucun changement ; que le tieps-état devait respecter les limites antiques que notre constitution lui assigne; que, satisfait d’être inr dépendant et libre, il ne devait pas aspirer à donner la loi; que F égalité des trois ordres u’in-téregsait pas mqins le souverain que toutes les classes de ses sujets; UU® le tiers-état serait moins fondé à OP pas §e Pendre UUX États, généraux, ARCHIVES PAW1ÉNT AIRES. 407 [1»« Série, T. !«*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sous le prétexte de ne pas y avoir la double représentation qu'il désire, que la noblesse et le clergé à s’en éloigner, s’ils se croyaient menacés de perdre leur indépendance ; qu’enfin Sa Majesté, en cherchant à prévenir tous les maux que la diversité des opinions peut produire, balancerait dans sa sagesse ce qu’elle doit d’une part à des prétentions nouvelles, et ce qu’elle doit accorder de l’autre à une possession fondée sur notre constitution et sur nos lois. SIXIÈME QUESTION. Quelle a été et quelle pourrait être la forme de délibérer des trois ordres dans les États généraux ? AVIS. Arrêté qu’il n’y a pas lieu à délibérer. 21 ypix contre 4, MOTIF. On a pensé que c’était aux États généraux à y pourvoir, quand ils seront assemblés. SEPTIÈME QUESTION. A qui les lettres de convocation doivent-elles être adressées ? AVIS. Les lettres adressantes aux baillis et sénéchaux seront envoyées aux gouverneurs pour les leur faire passer. Unanimement, HUITIÈME QUESTION. Dans quelle forme chacun des trois ordres sera-t-il convoqué et cité ? , AVIS, Dans la forme de 1614. Unanimement. NEUVIÈME QUESTION. Les bénéficiers dans l’ordre du clergé, et les possesseurs de fiefs dans l’ordre de la noblesse, seront-ils assignés ? seront-ils seuls assignés, et où seront-ils assignés? AVIS. Ils seront seuls assignés personnellement, les bénéficiers, les corps et communautés ecclesiastiques au chef-îieu de leur établissement, et les nohles au principal manoir du fief ; et Sa Majesté sera suppliée de pourvoir aux moyens d’épargner les frais, et notamment d’accorder l’exemption des droits de contrôle. Tous les autres ecclésiastiques et nobles seront avertis par des affiches et autres publications. Unanimement. MOTIF, Les bénéficiers et seigneurs de fiefs ont de tout temps joui de cette prérogative, et on n’a jamais assigné personnellement les autres ecclésiastiques et nobles, par la difficulté de connaître leurs domiciles, et par la crainte de trop multiplier les assignations. DIXIÈME QUESTION. Les membres du clergé et de la noblesse, soit qu’ils soient assignés à leurs bénéfices ou à-leurs fiefs, soit qu’ils soient seulement convoqués par les affiches et publications, seront-ils convoqués aux bailliages inférieurs ou aux bailliages supérieurs? AVIS. Le clergé et la noblesse ne seront convoqués qu’aux bailliages supérieurs, Unanimement. motif. Qn a cru devoir se conformer à l’ancien usage, et avec d’autant plus de raison que le clergé et la ' noblesse reconnaissent les bailliages pour leurs juges naturels. ONZIÈME QUESTION. Dans quelle forme les ecclésiastiques et les nobles qui n’auront pas été cités personnellement justifieront-ils de leurs titres et qualités pour. voter ? AVJ$: Tout particulier qui prétendra être admis comme ecclésiastique dans la classe du clergé, et comme noble dans rassemblée de cet ordre au bailliage, justifiera de ses qualités pour être admis dans un de ces ordres-; et s’il se trouve quelque difficulté le bailli y pourvoiera provisoirement, de l’avis de quatre ecclésiastiques ou de quatre gentilshommes qu’il s’associera. Unanimement. douzième question. Dans les assemblées de bailliages, à qui appar-tiendra la présidence quand les ordres seront réunis? A qui appartiendra-1- elle dans chacun, lorsqu'ils seront séparés? Le bailli d’épée, s’il est présent, présidera-t-il de droit la noblesse, et, en son absence, par qui sera-t-elle présidée? Qui présidera le clergé? Qui présidera Je tiers-état? . Am Le bailli ou son lieutenant présidera d’abord la totalité de rassemblée au moment où elle se formera ; il a le même droit lorsque les trois ordres restent unis pour choisir leurs députés, . comme cela s’est pratiqué autrefois dans quel-’ ques bailliages. 408 [Ire Série, T. I#r.] . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Si les ordres se séparent, le plus élevé en dignité dans le clergé préside cet ordre; le bailli préside la noblesse, son lieutenant préside le tiers. En cas d’absence du grand bailli, on estime que le plus âgé des nobles devra présider rassemblée de la noblesse, pour qu’elle, procède au choix du président. Unanimement. MOTIF. On s’est décidé sur toutes ces questions d’après le droit, les convenances et les plus anciens usages. TREIZIÈME QUESTION. Quel âge sera nécessaire, pour être électeur ou éligible dans chacun des trois ordres? AVIS. La majorité, suivant la coutume de la province. Unanimement. MOTIF. On a cru, en fixant la majorité, devoir respecter les coutumes des différentes provinces. QUATORZIÈME QUESTION. - Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du clergé ? AVIS. Toute personne engagée dans les ordres sacrés, et tout elerc possédant des biens ecclésiastiques, seront électeurs ou éligibles. 21 voix contre 4. MOTIF. On a compris dans l’ordre du clergé tous les ecclésiastiques constitués dans les ordres, parce qu’ils ont un état irrévocable et permanent. On a cru devoir aussi y comprendre les clercs qui, n’étant pas dans les ordres, ont des bénéfices, à raison de l’intérêt que leur donnent les propriétés ecclésiastiques. On a étendu l’avantage de l’éligibilité à tous les électeurs, parce qu’on a pensé que leur confiance ne devait pas être restreinte. QUINZIÈME QUESTION Y aura-t-il quelque distinction pour ces deux qualités, et admettra-t-on quelque proportion entre les différents ordres qui; composent le clergé? AVIS. Tous les membres du clergé majeurs, excepté les simples clercs sans bénéfices, devant être électeurs ou éligibles, la confiance seule devra déterminer le choix des députés de cet ordre, de quelque classe qu’ils soient. Unanimement. SEIZIÈME QUESTION. Un ecclésiastique engagé dans les ordres sacrés ne possédant point de bénéfice, mais ayant un ou plusieurs fiefs, ou des biens ruraux, dans quel ordre se rangera-t-il, et, si l’on admet le droit de se faire représenter, dans quel ordre pourra-t-il choisir son représentant ? AVIS. L’ecclésiastique engagé dans les Ordres sacrés doit de sa personne voter dans l’ordre du clergé, dans le bailliage où il fait sa résidence. S’il a des fiefs dans un autre bailliage, il pourra s’y faire représenter par un noble. 20 voix contre 5. DIX-SEPTIÈME QUESTION. Les membres de l’ordre de Malte seront-ils rangés dans l’ordre de la noblesse ou dans celui du clergé, et quelles conditions seront nécessaires pour les rendre électeurs ou éligibles dans l’un ‘ou l’autre ordre? AVIS. 1° Tous les individus qui composent l’ordre de Malte en France doivent avoir des représentants. 2° L’ordre de Malte étant un ordre religieux, doit par conséquent faire partie du clergé. 3° Quant aux diverses classes qui composent cet ordre, on pourrait s’attacher à ce qui suit : Admettre dans le clergé : 1° Les baillis et commandeurs ; 2° Les profès sans bénéfices ; 3° Les novices possédant des fiefs ecclésiastiques ; 4° Les servants et tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, liés par des vœux et possédant des bénéfices dans l’ordre, ou d’autres biens ecclésiastiques ; Renvoyer dans la noblesse les novices ne possédant point de bénéfices ; dans le tiers-état les frères servants qui n’ont point fait de vœux, et ne possèdent aucun bénéfice. Unanimement. MOTIF. Us ont été admis à être représentés aux États généraux, parce qu’ils sont sujets du roi ; placés dans l’ordre ecclésiastique, parce qu’ils sont religieux ; et l’on y a compris les non profès possédant bénéfices, à raison de leurs propriétés ecclésiastiques. DIX-HUITIÈME QUESTION. Dans quel ordre seront rangés les collèges et les hôpitaux qui possèdent des fiefs, des bénéfices ou des biens ruraux ? AVIS. Us n’auront point de représentants particuliers, fiw Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} leurs biens étant sous la protection des trois ordres, et leurs fiefs dormant entre leurs mains. Unanimement. DIX-NEUVIÈME QUESTION. Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre de la noblesse ? AVIS. Tous les nobles doivent être électeurs et éligibles dans cet ordre. Unanimement. VINGTIÈME QUESTION. Les propriétaires de fiefs seront-ils seuls admissibles aux États généraux ? Les gentilshommes possédant une propriété quelconque auront-ils le même droit, et quelle devra être l’étendue de la propriété seigneuriale ou rurale nécessaire, soit pour être éligible, soit pour être électeur? AVIS. Répondu négativement par l’avis sur l’article précédent. Unanimement. VINGT ET UNIÈME QUESTION. Sera-t-il convenable d’exiger un certain degré de noblesse, soit pour être électeur, soit pour être éligible? AVIS. On reconnaîtra pour noble toute personne jouissant de la noblesse acquise et transmissible. Unanimement. VINGT-DEUXIÈME QUESTION. Quelle serait alors la participation aux États généraux des nobles d’une création récente ? AVIS. Décidé par l’avis sur la question précédente. Unaniment. VINGT-TROISIÈME QUESTION Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du tiers, soit dans les communautés de campagne, soit dans les villes qui ne sont pas dans l’usage de députer directement aux États généraux ? AVIS. Tout habitant domicilié, regnicole, majeur selon les lois de sa province, aura droit d’être électeur dans les villes et dans les communautés des campagnes. Tout électeur sera éligible pour aller porter le vœu de la communauté au bailliage. La qualité d’électeur dans une assemblée secondaire suffira pour pouvoir être député dans une 409 assemblée supérieure, la confiance seule devant déterminer le choix. 21 voix contre 4. MOTIFS. On a pensé qu’il ne devait y avoir aucun sujet du roi qui ne dût concourir médiatement ou immédiatement au choix de son représentant aux États généraux. Et à l’égard de l’éligibilité, comme on la fait dépendre de la confiance, on a cru ne devoir admettre aucune distinction qui pût la restreindre. VINGT-QUATRIÈME QUESTION. La valeur de la propriété succeptible de discussion doit-elle être prise pour mesure, ou faut-il choisir pour règle la quotité des impositions ? AVIS. Répondu par l’avis sur la question précédente. 21 voix contre 4. VINGT-CINQUIÈME QUESTION. Cette mesure de propriété ou de contribution doit-elle varier suivant la richesse des provinces ? AVIS. Répondu par l’avis sur le n° 23. 21 voix contre 4. VINGT-SIXIÈME QUESTION. Les membres du tiers, même les plus riches, tels que les négociants, les chefs de manufactures et les capitalistes, n’ayant pas toujours des propriétés foncières, la mesure de l’imposition territoriale peut-elle être généralement applicable à la faculté d’élire ou d’être élu du tiers-état? AVIS. Répondu par l’avis sur le n° 23. 21 voix contre 4. VINGT-SEPTIÈME QUESTION. Quelles formes devront être observées pour - la convocation et la tenue des assemblées pour les diverses élections ? Et d’abord, pour les communautés de campa-' gne? Les seigneurs nobles et les. curés pourront-ils voter, et même y assister ? La présence d’un juge ou autre officier public y sera-t-elle nécessaire ? AVIS: Pour la forme de la convocation en général, comme en 1614. Quant à la forme des assemblées des communautés, le roi pourrait se borner à prescrire qu’elles se tinssent selon l’usage ordinaire, parce qu’étant tire Série, T. I*»1.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction ] 410 fréquentes, chacun sait ce qui s’y pratique, au lieu que si l’on y introduisait des changements on risquerait d’y jeter la confusion. Les curés ni les seigneurs ne doivent assister à ces assemblées parce qu’ils sont appelés à voter dans l’ordre du clergé ou dans celui de la noblesse, La présence d’un officier public quelconque sera nécessaire. Unanimement. viNqT-pKfTIÈIE QUESTION. Ceux qui sont aux gages d’autres personnes, soit ecclésiastiques, soit laïques, ou dans leur dépendance quelconque, seront-ils électeurs QU éligibles dans l’ordre du tiers-état ? AVIS. Tous les domestiques attachés à la personne, et n’ ayapt pas d’antre domicile que celui de leurs maîtres, ne seront ni électeurs ni éligibles, à moins qu’ils ne possèdent des biens, et ne soient mis à ce titre au rôle des impositions. Unanimement. MOTIF. Le motif de cette décision a été la dépendance trop absolue des domestiques qui n’ont ni domicile personnel, ni propriétés, VINGT-NEUVIÈME QUESTION. Les membres du tiers-état pourront-ils élire pour leurs députés des membres d’un autre ordre, ou jouissant de privilèges auxquels leur ordre pe participe pas? pis. Chaque ordre ne pourra choisir ses représentants que dans son ordre, sans que cette disposé tion puisse priver de la faculté de représen ter pour le tiers les officiers municipaux qui seraient de l’un des deux premiers ordres. Unanimement. MOTIF. On a pensé que la masse des lumières répandues sur le tiers-état était trop considérable, pour qu’il ne trouvât pas facilement dans son ordredes représentants éclairés. TRENTIÈME QUESTION. Les électeurs, de quelque ordre qu’ils soiept, pourront-ils élire pour leurs représentants des personnes absentes, ou qui n’auraient pas le droit d’être admises dans l’assemblée ? AVIS. Les électeurs, de quelque ordre qu’ils soient, pourront élire popr leurs représentants aux États généraux des personnes absentes, pourvu qu’elles aient les qualités requises pour être électeurs et éligibles dans quelque province que ce soit." Unanimement. MOTIF. On a cru devoir étendre la liberté à cet égard aussi loin qu’elle peut être ‘portée sans inconvénient. TRENTE ET UNIÈME QUESTION. 0.,.. Quelles sont les villes qui députeront directe ment aux États généraux ? AVIS. Il a passé à l’unamité d’accorder le privilège de députer directement aux États généraux aux villes qui en ont la possession, en suivant les for* mes anciennes ; et il a passé à la pluralité de 10 voix contre 5 de s’en rapporter au roi sur les autres villes auxquelles Sa Majesté jugera à propos d’accorder le même avantage, en suppliant Sa Majesté de considérer l’influence que sa décision pourrait avoir relativement aux différents avjs qui ont été proposés sur la cinquième question. MOTIF. Le respect pour la possession a fait penser que les villes qui avaient député directement ep 1614 devaient continuer à jopir de cet avantage. Et en s’en rapportant à la sagesse du roi sur l’extepsion de cette faveur à d’autres villes, le bureau a cru devoir supplier Sa Majesté de considérer l’influence que le nombre plus ou moins grand de ces villes pourrait avoir sur Ja représentation du tiers-état. TRENTE-DEUXIÈME QUESTION. Dans quelle forme ces villes doivent-elles procéder à la convocation et à la tenue des assemblées destinées apx différentes élections? Ces mêmes villes concourront-elles en outre à l’assemblée d’élection de leurs bailliages? Tout citoyen domicilié y sera-t-il admis pour être électeur ou éligible, sans distinction d’ordre ni de rang ? AVIS. Les assemblées d’élection dans les villes seront convoquées et tenues selon les formes qui y sont usitées. Ges villes concourront à l’assemblée de leurs bailliages, dans la proportion indiquée dans l’article suivant, Tous les citoyens domiciliés, sans distinction d’ordre, doivent êtrè appelés à l’assemblée’qui sera convoquée pour la nomination des députés, et pour arrêter led cahiers. Unanimement. [lre Série, T* Ier-] 4ÉPp*VES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} MOTIF. ' On a pensé que l’intérêt commun devait faire disparaître dans cette occasion la distinction des ordres, et qu’il suffisait d’être habitant de la ville pour pouvoir concourir à l’élection de son représentant. TRENTE-TROISIÈME QUESTION. Y-a-t-il quelque proportion à observer pour le nombre respectif des députés des villes et des députés des campagnes ? AVIS. Toutes les communautés de campagne de deux cents fepx et au-dessous auront un député à Rassemblée bailliagère; celles au-dessus de deux cents feux pourront en avoir deux ; les villes de trois mille lialutants et au-dessous pourront également envoyer deux députés; celles de trois mille jusqu’à six mille pourront en envoyer trois ; celles de six mille jusqu’à douze mille pourront en envoyer quatre ; celles de douze mille jusqu’à dix-huit mille pourront en envoyer cinq ; et enfin celles de dix-huit mille et au-dessus pourront en envoyer six et non plus, quelle que soit leur population. 23 voix contre 1 . TRENTE-QUATRIÈME QUESTION-Si quelques grandes villes de commerce sont admises à députer directement aux États généraux, le ou les députés seront-ils élus parmi les négociants seuls, et en quelle forme ? à A¥ip. ' Ë Liberté entière dans le choix. M Unanimement. Jr MOTIF. S On ne doit pas admettre différentes classes dans l’ordre du tiers-état, et on a cru devoir s’en rapporter à l’intérêt des villes commerçantes pour le choix de leprs représentants. TRENTE-CINQUIÈME QUESTION-Quelles sont les formes qui devront être observées dans les villes qui ne députent qu’aux bailliages secondaires ou principaux ? AVIS. Les ipênies fprmes qui ont étp prescrites au p° 32 pour les vùles qui députent directement. Unanimement. MOTIF. Les mêmes motifs qui ont décidé §ur l’article 32. ' - * ■ ■ ■ ■ ...... ' TRENTE-SIXIÈME QUESTION. Dans quelles proportions les cqimpunaRtéS de campagne ou les villes plus ou moins considérables auront-elles la faculté de nommer des dépu-’ tés, soit aux bailliages secondaires, soit aux bailliages principaux ou sénéchaussées Ÿ AVIS. Répondu par l’avis sur l’article 33. Unanimement. MOTIF. Et par les mêmes motifs-TRENTE-SEPTIÈME QUESTION. Quel sera le nombre de§ députés que les bailliages ou juridictions secondaires anrqnt le droit d’envoyer ap bailliage principal, suivant |e nombre facultatif des députés 4é§ Villes e$ des pop}- munautés de campagne qui composent leur ressort ? AVIS. Chaque bailliage secondaire sera autorisé â envoyer à lîassemblée du bailliage principal le quart. des députés qu’il aura eu le droit de réunir dans son assemblée particulière. Unanimement. MOTIF. ÛU a m devoir établir une juste proportion entre les communautés qui députent aux juridic? étions secondaires, et celles qui députent aux bail-f liages principaux-On l’a fixée au quart, pour que les assemblées de députés ne fussent ni trop considérables ni trop peu nombreuses. trente-huitième questW-Chaque bailliage principal ne sera-t-il pas ohligé de suivre la même règle de proportion, et d’avoir pour cet effet une assemblée préliminaire ? AVIS. Le bailliage principal tiendra une assemblée préliminaire, dans laquelle il nommera le quart de ses représentants pour assister à Rassemblée générale de bailliage, qui nommera les députés aux États généraux. Le quart des députés fixé dans cet article et dans le précédent sera calculé, non sqr le nombre des présents, mais sur le complet des députés qui seraient arrivés à Ges assemblées, si chaque ville ou communauté avait usé pleinement de son droit. Unanimement. TRENTE-NEUVIÈME QUESTION. Les ordres doivent-ils délibérer séparément aux assemblées quj députent directement aux États généraux ? 412 [ire série, T. !<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! AVIS. Liberté de faire comme il leur plaira. 21 voix contre 3. QUARANTIÈME QUESTION. Pourra-t-on être électeur ou éligible dans les diverses communautés ou bailliages où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufruitières ? AVIS. Les propriétaires habitants des bourgs et villages ne pourront délibérer et donner leur voix que dans le lieu de leur domicile. De même les habitants d’une ville ne pourront être admis à donner leur suffrage et à délibérer que dans le lieu de leur domicile ordinaire. 21 voix contre 3. QUARANTE ET UNIÈME QUESTION. Les bénéficiers ou les possesseurs de fiefs pourront-ils, et pourront-ils seuls, se faire représenter par des fondés de procuration ? AVIS. Les ecclésiastiques assignés à leurs bénéfices, et les nobles assignés à leurs fiefs, auront la faculté de se faire représenter par des fondés de procuration. Tous ceux qui ne seront point assignés personnellement, de quelque ordre qu’ils soient, ne pourront point donner de procuration. 19 voix contre 5. QUARANTE-DEUXIÈME QUESTION. Si du même titre de bénéfice, ou du même fief, dépendent des biens situés dans différents bailliages qui députent directement aux États généraux, le possesseur aura-t-il le droit d’avoir voix, ou de se faire représenter dans chaque bailliage, ou seulement dans celui du chef-lieu de son bénéfice ou de son fief? AVIS. Il ne doit être assigné qu’au chef-lieu du bénéfice, ou au principal manoir du fief, conséquemment à l’avis sur le n° 9. Unanimement. QUARANTE-TROISIÈME QUESTION Les bénéficiers ou les possesseurs de fiefs pourront-ils voter ou donner autant de procurations qu’ils possèdent de bénéfices ou de fiefs dans le ressort du même bailliage ; ne le pourront-ils que dans les différents bailliages ? AVIS. Un ecclésiastique qui aurait plusieurs bénéfices, ou un noble plusieurs fiefs dans le même bailliage, ne pourrait point donner plusieurs procurations pour voter en son nom ; mais il pourrait voter, ou se faire représenter dans tous les bailliages où il posséderait des corps de bénéfice ou de fief. Unanimement. MOTIF. On a cru ne devoir pas accorder une trop grande influence à la même personne dans le même bailliage. QUARANTE-QUATRIÈME QUESTION. Les non nobles possédant des fiefs nobles pourront-ils se faire représenter, et par qui ? AVIS. Ils ne pourront se faire représenter. Unanimement. MOTIF. Parce que, quoique possesseurs d’un fief noble, ils n’ont pas le droit d’entrer dans l’ordre de la noblesse, ni par conséquent de s’y faire représenter. QUARANTE-CINQUIÈME QUESTION. Accordera-t-on, aux ecclésiastiques et aux nobles non possédant bénéfices ou fiefs, et aux membres du tiers-état, la faculté de se faire représenter aux élections ? AVIS. Tous ceux qui ne seront point assignés personnellement, de quelque ordre qu’ils soient, ne pourront point donner de procuration. Unanimement. MOTIF. On a pensé qu’il fallait restreindre le droit de se faire représenter personnellement, sans’ quoi on aurait multiplié à l’infini les procurations. QUARANTE-SIXIÈME QUESTION. Les mineurs, les veuves, les filles et les femmes possédant divisément, pourront-ils se faire représenter, et par qui ? AVIS. Les mineurs, les filles majeures, les veuves et les femmes possédant divisément, nobles et possédant des fiefs nobles, pourront se faire représenter, en se conformant aux différentes lois et coutumes dans lesquelles lesdits fiefs seront situés. Les bénéficiers mineurs pourront aussi se faire représenter, mais les procurations ne pourront être conférées qu’à des membres du même ordre que celui du commettant. Unanimement. 443 [lr® Série, T._ Ier. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] MOTIF. Leur droit de se faire représenter a paru être une conséquence de leurs propriétés ou possessions. QUARANTE-SEPTIÈME QUESTION. Les ecclésiastiques ou les nobles, ainsi que ceux du tiers-état, qui ne seront pas cités personnellement, pourront-ils voter comme électeurs dans les différents lieux où ils auraient des propriétés, ou seulement dans celui de leur domicile ? AVIS. Ils ne pourront voter que dans le lieu de leur domicile, conséquemment aux avis précédents sur les articles 40 et 42. Unanimement. QUARANTE-HUITIÈME QUESTION. Si les procurations sont admises, combien pourra-t-on en réunir sur la même tête ? Seront-elles générales ou spéciales, et le fondé sera-t-il du même ordre que son commettant ? Ces procurations pour élire s’étendront-elles à la rédaction des cahiers, et le procureur fondé aura-t-il pour cette rédaction autant de voix que pour les élections ? AVIS. Sur la première partie de cette demande, il a passé à 1’unanimité qu’une même personne ne pourra être chargée déplus de deux procurations; qu’elles pourront être générales ou spéciales, et qu’elles ne pourront être données qu’à une personne du même ordre que le possesseur, et du même bailliage où est situé le bénéfice ou le fief ; et sur la dernière partie, à la pluralité de 17 voix contre 7, que l’on n’aurait égard dans la rédaction des cahiers qu’aux suffrages des présents. MOTIFS. 1° On a prévu les inconvénients qui résulteraient de la trop grande influence qu’aurait une même personne, si elle pouvait cumuler sur sa tête plus de deux procurations. 2° On a pensé qu’il y aurait de l’inconvénient à introduire, dans les assemblées de bailliage, des étrangers qui n’y seraient pas connus, ou seraient d’ordre différent. 3° On a pensé que, pour voter à la rédaction des cahiers, il fallait pouvoir assister personnellement à la discussion qui s’en ferait, et d’après laquelle les différents articles seraient admis ou rejetés. QUARANTE-NEUVIÈME QUESTION. Devra-t-on nommer expressément dans la procuration celui à qui on la donnera? AVIS. On a pensé qu’on ne devait point gêner la liberté sur la forme de la procuration. ' 21 voix contre 3. , CINQUANTIÈME QUESTION. Les élections se feront-elles à haute voix ou au scrutin ? Distinguera-t-on à cet égard les différentes sortes d’assemblées? AVIS. A haute voix pour les assemblées des communautés de campagne. Unanimement. A haute voix pour toutes les autres assemblées. 14 voix contre 10. CINQUANTE ET UNIÈME QUESTION Pourra-t-on nommer un suppléant dans chaque ordre pour remplacer le ou les députés aux États généraux, en cas de maladie ou de légitime empêchement, lequel n’aura de mission qu’au défaut du député qu’il sera destiné à représenter ? AVIS. Chaque assemblée nommera d’autres députés destinés à remplacer les premiers, en cas de mort, de maladie ou d’empêchement. Chaque bailliage pourvoiera de la même manière au remplacement de tous ses députés par un nombre égal de subrogés. Unanimement. CINQUANTE-DEUXIÈME QUESTION. Si une même personne est nommée député dans plusieurs bailliages, sera-t-êlle tenue d’opter le bailliage dont elle voudra être le représentant ; et dans ce cas, sera-t-elle remplacée de droit dans les autres bailliages par celui qui, après l’élu*- aura réuni le plus de suffrages? AVIS. Une même personne nommée député dans plusieurs bailliages sera obligée d’opter. Unanimement. Plusieurs bailliages ne pourront remettre leurs suffrages entre les mains d’une même personne. 17 voix contre 7. Ce ne pourra être qu’un suppléant, élu dans la même forme que le député, qui remplacera la personne élue dans différents bailliages pour ceux qu’elle n’aurait pas optes. Unaniment. MOTIF. Le motif qui a déterminé a été la crainte de donner trop d’influence à la même personne aux États généraux. Et c’est l’un des cas pour lesquels on a cru né- 414 fl»* sérte, T. 4k] Àftçtfittfc tilflÈÔENfÂifeËS. llntroduction.j cessaire d’élire les suppléants dans la même forme que les premiers députés. GINQUiNtfi-TRÜISIÈME QÜÈSTION. Quelle supériorité ou pluralité de suffrages sera nécessaire pour être légitimement élu? AVIS. Pour être élu, il faudra avoir plus de la moitié des suffrages. Si au premier tour d’opinions aucun des candidats n’avait cette pluralité , il serait fait un second tour, et même un troisième; Si l’élection n’était pas encore terminée par l'é troisième tour, les électeurs seraient tenus de choisir entre les deux candidats qui auraient le plus de voix au dernier tour. Unanimement. CINQUANTE-QUATRIÈME QUESTION, ffeCa-4-il nécessaire dé régler l’bfdre et la forme qtie devront suivre leS assemblées ou les instructions dés députés aux. États généraux seront délibérées ët rédigées, depüis ies assemblées de campagne en remontant ]usqu’aux assemblées bailliagères? AVIS. Chaque assemblée jfrocôderâ à la rédaction de ses Câhiers coin nié ëlîe jugërâ à propos. Chaque communauté enverra lé sien par ses députés a l’assemblée supérieure. Les assemblées de juridiction secondaire réduiront ces cahiers en un seul, qui sera envoyé aux assemblées bailliagères ; néanmoins les cahiers de chaque communauté y sèfont joints comme pièces justificatives. Les assemblées bailliagères formeront un cahier général dé toutes les demandes particulières qui leur auront été portées. Unanimement. MOTIF. L’intention a été de donner aux plus petites communautés la faculté de faire parvenir leurs vœux au pied dû trône. Collationné sur V original par nous , premier secrétaire-greffier âe l’assemblée , tenant la plume (laits le bureau, ce 6 âécembre 1788. Signé IîENNlN. SECOND BUREAU. COMMISSAIRES. MM. l’archevêque d’Aix ; Le duc de Guines ; Le procureur général du Parlement d’Aix ; Le maire de Limoges. Le second bureau* en mettant ses avis motivés sous les yeux de Sa Majesté, croit devoir observer que des principes ou des considérations différentes ont quelquefois conduit à adopter les avis qui ont obtenu la pluralité ou l’unanimité des suffrages. Toutes les opinions n’ont pu être rapportées ; on a seulement fait mention des motifs qui ont déterminé la pluralité des délibérants qui ont embrassé l’dVis ifoi a pfévalti. MGtiès généraux. Quelle méthode doit être adoptée pour la convocation des Etats généraux ? Voilà l’unique objet de inattention des notables ; et toutes les questions particulières tiennent à cette grande question, oü comme moyens ou comme conséquences. C’est dans cette vue qu’il faut rechercher sur quels titres est fondé le droit de suffrage dans les États généraux et dans les assemblées d’élection; à quelles qualités appartiennent dans ces diverses assemblées le droit d’élire et le droit d’être élu, et quelles formes doivent en régler l’exercice. La convocation a-t-elle son complément ? les États généraux peuvent-ils s'assembler ? Les notables ne sont point appelés à porter plus loin leur inspection, et sur tout objet sur lequel peuvent délibérer les états les notables n’ont point à s’expliquer. Le second bureau a considéré ainsi l’objet, l’étendue et les limites de sa mission. Si la convocation des États se bornait à l’adoption ou à la proscription de quelques moyens de forme, l’objet ne serait pas très-intéressant; mais, comme de ces formes dé Convocation et des qualités des électeurs et des éligibles dépend la composition des États généraux , ce sujet de délibération acquiert un nouveau degré d’importance. Les principes qui doivent régir la convocation des états varient suivant les provinces où doit être faite cette convocation; il faut distinguer celles qui faisaient partie de la monarchie en 1614, celles qui y ont été réunies depuis cette époque, et celles qui ont député aux États généraux en forme et corps d’États. Pour ces dernières provinces les règles de la députation sont faciles à assigner ; elles sont déterminées par leur constitution particulière* et les notables du second bureau n’ont pas pensé qu’il pût être question de la changer. Pour les provinces réunies à la couronne depüis ' 1614, le second bureau ne connaît pas assez quels sont leurs droits pour donner un avis sur la forme de députation qu’elles doivent adopter ; le second bureau se borne à former un vœu pour que cette députation soit réglée d’après les principes qui doivent constituer toute assemblée nationale* en les conciliant avec la Constitution dé chacune de ces provinces, et en les rapprochant-autant qu’il sera possible, du régime du reste du royaume dans lès parties qui tiennent a la con-, stitution. L’objet principal de la délibération dès notables [i»é sérié, t. 1er.] Archivés MfttEÉÈftîÂfKES. iîmroatiètiofi;) se réduit donc à examiner quelle doit être la convocation des États généraux dans les provinces de l’ancienne domination, qui ne députent point en forme dé payé d’états. 11 à paru que, dans là convocation déS États généraux dé Frâricë , deux objets pMhcipaüx devaient être considérés : le droit de tout Français dé donner so'ii stiffragè; et là distinction dès divers ordres de l’État. Dans lé plan proposé il existe übë relation nécessaire entre lé souverain et le sujet; tout Français est admis à former tin voeu Sur î’ordrë puhlic, et à donner son consentement âul impôts qü’il doit SUppOrtèr. Là distinction des tfois ordres dé FÉtàt, l’égalité de leurs pouvoirs, leUr droit de délibérer séparément, des bases de la constitution nationale seront respectées, si le vœü du bureau est adopté. Le burëàü à estimé qu’il ne pouvait exister qu’une Seule forme de convocation constitutionnelle, la forme établie par les lois et par les usages. Un respect religieux pour les usages généraux et constants a été la règle de sa détermination ; mais toüt genre d’usage n’a paS paru mériter une égale Considération. Ce qui s’est passé dans les temps très-anciens , rarement connu avec exactitude, plus rarement encore conciliable avec les mœurs actuelles, a été moins consulté que des exemples qui, moins anciens et réitérés, forment un dernier état constant, règle de droit public qui confirme ou supplée toutes lès autres ; aussi le second bureau, dans la plupart de ses arrêts, s’est autorisé de l’exemple des États de 1614, des quatre dernières tenues d’États ou tenues d’Etats antérieures. Le burèaü ne dissimulera point qu’il a craint dë proposer des changements dans là constitution des États généraux, âu moment où l’Ouverture de cette assemblée vâ permettre de recueillir son vœu ; il a Craint, en proposant des idées d’innovation, de contrarier les motifs de justice, de confiance et de bonté qui ont déterminé Sa Majesté à convoquer les États. Le bureau a considéré que, Ci dariS ce moment Un des Ordres de l’État obtenait Un droit dont il n’avait pas encbre joui , bientôt après cette réforme pourrait être réformée ; et si l’ordre qui aurait obtenu une augmentation de prérogatives les voyait diminuer ou Supprimer sur la réclamation des autres ordres, ses plaintes Sur l’usage d’un pouvoir que lui -même aurait provoqué deviendraient moins favorables. Enfin , Si Sa Majesté se déterminait à des changements, quelle foule de prétentions on verrait bientôt éclore ! ordres, provinces, bailliages, villes, campagnes, commerce, toutes les classes de l’État formeraient des demandes ; et lorsque des citoyens doivent se réunir dans un esprit de fraternité, lorsque l’affection nationale pour le souverain 418 est plus que jamais intéressante -et nécessaire, serait-il prudent de donner sujet à tant de réclamations? Ainsi toutes les considérations, comme tous les principes, ramènent au respect que le second bureau a témoigné pour les usages, et il croit prouver au roi sa respectueuse reconnaissance de la confiance dont Sa Majesté l’a honoré, en proposant le plan de convocation des États le plus circonspect, le plus sage, le plus expédient ; plan qui fie donne prételte à aucune réclamation légitime, puisqu’il est conforme à la constitution des ordres aux derniers États généraux. Un tel plan est le plus sûr, et peut-être l’unique moyéii dé rendre prompte ët certaine rassemblée des Étals, assurée par Sa Majesté, désirée ardemment par la nation, et devenue indispensable par la situation des affaires. PREMIÈRE QÜËSÎlOïï. Le nombre des députés doit-il être en raison des gouvernements, des généralités, des provinces, des élections, des diocèses, des bailliages ?, ' AVIS ET MOTIFS. Cette question n’a été proposée qùe pâr rapport aux provinces qui ont députe par bailliages ou sénéchaussées aux États généraux de 1614, et non en forme et corps d’états. Le Second bureau à considéré que, dans les provinces ou les députations ne sont point nommées par les états, les citations ont toujours été faites par sentencé et par assignations, et qu’elles peuvent occasionner des contraintes ; que ces contraintes et ces assignations ne peuvent avoir lieu que dans les formes juridiques; Que le roi a toujours confié ses pouvoirs en cette partie aux mêmes officiers qui convoquent en son nom le ban et l’arrière-ban, ou dû moins à des tribunaux qui ressortissent nûment à ses cours souveraines ; Qùë les convocations des bonnes vides aux États généraux depuis 1301 jüsqu’en 1483 ont été constamment faites par-devant les bailliagés et sériéëhaussées ; Qtië, dans le thème espace de temps, on retrouve plusieurs exemples fie la convocation des trois ordres dans quelques provinces, par-devant les baillis Ou sénéchaux ; Que depuis 1483 les baillis ou sénéchaux ont été chargés de la convocation des trois ordres pour toutes les assemblées des États généraux. Le second hilfeau, à %â pMr alite àe vingt�cjMtrë voix contre une , a délibéré en conséquence, Ut conformément aux usages suivis par les 'assemblées d’États généraux de 1483, 1560, 1588 et 1614, que les convocations doivent être faites par bailliages et sénéchaussées. 416 [lr« Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Introduction.] DEUXIÈME QUESTION, Divisée en quatre parties. 1° De quelle nature doivent être les bailliages qui auront la prérogative de députer directement aux États généraux ? AVIS ET MOTIFS. Cette question est divisée en quatre articles, sur lesquels la délibération a passé à la pluralité de vingt-quatre contre un. Le bureau a considéré que les lettres de convocation n’étaient ordinairement adressées qu’aux grands sénéchaux et baillis d’épée ; Qu’il paraît que la députation directe est en général attribuée aux bailliages dans lesquels se font les assemblées d’élection ; et que les assemblées d’élection n’ont été convoquées régulièrement que par-devant les sénéchaux et baillis d’épée, ou leurs lieutenants ; Que s’il se trou ve quelques bai liiages royaux sans sénéchaux ou baillis d’épée qui aient député directement dans les précédentes assemblées d’États généraux, ils ont un droit acquis par la possession. j Le second bureau a délibéré en conséquence que les bailliages qui peuvent députer directement sont ceux qui ont des baillis ou sénéchaux d’épée, soit d’ancienne, soit de nouvelle création, sans préjudice des bailliages et sénéchaussées royales qui, n’ayant point de baillis et sénéchaux d’épée, auraient néanmoins été convoqués en 1614, pourvu qu’ils aient conservé le titre de bailliages royaux ou sénéchaussées royales. 2° Doit-on n’accorder cette distinction, quant aux provinces qui ont député par bailliages en.1614, qu’aux seuls bailliages qui ont député directement à cette époque, soit qu’ils eussent ou non des baillis d’épée ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau, persuadé que le principe qui a déterminé les États généraux précédents, est celui du droit que les sénéchaux et baillis d’épée ont toujours exercé de convoquer le ban et l’arrière-ban, et de présider la noblesse, a regardé le droit des sénéchaux et baillis d’épée, et celui des bailliages auxquels ils président, comme établi par le plus long usage ; et le bureau, voulant se conformer aux principes suivis par les précédents États généraux, a cru qu’on devait en conséquence accorder la députation directe à tous les bailliages dans lesquels on a créé des baillis d’épée depuis 1614. 3° Écartera-t-on de la députation directe les bailliages qui, ayant eu à cette époque des baillis d’épée, paraissent n’avoir député que secondairement? AVIS ET MOTIFS. Le bureau n’a eu connaissance d’aucun exemple d’un bailliage, ayant un bailli d’épée, qui n’ait pas député directement en 1614. 11 a pensé qu’il était possible que les députés nommés ne fussent pas venus aux États généraux ou qu’il n’y ait point eu de députés nommés ; et, dans le cas où quelque bailliage n’aurait pas exercé ou réclamé ses droits en 1614, le bureau pense qu’il n’a pas pu les perdre; que le titre de sénéchal ou bailli d’épée lui donne un droit à la députation directe, si la charge de bailli d’épée n’est pas éteinte; et qu’on ne peut pas refuser à des titres antérieurs à 1614, et toujours subsistants, la même prérogative qu’on accorde aux titres de nouvelle création. 4° Enfin admettra-t-on pour la députation directe les bailliages créés depuis 1614, avec baillis d’épée, cas royaux, ressort sur d’autres juridictions, et ressortissants nûment à un Parlement ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau a déclaré que ces sortes de bailliages devaient être admis à la députation directe, par sa réponse à l’article 1er de la seconde question. TROISIÈME QUESTION. Les provinces ou pays qui ont député en forme de pays d’États en 1614, bu aux trois tenues précédentes, continueront-ils de jouir de cet avantage ? AVIS ET MOTIFS. Le. second bureau a considéré que les provinces, qui ont député en 1614 en forme de corps d’états, avaient sans doute des droits acquis et fondés sur leur constitution; que leur possession en 1614 confirmait leurs anciens droits, et leur donnait même un dernier état qu’elles n’ont pas pu perdre par la longue suspension des États généraux. Le second bureau en conséquence a délibéré à l’unanimité que les provinces ou pays qui ont député aux États de 1614, en forme et corps d’états, soit qu’ils aient ou n’aient pas actuellement des états provinciaux, doivent députer aux États généraux, suivant leurs droits et usages. QUATRIÈME QUESTION. Pour fixer le nombre des députations que chaque bailliage enverra aux État généraux, aura-t-on égard à leur population ? Ou le nombre des députations sera-t-il égal entre tous les bailliages, sans égard à leur population ? Et dans le premier cas, quelle serait l’échelle de proportion qu’il faudrait établir entre eux? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau avait formé le vœu d’une re- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] présentation proportionnée au nombre respectif de chaque bailliage; monseigneur comte d’Artois, pénétré des impressions de tout ce qui est juste et utile, avait désiré de consigner des observations importantes sur une proportion qui semble devoir résulter des principes de la justice et de l'utilité publique. On ne peut pas se défendre d’un sensible étonnement à la vue de cette énorme disproportion qui donne, à des bailliages composés de douze mille habitants, la même représentation qu’à six cent mille citoyens renfermés dans le ressort d’un seul bailliage. On a peine à concilier cette apparente contradiction avec l’égalité des pouvoirs et des suffrages de chaque citoyen, qui forme l’essence de la constitution d’une Assemblée nationale. . Le bureau a pensé que son premier devoir et celui de l’assemblée des notables sont d’accélérer la convocation des États généraux ; l’État est en souffrauce , l’excès des dettes est connu , les charges publiques ne peuvent pas être acquittées sans des ressources que la nation seule peut donner. 11 est impossible de tenter aucune opération salutaire sans le concours desÉtats généraux, et il ne serait pas convenable aux circonstances de proposer des méthodes nouvelles et compliquées, dont l’exécution difficile retarderait une assemblée également désirée par le souverain et par la nation. 11 semble que des innovations qui pourraient même être utiles doivent être plutôt l’objet des États généraux que d’une assemblée de notables. Le bureau a pensé qu’il y avait de grandes dif-‘ Acuités sur la règle même à suivre pour établir une nouvelle proportion. Est-ce la population seule qu’il faut connaître, ou faut-il suivre le rapport des contributions, et peut-on oublier absolument les différences importantes qui résultent nécessairement de la plus grande ou de la moindre étendue des bailliages? On a réuni les différentes combinaisons dans les provinces en-cadastrées, qui ont mieux connu les principes de la plus juste répartition des charges publiques. Le bureau a considéré en général qu’il n’avait pas pu recueillir des connaissances suffisantes pour établir une base exacte de proportion èntre les différents bailliages; il craint de détruire des usages 'que l’exemple des cinq tenues consécutives des États généraux rend respectables, en y substituant une proportion qui ne serait pas elle-même sans injustice. Une disproportion nouvelle et nécessairement arbitraire serait l’ouvrage de l’autorité ; il semble qu’une disproportion ancienne et constante est l’ouvrage du concours même du souverain et de la nation. Le bureau même a fait des réflexions importantes qui peuvent balancer ses craintes sur les effets d’une représentation qui semble inégale et disproportionnée. 1re Série, T. 1er. 417 Tous les citoyens sans doute doivent participer également à la nomination des représentants de leurs communautés. La représentation est nécessaire, et les formes de la représentation peuvent varier. Un citoyen riche ou pauvre doit avoir également sa voix et. peut donner son suffrage dans sa communauté; la différence des fortunes ne donne pas plus de voix à la richesse qu’à l’indigence ou à la médiocrité. Les communautés suivent entre elles la même règle, et, quelle que soit la disproportion de leur étendue, de leur culture, de leur commerce et de leur population, elles ont toutes le droit de députer aux assemblées d’élection avec la même égalité. Il semble qu’il en résulte la même disproportion qu’on observe dans les députations des différents bailliages : celui de Poitou est à celui de Gex comme une ville considérable est aux petites communautés situées dans le même ressort. Il ne serait pas possible de distinguer les pouvoirs des citoyens selon leur richesse ou leur indigence; il ne serait pas possible d’établir une différence dans les députations des paroisses entre elles, et cette apparente inégalité résulte même del’égalité réelle des intérêts qui doivent régler les droits des citoyens et des communautés. Chaque communauté a son intérêt propre qui doit dicter ses représentations ; chaque communauté forme son cahier de doléances. Les intérêts des sociétés les plus faibles sont aussi chers et précieux que ceux des associations les plus con-- sidérables : les différences sont dans les objets ; les effets en sont les mêmes, puisqu’il s’agit des biens et des maux de chaque citoyen. La convocation des citoyens et des communautés est la base de celle des bailliages ; l’une est la suite de l’autre; on ne peut pas changer de méthode aux divers degrés d’une opération progressive, et mauifester par des variations aussi rapprochées la contradiction des principes. Le bien de l’État est le même pour les bailliages plus ou moins étendus; les États généraux auront à traiter des objets lesplus intéressants pour la nation, et de la législation générale; les petites contrées doivent être protégées et défendues par les lois communes comme les plus gran'des provinces, et surtout en matière d’impôt. Il n’y a point d’autre intérêt que celui qui devient le même dans toutes les parties du royaume, l’intérêt de la plus juste répartition des contributions dont dépend la destinée de tous les citoyens : c’est la confiance qui doit dicter le choix des députés ; c’est le choix des députés qui peut seul bannir des États généraux l’esprit de corps, les préjugés locaux et les intérêts exclusifs; il importe surtout de former une assemblée nationale composée de gens de suffisance et de probité, qui ne trahiront point l’intérêt national, et qui ne 27 418 . [*re Série, T* 1er.] s’écarteront point des principes de l’honneur et de la justice. Le choix le plus libre est toujours le plus mérité -, c’est la liberté du choix, et non la proportion des bailliages, qui doit mettre en sûreté l’intérêt de tous les bailliages sous la protection constante et toujours la même de l’intérêt national. Ce sont les cahiers des provinces qui sont le dépôt de leurs plaintes et de leurs vœux, et qui doivent faire la règle de leurs représentants ; et ces cahiers, dictés dans chaque bailliage par le «sentiment des biens à faire et des maux à réparer, renferment les mêmes connaissances� et transmettent aux États généraux les mêmes instructions, quel que soit le nombre des députés de chaque bailliage. Le bureau, entraîné par ces considérations, et toujours fidèle à des usages consacrés par les pré-. cédents États généraux, a pensé, à la majorité de vingt voix contre cinq, qu’il ne devait pas proposer du proportionner le nombre des députés de chaque bailliage aux États généraux sur leur population, et que le nombre des députations devait rester égal pour chacun des bailliages qui députent directement aux États généraux. CINQUIÈME QUESTION. Quel doit être le nombre respectif des députés de chaque ordre ; sera-t-il égal pour chaque députation ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a recherché avec la plus grande attention, dans les monuments des différentes tenues d’États généraux qu’il a eus sous les yeux, de quelle manière avait été réglée la question proposée sur la proportion du nombre respectif des députés des différents ordres. Le bureau a reconnu que toutes les lettres de convocation ont appelé aux États généraux, tantôt un député de chaque ordre, et non plus ; tantôt un député de chaque ordre au moins, et plus souvent un député de chaque ordre, sans aucune expression extensive ni restrictive. Le bureau s’est cru fondé à juger que cette parité entière, toujours conservée entre les trois ordres par les expressions des lettres de convocation, ne pouvait être fondée que sur le principe de la distinction constitutive de ces ordres et de l’égalité de leurs pouvoirs, qui fait de même partie de leur constitution. Le bureau, toujours frappé des considérations qu’il a développées à Sa Majesté au commencement de ses délibérations, et persuadé qu’il est de la plus grande importance que tout ce que le roi prescrira dans cette circonstance ne soit que la confirmation de règles ou d’usages déjà reconnus, ne doute pas qu’il ne soit de l’intention du roi comme de sa sagesse de suivre religieusement, à l’égard de la convocation des États généraux (IntrodttctiôU.l de 1789, les traces d’usages antiques dont les monuments se correspondent Uniformément, et il pense que cette circonspection est le seul moyen de prévenir les difficultés et les contestations que des changements pourraient occasionner. Le bureau a pensé en conséquence, à la pluralité de seize voix contre huit, un membre absent, que, sur l’article de la proportion du nombre respectif de députés des différents ordres aux États généraux de 1789, les lettres de convocation doivent être conçues dans les mêmes principes qui régnent également dans toutes celles des États précédents, et dans les mêmes termes littéralement repris, qui ont été adoptés dans les lettres de convocation de 1614, pour être exécutées en la manière accoutumée, en observant à Sa Majesté combien il importe qu’il soit reconnu que les députés de chaque ordre dans un bailliage n’ont jamais eu qu’une Seule voix dans l’ordre auquel ils appartenaient, quel qu’ait été le nombre des députés de chaque ordre aux États généraux ? SIXIÈME QUESTION. Quelle a été et quelle pourrait être la forme de délibérer des trois ordres dans les États généraux? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau a considéré que telle est la constitution de cette monarchie, que la nation entière est composée de trois ordres de citoyens ; que chaque ordre a son existence légale et ses droits imprescriptibles-, Qu’un des droits essentiels de chaque ordre est d’avoir dans les États généraux ses représentants, auxquels il donne par un choix libre sa confiance et ses pouvoirs ; Que c’est cette représentation des trois ordres qui forme la constitution des États généraux; Que le droit de délibérer par ordre est une suite de la distinction des trois ordres ; Que les premiers États généraux Convoqués en 1302 par Philippe le Bel ont opiné par ordre, et qu’un des ordres même demanda du temps pour opiner, après que les deux autres avaient énoncé leurs délibérations ; Que les États de 1 355 arrêtèrent que tout ce qui serait proposé par les États n’aurait de validité qu’autant que les trois ordres réunis y Concourraient unanimement, et que la voix de deux ordres ne pourrait lier ni obliger le troisième qui aurait refusé son consentement ; Que cette délibération devint une disposition de l’ordonnance du 28 décembre 1355 ; Que l’ordonnance de 1560, donnée sur la demande des Étals d’Orléans, est conforme à la disposition de l’ordonnance de 1355 ; Que dans les États de 1576 le tiers-état remontra qu’on avait de toute . ancienneté gardé telle prérogative à chacun des trois états, que leâ deux ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ne pouvaient rien arrêter au préjudice du tiers, et pour cette cause donna charge de faire empêchement à ce que les ordres nommassent trente-six juges pour assister au jugement des cahiers des États ; ' . - Que les mêmes formes ont été suivies dans les délibérations des États généraux en 1588 et en 1614; Et qu’enfin si les trois états ont concouru quelquefois ensemble, soit par des commissaires, soit autrement, pour des intérêts communs, ils ont pu faire usage de leur liberté sans rien perdre de leurs droits. Le second bureau a pensé en conséquence unanimement que le droit appartenant aux ordres de délibérer séparément dans les. États généraux est fondé sur les droits et lâ constitution des trois ordres, sur les ordonnances du royaume et sur les usages constamment suivis. Le bureau, au surplus, croit devoir se borner à rappeler les principes établis et les formes accoutumées-SEPTIÈME QUESTION. À qui les lettres de convocation devront-elles être adressées ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a reconnu qu’il est de l’ancienne constitution des baillis et sénéchaux d’épée d’être, chacun à la tête du département qui leur a été confié, les officiers du roi pour toutes les parties de l’administration publique, et d’y recevoir et transmettre les ordres sur tout ce qui appartenait à la police, à la justice et à la finance, C’est en conséquence de cette ancienne constitution que les ordres pour la convocation aux États généraux ont été originairement adressés aux baillis et sénéchaux d’épée, et qu’à chaque occasion ces officiers ont également reçu les lettres de convocation. Cet. ordre a été d’autant plus naturel à conserver, que c’est par l’autorité judiciaire et par la voie de sentences et de contraintes que l’exécution des convocationsa toujours été assurée et rendue coactive à l’égard des principaux convoqués du clergé et de la noblesse, et qu’ainsi il a toujours été convenable que le soin de ces convocations fût confié aux principaux officiers de la justice territoriale. Le bureau pense en conséquence unanimement que, ainsi qu’il s’est toujours pratiqué, les lettres de convocation doivent être adressées aux baillis et sénéchaux d’épée ; il est au surplus d’usage de les envoyer aux gouverneurs et lieutenants généraux des provinces, pour les transmettre aux baillis et sénéchaux d’épée. HUITIÈME, neuvième et dixième questions REUNIES. Dans quelle forme chacun des trois ordrés sera-t-il convoqué et cité ? 419 Les bénéficiers dans l’ordre du clergé, et les possesseurs de fipfs dans Tordre de la noblesse, seront-ils assignés, seront-ils les seuls assignés et où seront-ils assignés ? • Les membres du clergé et de la noblesse, soit qu’ils soient assignés à leurs bénéfices ou à leurs fiefs, soit qu’ils soient seulement convoqués par des affiches et publications, seront-ils convoqués aux bailliages inférieurs ou aux. bailliages supérieurs ? * « AVIS ET MOTIFS. Le bureau, désirant né pas S’écarter des formes anciennes et accoutumées, s’est occupé à rechercher celles qui ont eu lieu aux précédents États généraux, et notamment à ceux de 1614; pour la convocation et citation des trois ordres ; telles ont été les formes observées : les baillis et sénéchaux ordonnent de faire un premier avertissement commun à tous les individus des trois ordres, consistant dans la publication, à son de trompe, cri public et par affiches, des lettres de convocation préalablement enregistrées aux sièges des bailliages, pour que personne n’en ignore, et que chacun, en ce qui le concerne, ait à s’y conformer. Mais, indépendamment de cette citation géné-' raie, il est d’usage que leS ecclésiastiques, possesseurs de bénéfices, et les nobles, possesseurs de fiefs, soient personnellement cités par des assignations particulières, qui leur sont adressées dans ie chef-lieu deleurs bénéfices ou deleursfiefs. Le bureau a remarqué que les bénéficiers et possesseurs de fiefs Ont seuls joui de cette distinction, et que tous les autres ecclésiastiques nort bénéficiers et nobles non possédant fiefs ont été compris dans la citation générale à sonde trompe et cri public. Les membres du tiers état n’ont pas été cités individuellement, mais par des assignations données aux maire, échevins, syndics et fabriciens, pour les communautés et paroisses qu’ils représentent. Le bureau a reconnu qu’il existait une différence essentielle entre la convocation des ecclésiastiques et des nobles et celle de gens du tiers-état, en ce que les premiers, de quelque manière qu’ils fussent assignés , soit par des actes particuliers, soit par l’assignation publique à son de trompe , ont été constamment cités pour se trouver directement tous et en personne à t’assemblée du bailliage supérieur, où doivent se faire l’élection des députés et la rédaction des cahiers de tout le ressort ; au lieu que les personnes du tiers-état , comme étant infini ment plus nombreuses, doivent s’assembler dans leurs communautés respectives, et ne concourent . à la formation de rassemblée du bailliage supérieur, que médiatement par leurs députés. 420 l*re Série> T-le, J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. Enfin le bureau, considérant que ces formes anciennes et constantes sont suffisantes pour remplir parfaitement Je but que Sa Majesté se propose, qui est de faire connaître à tous ses sujets la teneur des lettres de convocation, et de les appeler tous à concourir médiatement ou immédiatement à leur exécution, a été en conséquence unanimement d’avis : Sur la huitième question , Que les trois ordres doivent être convoqués et cités dans la forme accoutumée. Sur la neuvième , Que les bénéficiers et les nobles, possesseurs de fiefs, doivent être seuls assignés par des assignations particulières, qui doivent leur être données au chef-lieu de leurs bénéfices ou de leurs fiefs. Sur la dixième , Que tous les membres du clergé et de la noblesse, de quelque manière qu’ils soient convoqués, soit par des actes particuliers, soit à son dé trompé, doivent être directement convoqués aux bailliages supérieurs, et non aux bailliages inférieurs. ONZIÈME QUESTION. Dans quelle forme les ecclésiastiques et les nobles qui n’auront pas été cités personnellement, ustifieront-ils de leurs titres et qualités pour. voter ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau, ayant voté pour que tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres et domiciliés ou bénéficiers soient admis dans les assemblées d’élection, a été d’avis unanimement, par les mêmes motifs, qu’il ne faut exigér des ecclésiastiques non bénéficiers d’autres preuves que celle de leur ordination, et celle de leur domicile dans l’arrondissement du bailliage où ils se présenteront. Le bureau a pensé que les nobles doivent être domiciliés ou propriétaires ; mais il a senti qu’il serait difficile de s’assurer des preuves de leur état, d’une manière qui ne laisse rien à désirer. 11 n’a pas cru, d’un côté, devoir limiter par des conditions rigoureuses un droit personnel de représentation qui doit appartenir à tous les citoyens dans leur ordre ; il n’a pas cru, d’un autre côté, devoir étendre les mêmes facilités à tous les autres objets qui pouvaient intéresser l’ordre de la noblesse, et il a pensé qu’il ne fallait pas que le genre de preuves qu’on exigerait d'eux pût faire titre dans d’autres occasions ; et par ces motifs le bureau a été d’avis unanimement que les nobles domiciliés ou propriétaires justifient de leur noblesse par un certificat de quatre gentilshommes; et, en cas de contestation, par quelque acte et preuve de noblesse, sans que leur admission ou exclusion de l’assemblée puisse leur nuire ni servir à d’autres effets. DOUZIÈME QUESTION. Dans les assemblées de bailliages, à qui appartiendra la présidence quand les ordres seront réunis ? A qui appartiendra-t-elle dans chacun lorsqu’ils seront séparés ? Le bailli d’épée, s’il est présent, présidera-t-il de droit la noblesse, et en son absence par qui sera-t-elle présidée ? Qui présidera le clergé ? Qui présidera le tiers-état ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a cru devoir chercher la réponse à ces questions dans les différents procès-verbaux des assemblées de bailliages, tenues pour députer aux États de 1614. Il résulte de leur contenu que, lorsque les ordres sont réunis dans le chef-lieu du bailliage principal, ils sont présidés par le grand bailli ou sénéchal, et en son absence par son lieutenant-général, qui le remplace, par la raison que c’est au bailli que les lettres de convocation sont adressées par le roi ; que c’est en exécution de son ordonnance, en vertu du pouvoir et de la juridiction attachés à sa qualité, et qu’enfin c’est par-devant lui que l’assemblée est convoquée. Mais après que l’ouverture de l’assemblée a été faite, en présence des trois ordres réunis, par la lecture des ordres du roi, il est d’usage que les ordres se séparent et s’assemblent chacun en particulier pour la rédaction de leurs cahiers et la nomination de leurs députés. Les trois ordres étant ainsi séparés, il paraît que le clergé est alors présidé par l’archevêque ou l’évêque ; • La noblesse par le bailli, lorsqu’il est présent ; et le tiers par le lieutenant-général du bailli, etc. TREIZIÈME QUESTION. Quel âge sera nécessaire pour être électeur ou éligible dans chacun des trois ordres? AVIS ET MOTIFS. Il est nécessaire que, pour élire un représentant dans l’assemblée nationale, pour concourir à la formation d’un cahier où sont discutés les intérêts de l’État, on ait atteint l’âge où le jugement doit être formé ; mais celte époque est fixée différemment dans les diverses provinces et pour des actes de diverses natures. Un citoyen majeur dans une province est encore mineur dans une autre. La majorité d’un noble, au moins pour le service [1*« Série, T. Ier.] de son fief, est dans un âge moins avancé que la majorité d’un non noble. Quelques membres du bureau avaient pensé que la majorité prescrite par les coutumes devait régler le sort et les droits des hommes soumis à leur empire; d’autres ont pensé que le noble étant cité à son fief, et le noble parvenu à l’âge où il en peut faire le service, et où il peut le perdre par la commise, devait être autorisé à défendre ses droits par la comparution à l’assemblée où ses intérêts sont discutés. Mais la pluralité des membres du bureau a cru devoir s’élever au-dessus de ces considérations et de ces distinctions ; on a observé que, par une singularité qui n’est pas rare dans notre droit coutumier, quelques habitants du nord de la France sont réputés avoir acquis plus tôt que les habitants du Midi la maturité de l’âge, quoique la nature suive un ordre contraire, et que ces variétés et ces inconséquences admises jusqu’à ce jour dans les statuts réels *te pouvaient être la base d’une loi nationale. Il a aussi paru peu convenable d’admettre, dans l’assemblée où se traitent les affaires de l’État, un majeur d’une majorité féodale, qui, malgré les lois, peut se trouver encore dans la première jeunesse. Il a été considéré que dans cet acte d’élection il s’agissait de l’exercice du droit de citoyen, et de la participation à la législation par la voie du consentement ; il a paru que ces fonctions honorables ne devaient être accordées qu’à une majorité effective et réputée telle dans presque toutes les provinces de France, pour les actes de la vie civile les plus importants. On a jugé que, le caractère et le droit du citoyen étant les mêmes dans tous les ordres, il n’était point de province, il n’était point d’ordre où l’acquisition de ce droit ne dût être fixée à -la même époque ; et le bureau a arrêté, à la pluralité de seize voix contre sept, deux membres absents, que la majorité requise pour avoir droit de suffrage dans les trois ordres devait être fixée à vingt-cinq ans. QUATORZIÈME QUESTION. Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du clergé ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau, fidèle aux principes qui ont dirigé constamment ses délibérations, a cru devoir rechercher avec la plus grande exactitude les usages antérieurs qui concernent le droit d’élire et d’être élu dans l’ordre du clergé, etc. Le bureau, en conséquence, a délibéré, à la pluralité de seize voix contre huit, un membre absent, que tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres sacrés, et domiciliés ou bénéficiers dans le ressort d’un bailliage ou d’une sénéchaussée, pourront y être électeurs ; et que néanmoins, dans [Introduction.] ' 421 les bailliages ou sénéchaussées où il serait justifié d’un usage contraire par actes et preuves légales, tels que les anciennes ordonnances ou sentences des bailliages, et procès-verbaux conformes des assemblées d’élection de 1614 et antérieures l’usage serait suivi, Et que tout ecclésiastique peut être député aux États généraux par l’ordre auquel il appartient. QUINZIÈME QUESTION. Y aura-t-il quelque distinction pour ces deux qualités, et admeltra-t-on quelque proportion entre les différents ordres qui composent le clergé ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau a répondu sur la première partie de cette question par sa réponse sur la quatorzième. SEIZIÈME QUESTION. Un ecclésiastique, engagé dans les ordres sacrés, ne possédant point de bénéfices, mais ayant un ou plusieurs fiefs, ou des biens ruraux, dans quel ordre se rangera-t-il ; et si l’on admet le droit de se faire représenter, dans quel ordre pourra-t-il choisir son représentant ? AVIS ET MOTIF. Le bureau a pensé unanimement que tout ecclésiastique appartient à l’ordre du clergé. DIX-SEPTIÈME QUESTION. Les membres de l’ordre de Malte seront-ils rangés dans l’ordre de la noblesse, ou dans celui du clergé; et quelles conditions seront nécessaires pour les rendre électeurs ou éligibles dans l’un ou l’autre ordre ? AVIS ET MOTIF. Il a paru au bureau que les chevaliers de Malte profès sont, sous tous les rapports, membres de l’ordre du clergé. DIX-HUITIÈME QUESTION. Dans quel ordre seront rangés les collèges et les hôpitaux qui possèdent des fiefs, des bénéfices ou des biens ruraux? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a considéré que les collèges sont administrés par des ecclésiastiques ou des congrégations régulières; que leur objet est l’enseignement public, inséparable de celui de la morale et de la religion; que la religion et la morale sont les premiers objets de toute éducation nationale; que les collèges possèdent des bénéfices ou des biens ecclésiastiques, dont l’utile application épargne des dépenses onéreuses à l’État; que les universités, plus d’une fois appeléesdans les États ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Page Blanche Ajoutée [ire Série, T. !«*•.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] A99 ralité de seize voix contre huit, un membre absent, que tout noble domicilié ou propriétaire de fonds dans le ressort d’un bailliage ou d’une sénéchaussée, pourrait être admis comme électeur dans l'assemblée de la noblesse d’un bailliage pour l’élection des députés aux États généraux ; et néanmoins que les bailliages ou sénéchaussées où il sera justifié d’un usage contraire par actes et preuves légales, tels que les anciennes ordonnances ou sentences des bailliages, et procès-verbaux conformes des assemblées d’élection de 1614 et antérieures, l’usage serait suivi. Le bureau n’a pas cru devoir borner davantage le droit d’éligibilité dans l’ordre de la noblesse que dans celui du clergé. Le droit d’élire peut se restreindre par des usages constants ou par le défaut d’intérêt ; le droit d’être élu doit s’étendre aussi loin que la confiance des électeurs. Le bureau, désirant d’assurer la plus grande liberté des élections, a délibéré unanimement que tout noble serait éligible pour être député aux États généraux dans l’ordre de la noblesse. VINGTIÈME QUESTION. Les propriétaires de fiefs seront-ils seuls admissibles aux États généraux? Les gentilshommes possédant une propriété quelconque auront-ils le même droit ; et quelle devra être l’étendue de la propriété seigneuriale ou rurale nécessaire, soit pour être éligible, soit pour être électeur? AVIS ET MOTIF. Le bureau ayant admis tous les nobles comme éligibles dans l’ordre de la noblesse, ne peut point admettre les restrictions énoncées ou supposées dans la vingtième question. . VINGT ET UNIEME QUESTION. Sera-t-il convenable d’exiger un certain degré de noblesse, soit pour être électeur, soit pour être éligible? AVIS ET MOTIFS. Lé bureau a pensé que tous les citoyens domiciliés ou propriétaires doivent être appelés aux assemblées d’élection dans un ordre ou dans un autre, et que ies nouveaux nobles ne peuvent être appelés que dans l’ordre de la noblesse, dont leur anoblissement leur donne l’état et les droits. Le bureau a cru devoir seulement distinguer ceux qui jouissent des privilèges de la noblesse sans anoblissement, ou qui possèdent des places dans lesquelles la noblesse ne devient acquise et transmissible qu’après un certain nombre d’années. Le bureau a délibéré unanimement qu’il était nécessaire et suffisant, pour être électeur et pour être éligible dans l’ordre de la noblesse, d’avoir une noblesse acquise et transmissible, sauf les usages locaux justifiés par titres, actes et preuves légales. VINGT-DEUXIÈME QUESTION. Quelle serait alorsvia participation aux États généraux, des nobles d’une création récente? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a unanimement pensé que la réponse à cette question est énoncée dans son arrêté sur la question précédente. VINGT-TROISIÈME , VINGT-QUATRIÈME, VINGT-CINQUIÈME ET VINGT-SIXIÈME QUESTIONS RÉUNIES. Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du tiers, soit dans les communautés de campagne, soit daqs les villes qui ne sont pas dans l’usage de députer directement aux États généraux ? La valeur de la propriété, susceptible de discussion, doit-elle être prise pour mesure, ou faut-il choisir pour règle la quotité des impositions? Gette mesure de propriété ou de contribution doit-elle varier selon la richesse des provinces ? Les membres du tiers, même les plus 'riches, tels que les négociants, les chefs de manufactures et les capitalistes, n’ayant pas toujours des propriétés foncières, la mesure de l’imposition territoriale peut-elle être généralement applicable à la faculté d’élire ou d’être élu dans le tiers-état ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé, sur ces quatre questions, que tous-les citoyens avaient intérêt aux États généraux, abstraction faite de la valeur de leur propriété et de la quotité de leurs impositions. Et par ce motif il a été d’avis, à la pluralité de vingt-trois voix sur vingt-quatre, un membre absent, que dans le tiers-état tous les chefs de famille de cet ordre, nés ou naturalisés Français, âgés de vingt-cinq ans, peuvent être électeurs et éligibles dans les villes et campagnes dans lesquelles ils ont leur domicile, ou dans le territoire desquelles il possèdent des fonds; et que même pour les éligibles on ne doit pas exiger ces deux dernières qualités de domiciliés ou de propriétaires de fonds dans le territoire du bailliage, afin de laisser plus de liberté et de facilité aux électeurs, dont la confiance est le yrai titre à : l’éligibilité, VINGT-SEPTIÈME QUESTION. Quelles formes devront être observées pour la convocation et la tenue des assemblées pour les diverses élections? Et d’abord pour les communautés de campagüe? Les seigneurs nobles et les curés pourront-ils y voter, et même y assister ? La présence d’un juge ou autre officier public ’ y sera-t-elle nécessaire ? 424 [ire Sérié, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] AVIS ET MOTIFS. Le bureau croit devoir observer que, pour répondre à cette question dans toute son étendue, il faudrait entrer dans un long détail de toutes les formalités qui doivent précéder et accompagner les assemblées de bailliages et de communautés. Mais, comme parmi ces formalités il pourrait s’en trouver quelques-unes qui s’écarteraient des usages particuliers établis dans certaines provinces ou communautés, usages auxquels le bureau regarde comme infiniment précieux qu’il ne soit point porté d’atteinte, autant qu’il sera possible, il se contentera d’indiquer les formes générales, telles qu’elles paraissent consacrées par ce qui a été le plus universellement observé. Ces formes ont pour objet essentiel de donner aux lettres de convocation la plus grande publicité, et d’assurer à tous les citoyens le droit de concourir aux élections et d’être représentés par leur propre choix dans l’assemblée nationale. C’est pour parvenir à ce but si intéressant, que les grands baillis et sénéchaux, auxquels les lettres de convocation sont adressées, en ordonnent la lecture et l’enregistrement à l’audience publique de leur siège, qu’ils en font faire la publication à son de trompe et par affiches, et qu’ils font ensuite assigner, soit par des assignations particulières dans le chef-lieu des bénéfices ou dans les fiefs, soit à cri public, tous les ecclésiastiques, nobles et gens du tiers-état de leur ressort, pour que les membres des deux premiers ordres se rendent en personne, et que ceux du troisième envoient des députés à l’assemblée du bailliage au jour indiqué. C’est aussi dans le même objet qu’ils font l’envoi des lettres de convocation aux sièges inférieurs situés dans l’arrondissement de leur district, pour que les mêmes formalités y soient répétées de l’autorité de ces sièges, et qu’il soit fait des assemblées de toutes les communautés qui en dépendent, pour procéder à la nomination de leurs députés et à la confection des cahiers contenant leurs doléances. Les assemblées de communautés doivent être en général annoncées dans les paroisses, au son de la cloche, au prône, ou à l’issue de l’office divin, de la manière la pluspubliqueetlaplus solennelle.' Les formes de ces assemblées varient dans chaque province ; le bureau n’a pas cru pouvoir en indiquer aucune particulière, et il observe que-tous les usages peuvent sans inconvénient être conservés, pourvu qu’ils ne nuisent pas à l’intégrité des assemblées et à la liberté des élections, sans laquelle la nation serait privée de sa véritable représentation. Le bureau a pensé néanmoins que dans les communautés de campagne, ni les curés ni les seigneurs, lorsqu'ils seraient nobles, ne pourraient assister aux assemblées de ces communautés, parce que les premiers appartiennent à l’ordre du clergé, et les seconds à celui de la noblesse, qui s’assemblent directement au chef-lieu du bailliage principal. 11 a pensé aussi que ces assemblées devaient être tenues en présence du juge ou d’un autre officier public, à moins que les usages locaux n’y fussent contraires. Le bureau a enfin vérifié, par le vu des sentences des bailliages et des procès-verbaux des assemblées d’élection, que l’assemblée du bailliage principal doit être formée de la totalité des ecclésiastiques et des nobles, et des députés des communautés formant le tiers-état, et présidée par le bailli ; et telle est la forme généralement usitée que les trois ordres réunis entendent d’abord la lecture de la lettre du roi, et qu’ensuite, après avoir prêté serment, ils se séparent, pour dresser chacun en particulier leurs cahiers et nommer leurs députés aux États généraux. VINGT-HUITIÈME QUESTION. Ceux qui sont aux gages d’autres personnes, soit ecclésiastiques, soit laïques, ou dans leur dépendance quelconque, seront-ils électeurs ou éligibles dans l’ordre du tiers-état? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé qu’aucune dépendance quelconque ne peut éteindre les droits imprescriptibles que dorme l’intérêt de la propriété, et qu’un citoyen ne peut pas perdre ces droits aussi longtemps qu’il conserve l’intérêt qui les donne. Le bureau a été d’avis, à la pluralité de dix-huit voix sur vingt-quatre, un membre absent, qu’il ne devait y avoir d’exclus de l’élection de l’éligibilité que les domestiques, et que les domestiques mêmes ne doivent pas être exclus dans les communautés dans lesquelles ils sont propriétaires de fonds. VINGT-NEUVIÈME QUESTION. Les membres du tiers-état pourront-ils élire pour leurs députés des membres d’un autre ordre, ou jouissant de privilèges auxquels leur ordre ne participe pas? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau a pensé qu’il fallait distinguer deux genres de députation dans le tiers-état, celle aux assemblées d’élection, et celle aux États généraux; que les députés aux assemblées d’élection sont destinés à la rédaction des cahiers de doléances, des instructions et des pouvoirs. Il paraît indispensable que les députés du tiers qui doivent procéder à ces opérations soient choisis dans leur ordre. Mais, à l’égard des députés' aux États généraux [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] le bureau n’a' pas cru devoir proposer rien qui pût paraître gêner nr altérer la liberté dont' le tiers-état a cru pouvoir user dans les précédentes tenues d’États généraux; il a cru devoir s’en référer à cet égard aux termes ordinaires des lettres de convocation. Si des considérations nouvelles lui paraissentdevoirconctîhtrer ses suffrages parmi ses propres membres , le tiers-état peut diriger son choix en liberté, selon ses propres dispositions; et il ne paraît pas qu’il ait à craindre que des influences personnelles l’emportent sur celle�de ses intérêts, quand la voie du scrutin semble devoir assurer l’indépendance de ses pouvoirs et la liberté de ses suffrages. Le bureau a ôté d’avis, à la pluralité de dix-neuf voix contre cinq, un membre absent, que le député d’une communauté à l’assemblée du bailliage ne devait être choisi que dans l’ordre du tiers; qu’on ne devait établir aucune disposition nouvelle sur le choix des députés du tiers-état aux États généraux, et que la formule des lettres de convocation pour les États de 1614 et autres antérieurs devait être conservée dans les mêmes termes que par le passé. TRENTIÈME QUESTION. Les électeurs, de quelque ordre qu’ils soient, pourront-ils élire pour leurs représentants des personnes absentes, ou qui n’auraient pas le droit d'être admises dans l’assemblée? AVIS ET MOTIF. Le bureau a pensé, à la pluralité de dix-neuf voix contre cinq, un membre absent, que l’unique base de l’éligibilité devait être la confiance des électeurs, la distinction des ordres seulement observée; qu'ainsi une personne absente comme présente à l’assemblée, une personne même étrangère, soit à raison de son domicile, soit à raison de la situation de ses biens , à l’assemblée qui se propose d’élire, et qui par conséquent n’aurait pas droit d'être admise dans c.ette assemblée, peut être élue valablement. TRENTE ET UNIÈME QUESTION. Quelles sont les villes qui députeront directement aux États généraux? AVIS ET MOTIFS. Les principes qu’a adoptés le second bureau, de ne se permettre aucune innovation, et de conserver les droits de tous les corps politiques, ont dicté son avis sur cette question. Le bureau avait pensé que les droits des trois ordres, des provinces, dés bailliages, devaient être maintenus et restreints selon les usages antérieurs, et notamment l’usage observé en 1614; les mêmes raisons lui semblent devoir étendre ou circonscrire les droits des villes selon les anciens usages : et le 425 bureau a pensé, à la pluralité de vingt-trois voix contre une, un membre absent, que les villes qui ont député aux États généraux en 1614 doivent continuer d’y députer selon leurs droits et usages, sans donner aucun nouveau privilège aux autres villes. TRENTE-DEUXIÈME -QUESTION. Dans quelles formes ces villes doivent-elles procéder à la convocation et à la tenue des assemblées-destinées aux différentes élections? Ces mêmes villes concourront-elles en outre à l’assemblée d’élection de leur bailliage? Tout citoyen domicilié y sera-t-il admis pour être électeur ou éligible, sans distinction d’ordre ni de rang? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé, à la pluralité de vingt-trois voix contre une, un membre absent, que ces questions devenaient sans objet, en conséquence de son arrêté sur la question précédente. TRENTE-TROISIÈME QUESTION. Y a-t-il quelque proportion à observer pour le nombre respectif des députés des villes et des députés des campagnes? AVIS ET MOTIFS. La distinction des villes et des campagnes, relativement à leurs députés et au nombre de ces députés, ne peut être fondée que sur la diversité, ou même l’opposition de leurs intérêts. Les villes d’un certain ordre ont un genre de richesse différent, et elles contribuent par des moyens différents aux charges publiques. Les produits du sol forment la richesse des campagnes; les produits de l’industrie appartiennent plus particulièrement aux villes; l’impôt territorial est le principal moyen de contribution dans les campagnes; dans les villes, la forme de contribuer consiste principalement dans les droits sur les consommations. Cette différence de leurs facultés et de leurs contributions semble être un motif pour distinguer leurs députés, et pour en proportionner le nombre; mais il a été observé que le motif principal qui pouvait déterminer le bureau à proposer cette distinction était la crainte que les campagnes ne fussent opprimées par les villes. Le bureau a considéré qu’au contraire la combinaison des suffrages dans les assemblées d’élection était avantageuse aux campagnes, parce que chaque village avait une voix égale à celle d’une ville, et que les campagnes peuvent même avoir plus d’influence que les villes, par le nombre de leurs suffrages, dans le choix des députés aux États généraux et dans la rédaction des cahiers. Le bureau a pensé que, si les députés des bailliages sont presque toujours choisis parmi les habitants des villes, c’est un avantage attaché à la 426 [ire Série, T. !•«•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. JIntroduction.J supériorité des lumières et non à l’influence et à la prépondérance des députés des villes dans les assemblées d’élection. €’est par ces considérations, qui semblent justifiées par un ancien usage constamment suivi, que le second bureau a délibéré unanimement qu’il n’y avait point de proportion à établir entre le nombre respectif des députés des villes et des députés des campagnes. ' TRENTE-QUATRIÈME QUESTION, Si quelques grandes villes de commerce sont admises à députer directement aux États généraux, le ou les députés seront-ils élus parmi les négociants seuls, et en quelle forme ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau n’a point à discuter les questions intéressantes que peuvent faire naître les rapports multipliés qui rapprochent les intérêts du commerce et des propriétés ; puisque le bureau n’a pas cru devoir admettre la députation directe des grandes villes de commerce, il ne peut pas établir des règles pour un choix qui n’a point d’objet. Le bureau doit observer que les villes de commerce, ainsi que les grandes villes, doivent envoyer leurs cahiers à l’assemblée des bailliages, et qu’elles peuvent y faire insérer toutes les observations et représentations qui concernent le bien du commerce, Le bureau a pensé, à la pluralité de seize voix contre huit, un membre absent, que la question actuelle se trouvait implicitement et suffisamment répondue par son arrêté sur la trente et unième question. TRENTE-CINQUIÈME QUESTION. Quelles sont les formes qui devront être observées dans les villes qui ne députent qu’aux bailliages secondaires ou principaux? AVIS ET MOTIFS. Le bureau, instruit par les monuments des anciens États généraux qu’il a sous les yeux, des formes qui paraissent avoir été le plus ordinairement suivies dans les assemblées des villes préalables des bailliages, observe néanmoins qu’il ne croit pas devoir les proposer comme exclusives et comme les seules qu’on puisse suivre, Leur objet principal et unique est que tous les citoyens des trois ordres paissent concourir librement aux assemblées d’élection des députés, et de rédaction des cahiers. Le bureau pense que toute forme particulière à une ville, qui, sans être précisément la plus générale, opérerait néanmoins les mêmes effets, ne devrait pas être proscrite dans les principes du bureau, qui consistent à conserver les anciens usages et les formes accoutumées. Ainsi le bureau croit devoir réserver les excep" tions locales, en même temps qu’il représente le plan des assemblées des villes, tel qu’il paraît avoir été suivi généralement, Les assemblées doivent se tenir, en vertu des ordres du roi et des sentences des baillis, après la proclamation publique qui en a été faite à son de trompe et par affiches, et la notification particulière qui en a été également faite, tant aux officiers municipaux pour la commune de la ville en général, et pour qu’ils en donnent connaissance à chacun des corps de la ville et des communautés d’arts et métiers, qu’aux différentes paroisses, par la publication au prône, et les assignations à elles -données en la personne de leurs syndics et fabriciens. Ces assemblées se tiennent en l’hôtel de ville, aux jour et heure indiqués, et sont présidées tantôt par le maire, tantôt par le bailli lui-même, ou son lieutenant général, Elles sont composées du corps municipal de la ville, des députés des paroisses qui la composent, de ceux des différents corps, et enfin de ceux des communautés d’arts et métiers de la ville, Tous ces députés étant réunis, l’ouverture de l’assemblée se fait par la lecture des ordres du roi, et de l’ordonnance du bailli, Ensuite on nomme, à la pluralité des voix, des commissaires pour la compilation des cahiers et mémoires présentés par les députés des différents corps, et la formation d’un seul cahier général contenant les doléances de tous ces corps. Ces commissaires se retirent en particulier pour faire leur travail, et lorsqu’ils l’ont achevé on en fait lecture en présence de l’assemblée, où il est clos, arrêté et re-. vêtu des signatures. L’assemblée se termine par la nomination d’un ou de plusieurs députés choisis pour se rendre à rassemblée générale du bailliage, à l’effet d’y porter le cahier de la ville, et d’y concourir à l’élection tant des commissaires qui doivent rédiger le cahier général du bailliage, que des députés qui doivent être envoyés aux Etats généraux. Telles sont les principales formes que le bureau a unanimement pensé devoir être généralement suivies, comme très -régulières par elles-mêmes, et d’ailleurs consacrées par l’usage, sauf les villes où il pourrait en exister de particulières qui ne contrarieraient pas les trois grands objets des lettres de convocation qui ont été déjà rappelées, et auxquels toutes les formalités se rapportent nécessairement ; la publicité des ordres du roi, l’intégrité des assemblées, et la liberté dans les suffrages, v TRENTE-SIXIÈME QUESTION. Dans quelles proportions les communautés de campagne, ou les yüles plus nu moinsconsidé- [i«* Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. • llntrodectioml râbles, auront-elles la faculté de nommer des députés, soit aux bailliages secondaires, soit aux bailliages principaux ou sénéchaussées? AVIS ET MOTIFS. Le bureau s’est rappelé les motifs qui l’ont déterminé, sur la quatrième question, à penser qu’il n’était pas à propos, et qu’il serait infiniment difficile d’étahlir entre les bailliages principaux une règle de proportion pour leurs députations aux États généraux, graduée sur celle de leur population, ou sur toute autre base de comparaison entre elles ; et de même qu’il a pensé que dans les lettres de convocation il ne devait être mis aucune différence ni proportion entre les différents bailliages, de même relativement aux députations du premier ou second degré qui doivent avoir lieu, soit des communautés de villes ou de campagne aux bailliages ou juridictions dont elles dépendent immédiatement, soit de ces bailliages ou juridictions aux bailliages principaux, Le bureau a pensé à l’unanimité qu’il n’y avait aucune proportion à prescrire, quelle que soit la consistance plus ou moins considérable de ces communautés. TRENTE-SEPTIÈME ET TRENTE-HUITIÈME QUESTIONS RÉUNIES, Quel sera le nombre des députés que les bailliages ou juridictions secondaires auront le droit d’envoyer au bailliage principal, suivant le nombre facultatif des députés des villes et des communautés de campagne qui composent leur ressort? Chaque bailliage principal ne .sera-t-il pas obligé de suivre la même règle de proportion, et d’avoir pour cet effet une assemblée préliminaire. AVIS ET MOTIFS. Le bureau, en examinant conjointement les trente-septième et trente-huitième questions, a observé d’abord que, si les communautés dépendantes de juridictions secondaires ne doivent être réprésentées au bailliage principal que collectivement, et le plus souvent par un seul député envoyé de la juridiction secondaire, au nom de toutes ces communautés, elles auraient un désavantage extrême vis-à-vis des communautés immédiates, dépendantes du bailliage principal, dans le cas où celles-ci enverraient chacune leurs députés particuliers à l’assemblée du bailliage principal, pour concourir avec les députés collectifs de tous les arrondissements des juridictions inférieures. Le bureau a pensé en conséquence, à la pluralité de vingt et une voix contre trois, un de ses membres absent, qu’il serait indispensable que le bailliage principal tînt lui-même une assemblée préliminaire des députés de toutes les commu-m nautés de son ressort immédiat, pour y députer collectivement, au nom de tout ce ressort, à l’assemblée générale, du même bailliage principal, formée uniquement de députés représentant collectivement chacun des arrondissements, soit du bailliage principal, soit des juridictions secondaires ; mais en môme temps le bureau a été frappé de l’inconvénient qui se rencontrerait si les assemblées d’élection qui doivent se tenir dans les bailliages principaux n’étaient composées, quant au tiers-état, que d’autant de députés seulement qu’il se trouverait de juridictions secondaires ressortissantes, et de celui de l’assemblée préliminaire du bailliage principal, ce qui réduirait le tiers-état à deux ou trois personnes seulement dans rassemblée au bailliage principal qui doit députer aux États généraux, Le bureau a pensé que, pour procurer au tiers-état dans cette assemblée une consistance convenable, il serait plus expédient d’ordonner que les députés de toutes les communautés des ressorts, des juridictions secondaires, pourront, après s’être assemblés dans ces juridictions secondaires et y avoir rédigé les cahiers, se rendre encore directement à l'assemblée du bailliage principal, pour y représenter, soit une seule, soit même plusieurs communautés qui auraient nommé le même député, de manière cependant que le même député ne puisse représenter plus de trois communautés, comprise celle dont il sera membre ; et que pareillement les députés des communautés du ressort immédiat du bailliage principal, après avoir formé l’assemblée préliminaire, toujours nécessaire pour la rédaction du cahier de l’arrondissement, pourront se rendre aussi à l’assemblée d’élection, pour y concourir avec tous ceux des communautés des juridictions secondaires, tant à la nomination des députés aux États généraux qu’à la refonte des cahiers pour la formation du cahier général du bailliage. TRENTE-NEUVIÈME QUESTION. Les ordres doivent-ils délibérer séparément. aux assemblées qui députent directement aux États généraux. AVIS ET MOTIFS, C’est un principe que le bureau crqit devoir rappeler, que la distinction des trois ordres et l'égalité de leurs pouvoirs sont constitutionnelles en France, et que le droit de délibérer séparément en est la suite, Le bureau a vu, par l’inspection de plusieurs procès-verbaux, que dans les assemblées d’élection préalables à fa tenue des États généraux précédents, les trois ordres se sont réunie en présence du bailli ou. de son lieutenant, pour entendre les intentions du mi et pour prêter serment, et qu’ils se sont ensuite séparés pour dresser lit [lr® Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 428 cahiers de doléances, et pour nommer des députés. Tel est l’usage qui paraît avoir été régulièrement suivi. S’il y a dans quelques provinces des usages contraires, le bureau croit devoir distinguer les droits et les usages. Les usages fondés sur l’exercice volontaire des droits des ordres ne peuvent pas les détruire ; les droits n’en subsistent pas moins, parce qu’on en a quelquefois varié la forme ou suspendu l’activité. Le bureau, en conséquence, en -se référant à sa réponse sur la sixième question, a pensé unanimement que le droit des trois ordres est de délibérer séparément dans les assemblées d’élection. QUARANTIÈME QUESTION. Pourra-t-on être électeur ou éligible dans les diverses communautés ou bailliages où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufruitières ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau avait déjà déclaré dans ses précédents avis qu’il ne pensait pas qu’il fût nécessaire d’étre propriétaire pour être éligible, et que, pour pouvoir être électeur, il suffisait d’avoir son domicile ou une propriété quelconque dans l’étendue de la communauté ou du bailliage où se fait l’élection ; il ne peut donc admettre de différence entre les propriétés transmissibles et celles usufruitières. Et par ce motif, il a été unanimement d’avis qu’on pourra être électeur ou éligible dans les diverses communautés ou bailliages où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufruitières. QUARANTE ET UNIÈME QUESTION. Les bénéficiers ou les possesseurs de fiefs pourront-ils, et pourront-ils seuls, se faire représenter par des fondés de procuration ? AVIS ET MOTIFS Le bureau a eu d’abord à examiner si l’usage des procurations devait être permis en lui-même, ou absolument interdit. Le bureau a observé que la question ne pouvait s’appliquer qu’aux assemblées ou de communautés, ou de juridictions secondaires , ou de bailliages principaux ; car il lui paraît sans difficulté que, pour l’admission aux États généraux, aucune procuration ne peut avoir lieu. Les députés aux États généraux ne sont que des délégués, des représentants, or; il est de principe que le délégué ne peut pas déléguer lui-même, parce que la confiance est personnelle. L’importance des objets qui doivent se traiter aux États généraux serait d’ailleurs un motif suffisant pour que cette assemblée ne reçoive que des députés personnellement honorés de la confiance publique et des pouvoirs des véritables commettants : il s’agit donc seulement des assemblées antécédentes. On ne peut disconvenir que l’usage des procurations ne puisse y introduire quelques inconvénients. Néanmoins le bureau, à la pluralité de vingt-quatre voix contre une, a considéré que l’interdiction absolue de ces usages priverait inévitablement beaucoup de membres des trois états de la possibilité d’être comptés au nombre des citoyens représentés aux États généraux ; exclusion qui compromettrait le caractère le plus essentiel de cette assemblée solennelle; que d’ailleurs le mandat ou la remise d’une procuration est un acte de confiance personnelle généralement autorisé, et qui semble tenir au droit naturel ; qu’enfin l’usage des procurations, à l’effet d’être représenté aux assemblées des bailliages principaux , antécédentes aux États généraux, est formellement admis par des lettres du roi aux baillis, en 1651, qui portent: Voulons que les procurations des absents, qui ont droit d'intervenir à cette Assemblée particulière, soient reçues si elles arrivent à temps , pour y compter leurs voix en la forme et manière que se doit. Le bureau s’étant déterminé, d’après ces considérations, à admettre l’usage des procurations pour les assemblées antécédentes à la tenue des États généraux, a pensé ensuite que le moyen raisonnable d’éviter les inconvénients qui en pourraient résulter est de circonscrire cet usage dans des termes justes et convenables ; il a pensé qu’il serait à propos que , dans les assemblées de communautés, les seuls forains possédant fonds dans ces communautés pussent se faire représenter par des fondés de procuration. Cette facilité leur est nécessaire pour la conservation des intérêts que leur donnent leurs possessions locales, tandis que leur domicile dans d’autres communautés , ou d’autres possessions dispersées, leur donnent d’autres engagements à remplir ou d’autres intérêts à surveiller. A l’égard des domiciliés dans chaque communauté , leur présence dans l’assemblée peut se présumer, et l’admission de, leurs procurations a paru au bureau présenter beaucoup plus d’inconvénients que de motifs de nécessité. Aux assemblées de juridictions secondaires ou à l’assemblée préliminaire du bailliage principal, il ne peut être apporté de procurations, ces assemblées n’étant composées que de députés des communautés qui ne peuvent pasdéputer eux-mêmes; mais le bureau a déjà observé sur la trente-septième question qu’il admettrait un même député à représenter dans ces assemblées jusqu’à trois communautés qui l’auraient nommé, celle dont il serait membre comprise. Enfin aux assemblées générales des bailliages principaux il ne peut être apporté de procurations de la part du tiers-état, par la même raison qu’il n’y est composé que de députés ; mais , dans l’ordre du clergé et dans [ire Série, T. I«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] celui de la noblesse qui s’y présentent individuellement, le bureau a pensé qu’il y a lieu d’admettre des procurations de bénéficiers et de possesseurs de fiefs seulement, ceux-là paraissant avoir toujours été seuls essentiellement appelés aux assemblées baillivales, où ils ont toujours été cités personnellement, et réputés défaillants et amendables à défaut de comparution. Dans tous les cas où le bureau pense que les procurations ne peuvent être refusées, il estime qu’il faut qu’il y ait minute authentique de toutes les procurations, contenant les noms des procureurs fondés, sans qu’aucune procuration donnée en blanc puisse être admise ; que les fondés de procuration doivent être du même ordre que les constituants, et qu’une même personne ne doit être admise à représenter plus de deux absents, en conservant sa voix personnelle ; et, pour prévenir la caducité de quelques procurations qui priverait ceux qui les auraient données de leur influence dans les assemblées , il serait à propos que les constituants nommassent les personnes auxquelles ils voudraient transmettre les mêmes pouvoirs, à défaut par les premiers procureurs fondés de se trouver en état de les exercer. QUARANTE-DEUXIÈME QUESTION. Si du même titre de bénéfice ou du même fief dépendent des biens situés dans différents bailliages qui députent directement aux États généraux, le possesseur aura-t-il le droit d’avoir voix ou de se faire représenter dans chaque bailliage, ou seulement dans celui du chef-lieu de son bénéfice ou de son fief ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé, à la pluralité de vingt-trois voix contre une, un membre absent, que, soit par analogie avec ce qu’il a déjà dit sur la quarante et unième question, soit par motif de raison, le bénéficier ou possesseur de fief peut dans ce cas se trouver ou se faire représenter dans chacun des bailliages où se trouvent des dépendances de son bénéfice ou de son fief : par analogie , car le bureau a pensé sur la quarante et unième que les forains, c’est-à-dire les personnes domiciliées dans un lieu et possédant des biens dans un autre, peuvent dans celui-ci se faire représenter : or les bénéficiers ou possesseurs de fiefs s’assimilent aux domiciliés dans l’endroit où est situé leur chef-lieu, et aux forains, dans les lieux où sont les dépendances de leur bénéfice ou de leur fief ; ils doivent donc être reçus à s’y faire représenter. Par motif de raison, car ces différences de situation entre les chefs-lieux et leurs dépendances peuvent entraîner des régimes fort différents d’administration des biens, à raison des diversités de coutumes, et par conséquent les bénéficiers ou possédants fiefs ayant plusieurs intérêts lo-429 eaux à surveiller , différents les uns des autres, quoique dérivant d’un même bénéfice ou d’un même fief, doivent avoir influence et concours ; dans chacun des bailliages dont les lois occasionnent cette diversité d’intérêts'. QUARANTE-TROISIÈME QUESTION. Les bénéficiers ou les possesseurs de fiefs, pourront-ils voter ou donner autant de procurations qu’ils possèdent de bénéfices ou de fiefs dans le ressort du même bailliage ; ne le pourront-ils que dans les différents bailliages? AVIS ET MOTIFS. Le bureau, à la même pluralité de vingt-trois voix contre une, un de ses membres absent, ne voit aucune difficulté sur cette question. Les intérêts des bénéficiers ou des possesseurs de fiefs ne seront toujours que les mêmes sur chacune de ces possessions, en quelque nombre qu’elles soient sous le ressort du même bailliage; il serait donc sans objet de multiplier les individus pour une même cause. Ainsi le bénéficier ou le possesseur de fief ne peut que se présenter lui-même, ou avoir un fondé de procuration dans l’assemblée du bailliage, quelque nombre de bénéfices ou de fiefs qu’il possède sous son ressort ; mais si ses bénéfices ou fiefs sont situés sous le ressort de différents bailliages, il pourra se faire représenter dans chacune des assemblées baillivales. QUARANTE-QUATRIÈME QUESTION. • Les non nobles possédant des fiefs nobles pourront-ils se faire représenter, et par qui ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau pense en premier lieu que les non nobles, quoique possédant des fiefs nobles, sont de l’ordre du tiers-état, la distinction des membres des trois ordres étant personnelle; etqu’ainsi le non noble possédant des fiefs ne peut néanmoins, ni assister aux assemblées, ni s’y faire représenter que dans l’ordre du tiers ; et, d’après ce point de vue, l’avis du bureau sur cette question se trouve dans ceux qu’il a précédemment donnés, à la même pluralité de vingt-trois voix contre une, un de ses membres absent. 11 a pensé que, dans l’ordre du tiers-état, les domiciliés ne devaient pas être reçus à envoyer des fondés de procuration; que les forains devaient être reçus à en envoyer dans les communautés où iis possèdent des biens sans y demeurer : cette opinion alternative s’applique aux non nobles possédant des fiefs, comme à ceux qui possèdent des biens en roture. Enfin le bureau a pensé, sur la quarante-quatrième question, que le fondé de procuration devait toujours être du même ordre que le constituant. [l*é gêrie, T. !<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. flntrodüction.] 430 quarantë-cinqüiêmë question. Accordera-t-on aux ecclésiastiques et aux nobles non possédant bénéfices ou fiefs, et aux membres du tiers-état, la faculté de se faire représenter aux élections? AVIS ET MOTIF. Le bureau a pensé que les ecclésiastiques possesseurs de bénéfices, et les nobles possesseurs de fiefs ou biens nobles, devaient seuls, dans les deux premiers ordres, avoir la faculté de se faire représenter, et les forains seuls dans l’ordre du tiers; c’est-à-dire les possédants fonds hors du lieu de leur domicile. QUARANTE-SIXIÈME QUESTION. Les mineurs, les veuves, les filles et les femmes, possédant divisêment pourront-ils se faire représenter, et par qui ? avis eî motifs. Le bureau, â la même pluralité de vingt-trois voix contre une, un membre absent, ne voit point de doute que toutes les personnes qui forment tête civile, ou qui ont des propriétés en leur nom, ne puissent, ou concourir, ou se faire représenter dans les assemblées, celles qui sont en puissance d’autrui demeurant assujetties à n’exercer ces droits que par celui en la puissance de qui elles sont. Ainsi les mineurs pourront sans doute les exercer par leurs tuteurs, qui peuvent lepr nommer des fondés de procuration ; les veuves, *les filles majeures jouissant de leurs droits, peuvent en nommer en leur nom ; les femmes possédant divisement des biens non sujets à la puissance maritale le peuvent de même et toujours dans le même ordre , auquel appartient la personne constituante : ces mêmes personnes, mineurs, veuves, filles et femmes, ne pourraient entrer elles-mêmes dans les assemblées. QUÂHANTE-SEPTIÈME question. Les ecclésiastiques du les nobles, ainsi que ceux dü tiers*état qui ne seront pas cités personnellement, pourront-ils Voter comme électeurs dans les différents lieux Où ils auraient des propriétés, ou seulement dans celui de leur domicile ? AVIS ÈT MOTIFS. Une conséquence des avis précédents du bureau décide cette question, Il n’y a aucune difficulté quant au lieu du domicile, que la question même suppose hors d’incertitude* A l’égard des lieux de la situation de leurs biens, le bureau a déjà regardé, sur la quarante et unième question, le droit de propriété séparé du domicile comme suffisant pour autoriser les membres du tiers-état à se faire représenter dans les assemblées des communautés où leurs biens sont situés; à plus forte raison les autoriserait-il à s’y présenter éux-mêmes; .et Une suite du même point de vue doit être que les ecclésiastiques ou les nobles, qui ne seront point dans le cas d’être cités personnellement, puissent se présenter eux-mêmes où se faire représenter dans les assemblées des bailliages sous le ressort desquels ils possèdent des biens*' comme de ceux dans lesquels ils sont domiciliés. QUARANTE-HUITIÈME ET QUARANTE-NEUVIEME QUESTIONS RÉUNIES, Si les procurations sont admises, combien pourra-t-on en. réunir sur la même tête ? Seront-elles générales ou spéciales, et le fondé sera-t-il du même ordre que son commettant ? Ces procurations pour élire s’étendront-elles â la rédaction des cahiers, et le procureur fondé aüfâ-t-il pour cette rédaction autant de voix que pour les élections ? Devra-t-on nommer expressément dans la procuration celui à qui on là donnera ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau s’est déjà expliqué en partie en traitant la quarante et unièriie question. Il a pensé qu’on ne devait pas admettre plus de deux procurations sur la même tête, outre la députation personnelle de Celui qui en est porteur; que le fondé de procuration devait être du même ordre que sôn commettant ; que les procurations devaient être passées eu minute et authentiques, et contenir le nom du procureur fondé et de celui qui pourra le remplacer en cas d’empêchement. Le bureau pense, sur le surplus de ces deux questions, que les procurations ne peuvent être trop spéciales ; qu’aucune procuration générale ne peut être' admise ; qu’elles ne doivent être applicables qu’aux pouvoirs y expliqués ; qu’ainsi des procurations qui ne porteraient que pouvoir d’élire ne peuvent s’étendre â la rédaction du cahier; qu’enfin, pour cette rédaction, si elle est comprise dans les procurations, le procureur fondé pourra avoir, comme pour l’élection, autant de voix que de procurations, jusqu’au nombre de trois seulement. CINQUANTIÈME QUESTION. Les élections se feront-elles à haute Voix ôü au scrutin ? DistingUera-t-on à cet égard différentes sortes d’assemblées ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau, après avoir examiné cette question, a pensé que, pour les élections qui se feront dans les communautés, dans lesquelles il y a souvent des personnes qui ne savent pas écrire, il fallait suivre une forme plus convenable pour êlles; et que, pour les élections des députés aux États généraux, il valait mieux adopter [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] la forme qui assurait le maintien d’une plus grande liberté dans le choix. Et par ces motifs : Le bureau a été d’avis, à la pluralité de vingt voix sur vingt-quatre, un membre absent, que les élections, dans les assemblées de communautés pour députer au bailliage, doivent être faites â haute voix, à moins qu’il n’y ait un autre Usage ancien et local, et que, pour les élections des députés aux États généraux, il est bien important d’y procéder par la voie du scrutin. CINQUANTE ET UNIÈME QUESTION. Pourra-t-on nommer un suppléant dans chaque ordre pour remplacer le ou les députés aux États généraux, en cas de maladie où de légitime empêchement, lequel n’aura de mission qu’à défaut du député qu’il sera destiné à remplacer ? AVIS ET MOTIFS, Le bureau , à la pluralité de seize membres contre six, un membre absent, observera que. l’Assemblée des notables ne paraît avoir ôté appelée par le roi qu’à le conseiller sur les formes que Sa Majesté peut avoir à suivre ou à prescrire, et non â conseiller les différents ordres ou départements de citoyens sur les précautions qu’ils peuvent avoir à prendre pour la plus sûre et la plus pleine exécution de leurs vœux ; que les formes que Sa Majesté peut avoir à suivre ou à prescrire ont paru au bureau, dés ses premières délibérations, devoir être uniquement des anciens monuments ; que le bureau a toujours cru devoir porter Sa Majesté à ne rien changer, à ne rien ordonner de nouveau, à ne point s’écarter même des formules Usitées ; qu’ainsi en libellant les lettres de convocation, précisément comme l’ont été celles de 1614, comme le bureau l’a déjà proposé à Sa Majesté, le bureau croit que Sa Majesté n’a aucune précaution ultérieure à prendre pour assurer la formation complète de Rassemblée, ni aucune disposition à prononcer, qui ne l’ait pas été par les rois ses prédécesseurs, lors des précédentes assemblées. CINQUANTE-DEUXIÈME QUESTION. Si une même personne est nommée député dans plusieurs bailliages, sera-t-elle tenue d’opter le bailliage dont elle voudra être le représentant, et dans ce cas sera-t-elle remplacée de droit dans les autres bailliages par Celui qui, après l’élu, aura réuni le plus de suffrages? AVIS ET MOTIFS. Le bureau pense en premier lieu qu’il n’y â aucune difficulté que le député, nommé par plusieurs communautés pour les représenter dans les assemblées de bailliages différents, doive opter dans quel bailliage il veut être le représentant des communautés qui en dépendent; et il pense' que pareillement le député, que plusieurs bailliages 431 auraient nommé leur représentant aux États généraux, doit opter le bailliage dont il voudra être le représentant. Dans l’un ou l’autre cas, le remplacement de ce député par celui qui avait réuni le plus de suffrages après lui n’est pas sans inconvénient, pouvant arriver que* ce Second proposé, lors de la nomination, ait eu réellement très peu de voix ■ mais le bureau, à la pluralité de onze voix contre trois, deux membres absents, a considéré que cette circonstance serait vrai-semblablement fort éventuelle et fort rare; qu’il y aurait grand inconvénient et grande difficulté à faire recommencer les assemblées dont les nominations se trouveraient caduques par un semblable événement, et que le parti le plus expédient, parce qu’il serait le plus simple, lui paraissait -être de faire remplacer la nomination caduque par celle qui avait ensuite réuni le plus grand nombre de voix, CINQUANTE-TROISIÈME question. Quelle supériorité ou pluralité de suffrages seront nécessaires pour être légitimement élu ? AVIS ET MOTIFS. Le second bureau, ayant examiné cette question, a pensé que si l’on n’exigeait qu’une majorité de suffrages respective, il serait possible que le choix du député ne fût pas conforme au vœu de la pluralité. G’est pourquoi le bureau a été unanimement d’avis qu’il fallait, pour être légitimement élu, avoir plus de la moitié de la totalité des suffrages. CINQUANTE -QUATRIÈME QUESTION. Sera-t-il nécessaire de régler l’ordre et la forme que devront suivre îes assemblées où les instructions des députés aux États généraux seront délibérées et rédigées , depuis les assemblées de campagne en remontant jusqu’aux assemblées bailliagères ? AVIS ET MOTIES. Le bureau a d’abord observé que la question proposée ne peut être relative qu’aux assemblées des bailliages principaux, puisque c’est à ces assemblées que sont nommés les députés aux États généraux, et que sont délibérées et rédigées leurs instructions. L’Ordre et la forme que devront suivre cds assemblées paraissent tracés dans les procès-verbaux qui existent des différentes assemblées de bailliages, tenues en 1614 et autres États généraux. Us consistent principalement, comme on a déjà eu occasion de le remarquer dans les réponses aux questions précédentes, en ce que les trois ordres réunis s’assemblent d’abord au jour indiqué par-devant le grand bailli ou sénéchal, oü son lieutenant général, et qu’aprés la lecture des ordres du roi chaque ordre se retire à part, pour [1W Série, T. I«.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES , [Introduction.] 432 s’occuper des objets portés par les lettres de convocation. Après cette séparation, les trois ordres, chacun dans sa chambre, se nomment un greffier ou secrétaire, chargé de consigner par écrit leurs délibérations. Ils procèdent ensuite à la nomination des commissaires pour la rédaction de leurs cahiers de doléances. Ges cahiers étant achevés, lus', clos, arrêtés et signés, on nomme dans chaque ordre des députés pour assister aux États généraux, y porter les cahiers, et y représenter l’universalité du bailliage dont les intérêts leur sont confiés; aussi doivent-ils être munis de pouvoirs suffisants pour traiter de tout ce qui peut concerner l’avantage et l’utilité des ordres de leurs commettants. Les députés ayant accepté leur commission et juré de la remplir avec exactitude et fidélité, on leur fait la remise des cahiers, et ils se rendent directement aux États généraux. Le bureau a unanimement pensé que les formalités essentielles doivent se réduire à ces points principaux, et, par rapport aux autres formes de détail qui s’y rapportent, il lui paraît qu’il n’y a point d’inconvénient de laisser à chaque bailliage la faculté d’employer celles qui pourraient être consacrées par l’usage. Provinces réunies à la couronne depuis 1614. QUESTION . Dans quelles formes les provinces réunies à la couronne depuis 1614 devront-elles être admises à députer aux États généraux ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau, à la pluralité de seize voix contre sept, deux membres absents, a pris l’arrêté suivant : Le second bureau, après avoir pris lecture des différents mémoires proposés sur les formes de convocation qui doivent être observées dans les différentes provinces réunies à la couronne depuis 1614, a considéré qu’il n’existe point d’usage par rapport à la convocation des États généraux du royaume dans la plupart des provinces réunies; que chacune de ces provinces est régie par des formes particulières, soit dans l’ordre de l’administration, soit dans celui de la législation; que le bureau ne peut pas avoir une connaissance suffisante de toutes les circonstances locales qui pourraient et qui devraient influer sur sa délibération; qu’il ne peut pas prendre les informations qui seraient nécessaires pour le mettre en état de juger des avantages et des inconvénients qui peuvent résulter des plans proposés par chaque province; que cependant il est indispensable qu’il soit procédé promptement et sans délai dans tout le royaume à la convocation des assemblées d’élection et à la nomination des députés. Le bureau a en conséquence cru devoir s’en rapporter avec confiance au vœu de chaque province et à la sagesse du roi, en représentant à Sa Majesté que les lettres de convocation sont indépendantes des formes qui peuvent être suivies dans les provinces réunies, pour tenir ces assemblées d’élection et pour nommer les députés aux Etals généraux; qu’il n’y a point de raison pour que les lettres de convocation qui leur seront adressées ne soient pas énoncées dans les mêmes termes que par le passé, soit par rapport à la distinction des trois ordres, soit par rapport au nombre respectif des députés de chaque ordre, et qu’en général les formes qui seront admises pour la convocation et la tenue des assemblées d’élection, et pour la nomination des députés , ne doivent avoir rien de contraire à la constitution des États généraux, et dans l’égalité de leurs pouvoirs et de leurs suffrages. Vœu du bureau. Le bureau, empressé de répondre aux sentiments de justice qui ont dicté la proposition de monseigneur comte d’Artois, a formé un vœu unanime pour que les charges publiques soient réparties avec la plus juste égalité, et soient supportées proportionnellement par tous les ordres. Le bureau a délibéré ensuite sur la proposition faite d’exprimer cette réserve, suivant les formes propres à la constitution des ordres et des provinces, et il a été déterminé , à la pluralité de seize voix contre huit, que cette addition relative à un objet dont le bureau n’avait pas eu à s’occuper n’était pas nécessaire. Le second bureau a terminé ses délibérations en formant un vœu unanime pour que monseigneur comte d’Artois demande à Sa Majesté que les avis du bureau soient imprimés, en observant qu’il est intéressant que ces arrêtés paraissent le plus promptement qu’il sera possible. Collationné sur l’original par nous , second secrétaire-greffier, tenant la plume dans le second bureau, ce 11 décembre 1788. Signé Dupont. TROISIÈME BUREAU. COMMISSAIRES : MM. L’archevêque de Bordeaux, Le duc de Croï, De Vidaud, conseiller d’État, Le procureur général du Parlement de Toulouse. Le premier vœu du troisième bureau a été de répondre à la confiance dont Sa Majesté a honoré les notables, et il s’est occupé sans relâche des résolutions à prendre sur les questions soumises à leur examen. La plupart de ces questions ont présenté des difficultés d’autant plus embarrassantes , que le [l*e Série, T. 1«'.J bureau n’a jamais cru pouvoir perdre de vue les lois et les usages que la tradition a conservés. La monarchie française s’est soumise elle-même à des lois et à des coutumes ; l’attachement à ces lois et à ces coutumes dans les objets essentiels est inséparable de l’amour de la patrie, et c’est de ces sentiments que dépendront toujours sa gloire et sa splendeur. Si la crainte de quelques inconvénients attachés à des formes anciennes faisait adopter légèrement des innovations importantes, la constitution d’un grand empire deviendrait sujette aune versatilité qui serait le plus grand de tous les mau!'. La respectable prudence d’un roi qui hésite quand il s’agit de prononcer des changements doit faire la loi à ceux qu’il daigne consulter. Ils ne doivent pas respecter des abus qui nuiraient au principe général de la liberté des élections et des suffrages , mais ils doivent respecter les formes consenties par la nation, et les faits sont les seuls points fixes qui puissent les guider dans cette recherche. Ils pensent que la réforme même de certains abus ne doit s’opérer qu’avec lenteur ; que, pour éviter des inconvénients, connus, on peut tomber dans des inconvénients plus grands encore, et que vouloir franchir rapidement des principes consacrés par des siècles , c’est s’exposer à des secousses dangereuses. L’habitude des peuples doit être respectée, et il est à désirer qu’ils respectent eux-. mêmes celles de leurs pères; autrement les droits les plus sacrés pourraient dépendre de systèmes nouveaux, et les citoyens que ces systèmes auraient favorisés pourraient à leur tour être eux-mêmes les victimes de cette même versatilité dont ils auraient donné' l’exemple. L’inquiétude que chacun pourrait en concevoir pour son état serait le plus grand de tous les maux , et ce n’est que le respect pour les droits , les lois et les propriétés, qui puisse maintenir la tranquillité publique. Pénétrés de ces vérités, les membres du bureau vont proposera Sa Majesté défaire la convocation des États généraux selon les formes anciennes, en les conciliant, autant qu’il sera possible, avec les moyens qui leur ont paru les plus convenables pour rendre la représentation et plus libre et plus générale. . Dans le nombre des résolutions que le bureau a l’honneur d’offrir à Sa Majesté, il en est qui ne conviennent qu’à la partie de la France qui composait le royaume à. l’époque des derniers États de 1614; d’autres peuvent également s’adapter à toutes les provinces réunies depuis ce temps à la couronne. Il eût fallu, pour offrir à Sa Majesté un plan dans lequel elles pussent être entièrement comprises, réunir tous les renseignements qu’elles ont fait passer à ses ministres. Mais le bureau est instruit que les principaux administrateurs de ces provinces se sont réunis pour présenter eux-mêmes le plan le plus capable de leur assurer tre Série, T. Ier. [Introduction,] 433 une juste représentation aux États généraux, et que Sa Majesté se propose de s’en faire rendre compte dans son conseil, afin d’y déterminer les règles à observer pour les élections et les députations. Les membres du bureau se sont donc uniquement renfermés dans l’examen des questions qui leur étaient soumises, relativement aux provinces qui faisaient partie de la France en 1614, en se conformant à l’ordre de ces questions, tel qu’il a été arrêté dans le comité présidé par Monsieur. PREMIÈRE QUESTION. Le nombre des députés doit-il être en raison des gouvernements, des généralités, des provinces, des élections, des diocèses, des bailliages ? AVIS ET MOTIF. Pour se conformer aux anciens usages, et pour faire constater dans une forme judiciaire la validité des députations , le bureau a pensé unanimement que la convocation devait être faite par bailliage dans toutes les provinces qui faisaient partie du royaume en 1614 et 1650, autres que celles qui ont conservé des usages contraires , en proposant néanmoins les rectifications de détail qui tendraient à rendre la représentation plus générale et plus libre. DEUXIÈME QUESTION, divisée en quatre parties . 1° De quelle nature doivent être les bailliages qui auront la prérogative de députer directement aux États généraux ? 2° Doit-on n’accorder cette distinction , quant aux provinces qui ont député par bailliage en 1614, qu’aux seuls bailliages qui ont député directement à cette époque, soit qu’ils eussent ou non des baillis d’épée ? 3° Écartera-t-on de la députation directe des bailliages qui, ayant *eu à cette époque des baillis d’épée, paraissent n’avoir député que secondairement? 4° Enfin admettra-t-on pour la députation directe des bailliages créés depuis 1614, avec les baillis d’épée, cas royaux, ressort sur d’autres juridictions, et ressortissants nûment à un Parlement? AVIS ET MOTIFS. Quant à la question sur la nature que doivent avoir les bailliages, pour jouir de la prérogative de députer directement aux États généraux , les résolutions suivantes y répondent suffisamment. Tous les bailliages qui ont député directement en 1614, ayant la possession pour eux , doivent jouir de la même prérogative s’ils sont dans le même état, 'même quand ils auraient subi quelque démembrement, un démembrement ne diminuant que l’étendue du, ressort sans changer l’état. 28 ARCHIVES PARLEMENTAIRES, fl« Série, T. !<”-.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Introduction.} 434 Tous ceux qui à cette époque n’ont député que secondairement, quel que fût alors leur état, doivent être présumés avoir été jugés par le roi et par la nation, et ne doivent députer que de la même manière aux États généraux de 1789. Mais ceux qui ont été créés depuis 1614 , avec les caractères imprimés dans la question, doivent être admis à la députation directe. Cet arrêté n’a point passé à l’unanimité des suffrages ; ils se sont tous réunis à la vérité pour conserver aux bailliages, qui avaient député directement aux États généraux de 1614, le droit d’y députer encore en la même forme. La diversité des avis n’a porté que sur les bailliages qui à cette époque avaient député secondairement. Seize ont voté pour les exclure de la députation directe. (Suit une très-longue énumération des divers motifs.) TROISIÈME QUESTION. Les provinces ou pays qui ont député en forme de pays d’états en 1614, ou aux trois tenues précédentes, continueront-ils de jouir de cet avantage? AVIS ET MOTIF. Par une suite de la réserve exprimée dans la réponse de la première question, le bureau, désirant de se rapprocher, autant qu’il est possible , des anciens usages, a été unanimement d’avis que ces provinces doivent conserver le droit de députer en forme de pays d’états , dès qu’elles justifieront avoir joui de cet avantage sans y avoir dérogé. Le même avantage pourrait être accordé à une province dont le roi jugerait à propos de convoquer les États provinciaux avant l’époque des États généraux. QUATRIÈME QUESTION. Pour fixer le nombre des' députations que chaque bailliage enverra aux États généraux , aura-t-on égard à leur population? Ou le nombre des députations sera-t-il égal entre tous les bailliages, sans égard à leur population? Et dans le premier cas, quelle serait l’échelle de proportion qu’il faudrait établir entre eux ? AVIS ET MOTIFS. La majorité du bureau pense qu’il serait trop difficile d’établir une proportion pour la députation des bailliages aux États généraux. Mais il a proposé d’avoir égard à la population des villes et des campagnes pour leurs députations aux assemblées des bailliages, et cette proportion sera indiquée dans la délibération sur les trente-sixième et trente-septième questions. Le bureau s’est occupé à plusieurs reprises de cette question importante ; s’il n’avait eu à la décider que par l’usage, il aurait observé que jusqu’en 1614 les lettres de convocation ne demandaient qu’un député de chaque ordre, sans distinction des bailliages entre eux ; qu’en 1650 les lettres de convocation en demandaient un au moins, ce qui suppose qu’à cette époque on pensait que la représentation pouvait sans inconvénient être plus générale, mais ce qui ne déterminait encore aucune différence entre les bailliages, suivant le plus ou moins d’étendue de leur ressort, puisqu’ils avaient tous la faculté d’envoyer plus d’un député dans chaque ordre. Le bureau, pour répondre précisément à la question, l’a donc considérée sous tous les rapports que les bailliages pouvaient avoir entre eux, eu égard à leur population, à leur contribution, à leur territoire, à la nature même de leurs impositions, très-différentes d’un bailliage, d’une province, d’un gouvernement, à un autre bailliage, à une autre généralité, à un autre gouvernement. Six membres du bureau ont persisté, d’après les motifs qui les ont déterminés sur la seconde question, à proposer que tous les bailliages royaux eussent le droit de députer immédiatement. Treize membres du bureau ont pesé les motifs qui ont dû déterminer l’usage contraire, constamment observé dans tous les États généraux sans réclamation, et ils y ont puisé ce principe de décision, etc. Le consentement à donner aux impôts a paru aussi indifférent à l’intérêt particulier des bailliages, parce qu’alors tous les députés réunis ne s’occupent que de délibérer sur l’intérêt général ; et que s’il est vrai que le député d’un bailliage très-étendu consent une imposition très-forte en masse, par proportion à celle consentie par le député d’un ressort très-restreint, il n’en est pas moins vrai que cette imposition répartie sur tous les individus également n’affecte pas plus un citoyen de la province la plus étendue que le citoyen de la plus petite province, si tous deux sont égaux en richesse. Un autre rapport entre les différents bailliages méritait encore d’être discuté : c’est celui de leur intérêt mis en opposition; leurs privilèges ne sont pas les mêmes, et il y a presque autant de différences à cét égard qu’il y a de bailliages ; ainsi il est nécessaire que le plus petit comme le plus grand ait ses députés ; mais un plus grand nombre, en raison de la population plus forte, a dû paraître inutile. Sous ce rapport les députés d’un bailliage sont ses avocats, et trois suffisent à la cause du plus grand, comme à celle du plus petit, et, comme tous les autres députés en deviennent les juges, et qu’eux-mêmes ont à leur tour la même cause à défendre, on doit être assuré que les droits respectifs ne seront jamais blessés. Ces motifs, fortifiés par l’adhésion la plus formelle de tous les États généraux précédents, par ]lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.] 435 des-jugements multipliés, qui, sans égard pour l’étendue des bailliages, ont forcé tous les députés du même ordre, d’un même bailliage à n'avoir qu’un suffrage, et par le désir de s’écarter le moins possible des usages, ont déterminé treize voix à proposer de ne point s’écarter de la forme des anciennes convocations, et par conséquent de ne point distinguer les bailliages entre eux. ' Un troisième avis est né des débats sur les deux précédents. Le premier a paru rendre la représentation trop générale, multiplier beaucoup trop le nombre des députés, et s'écarter d’une manière trop marquée des usages. Le second a paru ne pas rendre la représentation assez égale, ne pas avoir les égards que méritent les différences des temps, et surtout les diverses natures d’impositions inconnues en 1614. En conséquence, en conservant l’usage de ne convoquer que les bailliages qui ont droit à la députation directe, trois voix ont conclu pour qu’il fût fait trois classes de ces sortes de bailliages, d’après leur population, leurs contributions aux charges publiques et leur étendue ; que la première classe fût restreinte à n’envoyer qu’un député de chaque ordre ; que la seconde pût en envoyer deux ; et que la troisième eût le droit d’en envoyer trois ; et que Sa Majesté voulût bien déterminer, dans les lettres de convocation, le nombre des députés à envoyer par chaque bailliage, suivant celle des trois classes dans laquelle, d’après les proportions données, elle aurait jugé à propos de les ranger ? CINQUIÈME QUESTION. Quel doit être le nombre respectif des députés de chaque ordre ; sera-t-il égal pour chaque députation ? AVIS ET MOTIFS. La question sur le nombre respectif des députés de chaque ordre a excité toute l’attention des membres du bureau. Animés par le désir le plus ardent de répondre à la confiance dont Sa Majesté les a honorés, et pénétrés de l’importance de cette question, ils ont cru devoir l’examiner sous tous les rapports. Pour cet effet, ils se sont d’abord livrés à une étude attentive des faits; ils ont ensuite examiné le droit qui pourrait résulter, soit des titres que présentent les monuments de notre histoire, soit de la justice naturelle qu’ils ont toujours eue en vue. Ils ont surtout cherché scrupuleusement à examiner quels pouvaient être les ' véritables intérêts du tiers-état; et enfin ils ont examiné avec le même scrupule jusqu’à quel point ils pouvaient proposer à Sa Majesté d’étendre ses décisions avant d’avoir assemblé la nation qu’elle veut consulter. En se livrant à l’étude des faits, ils ont cru devoir s’attacher plus particulièrement aux dernières convocations d’États généraux. Un seul exemple isolé ne leur aurait pas paru suffisant pour fixer leur opinion;’ mais, puisque la nation s’est assemblée plusieurs fois sans réclamer contre les formes de sa convocation, ils ont cru devoir considérer ces formes comme ayant été constamment adoptées par elle dans toutes ces assemblées , et étant devenues essentiellement constitutionnelles par cette adoption. Ils ont observé qu’en cherchant des exemples plus anciens, ils auraient rencontré des temps où l’admission des communes dans les États généraux était encore trop nouvelle, pour qu’on eût pu établir une forme constante à cet égard; et qu’en remontant à des temps plus reculés encore, ils n’auraient trouvé que des assemblées composées des deux premiers ordres, pu seulement des prélats, barons et grands du royaume. L’examen des lettres de convocation aux six dernières tenues d’États généraux (y compris la convocation de 1651 qui est restée sans effet) leux a prouvé que le roi avait toujours convoqué un député de chaque ordre. Dans une de ces convocations, le roi a ajouté ces termes : et non plus; dans une autre : au moins; et dans toutes les autres, il n’y a pas d’autre expression que celle d'un député de chaque ordre. A la vérité, les listes qui sont restées des députés aux États généraux indiquent qu’ils n’ont pas toujours été exactement dans celte proportion, soit parce que plusieurs n’avaient pu s’y rendre, soit parce que quelques bailliages avaient nommé des suppléants, ainsi qu’ils pourront encore en nommer cette fois-ci. Mais les membres du bureau ont observé que les États généraux ayant constamment adopté, en 1560, en 1576, en 1588 et en 1614, la forme d’opiner dans chaque chambre, par bailliage et par gouvernement, le nombre des voix était parfaitement égal dans chaque ordre, quel que fût le nombre des députés. Ils ont enfin observé que les États généraux de 1483, dans lesquels on croit trouver un exemple de délibérations prises par tête en une division par six nations, sont précisément ceux où les ordres se sont trouvés dans une proportion plus égale, puisque le tiers-état n’avait que seize membres de plus que la noblesse, et onze membres seulement de plus que le clergé, et que le procès-verbal de ces États constate que pour la rédaction des cahiers on prit un nombre égal de députés de chaque ordre. L’examen du droit, qui résulte des titres que présentent les monuments de notre histoire, leur a paru inséparable de l’étude des faits qui viennent d’être rapportés; ils y ont reconnu un droit constant qui est une véritable propriété appartenante également à chaque ordre ; iis ont vu par des pièces authentiques que ce droit avait été [ire Série, T. I«<\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. . [Introduction.] 436 également établi, et par les rois qui avaient ordonné d’opiner par bailliage dans chaque chambre, pour maintenir une parfaite égalité entre les voix de chaque ordre, et par les États généraux qui ont adopté cette manière de délibérer; ils ont reconnu que, si l’origine du clergé remonte à l’établissement de la religion, l’origine de la noblesse remonte à l’établissement de la monarchie. Il ne faut pas confondre les abus de la féodalité, les usurpations des grands vassaux qui n’existent plus, avec l’origine de cette noblesse qui existait bien avant le régime féodal. Dès le temps de Clovis et ses successeurs, il y avait dans les Gaules des propriétaires libres, distingués des autres classes par leurs services et par la nature de leurs possessions. Les lois salique et ripuaire indiquent l’ordre de succession à leurs terres, et la quotité des compositions pécuniaires relatives à leurs qualités. Ces propriétaires libres avaient sous eux des serfs ; ils les ont successivement affranchis dans leurs terres, comme les rois ont affranchi les communes dans leurs domaines, et ces communes n’auraient pas été fondées à disputer les droits de ceux de qui elles tenaient leur existence : mais les membres du bureau ne. se sont pas bornés à l’élude de ce droit constitutionnel; ils ont également examiné les principes de la justice naturelle, et ils ont reconnu qu’elle peut faire considérer cette question sous plusieurs rapports : celui de la propriété , celui de la contribution aux charges publiques, celui de la population, et celui des diverses natures d’intérêts. Il est aisé de se convaincre que, sous le rapport de la propriété, les deux premiers ordres composeraient peut-être plus des deux tiers de la nation, -car le bureau a proposé d’admettre dans ces deux ordres tous les nobles et anoblis, tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres sacrés sans distinction, toutes les communautés, collèges, hôpitaux et membres de l’ordre de Malte ; et, toutes ces classes étant admises parmi le clergé et la noblesse, on ne peut se dissimuler que ces deux ordres possèdent la plus grande partie des propriétés du royaume; surtout si l’on considère que presque toutes les propriétés rurales ne sont que des concessions des seigneurs, qui, s’étant réservé sur ces concessions des cens ou redevances, en sont encore les propriétaires primitifs, et que ces réserves sont la condition des concessions qui sans cela n’eussent pas existé. Les membres du bureau ont observé, sous le rapport de la contribution aux charges publiques, un point de vue plus favorable au tiers-état; mais ils ont cru devoir distinguer les différentes espèces de contributions, et quelles sont celles dont un ordre a pu être jusqu’à présent chargé, sans que les autres y participassent. Les deux tiers des revenus publics sont composés de droits sur les consommations et sur les contrats et autres actes de la société ; les trois ordres y contribuent absolument de la même manière sans aucune distinction. L’autre tiers des revenus de l’État est composé des impositions réelles' et personnelles; dans ce nombre se trouvent compris les capitations et les vingtièmes; le clergé y participe sous une autre forme, mais la noblesse y contribue comme les autres ; et, s’il y a quelque injustice à l’égard de leur répartition, les membres du bureau expriment ici le vœu le plus formel pour que cette injustice soit entièrement supprimée. Les deux premiers ordres contribuent donc, pour-ces deux genres d’impositions, à toutes les dépenses de l’État, soit pour les armées, dans lesquelles la noblesse prodigue son sang et ses revenus, soit pour la dignité de la couronne, qu’elle a l’honneur d’approcher de plus près; soit pour les frais de la justice, auxquels les seigneurs, tant ecclésiastiques que laïques, contribuent encore d’une manière plus particulière par ceux qu’ils supportent seuls dans leurs terres. Il reste la taille et ses accessoires, et la contribution représentative de la corvée ; ces objets ne composent pas la cinquième partie des charges publiques, et c’est à cette partie seule que les deux premiers ordres ne contribuent pas tout à fait dans la même proportion que le troisième : mais tous leurs fermiers y contribuent ; presque toutes leurs terres sont affermées, et l’exemption de la taille, réduite aux seuls domaines qu’ils font valoir par leurs mains, bornée même à un nombre de charrues, ne répond peut-être pas à un cinquantième de cette cinquième partie des charges publiques dont il est ici parlé. Cependant les membres des deux premiers ordres s’empressent d’exprimer ici, chacun individuellement, que leur vœu le plus ardent est que les États généraux fassent disparaître toute inégalité à cet égard, en proposant ou adoptant des formes d’impositions qui puissent écarter tout arbitraire dans la répartition, leur ôter les caractères qui répugneraient au clergé et à la noblesse, et être telles, que tous les ordres et toutes les classes des citoyens puissent supporter toutes les contributions pécuniaires dans une exacte proportion de leurs facultés. Ils adhèrent ici d’avance aux délibérations que la nation assemblée pourra prendre à cet effet, et ils supplient aussi Sa Majesté de vouloir bien borner toute concession nouvelle de privilèges qui pourraient nuire aux intérêts du peuple. On vient de voir que les exemptions auxquelles les membres du bureau voudraient pouvoir renoncer dès aujourd’hui, et qui peuvent malheureusement occasionner des surcharges dans l’intérieur des communautés, se réduisent à bien peu de chose dans la masse générale; que tous [Ire Série, T, Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] les intérêts généraux sont les mêmes, et que, pour juger si une classe a de plus grands intérêts qu’une autre, il faut seulement examiner si elle est plus nombreuse en population. Ce rapport de la population est sans doute celui qui donne le plus d’avantage au tiers-état; il est infiniment plus nombreux que les deux premiers ordres, et sous ce rapport il faudrait peut-être lui donner vingt représentants contre un des deux autres ; mais cette seule observation a fait sentir aux membres du bureau combien il était impossible d’admettre une proportion à cet égard. Aussi les écrivains et les corps de citoyens qui ont fait des demandes pour le tiers-état sont-ils trop raisonnables pour se fonder sur ce principe; ils ont bien senti qu’en réduisant îes deux premiers ordres presque à rien, ils se priveraient de protecteurs qui, en soutenant les privilèges constitutifs de la nation, défendent aussi ceux du tiers-état ; ils ont seulement proposé qu’on égalisât le nombre relativement à la nature des intérêts. Les membres du bureau, s’ils s’étaient crus autorisés à cet égard, se seraient empressés de répondre à leurs désirs; ils auraient fait plus en faisant cesser toute différence d’intérêts par la renonciation aux exemptions pécuniaires, et ils auraient fait cesser par conséquent l’objet de la demande ; mais ils ne croiraient pas servir Sa Majesté selon l’esprit de justice et de sagesse qui l’anime, ni la nation selon ses droits, s’ils lui proposaient de prévenir ou préjuger à cet égard' le vœu de cette nation assemblée : ils se sont donc bornés à continuer l’examen de la question sous ses différents rapports, et l’observation qui vient d’être faite, celle même qui résulte de la proposition faite par quelques citoyens du tiers-état, leur ont prouvé que les deux rapports de la population et des diverses natures d’intérêts doivent être considérés en même temps. Les diverses natures d’intérêts sont relatives aux diverses classes de citoyens et à leur diverses professions ; mais, comme cette subdivision serait infinie, le bureau a cru devoir se borner à considérer deux classes bien distinctes : celle des propriétaires et celle des non propriétaires ; celle des villes et celle des campagnes. Dans celle des propriétaires, on a déjà vu que les deux premiers ordres auraient tout l’avantage; dans celle des non propriétaires, le plus grand nombre est malheureusement dans l’impossibilité absolue de participer à l’assemblée de la nation, soit faute de connaissances suffisantes, soit faute de facultés, soit par l’impossibilité de quitter ses foyers ou sa profession ; et le bureau a pensé que, si le nombre de représentants semblait d’abord devoir être proportionné au nombre des représentés, le nombre d’élus devait bien plus encore être proportionné au nombre des éligibles. 437 L’autre distinction des deux classes consiste dans celle des villes et celle des campagnes : or, la population des villes n’est peut-être pas la dixième partie de celle des campagnes, et cependant le tiers-état aux États généraux est presque entièrement composé d’habitants des villes ; c’est cependant sous ce rapport qu’il se trouve deux natures d’intérêts bien différents. Les habitants des campagnes sont les vendeurs, ceux des villes sont les acheteurs ; les uns sont les producteurs, les autres sont les consommateurs ; l’agriculture est la principale profession des uns, l’industrie et le commerce sont la principale profession des autres. On voit combien il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de proportionner les représentants de ces deux classes à leur population, relativement à leurs intérêts. Mais ces intérêts précieux des campagnes sont précisément les mêmes que ceux des seigneurs ; ils peuvent avoir des« difficultés particulières avec leurs vassaux, qui doivent trouver un libre accès dans les tribunaux, mais les intérêts publics sont absolument identiques. Les seigneurs ne peuvent augmenter les revenus de leurs fermes, de leurs dîmes et cham-parts, de leurs moulins et de tous leurs droits, qu’autant que leurs terres sont peuplées, qu’il y a de l’émulation pour la culture et qu’elle est protégée ; enfin ils ne peuvent être riches qu’autant que leurs vassaux sont aisés. Non-seulement ils sont les propriétaires de la plus grande partie des terres, ils sont encore les propriétaires primitifs de ces concessions dont on a parlé ci-devant; et c’est sous ce double rapport de droit et d’identité d’intérêts, que les seigneurs laïques et ecclésiastiques étaient autrefois les véritables et les seuls représentants des campagnes, tandis que le tiers-état représentait le commerce et l’industrie des villes. Après avoir ainsi étudié les faits et examiné les droits et la nature des intérêts, les membres du bureau ont cherché à connaître ce qui pouvait être le plus utile pour le tiers-état. Ils ont reconnu que dans aucun cas deux ordres ne peuvent obliger le troisième en matière de subsides. Ge droit du veto assure tous les autres, et il semble juste de ne pas changer cet ordre de choses avant que la nation légalement assemblée ait examiné elle-même ses véritables intérêts ; ils ne peuvent être mieux pesés que dans une balance égale de trois ordres. Les villes y ont un poids qui excède même la proportion de leur population ; les campagnes, outre les députés qu’elles pourraient avoir dans le tiers-état, y sont défendues par les deux premiers ordres, en raison de la conformité d’intérêts dont on vient de parler. Le clergé et la noblesse, ayant sous certains rapports des intérêts divisés, peuvent alternativement, et comme on l'a souvent vu, se réunir 4$8 Sérié, f. 1er. J dff ierff-éMt. Lés éûrés étë ÿtegqaë tout l!é clergé dîâ! SëéoSÿ ôrdüré, tenant essentiellement âu fiers, déMUfenT ses intérêts d'ans le-premier -#*8HP,' ét &e& de éefife' balance que peut résuïfér û» Véritable-équilibre; c’est aussi par cette ba-Mnee que le souverain peut connaître plus aisément Tés* Véritables intérêts des peuples1; C’est la rënnien (fa souverain et des trois ordres ainsi Ba-l&ncn&tÿul ébnstitue réellement la nation, et les membres du bureau ne peuvent pas juger des veen� dé cette nation avant qu’elle' soit fégaté-rnent assemblée, ôn a Vu ci-devant que lé temps et le consentement universel ont sanctionné les anciens usages. Lés membres du bureau se sont principale-mëiff appliqués à les étudier ; ils ont erü pouvoir proposer a Sa Majesté des reetifleâtions' de détail, dés réformes d’àbUs qui ne tiennent pas $UX formes essentielles; mais-, s’ils lui proposaient de toucher à: eés dernières, la-nation nne fois assemblée Uè devrait-elle pas craindre de se séparer, puisque, pendant fa séparation, des conseils pourraient également proposer au souverain dés changements contraires ? L’opinion d’une partie des éWotêns peut n’être pas céfl’é dé l’autre. L’opinion d’un-nombre d’ecrtVains, celte même de quelques vîffés, dé quelques provinces qui diffèrent entre elles, ne peuvent fats donner1 une certitude légale sur' l’opinion publique et les membres du bureau, reçut nufesUmt leur* impuissance pour adopter' ou rëjëferTone de ces opinions-plutôt que f autre, CrUMit devoir se borner à proposer les formes es-SëfifMlëS Sanctionnées par un consentement ttrri-Vérseî dés Cinq dernières tenues d’Étaf s généraux. Lé vœO dé tout bon citoyen doit être de lés VOif aSSetfrMes dé nouveau le plus promptement possible, de voir leurs délibérations' paisibles préparer des dispositions dont f’exêeution, ordonnée par le souverain, puisse assurer le bonheur générai, sans que feur légalité soit susceptible d’être éomfeSféé, et sans que1 les tribunaux, qui doivent éti�-mêmés constater judiciairement fa validité des citations et des élections, puissent répandre des-doutés à cet' égard. LeS membres du Bureau ont pensé1 que rattachement aux anciennes formes constamment suivies était fê'séuf guide assuré qu’on pût suivre pouf parvenir à ce but désirable; ils n’oiïl pas cru (fan f exemple des assemblées provinciales et de quelques États provinciaux fût une autorisation Suffisante poürs’én écarter. La répartition des impôts étant la principale fonction des assemblées provinciales, qui ne tiennent cette attribution que dé fa concession du monarque, elles ne peuvent pas servir d’eXempîe ; et un petit nombre d’États prnVinciàUi, qui ont adopté une composition semblable, ne peuvent ni obliger la nation, ni lui servir de modèle, parce que ce qui peut leur Convenir â raison de leurs fonctions, et de quel-[Introtfiïétîoiï.f ques cîréousfaiicès locales, ne peut pas convenir à f’àssémMéé générale d’un grand empire, dans laquelle lés plus grands intérêts pourront être discutés.' Toutes ces réflexions ayant été mûrement pesées:' considérant que les formes anciennes de con vocation ont été constamment ordonnées par le souverain et adoptées par fa nation ; que ces formes tiennent aux droits des trois ordres, et qu’enfreindre ceux des uns sans leur consentement légal, ce serait exposer ceux de l’autre ; que les-divers rapports dé propriétés, dé contributions, dépopulation et dé diverses natures d’intérêts sont beaucoup pliïs balancés par ces anciennes formes qtf%: ne paraissent l’être au premier aperçu ; que la classé préeieuse des habitants des campagnes pourrait se plaindre de ce qu’on diminuerait l’influencé dé leurs profécteUrs naturels ; que s’exposer aux réclamations des-deux premiers ordres et peut-être à celle d’une partie du tiers-état, mieux éclairé sur ses véritables intérêts, ce serait s’exposer à retarder rassemblée de la nation, qu’il presse au roi de voir réunie autour dé lui, à voir leur légalité contestée, ainsi que la validité de leurs délibérations, et-ces’ délibérations demeurer sans' effet ; que préjuger à cet égard le vœu de la nation avant qu’effe soit assemblée, ce serait fui donner lieu de craindre que dans une autre occasion on ne rendît dé ta même maniéré une décision contraire; que: les deux premiers ordres pourront être d’autant plus empressés à faire cesser toutes divisions dî’intéréts, qu’ils s’apercevront qu’on aura plus respecté leurs droits, et que c’est de la nation seule qu’il faut attendre ces résolutions généreuses qui, n’ayant qu’un même but, font concourir les vœux et l’intérêt de chacun à l’intérêt et au bonheur dé tous : seize membres du bureau ont pensé qu’il est préférable de se conformer aux anciennes lettres de convocation, et en conséquence de convoquer un nombre égal de députés de chaque ordre. Sur cette même question du nombre respectif des députés des différents ordres, huit opinants ont été frappés des considérations suivantes : 1° Aucune loi positive n’a déterminé le nombre dés* députés des différents ordres ; d’abord le tiers n’était représenté que par les députés des bonnes villes, qui étaient appelés arbitrairement en nombre très-inégal. Les lettres de convocation de 1560 portaient ordre de députer un au moins de chaque Ordre ; les lettres postérieures se sont servies des termes un de chaque ordre , et Même de ceux-ci, un, et non plus. Néanmoins les listes des précédents États généraux constatent que le tiers a toujours été plus nombreux, spécialement en 1614; ce qui n’aurait pu être, s’il y avait eü contravention à une loi. 2° Cette disparité dans le nombre des députés des différents ordres était donc ci-devant un effet AMMVfg �ARLE5f®lTA#ES. [.fia Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ïlntrodtwtion.î des dispositions des esprits et des convenances du temps. Aucune loi ne l’avait établie, elle ne dérogeait à aucune loi ; elle s’était introduite à la faveur de nouvelles circonstances; comme sous Philipe le Bel le tiers-état, échappé des chaînes qui l’asservissaient, était devenu un troisième ordre ; comme, depuis encore, l’élection des membres choisis dans les divers ordres pour assister aux États généraux prit la place d’un autre usage qui y appelait ou telle personne déterminée par la place qu’elle occupait, ou la nature du fief dont elle était investie : or, il faut convenir que jamais il n’y eut plus de raison d’appeler le tiers en plus grand nombre. L’accroissement des lumières, les progrès de l’industrie, l’intérêt majeur du commerce, celui des capitalistes, l’accroissement progressif ou soudain des cités immenses, sont autant de raisons pour le tiers d’avoir un plus grand nombre de représentants qui puissent mieux répondre à sa confiance, et faire valoir ses droits. Cette considération devient encore plus puissante si l’on pense aux objets qui doivent occuper les prochains États généraux, et spécialement celui des impôts qui seront reconnus nécessaires, et pour lesquels il est si intéressant, si indispensable d’admettre une égale répartition. On doit espérer que les ordre privilégiés s’y porteront sans peine ; et l’ordre du tiers rendra encore plus hommage à cette disposition patriotique, si l’Assemblée des notables, composée presque entièrement de privilégiés, invite elle-même le souverain à convoquer un plus grand nombre de députés du tiers. 3° Si les lettres de convocation prescrivant un nombre égal de députés, le tiers use de la même liberté dont il a usé précédemment, il est à craindre qu’il n’en résulté un trop grand nombre de députés et une confusion nuisible ; si au contraire le tiers se contient dans les limites delà convocation, cet ordre se verrait privé des avantages dont il a toujours joui, et 'auxquels il a plus de droit qu’il n’en eut jamais. Dans cette alternative, n’est-il pas plus digne de la sagesse du roi de régler avec prudence le nombre des représentants que le tiers aura au-dessus des deux autres ordres? 4° La proportion des députés de chaque ordre devient plus ou moins intéressante suivant la manière de délibérer dans les États généraux. Il semble que personne ne nie qu’il dépendra toujours des États et des différents ordres de choisir la méthode qu’ils jugeront la plus convenable; plusieurs pensent que celle de faire opiner tous les trois ordres ensemble et par tête pourra être préféré. Dans le doute, ne convient-il pas d’accorder au tiers une représentation qui, si l’on opinait ainsi, pourrait seule lui donner la confiance de concourir avec les deux ordres privilégiés, et par là assurer certainement aux États la liberté de délibérer ainsi qu’ils le jugeront à propos ? 489 Si, au contraire, les États doivent délibérer par ordre, comme ils ont fait dans les précédentes tenues, il est bien plus différent que le tiers ait plus ou moins de représentants ; mais au moins on aura satisfait au désir général qu’il témoigne. Cette condescendance n’a jamais nui et ne peut nuire à l’indépendance des ordres, et celui du tiers, une fois assemblé, sera le maître de réduire les voix à la mesure des bailliages, comme il en a usé précédemment, ou de déterminer que les opinions y. seront recueillies par tête. Mus par ces diverses considérations, six opinants ont voté pour que les lettres de convocation admissent pour le tiers un nombre de députés égal à celui des deux autres ordres. Deux autres, compris dans les seize du premier avis, frappés de l’uniformité des dernières lettres de convocation, ont pensé qu’on pourrait se conformer aux lettres précédentes, en procurant au tiers unejuste compensation indiquée par les annales des États généraux. Elle consisterait à proposer à Sa Majesté de convoquer spécialement des députés des villes notables du royaume, suivant le nombre et la mesure qu’elle fixerait dans sa sagesse et d’après leur population et leur importance. Les députés de ces villes, choisis par les communes, entreraient, comme ils ont toujours fait , dans l’ordre du tiers, quoique les communes puissent choisir leurs députés dans les deux autres ordres: ainsi le tiers serait plus considérable en nombre, quoique néanmoins il n’atteignît pas le nombre double; ainsi il aurait l’assurance d’avoir des représentants pris dans les classes les plus distinguées; et les villes qui, par le concours de toutes les communautés de campagne, sont menacées de n’avoir qu’une influence illusoire dans les élections, seraient assurées d’une représentation convenable et très-conforme aux anciens principes qui ont présidé à la formation des États généraux. SIXIÈME QUESTION. Quelle a été et quelle pourrait être la forme de délibérer des trois ordres dans les États généraux. AVIS ET MOTIF. La forme la plus constante, et qu?on ne saurait contester avoir été observée dans les quatre dernières tenues d’États généraux, a été de délibérer par ordre et séparément. Cette forme est indiquée par les ordonnances de 1355 et 1356, et par l’article 135 de l’ordonnance d’Orléans, rendue sur la demande des États généraux. D’après de telles autorités, le bureau ne croit pas qu’il y ait lieu de changer cette forme; il ne pense pas devoir proposer d’indiquer aux États généraux la forme dans laquelle ils délibéreront constamment pendant tout le temps de leur tenue; mais il croit nécessaire d’indiquer la forme de la pre- [lïe Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Introduction.] 440 mière délibération, sans quoi le défaut d’accord à cet égard pourrait rendre toute délibération impossible ; et, en conséquence de l’usage constant ci-dessus cité, il pense que eette première délibération doit être prise séparément par chaque ordre. SEPTIÈME QUESTION. A qui les lettres de convocation devront-elles être adressées ? AVIS ET MOTIF. Les lettres de convocation doivent être adressées aux baillis et sénéchaux, en leur absence à leurs lieutenants, et elles doivent leur parvenir par la voie des gouverneurs : cette règle paraît indiquée par les anciens usages, etc. HUITIÈME QUESTION. Dans quelle forme chacun des trois ordres sera-t-il convoqué et cité? AVIS ET MOTIF. Ils adresseront les ordres pour cette citation aux juges royaux de leur ressort, lesquels les feront passer aux juges seigneuriaux qui ressortissent directement aux cours souveraines, lesquels recevront directement les ordres des baillis et sénéchaux. Il est à désirer que cet ordre de citation soit exactement observé dans toutes les provinces, pour assurer une représentation plus générale et plus fidèle. NEUVIÈME QUESTION. Les bénéficiers dans l’ordre du clergé, et les possesseurs de fiefs dans l’ordre de la noblesse, seront-ils assignés; seront-ils les seuls assignés, et où seront-ils assignés ? AVIS ET MOTIFS. Les ecclésiastiques bénéficiers seront seuls assignés ou cités individuellement au chef-lieu de leurs bénéfices; mais tout ecclésiastique engagé dans les ordres sacrés et n’ayant pas de bénéfices sera cité par la publication et les affiches. Le bailli ou son lieutenant pourra nommer des délégués dans les chefs-lieux de district,. distribués, autant que faire se pourra, suivant la division adoptée dans les diocèses. Tous lesdits ecclésiastiques non bénéficiers, ainsi que les possesseurs de petits bénéfices simples, et les curés qui ne voudraient pas s’éloigner pour longtemps de leurs paroisses, auront la liberté de comparaître devant ces délégués, et de s’assembler ensuite dans un lieu séparé pour y procéder à la ré I action d’un cahier, et à la nomination d’un ou plusieurs députés à envoyer à l’assemblée du bailliage supérieur. Les possesseurs de fiefs seront seuls assignés individuellement; mais tous les nobles non possédant fiefs se rendront, sur la citation publique, directement à l’assemblée du bailli. DIXIÈME QUESTION. Les membres du clergé et de la noblesse, soit qu’ils soient assignés à leurs bénéfices ou à, leurs fiefs, soit qu’ils soient seulement convoqués par les affiches et publications, seront-ils convoqués aux bailliages inférieurs ou aux bailliages supérieurs ? AVIS ET MOTIFS. Dix opinants ont pensé que tous les membres de la noblesse, soit les possesseurs de fiefs qui doivent être assignés individuellement au chef-lieu *de leurs fiefs, soit les nobles qui le seront par la publication, seront tenus de comparaître au bailliage supérieur. Tous ont été d’avis que les évêques, abbés, députés des chapitres et communautés régulières et séculières rentées, seront tenus de comparaître audit bailliage supérieur; les autres ecclésiastiques auront le choix d’y comparaître pareillement, ou à l’assemblée de district, ainsi qu’il a été proposé dans la résolution sur la question précédente : et conformément à ladite résolution, douze membres du bureau ont pensé que, puisqu’on accorde aux gentilshommes non possédant fiefs de concourir, à l’assemblée du bailliage principal, avec les nobles propriétaires de fiefs, à la nomination des députés aux États généraux, et à la rédaction du cahier, il est juste de leur accorder, ainsi qu’aux ecclésiastiques, l’option ou de se présenter aux bailliages principaux, ou aux bailliages inférieurs, ou devant les juges délégués parle grand bailli pour de certains districts; sans cela plusieurs d’entre eux ne pourraient être représentés aux États généraux. En effet, il y a surtout dans les provinces éloignées un très-grand nombre de bons gentilshommes qui, pour avoir peu de fortune, n’en sont pas moins de bonne maison; ils sont quelquefois obligés de cultiver eux-mêmes leurs héritages, et sont par cette raison plus en état de fournir de très-bons matériaux pour la rédaction des cahiers : mais ces pauvres gentilshommes ne pourraient faire les frais d’un voyage considérable pour se rendre au bailliage principal, éloigné quelquefois de trente, quarante ou cinquante lieues de leur domicile; ils ne peuvent abandonner leur culture pendant un temps considérable. Leur naissance, leurs vertus, leurs lumières, semblent exiger qu’on leur laisse l’option de se réunir devant un juge délégué pour un district voisin de leur demeure, avec plusieurs autres gentilshommes de leur voisinage; s’étant fait connaître au juge, ils se retireront, nommeront entre eux un président, éliront un député à l’assemblée du bailliage principal, qu’ils chargeront du cahier [if® Série, T. I<*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] qu’ils auront rédigé, et le juge dressera du tout son procès-verbal, dont il remettra une expédition au député : il en résultera plusieurs avantages. 1° Les assemblées de la noblesse des bailliages principaux seront beaucoup moins nombreuses, et conséquemment auront moins d’inconvénients. 2° Ces pauvres gentilshommes se feront plus facilement connaître devant un juge voisin de leur domicile. 3° Il n’y a pas d’autre moyen pour qu’un grand nombre de gentilshommes très-recommandables soient représentés, car on ne leur accorde pas la faculté de donner des procurations. On estime par toutes ces raisons que les gentilshommes non possédant fiefs doivent avoir l’option, ou de se présenter au bailliage principal, ou au bailliage inférieur, ou devant un juge délégué par le grand bailli pour un certain district. ONZIÈME QUESTION. Dans quelle forme les ecclésiastiques et les nobles, qui n’auront pas été cités personnellement, justifieront-ils de leurs titres et qualités pour voter ? ' AVIS ET MOTIFS. Les ecclésiastiques présenteront leurs lettres de prêtrise, diaconat ou sous-diaconat, et justifieront, par des certificats authentiques, de la contribution dont il sera parlé ci-après. Quant aux nobles, le bureau pense que le roi pourrait ordonner aux baillis et à leurs lieutenants de commettre d’avance dans chaque bailliage trois ecclésiastiques, trois gentilshommes et trois gradués, auxquels tous -ceux qui voudront voter dans l’assemblée de l’élection devront demander un certificat de noblesse. DOUZIÈME QUESTION. Dans les assemblées de bailliages, à qui appartiendra la présidence, quand les ordres seront réunis ? À qui appartiendra-t-elle dans chacun, lorsqu'ils seront séparés? Le bailli d’épée, s’il est présent, présidera-t-il de droit la noblesse, et en son absence, par qui sera-t-elle présidée ? Qui présidera le clergé ? Qui présidera le tiers-état ? AVIS ET MOTIFS. Les trois ordres ayant comparu devant le bailli, chacun desdits ordres se retirera dans un lieu séparé, pour y procéder à l’élection de ses députés, et lesdits ordres seront présidés, savoir : le clergé par celui qui dans l’ordre hiérarchique tient le premier rang ; la noblesse par le bailli ou sénéchal d’épée, et à son défaut par le président 441 qu’elle se-choisira ; et le tiers par le lieutenant général du bailliage ; sauf néanmoins les droits ou usages suffisamment constatés dans certaines provinces, villes, sénéchaussées ou bailliages, lesquels continueront d’être observés comme par le passé. TREIZIÈME ET QUATORZIÈME QUESTIONS RÉUNIES. Quel âge sera nécessaire pour être électeur ou éligible dans chacun des trois ordres? Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du clergé? ‘ AVIS ET MOTIFS. Pour être électeur dans l’ordre du clergé, il faudra être engagé dans les ordres, naturalisé et regnicole, avoir l’îige de vingt-cinq ans accomplis, et contribuer aux décimes ou aux impositions portées sur les rôles, savoir : de dix livres quant aux bénéficiers, et de vingt livres quant à ceux qui, ôtant engagés dans les ordres, ne possèdent pas de bénéfices. Pour êtreéligible comme député aux États généraux, il faudra pareillement être naturalisé et regnicole, avoir vingt-cinq ans accomplis� et être engagé dans les ordres sacrés ; mais il faudra en outre posséder un bénéfice ou une commanderie : ce sont les seuls titres qui paraissent avoir donné jusqu’ici entrée aux États généraux, et mêmedans les assemblées ordinaires du clergé. QUINZIÈME QUESTION. Y aura-t-il quelque distinction pour ces deux qualités, et admettra-t-on quelque proportion entre les différents ordres qui composent le clergé ? AVIS ET MOTIFS. La distinction entre les électeurs et les éligibles dans l’ordre du clergé vient d’être établie. Aucune proportion ne peut être déterminée entre les différents ordres qui composent le clergé. Il semble que, la confiance-devant déterminer le choix, il n’y a lieu à aucune proportion, si les bailliages n’envoient qu’un député de chaque ordre; mais, si l’on en accorde à quelques-uns un plus grand nombre, il devrait être réglé que parmi les ecclésiastiques il y en aurait toujours au moins un du premier ordre du clergé, et un du second ordre dudit clergé. SEIZIÈME QUESTION. Un ecclésiastique engagé dans les ordres sacrés, ne possédant point de bénéfices, mais ayant un ou plusieurs fiefs, eu des biens ruraux, dans quel ordre se rangera-t-il ; et, si l’on admet le droit de se faire représenter, dans quel ordre pourra-t-il choisir son représentant ? [ire Série, T. !«■.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 442 AVIS ET MOTIFS. D’après les résolutions sur les questions dix) onze et quatorze, tout ecclésiastique engagé dans les ordres, quelle que soit la nature de ses biens, se rangera dans l’ordre du clergé. Son procureur ou représentant sera pris dans le même ordre. DIX-SEPTIÈME QUESTION. Les membres de l’ordre de Malte seront-ils rangés dans l’ordre delà noblesse ou dans celui du clergé ; et quelles conditions seront nécessaires pour les rendre électeurs ou éligibles dans l’un ou dans l’autre ordre ? AVIS ET MOTIFS. Les grands prieurs, baillis, commandeurs, profès et novices possédant bénéfices ou commanderies, se rangeront dans le clergé, et justifieront de la contribution de dix livres exigée pour les bénéficiers. Les frères servants ayant bénéfices ou commanderies se rangeront dans le clergé aux mêmes conditions. Les chevaliers novices qui ne possèdent ni bénéfices ni commanderies se rangeront dans l’ordre de la noblesse, en justifiant qu’ils payent une contribution de vingt livres aux rôles des impositions. Les frères servants qui ne possèdent ni commanderies ni bénéfices se rangeront dans l’ordre du tiers, et ne seront éligibles qu’en justifiant d’une contribution de dix livres aux différents rôles réunis; tous devront être naturalisés et regnicoles, et avoir vingt-cinq ans accomplis. DIX-HUITIÈME QUESTION. Dans quel ordre seront rangés les collèges et les hôpitaux qui possèdent des fiefs, des bénéfices ou des biens ruraux ? AVIS ET MOTIFS. Les collèges et les hôpitaux, quelle que soit la nature des biens qu’ils possèdent, se rangeront dans l’ordre du clergé, et y enverront un procu-• reur fondé. DIX-NEUVIÈME QUESTION. Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre de la noblesse? AVIS ET MOTIFS. Pour être électeur dans l’ordre de la noblesse, il suffira d’avoir la noblesse acquise et transmissible, d’être naturalisé et regnieole, d’avoir l’âge de vingt-cinq ans accomplis, et de contribuer aux charges publiques sur les rôles d’impositions, savoir, d’une somme de 10 livres, quant aux nobles possédant fiefs, et d’une somme de 20 livres, quant aux nobles qui ne possèdent pas de fiefs. Pour être éligible, il faudra être propriétaire de fiefs, être naturalisé et regnieole, et avoir l’âge de vingt-cinq ans accomplis. Tous les membres du bureau n’ont pas été du même avis sur la dernière partie de cette résolution. La pluralité de 16 voix contre 6 a cru nécessaire d’exiger que le député de la noblesse aux États généraux eût au moins un fief, et cet avis conserve l’antique usage dont le bureau a toujours tâché de se rapprocher. Les possesseurs de fiefs ont le droit d’être cités ; la citation dans les baillages,' rappelle l’usage plus ancien de lacitation aux États généraux, rau ban et à l’arrière-ban ; elle rappelle le service de la personne à cause de son office ou de son fief : elle doit donc conserver à ceux seulement qui possèdent des fiefs, un droit qui de tout temps leur fut réservé, et il ne doit pas être indifférent de conserver les traces de ces anciens privilèges ; ce n’est qu’en s’en écartant qu’on fait disparaître peu à peu les principes de la constitution de notre monarchie. Ils se seraient transmis sans interruption jusqu’à nous, si les États généraux n’avaient pas été suspendus si longtemps ; et nous ne devons pas au moins nous permettre de proposer au roi de s’en écarter, quand on n’oppose à ces motifs qu’une considération peu faite pour les balancer. En effet, il est peu important qu’un noble, riche propriétaire, ne soit pas élu, quand il a négligé de compter au nombre de ses richesses un des attributs distinctifs de la noblesse. S’il joint, au mérite d’être honoré de la confiance de son ordre, le désir de lui être utile, sa richesse même l’aidera à se procurer le titre jugé de tout temps nécessaire, et lui fera partager des devoirs de vassalité, qui peuvent avoir leurs charges, comme ils ont leurs prérogatives. C’est avec peine même qu’on s’est départi, en faveur des nobles qui ne possèdent point de fiefs, des usages pratiqués encore en 1614 ; alors ils n’étaient. point admis comme électeurs dans le corps de la noblesse ; ils étaient membres de la commune et votaient avec elle. Les privilèges et les anoblissements qui se sont multipliés depuis cette époque ont obligé de proposer à Sa Majesté de réunir tous les nobles, quelles que fussent leurs propriétés, pour que le tiers n’eût pas à se plaindre de voir la commune composée d’une très-grande partie de privilégiés, qu’il aurait crus intéressés à gêner ses délibérations et le choix de ses députés ; mais si ces privilèges les appellent à voter dans un ordre qui en jouit, ils ne suffisent pas pour leur donner une prérogative que l’ancienne constitution n’a jamais réservée qu’aux seuls possesseurs de fiefs, qu’aux vrais vassaux de la couronne. [!*• Série, T, Ie*-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Les six personnes de l’avis contraire ont pensé que les États généraux devant traiter les objets les plus importants, et qui intéressent non-seulement la nation en général, mais encore les différents individus qui la composent, tout citoyen ayant une propriété, et par conséquent un intérêt réel à la chose publique, ne peut être privé de l’espoir d’être élu membre des États généraux. Réduire la faculté d’être éligible, dans l’ordre de la noblesse., aux seuls nobles possédant fief, ce serait exclure une classe de citoyens dont les vertus et les talents pourraient leur mériter la confiance de leurs compatriotes. Il serait possible qu’un noble jouît de 20,000 livres de rente, sans cependant avoir de fiefs ; qu’il eût fait néanmoins une étude particulière et approfondie des moyens de procurer le bonheur à sa patrie, et qu’en conséquence sa probité et ses lumières le fissent désigner par tout son canton, comme digne de le représenter aux États généraux. Mais, par la seule raison qu’il n’aurait pas de fiefs, il ne pourrait être élu. Cet inconvénient majeur a pu être balancé un moment par une objection forte, tirée de l’exemple des dernières tenues d’États généraux, où les seuls notables possédant fiefs étaient admis ; mais on a répondu à cette objection que cet usage doit être uniquement attribué aux impressions qu’avait laissées dans nos mœurs le régime féodal;, alors un noble sans fief n’était point admis dans son ordre : aujourd’hui, que ces impressions sont entièrement dissipées, les bornes qu’avait posées le régime féodal ne doivent plus subsister. Ainsi l’avis a été que tout noble non possédant fiefs sera éligible pour les États généraux, pourvu qu’il justifie par les rôles d’impositions qu’il paye une contribution de 50 livres. VINGTIÈME QUESTION. Les propriétaires de fiefs seront-ils seuls admissibles aux États généraux; les gentilshommes possédant une propriété quelconque auront-ils le même droit, et quelle sera l’étendue de la propriété seigneuriale ou rurale nécessaire, soit pour être éligible, soit pour être électeur ? AVIS ET MOTIFS. Répondu par la résolution précédente. VINGT ET UNIÈME QUESTION. Sera-t-il convenable d’exiger un certain degré de noblesse, soit pour être électeur, soit poi;r être éligible? AVIS ET MOTIFS. Une pluralité de 16 voix contre 6 a encore déterminé qu’il était nécessaire, pour être éligible, de prouver quatre degrés de noblesse, et cent ans m d’une possession non contestée. L’exemple de tout, ce qui se passe-dans les pays d?états, dans toutes les assemblées provinciales, dans les chapitres qui ont le plus favorisé la noblesse, dans le militaire même, tout a dû conduire à cette détermination. Les nouveaux nobles y verront l’espérance qu’on laisse à leur postérité ; ils s’honoreront encore de donner à l’État des sujets capables, par leurs talents et leurs vertus, d’associer leurs enfants à ces anciennes races qui contribuèrent dans tous les temps, par leurs conseils autant que par leur courage , à la splendeur et à la gloire de la nation. Six opinants ont été d’avis que, pour pouvoir être élu député aux États généraux, il suffit de jouir de la noblesse transmissible, -sans qu’il soit besoin de prouver plusieurs degrés de noblesse, et cet avis est fondé sur les motifs suivants : 1° Tout citoyen en France est nécessairement placé dans l’un des trois ordres. S’il plaît au roi d’anoblir un de ses sujets, celui-ci acquiert aussitôt la noblesse transmissible, et se trouve par conséquent dans l’ordre de la noblesse ; il en doit jouir sans restriction et sans trouble, s’il n’en est préalablement privé, soit par la dérogeance, soit par un jugement régulier, et il doit participer à toutes les distinctions, droits et privilèges de cet ordre. 2° La noblesse est une ; les services plus on moins importants qui l’ont procurée, l’époque de la grâce du roi plus ou moins éloignée, ne peuvent jamais augmenter ni affaiblir les droits incontestables de tous et chacun des membres une fois placés dans cet ordre. 3° Lesdits opinants pensent que la noblesse transmissible a contaminent suffi dans tous les temps aux nobles pour les rendre éligibles, et que la preuve s’en trouve dans les procès-verbaux des différentes tenues qui ont eu lieu jusqu’à présent. 4° Que tout usage contraire serait une innovation, qui, en écartant l’anobli de l’ordre où le roi l’avait placé , suspendrait l’exercice de ses droits. 5° Que d’un côté, la plupart des municipalités ayant annoncé leur vœu pour que les anciens ou nouveaux nobles ne soient plus élus comme députés du tiers, ni aux États généraux du royaitme, ni aux États particuliers des provinces, et, de l’autre côté, la noblesse venant à exiger quatre degrés de noblesse pour l’éligibilité, il en résulterait, contre les gens souvent les plus éclairés, qu’ils ne seraient pas représentés, et qu’ils ne pourraient jouir de l’avantage d’être utiles en aucun ordre à leurs concitoyens. 6° Que la constitution de l’État, protectrice-née de l’harmonie nécessaire entre les trois ordres, doit tenir à la conservation des droits acquis à chacun des individus qui les composent ; et qüqi [ire Série, T. I«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 444 serait infiniment à craindre qu’en les privant du droit naturel d’être éligibles par l’ordre dans lequel ils sont une fois parvenus, il n’en résultât une division capable d’empêcher le bien désirable que l’on attend des États généraux. VINGT-DEUXIÈME QUESTION. Quelle serait alors la participation aux États généraux des nobles d’une création récente ? AVIS ET MOTIFS. Répondu par les résolutions précédentes ; mais, quant à ceux dont la noblesse n’est pas acquise et transmissible, ils se rangeront dans le tiers-état. VINGT-TROISIÈME QUESTION. Quelles conditions seront nécessaires pour être électeur ou éligible dans l’ordre du tiers, soit dans les communautés de campagne, soit dans les villes qui ne sont pas dans l’usage de députer directement aux États généraux ? AVIS ET MOTIFS. La .forme accoutumée dans chaque bourg, village et communauté de campagne, sera observée dans l’assemblée qui sera convoquée pour la rédaction des cahiers et la nomination du ou des députés ; et tous ceux qui ont droit d’assister dans les assemblées générales et extraordinaires y seront convoqués suivant l'usage accoutumé. ■ Dans les villes, le corps municipal fera assembler la commune en la forme accoutumée dans les assemblées générales et extraordinaires, pour y être procédé, tant à la rédaction des cahiers qu’à l’élection du ou des députés. Tous les officiers municipaux, les membres des conseils des villes, et en général tous ceux qui, ayant droit, suivant les usages locaux, d’assister auxdites assemblées de villes ou de campagnes, se trouveront appartenir aux ordres du clergé ou de la noblesse, n’auront que voix consultative, attendu le droit personnel qu’ils ont d’avoir voix délibérative dans leur ordre. Par ce moyen le bureau a cru éviter également et l’inconvénient de changer des usages locaux, et celui d’introduire dans le tiers-état des suffrages de membres des deux premiers ordres, sauf le cas d’une députation directe de quelques bonnes villes dont il sera parlé ci-après. VINGT-QUATRIÈME QUESTION. La valeur de la propriété susceptible de discussion doit-elle être prise pour mesure , ou faut-il choisir pour règle la quotité des impositions ? AVIS ET MOTIFS. On a vu précédemment que le bureau a préféré la quotité d’imposition. VINGT-CINQUIÈME QUESTION. Celte mesure de propriété ou de contribution doit-elle varier selon la richesse des provinces ? AVIS ET MOTIF. Cette mesure de contribution ne paraît pas devoir varier, vu la modicité du taux auquel on l’a établie. VINGT-SIXIÈME QUESTION. Les membres du tiers, même les plus riches, tels que les négociants, les chefs de manufactures et les capitalistes, n’ayant pas toujours des propriétés foncières, la mesure de l’imposition territoriale peut-elle être généralement applicable à la faculté d’élire ou d’être élu dans le tiers-état? AVIS ET MOTIF. Toutes les classes de citoyens sont admises, puisqu’on a-adopté pour mesure la quotité de l’imposition, soit réelle, soit personnelle, et qu’elle a été fixée à un taux très-modéré. VINGT-SEPTIÈME QUESTION. Quelles-formes devront être observées pour la convocation et la tenue des assemblées pour les diverses élections ? Et d’abord pour les communautés de campagne ? Les seigneurs nobles et les curés pourront-ils y voter et même y assister? La présence d’un juge ou autre officier public y sera-t-elle nécessaire ? AVIS ET MOTIFS. Ayant été résolu sur la vingt-troisième question qu’on suivrait la forme accoutumée dans chaque lieu pour les assemblées des villes et des campagnes, il n’est plus nécessaire de répondre à cette question. On a vu que les seigneurs et les curés y assisteront, si l’usage local les y admet, mais qu’ils n’y auraient pas voix délibérative. La résolution de suivre l’usage décide encore la question sur la présence d’un juge ou autre officier public. VINGT-HUITIÈME QUESTION. Ceux qui sont aux gages d’autres personnes, soit ecclésiastiques, soit laïques, ou dans une dépendance quelconque, seront-ils électeurs ou éligibles dans l’ordre du tiers-état ? AVIS ET MOTIFS. Toute exclusion serait également contraire et à la liberté des suffrages, et au droit acquis à tout citoyen qui contribue aux charges publiques. Elle pourrait priver des communautés du suffrage et des lumières des personnes les plus 445 [1F« Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. éclairées ; elle serait humiliante pour une classe nombreuse de citoyens, et elle supposerait un soupçon de partialité qu’il est prudent d’éviter. Enfin cette exclusion s’éluderait aisément, chacun de ceux qui seraient dans ce cas n’étant pas serf, et pouvant quitter son état de dépendance pendant quelques jours, et le reprendre ensuite. En conséquence, le bureau a pensé qu’il ne fallait rien changer aux usages des villes et des communautés pour les élections, et qu’il convient d’y admettre comme éligibles, sans distinction, tous ceux qui contribuent nominativement aux impositions réelles et personnelles de la somme de 10 livres. VINGT-NEUVIÈME QUESTION. Les membres du tiers-état pourront-ils élire pour leurs députés des membrês d’un autre ordre, ou jouissant des privilèges auxquels leur ordre ne participe pas ? ' AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé que dans certaines villes et dans les campagnes il pourrait être fort difficile de trouver un député, si ceux qui jouissent de privilèges en étaient exclus. Il a pensé pareillement que dans des assemblées particulières, où tous les membres se connaissent parfaitement, il est probable qu’un privilégié ne sera pas élu s’il n’a pas la confiance de sa communauté ; et il faut encore observer que, dans les cahiers à rédiger pour une communauté, il sera peu question des intérêts des différents ordres. Mais il a pensé en même temps que dans l’étendue du bailliage principal il ne manquera pas de sujets à choisir, et qu’il était important que les intérêts des ordres ne fussent pas confondus dans les États généraux. En conséquence, le bureau est d’avis de faire une distinction à cet égard, et que, pour ne pas gêner la liberté des communautés de villes et de campagnes, ni celles des assemblées des bailliages secondaires, il convient de leur laisser une liberté absolue à cet égard, à la charge que leurs députés aux assemblées de bailliages se rangeront dans l’ordre du tiers, quand même ils appartiendraient à l’un des deux autres ordres ; mais que les députés des trois ordres aux États généraux doivent être choisis exclusivement dans chacun des ordres auxquel ils appartiennent. TRENTIÈME QUESTION. Les électeurs, de quelque ordre qu’ils soient, pourront-ils élire pour leurs représentants des personnes absentes ou qui n’auraient pas le droit d’être admises dans l’assemblée? AVIS ET MOTIFS. Tous ceux qui auront les qualités ci-devant requises pour être éligibles pourront être élus, soit [Introduction.] absents, soit présents, même ceux qui, dans certaines villes, n’auraient pas le droit d’assister aux assemblées ; mais si l’on élit un absent, on élira en . même temps une autre personne pour le suppléer en cas qu’il n’accepte pas. TRENTE ET UNIÈME QUESTION. Quelles sont les villes qui députent directement aux États généraux? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé unanimement, sur cette question, que les villes qui ont joui de ce privilège aux trois derniers États généraux doivent le conserver, et qu’il faut l’accorder, dans les provinces réunies à la couronne depuis 1614, à toutes les villes qui, comme Strasbourg, ont une administration particulière, indépendante de l’administration de la province dans laquelle elles sont enclavées, parce qu’autrement elles ne seraient pas représentées aux États généraux, et qu’il est important que tous les sujets du roi aient un représentant dans l’assemblée de la nation. Mais il s’est élevé deux avis au bureau sur la question de savoir si d’autres bonnes villes pourraient envoyer un ou plusieurs députés aux États généraux. L’avis du plus grand nombre a été pour la négative ; quelques considérations importantes l’ont déterminé. Les instructious adressées au bureau lui ont fait connaître les prétentions d’un nombre assez considérable de villes, toutes fondées sur des preuves très-anciennes, qu’elles ont envoyé des députés \ mais ces preuves mêmes ont servi à éclairer sur leurs droits. Dans les temps où les communes étaient seules admises à composer l’ordre du tiers, les seules bonnes villes étaient et devaient être appelées ; mais depuis qu’on a reconnu les droits des campagnes, ils ont été confondus avec ceux des villes, et les députations n’ont plus été au nom seul des principales municipalités, mais au nom de l’arrondissement du bailliage dont les villes étaient souvent le chef-lieu ; et les États généraux ont porté l’attention si loin à cet égard, que souvent ils ont refusé de recevoir le député d’une ville, et que si quelquefois ils lui ont permis de rester dans l’assemblée, ce n’a été qu’en le privant de tout suffrage, et l’obligeant à ne se faire entendre que par l’organe du député d’un bailliage. L’usage auquel la majeure partie du bureau a été constamment attachée a donc été un des motifs de l’avis proposé. Un second motif a encore influé dans l’opinion ; on a considéré qu’il pouvait y avoir du danger à supposer aux villes un intérêt différent de celui des campagnes, et suffisant pour déterminer à leur donner des députés particuliers. Ce serait dans un seul ordre admettre deux classes distinctes, qui tendraient bientôt à se séparer et à vou- des manufactures, des capitalistes, des négociants et des artisans ; les campagnes ont des agriculteurs ; ces deux intérêts doivent se confondre par le secours mutuel qu’ils se prêtent, mais il faut craindre de les séparer et de paraître donner à l’un des deux quelque avantage. Au surplus l’intérêt des municipalités ne courra jamais aucun risque, parce qu’il aura toujours un grand nombre de défenseurs, puisque les talents et les lumières seront toujours principalement concentrées dans les villes, et que les députés y seront choisis de préférence. On a pensé encore que le choix serait bien difficile à faire entre les villes, car il n’est aucune capitale qui ne prétendît à cet avantage, et aucune ville, quel que soit son commerce, qui ne le considérât comme d’une importance assez grande pour devoir fixer l'attention et les regards de la nation. Les villes mêmes privées de tout commerce redouteraient l’ascendant de celles qui en font un considérable, et pourraient craindre qu’elles ne fussent sacrifiées à la faveur que les autres solliciteraient. Le commerce mérite sans doute les plus grands encouragements ; c’est un des canaux qui fournissent le plus de richesses à l’État : mais la nation assemblée s’en occupera avec toute l’attention qu’il mérite ; elle recevra tous les mémoires qui l’instruiront de ses droits et de ses prétentions, et elle sera plus éclairée par l’intérêt général dont elle doit s’occuper, que par l’intérêt particulier que ferait valoir le député de chaque ville. Une dernière réflexion a encore influé sur cet avis : la crainte de donner à un ordre une prépondérance de suffrages capable de rompre l’équilibre qui de tout temps a été maintenu dans les trois ordres de l’État. Cet équilibre, essentiel à maintenir entre trois ordres égaux entre eux, l’assure que chacun sera contenu dans ses justes bornes -, que l’un ne pourra jamais rien contre les deux autres, et que deux ne pourront jamais assujettir le troisième. Si l’on perd les anciennes traces, si quelque prétexte suffit à s’écarter des voies accoutumées, on s’aidera bientôt de la supériorité du nombre pour prétendre à la supériorité d’influence, et la constitution recevra une atteinte qu’il suffit de prévoir pour qu’il soit prudent de l’éviter. Cet avis a eu quinze suffrages. L’avis contraire a eu huit suffrages, -en voici les motifs *. On pense qu’après avoir accordé, comme il est juste, le premier intérêt à l’agriculture, en donnant à toutes les communautés de campagne, même aux moins étendues, le droit de concourir à l’élection des députés, il paraissait également équitable d’avoir égard à l’intérêt des villes, f Introduction.] souvent très-opposé -â celui des campagnes,- et toujours si différent. Les contributions des villes aux charges publiques sont immenses; les formes d’octrois et de dons gratuits par lesquels elles contribuent leur sont spécialement propres, et exigent une administration particulière : ainsi la mesure et le' mode de leurs contributions demandent que, si le malheur des temps nécessite un accroissement d’impôts, elles aient - des défenseurs particuliers dans le sein même des États généraux. Leur population, leur commerce, leur industrie, ces ressources abondantes de la richesse nationale, sollicitent également en leur faveur. Si le roi se déterminait à demander deux députés de l’ordre du tiers, il serait convenable que l’un d’eux fût pris dans les villes, et l’autre dans les campagnes; mais si Sa Majesté n’appelle qu’un seul député par bailliage, les villes pourront être dominées par les communautés de campagne, et réduites à la nécessité de confier leurs intérêts à un député qui ne les partagerait pas, qui même en aurait de contraires. Les plus anciens usages, les plus sûrs indices des principes constitutionnels nous apprennent que les députés des bonnes villes formaient seuls autrefois l’ordre du tiers; et même, en 1614, les villes seules ont concouru aux élections dans une notable partie du royaume. Dans la plupart des provinces régies par des États particuliers, et dont on a cru devoir respecter les formes anciennes, l’ordre du tiers n’est encore représenté que par les seuls députés des villes. Les mêmes principes constitutionnels établissent que les représentants des villes entrent nécessairement dans l’ordre du tiers, et qu’il sera toujours au pouvoir de cet ordre, une fois assemblé, de leur donner les rangs, séances et opinions qu’il jugera convenable. Les députés des villes paraissent devoir être choisis, comme ils l’ont toujours été, par tous les états et corps qui composent les villes, et l’on ne regarde pas comme douteux-que leur choix ne puisse se fixer sur tel membre des trois ordres qu’elles croiront digne de leur confiance. 11 paraît donc également convenable, eu égard aux circonstances présentes et aux usages les plus constitutionnels, de déterminer les villes qui peuvent être autorisées à députer. On a déjà observé que ce serait prévenir l’inconvénient que les grandes villes ne soient trop dominées dans les élections par les campagnes ; mais ce n’est pas moins assurer aux campagnes un représentant qui leur soit propre; ce n’est pas moins se conformer à la division qui a lieu aujourd’hui d’une manière sensible entre la richesse nationale qui résulte de la culture et des travaux du propriétaire foncier, et celle qui est le fruit d’une industrie active et d’un commerce étendu, qui 44g [i*e Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. loir faire deux ordres différents. Les villes ont 447 {1*9 Série, T. Ier.] ARGHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] donnent un prix et une activité de plus à l’agriculture elle-même ; c’est enfin procurer au tiers-état, suivant le vœu d’une autre délibération, une plus grande représentation, sans sortir des traces constitutionnelles. Quant au choix des villes qui seront autorisées à députer, comme il doit dépendre de leur importance et de leur population, c’est à la sagesse de Sa Majesté de le déterminer. TRENTE-DEUXIÈME QUESTION, Dans quelle formes ces villes doivent-elles procéder à la convocation et à la tenue des assemblées destinées aux différentes élections ? Ces mêmes villes concourront-elles en outre à l’assemblée d’élection de leur bailliage ? Tout citoyen domicilié y sera-t-il admis pour être électeur ou éligible, sans distinction d’ordre ni de rang ? AVIS ET MOTIFS. La résolution sur la vingt-troisième question indique que les usages locaux et la forme accoutumée seront suivis dans les assemblées des villes ; mais la même résolution ajoute que les membres nobles et ecclésiastiques n’y auront que voix consultative, et cette restriction ne peut pas s’appliquer aux villes qui députeront directement aux États généraux : elles ne concourront pas à l’assemblée du bailliage. TRENTE-TROISIÈME QUESTION. Y a-t-jl quelque proportion à observer pour le nombre respectif des députés des villes et des députés des campagnes ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau estimant que la confiance doit déterminer le choix des députés, il y aurait de l’inconvénient à déterminer une proportion entre les députés des villes et les députés des campagnes. TRENTE-QUATRIÈME QUESTION. Si quelques grandes villes de commerce sont admises à députer directement aux États généraux, le ou les députés seront-ils élus parmi les négociants seuls, et en quelle forme ? AVIS ET MOTIFS. On vient de voir que ces villes suivront leurs usages locaux : les habitants qui ont droit d’y être électeurs auront toute liberté pour le choix de leurs députés. ' TRENTE-CINQUIÈME QUESTION. Quelles sont les formes qui devront être observées dans les villes qui ne députent qu’aux bailliages secondaires ou principaux? AVIS ËT MOTIFS. Répondu par la résolution sur la vingt-troisième question. TRENTE-SIXIÈME QUESTION. Dans quelle proportion les communautés de campague ou les villes, plus ou moins considérables, auront-elles la faculté de nommer des députés, soit aux bailliages secondaires, soit aux bailliages principaux ou sénéchaussées ? AVIS ET MOTIFS. Le bureau pense que les communautés de campagne qui contiennent cent feux et au-dessous doivent envoyer un député à l’assemblée élémentaire du bailliage ; celles de cent à deux cents feux, deux députés; celles de deux cents à trois cents feux, trois députés ; et jamais plus de trois, quel que soit le nombre des feux. Le bureau, considérant que les villes contiennent des citoyens des deux premiers ordres qui assisteront directement à l’assemblée du bailliage principal, et pourront y faire valoir les intérêts de ces villes, est d’avis que Les villes contenant cinq mille habitants et au-dessous pourront n’envoyer qu’un député ; celles de cinq mille à douze mille habitants, deux députés; celles de douze mille à vingt mille habitants, trois députés et autant de députés de plus qu’elles auront de fois dix mille habitants de plus. TRENTE-SEPTIÈME QUESTION. Quel sera lenombre des députés que lès bailliages ou juridictions secondaires auront le droit d’envoyer au bailliage principal, suivant le nombre facultatif des députés des villes, et des communautés de campagne qui composent leur ressort ? ‘ AVIS ET MOTIFS. Le bureau est d’avis-qu’il est convenable que les assemblées élémentaires des bailliages secondaires envoient à l’assemblée du bailliage principal un député sur dix de ceux dont elle sera ou dont elle aurait pu être composée, selon le nombre des députés que les communautés de villes et de campagnes seront autorisées à envoyer, si Sa Majesté adopte la résolution précédente. TRENTE-HUITIÈME QUESTION. Chaque bailliage principal ne sera-t-il pas obligé de suivre la même règle de proportion, et d’avoir pour cet effet une assemblée préliminaire ? AVIS ET MOTIFS, Si tous les députés des villes et communautés de campagne, du ressort immédiat du bailliage principal, assistaient à son assemblée, tandis que toutes celles du ressort, immédiat des bailliages secondaires n’y auraient qu’un député sur dix, il en résulterait une injustice manifeste à l’égard de Ces dernières, et les membres du bureau qui n’ont pas été d’avis d’admettre tous les bailliages esti* 448 l*rt Série, T. !«.] ARCHIVES P A ELEMENTAIRES. [Introduction. ment qu’il est indispensable que les villes et communautés de campagne du ressort immédiat du bailliage principal aient comme les autres une assemblée élémentaire, de laquelle il sera envoyé pareillement un député sur dix à rassemblée générale dudit bailliage principal. TRENTE-NEUVIÈME QUESTION. Les ordres doivent-ils délibérer séparément aux assemblées qui députent directement aux États généraux ? AVIS ET MOTIFS. La résolution sur la douzième question indique que les trois ordres se sépareront pour l’élection de leurs députés. Il semble convenable qu’ils délibèrent de même séparément pour la rédaction de leurs cahiers particuliers, à moins qu’ils ne conviennent de se réunir pour la rédaction du cahier général. QUARANTIÈME QUESTION. Pourra-t-on être électeur ou éligible dans les diverses communautés ou bailliages où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufrui-tjAppc 9 AVIS ET MOTIFS. Tous ceux qui ont les conditions exigées ci-dessus dans le tiers-état peuvent être électeurs ou éligibles dans les assemblées de villes et de communautés; mais pour pouvoir être électeurs, il faut qu’ils se trouvent en personne auxdites assemblées, à moins que dans certaines villes ou communautés il n’y ait un usage suffisamment constaté' qui permette de se faire représenter par procureur. QUARANTE ET ÜN4ÈME QUESTION. Les bénéficiers ou les possesseurs de fiefs pourront-ils, et pourront-ils seuls se faire représenter par des fondés de procuration? AVIS ET MOTIFS. Dans l’ordre du clergé et de la noblesse , les seuls bénéficiers et nobles possédant plusieurs bénéfices et fiefs, situés en différentes provinces ou dans différents bailliages , auront le droit de se faire représenter dans les assemblées du bailliage supérieur où ils auront été cités, en justifiant la contribution de dix livres sur les rôles de chacun des diocèses ou communautés dans lesquels sont situés, et dans lesquels sont imposés les bénéfices ou fiefs à raison desquels ils auront été cités. QUARANTE-DEUXIÈME QUESTION. Si du même titre de bénéfice ou du même fief dépendent des biens situés dans différents bailliages qui députent directement aux États généraux, le possesseur aura-t-il le droit d’avoir voix ou de se faire représenter dans chaque bailliage , ou seulement dans celui du chef-lieu de son bénéfice ou de son fief? AVIS ET MOTIFS. Par une suite de la résolution précédente, plusieurs bénéfices réunis sous un même titre, mais ayant eu chacun nature de bénéfice distinct avant leur réunion; de même plusieurs fiefs réunis sous une môme dignité, mais ayant eu chacun nature de fief distinct avant la réunion, donneront droit de se faire représenter dans différents bailliages supérieurs, lorsqu’ils seront situés sous différents de ces bailliages. QUARANTE-TROISIÈME QUESTION. Les bénéficiers ou possesseurs de fiefs pourront-ils voter ou donner autant de procurations qu’ils possèdent de bénéfices ou de fiefs dans le ressort du même bailliage; ne le pourront-ils que dans les différents bailliages? AVIS ET MOTIFS. Cette faculté n’existera que pour ceux qui posséderont des fiefs ou bénéfices dans différents bailliages, sans qu’ils puissent en user pour plusieurs fiefs ou bénéfices dépendants du même bailliage supérieur. QUARANTE-QUATRIÈME QUESTION. Les non nobles possédant des fiefs nobles pourront-ils se faire représenter , et par qui ? AVIS ET MOTIFS. Les propriétaires de fiefs qui ne sont pas nobles, ne pourront ni assister à l’assemblée de la noblesse, ni donner de procuration pour s’y faire représenter. Leur place est dans l’ordre du tiers. QUARANTE-CINQUIÈME QUESTION. Accordera-t-on aux ecclésiastiques et aux nobles non possédant bénéfices ou fiefs, et aux membres du tiers-état, la faculté de se faire représenter aux élections ? AVIS ET MOTIFS. Les ecclésiastiques et les nobles qui ne possèdent ni bénéfices ni fiefs, n'étant pas individuellement cités, ne doivent pas jouir de Ja prérogative de se faire représenter. QUARANTE-SIXIÈME QUESTION. Les mineurs, les veuves, les filles et les femmes possédant divisément pourront-ils se faire représenter, et par qui ? AVIS ET MOTIFS. Les mineurs, les veuves, les filles et les femmes nobles possédant fiefs divisément et cités indivi- Hre Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] duellement, pourront seuls être représentés , en justifiant de la contribution de dix livres, pourvu que leurs procureurs fondés aient les qualités requises pour être électeurs dans l’ordre de la noblesse. Quant à l’ordre du tiers, les usages établis dans chaque ville et communauté doivent être observés. QUARANTE-SEPTIÈME QUESTION. Les ecclésiastiques ou les nobles, ainsi que ceux du tiers-état qui ne seront pas cités personnellement, pourront-ils voter comme électeurs dans les différents lieux où ils auraient des propriétés, ou seulement dans celui de leur domicile? AVIS ET MOTIFS. Ayant été résolu précédemment que tous ceux qui ne sont, pas cités individuellement n’ont pas le droit de se faire représenter, le bureau a pensé que tous ceux désignés dans cette question, qui possèdent des biens en différents lieux, ne pourront y voter qu’autant que les différentes époques des assemblées leur permettraient de s’y trouver en personne, en exceptant toutefois les villes et communautés où un usage local permettrait de se faire représenter. ' QUARANTE-HUITIÈME QUESTION. Si les procurations sont admises , combien pourra-t-on en réunir sur la même tête? Seront-elles générales ou spéciales, et le fondé sera-t-il du même ordre que son commettant? Ces procurations pour élire s’étendront-elles à la rédaction des cahiers, et le procureur fondé aura-t-il pour cette rédaction autant de voix que pour les élections?. AVIS ET MOTIFS. On a vu que les procurations ne seront admises que pour les possesseurs de bénéfices et de fiefs, ainsi que dans les villes et communautés où elles sont admises par l’usage. Le même procureur fondé ne pourra réunir que deux procurations, ce qui lui donnera trois suffrages pour l’élection du député; mais il n’en aura qu’un pour la rédaction du cahier. Les procurations doivent être générales. Le bureau , après s’être assuré que l’usage a varié, que quelquefois les procurations ont été rejetées,, que d’autres fois elles ont été admises, a cru devoir proposer au roi de les permettre ; mais il a pensé qu’elles devaient être générales, parce que des pouvoirs limités pour l’élection auraient le double inconvénient ou d’obliger à un mauvais choix, ou de rendre inutile pour un second scrutin un suffrage capable de faire pencher la balance pour le plus digne. * Il propose qu’elles soient données à une personne du même ordre, pour éviter la confusion lre Série. T. Ier. 449 des ordres; enfin, qu’elles soient nullespour la rédaction des cahiers, puisqu’ils sont le résultat d’une discussion dans laquelle dn ne peut pas voter pour celui qui ne l’a pas entendue. QUARANTE-NEUVIÈME QUESTION. � Devra-t-on nommer expressément dans la procuration celui à qui on la donnera? AVIS ET MOTIFS. Le bureau a pensé que le nom du procureur fondé devait être compris dans la procuration, et que pour s’en assurer il devait en être gardé minute par le notaire. Le motif de cette précaution est sensible; on a voulu éviter qu’il ne fût fait une sorte de trafic des procurations, et que la personne à qui l’on en aurait adressé plus de deux n’en commît elle -même une autre pour la remplacer. L’intrigue, qu’il est essentiel, de bannir, pourrait aussi accaparer un grand nombre de suffrages, et échapperait à la précaution indiquée de ne pouvoir disposer que de trois suffrages. Sa Majesté sera suppliée de vouloir bien exempter du droit de contrôle tous les actes qui auront rapport à la convocation des États généraux. CINQUANTIÈME QUESTION. Les élections se feront-elles à haute voix ou au scrutin ? Distinguera-t-on à cet égard les différentes sortes d’assemblées ? AVIS ET MOTIFS. L’élection des députés des villes et des campagnes sera faite à haute voix ou au scrutin , suivant l’usage qui y est pratiqué; mais les élections dans les bailliages secondaires ou principaux doivent être faites au scrutin, et recommencées jusqu’à ce que plus de la moitié des suffrages soit réunie sur une même personne. CINQUANTE ET UNIÈME QUESTION. Pourra-t-on nommer un suppléant dans chaque ordre pour remplacer le ou les députés aux États généraux, en cas de maladie ou de légitime empêchement, lequel n’aura de mission qu’à défaut du député qu’il sera destiné à remplacer? AVIS ET MOTIFS. Il sera loisible à chaque ordre de nommer des suppléants pour remplacer le ou les députés en cas de maladie ou légitime empêchement; par ce moyen aucun bailliage ne sera privé de Davantage d’être représenté aux États généraux. CINQUANTE -DEUXIÈME QUESTION. Si une même personne est nommée député dans, plusieurs bailliages, sera-t-elle tenue d’opter le bailliage dont elle voudra être le représentant, 29 480 [l* Série, T. ï<) et dans ce cas sera-t-elle remplacée de droit, dans les autres bailliages, par celui qui après l’élu aura réuni le plus de suffrages?. AVIS ET MOTIFS. La personne élue dans différents bailliages sera tenue d’opter, et la résolution sur la trentième question indique le moyen de la remplacer dans les bailliages dont elle n’aura pas accepté la députation, le remplacement pouvant être indépendant des suppléants dont il vient d’être parlé. CINQUANTE-TROISIÈME QUESTION. Quelle supériorité ou pluralité de suffrages seront nécessaires pour être légitimement élu ? AVIS ET MOTIFS. Répondu par la résolution sur la cinquantième question. CINQUANTE-QUATRIÈME QUESTION. Sera-t-il nécessaire de régler l’ordre et la forme que devront suivre les assemblées où les instructions des députés aux États généraux seront délibérées et rédigées, depuis les campagnes en remontant jusqu’aux assemblées bailliagères ? AVIS ET MOTIFS. Il a déjà été délibéré, sur la trente-neuvième question, que chaque ordre se retirera dans un lieu séparé, pour procéder à l’élection de son ou de ses députés, et qu’il sera de même délibéré séparément par ordre sur la rédaction du cahier, à moins que les, trois ordres ne conviennent de se réunir pour la rédaction d’un cahier général. Les même formes seront observées pour les instructions à donner par les bailliages à leurs députés aux États généraux ; mais il est indispensable qu’outre ces instructions, les députés soient munis des pouvoirs les plus amples pour délibérer librement sur tous les objets, et principalement sur tous ceux indiqués dans les lettres de convocation. Cette délibération a été unanime ; tout le bureau a senti la nécessité d’exiger les pouvoirs les plus amples, parce que c’est le seul moyen d’obtenir des États généraux quelque détermination sur les objets importants qui leur seront soumis par le Gouvernement. Il est fâcheux de prévoir que, si l’on n’y pourvoit pas d’avance, les procurations seront illimitées sur tout ce qu’on appellera des redressements de griefs, et qu’elles pourront être restreintes sur les moyens à prendre pour consolider la dette publique, et pourvoir aux besoins urgents des finances de l’État. Quelques écrits répandus avec profusion peuvent donner à cet égard des craintes fondées, et c’est à Sa Majesté à peser dans sa sagesse à quel [Introduction,] point elle doit, dans les instructions qu’elle ordonnera de publier, et dans les lettres de convocation, insister sur la nature des pouvoirs à donner aux députés, Le bureau peut seulement exprimer le vœu que les représentants de la nation ne soient pas restreints dans leurs pouvoirs. Dès qu’ils seront réunis, leur premier regard se portera sur cet important et majestueux édifice d’un Gouvernement qui seul a résisté aux révolutions de treize siècles; ils verront que les principes les mieux combinés en ont rendu la base immuable, et que l’empire français ne doit pas au hasard et aux circonstances l’avantage d’être le plus ancien, le le plus grand et le plus redoutable des empires de l’Europe; ils respecteront, ils chériront cet heureux accord de principes.� Sans doute ils observeront des négligences, dés abus, des fautes même, le temps et la main des hommes laissent partout leur empreinte; mais, uniquement attachés à les faire disparaître et à en prévenir le retour, ils prouveront à nos rivaux qu’une nation dont le caractère distinct a toujours été le sentiment de l’honneur et l’amour de son roi ne s’occupe que de ses ressources, quand de grands maux exigent de grands sacrifices, et que tous les ordres, comme tous les cœurs, n’ont plus qu’un intérêt, celui de la gloire du roi et de la patrie. Tels sont les sentiments que le bureau a l’honneur de confier au premier prince du sang. U le supplie de vouloir bien en porter à Sa Majesté les témoignages ; il sera le garant de la pureté des motifs qui ont dirigé ses délibérations. C’est au prince, qui vient de donner un généreux exemple de désintéressement et de bienfaisance dans les terres de son apanage et de ses damaines, à attester au roi et à la nation l’impatience des membres de son bureau de voir les ordres auxquels ils ont l’honneur d’appartenir user de leur plus belle prérogative, en concourant, dans l’assemblée des États généraux, à tout ce qui pourra établir la plus parfaite égalité dans la répartition des subsides, à soulager les classes souffrantes des citoyens, et à assurer le bonheur et la gloire de la nation et du monarque. Collationné à l'original par nous , écuyer premier commis de l'administration générale des finances, envoyé par M. le directeur général des finances, sur la demande de monseigneur le duc d'Orléans , pour servir de secrétaire aù bureau. Versailles , le dix décembre 1788, Signé De Viljliers du Terrage. QUATRIÈME BUREAU. COMMISSAIRES : MM. l’évêque de Blois, le duc de Béthuiie-Gharost, Dupeix de Bacquencourt, conseiller d’Ëtat, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1W Série, T, l«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] MM. De Néville, maître des requêtes, le premier président du Parlement de Besançon, le premier échevin de Paris. ‘A vis motives sur les diverses questions propose' es par le roi. Avant de se livrer à cette lecture, il faut observer que, pour régler le nombre des députés aux États généraux, il était nécessaire de connaître -le point d’où l’on partirait. L’article 15 de la troisième division a paru être celui qu’on devait généralement adopter, et .il a amené un nouvel ordre d’examen et de questions qui n’a pas essentiellement changé celui qu’avait établi M. le directeur général. En conséquence, le bureau a pensé qu’il remplirait avec exactitude les ordres du roi, en réunissant à la fois, et la série des questions rédigées le 28 novembre, et l’ordre du plan tracé par M. le directeur général, Ainsi les motifs se diviseront naturellement en quatre parties : composition , convocation , élections, instructions, dans chacune desquelles on trouvera et les motifs généraux, et ceux qui s’appliquent plus particulièrement à chacune des cinquante-quatre questions. COMPOSITION. Section première. Le roi, en rassemblant de nouveau près de sa personne les notables déjà convoqués en 1787, et en excitant leur zèle par les marques les plus honorables de sa confiance, avait déclaré ses intentions par un arrêt de son conseil du 5 octobre de cette année : Le roi veut que les États généraux soient composés d’une manière constitutionnelle, et que les anciens usages soient respectés dans. tous les règlements applicables au temps présent. Le ministre des finances, au milieu de cette assemblée, et sous les yeux du roi, s’exprimait ainsi : Le roi sait quel respect on doit avoir pour ïes antiques usages d'une monarchie ; c’ est par leur filiation que tous les droits constitutifs acquièrent un nouveau degré de force, et assurent le maintien de l'ordre public, en opposant de salutaires obstacles à l'amour inconsidéré des innovations. Ce vœu du souverain, si fortement exprimé, a dû être notre premier guide ; il a dû fixer les premières idées de tous les notables ; et, en remontant aux différentes époques des États généraux, le quatrième bureau a retrouvé de siècle en siècle les mêmes formes établies. MOTIFS DE LA PREMIÈRE QUESTION. Les députés des trois ordres aux États généraux de 1483, 1560, 1576, 1588 et 1614 ont été choisis dans les assemblées de bailliages et séné-454 chaussées par leurs ordres respectifs. Les lettres de convocation de 1649, 1650 et 1651 consacrent la suite non interrompue de cette forme judiciaire et légale, qui atteint dans les villes et les campagnes jusqu’au dernier individu réunissant les caractères et les droits du citoyen. La volonté du monarque est annoncée par des lettres missives, adressées directement aux baillis, sénéchaux ou leurs lieutenants; ces ordres sont signifiés par . des ordonnances de justice, revêtues de toutes leurs formes. Quelle incertitude, quels obstacles n’éprouverait-on pas, si l’on voulait à un moyen si simple et si respecté .en substituer un autre ! On a donc regardé l’appel par bailliages et sénéchaussées comme un des points les plus constants de notre histoire et de notre droit public. DEUXIÈME QUESTION. Mais, comme depuis 1614, plusieurs bailliages nouveaux avaient été créés avec les mêmes prérogatives que les anciens ; comme on pouvait prendre en considération les provinces réunies à la France depuis cette époque, il fallait examiner attentivement quelle était la nature de ces juridictions royales, qui seulesavaient joui d’un pareil privilège. On a reconnu qu’il n’avait été accordé qu’au siège de la résidence immédiate des baillis et sénéchaux d’épée créés en titre d’office. Ils rendaient autrefois la justice personnellement, et, ayant remplacé les missi dominici(\), parcouraient les provinces pour y maintenir le bon ordre; ils veillaient sur lesjusticesinférieures, rendaient compte à nos rois des plaintes dé leurs sujets; enfin il recevaient seuls les mandements pour l’assemblée des nobles et des communes. Souvent attachés à la suite de la cour, ou employés dans les armées, ils négligèrent peu à peu les fonctions de juges, et elles leur furent interdites définitivement par plusieurs de nos.ordo nuances ; mais, d’une part, ils conservèrent le commandement des armes, et, de l’autre, ils eurent des lieutenants de robe longue, qui devaient intituler les sentences du nom de leurs baillis et sénéchaux. Par l’ordonnance d’Orléans, et sur les représentations des États généraux de 1560 (2), on exigea qu’ils fussent nobles de nom et d’armes ; ils res-' tèrent commandants et capitaines du ban et de l’arrière-ban ; et ce notait qu’en leur absence que les nobles pouvaient choisir un autre chef. C’est sous ce double point de vue qu’il a fallu considérer les titulaires revêtus de ces offices, tout à la fois militaires et civils, commandant la noblesse en personne, et rendant la justice par leurs lieutenants, soit dans les villes principales de leur résidence, soit dans d’autres villes de leur arrondissement; ils avaient tous la connaissance -des (1) Brussel Ducange. (2) Edit de Crémieu, et ordonnances d’Orléans et de Blois de 1535,1560 et 1579. [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 452 cas royaux et le ressort immédiat aux parlements. C’est ensuivant ces caractères principaux qu’on a vu, par des relevés faits du nombre des bailliages et sénéchaussées qui existaient en 1614, qu’il n’y en avait eu que cent un qui eussent député directement aux États généraux, et cent trente-deux qui n’avaient député que secondairement, parce que ces cent trente-deux sièges n’étaient pas placés dans le lieu de la résidence principale du bailli ou sénéchal d’épée, et qu’il n’y avait que des lieutenants qui rendaient la justice en leur nom. Indépendamment du respect dû aux anciens usages, une considération peut-être plus forte encore s’opposait à l’admission directe des députés des bailliages secondaires aux États généraux. En effet, ce système ôterait au clergé et à la noblesse le droit de comparaître personnellement devant le bailli ou sénéchal d’épée, et obligerait ces deux ordres de se présenter devant les officiers de robe longue, qui jusqu’alors leur avaient été étrangers, et-à qui les lettres de convocation n’ontjamais été adressées directement. Toute autre forme substituée à l’ancienne aurait pu être contredite et faire naître des obstacles. Lorsqu’il presse autant à Sa Majesté d’assembler les États généraux, il faut craindre de suivre des routes nouvelles et d’arrêter le libre cours des députations, en s’écartant des formes antiques. Ces motifs ont fait penser qu’il fallait admettre pour la députation directe aux États généraux de 1789, non-seulement tous les bailliages et sénéchaussées royales qui ont joui de cette distinction, tant aux États de 1614 qu’aux précédents (ce titre de possession a paru respectable et à l’abri de toute atteinte), mais encore tous ceux qui, avant ou depuis 1614, ont été érigés avec les mêmes caractères distinctifs , quand même ils n’auraient député que secondairement aux mêmes États de 1614. TROISIÈME QUESTION. Cette composition par bailliages peut servir d’exemple et de modèle pour les provinces plus récemment unies à la couronne; mais il existait en 1614 des villes et des pays d’États qui onj: eu des formes différentes de députation : tels sont le Dauphiné, la Bretagne, la Provence, les villes d’Arles et de Marseille, et peut-être quelques autres. Il paraît juste de ne pas contrarier leurs usages, consacrés par le temps et par une possession immémoriale, par des contrats ou des traités dont nos souverains ont garanti l’exécution. QUATRIÈME QUESTION. Le bureau, en n’admettant pas comme éléments de députation les divisions par gouvernements, par généralités, par provinces, par élections, par diocèses, a reconnu que la population pouvait sans doute présenter encore une échelle de proportion. Mais, indépendamment de l’insuffisance des éclaircissements qu’on aurait pu se procurer, combien de difficultés de détail aurait-on rencontrées dans cette pénible carrière! On peut saisir facilement sans doute les points extrêmes des différences en plus ou en moins; mais comment arriver sur tous les objets à une précision arithmétique? Une suite de siècles, pendant lesquelsil ne paraît pas y avoir eu de réclamations, ne forme-t-elle pas un préjugé en faveur des anciens usages ? En acccordaritla faculté dénommer jusqu’à trois députés par chaque ordre, n’assure-t-on pas en effet la représentation la plus libre et la plus étendue? On évitera d’ailleurs, non-seulement la confusion d’un nombre arbitraire de suppléants, mais encore la dépense dont ils surchargeraient les provinces. L’essentiel ne sera-t-il pas rempli quand un nombre suffisant de députés se présentera pour apporter les doléances de toutes les parties. du royaume? Ces députés n’omettront rien sans doute de tout ce qui pourra concerner ou leurs provinces respectives, ou l’intérêt commun en général. CINQUIÈME QUESTION. En cherchant à déterminer le nombre respectif de chaque ordre, il a paru préalable de se fixer sur leur manière de délibérer aux États généraux. M. le directeur général l’avait préjugé, lorsqu’il disait à l’Assemblée : « Il est vraisemblable qu’en vous occupant du nombre des représentants de chaque ordre en particulier, vous serez conduits à prendre connaissance de la manière dont les États généraux ont délibéré anciennement, et peut-être encore de la manière dont il vous paraîtrait désirable qu’ils le fissent; car la fixation de ce nombre respectif est d’une conséquence majeure, lorsque les trois ordres se réunissent en commun; elle est moins importante lorsqu’ils opèrent séparément et forment constamment une voix distincte. » Il eût été impossible de ne pas répondre à une invitation si positive, quand même l’importance de la matière n’eût pas elle seule indispensablement forcé d’en établir les principes, en parcourant les monuments de notre histoire, depuis cinq siècles, sur cette question. En 1302, sous Philippe le Bel, on a la preuve la plus manifeste de la séparation des ordres, puisque, indépendamment du compte que les historiens rendent de cette assemblée, on sait que le clergé, la noblesse et le tiers-état écrivirent chacun séparément une lettre à Rome. Sous le roi Jean, en 1355, on trouve ces termes dans l’article 1er de l’ordonnance du.28 décembre : « Lesdites aides cesseraient du tout, se n’était sur ce pourvu par tous les trois états, d’un accord et consentement, sans ce que la voix de deux états puisse conclure la tierce. » [1« Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Les articles V et VI portent la même disposition. L’article XXVII s’exprime d’une manière encore plus positive : « Ils nous feront aide convenable, selon la délibération des trois états, sans ce que les deux puissent lier le tiers; et se les trois états étaient d’accord ensemble, la chose demeurerait sans détermination. » Plus de deux cents ans après, l’ordonnance d’Orléans de 1560 a confirmé' de nouveau ces maximes anciennes. On lit dans l’article GXXXV : « En toute assemblée d’États généraux ou particuliers des provinces où se fera l’octroi de deniers, les trois états s’accorderont de la quote-part et portion que chacun desdits états portera, et ne le pourront, le clergé et la noblesse seuls, comme faisant la plus grande partie. » On voit donc clairement, consacrée dans ces ordonnances, l’indépendance-de chacun des trois ordres, non-seulement pour l'octroi de l’imposition, mais encore pour la répartition proportionnelle entre eux. Ces lois solennelles et fondamentales n’ont jamais été révoquées, et sont encore en pleine vigueur. Si l’on y joint ce qui résulte de toutes les lettres de convocation, soit qu’elles citent une personne, soit qu’elles en citent davantage, soit qu’elles en citent une au moins, on reconnaîtra qu’elles citent toujours dans des proportions égales pour chacun des trois ordres, avec les formes qui leur sont propres. Si, indépendamment de l’exemple de 1302, on considère que depuis 1560 chaque ordre a formé son cahier séparé, il est impossible de ne pas reconnaître qu’une des maximes les plus constantes de notre droit public est que chaque ordre doit délibérer séparément. On opposerait inutilement» que le cahier de 1483 fut rédigé en commun ; ce fait, loin de contredire le principe de l’équilibre des ordres, l’établit, puisque les rédacteurs furent choisis d’un vœu commun en nombre égal dans chaque ordre (1). Comment résister à des exemples si rapprochés, si multipliés , soutenus par les ordonnances les plus formelles, et par une exécution constante qui embrasse une révolution de cinq cents années ? Il serait superflu sans doute d’en dire davantage, mais on pourrait facilement établir que cet équilibre est également avantageux aux trois ordres, en conservant la constitution monarchique et les pouvoirs intermédiaires et dépendants qui forment une chaîne non interrompue depuis le souverain jusqu’au dernier sujet. Cet (1) Conclusum est quôd una quæque pars sex daret viros, duos ecclesiasticos, duos nobiles et duo tertii status, essentque numéro simul 36; et hi codices numera-tos examinarent, communesque faceront. (Masselin, Procès-verbal des Etats généraux tenus en 1483.) 453 équilibre maintient chaque ordre dans sa liberté individuelle, et il donne au résultat de leurs délibérations un juste poids et une autorité suffisante. Par cet équilibre, l’intérêt de tous les ordres, et spécialement l’intérêt du tiers-état, est plus solidement assuré que par tout autre système. Sa liberté est absolue, soit qu’il s’agisse du consentement de l’impôt, soit.que l’on en discute la répartition, soit que d’autres objets appellent la délibération, et l’ordre du tiers-état ne dépend que de lui-même : quelle autre constitution pourrait lui être aussi favorable ? SIXIÈME QUESTION. Ce point de droit établi, il semblerait moins important peut-être de déterminer quel doit être le nombre respectif des députés de chaque ordre ; cependant, en 1483, 1560, 1576, 1588,1614,1649, 1650 et 1651, les trois ont été appelés en proportions égales. Toutes les lettres de convocation le prouvent, et il serait superflu d’en rappeler les dispositions ; mais il est nécessaire de relever une erreur qui s’est propagée dans presque tous les nouveaux écrits. On y confond constamment le nombre des députés avec celui des suffrages. Il est sans doute possible que, dans aucune assemblée d’États généraux, le nombre des députés de chaque ordre ne se soit pas trouvé par le fait numériquement égal, quoiqu’ils eussent été convoqués dans les mêmes proportions par les lettres du prince; mais cette inégalité apparente n’en produisait aucune dans le nombre des suffrages. Si, dans un même bailliage, on trouve plusieurs députés du clergé, de la noblesse et du tiers-état, il n’en est pas moins constant que l’ordre des délibérations n’en était pas altéré, puisque ces députés ne formaient jamais dans leur bailliage et dans leur ordre qu’une seule voix et un seul suffrage. Ainsi ce principe constant et uniforme d’égalité n’a jamais été violé depuis 1302 jusqu’à présent, et il est aisé de se convaincre qu’il est intimement lié avec la constitution essentielle des ordres, qu’il fait partie des droits acquis à chacun d’eux, et que la conservation leur en est garantie par la protection que le prince leur doit, parce que le monarque ne peut pas plus altérer les droits des sujets, que les sujets ne peuvent attenter au droit du souverain. Si l’on se permettait de donner à aucun des trois ordres quelque supériorité, peut-on calculer quels en seraient les effets funestes? La jalousie, la mésintelligence, la discorde gagneraient bientôt tous les esprits, au lieu de cette fraternité (1) (1) Le président de Mesmes, lieutenant civil, parlant à la noblesse au nom du tiers, aux Etats de 1614, établit ces principes de fraternité et d’égalité dans un discours rapporté par Florimond Rapine, page 151 : « Les 484 [ire Série, T.- 1er.] précieuse qui doit lier tous les ordres. Ce n’est donc pas seulement l’intérêt de la conservation des anciens usages, ni la considération du respect dû aux monuments de notre droit public et de notre histoire; c’est encore la crainte de voir naître dans le sein des États généraux des difficultés qui absorberaient -un temps qui ne doit être consacré qu’au bien public ; c’est la crainte de voir troubler cette harmonie , sans laquelle toutes les lumières et toutes les bonnes intentions deviennent inutiles (1), qui a déterminé le quatrième bureau à supplier le roi de ne pas permettre qu’il soit porté aucune atteinte à cette proportion dans les députations, à cette égalité de suffrages entre les ordres , qu’il regarde comme la sauvegarde de l’État, et comme le plus ferme appui de la constitution et de la liberté civile et politique. CONVOCATION. Seconde section. SEPTIÈME QUESTION. L’assemblée des Etats généraux doit offrir la réunion de tous les sujets du roi, représentés par les fondés de pouvoirs qu’ils auront tous été appelés à choisir librement et d’une manière authentique, car c’est l’intégrité de la représentation qui constitue l’essence de l’assemblée. Si tous. les citoyens n’étaient pas convoqués, ils ne seraient pas tous représentés, et des formes solennelles peuvent seules constater que la convocation a été universelle. Ces principes ont déterminé dans tous les temps l’emploi des tribunaux territoriaux, qui ont la juridiction immédiate sur toutes les classes des citoyens, et par eux s’est établi ce mécanisme heureux qui fait arriver les ordres du souverain jusqu’au dernier de ses sujets, et qui reporte jusqu’au trône les cris et les douleurs du pauvre comme les tributs du riche, et les remontrances de tous. C’est aux baillis des provinces que les lettres de convocation étaient adressées , parce qu’ils étaient les premiers des juges ordinaires, parce que la compétence des cas royaux leur était dévolue, parce que, à l’exclusion des autres juges royaux, la connaissance des différends des nobles leur était assurée : c’est donc à eux seuls que l’adresse doit en être faite ; eux seuls en effet peuvent donner aux ordres du roi la publicité légale qui leur est nécessaire ; ils peuvent seuls citer à leur tribunal toutes les classes de citoyens, parce qu’aucUne n’en méconnaît la juridiction, et la loi n’a confié qu’à eux les moyens nécessaires pour convoquer , pour constater les contraventions , et même pour les punir , si trois ordres, dit-il, sont frères, enfants de leur mère commune,, la France,.. Le clergé est l’aîné, la noblesse le puîné, le tiers-état le cadet, etc: » (1) Arrêt du conseil du 5 octobre 1788. [Introduction.] cela poûvalt devenir nécessaire; car si c’est un droit pour le sujet de se faire entendre du prince, c’est aussi un devoir pour lui de donner un conseil, quand le souverain le lui demande, et assistance, quand les besoins l’exigent. Ainsi la nécessité se réunit à Dusage, pour exiger que l’adresse des lettres de convocation soit faite aux baillis et sénéchaux d’épée ou leurs lieutenants; ■ et puisque les gouverneurs des provinces sont en possession de-recevoir directement ces lettres, pour les faire distribuer avec plus d’exactitude-et de célérité aux baillis de leurs gouvernements, cette forme paraît également utile à conserver. HUITIÈME ET NEUVIÈME QUESTIONS. Le premier devoir du bailli, quand les lettres de convocation lui sont parvenues, doit être de convoquer et de citer les trois ordres dans les formes qui sont propres à chacun d’eux. On remarque dans toutes les dernières convocations que les ecclésiastiques étaient personnellement assignés dans leurs bénéfices, ainsi que les nobles dans leurs fiefs, et l’on se demande quelle doit être la forme de citation à l’égard des nobles qui ne possèdent pas de fiefs, et des ecclésiastiques qui n’ont pas de bénéfices ; on se demande même si les uns et les autres doivent être appelés avec l’ordre dont ils font partie, quoiqu’ils ne joignent pas à leur qualité personnelle le caractère de propriété ou de possession qui paraît avoir anciennement détermin é seul leur ad mission . L’exposition succincte des principes semble devoir lever tout doute à cet égard. Dans les premiers siècles de l’Église on né conférait point d’ordre sans fonctions ni administration ; aucun ecclésiastique n’était promu aux ordres sacrés, ni même aux ordres mineurs, •qu’on ne lui affectât en même temps, non pas un bénéfice (les biens de l’Église étaient encore possédés en commun), mais une place déterminée dans une église. Lors du partage des biens ecclésiastiques, chaque portion fut assignée à chaque fonction; aucun de ceux qui étaient engagés dans les ordres sacrés ne fut exclu dé cette distribution, et il était alors vrai de dire qu’il n’y avait pas d’ecclésiastique sans bénéfice, et que le bénéfice était la preuve de Tordre. Dans cet état des choses, il est sensible que lorsqu’on convoquait les bénéficiers, on convoquait l’ordre entier de l’Église : telle est l’origine de la convocation par voie d’assignation donnée aux bénéficiers ; il est évident qu’en les citant on citait tout le clergé. Cet usage a subsisté longtemps après le changement de cette discipline; mais en survivant aux principes il les atteste encore : dans la suite on a, pour les besoins du ministère ecclésiastique, . ordonné beaucoup plus de prêtres qu’il n’y avait de bénéfices. La validité de ces ordinations a été ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Sérié, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] contestée; le concile de Latran a condamné ce doute, parce qu’il laissait dans l’incertitude le caractère de plusieurs prêtres ; mais eu même temps il a voulu que les évêques assurassent la subsistance de ceux qu'ils auraient ordonnés sans titre. De ce moment le titre patrimonial a pris la place du titre vraiment ecclésiastique; et dans l’état présent le premier ordre du clergé est le seul qui ait conservé l’ancienne discipline, puisque, dans la personne des prélats, l’ordre et le bénéfice ne font qu’un. Mais la maxime antique voulait que tout l’ordre du clergé fût convoqué ; il l’était en convoquant les seuls bénéficiers, lorsqu’ils le composaient seuls; et quand cet ordre est composé d’autres membres qui n’ont pas de bénéfices , c’est être fidèle au même principe que (l’appeler généralement ceux sans la convocation desquels l’intégrité de. l’ordre ne serait pas convoquée. A la vérité il serait impossible de les citer personnellement comme les bénéficiers, dont le titre offre une indication sûre, dans un domicile certain ; mais la citation générale par la voie des affiches et des proclamations est suffisante, et leur droit est assuré. Le même raisonnement s’applique à la noblesse. L’ordre entier était convoqué par les assignations que l’on donnait dans les chefs-lieux du fief, dans le temps où les fiefs n’étaient possédés que par des nobles, et où il n’y avait presque pas de noble qui n’en possédât. Ce régime a duré longtemps : on s’était accoutumé à confondre l’idée du fief avec celle du service militaire, l’idée du service militaire avec lanohlessedu guerrier; et les deux rapports de la dignité du fonds et de celle du possesseur étaient tellement identifiés dans les esprits, que la possession du fief était elle seule la preuve de sa qualité personnelle. Il a fallu un texte précis de nos lois pour faire cesser cette fiction. L’article 258 de l’ordonnance de Blois a décidé que les roturiers et non nobles achetant fief noble ne seraient pour ce anoblis, ni mis au rang et dignité des nobles , de quelque valeur et revenu que -fussent les fiefs par eux acquis. Mais cette ordonnance n’est que de 1579; les États de 1588 et même ceux de 1614 l’ont suivie de trop près pour qu’il y eût un grand intérêt à changer l’usage, et l’on s’est encore contenté d’assigner les nobles qui possédaient des fiefs. Aujourd’hui que la plupart des nobles n’en possèdent pas, aujourd’hui que les effets royaux, les placements sur les corporations, les rentes constituées sur les particuliers, forment une portion si considérable des fortunes, le retour exact aux anciennes règles devient nécessaire, et il est indispensable de s’écarter de l’usage, même pour consacrer le principe qui le fit naître. C’est la noblesse entière qui a le droit d’être représentée ; c’est la noblesse entière qu’il faut convoquer pour qu’elle élise ses représentants; et en continuant de citer par des m assignations personnelles, données dans les chefs-lieux des fiefs, les nobles qui en possèdent, rien ne peut dispenser de convoquer les autres par la citation générale, qui est l’objet des affiches et des proclamatians. Cette réunion de tous les ecclésiastiques dans leur ordre, de tous les nobles dans le leur, en conservant à chacun l’influence qu’il doit avoir, garantit au tiers-état, cette portion si intéressante de la nation, l’avantage de discuter seul ses intérêts, de ne redouter aucun de ses défenseurs, et de n’être représenté que par lui-même. Et tel est l’avantage du respect pour les anciennes maximes, que leur observation assure les droits de tous les ordres; ils ont tous été sagement combinés par cette constitution qui a été si souvent méconnue oucalomniée, et dont on aime mieux nier l’existence que d’en jouir : c’est elle pourtant qui a tout fait pour nos propriétés, en réservant exclusivement à la nation la liberté de juger les besoins de l’État et d’y. proportionner ses dons; c’est elle qui a fondé l’équilibre de tous les ordres, en conservant l’indépendance de chacun ; c’est elle enfin qui, remettant au souverain tous les autres pouvoirs, ne l’arma d’une pleine autorité que pour qu’il pût balancer efficacement les passions de tous, et les faire conspirer à l’intérêt commun. L’harmonie entre tous les ordres en sera le garant le plus certain, et ils ne seront jamais plus unis que lorsqu’ils ne seront pas confondus. Lorsque les communes furent appelées pour la première fois en participation de la chose publique, elles n’étaient certainement représentées ni par aucun ecclésiastique ni par aucun noble. G’cst à ces premiers temps qu’il faut se reporter pour reconnaître les principes dans toute leur pureté; et, quelque différence qu’une longue suite de siècles ait dû introduire dans nos mœurs, il importe aujourd’hui, comme alors, que chaque ordre n’ait point de défenseurs étrangers à ses intérêts. G’ést le motif qui a décidé le quatrième bureau à proposer que l’entrée dans l’assemblée des communautés fût interdite aux ecclésiastiques et aux nobles. Ces communautés doivent être d’ailleurs citées par l’assignation donnée à la personne de leur syndic, et tous les autres membres qui les composent auront, comme par le passé, un avertissement suffisant dans les affiches et les proclamations. DIXIÈME� QUESTION. On a demandé si les membres du clergé et de la noblesse seraient appelés aux bailliages inférieurs ou aux bailliages supérieurs. - C’est constamment au bailliage supérieur que le droit commun les appelle; cependant il a été reconnu que dans quelques provinces les deux premiers ordres avaient été appelés aux bailliages inférieurs ; et, comme il est vraisemblable que c’est ;4§6 [lïe Série, T. Ier.] pour leur commodité que cet usage a été introduit, le bureau a pensé qu’il était juste qu’il fût conservé. On a enfin demandé dans quelle forme les ecclésiastiques et les nobles, qui n’auraient pas été cités personnellement, justifieraient de leurs titres et qualités personnels. ONZIÈME QUESTION. La réponse est aisée pour les ecclésiastiques; ils justifieront de leurs lettres d’ordre. La forme à établir relativement aux nobles présente plus de difficultés, et l’usage ancien n’offre aucune lumière. La’ discussion contentieuse des lettres de noblesse serait sans contredit la plus légale ; mais on ne peut se dissimuler en même temps qu’elle serait et la plus longue et la plus dispendieuse. Une commission, choisie parmi les nobles du bailliage, ferait disparaître sans doute ces difficultés; mais d’un autre côté n’en ferait-elle pas naître beaucoup d’autres? Et tant de tribunaux d’attribution créés au même instant dans tout le royaume, pour juger des questions d’état si intéressantes, n’exciteraient-ils aucune réclamation de la part des cours? La représentation de l’extrait des rôles des impositions paraît séduisante au premier coup d’œil ; mais en y réfléchissant, la taille ne présente aucun moyen, puisque le noble la paye comme le roturier en pays cadastré, et que même en pays non cadastré il la paye encore par la voie de ses fermiers. Son privilège si exagéré se réduit donc à la faible exemption de la taille personnelle, et, sous ce rapport, comme le rôle n’offrirait qu’une preuve négative, il serait insuffisant. Le vingtième est uue imposition générale ; il n’admet en principe aucun privilège, et, s’il existe des disproportions dans sa répartition, ce sont des erreurs de fait qui n’ont aucun rapport avec les privilèges de la noblesse. On -ne peut donc tirer aucune preuve, pour la qualité'des personnes, de la représentation des rôles des vingtièmes. Reste la capitation , seule imposition dont il serait possible de tirer quelques lumières; mais elles seraient insuffisantes, moins parce que l’état de tous ceux qui sont portés sur le rôle de la capitation noble n’est pas suffisamment constaté, que parce que tous les nobles ne sont pas portés sur ce rôle, et que dans plusieurs provinces un grand nombre de gentilshommes préfèrent d’être imposés sur le rôle rural, parce qu’ils payent moins sur le rôle rural qu’ils n% payeraient s’ils étaient imposés sur le rôle de la noblesse. Un dernier moyen se présente, et c’est celui des certificats délivrés par quatre gentilshommes. Ce moyen est légal, puisqu’il est prescrit par l’article 10 de l’ordonnance de 1510, pour lapreuve de la noblesse des gradués; mais ne serait-il pas à craindre que quelques-uns de ces certificats ne fussent délivrés avec un peu trop de facilité? [Introduction.] Tels sont les moyens que le quatrième bureau a jugés les plus propres à fournir la preuve des titres et des, qualités personnels. Chacun de ces moyens a ses avantages, aucun n’est san§ inconvénient; le roi peut seul les peser dans sa sagesse, et déterminer celui qui mérite d’être adopté. ÉLECTIONS. Troisième section. La composition régulière des États généraux suppose, non-seulement une convocation universelle et une citation générale ou individuelle de tous les citoyens, mais encore une élection libre des représentants de la nation ; et de ce qu’elle doit être libre, il ne s’ensuit pas qu’elle ne doive être soümise à aucune règle. Il est nécessaire de requérir des conditions, soit dans les électeurs de ses représentants, soit dans ceux qui doivent être élus. Il est des qualités communes aux uns et aux autres ; il en est de communes à tous les ordres ; enfin il en est de particulières, soit aux électeurs, soit aux éligibles dans chacun des trois ordres qui constituent la nation. TREIZIÈME QUESTION. La première qualité à requérir de tous les électeurs et éligibles de tous les ordres semble être celle d’un âge compétent. Le bureau a cru que celui de vingt-cinq ans accomplis devait être préféré, comme l’âge le plus commun de la majorité dans le royaume, et parce que, même dans les provinces où la majorité particulière est fixée au-dessous de cet âge, celui de vingt-cinq ans est cependant encore requis et nécessaire pour toutes les fonctions publiques. En vain opposerait-on à cette règle l’exemple des talents prématurés; les exceptions du génie ne peuvent servir de règle. VINGT-NEUVIÈME QUESTION. Une autre question commune aux électeurs et aux éligibles est d’être, de l’ordre qu’ils représentent. Le bureau a reconnu la distinction des ordres comme un principe constitutionnel, et l’équité seule exigeait que l’influence de chaque ordre dans les délibérations fût égale, et que l’admission d’aucun étranger n’en pût rompre l’équilibre. QUATORZIÈME ET QUINZIÈME QUESTIONS. Chaque ordre a, pour déterminer les qualités des électeurs et des éligibles, des règles qui lui sont propres. Dans le clergé, l’intérêt de la possession foncière se joint au lien qui attache un citoyen à l’Église. Le bénéficier a intérêt à la chose publique par son bénéfice, et les autres membres sont attachés à l’Église ou par les ordres sacrés, ou par des vœux solennels ; le bureau a pensé en même ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ire Série, T. ler.r ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Inirotluction.] temps devoir graduer les qualités requises en proportion de l’importance de la représentation. En se contentant du bénéfice ou des ordres sacrés pour les ecclésiastiques qui devront être électeurs (15e question ), il a désiré dans les éligibles la réunion de ces deux titres. Les supérieurs réguliers ont dû lui paraître éligibles, et il a dû exclure les simples religieux, qui sont morts civilement. Les chapitres doivent constamment députer, ainsi que toutes les communautés, à l’exception de celles qui ne sont pas rentées, et qui, ne tenant à la société par aucune propriété, ont paru n’avoir point ce droit ; tandis qu’on a cru qu’il était juste de l’accorder aux communautés de filles rentées, à la charge de se faire représenter par des fondés de pouvoirs de l’ordre du clergé. DIX-HUITIÈME QUESTION. Cette même faculté de se faire représenter, d’après ces principes, ne pouvait être refusée à ces établissements mixtes que leur objet attache autant à la religion qu’à la société ; les hôpitaux qui soulagent les malades et reçoivent les indigents, les universités et les collèges de qui dépend l’enseignement, ont donc paru également dans le cas d’envoyer des fondés de pouvoirs de l’ordre du clergé aux élections, éligibles eux-mêmes pour les Étals généraux, s’ils ont les qualités exigées pour y être réprésentants de cet ordre. QUINZIÈME QUESTION. Il est de principe que la chambre ecclésiastique des États généraux n’est légalement constituée qu’autant qu’elle est composée' des membres des deux ordres du clergé ; mais en même temps il serait trop difficile de fixer entre ces deux ordres une proportion déterminée. SEIZIÈME QUESTION. Quant aux ecclésiastiques qui ne seraient pourvus d’aucun bénéfice, mais qui auraient soit des fiefs, soit des biens ruraux, il serait -impossible, d’après les principes adoptéspar le bureau, de les ranger dans un autre ordre que celui du clergé, auquel l'admission aux ordres sacrés les unit par des liens indissolubles. DIX-SEPTIÈME QUESTION. L’ordre de Malte étant un ordre religieux, appartient au clergé qui l’a toujours adopté. Les commandeurs doivent être assimilés aux bénéficiers; les chevaliers profès sont des religieux morts civilement, et les chevaliers non profès qui n’ont point de commanderie ni de bénéfice doivent rester dans l’ordre auquel ils appartiennent : en conséquence les commanderies ou les bénéfices sont les qualités qui doivent rendre éligibles aux États généraux pour l’ordre du clergé. 457 VINGT ET UNIÈME ET VINGT -DEUXIÈME QUESTIONS. • Les principes, qui exigent que les ecclésiastiques soient irrévocablement engagés par les ordres sacrés, conduisent à établir que les nobles qui ont une noblesse transmissible-et irrévocablement acquise doivent seuls constituer l’ordre de la noblesse. On ne reconnaît en France qu’un ordre de noblesse : quoique l’opinion assigne bien des degrés différents de considération parmi les nobles, la loi assigné à tous les mêmes privilèges ; et, dès que la noblesse transmissible est irrévocablement acquise, elle donne, à l’anobli le plus récent comme au noble dont l’origine remonte aux temps les plus reculés, les mêmes avantages et les mêmes droits. DIX-NEUVIÈME ET VINGTIÈME QUESTIONS. Tous les nobles étant admis à l’élection de leurs représentants, il a fallu déterminer les conditions qui seraient exigées pour l’éligibilité. Pour les ecclésiastiques on a exigé un bénéfice ; il était naturel d’exiger des nobles la possession, soit d’un fief, quelle que soit sa valeur, soit d’un fonds non noble, que le bureau croit pouvoir apprécier à deux mille livres de revenu. Cette disposition est fondée sur la considération que l’intérêt qu’on prend au bien de l’État augmente communément en raison des propriétés, et que d’ailleurs rien de ce qui peut donner de l’importance aux propriétés foncières n’est étranger aux véritables intérêts d’un état agricole. VINGT-TROISIÈME QUESTION. Quant aux membres qui peuvent être électeurs ou éligibles dans l’ordre du tiers-état, après en avoir écarté par un principe de justice tous les citoyens qui appartiennent à l’un des deux autres ordres, le bureau a cru devoir faire participer, tant à l’élection des représentants qu’à la confection des cahiers, tous les chefs de famille. Il donne ce nom à tout citoyen qui paye en son nom des impositions, et qui, contribuant aux charges de l’État, a par conséquent autant d’intérêt à sa prospérité que de droit à concourir à ce Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] composition, par des usages qui n’ont consacré que des formes ; il ne proposera pas de s’en écarter pour donner atteinte à un principe que, non-seulement l’usage a rendu respectable, mais qu’il serait bien dangereux d’ébranler, parce qu’il est pour ainsi dire la base de la monarchie. Il y a toujours eu trois ordres en France, et la plus parfaite égalité a toujours régné entre eux. C’est cette égalité précieuse, ce balancement de pouvoirs qui, ne permettant pas qu’aucun puisse prédominer, maintient dans l’État cet équilibre parfait qui assure sa tranquillité et sa conservation. Le bureau pense qu’on ne peut rompre cette égalité sans altérer les principes constitutionnels de la monarchie ; que si le tiers-état acquérait une influence égale à celle des deux autres ordres réunis, il n’y aurait plus, à proprement parler, que deux ordres dans l’État, et que bientôt peut-être ils seraient tous confondus, ce qui produirait un désordre dont les effets sont incalculables. Le bureau convient que, si l’on continue à opiner par ordre dans les États généraux, il deviendrait assez indifférent que le tiers étal eût deux voix au lieu d’une. Mais alors qui peut l'engager à les demander? Mais enfin il est possible que les États généraux changent cet usage, et qu’on se décide quelque jour à opiner par tête ; il est même vraisemblable que c’est cette espérance qui excite dans ce moment-ci les réclamations du tiers-état ; mais on peut dire qu’il connaît mal ses intérêts, puisque dans cette supposition il perdrait l’avantage dont il jouit, eu vertu des lois du royaume, de pouvoir, en matière de subsides, rendre nul par son opposition le consentement des deux autres ordres. Cet avantage seul achève de démontrer qu’en maintenant l’égalité qui a toujours existé entre les trois ordres, on ne blesse en aucune manière la justice ni les intérêts du tiers-état. SIXIEME QUESTION. Quelle a été et quelle pourrait être la forme de délibérer des trois ordres dans les États généraux ? AVIS. Le bureau est d’avis que depuis plus de trois siècles les États généraux paraissent avoir toujours opiné par ordre, et que toute autre forme serait une contravention à l’ancien usage. Unanimement. MOTIFS. il n’est pas aisé de saisir le sens que présente la question ainsi posée. En la subdivisant, la première partie n’est susceptible d’aucune controverse, et la seconde ouvre un champ bien vaste et bien déterminé. • Il n’est pas douteux que -l’usage constamment 475 suivi depuis près de trois siècles, dans les assemblées d 'États généraux, a été d’y opiner par ordre. On cite une seule occasion où l’on prétend qu’on y a dérogé. C’est aux États de Tours tenus en 1483 ; mais rien n’est moins établi que cette assertion. A la vérité, l’assemblée se divisa en six nations ou bureaux, dans Chacun desquels les trois ordres se confondirent ; mais on assure que, lorsqu’il fut question de recueillir les suffrages dans chaque nation, on appela d’abord les députés du clergé, ensuite ceux de la noblesse, enfin ceux du tiers-état, et que, quoiqu’ils eussent délibéré en commun, leurs voix furent prises par ordre. Quand la dérogation à l’usage serait prouvéé par cet exemple unique, elle aurait pu être produite par des circonstances particulières que nous ne pouvons connaître ; mais toujours est-il constant que dans les quatre tenues subséquentes on a opiné par ordre, ce-qui suffit bien pour établir l’usage. La seconde partie de la question serait très-difficile à résoudre. On demande dans quelle forme les États généraux pourraient délibérer. Cette forme paraît se combiner de vingt manières différentes : tout ce qu’on peut donc répondre à cette partie de la question, c'est qu’on ne peut, sans contrevenir aux usages reçus, opiner autrement que par ordre. Le bureau a cru qu’il était nécessaire qu’il restreignît infiniment son avis sur cette question, qui pourrait en faire naître d’autres dont la discussion serait dangereuse. QUARANTIÈME QUESTION. Pourra-t-on être électeur ou éligible dans les diverses communautés ou bailliages où l’on aura des propriétés, soit transmissibles, soit usufruitières ? AVIS. Le bureau est d’avis que le propriétaire dans plusieurs districts peut être électeur, pourvu qu’il paraisse en personne à l’assemblée d’élection, et éligible partout où il a des propriétés, et que, s’il est élu dans plusieurs endroits, il soit obligé d’opter. Le bureau ne saurait expliquer pourquoi il exige de l’électeur qu’il comparaisse en personne, sans rendre compte de la délibération qu’il a prise relativement aux procurations. On n’a point posé en question précise et détachée si l’on admettrait ou si l’on rejetterait les procurations. Cependant, comme il n’était pas possible de s’expliquer sur plusieurs questions subséquentes sans avoir agité celle-ci, le bureau a cru devoir en faire un objet de délibération séparée, et son avis est de proscrire absolument toutes procurations. Unanimement.. ........ :.t . 476 [lr# Série, T. I*r.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] MOTIFS. Le bureau a regardé comme un très-grand abus la facilité de se faire représenter, tant aux assemblées d'élections qu’à l’assemblée des États généraux» Il a estimé que le droit d’élire et de siéger aux États comme député était un droit individuel, qu’on ne pouvait exercer qu’en personne ; que, si la faculté de se faire représenter était accordée à tout le monde, la multitude des procurations deviendrait innombrable, si l’on exigeait qu’il y eût autant-de représentants que de représentés, et que, si l’on tolérait que le même individu pût être chargé de plusieurs procurations, cette facilité donnerait lieu à un abus révoltant, en ce que chacun, qui ne peut donner qu’un suffrage à un député, lui en donnerait autant que le nombre de ses procurations le permettrait. Le bureau a considéré que si cette faculté de se faire représenter était bornée aux possesseurs de bénéfices et de fiefs, il en résulterait une injustice criante pour les ecclésiastiques et nobles qui n’en possèdent point, et qu’il a cru cependant devoir ranger indistinctement dans les classes du clergé et de la noblesse. Que les femmes veuves possédant divisément, ainsi que les mineurs, ne peuvent avoir aucun droit de se faire représenter -, qu’ils n’ont pas celui de siéger dans les assemblées municipales, et qu’il faut regarder les assemblées d’États généraux comme de grandes assemblées des municipalités du royaume ; qu’il n’est point à craindre que les intérêts des veuves ou femmes possédant divisément, ainsi que ceux des mineurs, restent sans défense, puisque les uns ont des tuteurs, les autres des officiers de justice et gens d’affaires qui sont individuellement électeurs et éligibles. On voit que le gouvernement avait adopté ces principes, puisqu’en 1614, deux mois avant la tenue des États, Louis XIII fit un règlement pour proscrire absolument toutes procurations. Le bureau a eu sous les yeux les lettres motivées qu’il écrivit les 21 et 28 juillet 1614 à M. de La Châtre, gouverneur du Berry, conformément à ce règlement, dans lesquelles il défend expressément d’admettre, sous aucun prétexte, aucune procuration, soit dans les assemblées d’élections, soit aux États généraux. Cette décision a paru au bureau d’autant plus frappante, qu’elle a réglé le dernier état des choses. On objecte à la vérité que les lettres de convocation de 1651 la révoquent ; mais ces derniers États convoqués n’ont pas été assemblés. Les lettres de 1649 n’avaient pas levé ces défenses, on ne voit pas ce qui peut avoir donné lieu deux ans après à cette dérogation ; mais, comme on vient de l’observer, la loi a été exécutée, et la dérogation n’a pu l’être» Cette délibération du bureau répond d’avance à un assez grand nombre de questions ultérieures. CINQUANTE-QUATRIÈME QUESTION. Sera-t-il nécessaire de régler l’ordre et la forme que devront suivre les assemblées où les instructions des députés aux États généraux seront délibérées et rédigées , depuis les assemblées de campagne, en remontanl jusqu’aux assemblées bailliagères ? AVIS. Le bureau est d’avis que chaque assemblée doit observer, dans celle qui sera tenue pour la rédaction de ses cahiers, la forme suivie habituellement dans les assemblées générales. Unanimement. . motifs. Le bureau n’a point vu de raisons pour prescrire à cet égard des formes nouvelles : au surplus, toutes celles que le bureau croit devoir être survies depuis la lettre de convocation jusqu’à la première assemblée des États généraux, sont expri mées dans un projet d’instruction qui aété demandé au bureau, et qu’il présente à la suite de ses délibérations motivées. Instruction pour la forme à suivre et les objets à remettre dans les diverses assemblées relatives à la convocation des États généraux. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE. Le long intervalle écoulé depuis la tenue des derniers États généraux, ayant fait perdre dans beaucoup d’endroits la trace des usages relatifs à la convocation de cette assemblée, on a cru convenable d’indiquer une forme commune, qui pût à la fois être suivie, et dans les lieux qui n’auraient conservé aucun vestige de leurs anciens usages, et dans ceux où elle paraît préférable à l’ancienne forme. En indiquant cette forme commune, l’intention du bureau n’est point de proposer qu’on la prescrive comme une loi, mais qu’on la désigne seulement comme un moyen de faciliter à ceux qui doivent concourir à la formation des États généraux la route qu’ils ont à suivre pour cet objet. On se borne à la tracer du moment que l’ordonnance du juge est arrivée dans la paroisse. Mais , comme ce juge peut être de différente qualité, il est nécessaire de distinguer les différents cas qui peuvent s’offrir. Une paroisse peut se trouver ou dans la juridiction immédiate du bailli du premier ordre, ou dans celle d’un juge royal ou bailli du second ordre, ayant ressort ou ressortissant lui-même à ce bailli ; ou dans celle d’un juge royal ou bailli du second ordre sans ressort, ou dans celle d’un juge seigneurial ressortissant au juge royal ou bailli du [ire Série, T. !«>•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] second ordre ; ou enfin dans celle d’un juge seigneurial ressortissant au bailli du premier ordre. Ces différences sont nulles par rapport aux nobles et aux ecclésiastiques, dans quelque juridiction qu’ils se trouvent. Sitôt qu’ils auront été informés, ou par des assignations particulières à leurs fiefs et à leurs bénéfices, ou par les publications et affiches, dujour et du lieu où doit être tenue l’assemblée du bailliage qui doit députer aux États généraux, ils n’auront autre chose à faire qu’à se rendre à cette assemblée, et, quand ils s’y seront rendus, suivre ce que nous dirons' quand nous parlerons de ses sortes d’assemblées. Mais il n’en est point ainsi du tiers-état, et il faudra à son égard se régler sur les distinctions ci-dessus,énoncées. Paroisse s qui se trouvent dans la juridiction d’un juge seigneurial ressortissant au juge royal ou bailli du second ordre. * Dans ces paroisses, le juge du lieu, après avoir. fait publier et enregistrer, tant les lettres du roi pour la convocation des États généraux, que les ordonnances rendues à ce sujet par les baillis du premier et du second ordre, ordonne qu’elles seront envoyées aux fabriciens et curés des paroisses de sa juridiction, à l’effet d’être publiées au prône, et enjoint aux habitants de ces paroisses de s’assembler aux jour et lieu qu’il leur indique, pour se conformer aux intentions du roi et aux ordonnances des baillis. En exécution de l’ordonnance du juge, les manants et habitants convoqués et appelés au son de la cloche, s’assembleront aux jour et lieu in-diqués.Le lieu de l’assemblée peut être ou l’auditoire, ou le porche de l’église, ou tout autre lieu qui serait jugé plus convenable. Cette assemblée se tiendra en présence du juge ou de celui qu’il aurait commis. On y procédera à la nomination de deux des principaux habitants, à l’effet de rédiger le cahier de la paroisse, et de le porter à l’assemblée qui devra se tenir devant le bailli du second ordre. Ce cahier dressé, il en sera fait lecture ou dans la même assemblée, s’il a pu être rédigé pendant sa tenue, ou dans une seconde assemblée , s’il n’a pas pu l’être ; il y sera ensuite clos, arrêté et signé, et le juge dressera procès-verbal de tout ci-dessus. Paroisses qui se trouvent dans la juridiction d’un juge seigneurial ressortissant nûment au bailli du premier ordre. La forme indiquée pour les paroisses comprises dans le précédent article sera suivie pour celles-ci, avec la différence seulement que les députés qu elles nommeront seront chargés de porter le cahier de la paroisse, non devant un bailli du second ordre, mais à l'assemblée convoquée devant le bailli du premier ordre. 477 Paroisses qui se trouvent dans la juridiction immédiate d'un juge royal ou bailli du second ordre , ayant ressort. La route à suivre de la part de ces paroisses est absolument la même que celle tracée pour les paroisses qui sont dans la juridiction d’un juge seigneurial ressortissant au bailli du second ordre. Toute la différence qui les distingue de ces paroisses c’est que celles-ci s’assemblent devant le juge du lieu pour députer à l’assemblée convoquée devant le bailli du second ordre ; au lieu que les autres ayant le bailli du second ordre pour juge immédiat, c’est en sa présence qu’elles doivent d’abord s’assembler pour députer à l’assemblée qui doit se former devant lui-même des députés des diverses paroisses de son ressort, c’est-à-dire qu’il se formera deux sortes d’assemblées dans le lieu du siège du bailli du second ordre : l’une formée des habitants de la paroisse située immédiatement dans sa juridiction ; l’autre formée des députés de toutes les paroisses placées dans son ressort. La première nommera des députés pour rédiger le cahier de la paroisse, l’arrêtera quand il sera rédigé, et chargera les députés de le porter à la seconde, ainsi et de la même manière qu’il, a été dit pour les paroisses situées dans les juridictions qui ressortissent au bailli du second ordre. La seconde, composée de tous les députés, nommera des commissaires pour compiler les cahiers de toutes les paroisses du ressort et en former un seul, et ce cahier rédigé, elle l’arrêtera en la forme ci-dessus indiquée, et nommera des députés pour le porter à l’assemblée qui se tiendra devant le bailli du premier ordre. Ces députés seront au nombre d’un par dix paroisses, ayant député ou ayant pu députer à cette seconde, assemblée, tenue devant le bailli du second ordre ; c’est-à-dire que si ce bailli a trente paroisses dans sa juridiction immédiate ou dans son ressort, la seconde assemblée qui se tiendra devant lui enverra trois députés à l’assemblée qui devra se tenir devant le bailli du premier ordre, soit que ces trente paroisses aient été exactes ou non à députer devant le bailli du secondordre. Si plusieurs paroisses se trouvent dans la juridiction immédiate du juge royal ou bailli du second ordre, chaque paroisse s’assemblera en particulier, en la forme ci-dessus marquée, et enverra son cahier et ses députés à l’assemblée générale des députés des paroisses de la juridiction immédiate et du ressort du bailli du second ordre. Paroisses qui se trouvent dans la juridiction immédiate du juge royal ou bailli du second ordre sans ressort. Ces paroisses suivront sans aucune différence [l�e Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 478 la marche tracée pour les paroisses situées dans les juridictions seigneuriales qui ressortissent à un bailli du premier ordre. Paroisses qui se trouvent dans la juridiction immédiate d'un bailli du premier ordre. Comme ces paroisses composent la ville où le bailli tient son siège, et que cette ville est formée de divers corps, qui, répandus inégalement dans ces paroisses, ont des intérêts différents, il a été nécessaire d’établir une forme particulière pour y parvenir. Ainsi, dans les villes où le bailli du premier ordre tient son siège (et l’on peut en dire autant de celles où siègent les baillis du second ordre et même des juges seigneuriaux, si elles sont considérables) dans ces villes les députations à rassemblée générale de bailliage se font dans une assemblée qui se tient à l’hôtel de ville, et qui est présidée par le maire ou par le lieutenant général, selon l’usage. Cette assemblée doit être composée: 1° Des maire, échevins et conseillers de ville ; 2° Des bourgeois députés de chacune des pa roisses de la ville. Pour faire cette députation, les paroisses doivent préalablement s’assembler, dans la forme ci-dessus indiquée pour toutes les autres paroisses, après la publication au prône et par les soins des curés et fabriciens. 3° Des députés de tous les corps quelconques de la ville y formant une association légale. Ces corps, sur l’avertissement des maire et échevins, doivent s’assembler, nommer des députés à l’assemblée municipale, et les charger d’y porter les mémoires et remontrances qui les intéressent. Quand l’assemblée municipale, composée de tous ces députés, est formée, elle doit nommer des commissaires pour rédiger le cahier de la ville, et, la rédaction faite et approuvée, nommer des députés pour le porter à l’assemblée générale du bailliage. Avant l’ouverture de cette assemblée générale, il doit s’en former une des représentants de toutes les paroisses et communautés qui ont député directement devant le bailli du premier ordre. Cette assemblée formée, elle se réduira au dixième du nombre de paroisses ou communautés qui ont fait cette députation directe, c’est-à-dire que, s’il y a deux cents paroisses ou communautés qui aient envoyé directement des députés devant le bailli du premier ordre, tous ces députés rassemblés en nommeront vingt d’entre eux, lesquels iront voter à l’assemblée générale du bailliage du premier ordre. Cette assemblée générale sera donc composée, premièrement, de tous les ecclésiastiques ayant les: caractères jugés nécessaires pour être convoqués, ou personnellement par des assignations signifiées dans leurs bénéfices, ou généralement par les proclamations ou cris publics ; secondement, de tous les nobles ayant également les caractères jugés nécessaires pour être convoqués, ou particulièrement par des assignations à leurs fiefs, ou cumulativement par les proclamations générales ; troisièmement, de tous les députés des assemblées de ressort, tenues devant les juges royaux ou baillis du second ordre ; quatrièmement enfin, des députés des paroisses qui, placées dans la juridiction immédiate ou dans le ressort immédiat du bailli du premier ordre, n’avaient pas député à ces assemblées du bailliage du second ordre. Tous ces divers députés, ainsi que les nobles et les ecclésiastiques, se rendront au jour indiqué dans l’auditoire du siège du bailli. Quand ils y seront réunis, le bailli, ou à son défaut son lieutenant général, mettra sous les yeux de l’assemblée les lettres du roi, et lui fera connaître l’objet de sa convocation, Gela fait, les trois ordres se sépareront et s’assembleront chacun dans des endroits particuliers, qui leur auront été indiqués par celui qui aura présidé l’assemblée. Chacun des trois ordres ainsi assemblé séparément nommera un greffier pour recueillir par écrit ses délibérations particulières, et des commissaires pour procéder à l’adresse de son cahier. Lorsque chaque ordre aura clos et arrêté son cahier, il nommera, toujours dans son assemblée particulière, ses députés aux États généraux, les chargera ‘d’y porter ce cahier, et leur donnera les pouvoirs nécessaires. Après avoir ainsi procédé séparément, les trois ordres se réuniront dans une nouvelle assemblée générale, tenue dans la même forme que la première ; ils y apporteront chacun les résultats des délibérations de leurs assemblées particulières, pour ces résultats être énoncés dans le procès-verbal qui sera dressé par le bailli ou son lieutenant général ; après quoi l’assemblée se séparera. Observations générales sur les cahiers. Gomme il y a quatre sortes d’assemblées différentes, il y a aussi quatre sortes de cahiers. Le cahier des assemblées de paroisse ; le cahier des assemblées de bailliage du second ordre ; le cahier des assemblées municipales des villes, et enfin le cahier des assemblées générales du bailliage du premier ordre. Cahier des assemblées de paroisse. Ces cahiers doivent renfermer les plaintes qu’ont à former les habitants de la paroisse, tant pour l’intérêt particulier de chacun, que pour l'intérêt général du corps entier de la communauté. Ce cahier, rédigé par les députés qui en ont été chargés, clos et arrêté par l’assemblée, doit [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] être signé par les rédacteurs, par le consul de la communauté ou lé syndic des habitants, et paraphé par le juge. Il doit ensuite être joint au procès-verbal de l’assemblée, et le tout être déposé par les députés de la paroisse au greffe du bailliage du premier ordre; si c’est à l’assemblée de ce bailliage qu’ils sont députés, ou au greffe du bailliage du second ordre, si c’est à l’assemblée de celui-là qu’ils doivent se rendre. Cahier des assemblées de bailliage du second ordre. Ce cahier doit être formé de la compilation et réunion de tous les cahiers portés par les députés qui forment cette assemblée. Cette compi-liation doit se faire en ajoutant, à celui de tous les cahiers qui est le plus détaillé, les articles qui se trouvent répandus dans les autres et omis dans celui-là; et dans le cas que dans ces cahiers divers il se trouvât des demandes opposées et contradictoires, il sera réglé par l’assemblée quelle est celle qui doit prévaloir et être conservée. Clos et arrêté par l’assemblée, ce cahier doit être signé par les commissaires qui l’ont rédigé, paraphé par le juge, et remis, avec le procès-verbal de la tenue de l’assemblée, aux députés qu’elle a nommés pour aller le déposer au greffe du. bailliage du premier ordre. Cahier des assemblées municipales. Ce cahier doit être le résultat, tant des mémoires reçus par les représentants des différents corps qui ont député à cette assemblée, que des instructions et plaintes qui ont pu être recueillies de la part de tous les autres habitants. Pour leur donner la facilité de les faire parvenir à l’assemblée, on pourrait, quelques jours avant l’époque de sa tenue, établir à l’hôtel de ville un coffre en forme de tronc, dans lequel chaque habitant aurait la liberté d’aller déposer ce qu’il jugerait à propos de dire pour son intérêt ou l’intérêt général, avec l’obligation néanmoins de le signer. Les officiers municipaux seraient dépositaires des clefs de ce coffre; ils en feraient l’ouverture le jour de l’assemblée, et en remettaient le contenu aux commissaires chargés de la rédaction du cahier. Le cahier clos et arrêté par l’assemblée doit être signé par les commissaires qui l’ont rédigé et par les officiers municipaux de la ville, être paraphé par le juge, s’il a présidé à l’assemblée, et remis aux députés, pour être porté au greffe du bailliage du premier ordre. Cahier des assemblées générales de bailliage du premier ordre. Comme ces assemblées sont formées de corps 479 ' distincts et séparés, savoir : le clergé, la noblesse et le tiêrs-état, chacun de ces corps doit dresser un cahier particulier. Le cahier du clergé et celui de la noblesse seront formés chacun, tant des plaintes, remontrances, observations personnelles aux individus qui composent chacun de ces ordres, que des plaintes, remontrances ou observations portées par les députés des chapitres ou autres corporations qui ont droit d’avoir des représentants dans lesdits ordres. Le cahier du tiers-état résultera de la compilation de tous les cahiers portés par les -députés de cet ordre, et cette compilation sera faitê de la manière qui a été indiquée en parlant du cahier des assemblées de bailliage du second ordre. Chacun de ces cahiers sera signé par les commissaires qui les auront rédigés, par le président et le greffier de l’assemblée de chaque ordre, pour être porté aux États généraux. Il faut néanmoins observer que le lieutenant général du bailliage présidant l’assemblée du tiers= état, ne pouvant assister à la rédaction du cahier de cet ordre, il ne le signera pas, mais le paraphera. On pourrait, pour donner à chacun de ces trois cahiers la force d’un vœu général, les réunir en un seul cahier ; cette réunion pourrait être faite par des commissaires nommés par l’assemblée générale des trois ordres : dans ce cas ce serait à cette assemblée générale à le clore et arrêter quand il serait dressé; il serait alors signé par les commissaires rédacteurs, par le bailli, ou à son défaut par le lieutenant général, et par le greffier du siège, et serait remis aux députés nommés pour aller assister aux États généraux. Pouvoirs à donner auoc députés. II faut distinguer leur forme et leur objet : à l’égard de leur forme, ces pouvoirs peuvent être donnés par une procuration particulière de la part de l’assemblée qui députe, consentie devant un notaire ou devant le greffier de l’assemblée, ou simplement ces pouvoirs peuvent être insérés dans l’acte de nomination de députés, ou dans le procès-verbal dressé par le juge de la tenue de l’assemblée. * Quant à leur objet, il doit varier selon la nature de l’assemblée qui députe, Celles dont les députés ne vont porter leurs cahiers qu’à l’assemblée du bailliage du second ordre, n’ont d’autre pouvoir à leur donner que celui de remettre le cahier dont ils sont porteurs, de nommer dans cette assemblée des députés à l’assemblée du bailliage du premier ordre, et de donner à ceux-ci les autorisations que cette dernière assemblée trouvera convenables. Celles dont les députés vont directement à rassemblée du bailliage du premier ordre doivent 480 [lre Série, T. !•'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. les autoriser, après la remise de leur cahier, à se réduire dans la forme ci-dessus indiquée, et à nommer, dans l’assemblée particulière qui sera formée à cet effet, des députés à l’assemblée générale du bailliage du premier ordre, avec les pouvoirs que cette assemblée particulière jugera à propos de leur donner. Enfin c’est aux représentants des trois états, dans l'assemblée générale du bailliage du premier ordre, à voir jusqu’où ils veulent étendre les pouvoirs qu’ils veulent confier aux députés de chacun de leur ordre aux États généraux. Mais, quelles que soient l’étendue et les limites qu’ils entendent donner à ces pouvoirs, il est indispensable qu’ils les fassent porter sur les objets qui seront mentionnés dans les lettres du roi. Ils ne doivent pas non plus omettre d’y insérer la promesse de rembourser les dépenses que leur députés sont dans le cas de faire, et de les rembourser sur le taux que chaque ordre réglera lui-même dans l’acte qui contiendra ses pouvoirs. Provinces réunies à la couronne depuis 1614. Les membres de l’Assemblée des notables, qui ont des relations avec chacune de ces provinces, ont formé des comités particuliers pour proposer la forme à établir dans ces diverses provinces pour leur convocation aux États généraux. Quelques-uns seulement des plans formés dans ces comités ont été communiqués au bureau. Le bureau a reconnu que, la constitution de ces provinces étant essentiellement différente, quel*- ques-unes ayant des États, d’autres étant au moment d’en obtenir, les renseignements manquant absolument sur plusieurs, il ne pouvait délibérer sur cet objet, sur lequel il s’en rapporte à la sagesse du roi, le suppliant de vouloir bien se faire rendre compte dans son conseil des projets rédigés dans les différents comités. Arrêtés pris dans la dernière séance du bureau présidé par monseigneur le prince de Conti. Le bureau a cru devoir, avant de se séparer, déclarer formellement que, dans aucune des délibérations qu’il a prises pendant le cours de la présente assemblée, il n’a entendu donner aucune atteinte aux formes, usages et privilèges relatifs à la constitution des provinces et pays d’états. Le bureau ne peut terminer ses séances sans exprimer le vœu que chacun de ses membres a dans le cœur, et qu’il n’a cessé de manifester dans le cours de ses délibérations. Il a vu avec peine qu’un des ordres de l’État, si digne de fixer les vues paternelles de Sa Majesté et l’attention particulière des États généraux, se plaignait d’impositions qui pèsent directement et uniquement sur lui ; que ses plaintes s’étendaient même sur la répartition des subsides communs à tous les ordres. C’est pour faire cesser ces distinctions particulières dans la nature des impositions, c’est pour faire disparaître toute inégalité dans la répartition, que le bureau a arrêté d’adresser à Sa Majesté et à la nation, aussitôt qu’elle sera assemblée, son vœu unanime pour parvenir à un nouveau plan d’imposition, qui soit également répartie sur tous les ordres de l’État, sans qu’aucun privilège personnel puisse préjudicier à l’égalité parfaite entre toutes les classes des citoyens, en matière de contribution aux subsides de l’État. Collationné , sur l'original des délibérations motivées du sixième bureau , par nous secrétaire des commandements de S. A. S. monseigneur le prince de Conti , président dudit bureau. Signé Besse du Mas. Changement survenu dans le ministère pendant la durée de l’assemblée. Le jeudi 27 novembre, M. le comte de Brienne, ministre et secrétaire d’État au département de la guerre, ayant supplié le roi de vouloir bien recevoir sa démission, le 29 Sa Majesté a nommé pour le remplacer M. Pierre-Louis de Chastenet, comte de Puységur, l’un des notables convoqués, qui a prêté serment entre les mains du roi. SECONDE ET DERNIÈRE SÉANCE. Le vendredi 12 décembre 1788. Le travail des bureaux étant terminé, le roi a fixé au vendredi 12 décembre la clôture de l’Assemblée; mais la neige et la glace qui couvraient les chemins faisant craindre qu’il n’arrivât des accidents, si la séance avait lieu à l’hôtel des Menus-Plaisirs, et Sa Majesté se trouvant enrhumée, elle s’est décidée à tenir cette séance au château, dans la grande salle de ses gardes. Le roi a donné en conséquence ses ordres au grand-maître des cérémonies de France, qui a averti messieurs les notables du clergé et de la noblesse du jour, de l’heure et du lieu de l’assembée. Monseigneur le garde des sceaux a averti messieurs les magistrats, et M. de Villedeuil, messieurs les députés de pays d’États et messieurs les officiers municipaux. Les préparatifs ont été faits avec la plus grande diligence, et l’on s’est conformé, autant que la grandeur de la salle le pouvait permettre, aux dispositions de la première séance, comme on en pourra juger par le plan ci-joint. Le haut dais de Sa Majesté était placé en face des fenêtres, et occupait tout le fond de la salle. On avait mis dans le bas de la salle, à quelques pieds des fenêtres, des barrières pour fermer la séance; elles régnaient depuis la porte de la salle des Marchands jusqu’à celle de la salle des gardes de la reine. On avait cependant laissé dans le milieu un passage pour l’entrée du roi, parce [ire Série, T. Ier.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. J 481 qu’il n’âvait pas été possible de ménager à Sa Majesté une porte sur le haut dais. La salle était meublée comme celle de l’hôtel des Menus-Plaisirs, et l’on avait élevé au-dessus du trône le dais qui avait servi dans cette dernière salle. Vers les dix heures' du malin, les gardes du corps du roi ont pris leurs postes, savoir, quatre gardes de la Manche sur le haut dais (il aurait dû y en avoir six, mais le peu de place qui restait pour la séance du roi ne l’avait pas permis], et six gardes et deux brigadiers sous les armes, derrière les barrières du bas de la salle. Les gardes du corps occupaient en outre la salle des Marchands, qui précédait celle de l’assemblée Les Cent-Suisses, en habits de cérémomie, occupaient leur salle ordinaire, avec le drapeau et les officiers à leur tête. Messieurs les notables sont arrivés sur les onze heures par la salle des Cent-Suisses. Le grand maître et le maître des cérémonies leur ont fait prendre la séance suivante : Messieurs les ducs et pairs à leur rang de pairs, à droite et à gauche de messeigneurs les princes du sang. Messieurs les notables de la noblesse, sans rang entre eux, sur le prolongement des ban es de messieurs les ducs et pairs, à droite et à gauche, sur un autre banc en retour le long du mur à gauche joignant le premier, et sur deux rangs de bancs placés aussi du côté gauche derrière ce même banc. Messieurs les maréchaux de France occupaient deux bancs à la droite dji haut dais, éloignés -du mur d’environ huit pieds. M. le maréchal duc de Noailles était placé à son rang de pair. Messieurs les députés des pays d’États occupaient cinq rangs de bancs au bas des marches du haut dais, dont trois à droite et deux à gauche. Sur le premier à droite étaient messieurs les élus généraux des États de Bourgogne. Sur le second, messieurs les députés des États de Bretagne. ~ . Et sur le troisième, messieurs les députés des États de Provence, et monsieur le député de la noblesse de Corse. x Sur le premier bâne à gauche, messieurs les députés des États de Languedoc. Et sur le second, messieurs les députés des États d’Artois. Messieurs les archevêques et évêques occupaient deux rangs de bancs, à droite, dans la longueur de la salle. Messieurs les premiers présidents des Parlements et conseils souverains occupaient de même à gauche, et en face de messieurs du clergé, deux rangs de bancs; les plus anciens étaient sur le premier. Monsieur le premier président du Parlement de lïe Série, T. Ier. Grenoble précédait celui du Parlement de Bordeaux. Messieurs les procureurs'généraux étaient placés sur deux rangs de bancs, derrière messieurs les premiers présidents, en observant le même ordre d’ancienneté de leurs cours. * Monsieur le prèmier président de la chambre des comptes de Paris, et M. de Boisgibault, président de la cour des aides de la même ville, étaient placés sur l’extrémité du second banc de messieurs les évêques, ayant derrière eux messieurs les procureurs généraux de ces deux cours. Messieurs les officiers municipaux occupaient trois rangs de bancs en face du haut dais, près' les barrières, monsieur le prévôt des marchands et monsieur le premier échevin de Paris, les premiers ; monsieur le prévôt des marchands de Lyon immédiatement après eux. Monsieur le lieutenantcivil du Châtelet de Paris avait la première place sur ce banc. Les sieurs Hennin et Dupont, secrétaires-greffiers de l’assemblée, étaient placés sur un banc près le mur, derrière messieurs les évêques. Messieurs les conseillers d’État et maîtres des requêtes s’étaient rendus chez monseigneur le garde des sceaux, qu’ils ont accompagné dans ses carrosses de cérémonie. Le cortège est entré par la cour royale. Monseigneur le garde des sceaux est monté par l’escalier de marbre, et est allé attendre le roi dans l’appartement deM. le maréchal-duc de Duras, par lequel Sa Majesté devait passer pour se rendre à l’Assemblée. Messieurs les conseillers d’État et maîtres des requêtes sont entrés tout de suite dans la salle. Le maître des cérémonies les a placés sur deux bancs à droite, derrière celqi de messieurs les ducs et pairs. Les deux huissiers du conseil se sont tenus debout derrière messieurs les maîtres des requêtes, et les huissiers de la chancellerie derrière le siège de monseigneur le garde des sceaux. Messieurs les secrétaires d’État et M. le directeur général des finances occupaient leurs places ordinaires près la table. Pendant que messieurs les notables prenaient leurs séances, le roi s’est rendu à la chapelle, où il a entendu la messe dans la tribune à cause du grand froid. Au sortir de la messe, le roi s’est mis en marche pour se rendre à l’Assemblée. Sa Majesté était précédée de messeigneurs les princes du sang, de monseigneur comte d’Artois et de Monsieur. Le cortège de Sa Majesté était exactement le même qu’à la première séance. Le roi a passé par l’QEil-de-Bœuf et la salle des gardes ; il a traversé l’appartement de M. le maréchal-duc de Duras, dont les gardes du corps avaient pris les antichambres. 31 482 [Ire Série, T. J««\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,} Le roi d’armes de France et quatre hérauts d’armes marchaient en avant des princes depuis l’appartement de M. le maréchal-duc de Duras. la Majesté est entrée dans la salle d’Assemblée par la salle des Marchands, et a traversé le parquet pour monter au trône, La séance du rot et des princes était absolument la même qu’aux assemblées précédentes, à l’exception qu’il n’y avait sur le haut dais que quatre des officiers des gardes du oorps, à cause de son peu d’étendue ; les autres se sont placés en bas, dans le passage des barrières, Le capitaine des gardes de Monsieur et le capitaine des gardes de monseigneur comte d’Artois étaient les seuls qui accompagnaient ces princes a l’Assemblée. Il n’y a eu aucune autre différence dans le cérémonial, et tout s’est passé comme en 1787. On avait construit en face du trône, derrière les barrières, une tribune on lanterne, dans laquelle la reine a assisté à cette séance ; on entrait à, cette tribune par la galle des gardes de Sa Majesté, Le roi avait en entre permis qu’on plaçât un très-petit nombre de personnes derrière les barrières, Leroi, après s’être assis sur son trône, avoir ôté et remis son chapeau, a prononcé le discours suivant : Discours du roi. « Messieurs, en terminant vos séances, je vous rassemble autour de moi, pour vous témoigner ma satisfaction du zèle et de l’application suivie que vous ave? portés à l’examen des différents objets que j’ai fait mettre sous vos yeux. Je pèserai avec attention le résultat de vos délibérations, èt vais faire préparer tout ce qui peut accélérer 1’assemblée des États généraux; moment que je désire voir arriver avec d’autant plus d’impatience que je suis assuré qu’il portera un remède efficace aux maux de l’État. « ÎL B. Les huissiers-massiers, le roi d’armes de France, elles huissiers de la chancellerie auraient dû rester à genoux pendant toute la séance ; mais Sa Majesté a trouvé bon qu’ils se levassent quand elle a ou fini de parler. La même chose s’était pratiquée à la séance d’ouverture de l’Assemblée. Le discours du roi fini, monseigneur le garde des sceaux s’est approché du trône xen faisant trois profondes inclinations, la première avant de quitter sa place, la seconde après avoir fait quelques pas, et la troisième lorsqu’il a été spr le premier degré du trône ; puis il a pris à genoux les ordres de Sa Majesté. Il est ensuite retourné à sa place, en faisant de même trois profondes inclinations au roi. Lorsqu’il a été à sa place, il a dit : « Le roi ordonne que l’on prenne séance. » Toute l’assemblée a pris séance. Alors s’étant assis il a dit « Le roi permet que l’on se couvre, » Ceux qui avaient droit de se couvrir se sont couverts, ainsi que monseigneur le garde des sceaux, qui a prononcé assis lé discours suivant, Discours de monseigneur le garde des sceaux, « Messieurs, vous venez de donner au roi, par vos travaux, de nouveaux témoignages de votre zèle. Sa Majesté vous avait réunis autour de son trône pour l’éclairer par vos avis; elles les pèsera dans sa sagesse. Certaine que rassemblée des États généraux-comblera le vœu de la nation, elle s’occupe continuellement de tout ce qui peut en hâter le moment. Quelle époque eu effet plus mémorable pour le règne de Sa Majesté que celle où la prospérité générale doit renaître, l’ordre se rétablir dans les finances, la confiance publique s’assurer* l’impôt devenir plus égal et dès lors moins onéreux, l’industrie prendre un nouvel essor, le commerce une plus grande activité, la fortune de l’fîtat se raffermir, la législation civile et criminelle se perfectionner, l’éducation de la jeunesse et les études recouvrer leur ancien lustre ! Tel est, Messieurs, le tableau rapide de la révolution importante à laquelle nous touchons, Puissent ceux qui composeront cette assemblée nationale ge pénétrer de la nécessité d’être dirigés vers un même but, la félicité publique ! Puisse cette grande vérité présider à toutes leurs délibérations! Puissent des motifs de jalousie, de dissension et d’animosité n’en point troubler la douce harmonie, et tous intérêts particuliers s’anéantir devant un seul, le puissant intérêt de la patrie ! Puisse enfin chaque membre' des États ne jamais perdre de vue que tous sont frères et citoyens ! Et vous, notables de tous les rangs, rassemblés de toutes les extrémités d’un vaste royaume , les mêmes sentiments vous ont unis : un attachement et un ambwr sans bornes pour votre souverain, un zèle pur pour le maintien de la monarchie, un intérêt vif et sincère, pour le bonheur de tous. Rendus bientôt à vos foyers et aumiiieu de vos concitoyens , vous fortifierez en eux ces mêmes sentiments ; ils redoubleront de ville en ville, ils se répéteront avéc acclamation dans les demeures paisibles de ces habitants des campagnes, qui honorent leurs asiles par leurs vertus, de même qu’ils les fécondent par d’utiles et pénibles travaux. Vous attesterez à ces hommes précieux à l’État ce qu’ils savaient déjà , qu’ils sont sans cesse, l’objet de la sollicitude paternelle d’un monarque bienfaisant , et qu’il s’approche enfin t ce jour glorieux pour Te France, où ses forces trop longtemps épuisées vont se réparer, et le patriotisme mutuel du prince et fies sujets essu- / rer la consistance politique de Pèmpire le plus florissant de l’univers. » Après son discours, monseigneùr le garde des sceaux est remonté au pied 'du trône avec le même cérémonial que ci-dessus, pour prendre les ordres du roi : redescendu et remis à sa place, il a dit : « Si quelqu’un désire exprimer au roi ses sentiments, Sa Majesté lui permet de parler. » Toute l’Assemblée s’est alors levée pour entendre Monsieur, qui a exprimé lés sentiments de la noblesse par le discours suivant, qu’il a prononcé debout et couvert, après avoir salué Sa Majesté. Discours de Monsieur , frère du roi. « Sire, Votre Majesté vient de nous dire qu’elle est satisfaite de notre zèle ; c’est la récompense la plus douce qu’en puissent espérer des Français , des gentilshommes. Daignez donc, Sire, permettre au premier d’entre eux d’être auprès de Votre Majesté l’interprète de leur reconnaissance, et recevoir avec bonté l’hommage de notre amour et de notre profond respect. » M. l’arehevêque de Narbonne, le plus ancien de sacre des évêques convoqués , est resté debout, ainsi que tous les membres du clergé , et a prononcé son discours après avoir salué Sa Majesté. Discours de M. Varchevêque de Narbonne. « Sire, . Daignez agréer les vœux que nous formons, pour qu’aucun obstacle ne s’oppose à l’accomplissement de vos desseins paternels et généreux. En examinant, comme Votre Majesté nous l’a prescrit, les droits des différents ordres de vos sujets, nous avons partout aperçu la trace de leurs devoirs. Un des plus importants pour eux est d’éloigner avec soin de leur assemblée les jalousies, les rivalités, les* défiances réciproques, toutes les suggestions de l’intérêt personnel. L’union des esprits et des cœurs peut seule la rendre ce que Votre Majesté désire qu’elle soit(l), ce qu’elle doit être , rassemblée d’une grande famille, ayant pour chef le père le plus juste et le plus tondre. C’est l’harmonie des volontés particulières qui formera la masse imposante de la volonté commune et générale. Sans cette harmonie précieuse, principe fécond de la prospérité des empires, cette assemblée tant désirée, au lieu d’être la plus puissante des ressources, deviendrait elle-même un nouveau malheur. Chacun de ceux que la liberté des suffrages y appellera sortira de la classe plus ou moins distinguée que la Providence lui a assignée dans l’ordre des citoyens, pour se revêtir, en y entrant, (1) Arrêt du conseil du 5 juillet 1788, 483 du caractère, j’ose presque dire sacré , de représentant de la nation. Les nuances des conditions diverses disparaîtront devant ce titra véritable-. ment national ; elles viendront toutes se perdre, se fondre dans celle qui doit les dominer toutes, l’honneur d’être admis à concourir au bien commun du royaume, sous la protection immédiat© de Votre Majesté. De ce concours heureux naîtront des résolutions patriotiques qui ne porteront l’empreinte d’aucun ordre particulier, qui seront l’expression fidèle du vœu d’une grande nation, manifesté par ses représentants. L’ordre de l’Église, Sire, y paraîtra avec la disposition (je ne crains point d’en être le garant) de faire tous les sacrifices que pourra exiger l’intérêt général. Ministres d’une religion consolante, qui répand sur toutes les classes de l’ordre social l’impression de sa grandeur, de son utilité et de sa bienfaisance, pourrions-nous n’y point porter ces vues désintéressées qu’elle nous prescrit et qu’elle nous inspire !» Monsieur le premier président du Parlement de Paris a pris aussitôt la parole, et, après avoir salué le roi, a prononcé son discours, pendant lequel il s’est tenu debout, ainsi que tous les premiers présidents, présidents et procureurs généraux des Parlements et conseils souverains. Discours de M. le premier président du Parlement de Paris. « Sire, La fin de cette assemblée est moins le terme de nos travaux que raffermissement de nos espérances et l’approche d’un moment auquel tient le bonheur de la France. C’est ce grand objet qui a été le seul but de notre marche, comme il est, Sire, le seul but de vos projets ; c’est celui auquel se sont rapportées toutes nos idées dans la discussion des détails dont nous avons été occupés. ; Nous n’avons point eu d’autre guide dans nos recherches que l’amour de la vérité; point d’autre système dans le vœu de nos, suffrages et l’économie de nos résolutions , que de constater les vrais principes, d’en prolonger la trace, d’en perpétuer le règne, et d’en assurer la stabilité. Malgré des intentions soutenues par de si nobles motifs, qu’aurions-nous pu faire pour l’avantage de la nation, si nous n’eussions été conduits par des princes qui sont les premiers modèles de ces sentiments ; si, autour du trône, et sous l’ombre même de la puissance royale, on ne nous eût conservé cette pure et franche liberté de la magistrature, qui ne connaît d’autre crainte que celle de se laisser aller à la complaisance et à la flatterie ? Nous étions sûrs que des conseils qui ne sê-]lre Série, T. Ier.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 484 [lre Série, T. b*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] raient point dictés par le respect humain seraient accueillis par la confiance et mis en usage par les inspirations de la sagesse. Quelle heureuse sécurité pour des magistrats , accoutumés à voir toujours au travers des moindres intérêts des citoyens les intérêts de l’État ; à porter successivement et par degrés vers le bien public les regards dç la prudence , les pas de la prévoyance, les précautions, les efforts, les actes mêmes réitérés d’une vigilance opportune et salutaire, et à ne perdre jamais de vue cette longue perspective où l’on voit d’avance, par un enchaînement de moyens; utiles, la fortune publique atteindre avec la même consistance jusqu’aux siècles les plus reculés ! Qu’il nous soit permis, Sire, de vous exprimer les sentiments de ces dignes magistrats , avant qu’ils se séparent pour retourner à leurs fonctions. Ni la distinction des provinces où leurs compagnies sont départies, ni la diversité de leurs usages, ne peuvent mettre aucune différence dans leur zèle. C'est .une même puissance qui les a constitués, une même patrie qui les rassemble , un même peuple qui leur est commis, les mêmes lois qui leur sont confiées. G’est aussi un même dévouement, c’est une même âme qui partout sert le souverain, défend la patrie, régit les citoyens et garde inviolablement le dépôt sacré des lois du royaume. Des sentiments, Sire, non moins uniformes les attachent à votre personne. Près de vous se sont gravés encore plus profondément dans leurs cœurs l’amour que vous doivent tous les Français, la plus respectueuse admiration pour vos vertus, la reconnaissance de vos soins paternels pour tous vos sujets. . Jusqu’au dernier jour de notre vie, nous serons, Sire, aussi fidèles à ces sentiments que nous le serons aux devoirs de notre état, aux lois du royaume et aux principes invariables de la monarchie française. » M. le premier président de la chambre des comptes de Paris, après avoir observé les mêmes formalités, a fait connaître au roi les sentiments de la cour qu’il préside, par le discours suivant. Discours de M. le premier président de la chambre des comptes de Paris. « Sire, Toujours occupée du bonheur de ses sujets, Votre Majesté vient de charger les notables de préparer la convocation des États généraux. Organes de la bienfaisance du souverain et dépositaires des intérêts de leurs concitoyens, le zèle le plus pur a dirigé leurs travaux ; ils ont ambitionné de remplir dignement la tâche honorable qui leur était imposée. Le devoir leur prescrivait de présenter à Votre Majesté les formes antiques et précieuses de la monarchie, de raffermir les bases qui doivent rester à jamais inébranlables et sacrées ; de distinguer ces trois ordres constitutionnels de l’État, dont l’essénce est de former séparément leur délibération aux États généraux, mais dont l’esprit et les principes uniformes, dont le patriotisme resserrent entre eux le lien qui assurerait leur indépendance, si elle n’était de tous les temps consacrée par l’égalité du pouvoir et des suffrages. Le sentiment et la justice ont d’abord fait exprimer aux notables un vœu qui a déjà retenti de la capitale aux extrémités du royaume, celui d’une contribution proportionnelle aux subsides, sans distinction de rangs, d’états et de privilèges parmi les citoyens du même empire. Quel sppctacle , Sire, votre règne va bientôt offrir à notre admiration, à notre reconnaissance! De grands malheurs réparés, la France rétablie dans ses droits, la dette reconnue et consolidée , l’ordre dans les finances pour toujours assuré, le premier souverain du monde abaissant la hautèur de son sceptre devant la sainte majesté des lois; semblable à l’Être suprême qui obéit à l’harmonie de ce mste univers qu’enfanta sa puissance. O ma patrie ! reprends un nouveau lustre sous le meilleur des rois! ranime cette énergie qui t’assure la prééminence sur les autres nations! que l’Assemblée qui se prépare tende sous l’autorité de son auguste chef à perfectionner notre gouvernement sans le changer jamais! Nous verrons les concitoyens que nous aurons choisis apporter dans les délibérations un esprit libre et des intentions pures. Le salut de la France, l’amour du bien public seront les seules passions de nos représentants; tout autre sentiment s’anéantira devant l’intérêt national; et, pour se servir des expressions de nos pères, les États généraux ne seront composés que des députés de la nation et de Français. Ah, Sire! (nous aimons à le présager) que vous serez grand au milieu de la nation assemblée, lorsque dans ses transports elle vous proclamera, comme autrefois le vertueux Louis XII, le père de vos sujets ! Quelles émotions délicieuses pour votre cœur, quand vous entendrez le concert de louanges et d’amour d’un peuple généreux et sensible, qui confondra dans l’objet de son culte le nom sacré de la patrie et celui de son roi ! -Vous recueillerez nos bénédictions, vous jouirez de la sagesse de vos lois, et d’avoir fait renaître la splendeur de la monarchie. Notre bonheur sera votre ouvrage et votre récompense, et nos derniers neveux verront Votre Majesté se présenter avec des titrés aussi augustes à la postérité. » Monsieur de Boisgibault, président de la cour des aides de Paris, a suivi l’exemple de M. Je premier président de la chambre des comptes, en faisant son discours. [lre Série, T. Ier.] Discours de M. de Boisgibault, président de la cour des aides de Paris. « Sire, Votre cour des aides a l’honneur de devoir son existence, tant aux États généraux qu’à la bienfaisance de vos illustres prédécesseurs. Elle a osé la première élever sa voix dans les remontrances qu’elle a eu l’honneur de présenter à Votre Majesté en 1775, et rappeler ces antiques et augustes assemblées. Elle a émis son vœu; toutes les cours, tous les ordres de votre royaume y ont adhéré, et bientôt la convocation des États généraux est devenue le vœu même de Votre Majesté, ainsi que celui de ses sujets. Vous avez, Sire, auprès de votre personne, des sujets également sages, éclairés, dignes de toute votre confiance et de -celle de la nation ; ils reconnaissent, avec Votre Majesté, la nécessité de cette convocation ; et les notables de votre royaume, rassemblés par vos ordres, ont cherché dans les formes anciennes celles qui leur ont paru le mieux convenir aux circonstances actuelles. De quels sentiments patriotiques tous les cœurs ne doivent-ils pas s’enflammer à la vue d’un pareil bienfait! et que ne doit-on pas attendre de leur réunion pour la félicité publique! Votre Majesté va jouir du spectacle attendrissant de voir tous ses fidèles sujets se jeter avec empressement dans le sein d’un maître qu’ils respectent, d’un père qu’ils adorent, d’un roi juste et bienfaisant dont ils se feront un devoir de maintenir l’autorité, en perpétuant la gloire de cet empire. » Ces différents discours prononcés, M. l’évôque de Ghâlon-sur-Saône, élu général des États de Bourgogne, en qualité de premier député du premier pays d’États, s’est levé, a salué Sa Majesté, et prononcé son discours tel qu’il est rapporté ici ; et pendant ce temps tous les députés des pays d’États sont restés debout. Discours de M. l’évêque de Châlon-sur—Saône , élu général des États de Bourgogne. «Sire, Les intentions bienfaisantes que Votre Majesté a daigné faire connaître à cette auguste assemblée sont des titres nouveaux à sâ gloire et à notre reconnaissance. Ce dernier sentiment anime surtout vos provinces des pays d’États, qui sont depuis longtemps en possession de donner au reste du royaume l’exemple du zèle pour le bien public. Si les pays d’États, Sire, sont religieusement attachés à leur antique constitution ; si, lorsqu’on a voulu y donner atteinte, ils n’ont pas craint de porter au pied du trône leurs doléances et leurs réclamations respectueuses, c’est qu’ils connaissaient bien le cœur paternel de Votre Majesté , [Introduction.] 485 c’est qu’ils savaient que le meilleur des rois Veut être encore le plus juste. Mais, Sire, tous les ordres de ces provinces n’en sont pas moins disposés aux plus grands sacrifices, lorsqu’il s’agira de partager également les charges de l’État, de contribuer’ en commun au salut et à la prospérité du royaume, de concourir enfin à la gloire et au bonheur do Votre Majesté. » Ce discours a été suivi par celui de M. le lieutenant civil du Châtelet de Paris, qui a témoigné à Sa Majesté sa gratitude particulière de l’avoir mis au nombre des notables convoqués. Discours de M. le lieutenant civil du Châtelet de Paris. « Sire, Le temps approche où Votre Majesté jouira des satisfactions qu’elle s’est préparées. En rassemblant sa nation, elle s’est assuré l’hommage de sa reconnaissance. Nos maux touchent à leur fin ; l’arbitre de notre bonheur s’est montré sensible à nos justes alarmes. Nous ne lui dirons pas que les ressources de son royaume sont inépuisables; nous le bénirons d’en avoir prévenu le dernier terme. i C’est l’amour de vos sujets, Sire, c’est leur zèle qui est sans mesure. Votre Majesté en recueillera les effets dans cette assemblée patriotique, dont elle s’est plu à concerter le plan avec tant de soin. L’ordre quelle a donné de lui indiquer la forme qui pourrait rendre les États généraux plus utiles à son royaume, est un gage de la liberté qu’elle entend y faire régner. Et cette liberté, en inspirant la confiance, resserrera de plus en plus les liens de fidélité, de respect et de dévouement qui attachent la nation à votre autorité. Les notables, Sire, se sont permis de périétrer plus intimement encore dans l’âme de Votre Majesté. Ils ont remarqué le désir vraiment royal, puisqu’il embrasse tous les sujets, d’établir entre eux, pour la contribution aux charges publiques, une juste égalité. Les princes, animés du même esprit, ont réclamé pour la classe la plus nombreuse des citoyens, dont le sort est encore soumis à des'prin-cipes que le temps a changé en erreurs. Qu’il est heureux pour vos officiers, Sire, de pouvoir annoncer des dispositions si favorables dans les assemblées particulières qui seront tenues 'devant eux ! Sous l’autorité de son roi et la protection de son auguste maison, que ne doit pas attendre, de la part des ordres qüi soutiennent l’État par la doctrine et par la valeur, celui qui renferme le ARCHIVES PARLÉ MENT AIRES . [ire série, T. Ier-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. 486 plus d’infortunes, et qui pourtant par ses travaux régénère presque seul toutes les ressources ! Le succès qui comblera son-attente éternisera, Sire, la prospérité du royaume, et la gloire de Votre Majesté. » Enfin M. ie prévôt des marchands de Paris a été l’interprète des sentiments .des corps municipaux, et les a exprimés dans le discours qui suit, pendant lequel tous les maires se sont tenus debout : Discours de M. le prévôt des marchands de la ville de Paris. « Sire, Rappelées au pied du trône, votre bonne ville de Paris et toutes les autres villes du royaume y ont rapporté les mêmes vœux, le même zèle, le même dévouement pour Votre Majesté. Nous avons cherché, Sire, dans les formes anciennes reçues et consacrées, dans les formes légales et constitutionnelles, dans les formes déjà pratiquées, les moyens les plus prompts, les plus efficaces, les plus sûrs pour que rien ne pût arrêter l’accomplissement du bienfait que Votre Majesté accorde à la nation, ni en retarder l’exécution. Vous trouverez, Sire, dans cette généreuse nation, la plus attachée à ses maîtres, cet excellent esprit qui sait soumettre tous les intérêts, même personnels, qui sait les confondre et les rendre communs pour la félicité publique et la prospérité de votre royaume. C’est à ce but important que vont tendre toutes les affedions, tous les sentiments, tous les efforts de tous les ordres de votre royaume, réunis et confondus dans l’ordre de citoyens, ordre primitif de la nature, de la raison et du devoir. Oui, Sire, vous retrouverez dans cette nation l’esprit de nos pères, cet excellent esprit loyal et franc, cet esprit de dévouement à ses maîtres, qui a toujours caractérisé la nation française ; cet esprit de cœur, s’il m’-est permis de m’exprimer ainsi, bien préférable à ces théories douteuses, si souvent opposées aux faits et à l’expérience, à çes demi-lumières, phare incertain qui nous égare, présent funeste et dangereux quand elles ne sont pas consacrées à l’harmonie sociale et à la félicité publique. Il est de notre devoir, Sire, de recommander à la protection spéciale, aux bontés paternelles de Votre Majesté, la nombreuse famille des villes et des campagnes, dont Votre Majesté s’est si constamment montrée le père depuis son avènement au trône. Elle est jalouse, Sire, de voir son maître, elle est jalouse de reporter-dans ses foyers le tableau des vertus de Votre Majesté, à qui tous ses sujets sont également chers, et qui s’est constamment paontrée le tuteur, le protecteur et l’appui de la portion nombreuse, indigente et faible de ses sujets. C’est dans le cœur de Votre Majesté, Sire, que sont écrits tous leurs droits; c’est votre cœur qui les fera participer, dans les formes et les proportions que Votre Majesté croira les plus propres à leur bonheur, à ceux de l’innombrable famille don t vous êtes le père. C’est en adaptant, Sire, le plus possible les formes constitutionnelles et légales aux circonstances actuelles, que l’on peut espérer d’arriver aux moyens les plus efficaces pour constituer dans des proportions exactes la meilleure représentation de la nation, capable de combiner avec succès tout ce qui peut concourir à sa régénération, à sa splendeur et à la gloire de Votre Majesté. » Le roi a ensuite levé la séance, et est rentré . dans son appartement par le même chemin et dans le même ordre qu’il était arrivé. Le roi, nonobstant sa déclaration du 5 novembre dernier, lue dans la première séance de l’Assemblée, qui ordonne que les rangs que Sa Majesté a voulu y être tenus par les notables ne pourront tirer à conséquence ni préjudicier à leurs droits, - pour ceux qu’ils ont coutume de tenir dans de pareilles séances, ayant daigné permettre que les ' corps, qui croiraient avoir à se plaindre de l’ordre dans lequel ils sont placés dans la liste, en fissent insérer à la fin du présent procès-verbal toutes protestations d’usage, MM. les maréchaux de France, MM. les députés des Etats de Provence et M. le prévôt des marchands de Paris ont remis aux secrétaires-greffiers de l’assemblée les réclamations suivantes. Réclamation de MM. les maréchaux de France. Les maréchaux de France soussignés renouvellent, pour l’Assemblée des notables tenue en 1788, la réclamation qu’ils ont faite lors de l’assemblée des notables tenue en 1787. Ils déclarent persister dans ce que contient ladite réclamation, relativement à la préséance accordée aux pairs sur les maréchaux de France dans les deux assemblées susdites. A Paris ce dix-neuf janvier mil sept cent quatre-vingt-neuf. 8igpé : le maréchal de Contades , le maréchal duc deBroglie, le maréchal duc de Mouehy , le maréchal prince de Beauvau , le maréchal de Castries,le maréchal de Ségur , le maréohal de Staiwille. Réclamation de MM. lés députés des Etats de Provence. Nota. Par cette réclamation ils demandent que leur gouvernement ait rang après celui du Dauphiné et avant celui du Lyonnais. Réclamation de M. le prévôt des marchands de Paris • Nota, Par cetté réclamation le prévôt des marchands ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction,! 487 prince de Conti, Votre Majesté adéclaré aux primées [i«* Série, f. Ier.) allègue qu’en toute occasion ij U été regardé comme le chef du tiers-état; il demande à avoir â l’avenir la préséance sur M. le lieutenant civil. Outre ces réclamations, il en a été fait plusieurs autres dans le troisième bureau? relativement à la présidence accordée par le roi, 'en Fabsence de monseigneur le duc d’Orléans et de M. le duc de Clermont-Tonnerre, à M. le maréchal-duc de Bro-glie, et en l’absence de ce dernier au conseiller d’Etat rapporteur : 1° Par M. le maréchal-duc deBroglie lui-même, auquel la présidence n’est déférée qu’au défaut du pair de France ; 2° Par M. l’archevêque de Bordeaux, qui s’est réserve’ et à son ordre de revendiquer, ainsi que déraison , les honneurs et prérogatives que l'ordre constitutionnel , les lois et ordonnances du royaume et les usages constamment suivis, assurent auclergé dans toutes les assemblées composées des membres réunis des différents ordres ; 3° Far les gentilshommes membres du bureau, par rapport à la présidence éventuelle conférée ah conseiller d’Etat ; 4° Et par M, le président du Parlement de G renoble, au nom des autres magistrats du bureau, tant contre l’ordre de séance qui leur a été assigné, qüe contre l’ordre de la présidence en l’absence du prince du sang, avec déclaration que, par respect pour les volonté s duroi, et pour ne pasretarder l’examen des objets importants que Sa Majesté U daigné confier aux notables , lesdits magistrats n'élèvent aucune contestation , sans que leur adhésion à la décision de Sa Majesté puisse porter aucune atteinte aux droits , honneurs et prérogatives. desdits magistrats. Le roi rentré dans son appartement, Monsieur et monseigneur comte d’Artois en sont ressortis, et y sont ensuite rentrés, marchant à, la tête de MM. les notables qui avaient été avertis par le grand-maître et le maître -des cérémonies de France, qu’après l’assemblée ils seraient admis de nouveau à faire leurs révérences à Sa Majesté. Le roi s’était placé, pour les recevoir, devant la cheminée de son cabinet. A mesure que les princes entraient, ils ge rangeaient à droite et à gauche de Sa Majesté. Les notables dédiaient un à un, sans tenir aucun rang entre eux, et saluaient profondément le roi, en entrant par la chambre de parade, et ressortant par la chambre à coucher de Sa Majesté, le_grand froid ne permettant pas de passer par la galerie; les deux secrétaires-greffiers fermaient la marche, i Mémoire présenté au roi par monseigneur comte d'Artois , M. le prince de Condé , M. le duc de Bourbon , M. lé duc d'Bnghien et M. le prince de Conti. « Lorsque Votre Majesté a défendu aux notables de s’occuper du mémoire que leur avait remis M. le de son sang que, quand ils voudraient lui dire ce qui peut être utile au bien de son service çt de l'Etat, ils pouvaient s'adresser à elle , a Le comte d’Artois, le prince de Qoudé, lu due • de Bourbon, le duc d’Enghien et le prince de Conti croient de leur devoir de répandre à ceftq invitation de Votre Majesté. « C’est en effet aux princes de votre sang qui* par leur rang, sont les premiers de vos sujets* par leur état, vos conseillers-nés, parleurs droits, » intéressés h défendre les vôtres ; c’est A eux sur” tout qu’il appartient de vous dire la vérité, et Us croient vous devoir'également le compte de leurs sentiments et de leurs pensées, « Sire, l’état est en péril ; votre personne est respectée, les . vertus du monarque lui assurent les hommages de la nation; mais, Sire, une révolution se prépare dans les principes du gouvernement ; elle est amenée par la fermentation des esprits, Des institutions réputées sacrées? et par lesquelles cette monarchie a prospéré pendent tant de siècles, sont converties en questions problématiques, ou même décriées comme des injustices. aies écrits qui ont paru pendant l’Assemblée des notables, les mémoires qui ont été remis aux princes soussignés, les demandes formées par diverses provinces, villes ou corps ; l’objet et le style de ces demandes et de ces mémoires : tout annonce, tout prouve un système d’insubordination raisonnée et le mépris des lois de l’Etat. ■< Tout auteur s’érige en législateur; l’éloquence ou l’art d’écrire, même dépourvu d’études, de connaissances et d’expérience, semblent des titres suffisants pour régler la constitution des empires : quiconque avance une proposition hardie* quiconque propose de changer les lois, est sûr d’avoir des lecteurs et des sectateurs, « Tel est le malheureux progrès de cette effervescence, que les opinions qui auraient paru il y a quelque temps les plus répréhensibles paraissent aujourd’hui raisonnables et justes; et ce dont s’indignent aujourd’hui les gens de bien passera dans quelque temps peut-être pour régulier et légitime. Qui peut dire où s’arrêtera? la témérité des opinions ? Les droits du trône entêté mis en question ; les droits des deux ordres de l’État divisent les opinions ; bientôt les droits de la propriété seront attaqués; l’inégalité des fortunes sera présentée comme un objet de réforme ; déjà on a proposé la suppression des droits féodaux, comme l’abolition d’un système d’oppression, reste de la barbarie. « G’est de ce§ nouveaux systèmes, c’est du projet de changer les droits et les lois, qu’est sortie la, prétention qu’ont annoncée quelques corps du tiers-état, d’obtenir pour qet ordre deux suffrages aux États généraux; tandis que chacun des deux 488 / P" Série, T. I».] , premiers ordres continuerait à n’en ayoir qu’un seul. « Les. princes soussignés ne répéteront pas ce qu’ont exposé plusieurs bureaux, l’injustice et le danger d’une innovation dans la composition des États généraux, ou dans la forme de les convoquer ; la foule de prétentions qui en' résulteraient ; la facilité, si les voix étaient comptées par tête et sans distinction d’ordres, de compromettre par la séduction de quelques membres du tiers-état les intérêts de cet ordre mieux défendus dans la constitution actuelle ; la destruction de l’équilibre si sagement établi entre les trois ordres, et de leur indépendance respective. «11 a été exposé à Votre Majesté combien il est important de conserver la seule forme de convocation des États généraux qui soit constitutionnelle, la forme consacrée par les lois et les usages, la distinction des ordres, le droit de délibérer séparément, l’égalité des voix, ces bases inaltérables de la monarchie française. « Gn n’a point dissimulé à Votre Majesté que changer la forme des lettres de convocation pour le tiers-état seul, et appeler aux États généraux deux députés de cet ordre, même en ne leur donnant qu’une voix, comme par le passé, serait un moyen médiat et détourné d’accueillir la prétention du tiers-état, qui, averti par ce premier succès, ne serait jîas disposé à se contenter d’une concession sans objet et sans intérêt réel, tant *que le nombre des députés serait augmenté, sans que le nombre des suffrages fût changé. « Votre Majesté a aussi pu reconnaître que la réunion de deux députés pour former un suffrage peut, par la diversité de leurs opinions, opérer la caducité de leur voix, et que si la voix caduque est réputée négative, suivant l’usage admis dans les différents corps, c’est augmenter les moyens de résistance contre les demandes du gouvernement. « Ces principes ont été développés, et leur démonstration semble portée au dernier degré d’évidence. «11 ne reste aux princes soussignés qu’à y joindre l’expression des sentiments que leur inspire leur attachement à l’État et à Votre Majesté. « Ils ne peuvent dissimuler l’effroi que leur inspireraient pour l’État le succès des prétentions du-tiers état, et les funestes conséquences de la-révolution proposée dans la constitution des États : ils y découvrent un triste avenir ; ils y voient chaque roi changeant, suivant ses vues ou ses affection�, le droit de la nation : un roi superstitieux donnant au clergé plusieurs suffrages; un roi guerrier les prodiguant à la noblesse qui l’aura suivie dans les combats ; le tiers-état qui, dans ce moment, aurait obtenu une supériorité de suffrages, puni de ses succès par ces variations : chaque ordre, suivant le temps, oppresseur ou [Introduction.! opprimé ; la constitution corrompue ou vàcillante ; la nation toujours divisée, et dès lors toujours faible et malheureuse. « Mais il est encore des malheurs plus instants. Dans un royaume où depuis si longtemps il n’a point existé de dissensions civiles, on ne prononce qu’avec regret le nom de scission : il faudrait pourtant s’attendre à cet événement, si les droits des deux premiers ordres éprouvaient quelque altération ; alors l’un de ces ordres, ou tous les deux peut-être, pourraient méconnaître les États généraux, et refuser de confirmer eux-mêmes leur dégradation, en comparaissant à l’Assemblée. « Qui peut douter du moins qu’on ne vît un grand nombre de gentilshommes attaquer la légalité des États généraux, faire des protestations, les faire enregistrer dans les Parlements, les Signifier même à l’assemblée des États? Dès lors, aux yeux d’une partie de la nation, ce qui serait arrêté dans cette Assemblée n’aurait plus la force d’un vœu national ; et quelle confiance n’obtiendraient pas dans l’esprit des peuples des protestations qui tendraient à les dispenser du payement des impôts consentis dans les États ? Ainsi cette Assemblée si désirée et si nécessaire ne serait qu’une source de troubles et de désordre. « Mais, quand même Votre Majesté n’éprouverait aucun obstacle à l’exécution de ses volontés, son âme noble, juste et sensible pourrait-elle se déterminer à sacrifier, à humilier cette brave, antique et respectable noblesse, qui a versé tant de sang pour la patrie et poiir les rois, qui plaça Hugues Capet sur le trône, qui arracha le sceptre de la main des Anglais pour le rendre à Charles VII, et qui sut affermir la couronne sur la tête de l’auteur de la branche régnante ? « En parlant pour la noblesse, les princes de votre sang parlent pour eux-mêmes ; ils ne peuvent oublier qu’ils font partie du corps de la noblesse, qu’ils n’en doivent point être distingués ; que leur premier titre est d’être gentilshommes : Henri IV l’a dit ; ils aiment à répéter les expressions de ses nobles sèntiments. « Que le tiers-état cesse donc d’attaquer les droits des deux premiers ordres ; droits qui, non moins anciens que la monarchie, doivent être aussi inaltérables que sa constitution ; qu’il se borne à solliciter la diminution des impôts dont il peut être surchargé : alors les deux premiers ordres, reconnaissant clans le troisième des citoyens qui leur sont chers, pourront, par la générosité de leurs sentiments, renoncer aux prérogatives qui ont pour objet un intérêt pécuniaire, et consentir à supporter dans la plus parfaite égalité les charges publiques. « Les princes soussignés demandent à donner l’exemple de tous les sacrifices qui pourront contribuer au bien de l’État, et à cimenter l’union des ordres qui le composent. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. } fl*1® Série, T. I*r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] « Que le tiers-état prévoie quel pourrait être, en dernière analyse, le résultat de l’infraction des droits du clergé et de la noblesse, et le fruit de la confusion des ordres. « Par une suite des lois générales qui régissent toutes les constitutions politiques, il faudrait que la monarchie française dégénérât en despotisme, ou devînt une démocratie : deux genres de révolution opposés, mais tous deux funestes. « Contre le despotisme la nation a deux barrières, les intérêts de Votre Majesté et ses principes, et Votre Majesté peut être assurée que de véritables Français se refuseront toujours à l’idée d'un gouvernement inconciliable avec l’étendue de l’État, le nombre de ses habitants, le caractère national et les sentiments innésqui, de tout temps, ont attaché eux et leurs pères à l’idée d’un souverain comme à l’idée d’un bienfaiteur. « Les princes soussignés ne veulent pas porter plus loin ces réflexions ; ils n’ont parlé qu’avec regret des malheurs dont l’État est menacé ; ils s’occuperont avec plus de satisfaction de ses ressources. « Votre Majesté, s’élevant par ses vertus au-dessus des vues ordinaires des souverains jaloux et ambitieux de pouvoir, a fait à ses sujets des concessions qu’ils ne demandaient pas ; elle les a appelés à l’exercice d’un droit dont ils avaient perdu l’usage, et presque le souvenir. Ce grand acte de justice impose à la nation de grandes obligations ; elle ne doit pas refuser de se livrer à un roi qui s’est livré à elle. Les charges de l’État, sanctionnées par la volonté publique, doivent être supportées avec moins de regret ; la puissance royale, plus réglée et conséquemment plus imposante et plus paternelle, doit trouver de zélés défenseurs dans les magistrats, qui dans les temps difficiles ont toujours été les appuis du trône, et qui savent que les droits des rois et de la patrie sont réunis aux yeux des bons citoyens. « Il se montrera encore avec énergie, ce sentiment généreux qui distingua toujours les Français, cet amour pour la personne de leur roi, ce sentiment qui dans les monarchies est un des ressorts du gouvernement, et se confond avec le patriotisme; .cette passion, cet enthousiasme qui parmi nous a produit tant d’actions héroïques et sublimes, tant d’efforts et de sacrifices que n’auraient pu exiger les lois. « Les princes soussignés se plaisent à parler à Votre Majesté le langage du sentiment; il leur semble qu’ils n’en devraient jamais parler un autre à leur souverain. « Sire, tous vos sujets voient en vous un père ; mais il appartient plus particulièrement aux princes de votre sang de vous donner ce titre ; vous en avez témoigné les sentiments à chacun d’eux, et la reconnaissance même leur inspire les instances qu’ils font auprès de Votre Majesté. 489 « Daignez, Sire,. écouler le vœu de vos enfants, dicté par l’intérêt le plus tendre et , le plus respectueux, par le désir de la tranquillité publique et du maintien de la puissance du roi le plus digne d’être aimé et obéi, puisqu’il ne veut que le bonheur de ses sujets. » Signé : Charles-Philippe , Louis-Joseph de Bourbon , Louis-Henri-Joseph de Bourbon , Louis-Àn-toine-Henri de Bourbon , Louis-François-Joseph de Bourbon. Rapport fait au roi dans son conseil, par le mi-' nistre de ses finances, le 27 décembre 1788. Sire, les notables, convoqués par vos ordres, se sont livrés avec application à l’examen des diverses questions sur lesquelles ils avaient été consultés par Votre Majesté, et à mesure qu’ils ont avancé dans leurs recherches, ils ont découvert plusieurs difficultés qu’il était important de résoudre. Leur. travail a donc répandu un grand jour sur divers détails essentiels, et en fixant ainsi beaucoup d’incertitudes, en dissipant plusieurs obscurités embarrassantes, ils ont éclairé la marche de l’administration. Votre Majesté, qui a pris connaissance du procès-verbal des différents bureaux, a pu juger par elle-même de la vérité de ces observations. Elle a vu en même temps que trois questions importantes avaient donné lieu à un partage d’opinion; et, puisque l’une surtout fixe aujourd’hui l’attention et l’intérêt de tout le royaume, il est indispensable de les soumettre 'particulièrement à la décision de Votre Majesté. Les trois questions dont je viens de parler sont celles-ci : 1° Faut-il que le nombre des députés aux États généraux soit le même pour tous les bailliages indistinctement, ou ce nombre doit-il être différent selon l’étendue de leur population ? 2° Faut-il que le nombre des députés du tiers-état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre ne doit-il composer que la troisième partie de l’ensemble ? 3° Chaque ordre doit-il être restreint à ne choisir des députés que dans son ordre ? Sur la première question. La majorité des notables a été d’avis que le nombre des députés devait être le même pour chaque bailliage ; mais plusieurs bureaux paraissent avoir adopté cette opinion, parce qu)on n’avait pas pu mettre lous leurs yeux des connaissances suffisantes sur la population comparative de chaque bailliage. Un travail très-étendu, que la brièveté du temps n’avait pas permis de finir, avait été présenté aux notables dans un état d’imperfection; il est complet actuellement, et je suis persuadé que sous cette nouvelle forme il [4* Sétfê, T. K] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. (Introduction.] m aurait changé le cours dés réflexions de la plu-, part des notables. ütt respect rigoureux pour les formes suivies en 1614 à fixé l’opinion de ceux qui ont pensé que les grands bailliages devaient avoir le même nombre de députés, sans égard à la diversité de leur étendue et de leur population. Cependant il est impossible de douter qu’en 1614 on n’eût fait de plus fortes réclamations contre la, grande inégalité de la représentation entre les provinces, si la force de l’habitude, l’ignorance où l’on était de la population respective du royaume, et quelquefois un défaut d’intérêt pour les objets qpj devaient être traités aux États généraux, n’avaient pas distrait l’attention de ces disparités / mais aujourd’hui que les lumières se sont étendues et perfectionnées, aujourd’hui qu’on est attaché davantage aux règles de l’équité proportionnelle» on exciterait les réclamations de plusieurs provinces, sans en contenter aucune, si l’on consacrait de nouveau des inégalités contraires aux règles les plus communes de la justice. Ces inégalités sont grandes, ainsi qu’on a déjà eu occasion de le faire remarquer. Là sénéchaussée de Poitiers compte 692,810âmes. Le bailliage de Gex. 13,052 Le bailliage de Vermandois. . . . . 774,504 Le bailliage de Dourdan ........ 7,462 Il n’y a qu’une seule opinion dans le royaume sur la nécessité de proportionner, autant qu’il sera possible, le nombre de députés de chaque bail-liage à sa population ; et, puisque l’on peut en 1788 établir cette proportion, d’après des connaissances certaines, il serait évidemment déraisonnable de délaisser ces moyens de justice éclairée, pour suivre servilement l’exemple de 1614. Je ne m’arrêterai pas aux raisonnements trop métaphysiques dont pn s’est servi pour soutenir que les intérêts généraux de la nation seraient aussi bien représentés par les députés d’un petit bailliage que parles députés d’un grand, et qu’ainsi les représentants de ces deux bailliages pouvaient rester en nombre égal sans inconvénient, et jouir ainsi d’uDe influence pareille dans l’assemblée des États généraux. Il suffit, pour faire sentir l’imperfection de ce raisonnement, de le pousser à l’extrême, et de demander si le député d’une paroisse devrait, dans une province, avoir le même suffrage, le même degré d'influence que les représentants de deux ou trois cents communau-tés. Les esprits ne se prêtent point à des distinctions subtiles, quand il est question des plus grafids principes et des plus grands intérêts, Oh peut observer à la vérité que, si dans chaque ordre aux États généraux on opine par bailliage et non par tête, l’ancienne disparité, à laquelle on propose au roi de remédier, subsisterait êgalëmêîlt : ruais tout ce que Votre Majesté peut faire, c’est de mettre les États généraux à portée d’adopter l’une ou Vautre délibération ; d’ailteürs, eu supposant même que les opinions se réglassent par bailliage, les plus considérables d’entre ces districts ayant une grande diversité d’intérêts à faire connaître, il serait encore raisonnable de leur accorder plus de représentants qu’aux bailliages dont l’étendue et la population seraient infiniment moins importantes. Sur la seconde question. Faut-il que le nombre des députés du tiers-état soit égal à celui des deux autres ordres réunis, ou ce nombre doit-il composer simplement la troisième partie de rassemblée? Cette question, la plus importante de toutes, divise en ce moment le royaume. L’intérêt qu’on y attache est peut-être exagéré de part et d’autre, car, puisque L’ancienne constitution ou les anciens usages autorisent les trois ordres à délibérer et voter séparément aux États généraux, le nombre des députés, dans chacun de ces ordres ne paraît-pas une question susceptible du degré de chaleur qu’elle excite. Il serait sans doute à désirer que les ordres se réunissent volontairement dans l'examen de toutes les affaires où leur intérêt est absolument égal et semblable ; mais cette détermination même dépendant dù vœu distinct des trois ordres, c’est de l’amour commun du bien de l’État qu’on doit l’attendre. Quoi qu’il en soit, toute question préliminaire qui peut être considérée sous divers points de vue, et sqmer ainsi la discorde entre les trois ordres de l’État, est, sous ce rapport seul, de la plus grande importance ; et Votre Majesté doit découvrir avec peine qu’elle ne pourra prendre aucun parti sur le nombre des députés du tiers-état, sans mécontenter une partie des trois ordres de la nation, et vos ministres, que l’on aime souvent à juger avec sévérité, ne doivent pas se dissimuler les difficultés qui les attendent ; mais leur devoir n’est pas moins d’exprimer leqrs sentiments avec la plus parfaite vérité, C’était sans doute une grande tâche que d’avoir à présenter aux États généraux l’embarras des affaires et les divers moyens qui pouvaient rétablir les finances : mais avec de l’harmonie, cette tâche s’allégeait à mes yeux, Faut-il , à l’aspect des désunions qui s’élèvent,- commencer à perdre courage? Non, sans doute, ji s’en faut bien; mais il est permis d’ètre péniblement affecté de ces nouveaux obstacles. L’on compte, en faveur de l’opinion qui réduit le nombre des députés du tiers-état à la moitié de représentants des deux autres ordres réunis : 1° La majorité décidée des notables; 2° Une grande partie du clergé et de la noblesse; 3° Le vœu prononcé delà noblesse de Bretagne (dre gérie, T. Ier-] ARCHIVBS PARLEMENTAIRES. (Introdaôtion.J 4» Le sentiment connu de plusieurs magistrats, tant dp conseil du roi que des cours souveraines; 5° Une sorte d’exemple tiré des États de Bretagne, de Bourgogne et d’Artois, assemblée divisée en trois ordres, et où cependant le tiers-état est moins nombreux que la noblesse et le clergé; 6° Enfin plusieurs princes du sang, dont les sentiments se sont manifestés d’une manière positive. On voit, d’un autre côté, en faveur de l’admission du tiers-état dans un nombre égal à celui des deux autres ordres réunis : 1# L’avis de la minorité des notables, entre lesquels on compte plusieurs personnes distinguées par leur rang dans la noblesse et dans le clergé ; 2° L’opinion de plusieurs gentilshommes qui n’étaient pas dans l’Assemblée des notables ; 3° Le vœu des trois ordres du Dauphiné ; 4° La demande formée par diverses commissions ou bureaux intermédiaires des administrations provinciales, demande que ces administrations auraient vraisemblablement appuyée, si elles avaient tenu leurs séances cette année ; 5° L’induction qu’on peut tirer cle l’ancienne constitution des États de Languedoc, et de la formation récente des États de Provence et du Hai-nàut, où le tiers-état est en nombre égal aux deux autres ordres ; 6° Le dernier arrêté du Parlement de Paris, où, sans prononcer sur l’égalité du nombre entre le tiers-état et les deux autres ordres, le Parlement s’explique de la manière suivante : « À l’égard du nombre, celui des députés respectifs n’étant déterminé par aucune loi ni par aucun usage constant pour aucun ordre, il n’a été ni dans le pouvoir ni dans l’intention de la cour d’y suppléer, ladite cour ne pouvant, sur cet objet, que s’en rapporter à la sagesse du roi sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la raison, la liberté, la justice et le vœu général peuvent indiquer; . ' 7° Enfin, et par-dessus tout, les adresses sans nombre des villes et des communes du royaume, et le vœu public de cette vaste partie de vos sujets, connue sous le nom de tiers-état'. Je pourrais ajouter encore ce bruit sourd de l’Europe entière, qui favorise confusément toutes les idées d’équité générale. Après avoir rapproché les autorités pour et contre et les divers appuis de deux opinions si opposées, je rappellerai en peu de mots à Votre Majesté les différents motifs qui peuvent éclairer sa décision, Et d’abord, l’on cite, contre l’admission régulière du tiers-état dans un nombre égal aux deux premiers ordres réunis, l’exemple de 1614 et de plusieurs tenues d’États précédents : les lettres de odnvocation portaient, un de chaque ordre. m Oa représente que, si Votre Majesté se croyait en droit de changer cet ordre de choses, on ne saurait déterminer la mesuré des altérations que le souverain pourrait apporter aux diverses par# Jies constitutives des États généraux. > Votre Majesté, ayant assemblé les notables de son royaume et leur ayant demandé leurs avis, trouverait sûrement une sorte de satisfaction et de convenance à, suivre l’opinion qu’ils ont adop-tée à la grande pluralité des voix; il serait agréa* ble à Votre Majesté de pouvoir donner une marque de déférence à une assemblée composée de personnes recommandables à tant de titres, et qui, en discutant les questions Boumises à leur examen, se sont livrées avec zèle et sincérité à la recherche du -point de décision le plus juste et le plus conforme au bien de l’État. L’on ajoute qu’en ne ménageant pas les droits ou les prétentions des deux premiers ordres, l’on contrarie les anciens principes du gouvernement français, et l’on blesse en quelque manière l’esprit de la monarchie. On peut dire que ces deux premiers ordres sont liés au souverain par leur supériorité même sur le troisième, puisque cette supériorité est maintenue par toutes les gradations d’états dont le monarque est à la fois le conservateur et le dernier terme. On présume que le tiers-état, en mettant un grand intérêt à être égal en nombre aux députés des deux premiers ordres, annonoe le dessein d’amener les États généraux à délibérer en commun. On observé dans un autre sens qu@, si ce genre de délibération devenait convenable en certaines occasions, on rendrait plus incertain l’ assentiment des deux premiers ordres à une pareille disposition, si le nombre des députés âti tiers-état était égal à celui des deux premiers ordres. On demande ce* qu’il faut de plus au tiers-état que l’abolition des privilèges pécuniaires, et l’on annonce cette abolition comme certaine, en citant le vœu formel I cet égard d’un grand nombre de notables dans la noblesse et dans le clergé. On croit que le tiers-état, et alors on l’appelle le peuple, est sauvent inconsidéré dans ses prétentions, et que la première une fois satisfaite, une suite d’autres demandes pourront se succéder et nous approcher insensiblement de la démocratie, On met trop d’impôrtanoe, dit-on quelquefois, aux réclamations du tiers-état i il est considérable en nombre, mais épars et distrait pardiverSift occupations lucratives ; il ne prend aux questions politiques qu’ün intérêt momentané; il a besoin d’être soutenu par des écrits, et il se lasse de la continuation des mêmes débats. Lès deux premiers ; ordres, comme toutes les associations dont l’ê-‘ tendue est circonscrite, sont" au contraire sans 492 cesse éveillés par l’intérêt habituel qui leur est propre; ils ont le temps et la volonté de s’unir, et ils gagnent insensiblement des voix par l’effet de leur crédit et par l’ascendant de leur état dans le monde. On fait des calculs sur le nombre de citoyens qui composent le tiers-état, et l’on resserre ce nombre en séparant de sa cause, ou plutôt de son parti, tous ceux qui, par ignorance ou par misère, ne sont que les serviteurs des riches de tous les états, et se montrent absolument étrangers aux contestations politiques. Pèut-être même que la plupart des hommes de cette dernière classe seraient plus à la suite des seigneurs ecclésiastiques et laïques, avec lesquels ils ont des liens de dépendance, qu’ils ne seraient attachés aux citoyens qui défendent les droits communs de tous les non privilégiés. Les deux premiers ordres, qui n’ont rien à acquérir et qui sont contents de leurs privilèges et de leur état politique, ont moins d’intérêt que le tiers-état à la réunion des trois ordres en États généraux; ainsi, s’ils" n’étaient pas entraînés par un sentiment public, équitable et généreux, ils adopteraient facilement les mesures qui éloigneraient par des oppositions, ou par tout autre moyen, la tenue de ces États. Enfin les deux premiers ordres connaissent mieux que le troisième la cour et ses orages,- et, s’ils le voulaient, ils concerteraient avec plus de sûreté les démarches qui peuvent embarrasser le ministère, fatiguer sa constance, et rendre sa force impuissante. Je crois avoir indiqué les principales considérations qui peuvent favoriser auprès du roi les prétentions contraires à la demande du tiers -état. Je vais parcourir de même en abrégé celles qui doivent en être l’appui; elles fixeront pareillement l’attention de Votre Majesté. On accuse le tiers-état de vouloir empiéter sur les deux premiers ordres, et il ne demande qu’autant de représentants, autant de défenseurs pour les communes soumises à toutes les charges publiques, que pour ïe nombre circonscrit des citoyens qui jouissent de privilèges ou d’exceptions favorables. Il resterait encore aux deux premiers ordres tout l’ascendant qui naît de la supériorité d’état et des diverses grâces dont ils sont les distributeurs, soit par leurs propres moyens, soit par leur crédit à la cour et près des ministres. Cette dernière observation est tellement juste, que, dans les assemblées d’États où les trois ordres délibèrent quelquefois en commun, il est connu par expérience qu’au moment où le tiers-état se sent intimidé par l’opinion de ceux qu’il est dans l’habitude de respecter, il demande à se retirer dans sa chambre, et c’est en s’isolant ainsi qu’il reprend du courage et retrouve ses forces. [Introduction.] Le titre des lettres de convocation de 1614 et des précédentes assemblées nationales est contraire à la demande du tiers-état ; mais les faits y sont favorables, puisqu’en réalité le nombre des députés de cette classe de citoyens a toujours passé la troisième partie du nombre général des députés. \ Au commencement du quatorzième siècle Philippe le Bel, guidé par une vue simplement politique, a pu introduire le tiers-état dans les assemblées nationales ; Votre Majesté, à la fin du dix-huitième siècle , déterminée seulement par un sentiment d’équité, n’aurait-elle pas le droit de satisfaire au vœu général des communes de son royaume en leur accordant un petit nombre de représentants de plus qu’elles n’ont eu à la dernière tenue, époque loin de nous de près de deux siècles? Cet intervalle a apporté de grands changements à toutes choses. Les richesses mobilières et les emprunts du gouvernemenfont associé le tiers-état à la fortune publique ; les connaissances et les lumières sont devenues un patrimoine commun ; les préjugés se sont affaiblis, un sentiment d’équité générale a été noblement soutenu par les personnes qui avaient le plus à gagner au maintien rigoureux de toutes les distinctions. Partout les âmes se sont animées, les esprits se sont exhaussés, et c’est à un pareil essor que la nation doit en partie le renouvellement des États généraux ; il n’eût point eu lieu, ce renouvellement, si, depuis le prince jusqu’aux sujets, un respect absolu pour les derniers usages eût paru la seule loi. L’ancienne délibération par ordre ne pouvant être changée que par le concours des trois ordres et par l’approbation du roi, le nombre des députés du tiers-état n’est jusque-là qu’un moyen de rassembler toutes les connaissances utiles au bien de l’État ; et l’on ne peut contester que cette variété de connaissances appartient surtout à l’ordre du tiers-état, puisqu’il est une multitude d’affaires publiques dont lui seul a l’instruction, telles que les transactions du commerce intérieur et extérieur , l'état des manufactures , les moyens les plus propres à les encourager, le crédit public, l’intérêt et la circulation de l’argent, l’abus des perceptions, celui des privilèges, et tant d’autres parties dont lui seul a l’expérience. La cause du tiers-état aura toujours pour elle l’opinion publique, parce qu’une telle cause se trouve liée aux sentiments généreux, les seuls que l’on peut manifester hautement; ainsi elle sera constamment soutenue, et dans les conversations et dans les écrits, par les hommes animés et capables d’entraîner ceux qui lisent ou qui écoutent. • # Votre Majesté a été touchée de l’amour, de la [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ire Série,. T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. . {Introduction ] confiance, de l’abandon, dont le tiers-état fait profession pour elle dans toutes les supplications des villes et des communes qui lui ont été adressées : Votre Majesté a sans doute d’autres manières de répondre à tant de dévouement que par l’admission des députés du tiers-état aux É tats généraux, dans un nombre plus ou moins étendu ; cependant il est juste, naturel et raisonnable que Votre Majesté prenne en considération particulière l’intérêt qu’une si nombreuse partie de ses sujets attache à la décision de cette question. On dit que, dans l’assemblée des États généraux, les deux premiers ordres examineront la pétition du tiers-état, et que peut-être alors ils y accéderont ; mais si, selon'l’avis de plusieurs publicistes et selon l’arrêté du Parlement de Paris, le nombre respectif des trois ordres opinant séparément peut être légitimement déterminé par le roi, serait-il absolument égal que le tiers-état obtînt de Votre Majesté ou des deux autres ordres de son royaume le succès de ses sollicitations , et peut-il être indifférent à Votre Majesté d’être la première à lui accorder une justice ou un bienfait ? Il est remarquable que le Languedoc, la Provence, le Hainaut, le Dauphiné, enverront nécessairement, selon leurs formes constitutives, autant de députés du tiers-état que des deux premiers ordres. Ces deux ordres n’ont pas fait attention peut-être que dans le tiers-état beaucoup de personnes sont associées en quelque manière aux privilèges de la noblesse : ce sont les habitants des villes connues sous le nom de villes franches , villes en très-grand nombre aujourd’hui, et où la taille n’existe plus, parce qu’elle y a été convertie en des droits sur les consommations, payés également par toutes les classes de citoyens. On peut supposer, contre la vraisemblance, que les trois ordres venant à faire usage réciproquement de leurs droits d’opposition, il y eût une telle inaction dans les délibérations des Étals généraux, que, d’un commun accord et sollicité par l’intérêt public, il désirât des délibérations en commun , fût-ce en obtenant du souverain que leur vœu pour toute innovation exigeât une supériorité quelconque de suffrages. Une telle disposition ou toute autre du même genre, quoique nécessitée par le bien de l’État, serait peqt-être inadmissible ou sans effet, si les représentants des communes ne composaient pas la moitié de la représentation nationale. La déclaration généreuse que viennent de faire les pairs du royaume, si elle entraîne le suffrage de la noblesse et du clergé aux États généraux, assurera à ces deux ordres de l’État des hommages de reconnaissance de la part du tiers-état, et le nombre de ces hommages sera pour eux un tribut d’autant plus glorieux et plus éclatant. Ce-493 pendant, lors même qu’il ne subsisterait aucune. inégalité dans la répartition des impôts, il y aurait encore de la convenance à donner au tiers-état une représentation nombreuse, puisqu’il importerait que la bonté et la sagesse des délibérations des États généraux, que la bonté et la justice du souverain fussent annoncées et expliquées dans tout le royaume par une diversité d’interprètes et dé garants, suffisante pour éclairer et pour affermir la confiance de vingt-quatre millions d’hommes. On place encore ici une réflexion: la défaveur auprès des deux premiers ordres peut perdre facilement un ministre. Les mécontentements du troisième n’ont pas cette puissance, mais ils affaiblissent quelquefois l’amour public pour la . personne du souverain. Enfin le vœu du tiers-état, quand il est unanime, quand il est conforme aux principes généraux d’équité, s’appellera toujours le vœu national ; le temps le consacrera, le jugement de l’Europe l’encouragera, et le souverain ne peut que régler dans sa justice ou avancer dans sa sagesse ce que les circonstances ou les opinions doivent amener d’elles-mêmes. Votre Majesté, qui a lu attentivement tous les écrits remarquables publiés sur la question soumise à son jugement, aura présentes à l’esprit toutes les considérations qui ne lui sont pas rappelées dans ce mémoire. Obligé maintenant, pour obéir à ses ordres, dé donner mon avis avec les autres ministres de Sa Majesté sur l’objet essentiel traité dans ce moment, je dirai donc qu’en mon âme et conscience, et en fidèle serviteur de Votre Majesté, je pense décidément qu’ellepeut et qu’elle doit appeleraux États généraux un nombre de députés du tiers-état égal en nombre aux députés des deux autres ordres réunis, non pour forcer, comme on paraît le craindre, la délibération par tête, mais pour satisfaire le vœu général et raisonnable des communes de son royaume, dès que cela se peut faire sans nuire aux intérêts des deux autres ordres. On a dit que, si les communautés envoyaient d’elles-mêmes un nombre de députés supérieur à celui qui serait déterminé par les lettres de convocation, on n’aurait pas le droit de -s’y opposer. Que signifierait donc l-’autorité du souverain, s’il ne pouvait pas mettre la règle à la place du désordre? car c’en serait un véritable que la pleine liberté laissée au tiers-état de se conformer ou non aux lettres de convocation pour le nombre de ses députés. La noblesse et le clergé, qui ont maintenant fixé leur attention sur la quotité respective du nombre des représentants de chaque ordre, ne manqueraient pas d’excéder-aussi dans leur députation le nombre prescrit ; et, par une rivale imitation, il arriverait peut-être aux États [!«* Série, T.>\] ARCHIVÉS PAflLEMENfAlRES. [Introduction.} 494 généraux use foule de députés (jai produirait le détordre et la eonfüsion, Votre Majesté a des intentions droites, et né veut due la justice envers tons et le bonheur de ses peuples * et ce n’est pas selon la rigueur d’une ancienne forme et d’une forme diversement entendue* diversement interprétée, qu’elle voudra décider d’une question intéressante pour la tranquillité publique. Que l’on ait pris de vaines alarmes, que l’on conçoive de faux ombrages, Votre Majesté les dissipera en se montrant le gardien des droite de tous les ordres de son royaume s elle ne se déterminera dans la question présente que par un sentiment de justifie, et ce même sentiment deviendra le garant de toutes les propriétés, et servira de dêfengeà tous les ordres de l’État. Ce serait faire tort aux sentiments éle-yés de la noblesse* ce serait mal juger de l’esprit de justice et de paix qui appartient au clergé, d’imaginer une résistance de leur part à la décision qüé donnera Votre Majesté sur une question longtemps débattue� et dont le résultat ne doit conduire avec justice à aucune conséquence importante. Proposition. Je crois que le nombre de mille députés oü environ est le plus convenable ; il ne présente pas la crainte d’une trop grande confusion, et en même temps il devient nécessaire pour représenter suffisamment la nation dans une circonstance si grave et si majeure, et oit les plus grands intérêts de l’État pourront être traités. Ce nombre de représentants des trois ordres devrait être réparti entre les grands bailliages, en raison combinée de leur population et de leurs contributions, et en assignant un nombre proportionnel à chaque pays d’États qui est dans l’usage de choisir des députés dans ses propres assemblées. La manière la plus raisonnable de répartir mille députés entre les différents ordres de l’État serait peut-être d’en accorder deux cents à l’ordre du clergé, trois cents à l’ordre de la noblesse, et cinq cents aux communes du royaume; mais comme Votre Majesté, sans le concours des États généraux, ne veut apporter aux anciennes formes que les changements les plus indispensables, On propose à Votre Majesté de ne point s’écarter de la parité établie entre les deux ordres privilégiés, et alors les mille députés qu’elle appellerait aux États générant devraient être composés de deux cént cinquante du clergé, de deux cent cinquante de la noblesse, et de cinq eeftts du tiers-état. On a rendu compte à Votre Majesté des diverses modifications qui pouvaient concilier ce doublement du tiers-état avec une sorte de ménagement pour l’ancienne teneur des lettres dé convocation ; ces lettres appelaient aux États généraux un de chaque Ordre : ainsi on aurait pü maintenir lâ même formule, en répartissattf l’élection de la moitié des députés du tiers-état entre les principales villes du royaume ; mais l’avantage particulier que ces villes obtiendraient deviendrait Urt sujet de jalousie pour toutes celles dont l’importance serait à peu près semblable, et cette fflêmé disposition pourrait encore exciter la réclamation des autres communautés du royaume. Quelques objections naîtraient aussi de ce que, les trois ordres se trouvant réunis et confondus dans les communes des tilles, il faudrait par des règlements nouveaux et particuliers séparer le tiers-état des autres classes de la Société ; et de pareils règlements appliqués à un nombre très-considérable de villes entraîneraient de grands embarras et de grandes longueurs. ’ ' Il était bien naturel et bien digne de la protection que Votre Majesté accorde également à, toüs les ordres de son royaume, de chercher avec attention et avec suite tous les moyens qui pouvaient lui donner l’espérance de concilier leurs diverses prétentions et leurs différents intérêts ; mais, dans lës circonstances où se trouvent les affaires publiques, toute modification nouvelle qui n’aürâit pas été motivée ou par un principe évident de justice, ou par l’expression générale de l’opinion publique, exposerait peut-être à des contradictions difficiles à surmonter. Votre Majesté, en augmentant le nombre des députés du tiers-état aux assemblées nationales, cédera principalement à un sentiment d’équité ; et puisqu’en toutes choses la manière la plus simple est la plus assortie à la dignité royale, c’est sous une telle forme qu’il faut livrer à la-garde du temps une délibération qui sera quelque jour une des époques glorieuses du règne de Vôtre Majesté. On proposerait donc à Votre Majesté d’exprimer ses' intentions dans les lettres de convocation mêmes. On doit observer Cependant que, si Votre Majesté veut accorder une députation particulière au très-petit nombre dé villes qui ont joui de ce privilège en 1614, il faudrait lës astreindre, pour leurs élections, aux dispositions qùi seront suivies dans les bailliages, afin que ie nombre des députés du tiers-état ne pût jamais excéder le nombre des députés des deüX premiers ordres. Sur la troisième question i Chaque ordre doit-il être 'restreint à ne choisir les députés qüe dans son ordre? Les lettres de convocation ayant toujours porté un de chaque ordre, annonçaient par cette expression que les députés choisis par un ordre devaient en faire partie. Cependant le Parlement de Paris, -aux termes de son arrêté du 5 décembre, semble penser qüe la plus parfaite liberté dans l’élection [lr? Série, T, !•*<] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 4$g de chaque ordre est constitutionnelle. U parait donc douteux que, pour la prochaine assemblé© des États généraux, l’on fût en droit de s’opposer à tel usage que chaque ordre pourrait faire de cette liberté; et cette considération doit engager 1© tiers-état à diriger son Choix avec d’autant plus d’attention vers les personnes qui lui paraîtront les plus dignes de sa confiance. La plus grande partie du tiers-état désire que ses députés soient nécessairement pris dans son ordre ; mais, si les électeurs dans quelque bailliage pensaient diffé-remment, et préféraient pour leur représentant un membre de la noblesse, ce serait peut-être aller bien loin que de s’élever contre une pareille nomination* du moment qu’elle serait l’effet d’un choix parfaitement libre. Le tiers-état doit considérer ; Que les nobles choisis par lui pour ses représentants ne pourraient abandonner ses intérêts sans s’avilir ; Qu’il est dans la noblesse plusieurs personnes aussi zélées pour la cause du tiers-état, et aussi habiles à la défendre, que des députés choisis dans ce dernier ordre, Peut-être aussi que, dans le moment où la noblesse et le clergé paraissent véritablement disposés à renoncer aux privilèges pécuniaires dont ils jouissent, il y aurait quelque convenance de la part du tiers-état a ne pas excéder les bornes raisonnables dé là défiance, et à voir ainsi sans regret l’admission de quelques gentilshommes dans sou ordre, si cette admission avait lieu par l’effet d’un choix parfaitement libre. Qn doit ajouter qu’au milieu des mœurs françaises ce mélange, dans un© proportion mesurée, aurait des avantages pour le tiers-état, et serait peut-être le premier principe d’une union d’intérêts si nécessaire. Il est très-possible, à en juger par les dispositions des deux premiers ordres, que la prochaine tenue des États généraux soit la dernière où. le tiers-état-attachera une grande importance à n’avoir que des députés pris dans son. ordre; car, si les privilèges pécuniaires qui séparent les intérêts des diverses classes de la société étaient une fois supprimés, le tiers-état pourrait indifféremment choisir pour représentant un gentilhomme ou un autre citoyen. On ne peut douter qu’à l’époque où la répartition sera égale entre tous les ordres, qu’à l’époque où seront abolies ces dénominations de tributs qui rappellent à chaque instant au tiers-état son infériorité et l’affrontent inutilement, à cette heureuse époque enfin si juste et si désirable, il n’y aura plus qu’un vœu commun entre tous les habitants de la France. Qu’est-ce alors qui pourrait séparer les intérêts du tiers-état des intérêts des deux premiers ordres ? Le tiers-état, comme la noblesse, comme le clergé, comme tous les Franpis, a’a-t+ü pas intérêt à l’ordre des finances, à la modération des charges publie[ueer à la justice des lois civiles et criminelles, à là tram quillité et à la puissance du royaume, au bonheuf et à la gloire du souyerain ? U n’entrera jamais dans l’esprit du tiers-état de chercher à diminuer les prérogatives seigneuriales nu honorifiques qui distinguent les deux premiers ordres, ou dans leurs propriétés ou dans leurs personnes ; il n’est aucun Français qui ne sache que ces prérogatives sont une propriété aussi respectable qu’aucun© autre, que plusieurs tiennent à l’essence de la monarchie, et que jamais Votre Majesté ne per-* mettrait qu’on y portât la plus légère atteinte. Que les ministres de la religion ne voient donc dans le nombre des représentants du tiers-état ,aux États généraux que les représentants, les indicateurs des besoins multipliés d’un grand peuple. Que la noblesse, à l’aspect de ces nombreux députés des communes* se rappelle avec satisfaction et avec gloire qu’elle doit aux vertus et aux exploits de ses anoêtres d’avoir, sur les intérêts généraux de la nation, une influence égale aux députés de tout un royaume. Que ces députés* à leur tour; ne pensent jamais que ce soit par le nombre, ni par aucun moyen de contrainte, mais par la persuasion, par l’éloquence de la vérité, qu’ils peuvent obtenir le redressement des griefs de leurs constituants. Mais très-certainement, Sire, les communes de votre royaume n’ont aucune autre idée, et c’est à votre protection, c’eit à l’appui de votre justice qu’elles se confient principalement. Leurs sentiments sont manifestés d ans les supplications innombrables qu’elles ont adressées à Votre Majesté, et qui contiennent toutes la profession la plus expressive d’un dévouement sans bornes, et à Votre Majesté, et au secours dé l’État. 11 faut croire à ce sentiment national qtfi honore le règne de Votre Majesté, et qui consacre ses vertus et l’amour de ses peuples. Àh J que de toutes parts on veuille enfîfi arriver au port ! qu’on ne rende pas les efforts dé Votre Majesté inutiles par un esprit de discordé, et que chacun fasse un léger sacrifice pour l’amour du bien ! Votre Majesté peut l’attendre avec confiance de l’ordre de son clergé ; c’est à lui d’inspirer partout l’amour de la paix; c’est à lui de croire aux vertus de son roi et d’en pénétrer ceux qui l’écoutent. C’est à l’ordre de la noblesse de ne pas se livrer à des alarmes chimériques, et de soutenir les efforts généreux dë Votre Majesté au moment où elle est uniquement occupée d’assurer le bonheur général, au moment où elt# voudrait appeler tous lés esprits et tous les cœurs à seconder ses vues bienfaisantes. Ah ! Sire, encore un peu de temps, et tout se terminera bien vous ne direz pas toujours, je l’espère, ce que je vous ai entendu prononcer en parlant des affaires publiques : Je n'ai eu, disiez-vous, je n'ai eu, de-puis quelques années, q ue des instants de bonheur ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 496 [ire Série, T. 1er.] touchantes paroles, quand elles sont l’expression d’une âme sincère et des sentiments d’un rôi si digne d’être aimé ! Vous le trouverez ce bonheur, Sire, vous en jouirez ; vous commandez à une nation qui sait aimer et que des nouveautés politiques, auxquelles elle n’est pas encore faite, distraient pour un temps de son caractère naturel; mais, fixée par vos bienfaits et affermie dans sa confiance par la pureté de vos intentions, elle ne pensera plus ensuite qu’à jouir de l’ordre heureux et constant dont elle vous sera redevable.. Elle ne sait pas encore, cette nation reconnaissante; tout ce que vous avez dessein de faire pour son bonheur. Vous l’avez dit, Sire, aux ministres qui sont honorés de votre confiance, non-seulement vous voulez ratifier la promesse que vous avez faite de ne mettre aucun nouvel impôt sans le consentement des États généraux de votre royaume, mais vous voulez encore n’en proroger aucun sans celte condition;' vous voulez de plus assurer le retour successif des États généraux, en les consultant sur l’intervalle qu’il faudrait mettre entre les époques de leur convocation, et en écoutant favorablement les représentations qui vous seront faites pour donner à ces dispositions une stabilité durable. Votre Majesté veut encore prévenir, de la manière la plus efficace, le désordre que l’inconduite ou l’incapacité de ses ministres pourraient introduire dans ses finances. Vous vous proposez, Sire, de concerter avec les États généraux les moyens les plus propres à vous faire atteindre à ce but; et dans ïe nombre des dépenses dont vous assurerez la fixité, vous ne voulez pas même, Sire, distinguer celles qui tiennent plus particulièrement à votre personne. Ah ! que font ces dépenses pour le bonheur ! ai-je entendu dire à Votre Majesté. Et en effet, chacun le sait, Votre Majesté a prescrit elle-même plusieurs réductions très-importantes dans cette partie de ses finances, et elle veut qu’on lui propose encore les économies dont les mêmes objets seront susceptibles. Votre Majesté, portant ses regards sur toutes les dispositions qui peuvent concourir au bonheur public, se-propose aussi d’aller au-devant du vœu bien légitime de ses sujets, en invitant les États généraux à. examiner eux-mêmes la grande question qui s’est élevée sur les lettres de cachet, afin que Votre Majesté, par le concours de leurs -lumières, connaisse parfaitement quelle règle doit être observée dans ' cette partie de l’administration. Vous ne souhaitez, Sire, que le maintien de l’ordre, et vous voulez abandonner à la loi tout ce qu’elle peut exécuter. C’est par le même principe que Votre Majesté est impatiente de recevoir les avis des États généraux sur la mesure de liberté qu’il convient d’accorder à la presse et à la publicité des ouvrages relatifs ’à l’administration, au gouvernement ou à tout autre objet public. Enfin, Sire, vous préférez avec raison, aux conseils passagers de vos ministres, les délibérations durables des États généraux de votre royaume; et quand vous aurez éprouvé leur sagesse, vous ne craindrez point de leur donner une stabilité qui puisse produire de la confiance, et les mettre *à l’abri d’une variation dans les sentiments des rois vos successeurs. Vous avez encore d’autres vues pour le bonheur de vos sujets, ou plutôt, Sire, vous n’avez que cette seule vue sous différentes modifications, et c’est surtout par ce genre de rapport avec vos peuples que votre autorité vous est chère; et comment n’en connaîtriez-vous pas le prix dans ce moment extraordinaire où vous en répandez l’influence, non-seulement pour la félicité des sujets qui vous ont été confiés, mais pour l’avantage encore de toutes les générations futures ? Ce sont vos sentiments, Sire, que j’ai essayé d’exprimer; ils deviennent un nouveau. lien entre Votre Majesté et l’auguste princesse qui partage vos peines et votre gloire ; je n’oublierai jamais qu’elle me disait il y a peu de temps ; « te roi ne se refusera point aux sacrifices qui pourront assurer le bonheur public ; nos enfants penseront de même, s’ils sont sages ; et s’ils ne l’étaient pas, le roi aurait rempli un devoir en leur imposant quelque gêne. » Belles et louables paroles que je priai Sa Majesté avec émotion de me permettre de retenir. Sire, je n’ai point de doute sur la destinée de la France, ni sur sa puissance au-dehors, si, par un juste partage des sentiments qui vous%animent, on s’empresse à faire servir la circonstance actuelle au rétablissement de l’harmonie intérieure, et à la construction d’un édifice inébranlable de prospérité et de bonheur. Vous avez encore, Sire, le grand projet de donner des États provinciaux au sein des États généraux, et de former un lien durable entre l’administration particulière de chaque province et la législation générale. Les députés de chaque partie du royaume concerteront le plan le plus convenable, et Votre Majesté est disposée à y donner son assentiment, si elle le trouve combiné d’une manière sage et propre à faire le bien sans discorde et sans embarras. Votre Majesté une fois contente du zèle et de la marche régulière de ces États, et leurs pouvoirs étant bien définis, rien n’empêcherait Votre Majesté de leur donner des témoignages de confiance fort étendus, et de diminuer, autant qu’il est possible, les détails de l’administration première. Votre Majesté est encore déterminée à appuyer de son autorité tous les projets qui tendront à la plus juste répartition des impôts ; mais, en secon- [î™ Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! dant les dispositions généreuses qui ont été manifestées par les princes, les pairs du royaume, et par les notables du clergé et de la noblesse, Votre Majesté désire cependant que, dansl’examen des droits et des faveurs dont jouissent les ordres privilégiés, on moutre des égards pour celte partie de la noblesse qui cultive elle-même ses champs, et qui souvent, après avoir supporté les fatigues de la-guerre, après avoir servi le roi dans ses armées, vient encore servir l’État, en donnant l’exemple d’une vie simple et laborieuse, et en honorant par ses occupations les travaux de l’agriculture. Je ne rappellerai pas d’une manière plus étendue à Votre Majesté tous les projets qui promettent à ses intentions bienfaisantes un avenir digne de sa sollicitude paternelle et de son amour du bien public. Serait-il possible que des craintes spéculatives, que des raisonnements prématurés vinssent mettre obstacle à celte harmonie, sans laquelle les assemblées nationales ne sont plus propres à seconder l’administration ? Est-ce dans un moment de crise qu’il faut se désunir ? Est-ce au moment où l’incendie a gagné l’édifice qu’il faut perdre du temps en vaines disputes ? Eh quoi ! les Français, qu’on a vus fléchir dans d’autres temps devant la simple parole d’un ministre impérieux, n’auraient-ils de résistance qu’aux tendres efforts d’un roi bienfaisant ? Ah ! que chacun de vous soit tranquille, oserais-je leur dire; le plus droit, le plus intègre des princes environnera de son espritles délibérations des États généraux, et son désir le plus ardent, c’est que la prospérité de l’Etat ne soit due qu’au zèle empressé de tous les ordres du royaume. Toute défiance anticipée serait une véritable injustice. Hélas ! en d’autres temps on se fût approché du trône avec transport pour inscrire dans un registre national les déterminations de Votre Majesté, et pour recevoir d’elle ces gages de bonheur, d’une voix unanime et d’un commun accord. Non, je ne désespère point qu’un pareil sentiment ne renaisse encore, et qu’un nouvel ordre de choses, joint à l’impression des vertus de Votre Majesté, et aux douces et sensibles inclinations des Français, ne triomphe enfin de cet esprit de désunion que de malheureux événements out semé au milieu de nous, mais qui se perdra dans une suite de beaux jours dont il me sera permis de voir l’aurore. Je prie Votre Majesté de me pardonner si je m’abandonne à ces sentiments en lui adressant la parole ; je ne puis mettre de l’ordre dans ces réflexions, au milieu des travaux de tout genre qui me laissent si peu de moments ; mais c’est un guide aussi que le sentiment, et il serait à désirer que dans les grandes circonstances tout le monde le suivît, et qu’on suspendît pour un temps ces combinaisons de l’esprit, ces anticipations exagérées qui égarent si facilement. lre Série, T. Ier. 497 Qu’il me soit permis, après avoir entretenu Votre Majesté d’une question dont la décision est devenue si importante, qu’il me soit permis, après avoir résumé les diverses intentions de Votre Majesté, relatives au plus grand avantage de ses peuples, qu’il me soit permis, dis-je, de m’arrêter un moment sur le bonheur particulier de Votre Majesté. Il faut en convenir, la satisfaction attachée à un pouvoir sans limiles est toute d’imagination, car si le souverain ne doit se proposer que le plus grand avantage de l’État et la plus grande félicité de ses sujets, le sacrifice de quelques-unes de ses prérogatives, pour atteindre à ce double but, est certainement le plus bel usage de sa puissance, et c’est mémo le seul qui ne soit pas susceptible de partage, puisqu’il ne peut émaner que de son propre cœur et de sa propre vertu, tandis que les abus et la plupart des exercices journaliers de l’autorité dérivent le plus souvent de l’ascendant des ministres. Ce sont eux qui, se trouvant presque nuis au milieu d’un ordre constant et invariable, voudraient que tout fût conduit par les volontés instantanées du souverain, bien sûrs d’avoir ainsi une influence proportionnée à la multitude d’intérêts particuliers qui aboutissent à eux, et à la variété des ressorts qu’ils font agir. Mais, si Votre Majesté arrête son attention sur le présent et sur l’avenir, si elle y réfléchit avec ce jugement impartial et modéré qui fait un des caractères remarquables de son esprit, elle verra que dans le plan général-dont elle s’est formé l’idée, elle ne fait qu’assurer simplement l’exécution de la première et de la plus constante de ses volontés, l’accomplissement du bien public ; elle ne fait qu’ajouter à ses vues bienfaisantes des lumières qui ne sont jamais incertaines, lorsqu’elles viennent du résultat des vœux d’une assemblée nationale bien ordonnée , alors Votre Majesté ne sera plus agitée entre les divers systèmes de ses ministres ; elle ne sera plus exposée à revêtir de son autorité une multitude de dispositions dont il est impossible de prévoir toutes les conséquences ; elle ne sera plus entraînée à soutenir les actes de cette même autorité longtemps encore après le moment où elle commence à douter de la perfection des conseils qui lui ont été donnés ; enfin, par une seule application grande et généreuse de la puissance souveraine, par un seul acte d’une confiance éclairée, Votre Majesté, en s’environnant des députés de la nation, se délivrera pour toujours de cette suite d’incertitudes et de balancements, de défiances et de regrets qui doivent faire le malheur d’un prince, tant qu’il demeure sensible au bien de l’État et à l’amour de ses peuples. « Les déterminations que Votre Majesté a prises lui laisseront toutes les grandes fonctions du pouvoir suprême, car les assemblées nationales, sans un guide, sans un protecteur de la justice, sans 32 [l*-e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRE?. [Introduction.] 498 un défenseur des faibles, pourraient elles-mêmes s’égarer ? Et s’il s’établit dans les finances de Votre Majesté un ordre immuable , si la confiance prend l’essor qu’on peut espérer, si toutes les forces de ce grand royaume viennent à se vivifier, Votre Majesté jouira dans ses relations au-dehors d’une augmentation d’ascendant qui appartient encore plus à une puissance réelle et bien ordonnée qu'à une autorité sans règle. Enfin, quand Votre Majesté arrêtera son attention, ou sur elle-même pendant le cours de sa vie, ou sur la royauté pendant la durée des siècles, elle verra que sous l’une et l’autre considération elle a pris le parti le plus conforme à sa sagesse ; Votre Majesté aura le glorieux , l’unique, le salutaire avantage de nommer à l’avance le conseil de ses successeurs, et ce conseil , sera le génie même d’une nation, génie qui ne s’éteint point et qui fait des progrès avec les siècles ; enfin les bienfaits de Votre Majesté s’étendront jusque sur le caractère national, car, en le dirigeant habituellement vers l’amour du bien public, elle appuiera, elle embellira toutes . les qualités morales que ce précieux amour inspire généralement. Enfin, si par des révolutions imprévues , l’édifice élevé par Votre Majesté venait à s’écrouler, si les générations suivantes ne voulaient pas du bonheur que Votre Majesté leur aurait préparé, elle aurait fait encore un acte essentiel de sagesse en calmant, ne fut-ce que pendant son règne, cet esprit de dissension qui s’élève de toutes parts dans son royaume. Cependant, si une différence dans le nombre des députés du tiers-état devenait un sujet ou un prétexte de discorde ; si l’on contestait à Votre Majesté le droit de donner une décision préliminaire, demandée avec tant d’instance par la plus grande partie de ses sujets, et qui conserve en entier les usages constitutifs des États généraux; si .chacun, se livrant à une impatience déraisonnable, ne voulait pas attendre de ces États' généraux eux-mêmes la perfection dont chacun se forme une opinion différente ; si l’on ne voulait faire aucune attention à l’embarras dans lequel se trouve le gouvernement, et au milieu de la fermentation présente, et au milieu de ce combat des usages et de l’équité , des formes et de la raison ; enfin, si chacun, mécontent de ce qui manquerait à ses désirs, non pas pour toujours mais pour l’instant le plus prochain , perdait de vue le bien durable auquel il faut tendre ; si, par des vues particulières, on cherchait à retarder l’assemblée des États généraux , et à lasser l’honorable constance de Votre Majesté, et si votre volonté, Sire, n’était pas suffisante pour vaincre ces obstacles, je détourne mes regards de toutes cesses, je ne puis m’y arrêter, je ne puis y croire : alors cependant quel conseil pourrais-je donner à Votre Majesté? Un seul , et ce serait le dernier, celui de sacrifier à l’instant le ministre qui aurait eu le plus de part à votre délibération. Résultat du conseil d'État du roi, tenu à Versailles le 27 décembre 1788. Le roi ayant entendu le rapport qui a été fait. dans son conseil par le ministre de ses finances , relativement à la convocation prochaine des États généraux, Sa Majesté en a adopté les principes et les vues, et elle a ordonné ce qui suit : 1° Que les députés aux prochains États généraux seront au moins au nombre de mille ; 2° Que ce nombre sera formé, autant qu’il sera possible, en raison composée de la population et des contributions de chaque bailliage ; 3° Que le nombre des députés du tiers-état sera égal à celui des deux autres ordres réunis , et que cette proportion sera établie par les lettres de convocation ; 4° Que ces décisions préliminaires serviront de base aux travaux nécessaires pour préparer sans délai les lettres de convocation, ainsi que les autres dispositions qui doivent les accompagner ; 5° Que le rapport fait à Sa Majesté sera imprimé à la suite du présent résultat. Fait à Versailles, le roi étant en son conseil, le vingt-sept décembre mil sept cent quatre-vingt-huit. Signé LAURENT DE VlLLEDEUIL. Très-humble adresse de remerciment présentée au roi par les six corps de la ville de Paris , à l'occasion du résultat du conseil d’État tenu à Versailles le 27 décembre 1788. Sire, un seul mot de Votre�Majesté a dissipé les ténèbres et les inquiétudes où nous étions plongés. Par une décision émanée du trône, vous venez , Sire, de vous rendre à nos respectueuses pétitions, et de couronner le vœu général des Français. Enfin le tiers-état sera convenablement représenté aux États généraux. Quel plus digne ministre pouvait nous préparer et nous annoncer cette nouvelle loi de justice et de bienfaisance ! Philippe le Bel appela aux États généraux ses fidèles communes : il fut notre premier bienfaiteur. Avec quelles tendresémotionsde reconnaissance ne retentissent pas au fond de nos cœurs les noms chéris de Louis XII et de Henri IV, qui si souvent s’occupèrent de notre bonheur! Vous seul, Sire, vous seul savez affermir ce bonheur sur une base inébranlable ; c’est à vous seul que vos fidèles communes en auront l’éternelle obligation ; et pour vous seul se perpétueront d’âge en âge, comme vos bienfaits, ces transports d’amour, de reconnaissance et d’admiration que vous nous inspirez, et qu’heureuse par 499 [Ire Série, T. !«?.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! vous, partagera notre postérité la plus reculée. Nous connaissions les besoins de l’État. Dans sa détresse, nous ne demandions pas à payer moins d’impôts ; mais, pour mieux payer, pour pouvoir payer plus Longtemps, pour parvenir enfin à l'équilibre des finances, à la libération de la dette publique, et rendre à notre patrie et sa gloire et sa prospérité, nous demandions de n’avoir plus à gémir sur l’inégalité des répartitions ; nous demandions d’être aidés par nos concitoyens des deux ordres privilégiés. Déjà une grande partie de ces deux ordres respectables a noblement souscrit à la justice de nos réclamations , mais vous seul, Sire, pouviez en assurer le succès inébranlable contre les erreurs toujours possibles des intérêts particuliers. Que les deux premiers ordres jouissent donc des honneurs ecclésiastiques et militaires , au moins partagerons-nous avec eux le plus beau de leurs privilèges, celui d’étre également aimés et protégés par Votre Majesté, par le père des Français et le restaurateur de la monarchie. Si nous cherchons, Sire, à les égaler, c’est en patriotisme, c’est en amour pour votre personne sacrée, et en reconnaissance pour vos bienfaits. Ah ! Sire, avec quelle impatience votre bonne ville de Paris n’attendra-t-elle pas le jour heureux où ses mûrs pourront retentir encore des cris d’allégresse en revoyant ses libérateurs ! car nous savons, Sire, avec quelle généreuse sollicitude votre auguste compagne a bien voulu partager vos soins paternels pour le peuple français. Puisse-t-elle ne pas ignorer notre respectueuse reconnaissance ! Tels sont, Sire, les sentiments tendres et respectueux que viennent avec confiance déposer dans votre sein paternel et au pied du trône vos fidèles sujets composant les six corps. De la Frenaye , Moinery , de Bourges , Boulanger , Rigonot , Richard l’aîné, Cheret, BaiUeuil, Testard, Hardy , Fosseau, Marchais. Ce 2 janvier 1789. ‘ SV. Des troubles qui se manifestèrent dans plusieurs provinces vers V époque de la deuxième Assemblée des notables jusqu’à la convocation des États généraux. L’édit que l’on vient de lire produisit la plus vive sensation dans les provinces ; mais , loin de calmer les dissensions qui se manifestaient entre les trois ordres de l’État, elle ne fit qu’en augmenter l’effervescence, en excitant la haine des deux premiers ordres et en encourageant les réclamations du dernier. Les troubles qui, depuisle commencement de l’année 1788, agitaient la Bretagne, la Provence, le Dauphiné, l’Anjou, etc., se prolongèrent jusqu’à la fin de la tenue des assemblées de bailliages pour la nomination des États généraux. L’opposition des Parlements aux ordres de la cour fut la première étincelle de cetté effervescence ; bientôt réintégrés dans leurs prérogatives, ils se montrèrent, comme membres des États provinciaux, les plus ardents adversaires des principes patriotiques qu’ils avaient eux-mêmes proclamés lorsqu’ils les croyaient coa-formes à leurs intérêts. La lutte changea alors d’objet : le tiers-état ne défendit plus que ses propres droits contre les prétentions des Parlements et des ordres privilégiés; il forma des assemblées, et, se défiaat des promesses de la couir, il voulait à son tour se rendre redoutable. Les récits suivants, tirés des procès-verbaux des assemblées de quelques-unes de ces provinces, et des journaux les plus accrédités du temps, donneront une idée du caractère de ces mouvements, et de l’esprit qui animait alors les divers ordres de l’État. PRÉCIS HISTORIQUE DE CE QUI S’EST PASSÉ A RENNES depuis l’arrivée de m. le comte de thiard, COMMANDANT EN BRETAGNE. Protestation et arrêté du Parlement de Bretagne du lundi 5 mai 1788. La cour , les chambres assemblées , considé-rant que les magistrats, chargés de veiller à la conservation des lois, doivent, non-seulement opposer une résistance ferme et respectueuse à tous les actes du pouvoir absolu qui tendraient à altérer ce dépôt sacré , mais aussi les prévoir et en prévenir les suites , également contraires à l’intérêt du monarque et à celui de ses sujets ; Que, dans les circonstances actuelles , la voix publique annonce les mêmes malheurs dans toutes les parties de la France, la subversion des lois, l’anéantissement de la magistrature, le renversement de la constitution monarchique, l’exécution enfin des projets enfantés par le despotisme ministériel ; Considérant que lès magistrats ont eu la douleur de voir se multiplier, dans le cours d’une année, les actes par lesquels les lois ont été violées, des cours souveraines persécutées , le premier prince du sang, des magistrats, des citoyens de tous les ordres, punis sans accusation et sans jugement ; Considérant encore que leurs représentations sont demeurées inutiles, qu’on leur a contesté jusqu’au droit d’en faire, que la vérité n’a pu dissiper les nuages rassemblés autour du trône par l’ambition et par l’intrigue, qu’on doit par conséquent s’attendre à tous les événements que peut produire la conjuration qui s’est formée contre les lois ; Que, dans des circonstances aussi critiques, la vigilance des magistrats serait nulle s’ils attendaient dans l’inaction ce que le passé peut faire craindre pour l’avenir; qu’ils se rendraient par flre Série, T. 1«] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} 500 là,, en quelque sorte, participants aux attentats que méditent ceux qui, sous prétexte de maintenir l’autorité royale, ne cherchent qu’à substituer la leur à l’autorité des lois ; que ce serait même manquer à la confiance qu’inspirent les vertus personnelles du seigneur roi, et désespérer en quelque sorte de sa justice, qui sera tôt ou tard éclairée ; Considérant enfin que les ordres arbitraires surpris à la religion dudit seigneur roi, et consignés dans les lettres closes auxquelles les lois du royaume défendent si expressément d’obéir lorsqu’il s’agit du fait de la justice, sont le plus grand moyen employé pour enchaîner les suffrages, détruire la liberté des délibérations , en arrêter les effets, en divisant et séparant les parties intégrantes des corps ; , Que la crainte, ce mobile des seuls gouvernements despotiques, ne peut être substituée dans une monarchie à l’amour du devoir, qui dicte les opinions , à la conscience , qui ne permet pas de s’écarter de son devoir, et à l’honneur, au véritable honneur , qui s’accorde avec l’un et l’autre : Par toutes ces considérations, la cour a déclaré protester contre toute loi nouvelle qui pourrait porter atteinte aux lois constitutives du royaume, aux droits de la nation française, aux droits, franchises et libertés de la province de Bretagne en particulier ; contre toute loi qui pourrait tendre à détruire, intervertir, changer ou modifier, soit au fond, soit dans la forme, l’administration de la justice dans le royaume, ou dans la province de Bretagne : déclarant ladite cour que de pareils changements, intéressant essentiellement la constitution , ne pourraient être admis dans le royaume qu’après avoir été consentis par les États généraux; et dans le ressort de la cour qu’après avoir été consentis par les États de Bretagne. Proteste ladite cour contre' toute atteinte qui pourrait être portée aux droits de la magistrature, essentiellement liés aux droits de la nation, contre toute transcription qui pourrait être faite sur ses registres, et qui n’aurait pas été précédée d’une délibération libre, déclarant ladite cour qu’elle n’entend prendre aucune part à de semblables transcriptions, et qu’elle les tient pour nulles et incapables de produire aucun effet. A arrêté qu’au cas où quelqu’un des présidents, conseillers, avocats et procureurs généraux, greffiers ou autres officiers d’icelle, reçût des ordres particuliers relatifs à ses fonctions, il sera tenu de les apporter sur le bureau, pour, sur le vu desdits ordres, être statué par la cour ainsi qu’il appartiendra. Fait en Parlement, toutes les chambres assemblées, , à Rennes, le 5 mai 1788. — Signé Buret. Ce jour 5 mai 1788, les chambres assemblées, l’huissier de service est venu avertir que le procureur général-syndic des États, accompagné d’un très-grand nombre de membres de la noblesse, demandait l’entrée de la cour : sur quoi délibéré, la cour a arrêté à l’unanimité que l’entré d’icelle leur serait sur-le-champ accordée, et iceux entrés, le procureur général-syndic s’est placé au banc des rapporteurs, entouré de tous les gentilshommes qui sont venus avec lui ; ledit procureur 'général-syndic, assis et couvert, a prononcé un discours et donné lecture : 1° De la protestation et opposition du procureur général-syndic des États, à l’enregistrement, vérification, etc. ; 2° Des délibérations du matin de ce jour, prises par MM. les commissaires intermédiaires, approbatives de ladite protestation et opposition, Desquelles pièces la teneur suit : Protestation du procureur général-syndic des États de Bretagne. Lorsqu’une alarme, universellement répandue, a jeté la consternation dans toutes les parties du royaume, que les coups de l’autorité surprise se multiplient de la manière la plus effrayante, qu’ils frappent sur les citoyens de tous les ordres ; lorsque la magistrature est peut-être sur le point de se voir la victime de son inviolable attachement aux lois ; que des ordres imprévus et précipités font descendre tout à coup et au même instant des commissaires du roi dans toutes les provinces ; que la voix publique nous apprend que la France entière est menacée des plus grands malheurs ; lorsque tout, jusqu’au mystère impénétrable dont ou s’enveloppe, annonce les projets les plus désastreux, une opération destructive des formes constitutionnelles et des lois fondamentales de la monarchie, en général, et en particulier des droits, franchises et libertés de cette province, auxquels est essentiellement liée la constitution de la magistrature ; lorsque enfin les ennemis de la chose publique et des véritables intérêts du roi semblent avoir formé le dessein funeste de rompre le lien réciproque et sacré qui unit le souverain aux peuples, comme les peuples au souverain, nous nous montrerions indigne de la confiance de la nation, qui se repose sur notre vigilance et notre zèle, nous trahirions le plus cher et le plus essentiel de nos devoirs, nous serions absolument insensible au cri du patriotisme et de l’honneur , si , dans une pareille extrémité, nous ne nous empressions pas de réclamer, d’une manière authentique et solennelle, contre toute atteinte qui serait portée à la constitution nationale. Spécialement chargé par les gens des trois états de veiller à la conservation des constitutions de la province , consignées dans les anciens contrats ; ses franchises et libertés conservées par tous ceux [1«> Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] passés avec MM. les commissaires du roi , en chaque tenue ; à ce qu'il ne soit introduit aucune loi nouvelle qui y soit contraire , et de nous opposer en conséquence à ce qu'il soit enregistré , dans les cours souveraines de la province, aucuns édits , déclarations du roi ou lettres patentes, qui attaqueraient les droits de cette province ; et surtout à ce qu'il ne se fasse aucune levée de deniers, non consentie par les états ; chargé enfin de nous opposer, partout où besoin sera, atout ce qui serait contraire aux droits, franchises et libertés de la province, auquel cas nous sommes autorisé a nous adresser directement aux chambres assemblées du Parlement, Nous déclarons réclamer formellement l’exécution du contrat de mariage du roi Louis XII et de la duchesse Anne, qui porte expressément (art. Iev) : En tant que touche de garder et conduire le pays de Bretagne et sujets d’icelui en leurs droits, libertés, franchises, usages, coutumes et styles, tant au fait de l’église, de Injustice, comme chancellerie, conseil, Parlement, chambre des comptes, trésorier, généralités et autres, aussi de la noblesse et commun peuple , en manière qu’aucune nouvelle loi ou constitution n’y soit faite, fors en la manière accoutumée par les rois et ducs prédécesseurs de no - tredite cousine la duchesse de Bretagne ; que nous voulons, entendons et promettons garder et entretenir ésdits pays et sujets de Bretagne en leursdits droits et libertés, ainsi qu'ils en ont joui du temps des feus ducs et prédécesseurs de notre cousine. (Art. VI.) En tant que touche que, s'il avenait que bonne raison, il y eût quelque cause de faire mutation particulière, en augmentant, diminuant , ou interprétant lesdits droits, coutumes , constitutions ou établissements que ce soit, par le Parlement et assemblée des Etats dudit pays, ainsi que de tout temps est accoutumé, et qu'autrement ne soit fait : nous voulons et entendons qu‘ ainsi se fasse, appelés toutefois les gens des trois états du pays de Bretagne. Déclarons également réclamer l’exécution du titre qui garantit au monarque l’obéissance et la lidélité d’une province singulièrement distinguée par son amour pour ses souverains, comme il lui garantit à elle-même la jouissance et conservation de ses droits, franchises et libertés. Le contrat d’union passé entre les États et le roi François Ier, présent et stipulant, tant en son nom qu’au nom de son fils le dauphin de France, par lequel unissant et joignant ledit pays et duché de Bretagne avec le royaume et couronne de France perpétuellement, de sorte qu'ils ne puissent être séparés, ni tomber en diverses mains, pour quelque cause que ce puisse être, le roi déclare vouloir et lui plaire que les droits et privilèges que ceux dudit pays et duché ont eus par ci-devant et ont de présent, leur soient gardés et observés inviolablement, ainsi par là forme et manière qu'ils ont été gardés jusqu'à présent, sans y rien changer ni innover , m dont il ordontie lettres patentes, en forme de Chartres, leur être expédiées et délivrées. Réclamons pareillement l’exécution des contrats renouvelés à chaque assemblée des États, et notamment à la-dernière assise, entre lesdits États et commissaires de Sa Majesté, lesquels contrats approuvés et ratifiés par les rois nos souverains. (Art. XX.) Accordent que tous les droits, franchises et libertés de la province soient conservés. (Art. XXI.) Qu’il ne sera rien changé au nombre, qualité, fonctions et exercices des officiers de la province, qu’il ne sera fait aucune création d'officiers, ni de nouvelles juridictions, (Art. XXII.) Qu’aucuns édits, déclarations, commissions et arrêts du conseil, et généralement toutes lettres patentes et brevets contraires aux privilèges de la province, n'auront aucun effet, s'ils n'ont été consentis par les États et vérifiés par les cours souveraines de la province, quoiqu'ils soient faits pour le général du royaume, et que, dans le cas même où les cours souveraines de la province eussent, registré ou vérifié aucuns édits sans le consentement exprès des Etats, ils n’auront aucun effet ni exécution dans la province. Réclamons enfin l’exécution de toutes les ordonnances, édits, déclarations, lettres patentes, confirmatifs et approbatifs des droits, franchises et libertés de la Bretagne. • En conséquence de titres aussi solennels et aussi sacrés : Nous, messire René-Jean de Botherel, procureur général-syndic des États de Bretagne, pour l’intérêt de l’État, du monarque, de ses successeurs, pour l’intérêt des sujets du pays et duché de Bretagne, pour l’intérêt de la magistrature et de tous les tribunaux de justice, à l’égard desquels il ne peut être fait aucun changement dans la province que suivant les formes légales, et du consentement des États, protestons contre tous ordres, édits, déclarations, ordonnances, lettres patentes, lettres closes, lettres de jussion, commissions, brevets, arrêt du conseil ; contre la transcription qui pourrait en être faite sur les registres du Parlement ou des autres cours ou tribunaux de la province ; et généraleme'nt contre tous actes, toute entreprise qui blesseraient les droits, franchises et libertés du pays et duché de Bretagne. Requérons, au surplus, qu’il nous soit décerné un acte du dépôt, par nous fait en la cour de la présente protestation, pour valoir et servir d’opposition formelle à l'enregistrement, vérification, transcription et exécution de tous édits, déclarations, lettres ou autres actes qui, sous quelque forme et dénomination que ce soit, pourraient être contraires aux droits de la province, sans que préalablement ils aient été vus, délibérés et consentis par les États. Rennes, le 5 mai 1788. Signé De Botherel. 502 [!«• Série, T. !«**.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] EXTRAIT DES REGISTRES DES DÉLIBÉRATIONS DE LA COMMISSION INTERMÉDIAIRE. Du lundi 5 mai 1788. La commission s’étant assemblée extraordinairement, M. de Botherel, procureur général-syndic des États, a dit que l’arrivée imprévue des commissaires du roi et l’alarme publique annonçant des ordres funestes à la province et à la magistrature, il est de son devoir de s’opposer, au nom des Etats, à tout ce qui pourrait être fait de contraire aux droits, franchises et libertés de la province, ainsi que de la magistrature, et de faire toutes protestations à cet égard ; qu’il se propose de demander en conséquence l’entrée au Parlement, chambres assemblées, et il a donné lecture desdites oppositions et protestations. Sur quoi délibéré : Considérant que toute atteinte, qui serait portée à la magistrature, intéresserait la province, entière et la sûreté publique et particulière ; qu’elle serait une infraction manifeste dés titres solennels qui garantissent aux différents ordres et aux tribunaux le maintien de leurs droits, privilèges et constitutions ; que lesdites opposition et protestation sont conformes aux charges de M. le procureur général-syndic et au vœu des États, qui, dans tous les temps, ont donné les preuves les plus éclatantes de leur attachement inviolable aux lois, sur lesquelles repose Ja sûreté publique ; La commission, applaudissant au zèle de M. le procureur général-syndic, lui a donné acte de la représentation desdiles opposition et protestation. Elle a arrêté de le remercier deJsa surveillance, et désirant témoigner au Parlement l’intérêt que les États ne cesseront de prendre à des magistrats qui, dans toutes les circonstances, ont sacrifié au bien général leur intérêt particulier, et dont les sentiments et la conduite (approuvée particulièrement par Sa Majesté, lors de son avènement au trône) ont mérité le suffrage public, la commission a arrêté qu’une expédition de la présente délibération sera remise à M. le procureur général-syndic. La minute signée F. évêque , de Rennes, Vabbé de la Biochaye , Vabbé de Fajole , Vabbé Le Maître , Vabbé de La Villedeneu, Vabbé de Lacroix ; d'Es-tulays , Geslin de Trémargat , de la Chevière, Hay de Kcrenraix , Martin de Montaudry , le chevalier de Thalouët , Borie , Bouvier -Destouches , de Nouail de la Houssaye, Loncle de la Coudraye, Le Mercier. Et pour expédition conforme auxdits registres, Signé Chardel. Extrait des registres des délibérations de la commission des Etats pour la navigation. Ce jour 5 mai 1788, aux cinq heures de relevée, messire de Botherel, procureur général-syndic des États de Bretagne, entré à la commission, à la séance ordinaire de ce jour, a dit qu’ayant été instruit que l’arrivée du commandant de la province et du commissaire départi dans cette ville pourrait avoir pour objet de faire éclater des actes d’autorité qui tendraient à ébranler la constitution de la province, le devoir de sa place, consigné dans les charges expresses qu’il a reçues des États, l’aurait porté à former au Parlement, au nom des États, conformément aux lois fondamentales de la province, toutes protestations et oppositions, permises à bons et loyaux sujets, contre tout ce qui pourrait porter atteinte à la constitution du pays dans ses formes, ses lois et la magistrature ; qu’il en a conféré le matin de ce jour avec les commissaires de la commission intermédiaire des États, et n’a pu en référer à celle de la navigation, avant son entrée à la cour, l’après-midi de ce jour ; qu’il y a déposé ses opposition et protestation, et donné lecture de la délibération des commissaires intermédiaires ; que le Parlement lui a décerné acte du tout ; que, non moins jaloux du suffrage de la commission nommée par les États, pour la direction des ouvrages publics de la navigation, il s’empresse de profiter du premier moment libre dont il peut disposer, pour faire part de ses démarches, persuadé que tous les corps, honorés d’une portion du pouvoir des États, donneront, par leurs suffrages et leurs délibérations, un plus grand poids à des réclamations qui de sa part n’ont pour objet que la plus grande gloire du roi, inséparable du bonheur de ses peuples; ledit sieur procureur général-syndic a en conséquence donné lecture de l’acte de protestation et opposition par lui rédigé, et l’ayant laissé sur le bureau, la matière mise en délibération, la commission considérant qu’aucune loi nouvelle, tendante à innovation dans l’état de la province, ne peut avoir lieu et effet qu’après délibération des États du pays et duché de Bretagne ; que tout acte d’autorité qui tendrait à détruire ce droit national serait l’atteinte la plus dangereuse à leurs droits, franchises et libertés ; que les lois, qui garantissent les droits et les propriétés de la nation, sont dans leur exécution inviolablement sous la sauvegarde des magistrats ; que l’arrivée imprévue du commandant cause une alarme générale, qui pourrait troubler la tranquillité publique et contrarier le vœu de Sa Majesté pour le bonheur de ses peuples, ne peut qu’applaudir à l’empressement de TM. le procureur général-syndic de suivre la marche ferme et respectueuse qui lui est prescrite par les lois de la province, et les charges consignées dans le cahier des États. La commission, rendant justice au zèle de M. le procureur général-syndic, et aux démarches que lui inspire son attachement aux droits de la province, lui décerne acte de son rapport. Jalouse [ire Série, T. I«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.] de témoigner au Parlement une union dans la règle des lois qui constituent la force et la sécurité publique ; également jalouse de partager l’intérêt général auquel il a tant de droits par son dévouement constant au bonheur de la nation, a arrêté d'inviter M. le procureur général-syndic à demander au Parlement que l’expédition, qui lui sera remise de la présente délibération, soit jointe à la délibération prise le matin de ce jour par la commission intermédiaire, et à la requête qu’il a présentée en opposition. La minute signée F. évêque de Rennes , l'abbé Goyon , l'abbé de Roumilly , l'abbé de Boisteilleul, l'abbé de Noday , l'abbé de Fénieux de Coniac , Ouffroy , le chevalier de Kervegan ; Borie , Drouin , Robinet , Obelin du Kergal. Pour copie conforme aux registres, Signé Paviot. Le procureur général-syndic ayant cessé de parler, M. du Merdy de Gatuélan, premier président, lui a témoigné, au nom de la compagnie, sa vive sensibilité à l’intérêt et à l’affection dont MM. les commissaires intermédiaires, M. le procureur général-syndic, et les membres de la noblesse qui l’accompagnent, lui donnent en ce moment une preuve éclatante, en lui protestant que la compagnie, pénétrée des mêmes sentiments d’amour, de soumission, de fidélité au roi, qui animent le corps respectable dont ils sont membres, concourraient toujours avec le même courage et la même fermeté au maintien des lois fondamentales de l’État, des droits, franchises et libertés de la province, et à la conservation des vrais principes. Eux retirés : sur ce délibéré, la cour ordonne que lesdites pièces laissées par le procureur général-syndic sur le bureau seront communiquées au procureur général du roi, pour être par lui pris conclusions sur-le-champ. Les gens du roi entrés et retirés, la cour a rédigé le présent procès-verbal ; les conclusions des gens du roi rapportées sur le bureau. La cour délibérant sur le tout, a décerné acte, audit procureur général syndic des États, du dépôt par lui fait sur le bureau de l’acte de protestation et opposition, et de la déclaration y jointe, et signée des commissaires intermédiaires des États de cette province : ordonne qu’elles seront enregistrées au greffe civil de la cour, et que les minutes d’icelles demeureront déposées au greffe. Ordonne qu’une expédition du présent arrêt sera remise dans le jour par le greffier en chef au procureur général-syndic des États. Discours de la noblesse à M. le comte de Thiard , prononcé le lundi 5 mai 1888. Nous vous remettons, Monsieur, la protestation que le procureur général-syndic des États de Bretagne a déposée au Parlement. Elle exprime le vœu , 503 de la noblesse. Nous ne doutons pas, Monsieur, que si Sa Majesté en était instruite, elle ne retirât les ordres rigoureux que les ennemis de sa gloire et de la nation ont osé lui surprendre, et qu’un vrai serviteur du roi ne saurait exécuter. Arrêté du Parlement de Bretagne , chambres assemblées, du mercredi 7 mai 1788. La cour , chambres assemblées , considérant qu’elle est de plus en plus menacée des coups d'autorité qui ont été l’objet de l'arrêté du 5 de ce mois, par lequel elle a déclaré nul et illégal tout ce qui pourrait être fait de contraire à la liberté de l’enregistrement ; Qu’elle peut craindre, après les transcriptions illégales quelle a prévues, de se trouver privée de la liberté nécessaire pour réclamer l’exécution de la loi ; Que ses registres peuvent être violés ; qu’on peut en effacer les traces de sa protestation ; qu’aucuns édits et déclarations, transcrits d’autorité sur ses registres, peuvent être ensuite envoyés dans les tribunaux-du ressort, et induire les juges en erreur sur la validité des enregistrements -, Que les magistrats doivent compte au roi et à la nation des démarches qu’ils sont obligés de faire pour le maintien des lois qui assurent la stabilité du trône et de la constitution : Par toutes ces considérations, la cour, en déclarant d’avance et derechef nul et illégal tout ce qui pourrait être fait sans délibération et vérification libre, a ordonné et ordonne que ledit arrêté du 5 de ce mois, ensemble le présent, seront, à la diligence du procureur général du roi, imprimés dans les vingt-quatre heures, et envoyés dans tous les sièges du ressort; enjoint audit procureur général du roi d’en certifier la cour vendredi 9 de ce mois. Signé BüRET. Du mercredi 7 mai 1788. Ce jour, chambres assemblées , messire du Merdy de Gatuélan, premier président, a dit que plusieurs corps de la ville étaient venus lui demander l’entrée de la cour, pour lui témoigner leur extrême sensibilité aux circonstances critiques dans lesquelles elle se trouve : Sur quoi délibéré, A été arrêté que l’entrée de la cour leur sera accordée, et que l’ordre dans lequel ils seront admis ne pourra être tiré à conséquence, ni préjudicier aux droits, privilèges et préséance de chacun desdits corps. (Suivent les protestations des différents corps et leurs discours .) il a été répondu à chacun desdits corps par messire du Merdy de Catuélan, premier président. Les différents corps s’étant retirés, la cour a [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 504 ordonné que les discours et protestations déposées sur le bureau, seront sur-le-chatrfp montrés au procureur général du roi. Ses conclusions vues, la cour a décerné acte du dépôt que Les différents corps de la ville ont fait sur le bureau de leurs discours et protestations ; ordonne qu’ils seront déposés et inscrits sur les registres de la cour. Extrait des registres des délibérations de la com • pagnie du présidial de Rennes , du 6 mai 1788. La compagnie, assemblée extraordinairement et en la manière accoutumée, un de Messieurs a dit qu’il se répandait dans le public des bruits tendants à faire croire que le Parlement ne fut exposé à des coups d’autorité, aussi contraires à sa constitution légale qu’opposés au bonheur du peuple ; que les sentiments de la compagnie lui sont trop connus pour n’être pas persuadé qu’étant instruite de la consternation générale elle ne s’empresse de porter au Parlement les témoignages de vénération, d’attachement et d’intérêt dont elle est pénétrée pour tous les magistrats qui le composent. Sur quoi délibérant, a été arrêté de mander 4 la chambre les gens du roi. René-François Drouin, conseiller procureur du roi en la sénéchaussée et siège présidial de Rennes, entré à la chambre, en conséquence de l’arrêté ci-dessus, a dit : « Messieurs, « Des bruits alarmants se sont répandus dans toute la France, et surtout en Bretagne ; la consternation est générale ; le premier ordre de la magistrature paraît menacé; au lieu de décerner aux magistrats les couronnes civiques qu’ils ont méritées, en défendant généreusement nos personnes et nos biens, peut-être a-t-on réussi à surprendre la religion du prince, au point de les priver de ses bonnes grâces. « L’entrée imprévue des commissaires du roi dans cette ville, leur ignorance sur l’objet de leur mission, l’arrivée subite d’un courrier extraordinaire chargé de paquets, le secret gardé sur la nature des ordres qu’il a apportés ; la certitude seulement d’une séance de porteurs d’ordres dans le temple de la justice, c’est-à-dire la crainte fondée de voir s’y renouveler ces actes désastreux de pouvoir absolu, où la force écarte la loi, réduit ses ministres au silence, enchaîne la liberté des dépositaires de notre constitution et de nos intérêts les plus précieux, accable tous nos concitoyens ; des inquiétudes les plus vives présagent les événements les plus malheureux, et obligent de les regarder comme très-prochains. « La chos§ publique est en péril, n’en doutons point ; ce ne sont plus ces bruits accrédités seulement parmi le peuple qui vous inspirent des alarmes, les ordres les plus distingués de l’État les partagent avec vous ; la démarche solennelle que l’amour de la patrie, le zèle du bien public et la vigilance des dépositaires de sa confiance leur ont dictée pour le maintien des droits, franchises et libertés de la Bretagne, ne permet plus de douter de l’importance des événements qui menacent cette province, et qu’ils ne soient dirigés principalement contre sa première cour de justice. « Dans cette circonstance majeure et déplorable, il est de mon .devoir de faire éclater et de proclamer les sentiments respectueux et inviolables de mon amour et de mon attachement pour des magistrats dépositaires de mes serments, conservateurs de l’ordre de juridiction , si sagement établi pour le bonheur des peuples, par les constitutions des pays et duché de Bretagne. Les mêmes sentiments vous animent, Messieurs, ils vous ont toujours distingués, et vous leur devez les témoignages de bienveillance que vous avez reçus du Parlement ; devenez les organes du peuple auprès de ses vrais protecteurs; exprimez non-seulement les vœux de notre compagnie, mais encore ceux de toutes les juridictions auxquelles Sa Majesté a confié le premier degré de l'administration de la justice. « Attaquer le Parlement c’est violer le contrat d’union. Accordent, nosseigneurs les commissaires , porte l’article XXIII, qu’il ne soit rien changé aux nombre , qualités , fonctions et exercice des officiers de la province. « Ce contrat, si souvent scellé des serments du souverain et de ses sujets, gage précieux de notre fidélité pour nos maîtres et de nos droits à leur sollicitude paternelle, est l’égide des Bretons; elle repoussera tous les traits que l’autorité surprise voudrait lancer contre les magistrats. « En Bretagne une innovation dans l’ordre de la magistrature serait une infraction à des droits certains et clairement établis; l’altération des pouvoirs intermédiaires préparerait des atteintes à la liberté des personnes et à la propriété des biens; le pouvoir arbitraire et ses abus remplaceraient l’empire bienfaisant de la loi; notre droit public n’existerait plus. « Que ces conséquences sont funestes et déplorables! N’est-ce pas dans ce moment que tous les ordres de l’État peuvent s’écrier avec l’auteur de l'Esprit des lois : La monarchie se perd , lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses qu'en le suivant ; il est alors de leur devoir d’invoquer le souverain , et ils doivent espérer qu'il n'écoutera pas sans émotion des représentations motivées sur le maintien de son autorité et sur le bonheur de ses peuples. « C’est dans le sein du Parlement que je vous propose, Messieurs, de déposer vos craintes et votre douleur. Admirateurs du courage et des vertus qui honorent les magistrats qui le compo- [1™ Série, T. I8r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sent, vous les considérez avec raison comme notre ressource, et nous leur devons cet hommage public de notre vénération et de notre sensibilité. « Le Parlement ne désapprouvera pas une démarche justifiée par, des circonstances extraordinaires, et excitée par le patriotisme, dont son exemple enflamme tous les juges. « Si nous ne partageons pas encore les dangers que courent les premiers magistrats, prouvons-leur au moins que nous nous rappelons les promesses que nous avons faites entre leurs mains, de leur être constamment attachés, de désapprouver constamment tous les actes qui tendraient à troubler le cours de la justice, de consacrer tous les moments de notre vie au service de la patrie, pour mériter la continuation de l’estime et la bienveillance de la cour. « A ces causes, « Je requiers pour le roi qu’il me soit donné acte de ma présente remontrance; qu’y faisant droit il soit arrêté que quatre de Messieurs se retireront vers M. le premier président, afin de supplier d’obtenir l’entrée de la cour au présidial de Rennes en corps, pour renouveler les assurances des sentiments inaltérables de son respect, de son amour et de son dévouement pour le Parlement ; pour déposer dans son sein l’affliction profonde dans laquelle les bruits alarmants répandus dans le public l’ont plongé; son improbation de ces bruits, qui répandent la consternation parmi les peuples en leur présageant une calamité publique, et pour l’assurer de la douleur qu’il ressentirait des actes d’autorité qui pourraient être exercés contre la cour, comme étant faits au préjudice des droits et libertés de la province, et comme opposés au bonheur des sujets du roi. « Arrêté au parquet le 6 mai 1788. « Ainsi signé sur la minute, Drouin. » Les gens du roi retirés, le siège, délibérant sur leurs conclusions, alarmé des bruits désastreux qui se sont accrédités dans le public, d’après l’arrivée imprévue du commandant de la province et du commissaire départi ; partageant les inquiétudes qu’éprouvent les dépositaires de la confiance nationale, disposé comme eux à réclamer contre toutes Jes atteintes qui pourraient être portées au droit public, en altérant l’état actuel delà magistrature : Considérant que l’inamovibilité des offices est une des lois fondamentales du royaume, et que le contrat d’union de la province à la couronne interdit tout changement dans les tribunaux légalement établis en Bretagne; Que des coups d’autorité, dirigés contre le premier ordre de la magistrature, seraient une violation des droits les plus légitimes, reconnus, attestés et confirmés par les serments de nos rois; 505 Que l’intérêt général qu’inspirent les magistrats qui composent le Parlement de Bretagne, intérêt fondé sur le courage généreux avéc lequel ils se sont exposés aux coups de l’autorité surprise, pour la défense des droits de la nation, annonce combien ils sont chers à leurs justiciables, puisque la seule idée du danger qui les menace en ce moment devient une époque de calamité publique; Que les malheurs qui seraient la suite des événements annoncés ne peuvent être plus vivement ressentis par aucun ordre de l’État, que par ceux qui ont l’honneur de partager avec le Parlement les fonctions pénibles et honorables d’administrer la justice aux sujets du roi; Que d’ailleurs le Parlement devenant la victime de son zèle à maintenir les droits, franchises et libertés de laprovince, à protéger et à défendre les personneset les fortunes de ses justiciables, les lois fondamentales de la monarchie éprouveraient une subversion dangereuse et effrayante dans ses conséquences, puisqu’il en résulterait que le magistrat peut se compromettre et encourir des peines, en se livrant aux mouvements que sa conscience, son honneur et ses devoirs lui imposent; Qu’il est de l’essence de la constitution d’un état monarchique que les magistrats jouissent de la liberté la plus entière pour l’exercice de leurs fonctions; qu’au moment où elle est restreinte la puissance législative perd sa force, l’empire de la foi disparaît ; Que les craintes qui se sont emparées de l’esprit des Bretons, si elles sont fondées, comme une foule de circonstances se réunissent pour le faire présumer, on ne peut douter que la religion du prince n’ait été surprise; Que, dans l’état de douleur et d’affliction où les différents ordres de la province sont aujourd’hui plongés, le recours au . souverain est leur seule ressource; qu’ils doivent représenter au roi des droits consignés dans les ordonnances générales du royaume, les titres particuliers à la Bretagne; qu’à son avènement au trône il déclara qu’il n’entendait régner que par les lois, et que pour accomplir sa volonté il rétablit los vrais magistrats dans l’exercice de leurs fonctions; Que si l’accès du trône était ouvert aux magistrats, ils prouveraient que dans la circonstance actuelle leur conduite n’a été dirigée que par des sentiments d’amour pour Sa Majesté, et par leur attachement aux devoirs que leur imposent le dépôt des lois dont ils sont gardiens, et la défense des peuples qui leur est confiée ; Considérant aussi que ces grandes vérités ne peuvent être mises sous les yeux du roi avec plus d’avantage par aucun ordre de l’État que par le Parlement, A arrêté de demander l’entrée de la cour, pour , l’assurer des sentiments de respect, d’attachement 506 [ire Série, T. I«r] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. et d’amour dont il est pénétré pour le Parlement ; A chargé M. le sénéchal d’assurer la cour, au nom de la compagnie, de la résolution où sont tous ses membres d’observer les ordonnances du royaume, et de n’obtempérer qu’à celles qui, d’après une vérification libre, seront enregistrées dans la cour ; de déclarer aussi qu’ils réclament d’avance contre tout ce qui pourrait porter atteinte aux droits de la magistrature et aux intérêts de la nation qui en sont inséparables ; De supplier enfin la cour d’ordonner que les arrêtés de ce jour demeureront déposés en son greffe, comme un monument perpétuel de l’attachement des juges présidiaux aux maximes défendues par la cour, et dont ils ne se départiront jamais. Arrêté en la chambre du conseil le 6 mai 1788. Signé sur la minute , Borie, Tréhu, Varin et autres. Et plus bas est écrit : Pour expédition conforme au registre, Signé Bouvier-Destouches, conseiller-syndic. Discours prononcé au Parlement par M. Borie , sénéchal de Rennes, portant la parole au nom de sa compagnie , le 7 mai 1788. Messieurs, Nous venons vous apporter le tribut de nos respects et de notre amour. Ces sentiments, que nous vous avons voués au moment où nous avons reçu le titre auguste de magistrats, nous sont communs avec tous nos collègues dans l’administration de la justice : nous n’avons sur eux que l’avantage de pouvoir vous exprimer toute l’étendue de notre dévouement, et de devenir auprès de vous leur organe et leur interprète. Le courage vertueux et inébranlable avec lequel vous avez signalé votre zèle pour la cause du peuple vous a donné des titres indestructibles à la reconnaissance publique : elle éclate en ce moment où l’idée du péril qui menace le premier ordre de la magistrature a imprimé sur le front de tous les Bretons les caractères lugubres d’une consternation générale, et qui ne se manifeste qu’aux époques trop funestes et trop mémorables d’une calamité publique. Nous savons, Messieurs, que les ordonnances générales du royaume répondentde l’inamovibilité des offices, que la constitution particulière de cette province garantit votre existence pour le bonheur des Bretons, comme elle est la sauvegarde de la prospérité, de leur personne et de leur fortune; mais les principes ne rassurent pas toujours contre les entreprises de l’autorité. La désolation de nos concitoyens, et l’idée des maux dont ils sont menacés et que de funestes présages leur annoncent, nous ont si vivement affectés que ce n’est qu’au milieu de vous, Messieurs, que nous avons espéré de trouver une consolation, un remède à la douleur profonde qui nous accable. Nous nous réfugions dans votre sein : nous venons pleurer sur la chose publique avec vous, Messieurs, qui êtes les dépositaires de nos serments et de rattachement inviolable que nous avons juré aux lois du royaume ; renouveler entre vos mains nos promesses, réitérer volontairement dans ce sanctuaire l’assurance de notre fidélité aux vrais principes, de notre attachement à des magistrats qui savent si dignement les maintenir, de notre zèle pour la conservation des droits, franchises et libertés de cette province. Approuvez, Messieurs, cette démarche extraordinaire et inusitée, mais justifiée par les circonstances; recevez l’assurance que je suis autorisé à vous donner, qu’il n’y a aucun des membres de ma compagnie qui ne soit prêt'à sacrifier non-seulement sa fortune, mais son état et sa liberté, pour calmer les inquiétudes de ses concitoyens, s’il dépendait de lui de dissiper leurs alarmes. En faisant cette déclaration, déterminée par le vœu unanime de ma compagnie, je ne justifierais plus sa confiance, je dissimulerais trop mes sentiments particuliers, si je laissais présumer que ma démarche fût commandée dans ce moment plutôt par le devoir que par l’effet de mon dévouement au bonheur public, dont vous êtes les plus fermes appuis. J’ai l’honneur de vous assurer, Messieurs, que, dans toutes les fonctions que les prérogatives de ma place peuvent m’appeler à remplir, personne ne se montrera plus que moi le défenseur des droits de la magistrature, et n’aura plus de zèle à combattre les atteintes qui seraient portées à son existence. C’est ainsi, Messieurs, que je me croirai digne du suffrage de mes confrères, dont la conduite tendra toujours à mériter votre estime et votre bienveillance. Ma compagnie me charge, Messieurs, de vous déclarer qu’elle est dans la résolution inébranlable d’observer les ordonnances du royaume, et qu’elle n’entend obtempérer qu’à celles qui seraient vérifiées et librement enregistrées dans cette cour; qu’en conséquence elle réclame contre tout ce qui pourrait porter atteinte à vos droits, à ceux de la magistrature, à ceux de la nation qui en sont inséparables. Nous vous supplions de recevoir l’arrêté que nous avons pris le jour d’hier, et qui renferme cette déclaration solennelle, pour qu’il demeure déposé à votre greffe, Messieurs, comme un monument perpétuel de notre attachement inviolable aux maximes que vous soutenez, et dont nous ne nous départirons jamais. [1m Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Discours et protestation du siège royal de la maîtrise des eaux et forêts de Rennes . Messieurs, Admis à l’honneur de déposer aux pieds de la cour les sentiments que nous inspirent les craintes de l’événement désastreux qui menace cette province, il nous suffirait sans doute, pour les exprimer avec énergie, de dire que, partageant avec tous nos concitoyens leur attachement pour leurs vrais magistrats, nous partageons aussi la consternation qu’a répandue parmi eux la nouvelle d’une révolution contre laquelle cependant la justice du monarque équitable qui nous gouverne devrait nous rassurer ..... Le serment, que nous avons eu l’honneur de prêter en présence de la cour lors de notre réception aux fonctions dont nous sommes chargés, n’a pu que graver plus profondément dans nos cœurs l’inviolable attachement de tout citoyen breton à ses magistrats. Ils ont surtout rendu plus étroite notre obligation de n’en pas reconnaître d’autres, et de n’adopter que des lois légalement et librement enregistrées, suivant la constitution du royaume et de cette province. Ce n’est donc, Messieurs, que renouveler un engagement déjà contracté, que de vous supplier de vouloir bien nous décerner acte du dépôt que nous faisons de nos présentes protestations contre tout ce qui pourrait être entrepris par autorité contre les privilèges de la province, ou contre la forme d’y administrer la justice. Signé Sevenne, Deschamps de la Porte, Parc y et JBigaré. Discours de M. Le Chapelier , doyen des avocats et conseil des Etats de Bretagne. Messieurs, Si l’ordre des avocats n’avait d’autres mouvements à suivre en ce moment que ceux de la vénération et de la reconnaissance, persuadé que vous voulez bien lui rendre à cet égard la justice la plu® méritée, il ne vous aurait pas suppliés de lui permettre l’entrée de la cour. Des bruits funestes, une inquiétude déchirante le conduisent devant vous, Messieurs. Il vient offrir à la cour un nouveau témoignage, et renouveler l’hommage solennel des sentiments dont il ne cessera jamais d’être animé. Permettez-nous, Messieurs, de déposer dans votre sein les protestations de notre inviolable attachement aux lois et à ses ministres essentiels; notre devoir comme notre gloire est de ne jamais détacher notre sort de celui des magistrats auxquels nous nous faisons honneur d’être inséparablement unis pour le bien commun. Nous avons le même but, et nous devons partager vos périls, comme nous concourons à vos travaux. 307 Puisse l’orage qui nous menace être bientôt dissipé par votre sagesse et votre courage 1 Puisse un calme heureux ramener et raffermir la paix, dont le règne est celui de la justice et des lois ! � Puisse notre ancienne constitution être garantie de toute atteinte 1 C’est à vous de la maintenir, comme elle ne peut subsister sans vous. En conséquence, les avocats, tant en leur qualité qui les lie essentiellement à l’administration de la justice, que comme citoyens non moins intéressés au maintien de la constitution nationale, déclarent protester et protestent contre toutes atteintes portées aux droits, franchises et libertés de la province. L’ordre des avocats demande acte de sa respec-. tueuse protestation ; il supplie la cour d’en recevoir le dépôt comme une preuve de son attachement aux magistrats et de son dévouement au roi. Protestation des avocats. L’ordre des avocats, partageant avec tous les citoyens l'étonnement et les alarmes que fait naître l’annonce de coups d’autorité, destructifs des lois constitutionnelles de la province et des principes les plus sacrés, regarde en ce moment comme un devoir de déposer dans le sein de la cour la protestation solennelle de son attachement aux maximes sur lesquelles reposent l’ordre et le bonheur public. Dévoués au plus honorable ministère, les avocats ne peuvent jamais reconnaître d’autres lois que celles qui, par une heureuse et nécessaire conséquence, font, de la stabilité de la magistrature et de la liberté des opinions, la première sauvegarde des propriétés sociales, etc. Extrait des registres de la ville et communauté de Rennes , du 6 mai 1788. Maître Phelippes de Tronjolly, procureur-syndic, a représenté que la bonté des rois a toujours conservé à la ville de Rennes le titre de capitale de la Bretagne, en considération de son inviolable fidélité, etc. Lors de la translation du Parlement à Vannes, il y eut une réclamation générale. L’utilité et la nécessité du Parlement à Rennes sont reconnues par nos rois et par la province. La conservation entière et sans atteinte de cet auguste tribunal fait article dans le contrat passé à chaque tenue entre nosseigneurs les commissaires du roi et les États. On ne peut en général retrancher à cette capitale aucun de ses établissements, sans nuire à la consommation et au produit des impositions. Rennes, qui n’est point ville de commerce, ne se » soutient que par l’établissement du Parlement, 508 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] [lre Série, T. Ier.] par la dépense qu’y font les plaideurs ; telle est la subsistance d’une multitude de familles : près des sept huitièmes de ses habitants seraient réduits dans une extrême misère par la désunion, décomposition ou translation du Parlement, qui a été confirmé dans ses immunités et droits de règne en règne et sans atteinte, et il doit cet avantage à son inviolable fidélité à la justice des souverains, qui ont jugé qu’il y allait de l’intérêt public, inséparable de l’intérêt du trône. Indépendamment de raisons aussi puissantes, trouverait-ôn des magistrats plus instruits, plus vertueux, plus justes, plus fidèles et plus chers aux peuples, que ceux qui composent ce Parlement? Qu’en conséquence, lui, procureur du roi, syndic, pour la conservation des droits et franchises de la province, pour l’intérêt de la ville, demande à Messieurs du bureau d’administration d’icelle, acte de ce réquisitoire, et le requiert d’écrire à monseigneur le principal ministre , à monseigneur le garde des sceaux, et à monseigneur le secrétaire d’Ètat de la province, et ce, dès aujourd’hui, pour leur représenter très-humblement et très-respectueusement le besoin des habitants de cette ville, la douleur vive et profonde et l’alarme universelle qui y cause le bruit généralement répandu de la réduction d’une partie des droits, des fonctions des membres et chambres du Parlement, en peignant, avec les couleurs les plus vives, combien sont chers au peuple en général et à chacun en particulier les magistrats qui composent cet auguste sénat. Le bureau a décerné acte de la remontrance du procureur du roi, syndic; et, considérant que, dans ce moment où tous les ordres des citoyens, justement effrayés des atteintes dont les droits, franchises et immunités de la province et l’état de la magistrature semblent être menacés, s’empressent de leur témoigner leurs inquiétudes, de lever leurs mains suppliantes vers le trône, il est particulièrement de son devoir, comme représentant le corps municipal, de faire parvenir à Sa Majesté les plaintes� et les alarmes des habitants de la capitale de la province de Bretagne, a arrêté qu’il serait écrit à monseigneur de Brienne, à monseigneur le garde des sceaux, et à monseigneur le baron de Breteuil, à l’effet de les supplier avec les plus vives instances qu’il ne soit fait aucun changement dans l’état actuel du Parlement, dont la décomposition ou même la simple dispersion des chambres dans la province, porterait à cette ville le coup le plus funeste pour la ruine entière de ses habitants de toutes les conditions, dont les propriétés et la subsis; tance sont attachées à l’administration souveraine de la justice. Arrêté en la chambre du conseil de l’hôtel de ville, les jours, mois et an que devant. Signé Barbier-Dupuits, échevin, pour le greffe. Protestation de la faculté de droit . Nous doyen, professeurs et docteurs agrégés des facultés de droit de la ville de Rennes : Considérant que, dans un moment où la nation consternée attend avec effroi le coup que l’autorité surprise se prépare à frapper au même instant dans tous les Parlements et dans toutes les cours souveraines du royaume, où les droits, franchises et libertés de la province touchent peut-être à leur destruction, où la magistrature est menacée d’une subversion totale, nous devons à la patrie, aux lois que nous sommes chargés d’enseigner, nous devons aux magistrats qui en sont les défenseurs et les dépositaires le témoignage authentique des sentiments qui nous animent à la vue des périls qui environnent la chose publique ; Que la patrie nous demanderait compte un jour du pernicieux exemple que nous aurions donné aux élèves qu’elle a confiés à nos soins, comme un dépôt-précieux sur lequel reposent ses plus chères espérances ; Que nous nous montrerions indignes de l’espèce de sacerdoce dont nous sommes revêtus : Cujus justitiæ merito quis nos sacerdotes appellet ; jus-titiam namque colimus , et boni et œqui notitiam profitemur ( L . 7. Dejust. et jure), si notre conduite ne répondait pas à nos préceptes, si, par un lâche et honteux silence, nous laissions, au milieu des justes alarmes de tous les citoyens, présumer dans nos cœurs une coupable indifférence sur les malheurs qui sont prêts à éclater ; si nous résistions au cri du patriotisme, si nous n’élevions pas la voix pour unir nos réclamations aux réclamations publiques ; Que, quels que soient les projets que l'on enveloppe dans un mystère aussi effrayant, ils ne peuvent qu’être inconstitutionnels et contraires aux droits de la nation, sans le consentement de laquelle il ne peut être fait aucune innovation aux lois, constitutions et établissements du pays et duché de Bretagne, tant au fait de l’église, de la noblesse et du commun peuple, qu’au fait de la justice, du Parlement, et aux nombre, fonctions et exercices des officiers de la province. (Contrat de mariage de la duchesse Anne, art. 1er, et six contrats renouvelés à chaque tenue d’États, articles XX, XXII et XXIII.) D’après ces considérations, nous protestons contre toute entreprise contraire aux lois de l’État, aux droits, franchises et libertés de la province de Bretagne, aux contrats sacrés qui, étant les gages et les garants de ses droits, comme de son obéissance aux droits ou aux fonctions de la magistrature, ne peuvent être changés, altérés, ni modifiés sans le consentement libre de la nation assemblée. Suppliant la cour d’ordonner le dépôt que nous [Ire Série, T. Ier. [ faisons de la présente protestation, comme d’un monument éternel de notre attachement à la magistrature, de notre dévouement aux lois et à la constitution de notre pays, et de notre amour pour la personne sacrée de Sa Majesté. Fait en l’assemblée des facultés, convoquée extraordinairement en leurs écoles, le 6 mai 1788. Signé DroüIN, MORICE DU LERAIN et autres signatures. Discours du syndic des procureurs à M. le comte de Thiard, gouverneur de la province. Monseigneur, L’une des vertus qui vous caractérisent le plus éminemment est la loyauté. Cette vertu autorise les procureurs au Parlement à venir déposer dans votre sein les mortelles inquiétudes dont ils sont atteints. Nous craignons, Monseigneur, le renouvellement de ces temps de calamité qui depuis vingt aiis ont déjà deux fois renversé nos fortunes, écrasé nos familles, ruiné tous nos concitoyens. Ces temps malheureux nous sont encore présents. Le rétablissement de l’ordre nous faisait espérer une tranquillité durable, notre courage renaissait, nous goûtions le bonheur d’exercer nos offices devant des magistrats chéris, avoués par la loi, dignes de remplir les augustes fonctions de médiateurs entre le trône et les peuples, de dépositaires et gardiens des lois. Les cicatrices de nos plaies sont à peine consolidées, et tout nous annonce de nouveaux malheurs. La subversion de la magistrature en Bretagne a produit dans cette infortunée province les effets les plus désastreux, et nous voyons encore le fatal moment de les voir renaître. Le roi n’a sûrement pas de sujets plus fidèles que les Bretons, et cependant l’amertume et le désespoir seraient leur parlage. Vous êtes, Monseigneur, généreux et sensible ; le monarque qui vous a chargé de ses ordres peut être désarmé, vous pouvez lui présenter le tableau des calamités sous le poids desquelles nous serions tous accablés ; vous pouvez l’instruire de notre fidélité, du désespoir inséparable de notre cruelle position ; peint par vous, Monseigneur, ce tableau touchera son cœur paternel; les coups accablants dont nous sommes menacés pourront être détournés ; l’allégresse succédera au désespoir, nous ne cesserons de bénir l’autorité désarmée, et vous acquerrez, Monseigneur, des droits imprescriptibles sur nos cœurs reconnaissants. Discours de la communauté des procureurs au Parlement. Messieurs, Depuis moins de vingt ans nous avons eu la [Introduction. J 509 douleur de vous voir deux fois arrachés à vos augustes fonctions ; deux fois la subversion de la magistrature a répandu l’alarme, a causé les plus grands désastres dans la malheureuse province de Bretagne ..... On nous annonce une nouvelle destruction de l’empire des lois; la magistrature est menacée de nouveaux coups; nous sommes ses premiers suppôts, et à ce titre glorieux pour nous, lorsque nous avons le bonheur de remplir nos fonctions devant vous, Messieurs, nous sommes sans doute destinés à ressentir les premiers les cruels effets d’un nouvel ordre de choses. Vous voulez bien, Messieurs, nous permettre de déposer dans le sanctuaire de la justice nos sentiments sincères et respectueux, etc. Extrait du registre des délibérations de MM. les nobles dignitaires, chanoines et chapitre de l’église de Rennes , du mercredi 7 mai 1788. Chapitre extraordinairement assemblé après la grand’messe, le son de la cloche et autres formalités accoutumées, gardées et observées, etc. Sur ce qui a été représenté que l’arrivée de M. le commandant et deM. le commissaire départi causait les plus vives alarmes, et présageait le renversement prochain de la magistrature et de la constitution nationale, Messieurs délibérant, ont chargé MM. du Pargo, de Roumilley, Fournier et Le Prévost d’aller, au nom de la compagnie, vers M. le commandant, le prier d’interposer ses bons offices pour détourner le coup dont la province est menacée, etc. Ce jour 8 mai, toutes les chambres assemblées, après avoir délibéré sur les différents objets, un de Messieurs a dit : Messieurs, Nous touchons au moment d’une révolution funeste, d’un bouleversement universel dans l’ordre de la législation française. Les lois de la monarchie sont enfreintes par le chef des magistrats qui les protègent. Parjure � envers sa patrie, il manque à tous ses serments. C’est à vous, Messieurs, d’écarter les coups qui troublent l’harmonie nationale. La marche que vous allez tenir renversera les droits et les privilèges des Bretons, ou les maintiendra dans leur intégrité et tels qu’ils ont été établis par le contrat d’union. Votre devoir, Messieurs, vous impose la noble tâche de recueillir les plaintes arrachées par l’abus de l’autorité, de porter au pied du trône le tableau de la calamité publique, d’instruire le monarque delà dangereuse influence de ses ministres sur la combinaison des rapports qui lient ses intérêts à ceux de ses peuples; qu’il ap-| prenne par vous quels malheurs doit entraîner J le projet qui menace à la fois toutes les provinces. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 510 C’est M. de Lamoignon qui dirige le projet de l’anéantissement des tribunaux. C’est par lui que des magistrats , défenseurs des libertés françaises, ont été violemment arrachés à leurs fonctions, pour avoir résisté à ce système destructeur de l’ordre public. • C’est lui qui, au nom de l’autorité qu’il compromet, qu’il profane, a osé attaquer, dans une séance royale, les principes fondamentaux de la monarchie. C’est par lui que l’arme du pouvoir arbitraire a porté, sur la première et la plus chère des propriétés de l’homme, les coups les plus funestes. C’est par lui que les agents de la nation, de la loi et du bonheur public, les Parlements, qui donnent le mouvement à l’exécution des lois, sont menacés d’être traités comme des compagnies antipatriotiques. C’est par lui que les forces militaires vont peut-être se diriger contre la patrie, pour soutenir l’injustice, le désordre et le despotisme ministériel. C’est par lui que les citoyens vont peut-être se partager sur la défense de la liberté qu’on enchaîne et le maintien d’un pouvoir tyrannique. C’est par lui que de vertueux défenseurs de la patrie vont peut-être déchirer son sein, et dissoudre ses liens, en prêtant main-forte à la violation des lois. C’est par lui que la vertu du patriotisme semble ébranlée dans l’âme des Français militaires, et que le serment de leur devoir, mal interprété, semble leur faire oublier qu’ils .sont citoyens. C’est par lui que la nation va peut-être se diviser, se combattre, et que des ruisseaux de sang vont baigner le sol que nous habitons. C est par lui que les vœux des citoyens, meurtris par l’oppression, sont étouffés et ne parviennent plus au monarque abusé. C’est ce ministre qui a dicté cette réponse foudroyante, récemment faite par Sa Majesté au Parlement de Paris, et qui n’a que trop annoncé la destruction des lois et des magistrats. Les principes établis dans le discours du garde des sceaux ont amené les résolutions effrayantes suggérées au souverain; l’événement qui nous menace justifie combien nos craintes étaient fondées. Vous n’avez pas craint, Messieurs, dans toutes vos remontrances, de désigner le chef de la magistrature comme auteur de ces innovations, qui tendent à l’anéantissement du nom de patrie; aujourd’hui que vos représentations n’ont plus d’accès, que la vertu n’a plus la force d’atteindre au ministère, vous devez sans balancer députer au pied du trône pour y porter nos justes plaintes, pour dénoncer le garde des sceaux au souverain qu’il a trompé, et à la nation, dont il s’est montré l’ennemi. Il est encore temps, Messieurs, d’éclairer le cœur d’un roi juste, de lui adresser l’effrayante peinture de la situation de ses peuples. Parler au nom de l’humanité, de la patrie, des lois et des libertés françaises, est un droit précieux de la magistrature ; ce devoir s’étend aujourd’hui, en raison des dangers qui nous menacent; vous disputerez sans doute, à tous les corps de l’État, la gloire et l’honneur de défendre la constitution monarchique : vous pouvez devenir les libérateurs de la patrie ; et quand la foudre est sur nos têtes, c’est moins que jamais le moment de la craindre. Je demande que le garde des sceaux soit dénoncé au roi, à la nation, à tous les Parlements, comme violateur des libertés françaises, comme l’auteur des coups d’autorité qui rendent victimes d’un zèle pur des magistrats fidèles à leurs devoirs ; et qu’il soit pris un arrêté d'envoyer à cet effet une députation au pied du trône. La délibération remise à un autre moment, la cour leva sa séance à dix heures du soir. Arrêté du Parlement de Bretagne du vendredi 9 mai 1788. La cour, instruite par le bruit public que deux magistrats du Parlement de Paris viennent d’être enlevés, à main armée, au milieu de l’assemblée des chambres ; Également instruite de l’entrée illégale, faite le jour d’hier, par deux commissaires du roi, à la chambre des comptes de cette province ; Considérant, ladite cour, qu’au moment où le public annonce que toutes les cours souveraines du royaume sont peut-être dispersées, et qu’elle ne semble devoir elle-même son existence qu’auk vœux réunis des représentants de la nation, et de tous les ordres des citoyens, qui ont suspendu jusqu’ici les coups qui sont prêts à la frapper ; Qu’elle ne peut faire un plus noble emploi des derniers instants qui lui restent peut-être, qu’en les consacrant à réclamer, avec toute la nation, les magistrats qui se sont dévoués pour la patrie ; Que, par un attentat dont il n’exista jamais d’exemple que dans ces temps de trouble et d’anarchie où l’autorité royale était méconnue, deux magistrats (MM. Goislard et Duval d’Éprémé-nil), inquiétés d’abord dans leurs, propres maisons� ont été arrachés du sanctuaire de la justice où ils devaient trouver un asile inviolable; Que l’assemblée auguste des pairs du royaume n’a pu imposer à l’aveugle agent des ordres surpris à l’autorité : qu’il a enlevé ces magistrats pour les conduire aussitôt dans une prison d’État ; Considérant, ladite cour, qu’un devoir plus impérieux encore, l’honneur et la conscience, ne lui permettent plus dans ce moment de laisser igno- [1« Série, T. Ier] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] rer au seigneur roi quels sont les auteurs des désordres qui alarment la nation ; Que le même devoir, qui prescrit aux magistrats d’éclairer la religion du souverain, leur prescrit encore de lui dénoncer, de dénoncer à la nation ceux qui, depuis l’assemblée des notables, n’ont cessé d’ébranler la constitution monarchique; Ceux qui ont osé persuader au seigneur roi de substituer, dans une séance solennelle, une apparence trompeuse à la réalité des formes, un acte du pouvoir le plus absolu au résultat d’une délibération libre ; ceux qui ont fait à un prince du sang et à des magistrats un crime de leur opinion; ceux qui ont induit le souverain à adopter, contre les sentiments de son propre cœur, les principes du gouvernement arbitraire ; ceux qui ont voulu concentrer en eux-mêmes une autorité qui n’appartient qu’aux lois ; ceux qui ont rendu suspect le zèle des magistrats, et calomnié leurs vues; ceux qui, persistant dans des principes antimonarchiques annoncés avec scandale, ont persuadé au monarque d’écarter toutes représentations ; celui-là surtout qui, chargé par le devoir de sa place de maintenir la législation, a ouvertement méconnu toutes les maximes de la monarchie, et osé persuader au souverain que sa volonté était au-dessus de toutes les lois ; celui qui, élevé dans le sein de la magistrature, en est devenu l’oppresseur; celui enfin qu’on a vu avancer les principes les plus inconstitutionnels, en présence de son souverain, et dans le tribunal même où il avait juré d’être fidèle à la loi : Par toutes ces considérations, la cour, persistant dans ses précédentes protestations, arrêts et arrêtés, déclare qu’elle ne peut cesser de réclamer contre toutesles atteintes qui pourraient être portées contre les droits de la nation, aux droits, franchises et libertés de la province ; à la formation de ses tribunaux, à la sûreté personnelle des membres qui les composent, à la loi de l’enregistrement ; qu’elle doit représenter au seigneur roi que l’assemblée générale de la nation est désormais le seul remède aux maux dont elle est accablée. Ordonne, ladite cour, que le présent arrêté sera envoyé au seigneur roi, comme un gage authentique de son attachement aux lois, de sa fidélité et de son amour pour la personne sacrée de Sa Majesté. Fait en Parlement, toutes les chambres, assemblées. A Rennes le 9 mai 1788. Signé Buret. Arrêté de la noblesse de Bretagne du 9 mai 1788. Nous, soussignés, membres de la noblesse de la province de Bretagne, déclarons infâmes ceux qui pourraient accepter quelques places, soit dans l’administration nouvelle de la justice, soit dans les administrations des États, qui ne seraient pas S'il avouées par les lois constitutionnelles delà province. Précis de ce qui s’est passé au palais de justice a Rennes , le 10 mai 1788, sept heures du matin. CHAMBRES ASSEMBLÉES. Tous les magistrats se rendirent au palais dès cinq heures du matin. A six heures toutes les chambres se rassemblèrent. A six heures le régiment de Rohan prit les armes, et se rendit sur la Motte, promenade voisine du palais. Depuis six heures jusqu’à sept, plusieurs objets furent discutés, entre autres celui de fermer les portes du palais, et d’en défendre l’entrée ; celui de décréter toutes personnes qui s’écarteraient de l’ordre prescrit par les lois, et qui, chargées d’exécuter des ordres arbitraires, enfreindraient les lois de l’enregistrement, et viendraient au nom du roi profaner le temple de la justice. La cour décida qu’on réclamerait la liberté des opinions, et qu’en cas de violence elle garderait un silence absolu. Bientôt des cris annoncèrent à la cour le murmure général, et on n’entendit plus que les acclamations de Vive le parlement ! et -de Haro ! sur les exécuteurs de l’injustice. Conduits jusqu’aux portes des chambres par la foule qui les entourait et les pressait, ils parvinrent jusqu’à la porte des chambres assemblées, et frappèrent par différentes fois. Le cour arrêta pour lors de lui envoyer le greffier en chef, pour lui demander ses lettres de créance (1). A quoi ledit comte de Thiard répondit qu’il avait ordre d’entfer sans représenter aucune lettre do créance. Et ladite réponse rapportée à la cour, elle a arrêté de refuser audit comte de Thiard l’entrée de la cour, jusqu’à la représentation de ses lettres de créance. Après avoir inutilement frappé aux portes des chambres, le comte de Thiard, sommé de nouveau par le greffier de représenter ses lettres de créance, a persisté à les refuser, en annonçant au greffier le projet d’entrer avec lui aux chambres assemblées ; le greffier, parvenu aux chambres assemblées par une entrée inconnue au comte de Thiard, a rendu compte à la cour de ses réponses. La cour, pour faire cesser les cris qui se fai-(1) Dès qu’il eut refusé ses lettres de créance, on cria: HARO ! VIVENT LES LOIS ! VIVE LE PARLEMENT ! A CeS Cris redoublés et continués, la foule environna les commissaires du roi, et les pressait dans les encognures. C’est alors que les compagnies de grenadiers, de chasseurs, cachés aux Cordeliers, débusquèrent et coururent dans l’enceinte du palais; que le reste du régiment accourut pour entourer le palais, et se mettre en bataille sur trois colonnes, un rang faisant face au palais, un autre, , face à la foule qui remplissait la place. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 512 saient entendre dans l’enceinte du palais, a ordonné au greffier , par une troisième fois , de sommer M. le comte de Thiard de se conformer aux formes établies au Parlement. Le greffier, sorti et rentré presque aussitôt, a dit que le comte de Thiard se retirait vers le parquet des gens du roi, et avait fait entrer dans le palais la compagnie de grenadiers du régiment de Rohan-Montbazon, cachés aux Cordeliers, qui accoururent et montèrent les escaliers du palais avec empressement. Sur ce récit, la cour a réitéré au greffier l’ordre d’aller vers le commandant. Un instant après est entré un huissier, qui a rapporté à la cour que le comte de Thiard était au parquet, dont l’entrée était gardée par des grenadiers ; que le greffier en chef y était retenu, et que la porte en était fermée ; il a de plus ajouté qu’une partie du régiment venait de se ranger en bataille sur la place du palais. Le greffier, de retour après une demi-heure, a dit que, sur la demande qu’il avait faite au comte de Thiard relative à ses lettres de créance, qu’au cas de résistance plus longue, il se verrait forcé d’user de violence, a été répondu d’attendre l’ordre qu’il allait lui remettre, ordre que le greffier a remis à la cour. Cet ordre, transcrit par le sieur Bertrand, et signé du comte de Thiard et dudit sieur Bertrand , est conçu en ces termes : « La séance que le roi nous a chargés de tenir aujourd’hui étant un lit de justice, la volonté expresse de Sa Majesté est qu’il ne soit pris aucune délibération sur notre séance; nos ordres à cet égard sont si positifs, qu’il ne nous est pas possible de nous en écarter, et c’est en vertu de ces ordres que nous ordonnons, de la part du roi, et sous peine de désobéissance, que les portes de la cour nous soient ouvertes sur-le-champ. » Lecture faite de cet ordre, la cour a renvoyé le greffier et les huissiers vers le commandant lui renouveler les mêmes demandes ; sa réponse fut qu’il allait employer les moyens de force pour entrer aux chambres ; le greffier vint en rendre compte, et des voix s’élevèrent alors pour ouvrir les portes, et d’autres pour attendre. Pour éviter une scène dangereuse aux citoyens, déjà violemment agités, on ordonna aux huissiers d’ouvrir les portes, avec ordre de se retirer aussitôt. A leur retour, ils ont dit qu’on venait de faire entrer dans le palais la compagnie des chasseurs, et qu’une partie du régiment entourait le palais. A sept heures trois quarts, le commandant est entré en la cour, découvert, accompagné du sieur Bertrand ; à cet instant, la cour s’est couverte, et a gardé un silence absolu ; le commandant, parvenu jusqu’à la barre de la cour, a demandé où était sa place ; personne n’ayant répondu, le sieur Bertrand, son conducteur et son guide, lui a fait apercevoir une place isolée d’où s’étaient écartés les magistrats de la tête du banc, et les commissaires du roi ont pris leur place accoutumée. M. le premier président à dit qu'il était chargé par la compagnie d’observer au porteur d’urdre de Sa Majesté que la représentation de ses lettres de créance ôtait uu préalable à remplir avant d’entrer en la cour ; que l’entrée des troupes, dans l’enceinte du palais était contraire aux lois, qui.assurent aux magistrats la liberté de leurs opinions et de leurs assemblées. Le comte de Thiard a répondu que cette séance étant un lit de justice, ne devait pas être assujettie aux formes ordinaires ; qu au reste il se conformerait aux ordres qui lui avaient été donnés par Sa Majesté. M. le premier président lui a donné lecture d’un arrêté dii 9 mai, qui lui enjoint de sortir des chambres assemblées. A quoi le commandant a répondu qu’il était obligé de mettre de la célérité dans l’exécution de ses ordres. A l’instant où le comte de Thiard a notifié à M. le premierprésident unelettre de cachet, portant défense de désemparer, sous peine de désobéissance, une pareille lettre, et contenant les mêmes défenses, a été adressée à la compagnie et lui a été notifiée, en la remettant au doyen de la cour, et une troisième au greffier de représenter les registres. Lecture faite desdites lettres, M. le premier président, au nom de sa compagnie, a réitéré ses protestations contre cet enregistrement ; aussitôt le comte de Thiard a commencé ses opérations par la lecture d’un discours contenant ses regrets d’avoir été chargé de pareille mission, en observant au Parlement que la soumission qu’il témoignait à Sa Majesté, en exécutant des ordres rigoureux, devait être pour les magistrats l’exemple d’une parfaite soumission aux volontés du roi. Le sieur Bertrand a ensuite adressé un discours •au Parlement, pour lui témoigner ses vifs regrets des ordres réitérés qui l’avaient obligé de se trouver à cette séance. Après quoi le comte de Thiard a ordonné au greffier de lire un premier édit, portant commission audit comte de Thiard et au sieur Bertrand de faire procéder à l’enregistrement des édits et déclarations qui leur avaient été adressés. Le commandant ayant ordonné l’entrée des gens du roi en la cour, ceux-ci entrés, il a été, par le greffier en chef, donné lecture de ladite commission; laquelle lecture finie, le comte de Thiard a dit à M. le procureur général du roi de conclure à l’enregistrement. M. le procureur général du roi a dit que, l’usage ne permettant pas au ministère public de conclure en présence du porteur d’ordre ni du commissaire départi, il refusait de conclure : sur lequel refus M. de Thiard a dit : « Le roi ordonne que ladite [■ire Sérié, T. 1er.] , ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] commission soit enregistrée au greffe de la cour, etc. » Après ledit enregistrement, le comte de Thiard a dit : « Greffier, le roi vous ordonne de donner lec-turede cette lettre de créance et de l’enregistrer. » Lecture faite desdites lettres de créance, le comte de Thiard a ordonné de nouveau au greffier de les enregistrer, et ensuite a donné ordre de donner lecture d’un paquet qu’il lui a remis, contenant des édits dont il a ajouté ignorer la teneur. M. le procureur général du roi a représenté à M. de Thiard qu’il allait se retirer, n’ayant pas reçu d’ordre de ne pas désemparer, et aussitôt ledit comte de Thiard lui a remis une lettre close, portant la défense de désemparer, sous peine de désobéissance. 11 a ensuite été, par le greffier en chef, procédé à l’ouverture d’un paquet, portant pour adresse : A M. le comte de Thiard , n° 3, à ouvrir quand le contenu au n° 2 sera exécute’ ; contresigné baron de Breteuil, et adressé à Rennes, ledit paquet contenant une ordonnance du roi sur l’administration de la justice. Lecture faite de ladite ordonnance, le comte de Thiard a dit à M. le procureur général du roi de conclure. Discours de M. le 'procureur général. « L’impuissance malheureuse où je me vois de communiquer à la cour, ainsi qu’elle mè l’a personnellement enjoint par ses arrêtés des 5 et 7 mai 1788, les ordres particuliers qui me sont intimés, me plaçant dans la cruelle et pressante alternative ou de ne pas obtempérer à des ordres qui me semblent porter tous les caractères de la surprise, ou de trahir en effet mon devoir, mon honneur et mes serments, par une désobéissance réelle aux lois et ordonnances, qui sont les vrais commandements du roi, dont il m’est impossible de ne pas toujours consulter le seul et véritable intérêt, « Je requiers pour le roi qu’avant faire droit il soit ordonné que les édits et déclarations du roi seront préalablement communiqués aux gens des trois états de cette province, lors de leur première assemblée, pour, d’après leurs délibérations et le tout rapporté à la. cour, en être délibéré librement; être, sur mes conclusions, ordonné ce qui sera vu appartenir ; qu’en attendant il soit fait au seigneur roi de trôs-liumbles et très-respectueuses remontrances, dans lesquelles on remettra sous les yeux de Sa Majesté tous les droits, privilèges et prérogatives de la province de Bretagne. » À la suite de ces conclusions, le premier avocat général a déclaré adhérer. Sur quoi le comte de Thiard a dit : « Le roi ordonne que la présente ordonnance soit enregistrée, pour être exécutée selon sa forme et teneur, etc. » Le comte de Thiard a présent� au premier pré-lre Série, T. Ier. 513 sident l’engagement d’en faire faire lecture : sur son refus, il a dit ensuite : « Greffier, lisez ce paquet, le roi vous l’ordonne ; » et l’ouverture faite dudit paquet, portant pour adresse. A ouvrir après l'enregistrement du n° 3, ledit paquet numéroté 4, et contenant l’édit de suppression des juridictions d’exception, et compris en onze articles. Lecture faite dudit édit, le commandant a dit à. M. le procureur général du roi de conclure ; sur quoi M. le procureur général a dit que, cet édit n’étant pas moins intéressant que le précédent, puisqu’il concernait également l’administration de la justice, il déclarait persister dans ses précédentes conclusions ; et le comte de Thiard a dit : « Le roi ordonne que le présent édit soit enregistré, lu, publié, etc. » Le comte de Thiard, ayant pris un nouveau paquet, numéroté 5, étiqueté et adressé ainsi que les précédents, a dit : « Greffier, le roi vous ordonne de donner lecture de ce paquet ; » et, ouverture faite dudit paquet, il s’est trouvé contenir une déclaration relative à l’ordonnance criminelle, rédigée en douze articles. Lecture faite, M. le comte de Thiard a dit à M. le procureur général de conclure; sur quoi M. le procureur général a conclu, sous les mêmes protestations que devant, à ce que la présente déclaration eût été renvoyée à l’examen des commissaires, pour, passé de ce, et le tout à lui communiqué, être statué, sur ses conclusions, ce qui serait vu appartenir. Ensuite le commandant a dit : « Greffier, le roi vous ordonne de donner lecture du contenu audit paquet n° 6. » Ouverture faite dudit paquet, il a, par le greffier, été donné lecture d’un édit portant rétablissement de la cour plénière. Le comte de Thiard a dit à M. le procureur général du roi de conclure à l’enregistrement dudit édit; à quoi répondant, M. le procureur général du roi a dit avec noblesse et fermeté qu’il lui était impossible de conclure à la destruction des lois de la magistrature, et qu’il requérait que le roi fût supplié de retirer cet édit : passé de ce, le comte de Thiard a fait proposer à la cour, par le greffier en chef, de souscrire à ce qu’on n’inscrivît pas tout au long, quant à présent, les édits dont lecture venait d’être faite, et qu’on se bornât seulement à en inscrire l’intitulé et la première et dernière ligne, sauf à continuer ladite transcription après notre sortie : mais la cour ayant, sur cette interpellation, gardé le plus profond silence, laissant le porteur d’ordre maître de faire ainsi qu’il le jugerait à propos, le comte de Thiard a proposé à M. le premier président de nous faire la même proposition ; à quoi le premier président a répondu que la compagnie n’étant pas libre elle ne pouvait délibérer, et que la cour lui enjoignait de nouveau de se retirer, à quoi il n’a pas voulu acquiescer. 33 lire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] o!4 Pendant un moment de silence et d’inaction, plusieurs de Messieurs, ayant vouiu sortir pour se rendre à la buvette, le comte de Thiard s’est levé, et leur a dit qu’il avait donné ordre à la garde de ne laisser sortir aucun magistrat. Environ les onze heures, le comte de Thiard a ordonné au greffier en chef de ne transcrire sur les registres que l’intitulé, et la première et dernière ligne des édits et déclarations ; sur quoi le greffier en chef lui a observé qu’il avait ordre de Sa Majesté de ne pas désemparer qu’il n’eût préalablement procédé à l’enregistrement desdits édits et déclarations, et qu’il ne pourrait se départir de ce que lui enjoignait ce premier ordre qu’autant qu’il lui en serait donné un postérieur. Le comte de Thiard ayant insisté et observé au greffier que, si les magistrats par leur silence semblaient croire à l’assurance qu’il leur donnait que telle était la volonté du roi, il pourrait bien également y déférer, que tel était l’usage constant des lits de justice, pour en abréger la séance. Mais ces raisons n’ayant pas persuadé le greffier en chef, qui a toujours persisté à ne pas obéir sans ordre , pour lever la difficulté, le comte de Thiard, sous la dictée du sieur Bertrand, a ordonné audit greffier, de la part du roi, pour abréger la séance, de se borner, quant à présent, à transcrire l’intitulé et la première et dernière ligne, etc. , en ces termes, etc. Formule de l'enregistrement dont est cas. « Lu, publié et enregistré de l’exprès commandement du roi, porté par le sieur comte de Thiard, lieutenant général des armées du roi, commandant en chef dans la province de Bretagne, assisté du sieur Bertrand de Molleville, conseiller du roi en ses conseils et maître des requêtes ordinaire de son hôtel, et commissaire départi par Sa Majesté en ladite province; et enregistré, ouï le procureur général du roi, pour être exécuté selon sa forme et teneur, et copie collationnée d’icelui (ou d’icelle) envoyée aux sièges du ressort, pour y être pareillement lue, publiée et enregistrée ; enjoint au procureur général d’y tenir la main. Fait en Parlement le 10 mai 1788. » En finissant la séance, le comte de Thiard a remis à M. le doyen de la cour une lettre close, adressée à la compagnie, portant défense de s’assembler, même ailleurs qu’au palais, sous peine de désobéissance et de forfaiture. Pareille lettre close, adressée aux mêmes fins à MM. les présidents du Parlement, et défense absolue de se prêter à présider lesdites assemblées, sous peine de désobéissance et de forfaiture. Une troisième lettre close, portant les mêmes défenses aux présidents et conseillers, collectivement dénommés. Plus une lettre close, adressée à M. le premier président, qui lui fait défense de favoriser, présider nî contribuer auxdiles assemblées, en cas qu’il en fût requis, et ce, sous peine de désobéissance et de forfaiture. Une dernière lettre enfin, adressée à M. le procureur général du roi, pour lui défendre, sous peine de désobéissance, d’envoyer aux présidiaux, et autres juridictions du ressort, aucun arrêté relatif aux édits et déclarations enregistrés par ordre de Sa Majesté. Après quoi le comte de Thiard a dit ; Messieurs, le roi m’ordonne de rompre la séance, et de vous retirer chez vous. M. le premier président a dit ; La cour renouvelle ses protestations contre la séance que vous venez de tenir ; elle me charge de vous témoigner sa douleur à la lecture des lois nouvelles qu’elle vient d’entendre, et qu’elle ne peut reconnaître; elle attend avec impatience le moment de porter ses respectueuses représentations au pied du trône ; mais sa conduite prouvera toujours son attachement inviolable aux vraies lois du royaume, à ses serments, et à sa soumission aux vrais commandements du roi. M. le procureur général a pris la parole, a tracé tous les maux auxquels seraient livrés la province et tout le royaume en entier, si les édits, déclarations, etc., dont on venait de forcer l’enregistrement, n’étaient promptement retirés. Le sieur de Thiard a ordonné une seconde fois de rompre la séance, et à tous les membres de se rendre chez eux, Alors la cour a levé sa séance, et les magistrats défilèrent devant un corps de troupes, rangé en bataille dans la salle des procureurs. MM. le premier président et le procureur général restèrent avec les sieurs de Thiard et Bertrand. Le sieur de Gaud est alors entré dans la grand’- chambre avec deux pages du sieur de Thiard, et y est resté jusqu’à sa sortie, Le sieur comte de Thiard a ordonné au greffier d’écrire le procès-verbal de la séance. M. le greffier lui représenta que les faits qu’il rapportait n’étaient pas suffisamment détaillés, et qu’il y manquait plusieurs circonstances : le sieur Bertrand répondit qu’il le faisait à dessein, et que ce qu’il omettait ne pouvait pas nuire à la cour. La cour leva sa séance environ les deux heures. Le public, persuadé qu’elle eût été prolongée au moins jusqu’au soir, s’était retiré, la foule était diminuée, et les magistrats sortirent au moment du dîner , mais bientôt on fut instruit de leur sortie, et la foule reparut. Une heure après, M. le premier président sortit seul : il fut entouré, applaudi, et forcé, par attendrissement, d’entrer dans sa chaise ; il fut conduit à son hôtel par une foule inombrable ; les battements de mains, les cris de Vive le parlement ! Vive le premier président ! raccompagnèrent chez lui. Pendant ce 'temps, le sieur de Gaud, capitaine des gardes du commandant , descendit sur la place prévenir le commandant du régiment de la [J» Série, T. le*1.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sortie des commissaires du roi; on rappela sur-le-champ : le bruit des tambours fut le signai du retour de la foule. Les commissaires parurent à la grande porte du palais ; ils descendirent dans l’enceinte gardée par le régiment de Rohan. Surpris du nombre des spectateurs, ils restèrent plus d’un quart d’heure indécis... Enfin l’ordre est donné d’ouvrir la colonne ; à l’instant la foule accourt, se pelotonne, et se porte avec impétuosité vers les commissaires. Le peuple, après avoir conduit le premier président avec les acclamations de son respect, de son attachement et de sa confiance pour les magistrats, revint augmenter la foule : mais l’effervescence changea de ton, ce ne fut plus celui de la plainte, des acclamations affectueuses. Gemou-vement attendrissant du patriotisme se changea en un silence lugubre et menaçant. Les commissaires sentirent bientôt combien leur présence redoublait l’indignation publique. A peine les commissaires eurent-ils dépassé l’enceinte des troupes qui investissaient le palais, que les cris de Haro ! et les sifflets redoublés retentirent de toutes parts. On invectiva plus particulièrement le sieur Bertrand, on le traita de traître et d’oppresseur. L’indignation se peignait dans tous les mouvements. Les cris augmentaient avec la foule, mais le public se borna aux invectives pendant le défilé des deux premières rues. Une corde à nœud coulant fut lancée à plusieurs reprises sur l’intendant, comme pour lui marquer à quel point on était indigné de sa conduite. Enfin on jeta tout ce qui se trouva dans les rues, pierres, bois, débris de bouteilles ; la chaise d’un des commissaires fut brisée. Une bûche, lancée sur l’intendant tomba sur le comte de Thiard. Le sieur Bertrand reçut une pierre à la tête. Un des hommes de la suite des commissaires appela la garde : elle accourut avec ses armes, elle se présenta au bas de la rue de Montfort pour arrêter la multitude; mais ce fut en vain... Des jeunes gens se précipitèrent avec intrépidité , avec fureur , et se firent passage... Les baïonnettes pliaient sous leurs mains ; les fusils étaient arrachés, les soldats renversés : des cris épouvantables.... Tout annonçait un danger pressant.... L’officier de garde s’avança vers la foule, et, jetant ses armes, il s’écria : « Mes amis, ne nous égorgeons pas, je suis citoyen comme vous.... Soldats...., halte.... » Il avait l’air pénétré de cette noble confiance qu’inspire à l’honneur vertueux l’amour de ses concitoyens. Cette conduite changea subitement les dispositions de la foule ; des voix s’élèvent et crient : Bravo , l'officier ! Aussitôt il est environné, chacun l’applaudit; les uns lui serrent les mains, d’autres l’embrassent. (M. Blondel de Nouainville.) Cette diversion fut heureuse pour les commises saires du roi ; ils en profitèrent pour se rendre à l’hôtel du commandant, accompagnés des soldats que M. de Nouainville avait placés près d’eux ; les portes furent fermées avec vivacité, à peu près comme les portes d’une place le sont après une sortie et la poursuite de l’ennemi. Quelques soldats s’aperçurent que leur officier était enlevé, et porté sur les épaules et les bras de la multitude; ils accoururent furieux, pour pénétrer jusqu’à lui et le dégager ; on en revint aux mains, on lança des pierres de nouveau; M. de Nouainville se jeta entre les soldats et le peuple; il parvint à reporter ses soldats au poste et à toqt arrêter.... On commençait à se tranquilliser, plusieurs personnes faisaient cercle autour de lui, on jetait encore quelques pierres ; M. de Nouainville fut atteint à la joue, il y porta la main, et la voyant ensanglantée il la montra au peuple, et dit : « Mes amis, vous me caressiez il n’y a qu’un moment, maintenant vous me jetez des pierres.... » On s’écria aussitôt : « Quoi ! il est blessé! Oui, répondit-il, mais ce n’est que mon sang.... » Ce trait de sentiment pénétra d’admiration tous ceux qui l’environnaient; ils le prirent dans leurs bras, le portèrent dans une autre rue, en criant : Bravo , l'officier! Un caporal et deux hommes qui venaient de relever les sentinelles, ignorant tout ce qui venait de se passer, accoururent pour le secourir et furent maltraités; la garde montante arriva pour lors, renforcée de plusieurs compagnies; la mêlée continuait, on arracha des fusils, des sabres, on les cassa, on en jeta même dans le jardin du commandant; l’animosité redoublait, et la scène qùe M. de Nouainville venait d’apaiser pensa redevenir plus vive que jamais. Deux magistrats, M. le comte de Vay, président des enquêtes, et M. le baron de Pontfarcy, conseiller de grand’chambre, descendirent d’une maison voisine, se mêlèrent à la foule, s’avancèrent au peuple, l’apaisèrent tellement, que personne n’avança plus. M. Robinet , échevin , faisait fonction de, maire, accourut aussitôt, dit à l’officier de retirer ses troupes, et qu’il répondait de tout. M. le comte de Thiard, dont la contenance a été celle d’un militaire habitué aux combats, reparut, et ordonna de retirer les troupes. Son compagnon, plus habitué aux combinaisons du cabinet et de la fourbe politique, s’était retiré dans un triste état ; sa tête n’y était plus depuis longtemps, tout son être semblait mis en fusion et, si l’àme se purifiait quand le corps se pu,rge, on aurait eu l’espoir de voir revenir l’âme du sieur Bertrand à l’état de celle d’un citoyen honnête, généreux et franc. 11 a gardé les arrêts pendant plusieurs jours sans oser paraître. Sans lettre de cachet, le peuple breton a fait prisonniers d’État MM. les corn- 516 [ire Série, T. 1er. j missaires du roi ; ils se sont vus réduits à se faire garder par des sentinelles, à les doubler, à les multiplier nuit et jour. Ils ont fait changer les serrures de toutes leurs portes. MM. les commissaires du roi doivent rendre grâce au génie qui Jes inspira de sortir au moment du dîner. Trois heures plus tard, cinq cents jeunes gens, déterminés à punir l’attentat fait contre les lois et la magistrature, eussent été soutenus d’un autre corps plus nombreux et plus dangereux encore : l’assemblée des jeunes citoyens, de toutes les classes, ne se divisa que pour garder, pendant la nuit, la demeure et la liberté des magistrats. Cette effervescence n’est pas l’effet d’un aveugle fanatisme. L’amour de la patrie, l’élan d’un peuple éclairé, d’une nation courageuse et libre, qu’on veut asservir et vexer : voilà ce que nous remarquons dans ce soulèvement général contre les innovations du jour. Dès le même jour un grand nombre de magistrats se réunirent, avec le projet de rentrer au palais : il fut représenté qu’il était fermé et gardé par des troupes; qu’une telle tentative disposerait davantage à l’émeute et au trouble. Le lendemain plusieurs magistrats se rencontrèrent au Tabor, promenade de MM. les bénédictins, et s’occupaient des événements du jour, lorsqu'une lettre de M. le comte de Thiard fut envoyée au premier président, pour être lue à ceux de Messieurs qui osaient se promener ensemble. Elle menaçait de lettres de cachet, annonçait qu’on allait en faire usage dans la nuit ; tout le monde le disait, quelques personnes le croyaient ; personne ne les craignait : et la nuit se passa tranquillement à la garde des jeunes citoyens. Lettre de la commission intermédiaire au roi , du samedi 10 mai 1788. Sire, Votre Majesté n’apprendra pas sans étonnement, les actes de violence qu’on s’est permis d’exercer en son nom contre les magistrats de votre Parlement de Bretagne. Témoins d’un événement aussi désastreux, nous voudrions pouvoir ledissimuler ; mais notre devoir est d’en tracer l’effrayant tableau à Votre Majesté. Le temple de la justice a été investi, son sanctuaire même n’a pas été respecté : les défenseurs de l’État ont été l’instrument de son oppression ; des soldats, précédés des agents de votre autorité, sont venus, à main armée, violer l’asile des lois, et c’est dans le dépôt sacré, destiné à leur conservation, que la force a consigné des actes du pouvoir arbitraire. Peignez-vous, Sire, l’alarme universelle ; chaque citoyen tremblant pour la liberté publique, pour la sûreté des magistrats, pour la sienne propre. [Introduction.] Sire, le désespoir est général ; il se manifeste par une fermentation dont les progrès sont incalculables, et que votre Parlement aurait calmée, sans les ordres qui lui ôtent jusqu’au pouvoir de s’assembler. Par quelle fatalité tous les principes de l’ordre public sont-ils, au même instant et dans toute l’étendue de la monarchie, inconnus et renversés sous le règne d’un prince dont l’avénement au trône a été marqué par le rétablissement de la magistrature et des lois ? Votre Majesté a solennellement promis d’assembler les États généraux de son royaume. Gomment, avant de les avoir consultés ; comment, sans avoir entendu la nation sur les moyens qu’elle pourrait employer pour se retirer de l’abîme dans lequel elle a été précipitée, a-t-on formé le projet de substituer la force à la justice ! Quelle preuve plus frappante, Sire, de l’abus qu’on a osé faire de votre confiance et de votre autorité ! La nation, privée de ses constitutions les plus essentielles, est forcée de vous représenter que les coups qu’on lui porte en votre nom frappent autant sur le monarque que sur les sujets, Aux grands principes du droit public et naturel qui fondent en ce moment les réclamations de toute la France, s’unissent, en Bretagne, le droit positif, la religion du serment et la foi due aux engagements les plus sacrés. Nous mettons, Sire, sous vos yeux, le contrat solennel, passé entre vos commissaires et les États dans leur dernière assise. Vous y avez reconnu que nul changement ne doit être fait en Bretagne dans l’administration de la justice, sans leur consentement, et que tous les édits et déclarations doivent être vérifiés au Parlement de cette province. Cependant les édits qui viennent d’être enregistrés d’autorité n’ont été ni délibérés, ni consentis par les Étals de votre province de Bretagne. On ôte au Parlement national le droit de vérifier et d’enregistrer tous actes de votre puissance législative; on y substitue un tribunal étranger et illégal qui, par sa composition, sera dans l’imposibilité absolue d’éclairer Votre Majesté sur les coutumes et droits de la Bretagne, sur les ressources et les besoins de ses habitants. Ce que vos commissaires, assistés de vos troupes, ont exécuté, est contraire aux engagements sacrés que Votre Majesté a pris avec les États. Le rétablissement de l’ordre ne peut avoir lieu, la confiance publique ne peut renaître qu’en rendant les magistrats aux lois, et les lois à une nation qui a donné dans tous les temps à Votre Majesté les preuves les plus signalées de son zèle, de sa fidélité et de son amour. Pareille lettre de la commission de la navigation. Noire amour pour votre personne sacrée, nos consciences, nos devoirs et la confiance de nos ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 517 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] concitoyens nous imposent l’obligation de vous adresser, Sire, nos très-respectueuses réclamations contre l’opération désastreuse qui détruit cette législation, qui sera toujours la sûreté du trône comme le gage de la fidélité publique. Arrêté de la commission de la navigation , du lundi 12 mai 1788. La commission, informée par la notorété publique, du contenu aux différents édits qui ont été d’autorité transcrits sur les registres duParlement ; considérant que l’effrayaute destruction qui vient de s’opérer des lois fondamentales de la monarchie, des droits des provinces, et particulièrement de la province de Bretagne, vainement garantis par les contrats les plus solennels, ne laissant à de fidèles sujets d’autre ressource que de réclamer directement, et avec une confiance infatigable, l’exécution de la parole royale, a arrêté d’adresser au roi de très-respectueuses représentations, à l’effet d’implorer sa justice en faveur de son peuple, dont les maux seront comblés par les suites funestes des surprises qui lui ont été faites. Signé , etc. Copie de la lettre écrite par MM. les députés et procureur général-syndic des États de Bretagne en cour, à la commission intermédiaire , le 1 2 mai 1788. Messieurs, nous avons été trouver les ministres pour leur représenter l’alarme universelle que l’arrivée imprévue de MM. les commissaires du roi a répandue à Rennes. Après leur avoir exposé la constitution de la province, ses .droits, nous en avons réclamé l’exécution par tous les motifs contenus dans les pièces que vous nous avez envoyées, et par toutes les raisons qu’a pu nous suggérer le zèle dans une circonstance aussi intéressante. Nous avons particulièrement appuyé, Messieurs, sur l’article qui porte qu’on ne pourra rien changer aux nombre, qualité, fonctions et exercice des officiers de la province, sans le concours des États. M. le comte de Boisgelin, que nous avons rencontré chez M. l’archevêque de Sens, en réunissant ses représentations aux nôtres , n’a rien négligé pour l’appuyèr et en démontrer la solidité et la justice. Nous vous rendrons, Messieurs, historiquement les réponses des ministres, relatives à nos réclamations, afin que vous puissiez les apprécier. 1° Le principal ministre nous a répondu que la nouvelle loi était générale par' tout le royaume ; mais que, si, dans les édits qui ont été enregistrés d’autorité au Parlement, il y a des objets qui soient contraires aux droits, franchises et libertés de la province, Sa Majesté recevra les représentations des États, et aura égard à celles qui lui paraîtront fondées : qu’elle recevra même, avant l’assemblée prochaine, celles qu’on lui présentera. 2° Que, s’il était constaté par les représentations qui seraient faites que le nombre des membres du Parlement, réduit par l’édit à quarante-huit, fût insuffisant, on pourrait l’augmenter; et il nous a annoncé que l’enregistrement devait être fait, de nouveaux ordres très-précis ayant été donnés à M. le comte de Thiard et à M. l’intendant d’y procéder. 3° Que tous impôts nouveaux qui seront enregistrés par la cour plénière pour tout le royaume ne pourront être levés en Bretagne sans le consentement préalable des États, et enregistrés au Parlement de la province. 4° Que toute loi particulière à la Bretagne sera enregistrée au Parlement, comme par le passé. M. le garde des sceaux nous a tenu le même langage. Nous avons toujours insisté sur la réduction des magistrats du Parlement sans le consentement des États : on nous a répondu que l’édit de création duParlement par Henri II n’annonce point que les États aient été consultés; que plusieursfois on en avait augmenté et diminué le nombre sans le consentement des États, qui avaient fait des réclamations, mais auxquelles Sa Majesté n’avait pas eu d’égard. Nous partageons bien sincèrement, Messieurs, avec vous les coups d’autorité qui sont portés à nos concitoyens. Nous vous prions de nous aider de vos lumières et de vos conseils, etc. Copie de la lettre de M. le comte de Thiard à M. lè chevalier de Champsavoy , doyen de la noblesse. — Rennes, 19 mai 1788. Je viens de recevoir, Monsieur, les ordres du roi. Sa Majesté, ayant fait répondre à la commission intermédiaire qu’elle écouterait avec justice et bonté toutes les représentations qui lui seraient faites légalement, a défendu, sous peine de désobéissance, toute assemblée et tout autre acte qui pourraient être contraires à ses volontés. Gomme c’est vous, Monsieur, qui m’avez porté la parole au nom de la noblesse, je ne puis m’adresser à un autre, pour faire connaître aux gentilshommes réunis à Rennes les intentions du roi ; vous voudrez bien les leur notifier, et m’accuser réception de cette lettre Lettre de M. le doyen de la noblesse à M. de Thiard, du 20 mai 1788. Monsieur, j’ai fait part de votre lettre aux gentilshommes bretons qui sont dans ce moment à Rennes. Incapables de désavouer aucune de leurs démarches, ils me chargent de vous remettre la déclaration par laquelle ils regardent comme infâmes ceux qui accepteraient des places, soit dans l’administration nouvelle de la justice, soit dans l’administration des États, qui ne seraient pas avouées par les lois constitutionnelles de la province. Itw Série, T. !«.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [Introduction. ms Les actes de violence qu’on s’est permis d’exercer contre la magistrature, ces actes destructifs des lois, ces actes seuls sont illégaux, et non pas ceux que commandent le bien public et l’amour de la patrie, etc. Arrêté du présidial de Rennes du 20 mai 1788. Les gens tenant le siège présidial de Rennes, considérant les arrêtés du Parlement de Bretagne des 6 et 7 de ce mois, qui leur ont été envoyés, et par lesquels la cour a déclaré nulles et incapables de produire aucun effet toutes transcriptions qui pourraient être faites sur ses registres, sans être précédées de délibération et de vérification libres : Considérant la protestation déposée ce jour au greffe de ce siège par le procureur général-syndic des États ; Témoins de l’entrée faite au Parlement, le 10 de ce mois, par deux commissaires de Sa Majesté ; instruits par la notoriété publique que dans cette séance on a procédé d’autorité à l’enregistrement d’édits, ordonnances et déclarations duroi, portant atteinte aux droits, franchises et libertés delapro-vince, et à l’état de la magistrature : Considérant que cette transcription ne présente que l’exercice du pouvoir le plus absolu, que les magistrats du Parlemeut ont été privés de la liberté qui fait l’essence de leurs fonctions; qu’une pareille transcription ne peut donner à ces ordonnances, édits et déclarations le caractère auguste de loi publique du royaume; que cette violence prouve, au contraire, la transgression des formes prescrites par la constitution de la monarchie, et plus particulièrement encore par les conditions du contrat qui, unissant la Bretagne à la couronne, n’a mis les habitants de cette province au nombre des sujets du roi qu’en leur assurant la conservation de leurs droits, franchises et libertés; Que le sort des empires dépendant surtout de la conservation de leurs lois constitutives dans leur intégrité, et les nouveaux édits opérant une subversion générale dans le droit public du royaume, on ne peut douter qu’ils ne soient aussi opposés à l’autorité du souverain qu’au bonheur des peuples; Fondés à craindre que, par une suite de la surprise faite à la religion du monarque, on n’emploie les mêmesmoyens, ou d’autres aussi éloignés des formes légales, pour transcrire sur leurs registres lesdits édits, ordonnances et déclarations, et que leur silence ne laissât croire qué cette transcription fût libre et volontaire : Considérant que les compagnies, sur lesquelles le roi se repose du soin d’administrer la justice à ses sujets, se rendraient coupables et trahiraient leurs devoirs les plus saints, si, par une soumission servile, elles oubliaient leurs engagements ; que seulement obligées aux fonctions que leurs membres ont juré de remplir, elles se trouveraient dégagées de leur serment par les innovations qui y seraient faites ; elles ne peuvent être forcées à servir d’instrument à la destruction des lois, et à s’élever Bur les dépouilles de leurs concitoyens ; Persistant dans leur arrêté du 6 de ce mois, ils déclarent qu’ils sont dans la résolution d’observer, comme par le passé, les ordonnances qui ont reçu la sanction, suivant les formes antiques et légales ; mais de n’obtempérer qu’à elles seules, et de ne continuer l’administration de la justice que dans les bornes qu’elles ont marquées au pouvoir de leur tribunal, protestant contre toute transcription qui pourrait être faite sur leurs registres d’édits, ordonnances et déclaration contraires aux droits , franchises et libertés de la province, tendants à altérer l’état actuel de la magistrature en Bretagne, ou à y établir des tribunaux revêtus en tout ou en partie de l’autorité et des fonctions appartenantes essentiellement au Parlement et à toutes autres cours et tribunaux. Lettre du prévôt des étudiants en droit de Rennes, aux prévôts des universités du royaume , le 22 mai 1788. Monsieur, j’ai l’honneur de vous adresser, conformément à une délibération de mes confrères, copie d’un arrêté que nous avons pris, relativement aux troubles dont le royaume est menacé. L’ordre des avocats ayant fait des protestations, suspendra sûrement toute fonction devant les magistrats qui seraient assez lâches pour renoncer au plus beau de leurs droits (l’enregistrement). À leur exemple nous avons cru devoir nous refuser à prêter le serment d’être fidèles aux lois de notre pays devant des hommes qui concourront à leur destruction, après avoir juré d’en être les défenseurs ou les organes. J’ai l’honneur d’être, etc. Arrêt de la cour du Parlement de Rennes , rendu le 31 mai 1788, chambrés assemblées. Vu par la cour l’opposition du procureur général-syndic des États, et ouï le procureur général du roi dans ses conclusions, qu’il a laissées par écrit : La cour, extraordinairement assemblée, considérant que, par son arrêté du 29 de ce mois, elle avait fixé une assemblée générale de ses membres au lundi 2 juin, pour aviser au parti à prendre dans les malheureuses circonstances où se trouvent la province de Bretagne et la France entière ; Que l’arrivée subite de plusieurs régiments dans la ville de Rennes est un présage de nouveaux coups d’autorité, de calamités pour les citoyens, et de violence personnelle contre les magistrats ; Que, menacée de la dispersion prochaine de ses • membres, ladite cour ne pourra peut-être exécuter ce qu’elle se proposait de faire pour le bien public et l’intérêt du monarque ; [l*e Sérié, T. 1er.) ARCHIVES 'PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Qu’en quelque lieu que les magistrats se trouvent réunis, la force seule peut les empêcher d’user du droit qu’ils tiennent de la nation même, d’être les défenseurs des lois et l’organe immédiat des peuples auprès du souverain ; Que les édits transcrits militairement sur les registres de la cour, le lûde ce mois, anéantissent les lois les plus anciennes et les plus sacrées de la monarchie ; Que les magistrats ne sont que les dépositaires de ces lois ; qu’elles appartiennent en propriété à la nation, et qu’aucune puissance n’a le droit de l’en dépouiller ; Que les États généraux du royaume assemblés à Blois, en 1579, ayant chargé les Parlements, dans leurs ressorts respectifs, de consentir, refuser ou modifier les lois, et particulièrement les impôts, il s’ensuit que, si le droit d’enregistrement n’était pas lié aussi intimement à la constitution française ; que, si les cours du royaume pouvaient jamais en être dépouillées, un pareil changement ne pourrait être opéré que par la nation assemblée légalement , et dans les formes anciennes, en États généraux ; Que, si les prétendues réformes dans l’administration de la justice avaient réellement le bien public pour objet, on eût attendu, pour les proposer, une assemblée d’État généraux, dont le seigneur roi lui-même a reconnu la nécessité ; mais qu’on a cherché à en éluder les effets salutaires, en les fixant à une époque beaucoup trop éloignée; Que c’est là seulement que de pareilles lois pourraient être proposées ; Que l'état des personnes , la liberté, la propriété , les droits de la noblesse , des citoyens , du peuple , les droits mêmes de nos princes, sont enveloppés dans la ruine des lois et des tribunaux ; Que la stabilité des tribunaux de cette province, que l’enregistrement dans les cours souveraines et l’inamovibilité des magistrats, étant des clauses expresses du contrat d’union de la Bretagne à la France, il s’ensuit qu’on ne peut y porter atteinte sans le concours des États de cette province ; Que, si, dans un temps où les âmes seraient avilies par le despotisme, il arrivait que des magistrats fussent assez faibles pour consentir à l’anéantissement des lois, leur consentement ne pourrait porter atteinte aux dispositions d’un contrat également obligatoire pour toutes les parties contractantes, aux droits d’une nation à qui il appartient d’avoir des lois et des magistrats avoués par elle : Considérant, ladite cour, que les événements funestes qu’elle avait prévus, lors de sa protestation du 5 de ce mois, ne se sont que trop réalisés ; Que les magistrats, enchaînés dan3 l’exercice de leurs fonctions, ne peuvent pas rendre, à la décharge du souverain, la justice qu’il doit à ses peuples ; 519 Qu’en vain aurait-on voulu persuader au seigneur roi qu’il s’acquitterait de ce devoir sacré en créant des tribunaux dont les membres, voués d’avance à l’opprobre, n’auraient jamais la Con-* fiance publique ; des tribunaux dont l’existence, si l’on pouvait réussir à les former, serait une infraction toujours subsistante aux. lois du royaume de la province ; Qu’au moment où des gens sans caractère légal sont venus violer le sanctuaire des lois , les citoyens ont frémi en voyant le palais investi et rempli desoldats; que, depuis cette époquefuneste, le temple de la justice a été transformé en magasin d’armes et de munitions de guerre, au danger le plus imminent pour les titres de familles et de propriété, dont le dépôt sacré est entièrement livré à la soldatesque; Considérant enfin que le royaume et la province de Bretagne vont être accablés des plus grands malheurs ; que la ville de Rennes, en particulier, les éprouvera d’une manière sensible ; que cette ville, très-peuplée et privée par sa situation des ressources du commerce, ne subsiste que par le Parlement et les autres tribunaux qui y attirent des consommateurs ; qu’au moment où on lui enlève son Parlement et ses tribunaux, elle se trouve surchargée d’un grand nombre de troupes qu’on n’y fait entrer que pour son oppression ; Par toutes ces considérations, la Gour, persistant dans ses précédents arrêts, arrêtés et protestations, a décerné acte au procureur général-syndic des États de la répétition de sa protestation contre tout ce qui a été fait d’illégal et de contraire aux droits, franchises et libertés de la province , dans la séance du 10 de ce mois ; lui a pareillement décerné acte de sa réquisition formelle, que les articles 22 et 23 des contrats renouvelés à chaque tenue des États soient observés suivant leur forme et teneur ; et faisant droit sur icelle, ensemble sur l’opposition du procureur général du roi et sur ses conclusions, les a reçus opposants à l’exécution des actés militairement transcrits sur les registres de la cour, dans la même séance du 10 de ce mois ; en conséquence, a déclaré et déclare nulle et illégale la transcription des édits, ordon* nances et déclarations portés sur les registres de la cour. Fait défense à toutes personnes d’y obéir, et à tous juges d’y avoir égard, sous les peines qui y échéent ; Et faisant pareillement droit sur les conclusions du procureur général-syndic des États, ensemble sur le réquisitoire du procureur général du roi, attendu le refus dudit de Thiard de retirer de l’enceinte du palais les troupes qui y ont été im traduites, malgré les risques auxquels elles exposent continuellement les dépôts précieux qui y sont conservés ; • Après avoir sommé ledit de Thiard de retirer lesdites troupes, le déclare personnellement res- 520 [l*e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] ponsable envers le roi, la province et toutes les parties qui y auraient intérêt, de tous les événements auxquels le séjour des gens de guerre, ainsi que la suppression et altération d’aucune des pièces du greffe, pourraient donner lieu. Déclare, ladite cour, itérativement dénoncer au roi et à la nation , comme coupables de lèse-majeslé et de lèse-patrie, ceux qui, dans la perversité de leur coeur, ont osé concevoir, proposer et faire exécuter des projets qui tendent à la subversion totale de l’ordre civil, et dont les entreprises sacrilèges sont portées jusqu’à diriger contre la nation même les forces qu’elle entretient pour sa propre défense ; Déclare enfin, ladite cour, que, si elle ne peut se rassembler en exécution de son arrêté du 29 mai, aucune crainte, aucune violence ne pourront jamais l’empêcher de professer, de publier et de maintenir individuellement les maximes fondamentales de la constitution du royaume et de la province. Heureuse encore, ladite cour, de pouvoir donner au seigneur roi, à l’État et à tous les ordres de la province, cette preuve de son zèle, de son dévouement et de son inviolable fidélité ! Ordonne que le présent arrêt, ensemble le discours du procureur général-syndic des États, les délibérations des commissaires intermédiaires et de la navigation intérieure, et le réquisitoire du procureur général du roi, seront, à sa diligence, imprimés sur-le-champ et envoyés à tous les tribunaux du ressort, pour y être lus, publiés et enregistrés, et que copie en forme du présent arrêt sera délivrée au procureur général-syndic des États. Les gens du roi entrés en la cour, il leur a été donné lecture du présent arrêt, et ils ont déclaré y adhérer. Mémoire présenté au roi, à Versailles , le 31 août 1788, par MM. les cinquante-trois députés des trois ordres de la province de Bretagne. Vous êtes, Sire, le conservateur de la justice en France : la justice est le premier et le plus essentiel patrimoine de l’homme en société. Mais, Sire, ce droit qu’ont les individus appartient encore plus aux corporations. La noblesse a vu briser le contrat qui vous soumet la Bretagne ; elle a vu rompre les liens qui l’unissent à votre couronne ; elle a ressenti la contre-coup des infractions faites aux droits de la province ; un concert d’inquiétudes et d’alarmes a réuni ses membres, etc. Ne souffrez pas qu’ils soient (I) plus longtemps éloignés de votre cour, ces personnages distingués qui occupaient auprès de Votre Majesté des emplois honorables, et jouissaient d’une confiance méritée par la plus noble conduite. (1) MM. les ducs de Chabot et de Praslin, M. le comte de Boisgelin, M. le marquis de Serent, M. le marquis de la Fayette. Ne souffrez pas non plus que des lettres de cachet, surprises aux embarras de la sollicitude royale, viennent épouvanter les paisibles habitants du fond de nos provinces (1) ; qu’elles réduisent. les uns à fuir leurs asiles, sans compagnons de leur fuite que les besoins qu’ils éprouvent, et l’insupportable idée de ceux auquels leur absence livre ce qu’ils ont de plus cher, tandis qu’elles en précipitent d’autres dans des cachots infectés, où ils perdent leur santé, leur fortune, toute joie, et enfin tout amour pour le gouvernement. Deux années ne sont point encore révolues depuis que vos commissaires, stipulant pour vous, Sire, ont accordé qu'aucuns édits , déclarations , arrêts du conseil, etc., n'auront aucuns effets, s'ils n'ont été consentis par les Etats , et vérifiés par les cours souveraines de la province; Qu'il ne serait rien changé aux nombre, qualités, fonctions et exercices des officiers de la province ; ce faisant, qu'il ne sera fait aucune création d’officiers, ni de nouvelles juridictions. En ratifiant vous-même les clauses de l’accord ; par des lettres signées de votre main, enregistrées en votre Parlement ainsi qu’en votre chambre de comptes, vous vous êtes obligé de les faire garder par tous ceux et ainsi qu'il appartiendrait. Vous avez ordonné, aux magistrats qui composent ces deux cours souveraines, de faire lire , publier et registrer, et le contrat et la ratification qui l'agrée et l'approuve. Vous leur avez enjoint de garder de point en point le contenu en icelui, selon sa forme et teneur , sans y contrevenir, ni souffrir qu'il y soit contrevenu. Sire, les despotes veulent régner sur des esclaves ; mais un roi de France ne voudra jâmais pour sujets que des hommes libres. Ah ! ne permettez pas qu’à la veille des États généraux, devenus indispensables, solennellement promis pat Votre Majesté, le crédit public s’anéantisse, en substituant à une monnaie nécessaire le plus vicieux de tous les moyens, un papier dangereux, sans fondement légal, et par conséquent sans confiance, un papier indivisible dans la proportion des besoin d’un chacun, etc. Réponse du roi à MM. les députés et procureur général-syndic des États de Bretagne, le 10 juin 1788. « J’avais ordonné au comte de Thiard de faire venir à Rennes de nouvelles troupes; il n’a rien fait que par mes ordres. « La commission intermédiaire aurait dû commencer par exécuter ceux qu’il lui a donnés de ma part; elle aurait dû surtout ne pas employer dans son refus des motifs capables d’inquiéter mes peuples. « Je ne fais pas marcher de troupes contre mes (1) MM. de Maubreuil, de Freslon de Saint-Aubin, de Saint -Pern de la Tour. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sujets, mais pour mes sujets ; pour protéger le citoyen soumis et tranquille; pour imposer à celui qu’une fermentation passagère pourrait égarer; pour le préserver ainsi contre lui-même, et pour maintenir la sécurité. « La liberté de chacun de mes sujets reposera toujours entière à l’abri de mon autorité, lorsqu’ils n’en abuseront pas pour troubler l’ordre public. « Ce qui s’est passé depuis l’arrivée des troupes prouve combien leur présence était nécessaire ; et leur conduite, qu’elles n’ont été appelées que pour assurer la tranquillité. Quand tout sera calme à Rennes je pourrai les faire retirer. « Voilà ce que vous pouvez mander à la commission de ma part. Si elle veut mériter ma confiance, dans les fonctions dont j’ai bien voulu la charger, qu’elle se garde de tenir une semblable conduite; je ne pardonnerais pas deux fois de suspecter ma bonté et de la faire suspecter à mes peuples. « Après vous avoir répondu sur la lettre que vous m’avez remise, j’ajoute que je suis extrêmement mécontent de ce qui s’est passé à Rennes. « Le procureur-syndic des États a osé s’élever contre mes édits, même avant de les connaître, et en calomnier les dispositions. « Des gentilshommes se sont assemblés en grand nombre, sans ma permission, et le défaut de pouvoir est le moindre vice de leurs délibérations. « Les commissions se sont portées à des démarches que je veux bien n’appeler qu’inconsidérées et peu respectueuses. « Les magistrats de mon Parlement, non con-tentsde protester contre mes édits, ont, malgré ma défense, tellement multiplié les assemblées et les actes de désobéissance, que j’ai été forcé de les disperser, et c’est pour leur intérêt même que je ne puis vous accorder leur retour. « Les Bretons auraient dû cependant remarquer dans mes édits que les droits des provinces y sont expressément réservés, que l’enregistrement des lois qui leur sont particulières doit se faire dans les Parlements ; que l’enregistrement de ces cours doit même précéder l’exécution des lois qui sont communes à tout le royaume. « Si, dans une opération utile rendue nécessaire par les circonstances, dont les principales dispositions sont désirées depuis longtemps, et qui, par son importance et ses bons effets, a dû s’étendre à toute la France, la Bretagne avait remarqué des inconvénients relatifs à sa constitution, je vous ai fait assurer que je recevrais tous les mémoires que vous m’adresseriez. « C’est par des représentations mesurées et fondées sur des raisons, qu’on doit recourir à ma justice et à ma bonté. « Tout autre moyen est réprouvé par les lois et contraire à la fidélité qui m'est due. « Si j’ai pu suspendre les effets démon raécon-5-21 tentement, mandez à vos concitoyens que l’indulgence des rois 'doit avoir pour terme le moment où l’ordre public commencerait à en souffrir. » Lettre de la commission intermédiaire de Bretagne à M. Necker, ministre des finances. Du 2 septembre 1788. ’ Monsieur, Dans la crise violente où se trouve le royaume, on ne peut voir qu’avec satisfaction le souverain rappeler auprès de sa personne un administrateur dont la capacité est généralement reconnue. C’est du désordre des finances que sont principalement provenus les malheurs de la France. Pour satisfaire à des déprédations sans exemple, et aux dissipations effrénées, il a fallu accumuler les emprunts et les impôts. La multitude des uns était parvenue à éteindre le crédit; l’excès des autres ôtait la possibilité d’en asseoir de nouveaux ; cependant on voulait encore multiplier les uns et les autres. On a cru, Monsieur , qu’en établissant le despotisme ministériel, en détruisant les corps qui pouvaient s’opposer aux projets qu’on avait formés, l’on parviendrait à les effectuer : heureusement on s’est trompé. Loin d’atteindre le but qu’on s’était proposé, on s’en est au contraire éloigné. En accroissant la misère des peuples, en attaquant une foule de propriétés, on a tari de plus en plus la source des impôts ; on a en même temps altéré considérablement les produits , en réduisant pour ainsi dire à rien une des branches principales de la perception. On a éteint toute espèce de confiance, en substituant aux lois la violence. L’on s’est vu obligé de suspendre les payements. On a voulu commander par la terreur, et on n’a pas songé que , bien différent de l’empire de la justice (dont la perpétuité a pour gage l’amour et la confiance des peuples), le règne de la terreur ne peut être que passager, parce que les moyens dont on fait usage pour le soutenir suffisent seuls pour opérer sa destruction. Si l’histoire n’offre point de circonstances plus critiques que celles où nous nbus trouvons , il n’est point aussi d’époque où la nation ait été plus éclairée sur ses véritables intérêts, point de moment où l’on doive par conséquent plus espérer de sa réunion en corps d’États généraux. La lumière, répandue par les ouvrages qui ont paru sur l’administration des finances, par les comptes qui ont été rendus , par la discusssion qu’ils ont fait naître, a mis en quelque sorte à la portée de tous les esprits une matière dont la connaissance était ci-devant un mystère impénétrable à ceux qui n’avaient point administré. La découverte d’une infinité d’abus qu’avaient su voiler au public ceux auxquels ils étaient profitables , les grandes fautes qu’ils ont faites, les |1* Série, T. Ior. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m entreprises criminelles d'un ministre audacieux, la situation déplorable du royaume , sa gloire et môme son existence, tout nécessite et rend indispensable la prochaine assemblée des États généraux : il n’y a point de moments à .perdre ; il n’y aura bientôt plus de remède à apporter. C’est à la nation, Monsieur , qu’il appartient de statuer sur le choix des moyens propres â la retirer de l’abîme où elle se trouve, et qui puissent surtout empêcher que de semblables événements se renouvellent. N’est-il pas vraiment douloureux de voir un royaume, que la nature semble avoir formé pour être l’État le plus florissant de l’univers, exposé à des révolutions successives , dont une seule eût suffi pour détruire à jamais tout autre empire ? La justice du roi vient enfin d’être éclairée : l’espoir renaît, un nouvel ordre de choses se prépare. Combien ne sera-t-il pas glorieux pour vous , Monsieur, que la France puisse voir sous vos auspices la tranquillité se rétablir, les lois reprendre toute leur force, le souverain, fidèle aux engagements qu’il a contractés en montant sur le trône, respecter les droits de la nation, maintenir en leur intégrité les différents traités des provinces , assurer la liberté individuelle , protéger les propriétés, et, par une suite nécessaire, l’opinion publique, ce puissant ressort des bons gouvernements, seconder et couronner les efforts de l’administration ! Plus vous vous êtes montré dans la vôtre jaloux de l’approbation générale, plus nous devons , Monsieur, vous parler avec la franchise qui forme le principal caractère de la nation bretonne. Nous y manquerions , nous trahirions le devoir que nous impose notre qualité d’administrateurs de la province , si nous ne vous rappelions pas dans cet instant les justes alarmes qu’ont répandues en Bretagne des' plans et des principes contraires à l’esprit qui semble avoir dicté l’ouvrage dans lequel ils paraissent annoncés. Inconciliables avec nos droits , notre constitution, notre position locale et nos intérêts les plus précieux, ils exciteront avec raison la vigilance et la sollicitude de l’assemblée nationale. Les événements survenus depuis cette époque, les réflexions qu’ils ont amenées, les représentations qui les ont suivis , vous auront , Monsieur, fait aisément reconnaître que plusieurs provinces ayant des traités particuliers, il n’est ni juste ni permis d’établir l’égalité entre les différentes parties du royaume, à moins qu’on ne prenne pour base de cette égalité l’état des provinces assez heureuses pour avoir conservé la constitution primitive de la monarchie, pour s’être préservées du fléau destructeur qui ravage presque toute la France; qu’il existe des droits auxquels ou ne peut donner nulle espèce d’atteinte, sans méconnaître les engagements les plus solennels , Sans rompre des traités garantis par le sentiment respectif du souverain et des peuples ; qu’il n’est, en un mot, aucun degré davantage pécuniaire ou politique qui doive porter à désirer l'infraction des principes sur lesquels reposent l'ordre public , et la sûreté des propriétés particulières etc. (1). L’espérance où nous sommes, Monsieur, de voir ces principes et nos droits également respectés sous votre administration; la confiance qu’inspirent Vos talents et vos lumières, tout se réunit pour nous faire applaudir au choix dont Sa Majesté vient de vous honorer. Nous vous prions , Monsieur , d’agréer notre compliment, et d’accueillir favorablement les réflexions que le seul amour du bien public nous a dictées. Nous sommes avec respect, Monsieur, etc. Les membres de la commission intermédiaire des États de Bretagne. Fait en commission à Rennes, le 2 septembre 1788. Relation authentique de ce qui s'est passé à Rennes les 26, 27 et jours suivants du 7nois de janvier 1789. Les sentiments et la conduite des gens du tiers-état de la ville de Rennes n’auraient pas besoin d’apologie , si la noblesse bretonne, qui vient de se dégrader par les plus horribles attentats , no calomniait ceux qu’elle assassine. Les annales de l’histoire sont souillées par des attentats plus désastreux , mais peut-être moins atroces. Le fanatisme religieux a suscité, dans presque tous les États , des guerres intestines et furieuses; mais que dans le siècle de l’humanité et de la raison, alors que la philosophie dans ses progrès doit avoir au moins adouci les mœurs qu’elle a sans doute énervées , des magistrats et des nobles, c’est-à-dire des hommes qui ne parlent, les uns que de justice, les autres que d’honneur, aient pu déchaîner leurs valets contre la jeunesse d’une ville, pour la faire assommer à coups de bûche et de bâton; qu’ils aient profondément médité, sourdement pratiqué ce complot infâme ; que plusieurs aient contemplé avec délices cette abominable exécution; que d’autres soient venus se mêler parmi les exécuteurs, pour les animer du geste et de la voix ; cet attentat n’a pas d’exemple. Mais, quand on songe que tant de barbarie a pour cause unique l’adhésion des jeunes habitants de Rennes à la cause commune, et le courage avec lequel ils soutiennent l’universelle réclamation de l’ordre dont ils sont membres , réclamation garantie par les principes de l’éternelle justice et de l’éternelle vérité ; quand on songe qu’un arrêté noble et légitime de ces jeunes gens (1) Voyez tome II, page 3"?, De l’administration des finances, par M. Necker. [ire Sérié, T. 1er.) ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. (Introdactioft.) est le motif pour lequel des valets assassins, payés par leurs maîtres, vont attaquer dans sa fleur la génération d’une ville , on frémit d’indignation, et la main se refuse à vous transmettre ces horribles détails. Nulle part autant qu’en Bretagne la réclamation du tiers-état n’a souffert une vive et choquante contradiction. C’est que nulle part autant qu’en Bretagne le tiers-état n’est écrasé par une administration oppressive et féodale, aggravée journellement par un sénat de gentilshommes. A la première nouvelle des justes réclamations de la ville de Nantes, un gentilhomme, connu par l’ascendant qu’il a pris sur son ordre , le chevalier de Guer, parla de sabrer le tiers-état, comme du temps de Philippe le Bel. Un magistrat célèbre par ses préjugés et par son zèle (Loz de Beau-cours), fougueux pour tout ce qui tient à la noblesse , s’oublia jusqu’à dire à la chambre de lecture, à propos des demandes du tiers-étal : « Il faudra donc jouer du couteau. » Fidèles à la maxime des tyrans, diviser pour régner, les nobles comprirent aisément qu’il faudrait abandonner leurs usurpations, s’ils ne parvenaient à diviser les citoyens ; système déplorable, complètement mis en œuvre dans les deux lettres incendiaires que le chevalier de Guer a publiées, lettres dont l’objet unique est de persuader au peuple qu’il est indignement trompé , et que les demandes des assemblées municipales , qui ne tendent qu’à l’affranchir, ne doivent opérer que sa ruine. Par une suite du même plan, on a vu des nobles de tout sexe, tantôt menacer ouvertement les marchands , les ouvriers de la ville, de se retirer à la campagne , et de ne plus les faire vivre; tantôt les plaindre affectueusement de cette désertion combinée; tantôt supprimer les aumônes pour faire crier les mendiants ; tantôt les plaindre, en disant avec un air de bonté et de commisération : « Nous partagerons avec vous tant que nous aurons; mais nous ne pourrons plus vous donner quand le tiers nous aura dépouillés. » Cependant les États s’ouvrirent; cette assemblée fut bientôt réduite à l’inaction, par le refus prétendu constitutionnel d’entendre la lecture des charges du tiers-état; enfin le prince eut la sagesse de suspendre la session. Les députés des villes obéirent avec respect,' et cette noblesse, qui disait, qui imprimait que les demandes du tiers tendaient à ébranler le trône, qui se plaignait qu’on voulait donner à la France la constitution de l’Angleterre, qui ne craignait pas d’appeler un nouveau Cromvvel le ministre éclairé dont la sagesse seconde si bien les vues d’un roi populaire et bienfaisant , a osé contester à l’autorité royale un droit reconnu essentiellement attaché à la couronne par ces fiers insulaires, idolâtres de leur liberté, le droit, je ne dis pas de dissoudre l’as-m semblée nationale, mais même d’en suspendre les séances. Le haut clergé, la noblesse prennent l’arrêté de n’obtempérer jamais à l’arrêt du conseil, et de demeurer jour et nuit dans la salle des États. Gette résolution vraiment inconstitutionnelle, cette désobéissance, cette révolte contre le droit le plus légitime du monarque, est la source des maux qui nous désolent, et dont nous ne pouvons prévoir la fin. Ges assemblées, où le peuple n’avait plus de représentants, ne s’occupèrent que de machiner contre ses plus précieux intérêts. Tous les actes qui en sont sortis ne tendent qu’à surprendre la religion du prince, et à soulever le peuple contre ses défenseurs. Déclaration insidieuse de la noblesse, où elle met en problème l’inégale répartition des Impôts, et accuse les députés des villes de vouloir tromper le peuple, et d’avoir mis seuls obstacle à la discussion de cette inégalité. Traductions infidèles de cette déclaration dans les trois dialectes usités en Basse-Bretagne, imprimées et envoyées par milliers dans les paroisses. Protestation scandaleuse contre le résultat du conseil du 27 décembre 1788, qui a fait bénir le nom du roi dans toute la France, et admirer M. Necker dans toute l’Europe. Enfin extrait raisonné des séances des États, écrit dicté par l’imposture même. Indignés des infidélités dont il fourmille, les jeunes citoyens de Rennes, unis au petit nombre d’étudiants en droit qui Se trouvent en cette ville, publièrent une déclaration imprimée, pour contredire, d’après leurs connaissances personnelles, les fausses assertions de ce perfide écrit : ils la présentèrent à l’assemblée municipale et à M. le comte de Tbiard. Un démenli si public inspire à la noblesse un ressentiment profond ; elle voit aussi avec désespoir les adhésions données aux députés du tiers-état par ces assemblées générales des paroisses, que des magistrats, tous nobles et juges dans leur propre cause, avaient en vain défendues pour étouffer ce vœu commun des citoyefts. N’ayant pu soulever contre le peuple le peuple lui-même, les nobles travaillent à soulever leurs valets. On répand de l’argent ; trois bureaux de souscriptions sont ouverts pour désavouer les démarches du tiers-état ; la moindre gratification est de vingt sous par signature. Des billets de convocation sont fabriqués chez des magistrats, dans la salle des États même, pour assembler les domestiques, porteurs et autres qu’on pourra séduire. Les billets sont en partie distribués à la porte de la salle des États. Un gentilhomme en colporte jusqu’au pied des autels. Des nobles, des femmes de condition, dont les noms sont connus, sollicitent leurs ouvriers, maçons et autres artisans, de se trouver avec 524 [-lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I Introduction.] leurs valets à rassemblée du champ de Montmo - rin ; on convoqua jusqu’aux domestiques des citoyens du tiers-état, jusqu’aux ouvriers de l’atelier de charité établi sur le port de Viarme. Les nobles, les magistrats en sont instruits le dimanche 25; un commissaire de police en avertit M. le premier président, qui ne pouvait guère l’ignorer. Ce magistrat, qui venait de faire défendre les paisibles assemblées des propriétaires et notables des paroisses, ne donne aucun ordre, ne prend aucune précaution, ne fait aucune démarche pour empêcher un attroupement de valets qui doit naturellement avoir les suites les plus contraires à la tranquillité publique. Lundi 26, au matin, les nobles donnent de l’argent à leurs-domestiques et la liberté de sortir pour l’assemblée ; d’autres les forcent à s’y rendre ; vers huit à neuf heures, les domestiques, les porteurs des nobles et de plusieurs magistrats arrivent en foule au champ de Montmorin, armés de bâtons. Rendons justice aux artisans et aux ouvriers ; ils ne se mêlèrent point à cette troupe séditieuse, elle ne fut renforcée que par un très-petit nombre de malheureux vagabonds à qui l’on fit accroire qu’il s’agissait de faire baisser le prix du pain, et qui ne prirent aucune part aux violences dont on va rendre compte. Helaudais monte sur un arbre, lit un mémoire conçu dans les principes des deux lettres du chevalier de Guer, et demande aux valets s’ils entendent qu’on change la constitution qui fait leur bonheur. On crie qu’il faut la conserver, la défendre, et obtenir la diminution du prix du pain ; on boit, on crie, on accourt dans la ville en répétant à haute voix : « Nous sommes pour la noblesse, nous allons nous battre pour notre argent. » Domestique est le mot de ralliement ; le cri de guerre est : « Frappons fort, il y a six francs à gagner. » Ces séditieux se rendent au palais ; les magistrats les accueillent, les écoutent, reçoivent leurs placets pour la constitution, et leur promettent de réduire le prix du pain. Une horde de valets demi-ivres, qui dans un instant se débordent sur les places, armés de bûches et de bâtons, hurlant des cris de fureur, y cherchent les victimes désignées, puis courent en tumulte au café de l’Union, rendez-vous ordinaire de la jeunesse. Six jeunes gens y sont assaillis, accablés ; ce fut le signal du massacre : et non-seulement les jeunes gens, mais tous les hommes mariés, mais tous les pères de famille, mais tous ceux enfin qui, sans être étudiants en droit, ou sans être fort jeunes, conservent encore un certain air de jeunesse, sont confondus parmi les proscrits, assommés de coups de bâton, assaillis d’une grêle de pierres (car tous les valets en avaient rempli îes poches de leurs vestes), plusieurs grièvement blessés ; dans la rue de Bourbon un adolescent renversé sous les coups, et ses lâches assassins l’assommant encore impitoyablement. La plupart fuyant désarmés et se réfugiant dans les boutiques, où d’insolents valets ont l’audace de les poursuivre, de les chercher, et de maltraiter jusqu’aux femmes qui protègent la retraite. L’on a vu des nobles, et même un magistrat, applaudir, par un rire insolent et traître, aux assassins par eux soudoyés, insulter, avec ce sang-froid qui fait frémir, des victimes sans défense. — Bon, cela commence à prendre couleur, disait l’un. — Courage, disait l’autre. — 11 en est qui arrêtent les jeunes gens par le bras, comme pour les empêcher de commettre des violences, et qui les laissent battre en même temps par leurs valets. Celui-ci reconnaissant son domestique sur la place, l’appelle par son nom, en criant : « « Qu’est-ce que tu fais ? » Le valet répond : « Ce que vous m’avez commandé, Monsieur. » Et le peuple de poursuivre avec des huées menaçantes le détestable hypocrite. Un chevalier de Saint-Louis, le sieur de Trémar-gat aîné, mérite une mention particulière. Il aperçoit le sieur Martin sur la place, l’approche, et lui crie, en affectant le ton de l’intérêt, de se retirer, que les jeunes gens n’ont point affaire là. Le sieur Martin répondit qu’il n’était plus jeune homme ; que depuis huit ans il était reçu procureur au présidial. Or, pendant ce colloque arrivait une troupe de valets. « Fondez sur ces hommes, » s’écrie le brave gentilhomme. Les valets obéissent, le sieur Martin prend la fuite et tombe parmi d’autres assassins qui l’arrêtent. On parvient à le dégager ; il se précipite dans une boutique, dont la maîtresse est subitement assaillie et même blessée d’un coup de bâton. Le noble Trémargat continue ses exploits ; il empêche qu’on ne désarme les domestiques. Un archer de ville tenait le bâton d’un valet, qu’il s’efforçait d’arracher de ses mains; le chevalier a l’audace et la lâcheté d’appuyer un pistolet sur la gorge de l’archer de ville pour lui faire lâcher prise, en criant : « De quoi te mêles-tu? » C’est ce même monsieur, bien plus digne de figurer parmi les muets d’un, sérail que dans un ordre de chevaliers, qui, rencontrant le lendemain matin deux jeunes gens armés de briquets, et leur demandant avec un ton risiblement insolent de quel droit ils portaient des armes, sur la réponse de l’un deux, s’enfuit avec son épée, et tout tremblant de peur, alla se cacher au fond d’une boutique. Le calme commençait à renaître, et les jeunes citoyens étaient enfin parvenus à se rassembler à la salle des écoles de droit. Six magistrats s’y rendent, ils reçoivent des plaintes et des repro-» ches auxquels ils ne répondent que d’une manière insidieuse, en accusant indirectement les jeunes gens, et les exhortant à ne pas attaquer le peuple révolté contre eux; « Lé peuple! s’écrièrent §25 [ire Série, T. Ier ] • ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] les jeunes gens; non : ce ne sont que les valets J des nobles. » Plusieurs artisans qui se trouvèrent présents, rétablirent la vérité des faits, altérés ou déguisés par ces magistrats. Plusieurs dénoncèrent hautement les séductions et les promesses d’argent qu’on leur avait faites pour signer le mémoire déposé chez Vignon, chez Echard, et se rendre à l’assemblée du champ de Montmorin. Un d’eux, des plus notables attesta ces propos des deux proxénètes : « Si quelqu’un m’attaque je le fais décréter. » Le soir, environ les cinq heures, M. le procureur général et M. l’avocat général de Beaucours, se rendirent au café de l’Union, pour y plaider sans pudeur la cause des valets assassins ; leur séance dura près de deux heures. Tel est l’historique exact et fidèle, quoique très-incomplet, de la scène du lundi 26 janvier. Un procès-verbal avait été dressé à la ville le jour même, et M. Bidard-Miseur chargé de le porter en cour. 11 est parti le lendemain mardi : les valets d’un magistrat ont menacé de le tuer à son retour ; et le maître, forcé d’avouer ces horribles menaces, a dit seulement qu’elles avaient été faites en badinant. De son côté, la noblesse d’église et d’épée, après avoir dressé un procès-verbal, députe en cour six de ses membres pour se justifier du complot. Ce sont le chevalier de Guer, le frère du marquis de Trémargat, et deux ou trois autres dénoncés par le cri public comme participants à la conspiration des valets. Si les tribunaux s’émeuvent, si le siège de police et le présidial commencent une instruction judiciaire, aussitôt le Parlement rend un arrêt d’évocation, au mépris des règles les plus sacrées en matière criminelle. Mais bientôt commence une scène désastreuse et sanglante. Après l’attentat de la veille, plusieurs jeunes gens avaient eu la précaution de s’armer pour leur défense. Trente de ces jeunes gens se trouvaient rassemblés au café après midi. Tout à coup, environ les trois heures, s’offre à leurs regards un homme pâle et sanglant, qui vient d’être assassiné par les valets de la noblesse. Il raconte qu’assailli sur le mur Saint-Yves par plusieurs de ces misérables, l’un d’eux s’est élancé sur lui avec un couteau, dont il a paré le coup avec la main, et montre cette main dégouttante de sang. C’était un de ces honnêtes artisans qui, le matin, était entré dans la salle des écoles de droit, et c’est pour cela même qu’il est assassiné l’après-midi par des valets qui l’avaient vu sortir de cette assemblée. Le malheureux s’évanouit dans le café, et ne recouvre la connaissance que pour fondre en pleurs, invoquer pour sa femme et ses enfants la commisération publique. — L’indignation remplissait tous les cœurs, et le ressentiment des outrages de la veille, irrité par ce nouvel attentat, s’exhalait avec impétuosité. Les jeunes gens deviennent terribles ; ils marchent à la porte du cloître des Cordeliers, dans le couvent duquel la noblesse est assemblée. M. de Melesse, noble et commandant de la maréchaussée, s’avance vers eux avec sa troupe. On parlemente. Les jeunes gens demandent Yignon et Helaudais, qui doivent être dans la salle. La noblesse, avertie de ce mouvement, en délibère. Un gentilhomme, du parti des modérés, donne le sage conseil de députer deux membres pour conférer avec cette jeunesse. — 11 n’y a qu’un lâche qui puisse parler ainsi, s’écrient quelques furieux ; et nombre de gentilshommes viennent bravement, les sieurs de la Ruée et Borel de Botmont à leur tête, surprendre les jeunes gens par une décharge de coups de pistolets. Ceux-ci prennent M. de Melesse à témoin de l’agression, et font feu. Alors un combat tumultueux s’engage à feu, à l’arme blanche. La consternation se répand dans la villej et dans un instant toutes les boutiques, toutes les maisons sont fermées. Le fusil à deux coups est l’arme ignoble dont la noblesse a fait le plu& d’usage. Le pistolet, l’épée ont fait la défense des jeunes gens, qui se sont battus en héros. On a vu, comme une espèce de prodige, un jeune employé aux devoirs essuyer le feu de plusieurs gentilshommes qui le tiraient à bout portant, recevoir une seule blessure à la main droite, et, tenant son sabre de la main gauche, affronter avec intrépidité ses lâches agresseurs, tandis qu’un peu plus loin M. Bréarn, jeune bourgeois, sauvait un jeune officier noble, et que M. Mont-muran était entouré par six, accourus successivement, mais qui l’ont ensuite relâché, en disant qu’ils ne se battaient qu’à nombre égal. Soit à jamais déshonoré un Kératry, qui de ses fenêtres, à travers les jalousies, tirait sur les jeunes bourgeois ! lâche qui, un moment auparavant, s’était prosterné à leurs genoux pour obtenir qu’on lui laissât la vie. Combien d’autres encore, dont les noms sont ignorés, n’ont pas frémi de commettre le même assassinat! Ainsi, par exemple, d’un coup parti des fenêtres de la chambre de lecture de la noblesse, a péri un boucher. D’un coup parti de la salle même des États, va bientôt périr le fils de Vignon ; et, quoique la mort du fils semble un juste châtiment des crimes de son misérable père, quoiqu’il puisse être qu’une méprise ait dirigé le coup qui punit l’un dans la personne de l’autre, cette méprise est toujours celle d’un lâche détestable. Je n’aurai pas besoin de nommer cette femme de condition, qui s’est tenue constamment à ses fenêtres avec deux pistolets à la main, en criant : « Est-ce un étudiant qui passe ? » Elle se recon- [1» Série, T. Ie*'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 526 naîtra à ce trait, et plusieurs la reconnaîtront aussi facilement. Indigné de tant d’atrocités et de lâchetés, le peuple s’émeut, il sonne le tocsin, court enfoncer un magasin d’armes et s’en munit. C’en était fait peut-être de la noblesse ; mais la nuit qui survient et la médiation de M. le comte de Thiard, marchant dans les rues à travers mille dangers, mettent fin à ces horribles escarmourches ; deux ou même trois gentilshommes on été tués dans le combat. Plusieurs ont été blessés. Il en est aussi parmi les jeunes gens. L’imagination, fatiguée de tant d’horreurs a besoin, je le sens, de reposer sur des traits moins sombres, sur des détails moins affligeants ; ne passons donc pas sous silence le nom du marquis de Moat-Boucher, qui, dans les deux scènes que nous avons décrites, s’est montré loyal et brave. La veille il avait sauvé un jeune homme de la fureur des valets assassins, et même pour assurer son salut il avait tiré l’épée contre ces misérables. Dans la scène du mardi, il se mesura honorablement avec un jeune bourgeois ; la noblesse et l’issue du combat excitèrent l’acclamation publique (1). Le lendemain mercredi, vive émotion dans la ville, rumeur presque continuelle. On s’attendait à chaque instant à voir sortir de la salle, au nombre de cinq à six cents, des gentilshommes qu’on savait s’être armés soigneusement durant la nuit, accompagnés de leurs valets, qu’on savait être travestis en bourgeois et pareillement armés. La noblesse ne voulait capituler qu’à cette étrange et frauduleuse condition, que toute la jeunesse eût rendu et déposé les armes. On présume aisément qu’elle n’eut garde d’accéder à ce traité, qui rappelle assez justement la fable des agneaux et des loups. Les pères de famille s’assemblèrent à l’hôtel de ville, et, plutôt que de souffrir l’exécution de cette clause insidieuse, ils déclarèrent hautement qu’ils s’armeraient eux -mêmes pour la défense de leurs enfants. Par là se prolongeait la négociation, durant laquelle il fallait députer à chaque instant vers M. de Thiard, médiateur entre les deux ordres ; de manière que la noblesse ne donna sa capitulation que vers le soir, et en des termes inconsidérés, puisqu’on y fait dire aux nobles, assassins du peuple par leurs valets et par eux-mêmes, « qu’ils renoncent à la vengeance. » Mais ce qui révolta toute la ville ce fut la conduite du Parlement. On frémit d’indignation, quand on vint à savoir que l’auguste compagnie avait, par deux arrêts, évoqué l’instruction de (1) La guerre avait à peine cessé entre les nobles et les bourgeois, qu’elle se ralluma parmi les premiers. La salle des Etats qu’ils occupaient, et dans laquelle ils sont restés cantonnés jusqu’au vendredi suivant, est devenue le théâtre de combats sanglants. l’émeute du lundi et de la séance plus sanguinaire du mardi, en ordonnant au présidial et à la police qui avaient commencé la procédure d’en envoyer les pièces à son greffe, et de cesser toute poursuite. • Le présidial a eu le noble courage de ne pas obtempérer aux arrêts d’évocation ; et, malgré les répugnances du procureur du roi, qui se nomme Drouin, malgré ses efforts pour que ces mêmes arrêts qui ont révolté toute la ville fussent exécutés, l’ordre des avocats s’est assemblé le jeudi au soir, et le lendemain matin ils se sont rendus en corps au Parlement, pour y demander, suivant la loi et le vœu public, les rapports des arrêts d’évocation. M. Gerbier a parlé au nom de l’ordre avec une fermeté courageuse et Ponction la plus touchante. Il a prévenu la cour, en finissant sa mercuriale, qu’il se retirait avec ses confrères au parquet, pour attendre sa réponse; et, rentrés au bout d’un quart d’heure, M. le premier président, après quelques paroles inutiles, a rendu cet oracle : « La cour*a pris d’avance le parti que sa sagesse lui avait inspiré. » L’ordre rassemblé l’après-midi a débuté par un trait de bienfaisance, en faisant une quête pour la mère de ce boucher fusillé par des gentilshommes; imitation trop faible de l’exemple donné par les jeunes gens, qui ont assuré à cette femme un secours viager de cinquante écus. Ensuite il a procédé à l’élection de quatre députés en cour pour instruire la religion du roi, et concourir à la défendre contre les surprises de l’intrigue et de la calomnie. Les jeunes Nantais, appelés à son secours par la jeunesse de Rennes, sont arriyés en nombre le samedi 30 vers les huit heures du soir; divers détachements avaient précédé dans le cours de l’après-midi, ils s’étaient annoncés d’avance par la publication d’un arrêté brûlant de ce feu qui sied à la jeunesse; des Vive le roi ! Vive le comte de Thiard! étaient le mot de ralliement de ces généreux compatriotes. On pense bien qu’ils ont été reçus aux acclamations des habitants de Rennes, et qu’on s’est disputé le bonheur de posséder de pareils hôtes. Puisse dès ce moment la plus étroite et la plus douce fraternité lier à jamais les habitants des deux villes ! Nous vouons une reconnaissance éternelle à Gaen, Poitiers, Angers, dont la courageuse jeunesse était prête à voler à notre secours. Tout occupés de nos frères d’armes les Nantais, on ne songeait déjà plus qu’il existait des gentilshommes. Mais voilà que la nouvelle se répand tout à coup que les États, remis au 3 février, sont cassés, avec ordre aux gentilshommes de désemparer; à l’instant six d’entre eux se rendent dans la salle des écoles pour supplier la jeunesse d’unir ses efforts aux leurs, atin d’obtenir [iw Série, T. Ie1'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] le rapport de l’arrêt du conseil. Ce trait est re marquable; et la confiance avec laquelle, après tout ce qui s’est passé, ces gentilshommes se sont présentés dans une nombreuse assemblée de jeunes gens, fait l’éloge de cette jeunesse. Bientôt une pétition plus hardie s’est fait entendre ; ils ont osé solliciter les jeunes Rennois et Nantais de les seconder pour le maintien de ce qu’ils appellent la constitution, c'est-à-dire l’assemblage de tous les abus qui jusqu’ici ont fait la gloire et l’opulence de la noblesse bretonne, la ruine et l’humiliation du tiers-état, en leur promettant de s’occuper de la discussion de leurs droits du moment que les États seraient assemblés. Sur ce chef, un murmure d’improbation ; sur le premier on s’est contenté de leur demander si c’était de leur propre mouvement, ou comme représentant la noblesse, qu’ils paraissaient dans l’assemblée, et sur ce qu’ils ont dit qu’ils agissaient d’eux-mêmes on ne leur a fait aucune réponse. Dimanche dernier M. de Thiard suspendit indéfiniment les États, jusqu’à ce qu’il plût au roi de fixer une nouvelle époque pour leur tenue. Des circonstances alarmantes, ou plutôt les malheurs dont la province était menacée, par la division des ordres et la haine qu’on porte généralement au Parlement, à la noblesse, et à tous leurs méprisables partisans, avaient déterminé le commandant à prendre sur son compte cette suspension; mais le soir l’ordre même du roi l’autorisa; il la notifia aux trois ordres en la personne de leurs présidents. Les deux premiers, trouvant cet acte d’autorité illégal, n’étaient pas d’avis d’y obtempérer, et peut-être que dans des temps plus heureux pour eux, c’est-à-dire dans les temps où ils n’avaient pas encore fait connaître jusqu’à quel point leur orgueil insultant et leur égoïsme grossier et cruel leur devaient mériter le mépris et l’horreur de la nation, peut-être alors eussent-ils pu parvenir à déterminer l’ordre du tiers à se réunir à eux pour contester au' gouvernement le droit de suspendre ainsi des États, dont l’existence et le retour périodique sont le premier article constitutionnel de notre province. Quelques nobles ont fait dans cette espérance quelques tentatives, surtout auprès des jeunes gens, classe que la bassesse de cet ordre avait indignée le plus contre eux, classe en un mot qu’ils ont actuellement le plus à redouter. Ils vinrent dimanche au soir à l’école de droit nous assurer que l’ordre de la noblesse désavouait et blâmait ceux de ses membres dont les fureurs atroces avaient occasionné les scènes de lundi et mardi; qu’en général on y reconnaissait la justice des prétentions du tiers, et que quelques moments de discussion suffiraient sans doute pour rétablir l’union et l’accord des intérêts dont on paraissait actuellement si éloigné; mais que pour cela il 527 était nécessaire d'une coalition préalable de tous les ordres, pour s’opposer aux entreprises despotiques du gouvernement, et à la suspension renouvelée des États. Ils nous firent au surplus beaucoup de protestations de sincérité et d’attachement, mais on n’y crut pas. M. Ghaillon, au nom de l’assemblée, leur demanda s’ils étaient dans cette démarche députés et autorisés de leur ordre ; sur la négative, il leur dit qu’ils pouvaient se retirer, et qu’ils n’avaient aucune réponse à attendre. On se comporta du reste honnêtement avec eux, et on les pria de se retirer; ce qu’ils firent. Il eût, en effet, été absurdement capricieux au tiers-état de refuser d’obéir au roi pour une seconde suspension, puisqu’il l’avait fait pour la première; mais, comme la division des ordres était la seule cause de cette suspension, on convint verbalement que, si les deux premiers ordres voulaient entrer en conférence, on ferait à ceux de leurs membres qui s’en chargeraient cette réponse : « Si vous n’êtes pas chargés et autorisés de procuration, nous ne voulons rien entendre ; si vous l’êtes, nous ne vous entendrons qu’après la lecture et l’accord de toutes nos charges et demandes. » Tout en est là; seulement M. de Thiard, sur le refus qu’ils ont fait d’abord de quitter la salle des États, a fait venir douze canons pour les y forcer, et hier iis se sont retirés et partent tous pour la campagne. En conséquence, nous allons tous repartir demain et les jours suivants, prêts à revenir au premier signal, car on est toujours en défiance. L’ordre et la tranquillité publique ont été conservés avec une exactitude étonnante, et bien digne d’éloges de la part de douze à quatorze cents jeunes gens que nous sommes ici; aussi le commandant ne cesse de répéter qu'il ne s’y attendait pas, et qu’il en est enchanté. Il nous a mis sous la sauvegarde et protection du roi, et spécialement M. Omnes~Omnibus qu’on voulait inquiéter. Croiriez-vous que la noblesse et le clergé soient parvenus, en députant promptement en cour à l’instant des actions de lundi et mardi, à en faire, aux yeux du gouvernement, rejaillir toute l’horreur sur le tiers ? Le Parlement a ordre d’informer; une députation va réparer le mal, et prouver encore que les nobles sont en même temps séditieux, sanguinaires et calomniateurs; on les déteste ici d’une manière qui n’a pas d’expression ; on a juré au Parlement de ne plus refuser les bailliages, et l’ordre des avocats a été lui signifier qu’étant partie dans l’affaire de mardi il ne pouvait en retenir la connaissance; une consultation donnée à la ville lui conseille de se pourvoir en cassation de l’évocation que le Parlement en a fait. La cour demande sa translation à Vannes; elle succombe enfin, et ne peut plus soutenir le poids de l’indignation et de l’exécration universelles fl*e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 528 de la nation ; elle cherche une retraite pour cacher sa honte et sa rage de ne pouvoir exécuter ses infâmes et tyranniques projets, car on est bien persuadé, et il est évident qu’ils tendaient à l’aristocratie et à anéantir l’autorité royale. Nous sommes environ neuf cents jeunes gens de Nantes et six cents du reste de la province; nous sommes ici en adoration; on a ce matin, à la ville, fait la motion d’un emprunt pour la portion d’impôt que devrait supporter le tiers, s’il était également et justement réparti, et de le verser directement au trésor royal. Je ne sais quelle suite aura cette motion ; mais, si elle n’est pas strictement approuvée, nous n’en serons, après tant de bruit et de travaux� pas plus avancés, et toujours opprimés. Il est vrai que les États généraux et le gouvernement feront bientôt et incontestablement droit sur nos demandes, plus ou moins. Différentes opinions s’élèvent sur cette future réussite; on craint que la noblesse et le clergé ne veuillent pas assister aux États généraux, et de là peut-être des discussions interminables pour l’exécution des lois qui y seront faites, etc., etc. Mémoire des députés de l'ordre des avocats au Parlement de Bretagne , concernant la malheureuse affaire de Rennes des 26 et 27 janvier 1789. AU ROI. Sire, L’ordre des avocats au Parlement de Bretagne réclame la sûreté publique compromise, et la plus importante loi méconnue par les magistrats, dans deux arrêts d’évocation de la procédure concernant les scènes sanglantes qui, les 26 et 27 janvier, ont rempli de douleur et d’effroi les habitants de Rennes. La démarche des avocats est nouvelle ; mais aussi les événements qui la nécessitent n’ont pas d’exemple. Hélas ! Sire, nous avons été les témoins oculaires de ce coupable attroupement des domestiques et des porte-chaises attachés à la noblesse et aux magistrats ; nous avons vu les excès auxquels cette troupe soudoyée et furieuse s’est portée contre de jeunes citoyens, qui n’avaient commis d’autre crime que de se joindre à leurs pères pour faire valoir d’imprescriptibles droits, et qui, dans leurs délibérations toujours paisibles , n’avaient marqué leur âge que par leur zèle, sans le déceler par le défaut de prudence. Nous avons vu des gentilshommes, en excitant, en approuvant ces attentats, en défendant ceux qui les commettaient, s’en déclarer les auteurs ; et des magistrats, froids spectateurs d’un désordre qu’ils pouvaient arrêter, considérer avec indifférence leurs valets armés contre les habitants, et n’interposant leur autorité que pour favoriser l’impunitédes agentsd’un complot dont ils avaient su le jour, le prétexte et le motif, et auquel cependant ils n’avaient mis aucun obstacle. Nous avons vu les désastreux effets d’une conspiration criminelle continuer et s’étendre le lendemain ; un coup de couteau donné par un domestique à un artisan, des plaintes infructueuses contre ce délit, une rumeur un peu vive peut-être, mais trop bien fondée contre un assassinat si lâche et si alarmant, devenir le signal d’une agression subite et de combats. Quand, après ces instants de trouble et de deuil, le calme semblait renaître, quand nous croyions que la force publique allait reprendre son empire et couvrir de toute sa puissance les citoyens épouvantés, quand ils conservaient l’espoir d’être vengés par le glaive des lois du fer des assasins, un ordre du procureur général a, le premier jour, suspendu l’instruction des juges inférieurs, jus-. qu’à quatre heures de l’après-midi'; un mandata été donné aux juges de police pour leur apprendre que le Parlement se réservait la connaissance de l’affaire ; le jour suivant, après le coup de couteau porté par la main d’un laquais, après les événements cruels qui en avaient été la suite, et qui faisaient naître tant d’inquiétudes et d’effroi dans le cœur des pères de famille, qui leur faisaient répandre tant de larmes, le Parlement rendit un arrêt, par lequel il évoque à lui l’instruction commencée par le présidial. Feignant d’oublier la journée précédente, l’attroupement des valets et les délits commis par eux ; croyant sans doute que l’injonction de surseoir toute poursuite et le mandat aux juges de police allaient empêcher toutes recherches sur cet attroupement et sur l’attaque meurtrière des séditieux, la cour n’en parla pas dans son arrêt ; mais, instruite que les juges inférieurs ne se montraient pas aussi indifférents qu’elle, elle rendit un second arrêt, par lequel elle déclara qu’elle avait eu l’intention d’évoquer la procédure relative à la première comme à la seconde journée. Ainsi les magislrats du Parlement de Rennes se sont attribué exclusivement, en première et dernière instance, l’instruction et le jugement de leurs fils, de leurs frères, de leurs parents, de leurs amis, de leurs domestiques. Sire, à la lecture de ces arrêts, à l’aspect de cette forme irrégulière par laquelle une cour de justice, pour arrêter des procédures que la justice commande, déclare qu’elle a eu l’intention de juger, d’évoquer une affaire, tous vos sujets habitants de Rennes ont été frappés de terreur; ils ont cru ne sortir des horreurs d’une guerre civile que pour éprouver des malheurs plus grands encore,; les armes de la noblesse, les mains de ses valets ne portent que la mort, et il est possible de s’en défendre; mais des magistrats armés du pouvoir judiciaire menacent la vie et l’honneur, etc, [1™ Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Sans intérêt personnel, sans autre motif que celui de maintenir la loi, et de rétablir la tranquillité dans notre province désolée ; sans autre vœu que celui de voir nos citoyens rassurés par la justice, nous établissons les moyens d’incompétence qui ne permettent pas au Parlement de Bretagne de s’occuper de l’affaire désastreuse des 26 et 27 janvier, de l’instruire, delà juger en première et dernière instance, etc. Signé Glezen, Lanjuinais, Le Chapelier, Varin. Extrait du registre des délibérations des facultés des droits de Rennes , qù est écrit ce qui suit. — Du 4 février 1789. Dans l’assemblée des facultés, il a été remontré par M. Aubrée, procureur général-syndic, que l’ordre du tiers et celui des avocats ont envoyé des députés auprès de Sa Majesté et de ses ministres, pour éclairer leur religion sur la vérité des faits relatifs à l’attroupement séditieux du 26 janvier dernier, et aux scènes cruelles qui en ont été les suites. Sur quoi il a prié la compagnie de délibérer si elle veut envoyer des députés en cour, ou prendre tel au Ire parti qu’elle jugera convenable. Sur quoi délibérant, les facultés, profondément affligées des événements qui se sont passés à Rennes aux journées des 26 et 27 janvier dernier -, informées que l’on a cherché à calomnier leurs élèves et autres jeunes citoyens auprès du roi et de ses ministres, en altérant et dénaturant tous les faits ; instruites et persuadées qu’ils n’ont été agresseurs en aucune des deux journées, et désirant leur donner des témoignages du tendre et vif intérêt qu’elles doivent prendre à ce qui les concerne, et manifester de plus en plus leur innocence aux yeux du souverain, ont arrêté d’envoyer la présente délibération à MM. Lanjuinais et Frot, sous la même qualité que s’ils étaient députés de la compagnie, pour leur servir de pouvoir et les autoriser à joindre ses représentations à toutes celles qui sont faites au nom de l’ordre du tiers et de l’ordre des avocats. Signé Le Sénéchal, secrétaire des facultés. Lettre écrite au roi par les commissaires des États de Bretagne. — Du 20 juin 1788. Sire, La réponse que Votre Majesté a faite à nos représentations démontre plus que jamais jusqu’à quel point deux de vos ministres osent abuser de votre confiance. Trompée par des rapports infidèles, Votre Majesté nous a fait un reproche de n’avoir pas pourvu au logement des troupes rassemblées précipitamment à Rennes, d’avoir fondé notre refus sur des motifs capables d’inquiéter les peuples. Sire, votre commandant en Bretagne ne nous lre Série, T. 1er. 529 annonça qu’il rassemblait de nouvelles troupes à Rennes que la veille de leur arrivée ; elles n’y venaient point pour y tenir garnison, pour y être casernées. Il nous manda qu’il les faisait venir pour imposer et prévenir la fermentation. Tout annonçait qu’elles étaient destinées à aggraverle sort des malheureux habitants de cette ville, à porter de nouvelles atteintes à la liberté publique et particulière, etc. A peine arrivés, les soldats se répandent en armes dans les différents quartiers de la ville ; ils se portent, avec tout l’appareil militaire, vers le dernier asile que les magistrats s’étaient choisi. Ils viennent les arracher à des fonctions que leur serment ne leur permettait pas d’abandonner : ils les menacent des dernières violences. Le peuple, accourt en foule vers le lieu de cette scène effrayante, qu’un seul instant pouvait ensanglanter, et l’on veut persuader à Votre Majesté qu’on ne l’a point armée contre ses sujets, que des troupes mandées pour de pareils excès ne sont venues que pour protéger le citoyen soumis. Nous osons, Sire, interpeller devant Votre Majesté les auteurs de ces suggestions.mensongères ; qu’ils déclarent quel est le citoyen qui invoque la protection militaire, quel est celui qui, dans ces temps désastreux, ne soit pas épouvanté de l’abus qu’on fait de votre autorité, qui ne tremble pas pour sa propriété, pour sa liberté, pour sa sûreté, etc. Vos ministres vous ont donc laissé ignorer, Sire, que nous n’avons pas cessé de réclamer contre les nouveaux édits ; que nos réclamations son fondées, non-seulement sur des raisons, mais sur les titres les plus formels; que l’infraction faite à nos droits ne provient pas seulement des dispositions particulières des édits, mais de leur promulgation même, faite sans que les États aient été consultés, ce qui est formellement contraire au contrat d’union de la Bretagne à la couronné, contrat renouvelé tous les deux ans entre les commissaires de Votre Majesté et les États. Sire, la tranquillité régnait en Bretagne, elle régnait dans tout votre royaume, avant les édits destructeurs surpris à votre justice. Les perturbateurs de l’ordre public sont ceux qui veulent anéantir les droits de la nation au nom du souverain, gardien spécial et protecteur naturel de ces droits ; qui prétendent effectuer, à quelque prix que ce soit, leurs odieux projets ; qui, armant les Français contre les Français, ont déjà fait couler le sang de vos peuples. Les perturbateurs de l’ordre public sont ceux qui ont osé présenter à Votre Majesté, comme un acte de bienfaisance et désiré depuis longtemps, un système oppresseur qui a principalement pour objet, en détruisant la magistrature et les' lois, d’écarter tout obstacle à l’établissement des impôts, dont l’enregistrement se trouverait confié à ceux-là mêmes qui n’abusent que trop souvent 31 530 [ire Série, T-Ier-1 de la munificence du prince, et se partagent à l’envi les dépouilles du peuple. Les perturbateurs de l’ordre public sont ceux qui s’empressent de renverser l’ordre public et légal, et dédaignent d’employer l’unique ressource qu’offre en ce moment pour le rétablir l’assemblée des' États généraux, promise par Votre Majesté. Les perturbateurs de l’ordre public sont ceux qui, en suspendant, au nom du souverain, la justice dans tout le royaume, n’ont pas craint de priver les peuples du seul moyen qui puisse assurer leur tranquillité. Les perturbateurs de l’ordre public sont ceux qui cherchent à substituer au sceptre de la royauté la verge du despotisme, et voudraient encore persuader au monarque que la stabilité de son trône dépend du succès des efforts mêmes qu’ils font pour l’ébranler. Voilà ceux qui ont besoin de pardon; voilà ceux pour lesquels l’indulgence des rois doit avoir un terme; mais nous... non, Sire, nous n’aurons jamais à réclamer que votre justice; Votre Majesté en a pour garant notre amour pour sa personne sacrée, notre dévouement au bien de son service, notre inviolable fidélité, etc. Première réponse du roi à MM. les députés de la province de Bretagne. — Du 30 juillet 1788. Quelque insolite que soit votre députation, j’ai bien voulu la recevoir, afin que vous sachiez que j’ai reçu vos représentations ; attendez à Versailles que je vous fasse connaître ma réponse. Réponse de Monsieur , frère du roi. Vous venez, Messieurs, demander ma protection et mes bontés; elles seront le résultat de votre obéissance aux ordres du roi. La noblesse s’est assemblée illégalement en Bretagne; plusieurs fois le Parlement, quoique sans des lettres de cachet, s’est assemblé; les douze gentilshommes députés se sont mal conduits et ont fait des assemblées à Paris ; tous ces faits sont contraires aux ordres du roi, et je ne puis que me référer à la lettre que j’ai écrite à la commission intermédiaire. Réponse de monseigneur comte d’Artois. Je me flatte, Messieurs, que vous connaissez mes sentiments; tout Français a droit à mon amour: je regrette de n’avoir à solliciter aujourd’hui que la clémence du roi pour des sujets sûrement fidèles, mais que leur zèle a fait sortir des bornes du devoir. Deuxième réponse du roi à MM. les députés des États de Bretagne , — Du 31 juillet 1788, J’ai lu le mémoire que vous m’avez remis; j’avais lu ceux qui l’avaient précédé ; vous n’auriez pas dû me les rappeler. [Introduction.] J’écouterai toujours les représentations qui me seront faites dans les formes prescrites. L’assemblée qui a député douze gentilshommes n’était pas autorisée ; aucune permission ne m’avait été demandée; ils ont eux-mêmes convoqué à Paris la plus irrégulière des assemblées; j’ai dû les punir; le moyen de mériter ma clémence est de ne pas perpétuer en Bretagne, par de pareilles assemblées, la cause de mon mécontentement. La commission qui vous a chargés de me demander le rétablissement de mon Parlement de Bretagne, ne pouvait prévoir la conduite qu’il vient de tenir ; elle' n’aurait pas sollicité pour lui une marque de confiance, lorsqu’il me force à lui en donner de mon animadversion. Mais ces punitions personnelles, que le bon ordre et le maintien de mon autorité exigent n’altéreront en rien mon affection pour ma province de Bretagne. Vos États seront assemblés dans le mois d'octobre; c’est par eux que doit me parvenir le vœu de la province; j’entendrai leurs représentations; j’y aurais l’égard qu’elles pourront mériter ; vos privilèges seront conservés; en me témoignant fidélité et soumission, on peut tout espérer de ma bonté, et le plus grand tort que mes sujets peuvent avoir auprès de moi, c’est de me forcer à des actes de rigueur et de sévérité. Mon intention est que vous retourniez demain à vos fonctions, Arrêté des jeunes citoyens de la ville d'Angers , . du 4 février 1789. Nous, jeunes citoyens de la ville d’Angers, informés, par la clameur publique et la communication qui vient dé nous être donnée des arrêtés de MM. les étudiants en droits et en médecine, et de MM. les membres de la basoche, des attentats commis, en Bretagne, contre les jeunes citoyens, par des membres de la noblesse, assemblés au sujet de la tenue des États; Considérant que, dans le moment où la liberté française touche à sa régénération, il n’est pas un véritable citoyen qui ne voie avec indignation l’aristocratie que quelques nobles voudraient établir; Qu’une pareille forme de gouvernement, qui suppose des esclaves, ne peut être regardée que comme une violation manifeste des droits les plus saints de la nature, et qu’elle est surtout essentiellement contraire à l’ancienne et véritable constitution de l’empire des Francs ; Que c’est un devoir sacré, pour tous ceux qui aiment encore la patrie, de s’opposer avec toute l’énergie dont ils sont capables à une innovation aussi désastreuse et aussi flétrissante ; Qu’il est de la dernière importance, pour la sûreté publique et l’honneur de la nation, que de I pareils excès soient à l’instant réprimés; ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Avons délibéré et unanimement arrêté qu’en qualité d’hdmmes et de citoyens, nous sommes et serons toujours prêts à voler au secours de nos frères injustement opprimés, sans nous écarter du respect du aux lois et de la fidélité que nous jurons à notre prince; Que, désirant uniquement recouvrer des droits inaliénables et imprescriptibles, nous ne formerons de réclamations que sur des usurpations intolérables, et nous ne nous opposerons qu’aux prétentions révoltantes que quelques membres de l’État oseraient élever contre les pouvoirs incon-testaldes et la légitime autorité du corps entier de la nation. Adhérons tous aux arrêtés de MM. les étudiants en droit et en médecine, et de MM. les membres de la basoche. Nota. Quoique des lettres de Bretagne nous annoncent à l’instant une suspension dans les troubles, nous persistons dans nos premières résolutions et signons, etc. Assemblée et arrêté des mères, sœurs, épouses et amantes des jeunes citoyens d'Angers. — Du 6 février 1789. Nous, mères, scieurs, épouses et amantes des jeunes citoyens de la ville d’Angers, assemblées extraordinairement; lecture faite des arrêtés de tous messieurs de la jeunesse, etc. ; Déclarons que, si les troubles recommençaient, et en cas de départ, tous les ordres de citoyens se réunissant pour la cause commune, nous nous joindrons à la nation, dont les intérêts sont les nôtres, nous réservant, la force n’étant pas notre partage, de prendre pour nos fonctions et notre genre d’utilité le soin des bagages, provisions de bouche, préparatifs de départ, et tous les soins, consolations et services qui dépendront de nous. Protestons que notre intention à toutes n’est point de nous écarter du respect et de l’obéissance que nous devons au roi ; mais que nous périrons plutôt que d’abandonner nos amants, nos époux, nos fils et nos frères; préférant la gloire de partager leurs dangers à la sécurité d’une honteuse inaction, etc. Arrêté du Parlement de Franche-Comté , du 27 janvier 1789. « La cour, considérant que la fermentation qui règne dans le royaume, principalement dans les villes, est excitée par une multitude d’écrits capables d’induire les peuples en erreur; que des opinions et des assertions audacieuses, hasardées par des particuliers sans caractère et sans autorité, tendent à détruire toute subordination, à élever des insurrections contre l’autorité légitime, à engendrer une guerre intestine, et à ébranler, peut-être même à renverser, la monarchie ; 531 Qu’elle a vu avec douleur que la convocation des États de la province, qu’elle avait sollicitée de la bonté et de la justice du roi, pour le bien des peuples du ressort, avait été une source de division, non-seulement entre les trois ordres, mais encore entre les membres des deux premiers ordres ; Qu’elle avait demandé qu’ils fussent assemblés suivant la forme ancienne et particulière à la province, et que les États, ou s’en sont écartés, ou ont proposé des changements incompatibles avec leur constitution. Que les maux qui affligent la France n’ont d’autres causes que le désordre des finances, les déprédations des administrateurs, les profusions de la cour dans tous les genres, les grâces accumulées sur des courtisans oisifs, la multiplication d’emplois sans fonctions, mais non pas sans salaire, l’abus des emprunts, l’immensité des impôts, enfin, l’inexécution des promesses faites aux peuples, et des engagements formels pris avec eux (1); Que la cour avait prévu ces maux; que depuis quarante ans elle n’a cessé dans ses remontrances de les annoncer, et de faire ses efforts pour les prévenir ; Que l’effervescence qui trouble les esprits, l’inquiétude répandue parmi les personnes les plus modérées, diminuent déjà la confiance qui doit exister entre les citoyens, et détruiront l’harmonie, sans laquelle les États généraux ne pourront avoir un heureux succès ; Qu’ils ne procureraient pas tout le bien désiré, si l’on s’écartait dans leur composition des formes anciennes et pratiquées aux États qui les ont précédés ; si l’on en changeait la constitution, si l’on ne conservait pas entre les trois ordres une égalité parfaite; si l’on portait atteinte aux droits et aux privilèges des provinces, à ceux des personnes et aux maximes du gouvernement français, sous lequel le royaume subsiste avec gloire depuis quatorze siècles ; Que, dans le conflit de demandes et d’opinions formées de toutes parts, le Parlement, dépositaire des lois et des maximes de l’État, gardien des droits, des privilèges, des immunités de la province, de ses usages, de ses coutumes, des traités et capitulations qui l’ont réunie à la couronne ; conservateur des propriétés, des prérogatives et de la liberté de tous les citoyens, doit s’expliquer pour le maintien de tous ces droits précieux, et pour apaiser le feu de la discorde prêt à éclater; Que la chambre de la noblesse des États de la province a exclu de son sein les nobles au-dessous de cent ans, sans faire attention que la force (1) L’édit de 1749 portant établissement de vingtièmes* et ceux qui le prorogent. 53â [lie Série, T. Ie1'.] d’une assemblée consiste dans la communication étendue des lumières; qu’un noble nouveau, propriétaire et possesseur de fief, a autant d’intérêt au bien général et à la chose publique qu’un noble plus ancien, et que, par l’usage et la constitution de la chambre, tous les nobles, même les plus récents, y avaient été admis dans les États précédents ; Que la chambre du tiers-état a aspiré à une égalité de voix et de suffrages aux deux autres chambres réunies, contre la coutume invariablement suivie dans toutes les assemblées des États, et contre leur constitution ; Qu’on voudrait anéantir l’immunité des fiefs ; que cette immunité dans la province n’est point un privilège personnel ; que c’est un droit réel , attaché au fonds par des lois positives, et par une possession de plus de mille années ; Que les droits les plus sacrés, tous ceux de la propriété entre les mains des citoyens, celui même de la succession au trône, n'ont d’autres fondements qu’une possession semblable ; Que l’exemption de l’impôt a fait partie du prix dans les ventes et dans les partages de famille, et en a augmenté la valeur; que les actes qui les transmettent sont faits sous le sceau de la foi publique, et de l’aveu de toute la nation, qui ne pourrait exiger le sacrifice d’une propriété si bien caractérisée, sans en accorder un dédommagement ; Qu’à raison de cette augmentation de valeur, les fiefs payent à l’État des droits dans les mutations ; que dans la province ils sont d’honneur et de danger, et que, si la terre noble était privée de son exemption, il ne lui resterait que les charges du fief, d’être exposée à la mainmise, à la commise, d’être sujette à la convocation du ban et de l’arrière-ban, au retrait féodal, à la reprise de fief, à la foi et à l’hommage, au dénombrement envers le suzerain, et aux frais qu’entraînent tous ces devoirs ; qu’elle deviendrait d’une condition inférieure à l’alleu et au fonds roturier ; Que la cour, en insistant sur l’immunité des fiefs, qui n’est pas dans la province un objet considérable pour la répartition des impôts, prévoit d’autres changements qui pourraient avoir des suites plus funestes ; Que toutes innovations sont dangereuses, parce que l’esprit novateur ne s’arrête point dans sa course; qu’un jour il frappe d’un côté, que le lendemain il renverse de l’autre ; Que, par des plans et des systèmes d’uniformité entre les provinces pour les impôts, on anéantirait les droits, les privilèges et la constitution particulière des provinces réunies; on détruirait les traités, les capitulations, les immunités et les exemptions qui leur ont été promises ; Que les provinces frontières, en temps de paix [Introduction.] et en temps de guerre, ont des charges� auxquelles ne participent pas les provinces intérieures, qui ne sont pas exposées comme les frontières aux invasions des armées ennemies ; Qu’en 1707 la province s’arma, lorsque les Impériaux eurent passé le Rhin près d’Huningue ; qu’en 1734 et 1745 elle fournit des pionniers pour les sièges de Philisbourg et de Fribourg ; que, dans la guerre de 1741, après l’entrée des Autrichiens en Alsace, elle leva dans son sein quarante mille hommes ; que pendant cette guerre elle approvisionna l’armée de fourrages, que toutes les communautés furent obligées de conduire à grands frais dans les magasins ; Que, par sa constitution, la Franche-Comté n’est point imposable à volonté; que son immunité a été reconnue par tous ses anciens souverains, et par les lettres de non-préjudice qu’ils ont données aux États du pays, sur les dons gratuits accordés ; Que les capitulations lui conservent tous ses privilèges et tous ses droits ; Qu’elle ne fut cédée à Louis XIV, par le traité de Nimègue, que pour en jouir avec les mêmes droits , souveraineté et 'propriété qui avaient ci-devant appartenu au roi catholique. Que la constitution est un bien appartenant à la nation en général et à chaque individu en particulier, qui ne peut en être privé sans avoir donné un pouvoir spécial à cet effet ; Que ce serait l’innover, si les lettres de convocation pour les États généraux n’étaient pas conformes à celles des États précédents, qui prouvent toutes que les députés de chaque ordre y ont été appelés en nombre égal ; Qu’à la vérité, contre la teneur des lettres de convocation, il est presque toujours arrivé que les différents ordres ont envoyé un nombre de députés plus grand que celui indiqué par elles, et même un nombre inégal entre eux. Que cette liberté ne leur a jamais été et ne leur sera sans doute pas interdite, mais qu’elle ne contrarie pas l’égalité des suffrages, parce que les voix de ces députés réunies n’ont formé qu’un suffrage dans chaque ordre, conformément au vœu des lettres de convocation, qui les appelaient eu nombre égal , Que cette forme essentielle et constitutive n’a jamais été intervertie; que chaque ordre a délibéré dans sa chambre séparément, et que les trois ordres n’ont jamais été réunis pour délibérer en commun; Que la députation aux États généraux par bailliage n’a pas le même avantage que celle qui serait nommée par les États provinciaux ; que les députés des bailliages ne pourraient y porter que des instructions multipliées, différentes les unes des autres, souvent opposées, rédigées à la hâte dans des assemblées nombreuses et passagères ; ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ire Série, T. !«*■.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 533 au lieu que les instructions rédigées dans les États seraient concertées et plus rapprochées pour l’intérêt commum ; Qu’en 1483 les députés de la Franche-Comté aux États de Tours furent nommés par les États du pays assemblés à Besançon ; Qu’avant de consolider la dette de l’État et d’aviser aux sacrifices à faire, il faut la reconnaître et la fixer, supprimer les créances qui ne sont pas fondées sur des titres légitimes, réduire celles qui ont été enflées, imputer sur les capitaux l’excédant des intérêts qui ne sont pas conformes à la loi qui règle les intérêts entre les particuliers ; Que c’est le vœu que portait la cour au feu roi, dans ses remontrances du 16 mars 1770, vœu qu’elle avait déjà exprimé sur la déclaration du 21 novembre 1769, en le suppliant de vouloir , dans P exécution du projet de délibération de P État, fixer uniquement ses vues sur les dettes légales, et ne reconnaître pour créanciers de P Etat que ceux dont les titres auront été revêtus des formes requises , et les deniers réellement employés aux besoins publics ; Que, lorsque les États généraux auront constaté la dette nationale, qu’ils en auront prévu le retour par toutes les précautions que leur sagesse leur dictera, qu’ils auront fixé les dépenses nécessaires à la prospérité et à la gloire de l’État, et qu’ enfin ils auront reconnu l’insuffisance des moyens actuels pour atteindre ce double but ; alors la générosité des deux premiers ordres, leur dévouement à la patrie sont trop étendus pour avoir besoin d’être excités, et trop notoires pour douter qu’ils ne s’empressent de donner aux autres citoyens l’exemple des plus grands sacrifices, pourvu qu’ils soient volontaires et qu’ils n’altèrent pas la constitution sur laquelle la monarchie existe depuis tant d’années ; Que la cour, toujours disposée à donner aux peuples de son ressort des preuves de son désintéressement et de sa sollicitude pour eux, sera la première à sacrifier ses intérêts et ses droits pour le bien et l’avantage du pauvre. Que dans tous les temps elle a fait ses efforts pour procurer des soulagements aux classes indigentes, aux cultivateurs, aux artisans, et pour favoriser l’agricùlture et le commerce ; mais qu’elle ne peut approuver des prétentions qui tendent à confondre tous les ordres des citoyens, et à dépouiller les uns sous le prétexte de soulager les autres ; Que l’inégalité dans la distribution des biens est dans les décrets de la Providence et dans la nature de l’ordre social ; qu’une grande partie des classes du tiers-état ne subsiste et ne subsistera toujours qu’au moyen des terres et des propriétés de la noblesse et du clergé. Que c’est la classe la moins nombreuse qui, dans l'espoir d’acquérir du pouvoir et de dominer, tâche d’engager les autres à réclamer avec elle ; Que le tiers-état n’aperçoit pas le piège où il est près de tomber; qu’il doit se défier du génie fiscal et financier, qui veille toujours, qui ne perd jamais rien, et qui ne fait de promesses trompeuses que pour étendre son influence et son empire ; Par ces considérations, fa cour a arrêté qu’elle tiendra pour maximes : 1° Que les États de la province sont composés de trois chambres, qui représentent les trois ordres , et dans lesquelles est divisée la nation franc-comtoise. 2° Que tous les bénéficiers titulaires, ayant eu séance aux anciens États de la province, dans la chambre du clergé, doivent y être appelés, et que tous les cqrps ecclésiastiques doivent y être représentés par des députés ; 4° Que tous les nobles d’une noblesse acquise et transmissible , possédant fiefs avec juridiction, ont le droit d’entrée, de séance et de suffrage dans la chambre de la noblesse, et que tout acte qui tendrait à les en priver est inconstitutionnel. 4° Que le tiers-état doit être représenté dans la troisième chambre par des députés des villes et bourgs librement élus, et pour les villages par des députés élus et choisis par district et arrondissement dans toute l’étendue de la province; 5° Que, quel que soit le nombre des représentants dans les trois ordres, on ne doit délibérer que par ordre et par chambre. Qu’en toute matière, deux voix font décret et pluralité, sauf en matière d’impôt, où l’unanimité de trois voix est nécessaire; 6° Qu’il n’est pas permis aux États de la province d’en changer la constitution, qu’elle ne pourrait l’être que par la nation franc-comtoise, assemblée par individus, ou par ses députés qui en auraient reçu le mandat spécial de chaque individu; 7° Que les députés de Franche-Comté aux États généraux doivent être élus aux États de la province; que chaque ordre doit nommer les siens, et les prendre par égalité dans les quatre bailliages principaux, suivant l’ancien usage des États pour les commissions et députations; 8° Que les États généraux doivent être convoqués dans la forme de 1614 et des précédents; que la convocation doit être faite par ordre, et d’un ou de plusieurs députés, en nombre égal par chaque ordre ; que chaque ordre doit délibérer séparément dans sa chambre, et que les trois ordres ne peuvent délibérer en commun et par tête; 9° Que les députés aux États généraux ne peuvent changer ni innover la constitution des États; que ce pouvoir n’appartient qu’à la nation entière assemblée individuellement, ou à ses députés qui en auraient reçu le mandat spécial de chaque indivjdu; 534 [ira Série, T. I".] 10° Qu’il n’est pas en leur pouvoir de changer la constitution particulière des États de Franche-Comté, ni d’attoucher à leur formation; 11° Qu’ils ne peuvent déroger aux droits, aux immunités, aux privilèges et aux capitulations de la province, ni atténuer sa constitution ; 12° Que tous les impôts qui la concernent doivent être consentis par les États de la province, constitutionnellement assemblés , et vérifiés ensuite au Parlement; 13° Que le roi sera supplié de convoquer incessamment les États de la province, pour nommer ses députés aux États généraux. Délibéré enfin qu’expéditions du présent arrêté seront envoyées à M. le garde des sceaux et à M. le comte de Puy-Ségur, en les priant de les mettre sous les yeux du roi. » L’exil du Parlement de Grenoble, opéré à main armée, et l’enregistrement forcé des édits y produisirent à peu près les mêmes scènes qu’à Rennes. Le peuple s’attroupa, attaqua les troupes, et de part et d’autre le sang fut répandu. La ville s’adressa en ces termes au roi pour se plaindre de ces violences : Très-respectueuses supplications présentées au roi par les notables citoyens de la ville de Grenoble. Sire, La nouvelle des désastres qui ont arrêté l’exécution de vos ordres dans votre ville de Grenoble a dû porter la douleur dans le sein de Votre Majesté. Affreuse journée! nous avons vu le sang des Français versé par la main de leurs frères, et des milliers d’hommes prêts à périr... S’il était, Sire, des gens assez officieux pour tenter d’adoucir vos peines en diminuant le tableau de ces calamités, ces vains ménagements vous annonceraient de faux serviteurs ; s’il en était qui eussent osé supposer à ce mouvement impétueux une cause secrète et combinée, ceux-là (nous en avons été les témoins) seraient des calomniateurs et des traîtres. Une consternation profonde avait pénétré tous les cœurs à la vue des coups d’autorité réitérés sous le nom de Votre Majesté ; la classe de vos sujets la moins éclairée oublia dans son désespoir les ressources infinies que nous conserve votre justice ; telle fut la seule différence de ses impressions, la seule cause qui les signala. Si les exécuteurs de vos ordres, si vos officiers de justice, si nous-mêmes nous n’eussions accueilli tous les moyens d’épargner le sang de vos sujets, il serait impossible de calculer où le carnage se fût arrêté. On a vu dans cette journée cruelle un spectacle digne d’attendrissement : depuis le commandant chef de vos troupes jusqu’au dernier de ceux que le peuple est accoutumé à respecter, chacun, (Introduction.] oubliant les dédains et les distinctions, s’expose à l’insulte et à la mort pour sauver le sang des malheureux. Ces désordres, Sire, ne furent point l’effet d’une consternation particulière à cette ville ; les malheurs, qui les ont excités sont généraux, et leur effet l’est aussi. Que ne pouvons-nous mettre sous les yeux de Votre Majesté le tableau de la classe la plus nombreuse de cette province, accablée de misère et de malheurs, et prête à se précipiter dans le plus grand de tous, celui d’oublier ce qui vous est dû ! Non, elle ne l’oubliera jamais : vos bienfaits et votre justice lui rappelleront que vous êtes son prince ; nous avons osé le lui promettre ; et, si c’était le seul moyen qui pût la calmer, c’était aussi la consolante pensée qui ne nous a jamais abandonnés. Votre justice, Sire, a été surprise : en pouvons-nous douter encore ? Les réclamations de toutes les cours, le cri de toutes les provinces, les maux sans nombre qu’entraînent les opérations de vos ministres seraient-ils donc le caractère auquel on peut reconnaître les bonnes lois ? Des droits appartiennent à vos sujets ; ils sont le principe et le lien de leurs devoirs. Des formes ont été établies pour assurer ces droits et les vôtres. Si le pouvoir de faire de nouvelles lois allait jusqu’à leur ravir ces droits, jusqu’à enfreindre ces formes, il en résulterait que vous seriez le maître de leurs vies, de leurs personnes et de leurs biens, et que la Providence, qui est si juste, aurait tout créé pour un seul... Votre cœur, Sire, vous dit déjà que cela ne saurait être ainsi. Un empire ne peut exister sans des lois et des maximes fondamentales ; par celles du vôtre, il est statué que la nation accorde seule les subsides dans les assemblées générales, formées d’un grand nombre de membres librement élus par les trois ordres qui la composent ; que les lois nouvelles doivent y être examinées et vérifiées dans l’intervalle par vos cours souveraines ; que plusieurs provinces doivent être administrées par des États particuliers, autorisés à soutenir leurs privilèges ; qu’aucune personne ne peut être privée de la liberté que pour être remise incessamment entre les mains des juges que la loi désigne, et que l’immutabilité de leurs prérogatives met au-dessus de la crainte et des faiblesses. Si la province du Dauphiné avait besoin de réclamer d’autres droits que ceux de tout le royaume, si quelques lois étaient plus sacrées que celles qui lient un souverain à ses sujets, elle vous rappellerait que les privilèges à la condition desquels vous la possédez la garantissent d’être imposée sans son consentement, et de voir distraire les citoyens de leurs juges naturels et constitutionnels , et les lois du royaume, Sire, et les lois de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1� Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] cette province, qui semblent faites exprès pour les confirmer, ne sauraient nous garantir des attentats de vos ministres ! Depuis près d’un an votre Parlement le réclame, avec l’applaudissement de tous les citoyens, et les fruits de ses réclamations seraient des attentats plus grands encore, et le prix de sa fidélité serait son humiliation ! Il insiste, et ses membres sont dispersés. Un peuple désespéré se précipite sur leurs pas, et la mort se présente à lui de toutes parts. Ah ! Sire, jugez de notre fidélité ! Oui, sans doute, elle fut dans tous les temps et sera toujours inviolable ; mais la lâcheté ne fut jamais la marque des hommes fidèles, et les annales des empires font foi que les peuples, qui reconnaissent le plus loyalement les droits de leurs princes, savent aussi défendre les leurs avec plus de fermeté. Éloignés de la dissimulation de la cour, nous ne savons parler à un prince franc que le langage de la franchise ; jamais, Sire, nous ne souffrirons qu’il soit attenté à aucun de vos droits ; mais jamais nous ne laisserons détruire une constitution qui fait votre sûreté comme la nôtre. Nos propriétés ne seront point dilapidées pour servir de proie aux traîtres qui vous ont trompé. Nous ne serons jamais jugés par des hommes déshonorés. Les privilèges, que nous serions prêts à sacrifier pour le bien de la nation dans une assemblée générale, ne nous seront point enlevés sans notre consentement. Nos têtes sont à vous, Sire, mais nos lois nous sont plus chères que nos têtes. Les temps ne sont plus où les ministres de vos aïeux profitaient de l’ignorance d’une nation toujours abusée, étourdissaient les peuples sur leurs droits, divisaient tous les corps pour les opprimer, arrêtaient la prospérité de la monarchie, et auraient mille fois brisé tous les liens de la fidélité, si l’heureux caractère des Français n’était inhérent à leur sang. Les provinces étroitement unies se rappellent qu’on ne trouve que la servitude en isolant les réclamations. Tous les classes sont liées par une concorde fraternelle. «Les ordres privilégiés savent qu’il est des droits inséparables du titre d’homme et de citoyen; et ceux que le hasard n’a pas favorisés savent que la conservation des lois positives est le salut des sociétés. Où donc vos ministres trouveront-ils des moyens pour forcer vingt millions d’hommes à des actes involontaires? Les nobles défenseurs de l’État seront-ils transformés en exacteurs ? Voudraient-ils nous égorger pour enlever au milieu de nous nos concitoyens? Ah! Sire, quelle m image cruelle, et qu’ils sont grandement coupables ceux qui peuvent en faire concevoir la possibilité entre le meilleur des princes et la plus loyale des nations ! Éloignez, punissez ces hommes pervers, assez lâches pour sacrifier le sang des citoyens à leurs misérables caprices, au sein des plaisirs et sous l’égide du respect qui vous environne, et qui peut seul défendre leurs jours. Retirez des lois impraticables, et l’ordre renaîtra naturellement avec les formes qui le garantissent. Assemblez les ordres� de la nation, et tous les sacrifices nous seront possibles. Assemblez les États de cette province : la succession des maux, dont elle est frappée les rend chaque jour plus nécessaires. Rendez aux citoyens et aux tribunaux les citoyens illégalement détenus. S’ils sont innocents, nous avons une double raison de vous les demander ; s’ils sont coupables, il n’est pas juste de leur laisser usurper notre admiration et notre amour. Garantissez-nous enfin de la plus cruelle des peines, celle de refuser notre obéissance à ce qui nous est présenté sous votre nom ; accordez-nous le plus grand des bienfaits, celui de pouvoir toujours vous aimer. Réponse du roi. Il est défendu aux consuls, échevins de la ville de Grenoble, de convoquer ni présider aucune assemblée, autre que celles concernant les affaires municipales et ordinaires de la ville, ni d’assister à aucune autre, sous quelque prétexte que ce puisse être; comme aussi de recevoir, dans lesdites assemblées municipales, aucune autre personne que celles composant le conseil ordinaire ou le conseil général de ladite ville, conformément aux dispositions des lettres patentes du 11 avril 1752 ; défendons également à tous autres de suppléer lesdits consuls, échevins, le tout à peine de désobéissance, à peine d’en répondre en leurs propres et privés noms. Signé Le DUC de Clermont-Tonnerre. Procès-verbal de rassemblée générale des trois ordres de la province du Dauphiné , tenue en la ville de Romans, par permission du roi. Du mercredi dix septembre.mil sept cent quatre-vingt-huit, dans l’église des révérends pères Cordeliers, à dix heures du matin, Les trois ordres se sont rendus en la ville de Romans le 5 septembre, étant formés sans observation de rang ni de préséance dans chaque ordre, soit entre les personnes, soit entre les différentes villes, bourgs et communautés ; Les trois ordres ont tenu, chacun séparément, des assemblées particulières les 5, 6, 7, 8 et 9 de ce mois, pour reconnaître ceux qui ont le droit [lr0 Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 536 d’être admis à l’assemblée générale, et vérifier les pouvoirs des députés. Messieurs de la noblesse, afin que les autres ordres puissent se proportionner à leur nombre, ont irrévocablement fixé celui des votants, pour cette assemblée, aux personnes de leur ordre qui se sont trouvées à Romans le 5, et qui étaient au nombre de cent quatre-vingt-dix, et arrêté que, Messieurs du clergé ne formant que le nombre de quarante-huit, ou comptera le suffrage de chacun d’eux pour deux voix , jusqu’au nombre de quatre-vingt-quinze voix. Ces arrangements approuvés par Messieurs du clergé, et communiqués au tiers-état, ont été également approuvés par cet ordre, et les représentants des communes, afin de se réduire à l’égalité de suffrages avec les deux autres ordres, ont délibéré de fixer à deux cent quatre-vingt-cinq le nombre de ceux qui pourron t voter dans les séances générales ou particulières, et de faire cette réduction de manière que le district de chaque élection soit à peu près égaleriient représenté. Le 9, MM. les commissaires du roi ayant été prévenus que tout était disposé pour tenir la première séance de rassemblée générale, l’ont indiquée pour le lendemain à dix heures du matin. M. l’archevêque de Vienne étant entré avec M. l’évêque de Grenoble, et accompagné par la plus grande partie de Messieurs de l’ordre du clergé, qui ne s’étaient pas encore rendus, M. le comte de Morges, président de l’ordre de la noblesse, en s’adressant à M. l’archevêque de Vienne, a dit à haute voix : « Monseigneur, l’assemblée me charge expressément de vous dire que, si elle s’est abstenue de délibérer sur l’élection de la personne qui devait la présider, et vous reconnaît pour président, c’est pour donner à Sa Majesté des marques de son respect pour ses intentions ; que c’est pour cette assemblée seulement , et sans préjudice à tous les droits et intérêts de la province, et au vœu déjà manifesté des différents ordres, concernant l’élection libre de toutes les personnes et de toutes les places ; laquelle protestation sera insérée dans le procès-verbal de cette assemblée. » M. l’archevêque de Vienne a répondu : « J’adhère à cette protestation et j’y joins la mienne. » M. l’archevêque s’est placé au fond de la nef, près du sanctuaire, ayant à sa droite le clergé, à sa gauche la noblesse, et le tiers-état des deux côtés et en face, joignant immédiatement les deux premiers ordres, le tout sans observation de rang, d’âge et de préséance dans chaque ordre ; M. l’évêque de Grenoble et M. le comte de Morges ont siégé chacun à la tête de leur ordre. Le tiers - état n’a point élu de président. MM. les commissaires du roi sont entrés, accompagnés de MM, les députés ; l’assemblée s’cst levée pour les recevoir, et MM. les commissaires du roi l’ont saluée. MM. les commissaires du roi ayant pris leurs places dans l’assemblée, M. le duc de Clermont-Tonnerre a remis au secrétaire, qui s’est avancé pour la recevoir, la lettre close de Sa Majesté. M. le duc de Clermont-Tonnerre a dit : « Messieurs, le roi ayant suffisamment fait connaître ses intentions, modifiées suivant les circonstances et le vœu des trois ordres, Sa Majesté veut bien encore vous donner une nouvelle preuve de sa bonté paternelle, en rétablissant, sous une forme plus avantageuse, vos États provinciaux qui étaient suspendus. Vous allez, Messieurs, vous occuper d’un travail d’autant plus intéressant, qu’il doit opérer le bonheur particulier des peuples de cette province et celui de leurs descendants, etc. » Ensuite M. Case, baron de la Bove, a dit : « Messieurs, « Le roi, uniquement occupé du bonheur de ses peuples, n’attend que de connaître le vœu de la nation pour lui assurer à jamais une administration qui concilie ses vrais intérêts avec l’honneur du nom français, et l’amour qu’elle porte à son souverain. « Si la connaissance des besoins de l’État a été le principe des événements qui, dans quelques provinces, ont pu causer quelques alarmes, les lumières qui ont été répandues depuis longtemps pour éclairer les peuples, les élans du patriotisme qui en ont été les effets, la publicité de la situation des finances, les améliorations projetées, les retranchements effectués, enfin la justice et la bonté paternelle de Sa Majesté, que faut-il de plus pour inspirer la confiance et rassurer toutes les classes des citoyens? Un ministre désigné par l’opinion publique, le guide le plus sûr pour éclairer les rois, est rappelé aujourd’hui à la tête des finances. La nation va être rassemblée autour du trône, sous les yeux d’un monarque qui ne cherche que la vérité. « Au moment de cette époque, peut-être la plus touchante de nos annales pour le prince et pour ses sujets, le moindre soupçon serait un crime ; la reconnaissance seule et l’enthousiasme pour le souverain sont les seuls sentiments qui doivent se manifester et s’éterniser dans tous les cœurs. « Sa Majesté a toujours annoncé qu’elle conserverait les privilèges de ses provinces ; elle vous donne aujourd’hui un témoignage bien authentique de la fidélité de ses engagements ; on peut même dire qu’elle y ajoute une recherche qui doit vous prouver à quel point elle veut être assurée des moyens les plus efficaces de faire votre bonheur. « Dans la crainte que vos formes anciennes ne puissent exciter de nouvelles réclamations, elle 537 [1« Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] vous rassemble pour vous consulter , et vous mettre à portée de lui faire connaître celles que vous croirez les meilleures pour procurer au Dauphiné une constitution sage, en pesant dans une juste balance les intérêts des différents ordres et ceux de tous les cantons de cette province. » M. l’archevêque président a répondu au nom de celle-ci, et a dit : « Monsieur, c’est avec la joie la plus vive que nous recevons de votre bouche la nouvelle assurance des bontés paternelles du roi envers le Dauphiné. Quel sera le véritable et l’heureux fruit de notre reconnaissance, quelle preuve en devons-nous à Sa Majesté ? Un ouvrage entrepris avec ardeur, suivi avec application, terminé avec une sage célérité, salutaire à cette province, digne des trois ordres qui sont ici rassemblés. Vous allez être témoin, Monsieur, de leurs efforts et de leurs travaux ; dans le compte que vous en rendrez, vous n’aurez que des éloges à donner aux membres de l’assemblée, et qu’une douce satisfaction à répandre dans le cœur de notre souverain. « MM. les commissaires du roi trouveront ennous un zèle actif et unanime. Nous espérons d’eux de puissantes ressources pour seconder le patriotisme, et pour contribuer au bien public. » MM. les commissaires du roi retirés, et les députés étant rentrés et ayant repris leurs places, M. l’évêque de Grenoble, s’adressant à l’archevêque de Vienne, a dit : «Monseigneur, les sentiments que vous avez témoignés et garantis à la tète de cette assemblée, en présence de MM. les commissaires du roi, justifient pleinement les motifs d’égards et de confiance qui ont porté les trois ordres à maintenir en votre faveur le choix indiqué par le gouvernement; j’y adhère avec satisfaction, et serai toujours empressé d’offrir à votre expérience, vos lumières et vos vertus, l’hommage qui leur efct dû. » Ensuite M. l’archevêque de Grenoble, s’adressant à l’assemblée, a dit : « Mais, Messieurs, forcé par un devoir rigoureux de prévoir tout ce qui pourrait porter atteinte aux droits que j’ai à défendre, j’oserai, Messieurs, vous prier de vouloir bien me permettre de protester ici et devant vous contre tout ce qui pourrait être induit de ma présence dans cette assemblée, à laquelle le désir de partager vos travaux pour le bien public m’a fait une loi d’accourir ; j’oserai encore demander qu’il en soit fait mention dans vos registres. « Je suis prêt, Messieurs, au moment qu’il vous plaira de m’indiquer, et avec confiance dans vos lumières et votre équité, à mettre sous vos yeux les motifs et les titres qui autorisent le siège que j’ai l’honneur d’occuper à réclamer son ancien droit de présider les trois ordres dans les États du Dauphiné, » M. l’évéque de Grenoble, continuant d’adresser, la parole à l’assemblée, a représenté l’état actuel de la province, et a proposé de charger une commission d’adresser une lettre au roi, qui exprimerait la reconnaissance des trois ordres, les assurances de leur zèle pour seconder ses vues bienfaisantes, et réclamerait le prompt retour de la justice. Les députés de la cathédrale de Grenoble ont déclaré adhérer aux protestations de M. l’évêque de la même ville. M. Planelli, marquis de Maubec, a dit : « Messieurs, en annonçant, comme vous l’avez fait, que le vœu général de ia province était que dans les nouveaux États toutes les places fussent électives, et en ne faisant aucune exception, qu’il me soit permis de vous représenter que ce serait porter atteinte de la manière la plus décisive aux droits et privilèges des premiers barons, dont les prérogatives sont établies sur les titres mêmes que vous réclamez, etc. » L’assemblée a arrêté que les protestations de M. l’évêque de Grenoble et de M. le marquis de Maubec seraient laissées sur le bureau, pour y être ensuite délibéré, et que les discours qui ont été prononcés dans la présente séance, par MM. les commissaires du roi et M. le président, seraient consignés dans le procès-verbal. Du jeudi 11 septembre. M. le président a dit que des curés des différents diocèses de la province, se trouvant actuellement à Romans, désireraient qu’il fût permis à deux d’entre eux de se présenter à cette assemblée et qu’on voulût bien les entendre. L’assemblée ayant donné son consentement, M. Lemaistre, curé de la paroisse de Saint-Laurent de la ville de Grenoble, et M. Fusier, curé de Chirens, sont entrés ; et M. Lemaistre a dit qu’ils étaient chargés, par un grand nombre de leurs confrères, de présentera l’assemblée un mémoire contenant des protestations sur le défaut de liberté où les a tenus le clergé supérieur durant les élections. La matière mise en délibération, Messieurs du clergé ontdéclaré qu’ils avaient eux-mêmes, de leur propre mouvement, délibéré d’une manière conforme aux désirs de MM. les curés, et il a été unanimement arrêté par les trois ordres qu’à l’avenir on ne pourrait admettre dans les États ou assemblées des trois ordres, comme représentants de MM. les curés, que les députés qu’ils auraient librement élus sous les yeux de leurs supérieurs. M. le président a dit qu’il serait utile de renvoyer à l’examen des commissaires les objets contenus dans les discours de M. l’évêque de Grenoble, ainsi que ses protestations et celles de M. le marquis de Maubec, ce qui a été accepté par Rassemblée. 538 Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] MM. les commandeurs de Malte, ayant été placés immédiatement après MM. les grands vicaires délégués par les archevêques et évêques absents, ont déclaré protester à ce sujet, soutenant devoir être placés après les prélats. Les représentants des archevêques et évêques ont fait leurs protestations contraires. Les représentants des cathédrales et collégiales, et les députés diocésains, ont protesté contre la préséance prétendue par MM. les commandeurs de Malte, qui se sont placés au-dessus d’eux, et M. de Saint-Aubin, doyen de l’église de Vienne, et abbé commendataire de l’abbaye royale d’Aul-hay, et M. de Radiais, doyen du chapitre noble de Saint-Pierre et de Saint-Chef, ont fait à cet égard des protestations particulières ; MM. les commandeurs de Malte en ont fait de contraires. Il a été délibéré que, pour demander les opinions et compter les voix dans cette assemblée, lorsqu’il n’y aura point de motif pour séparer les ordres, on appellera un membre du clergé, deux de la noblesse et trois du tiers-état, et ainsi de suite. M. le président a indiqué la séance prochaine demain neuf heures du matin. Du vendredi 12 septembre. M. le marquis de Biacons fils a dit qu’il a ôté chargé par MM. les commissaires de faire le rapport des objets qui ont été discutés dans leurs séances. 11 a annoncé qu’ils ont formé trois bureaux, l’un qui doit s’occuper de préparer les rapports et examiner les affaires générales ; un autre qui doit plus spécialement s’occuper de la formation des États, et un troisième pour la rédaction du procès-verbal et la révision particulière, avant de rendre compte à l’assemblée. L’assemblée a approuvé la division des bureaux. La séance a été renvoyée à demain, à dix heures du matin. Du 13 septembre. M. le président a invité tous les membres de l’assemblée à se rendre à une messe du Saint-Esprit, qui serait célébrée demain à dix heures du matin dans la présente église. Il a été arrêté qu’on assisterait à cette messe en corps d’assemblée. M. le président a renvoyé la séance à six heures de relevée de ce jour, pour entendre la lecture des lettres écrites à Sa Majesté et à M. Necker. Dudit 13 septembre. On a fait lecture de projets de lettres dont la teneur suit, et qui ont été adoptés. Sire, De grands malheurs sont quelquefois le signal des plus heureuses révolutions. L’excès des abus rappelle souvent à ces règles primitives qui furent créées pour les prévenir. Votre province du Dauphiné éprouve encore les effets des innovations qui l’ont alarmée; mais vous avez été sensible a ses plaintes, vous avez cherché la vérité dans le vœu réuni de ses citoyens. La promesse donnée d’assembler incessamment les États généraux du royaume, la convocation prochaine de ceux du Dauphiné, et la province occupée à délibérer sur leur formation, tous les abus prêts à s’évanouir, toutes les espérances justifiées par la présence d’un homme qui fait oublier à la France, pour la seconde fois, qu’il n’a pas reçu le jour dans son sein ; il ne nous reste qu’à supplier Votre Majesté de presser le moment où nous n’aurons à vous offrir que des actions de grâces. Dès les premiers siècles de la monarchie, des principes, puisés dans le caractère d’une nation également fière et fidèle, posèrent des bornes au pouvoir, et concilièrent la majesté des rois avec la liberté des hommes. Le chaos du régime féodal fit oublier quelque temps leurs droits respectifs, mais il ne put les� anéantir. Les anciennes formes reparurent avec l’établissement des communes; on vit renaître à la fois l’autorité du monarque et la liberté des sujets. Le prince, trop longtemps i’éduit aux simples prérogatives delà suzeraineté, reprit par degrés l’exercice du pouvoir souverain, et son domaine ne suffisant plus aux frais d’une administration universelle et compliquée, la libre concession de l’impôt s’établit naturellement entre le peuple propriétaire et le prince administrateur... Mais un pouvoir étranger cherchait à s’établir sur leur désunion, et s’interposa pour les diviser. Des ministres ambitieux enlevèrent aux sujets la confiance de leur roi pour s’en emparer exclusivement, attaquèrent la constitution pour substituer aux lois leurs inconstantes volontés. Leur premier attentat, Sire,, fut d’enlever à la nation la libre expression de ses vœux , au roi ses vrais conseillers, au peuple ses représentants. Dans ce silence forcé du peuple, dans cet oubli de la constitution, les magistrats se trouvèrent les seuls qui pussent défendre les droits de la nation. Ils s’opposèrent à l’altération de ces lois, et nous leur en devons des actions de grâces ; ils accordèrent pour elle des subsides, et l’aveu solennel de cette erreur les en a seul justifiés. Et cependant, Sire, c’est pour cet aveu, c’est pour la noble franchise à laquelle votre royaume doit aujourd’hui l’espoir de sa restauration, qu’on a tenté de les anéantir, et d’ensevelir avec eux les derniers fondements de nos libertés. Avec quels sentiments rappellerons-nous cet [1m Série, T. 1er.]' ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] enchaînement de maux, cette crise violente où nous avons vu persécuter publiquement le patriotisme et l’honneur; provoquer l’intérêt particulier; consommer la ruine des finances, et blesser la majesté du trône jusqu’à lui faire oublier ses engagements? Sire, la nation attend avec impatience le moment où, délivrée de toutes ses alarmes, elle pourra se livrer sans trouble au sentiment qui l’attache à votre personne. Faites disparaître des lois dont le retrait peut seul ramener la sécurité; rendez à la nation, ren-dez-nous cet ordre antique de juridiction : ces magistrats, ces tribunaux, qui sont une propriété de votre peuple, une partie essentielle de ses droits et qui ne sauraient subir de changements sans sa participation. 11 importe au bonheur public, à votre peuple, à Votre Majesté, que les provinces soient administrées, que leurs impôts soient répartis, que leurs privilèges soient défendus par leurs États particuliers ; mais les vrais principes de la monarchie, l’intérêt de l’État et la majesté du trône et de la nation, exigent impérieusement que les délibérations générales, et surtout l’octroi de l’impôt soient exclusivement réservés aux États généraux du royaume, etc. Lettre écrite à M. Neckerpar les trois ordres de la province du Dauphiné t assemblés à Romans le 14 septembre 1788. « Monsieur, la nation était dans les alarmes, elle touchait à sa ruine, lorsqu’un roi juste vous rappelle; cet événement a été seul une grande révolution : au deuil profond qui régnait dans tout le royaume ont succédé la joie et les acclamations universelles, etc. » On a discuté les derniers articles du plan proposé pour une nouvelle formation des États de la province; et après en avoir achevé l’examen, rassemblée a jugé convenable de fixer par des arrêtés particuliers plusieurs principes impor-i tants, auxquels elle veut rester fidèle, et qui doivent servir de base à la nouvelle constitution des États : Considérant que le Dauphiné a toujours joui du droit de se réunir en corps de province, dans des assemblées formées par le clergé, le corps de la noblesse et les députés de chaque communauté; Que l’assemblée actuelle est une représentation plus nombreuse et plus directe de la province que ne pourra l’être celle des Étals, qu’elle est plus essentiellement la réunion des trois ordres; que les États, n’étant que leurs mandataires, ne doivent jamais excéder les pouvoirs qui vont leur être confiés, ni faire aucun changement à leur constitution sans le concours d’une pareille assemblée; 339 Que l’essence de toute véritable représentation est le libre choix de ceux qui doivent être représentés; que la même liberté de suffrages doit diriger la nomination de toutes les places dans les États, même de la présidence ; qu’on ne saurait s’arrêter aux protestations de M. l’évêque de Grenoble, ni à celles de M. le marquis de Maubec; qu’en supposant même que les prétendus droits qu’ils réclament eussent pu faire partie de l’ancienne constitution des Etats, Sa Majesté voulant bien autoriser tous les changements qui pourront la rendre plus avantageuse, l’élection libre de toutes les places serait le changement le plus important et le plus essentiel de tous ceux que la province peut désirer ; Que, pleins d’attachement pour la monarchie, s’honorant du nom de Français, disposés à tous les sacrifices que peuvent exiger la gloire du monarque et celle de la nation, les Dauphinois doivent, par leurs représentants dans les États généraux du royaume, donner l’exemple du dévouement et de la fidélité; mais que les États généraux pouvant seuls proportionner les impôts aux besoins réels, les répartir avec égalité entre les provinces, et prévenir les déprédations dans les finances, l’octroi des subsides et l’établissement des emprunts pour l’utilité générale du royaume doivent leur être exclusivement réservés : Il a été arrêté que les États de la province ne pourront excéder les pouvoirs qui vont leur être confiés, ni rien changer, sans le consentement formel d’une pareille assemblée à la constitution proposée par les trois ordres, et autorisée par Sa Majesté. 11 a été arrêté que nul ne sera admis aux États de la province que par le choix libre de ceux qui ont le droit de s’y faire représenter ; que toutes les places y seront électives, nonobstant les protestations de M. l’évêque de Grenoble et de M. le marquis de Maubec. Il a été arrêté que les impôts directs ou indirects, les extensions et prorogations d’impôts , ainsi que les emprunts pour Futilité générale, ne pourront être établis dans le Dauphiné que lorsque les représentants de la province en auront délibéré dans les États généraux du royaume. Pouvoirs des députés de la province du Dauphiné aux États généraux. — Du 31 décembre 1788. Les membres des États et leurs adjoints ayant pris séance, M. l’évêque de Gap a dit que la commission s’est occupée du traitement que doivent avoir les députés aux États généraux; sur son rapport, il a été délibéré que chacun des députés aurait vingt louis pour les frais du voyage, et douze livres par jour, à compter de celui qui sera indiqué pour l’ouverture des États généraux. Ensuite M. l’évêque de Gap a dit que la commis- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 540 sion a approuvé un projet de pouvoirs pour ceux qui doivent représenter la province, et que M. Mou-nier, secrétaire des États, rendrait compte des motifs qui avaient dirigé la rédaction de ces pouvoirs. M. Mounier a développé les motifs qui ont déterminé la commission dans la rédaction d’un projet d’instruction pour les députés. Le projet annoncé, ayant été lu, a été approuvé par acclamation; on a recueilli les suffrages sur le projet de la commission, et il a été accepté ainsi qu’il suit : « L’assemblée leur donne mandat spécial d’employer tous leurs efforts pour obtenir que les députés du tiers-état 'soient en nombre égal à ceux du premier et du second ordre réunis; que les délibérations soient constamment prises par les trois ordres réunis, et que les suffrages soient comptés par tête, sans qu’ils puissent voter sur aucune proposition avaut que ces formes aient été définitivement arrêtées. « Et, dans le cas seulement où les États généraux seront composés des membres librement élus, les députés du tiers-état en nombre égal à ceux du premier et du second ordre, les délibérations prises par ordres réunis, et les suffrages comptés par tête l’assemblée donne pouvoir et mandat spécial à ses députés de concourir, par tous les efforts de leur zèle, à procurer à la France une heureuse constitution, qui assure à jamais la stabilité des droits du monarque et de ceux du peuple français ; « Qui rende inviolable et sacrée la liberté personnelle de tous les citoyens;- « Qui ne permette pas qu’aucune loi soit établie sans l’autorité du prince et le consentement des représentants du peuple réunis dans des assemblées nationales fréquentes et périodiques ; « Qui ne permette pas que les ministres, les tribunaux et aucun des sujets du monarque puissent violer les lois impunément; qu’il soit fait aucun emprunt direct ou indirect, et qu’aucun subside soit perçu sans le libre consentement des États généraux, en préférant les genres d’impôts et de perception les plus compatibles avec la liberté publique et individuelle, et les plus susceptibles d’être également répartis sur tous les citoyens. « Leur donne de plus mandat spécial de procurer la réforme des abus relatifs aux tribunaux, et à l’administration de la justice. « Leur défend de s’occuper de subsides avant que les principes et les bases de cette constitution soient établis , à moins que les circonstances n’exigeassent impérieusement des secours extraordinaires et momentanés : leur recommandant, lorsque ces bases seront fixées , de rechercher tous les moyens propres à rétablir l’ordre et l’économie dans les finances; de prendre une connaissance exacte des besoins de l’État et de la dette publique, afin d'y proportionner les sacrifices que la gloire du trône, l’honneur français et le salut de la nation pourront rendre nécessaires. « Leur défend encore d’accorder aucun impôt pour un temps illimité, sans que le terme de l’octroi puisse excéder l’intervalle d’une assemblée d’États généraux à la suivante, etc. » Lettre de la ville de Grenoble au roi. Sire, nous osons le dire à Votre Majesté avec toute la franchise que vous doivent des sujets libres et fidèles, jamais on ne fit un usage plus terrible des ordres arbitraires ; c’est par des ordres exécutés militairement qu’on a tenté de renverser la constitution du royaume, d’attaquer les propriétés et de détruire les tribunaux ; que l’asile de la justice a été violé par des satellites, et qu’on a partout substitué la force militaire à l’empire des lois. On ne peut pas, sans attenter à la liberté publique, interdire aux municipalités la faculté de délibérer sur tous leurs intérêts. G’est un devoir sacré pour les membres d’un corps municipal de veiller sans relâche et sans restriction au maintien des droits des citoyens. Le premier de ces droits , qui seul peut conserver les autres, est la liberté des assemblées et des délibérations. Sire, les municipalités sont nées avant la monarchie ; elles disparurent dans une grande partie de la France, quand le régime féodal eut amené la servitude générale du peuple; mais , inséparables de la liberté, on les vit renaître avec les affranchissements des villes; et dès que les citoyens cessèrent d’être serfs ils eurent des communes. L’exil des magistrats, que leur vertu et leurs lumières avaient rendus chers au peuple dans tous les temps, plongeait les citoyens dans la douleur. Une anarchie intérieure , suite funeste de la cessation subite de la justice , menaçait la tranquillité publique. Une misère affreuse avait inspiré le désespoir à une portion considérable du peuple. Dans cette position alarmante, le clergé, les gentilshommes, d’autres notables et citoyens n’aperçurent qu’un moyen de faire cesser le désordre ; ce fut de s’assembler à l’hôtel de ville, selon l’usage souvent observé. Il fut délibéré de donner des secours pécuniaires à une foule d’artisans, tombés subitement dans l’indigence par la cessation du travail; de supplier Votre Majesté de retirer les nouveaux édits, et de rétablir dans leurs fonctions les magistrats du Parlement du Dauphiné, qui, en résistant à des projets que toute la nation désavoue, avaient donné à Votre Majesté des preuves d’amour et de fidélité; il fut indiqué une assemblée générale 541 [ire Série, T. b'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j introduction.] des villes et bourgs de la province pour porter ses vœux à Votre Majesté. Nous osons vous l’assurer, Sire, cette démarche pouvait seule calmer la fermentation des esprits et ramener la confiance. Si cette assemblée était un crime, ce serait celui de la cité entière , qui l’a provoquée , celui de toutes les municipalités de la province, qui ont pris des délibérations semblables à celle de Grenoble. Nous vous conjurons , Sire, de rendre à leurs fonctions le premier et le second consuls. Dans cette fatale journée où nous vîmes couler le sang de nos concitoyens , ils exposèrent leur vie pour calmer le peuple; c’est à leur courage, au zèle du conseil de la municipalité que nous devons le rétablissement de la tranquillité publique. Sire, en multipliant ainsi les actes de rigueur, vos ministres ont-ils espéré que la crainte nous réduirait au silence? Ils auraient bien mal jugé de notre courage dans le moment où les projets funestes qü’on s’obstine vainement à faire exécuter pourraient diminuer l’affection des peuples de Votre Majesté et ébranler sa puissance. La fidélité nous impose la loi de vous mettre sans cesse sous les yeux le danger qui menace le royaume; et quand on est fidèle on l’est au péril de sa fortune et au péril même de sa vie. Nous sommes, etc. Extrait du registre des délibérations de la ville d'Angers , des 9 et 24 décembre 1788. En la convocation et assemblée générale tenue dans la chambre du conseil de l’hôtel de ville, en vertu du mandement du 29 novembre précédent, où étaient et assistaient MM. les maire et échevins, MM. les députés de l’église d’Angers et le syndic général du clergé, du présidial, de l’université et des autres juridictions royales; ceux des avocats, de la juridiction consulaire, des notaires, des procureurs , du corps des marchands et des paroisses de ladite ville , tous établis dans ledit procès-verbal, et qui ont signé : A été délibéré que l’établissement des États particuliers de la province est très-utile , mais seulement aux conditions suivantes, sans lesquelles ils seraient onéreux et peu profitables : 1° Que les membres du tiers-état formeront la moitié de l’assemblée générale de la province ; 2° Que les voix se compteront par tête et non par ordre ; 3° Que nul ecclésiastique, noble ou privilégié, appartenant même à des corps ou communautés, sous quelque prétexte et condition que ce soit, même avec protestation de ne tirer à conséquence pour l’avenir, ne pourra être admis dans les assemblées générales et particulières du tiers-état de la province, comme membre du tiers-état. Protestation de la noblesse de Bourgogne. La noblesse de Bourgogne déclare qu’elle proteste et protestera sans cesse, avec l’énergie qu’inspire la défense d’une cause aussi légitime , contre tout ce qui pourrait être résolu aux États généraux du royaume, si, d’après les lois constitutionnelles qu’elle est résolue de maintenir, on y votait autrement que par ordre; qu’elle repoussera toujours, avec le même courage et la même fermeté, toute innovation contraire aux lois fondamentales de cette province et de la monarchie, et que rien ne sera jamais capable d’altérer la fidélité qu’elle doit au roi, ainsi que son attachement à la constitution, au peuple et à la liberté. Mémoire adressé au roi par les officiers municipaux, , notables et autres habitants , formant le tiers-état de la ville de Vesoul. La tendre sollicitude de Votre Majesté pour ses peuples vous a fait accéder, Sire, aux instances de votre noblesse de Franche-Comté , qui sollicitait de votre justice le rétablissement des États de cette province , dont l’exercice avait été suspendu depuis l’époque heureuse de sa réunion à votre couronne. Sous le voile spécieux de l’intérêt public, motif toujours si puissant sur le cœur d’un bon roi, cet ordre cachait des vues secrètes qu’il n’a que trop développées dans le procès-verbal de son assemblée particulière du 1er octobre. Il ne faut pas s’y méprendre, Sire , les gentilshommes de votre province de Franche-Comté ne demandent la régénération des États séquanois que parce qu’étant assurés du suffrage du premier ordre, ils se promettent déjà , par anticipation , une influence décisive sur toutes les délibérations relatives aux différents objets d’administration publique. Non contents de cet ascendant que leur donnerait infailliblement dans toutes les affaires la réunion concertée de leur ordre avec celui du clergé, ils ravissent encore au tiers-ctat la prépondérance qu’il a toujours eue sur les deux autres en matière d’impôts : elle est attestée , cette prépondérance , par tous les monuments de notre histoire. La noblesse, jalouse de cet antique privilège, tente de lui substituer un simple concours en égalité de suffrages, concours qu’elle a grand soin de limiter encore aux subsides de la nature de ceux où les deux premiers ordres sont privilégiés; tout comme s’il lui était permis de régler seule et sans la participation du tiers le régime d’une corporation générale; tout comme si elle était investie d’un pouvoir suffisant pour changer la constitution au gré seul de l’intérêt particulier qui la fait agir. i Non, Sire, vos peuples de Franche-Comté ne se [lre Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m détermineront jamais à souscrire à des conditions qui les réduiraient à l’état du plus dur esclavage ; ils se félicitent de vivre sous les lois de votre empire : mais , comme le plus bel apanage de la royauté est de régner sur un peuple libre, le peuple franc-comtois ose réclamer avec confiance, au pied du trône de Votre Majesté, l’exercice de cette même liberté, sans laquelle il ne pourrait faire un usage légitime de ses prérogatives et de ses droits. Votre tiers-état éploré , Sire, se jette aux pieds de Votre Majesté pour la supplier de ne consentir au rétablissement de cette institution primitive, qu’à moins qu'elle ne veuille bien lui accorder le même nombre de voix qu’aux deux autres ordres réunis , soit dans les délibérations, commissions et opérations en tous genres et de toutes espèces. Qu’à moins , qu’ainsi que le peuple , ces deux ordres n’aient séance aux États que par leurs députés , et non en totalité comme le prétend la noblesse. Telles sont, Sire, les conditions raisonnables que votre tiers-état ose espérer de votre justice; il ne veut les tenir ni du désintéressement bien connu du clergé, ni de la générosité de la noblesse, etc. Nota. Il est à observer que vingt-deux membres de la noblesse avaient protesté contre l'arrêté de cet ordre, et demandé une double représentation pour le tiers-état. — Le Parlement cassa leur protestation ; mais le conseil du roi cassa à son tour l’arrêté du Parlement. Arrêt du conseil d’État du roi du 3 janvier 1789, pour suspendre jusqu’au 3 février la séance des Etats de Bretagne. Le roi, informé du refus que font les députés du tiers-état de sa province de Bretagne de délibérer sur aucune affaire , et notamment sur une grande partie des demandes de Sa Majesté , en se fondant sur les restrictions apportées dans le cahier de leurs charges, Sa Majesté aurait pu dans sa justice casser les délibérations des villes qui se sont permis de lier ainsi, contre les lois et les usages de la Bretagne , le vœu de leurs députés ; mais Sa Majesté étant instruite de l’esprit de dissension qui règne dans la province , et qui vient de se manifester à l’ouverture des Etats d’une manière répréhensible, elle a jugé digne de sa grande bonté de supporter un retardement dans la rentrée de ses revenus , plutôt que d’exposer l’ordre public et la tranquillité des États aux effets d’une mésintelligence dangereuse : en conséquence, et malgré les besoins pressants de ses finances, Sa Majesté a pris la résolution de suspendre la séance des États jusqu’au 3 février, pendant lequel temps les députés du tiers-état se retireront dans leurs villes , à l’effet d’y recevoir de nouveaux pouvoirs. Sa Majesté ne doute point que les municipalités , instruites chaque jour de ses dispositions équitables , et dirigées par un juste sentiment de reconnaissance , ne s’empres-sent de lever les obstacles qui , en interceptant le cours des affaires, causeraient un préjudice notable et aux intérêts de la province et aux finances de Sa Majesté ; et si, contre toute vraisemblance, le roi était trompé dans son attente , Sa Majesté se réserve , après avoir eu connaissance des nouvelles délibérations des villes de Bretagne, de statuer ce qui lui paraîtra le plus conforme à sa justice et au bien de l’État. Enfin, Sa Majesté désirant de calmer, en tout ce qui dépend d’elle, les inquiétudes qui se sont répandues dans une province à qui elle a donné dans tous les temps des marques particulières de son affection, et voulant engager ses sujets de Bretagne à se confier de plus en plus à sa justice et à sa sagesse, elle veut bien dès à présent autoriser les trois ordres à ne consentir que pour le terme d’une année les demandes qui leur seront faites en son nom; Sa Majesté étant pleinement convaincue que, pendant la tenue des États généraux, et au milieu des députés de* la France assemblés, elle pourra concerter , avec les nombreux représentants de sa province de Bretagne , les moyens les plus propres à assurer pour toujours le bonheur et la tranquillité de cette province, etc. Arrêt du conseil d’État du roi, du 25 février 1789, sur les troubles. Le roi, informé que dans plusieurs provinces on a cherché et l’on cherche encore à gêner le libre suffrage de ses sujets, en les engageant à adhérer par leurs signatures à des écrits où l’on manifeste différents vœux et diverses opinions sur les instructions qu’il faudrait donner aux représentants de la nation aux États généraux, et Sa Majesté considérant que ces instructions ne doivent être discutées et déterminées que dans les assemblées de bailliages où se fera la rédaction des cahiers de toutes les communautés, elle ne saurait tolérer des démarches qui intervertiraient l’ordre établi, et qui, apportant des obstacles à ses vues bienfaisantes, contrarieraient en même temps le vœu général de la nation. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport, le roi étant en son conseil a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. Sa Majesté casse et annule toutes les délibérations qui ont été ou qui pourraient être prises relativement aux États généraux, ailleurs que dans les communautés et dans les bailliages assemblés selon les formes établies par Sa Majesté. II. Défend, Sa Majesté, sous peine de désobéissance, à tous ses sujets indistinctement, de solliciter des signatures, et d’engager d’une ou d’autre manière à adhérer à aucune délibération relative aux États généraux, laquelle aurait été ou serait concertée avant les assemblées de bailliages ou [1« Série, T. le*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 543 communautés, déterminées par le règlement de Sa Majesté du 24 janvier dernier. Enjoint, Sa Majesté, aux commandants pour son service, et aux commissaires départis dans les provinces de son royaume, , de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, lequel sera lu, imprimé, publié et affiché partout où besoin sera. Fait au conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 25 février 1789. Signé Laurent de Villedeuil. Arrêt du conseil d'Etat-du roi , du 14 février 1789, qui supprime un imprimé ayant pour titre : Détail de ce qui s’est passé a rennes le 26 janvier 1789. Le roi, étant informé que l’on distribue dans le public un imprimé ayant pour titre : Détail de ce qui s'est passé à Rennes le 26 janvier 1789, commençant par ces mots : Notre ville a eu, et finissant par ceux-ci : Se sont passés, avec cette apostille en lettres italiques : Le reste à l'ordinaire prochain , Sa Majesté, sur le compte qu’elle s’en est fait rendre, a reconnu que cet imprimé, répandu avec une profusion affectée, contenait des récits infidèles et des expressions injurieuses, outrageantes même pour la noblesse, qui, par ses services, a dans tous les temps donné des preuves multipliées de son attachement inviolable au roi et à la nation, en veillant sans cesse à la défense de la patrie. Cet imprimé répréhensible ne peut tendre d’ailleurs qu’à détruire la confiance réciproque, si nécessaire à maintenir dans les différentes classes de citoyens. Pour en arrêter les funestes effets, et en attendant qu’il soit pris des mesures propres à prévenir la licence à laquelle on se livre en imprimant toutes sortes d’ouvrages sans aucune sanction, Sa Majesté a pensé qu’il était de son devoir, comme de sa justice, de sévir particulièrement contre un écrit aussi condamnable. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport, le roi étant en son conseil, de l’avis de M. le garde des sceaux, a ordonné et ordonne que ledit imprimé sera et demeurera supprimé, comme contraire au bon ordre, et attentatoire à la considération due à la noblesse; a fait et fait très-expresses inhibitions et défenses à tous libraires, imprimeurs, colporteurs et autres personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de l’imprimer, vendre, distribuer, colporter ou retenir, sous les peines prescrites par les ordonnances, etc. § VI. Lettre du roi pour la convocation des Etats généraux à Versailles le 27 avril 1789.. . DE PAR LE ROI. Notre amé et féal, nous avons besoin du concours de nos fidèlês sujets, pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons, relativement à l’état de nos finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume. Ces grands motifs nous ont déterminé à convoquer l’assemblée des États de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour nous conseiller et nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous ses yeux, que pour nous faire connaître les souhaits et les doléances de nos peuples ; de manière que, par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède efficace aux maux de l’État, et que les abus de tout genre soient réformés et prévenus par de bons et solides moyens qui assurent la félicité publique, et qui nous rendent à nous particulièrement le calme et la tranquillité dont nous sommes privés depuis si longtemps. A ces causes, nous vous avertissons et signifions que notre volonté est de commencer à tenir les États libres et généraux de notre royaume, au lundi 27 avril prochain, en notre ville de Versailles. où nous entendons et désirons que se trouvent aucuns des plus -notables personnages de chaque province, bailliage et sénéchaussée. Et pour cet effet, vous mandons et très-expressément enjoignons, qu’incontiuent la présente reçue vous ayez à convoquer et assembler, en notre villo de .................... dans le plus bref temps que faire se pourra, tous ceux des trois États du bailliage (ou sénéchaussée) de ........................ pour conférer et pour communiquer ensemble, tant des remontrances, plaintes et doléances, que des moyens et avis qu’ils auront à proposer en l’assemblée générale de nos dits États ; et ce fait, élire, choisir et nommer ...................... sans plus de chaque ordre , tous personnages dignes de cette grande marque de confiance, par leur intégrité et par le bon esprit dont ils seront animés; lesquelles convocations et élections seront faites dans les formes prescrites pour tout le royaume par le règlement annexé aux présentes lettres ; et seront lesdits députés munis d’instructions et pouvoirs généraux et suffisants pour proposer, remontrer, aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’État, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixe et durable dans toutes les parties de l’administration, la prospérité générale de notre royaume, et le bien de tous et de chacun de nos sujets ; les assurant que de notre part ils trouveront toute bonne volonté et affection pour maintenir et faire exécuter tout ce qui aura été concerté entre nous et lesdits États, soit relativement aux impôts qu’ils auront consentis, soit pour l’établissement d’une règle constante dans toutes les parties de l’admi- [l,e Série, T.' 1er. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 544 nistration et de l’ordre public : leur promettant de demander et d’écouter favorablement leurs avis sur tout ce qui peut intéresser le bien de nos peuples, et de pourvoir sur les doléances et propositions qu’ils auront faites ; de telle manière que notre royaume, et tous nos sujets en particulier, ressentent pour toujours les effets salutaires qu’ils doivent se promettre d’une telle et si notable assemblée. Donné à Versailles, le vingt-quatre janvier mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé LOUIS. Etplus bas , Laurent de Vii.ledeuil. Règlement fail par le roi pour Vexécution des lettres de convocation du 24 janvier 1789. Le roi, en adressant aux diverses provinces soumises à son obéissance des lettres de convocation pour les États généraux, a voulu que ses sujets fussent tous appelés à concourir aux élections des députés qui doivent former cette grande et solennelle assemblée ; Sa Majesté a désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à elle ses vœux et ses réclamations ; Sa Majesté ne peut souvent atteindre que par son amour -à cette partie de ses peuples que l’étendue de son royaume et l’appareil du trône semblent éloigner d’elle, et qui, hors de la portée de ses regards, se fie néanmoins à la protection de sa justice et aux soins prévoyants de sa bonté. Sa Majesté a donc reconnu, avec une véritable satisfaction, qu’au moyen des assemblées graduelles ordonnées dans toute la France pour la représentation du tiers-état, elle aurait ainsi une sorte de communication avec tous les habitants de son royaume, et qu’elle se rapprocherait de leurs besoins et de leurs vœux d’une manière plus sûre et plus immédiate. Sa Majesté à tâché de remplir encore cet objet particulier de son inquiétude, en appelant aux assemblées du clergé tous les bons et utiles pasteurs qui s’occupent de près et journellement de l’indigence et de l’assistance du peuple, et qui connaissent plus intimement ses maux et ses appréhensions. Le roi a pris soin néanmoins que dans aucun moment les paroisses ne fussent privées de la présence de leurs curés, ou d’un ecclésiastique capable dé les remplacer ; et dans ce but Sa Majesté a permis aux curés qui n’ont point de vicaires de donner leur suffrage par procuration. Le roi appelle au droit d’être élus pour députés de la noblesse tous les membres de cet ordre indistinctement, propriétaires ou non propriétaires : c’est par leurs qualités personnelles, c’est par les vertus dont ils sont comptables envers leurs ancêtres, qu’ils ont servi l’Etat dans tous les temps et qu’ils le serviront encore ; et le plus estimable d’entre eux sera toujours celui qui méritera le mieux de le représenter. * Le roi, en réglant l’ordre des convocations et la forme des assemblées, a voulu suivre les anciens usages autant qu’il était possible. Sa Majesté, guidée par ce principe, a conservé, à tous les bailliages qui avaient député directement aux États généraux en 1614, un privilège consacré par le temps, pourvu du moins qu’ils n’eussent pas perdu les caractères auxquels cette distinction avait été accordée ; et Sa Majesté, afin d’établir une règle uniforme, a étendu la même prérogative au petit nombre de bailliages qui ont acquis des titres pareils depuis l’époque des derniers États généraux. Il est résulté de cette disposition que de petits bailliages auront un nombre de députés supérieur à celui qui leur aurait appartenu dans une' division exactement proportionnée à leur population; mais Sa Majesté a diminué l’inconvénient de cette inégalité, en assurant aux autres bailliages une députation relative à leur population et à leur importance ; et ces nouvelles combinaisons n’auront d’autre conséquence que d’augmenter un peu le nombre général des députés. Cependant le respect pour les anciens usages et la nécessité de les concilier avec les circonstances présentes, sans blesser les principes de la justice, ont rendu l’ensemble de l’organisation des prochains États généraux, et toutes les dispositions préalables, très-difficiles et souvent imparfaites. Cet inconvénient n’eût pas existé si l’on eût suivi une marche entièrement libre, et tracée seulement par la raison et par l’équité ; mais Sa Majesté a cru mieux répondre aux vœux de ses peuples, en réservant à l’assemblée des Étals généraux le soin de remédier aux inégalités qu’on n’a pu éviter, et de préparer pour l’avenir un système plus parfait. Sa Majesté a pris toutes les précautions que son espi'it de sagesse lui a inspirées, afin de prévenir les difficultés, et de fixer toutes les incertitudes ; elle attend, des différents officiers chargés de l’exécution de ses volontés, qu’ils veilleront assidûment au maintien si désirable de l’ordre et de l’harmonie -, elle attend surtout que la voix de la conscience sera seule écoutée dans le choix des députés aux États généraux. Sa Majesté exhorte les électeurs à se rappeler que les hommes d’un esprit sage méritent la préférence, et que par un heureux accord delà morale et de la politique, il est rare que dans les affaires publiques et nationales les plus honnêtes gens ne soient aussi les plus habiles. Sa Majesté est persuadée que la confiance due à une assemblée représentative de la nation entière empêchera qu’on ne donne aux députés aucune instruction propre à arrêter ou à troubler le cours des délibérations. Elle espère que tous ses [tre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] sujets auront sans cesse devant les yeux, et comme présent à leurs sentiments, le bien inappréciable que les États généraux peuvent opérer, et qu’une si haute considération les détournera de se livrer prématurément à un esprit de défiance qui rend si facilement injuste, et qui empêcherait de faire servir à la gloire et à la prospérité de l’État la plus grande de toutes les forces, l’union des intérêts et des volontés. Enfin, Sa Majesté, selon l’usage-observé par les rpis, ses prédécesseurs, s'est déterminée à rassembler autour de sa demeure les États généraux du royaume, non pour gêner en aucune manière la liberté des délibérations, mais pour leur conserver le caractère le plus cher à son cœur, celui de conseil et d’ami. ' En conséquence, Sa Majesté a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. Les lettres de convocation seront envoyées aux gouverneurs des différentes provinces du royaume, pour les faire parvenir, dans l’étendue de leurs gouvernements, aux baillis et sénéchaux d’épée, à qui elles seront adressées, ou à leurs lieutenants. II. Dans la vue de faciliter et de simplifier les opérations qui seront ordonnées par le présent règlement, il sera distingué deux classes de bailliages et de sénéchaussées. Dans la première classe seront compris tous les bailliages et sénéchaussées auxquels Sa Majesté a jugé que ses lettres de convocation devaient être adressées, conformément à ce qui s’est pratiqué en 1614. Dans la seconde classe seront compris ceux des bailliages et sénéchaussées qui, n’ayant pas député directement en 1614, ont été jugés par Sa Majesté devoir encore ne députer que secondairement et conjointement avec les bailliages ou sénéchaussées de la première classe ; et dans l’une et l’autre classe l’on entendra par bailliages ou sénéchaussées tous les sièges auxquels la connais-sace des cas royaux est attribuée. III. Les bailliages ou sénéchaussées de la première classe seront désignés sous le titre de bailliages principaux ou de sénéchaussées principales. Ceux de la seconde classe le seront sous celui de bailliages ou sénéchaussées secondaires. IV. Les bailliages principaux ou sénéchaussées principales, formant la première classe, auront un arrondissement dans lequel les bailliages ou sénéchaussées secondaires, composant la seconde classe, seront compris et répartis, soit à raison de leur proximité des principaux bailliages ou des sénéchaussées principales, soit à raison de leur démembrement de l’ancien ressort desdits bailliages ou sénéchaussées. V. Les bailliages ou sénéchaussées de la seconde classe seront désignés à la suite des bailliages et des sénéchaussées de la première classe, dont ils lre Série, T. Ier. 345 formeront l’arrondissement , dans l’état mentionné ci-après, et qui sera annexé au présent règlement. VI. En conséquence des distinctions établies par les articles précédents, les lettres de convocation seront adressées aux baillis et sénéchaux des bailliages principaux et des sénéchaussées principales ; et lesdits baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, en enverront des copies collationnées, ainsi que du présent règlement, aux bailliages et sénéchaussées secondaires. VII. Aussitôt après la réception des lettres de convocation, les baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, les feront, sur la réquisition du procureur du roi, publier à l’audience, et enregistrer au greffe de leur siège ; et ils feront remplir les formes accoutumées pour leur donner la plus grande publicité. VIII. Les officiers du siège pourront assister à la publication, qui se fera à l’audience, des lettres de convocation, mais ils ne prendront aucuue part à tous les actes, jugements et ordonnances que le bailli ou le sénéchal ou son lieutenant, ou en leur absence le premier officier du siège, sera dans le cas de faire et de rendre pour l’exécution desdites lettres. Le procureur du roi aura seul le droit d’assister le bailli ou sénéchal, ou son lieutenant ; et il sera tenu, ou l’avocat du roi en son absence , de faire toutes les réquisitions ou diligences nécessaires pour procurer ladite exécution. IX. Lesdits baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, feront assigner, à la requête du procureur du roi, les évêques et les abbés, tous les chapitres, corps et communautés ecclésiasti ques rentés, réguliers et séculiers, des deux sexes, et généralement tous les ecclésiastiques possédant bénéfice ou commanderie, et tous les nobles possédant fief, dans toute l’étendue du ressort ordinaire de leur bailliage ou sénéchaussée principale, à l’effet de comparaître à l’assemblée générale du bailliage ou sénéchaussée principale, au jour qui sera indiqué par l’assignation, lequel jour ne pourra être plus tard que le 16 mars prochain. X. En conséquence, il sera tenu dans chaque chapitre séculier d’hommes une assemblée qui se séparera en deux parties, l’une desquelles, composée de chanoines, nommera un député à raison de dix chanoines présents, et au-dessous ; deux au-dessus de dix jusqu’à vingt, et ainsi de suite; et l’autre partie, composée de tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, attachés par quelque fonction au service du chapitre, nommera un député à raison de vingt desdits ecclésiastiques présents, et au-dessous ; deux au-dessus de vingt jusqu’à quarante, et ainsi de suite. XI. Tous les autres corps et communautés rentés, réguliers, des deux sexes, ainsi que les cha-3o [ire Série, T. I«j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 546 pitres et communautés de filles, ne pourront être représentés que par un seul député ou procureur fondé, pris dans l’ordre ecclésiastique séculier ou régulier. Les séminaires, collèges et hôpitaux étant des établissements publics, à la conservation desquels tous les ordres ont un égal intérêt, ne seront point admis à se faire représenter. XII. Tous les autres ecclésiastiques possédant bénéfice, et tous les nobles possédant fief, seront tenus de se rendre en personne à l’assemblée, ou de se faire représenter par un procureur fondé pris dans leur ordre. Dans le cas où quelques-uns desdits ecclésiastiques ou nobles n’auraient point été assignés, ou n’auraient point reçu l’assignation qui doit leur être donnée au principal manoir de leur bénéfice ou fief, ils pourront néamoins se rendre en personne à l’assemblée, ou se faire représenter par des procureurs fondés, qui justifieront de leurs titres. XIII. Les assignations qui seront données aux pairs de France le seront au chef-lieu de leurs pairies, sans que la comparution desdits pairs à la suite des assignations puisse en aucun cas, ni d’aucune manière, porter préjudice aux droits et privilèges de leurs pairies. XIV. Les curés des paroisses, bourgs et communautés des campagnes, éloignés de plus de deux lieues de la ville où se tiendra l’assemblée du bailliage ou sénéchaussée à laquelle ils auront été assignés, ne pourront y comparaître que par des procureurs pris dans l’ordre ecclésiastique, à moins qu’ils n’aient dans leurs cures un vicaire ou desservant résidant en état de remplir leurs fonctions, lequel vicaire ou desservant ne pourra quitter la paroisse pendant l’absence du curé. XV. Dans chaque ville tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres et non possédant bénéfice seront tenus de se réunir chez le curé de la paroisse sur laquelle ils se trouveront habitués ou domiciliés ; et là, de choisir des députés à raison d’un sur vingt ecclésiastiques présents, et au-dessous ; deux au-dessus de vingt jusqu’à quarante, et ainsi de suite, non compris le curé, à qui le droit de venir à l’assemblée générale appartient à raison de son bénéfice. XVI. Tous les autres ecclésiastiques engagés dans les ordres, non résidants dans les villes, et tous les nobles non possédant fief, ayant la noblesse acquise et transmissible, âgés de vingt-cinq ans , nés Français où naturalisés dans le ressort du bailliage, seront tenus, en vertu des publications et affiches des lettres de convocation, de se rendre en personne à l’assemblée des trois états du bailliage ou sénéchaussée, sans pouvoir se faire représenter par procureur. XVII. Ceux des ecclésiastiques ou des nobles, qui posséderont des bénéfices ou des fiefs� situés dans plusieurs bailliages ou sénéchaussées, pourront se faire représenter, à l’assemblée de ces trois états de chacun de ces bailliages ou sénéchaussées, par un procureur fondé pris dans leur ordre; mais ils ne pourront avoir qu’un suffrage dans la même assemblée générale de bailliage ou sénéchaussée, quel que soit le nombre des bénéfices ou fiefs qu’ils y possèdent. XVIII. Les ecclésiastiques engagés dans les ordres, possédant des fiefs non dépendants de bénéfices, se rangeront dans l’ordre ecclésiastique, s’ils comparaissent en personne ; mais s’ils donnent une procuration ils seront tenus de la donner à un noble, qui se rangera dans l’ordre de la noblesse. XIX. Les baillis et commandeurs de l’ordre de Malte seront compris dans l’ordre ecclésiastique. Les novices sans bénéfice seront compris dans l’ordre de la noblesse ; et les servants qui n’ont point fait de vœux, dans l’ordre du tiers état. XX. Les femmes possédant divisement, les filles et les veuves, ainsi que les mineurs jouissant de la noblesse, pourvu que lesdites femmes, filles, veuves et mineurs possèdent des fiefs, pourront se faire représenter par des procureurs pris dans l’ordre de la noblesse. - XXI. Tous les députés et procureurs fondés seront tenus d’apporter tous les mémoires et instructions qui leur auront été remis par leurs commettants, et de les présenter lors de la rédaction des cahiers, pour y avoir tel égard que de raison. Lesdits députés et procureurs fondés ne pourront avoir, lors de ladite rédaction, et dans toute autre délibération, que leur suffrage personnel ; mais, pour l’élection des députés aux États généraux, les fondés de procuration des ecclésiastiques possédant bénéfices, et des nobles possédant fiefs, pourront, indépendamment de leur suffrage personnel, avoir deux voix, et ne pourront en avoir davantage , quel que soit le nombre de leurs commettants. XXII. Les baillis et sénéchaux principaux, ou leurs lieutenants, feront, à la réquisition du procureur du roi, notifier les lettres de convocation, ainsique le présent règlement, par un huissier royal, aux officiers municipaux des villes, maires, consuls, syndics, préposés, ou autres officiers des paroisses et communautés de campagne, situées dans l’étendue de leur juridiction pour les cas royaux, avec sommation de faire publier lesdites lettres et ledit règlement au prône des messes paroissiales ; et, à l’issue desdites messes, à la porte de l’église, dans une assemblée convoquée en la forme accoutumée. XXIII. Les copies des lettres de convocation du présent règlement, ainsi que la sentence du bailli o u sénéchal , seront imprimées et notifiées sur papier nontimbré.Tous les procès-verbaux et autres actes [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 547 relatifs aux assemblées et aux élections, qu’ils soient ou non dans le cas d’être signifiés, seront pareillement rédigés sur papier libre -, le prix de chaque exploit sera fixé à douze sous. XXIV. Huitaine au plus tard après la notification et publication des lettres de convocation, tous les habitants composant le tiers-état des villes, ainsi que ceux clés bourgs, paroisses et communautés de campagne, ayant un rôle séparé d’impositions, seront tenus de s’assembler dans la forme ci-après prescrite, à l’effet de rédiger lo cahier de leurs plaintes et doléances, et de nommer des députés pour porter ledit cahier aux lieu et jour qui leur auront été indiqués par l’acte de notification et sommation qu’ils auront reçu. XXV. Les paroisses et communautés, les bourgs ainsi que les villes non comprises dans l’état annexé au présent règlement, s’assembleront dans le lieu ordinaire des assemblées, et devant le juge du lieu, ou en son absence devant tout autre officier public ; à laquelle assemblée auront droit d’assister tous les habitants composant le tiers-état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions, pour concourir à la rédaction des cahiers et à la nomination des députés. XXVI. Dans les villes dénommées en l’état annexé au présent règlement, les habitants s’assembleront d’abord par corporation, à l’effet de quoi les officiers municipaux seront tenus de faire avertir, sans ministère d’huissier, les syndics ou autres officiers principaux de chacune desdites corporations, pour qu’ils aient à convoquer une assemblée générale de tous les membres de leur corporation. Les corporations d’arts et métiers choisiront un député à raison de cent individus et au-dessous, présents à l’assemblée; deux au-dessus de cent; trois au-dessus de deux cents, et ainsi de suite. Les corporations d’arts libéraux, celles des négociants, armateurs et généralement tous les autres citoyens réunis par l’exercice-des mêmes fonctions, et formant des assemblées ou des corps autorisés, nommeront deux députés à raison de cent individus et au-dessous; quatre au-dessus de cent; six au-dessus de deux cents, et ainsi de suite. En cas de difficultés sur l’exécution du présent article, les officiers municipaux en décideront provisoirement, et leur décision sera exécutée, nonobstant opposition ou appel. XXVII. Les habitants composant le tiers-état desdites villes, qui ne se trouveront compris dans aucun corps, communauté ou corporation, s’assembleront à l’hôtel de ville au jour qui sera indiqué par les officiers municipaux, et il y sera élu des députés dans la proportion de deux députés pour cent individus et au-dessous, présents à ladite assemblée; quatre au-dessus de cent; six au-dessus de deux cents, et toujours en augmentant ainsi dans la même proportion. XXVIII. Les députés choisis dans les différentes assemblées particulières formeront à l’hôtel de ville, et sous la présidence des officiers municipaux, l’assemblée du tiers-état de la ville, dans laquelle assemblée ils rédigeront le cahier des plaintes et doléances de ladite ville, et nommeront des députés pour le porter aux lieu et jour qui leur auront été indiqués. XXIX. Nulle autre ville que celle de Paris n’enverra de députés particuliers aux États généraux t les grandes villes devant en être dédommagées, soit par le plus grand nombre de députés accordé à leur bailliage ou sénéchaussée, à raison de la population desdites villes, soit par l’influence qu’elles seront dans le cas d’avoir sur le choix de ces députés. XXX. Ceux des officiers municipaux qui ne seront pas du tiers-état n’auront dans l’assemblée qu’ils présideront aucune voix, soit pour la rédaction des cahiers, soit pour l’élection des députés; ils pourront néanmoins être élus, et il en sera usé de même à l’égard des juges des lieux ou autres officiers publics qui présideront les assemblées des paroisses ou communautés dans lesquelles ils ne seront pas domiciliés. XXXI. Le nombre des députés qui seront choisis par les paroisses et communautés de campagne, pour porter leurs cahiers, sera de deux, à raison de deux cents feux et au-dessous; de trois au-dessus de deux cents feux; de quatre au-dessus de trois cents feux, et ainsi de suite. Les villes enverront le nombre de députés fixé par l’état général annexé au présent règlement; et, à l’égard de toutes celles qui ne s’y trouvent pas comprises, le nombre de leurs députés sera fixé à quatre. XXXII. Les actes que le procureur du roi fera notifier aux officiers municipaux des villes et aux syndics, fabriciens ou autres officiers de bourgs, paroisses et communautés des campagnes, contiendront sommation de se conformer aux dispositions du règlement et de l’ordonnance du bailli ou sénéchal, soit pour la forme de leurs assemblées, soit pour le nombre de députés quelesdites villes et communautés auront à envoyer, suivant l’état annexé au présent règlement, ou d’après ce qui est porté par l’article précédent.- XXXIII. Dans les bailliages principaux ou sénéchaussées principales, auxquels doivent être envoyés des députés du tiers-état des bailliages ou sénéchaussées secondaires, les baillis ou sénéchaux, ou leurs lieutenants en leur absence, seront tenus de convoquer, avant le jour indiqué pour l’assemblée générale, une assemblée préliminaire des députés du tiers-état des villes, bourgs, paroisses et communautés de leur ressort, à l’effet, 548 iir0 Série> T-Ierd par lesdits députés, d’y réduire leurs cahiers en un seul, et de nommer le quart d’entre eux pour porter ledit cahier à l’assemblée générale des trois états du bailliage ou sénéchaussée, et pour concourir avec les députés des autres bailliages secondaires, tant à la réduction en un seul de tous les cahiers desdits bailliages ou sénéchaussées, qu’à l’élection du nombre des députés aux États généraux fixé par la lettre du roi. La réduction au quart ci-dessus ordonnée dans lesdits bailliages principaux et secondaires ne s’opérera pas d’après le nombre des députés présents, mais d’après le nombre de ceux qui auraient dû se rendre à ladite assemblée, afin que l’influence que chaque'bailiiage doit avoir sur la rédaction des cahiers et l’élection des députés aux États généraux, à raison de sa population et du nombre des communautés qui en dépendent, ne soit pas diminuée par l’absence de ceux des députés qui ne se seraient pas rendus à l’assemblée. XXXIV. La réduction au quart des députés des villes et communautés pour l’élection des députés aux États généraux, ordonnée par Sa Majesté dans le§ bailliages principaux, auxquels doivent se réunir les députés d’autres bailliages secondaires, ayant été déterminée par la réunion de deux motifs, l’un, de prévenir les assemblées trop nombreuses dans ces bailliages principaux ; l’autre, de diminuer les peines et les frais de voyages plus longs et plus multipliés d’un grand nombre de députés, et ce dernier motif n’existant pas dans les bailliages principaux qui n’ont pas de bailliages secondaires, Sa Majesté a ordonné que, dans lesdits bailliages principaux n’ayant point de bailliages secondaires, l’élection des députés du tiers-état aux États généraux sera faite immédiatement, après la réunion des cahiers de toutes les villes et communautés en un seul, par tous les députés desdites villes et communautés qui s’y sont rendus, à moins que le nombre desdits députés n’excédât celui de deux cents ; auquel cas seulement lesdits députés seront teous de se réduire audit nombre de deux cents pour l’élection des députés aux États généraux. XXXV. Les baillis et sénéchaux principaux auxquels Sa Majesté aura adressé ses lettres de convocation, ou leurs lieutenants, en feront remettre des copies collationnées, ainsi que du règlement y annexé, aux lieutenants des bailliages et sénéchaussées secondaires, compris dans l’arrondissement fixé par l’état annexé au présent règlement, pour être procédé par les lieutenants desdits bailliages et sénéchaussées secondaires, tant à l’enregistrement et à la publication desdites lettres de convocation et dudit règlement, qu’à la convocation des membres du clergé, de la noblesse par-devant le bailli ou sénéchal principal, ou son lieutenant, et du tiers-état par-devant eux. XXXVI. Les lieutenants des bailliages et séné-[Introduction. chaussées secondaires , auxquels les lettres de convocation auront été adressées par les baillis ou sénéchaux principaux, seront tenus de rendre une ordonnance conforme aux dispositions du présent règlement, en y rappelant le jour fixé, par l’ordonnance des baillis ou sénéchaux principaux, pour la tenue de l’assemblée des trois états. XXXVII. En conséquence, lesdits lieutenants des bailliages ou sénéchaussées secondaires feront assigner les évêques, abbés, chapitres, corps et communautés ecclésiastiques rentés, réguliers et séculiers, des deux sexes, les prieurs, les curés, les commandeurs, et généralement tous les bénéficiers et tous les nobles possédant fiefs dans l’étendue desdits bailliages ou sénéchaussées secondaires, à l’effet de se rendre à l’assemblée générale dès trois états du bailliage ou de la sénéchaussée principale, aux jour et lieu fixés par les baillis ou sénéchaux principaux. XXXVIII. Lesdits lieutenants des bailliages ou sénéchaussées secondaires feront également notifier les lettres de convocation, le règlement et leur ordonnance aux villes, bourgs, paroisses et communautés situés dans l’étendue de leur juridiction. Les assemblées de ces villes et communautés s’y tiendront dans l’ordre et la forme portés au présent règlement, et il se tiendra devant les lieutenants desdits bailliages ou sénéchaussées secondaires, et au jour par eux fixé, quinzaine au moins avant le jour déterminé pour l’assemblée générale des trois états du bailliage ou sénéchaussée principale, une assemblée préliminaire de tous les députés des villes et communautés de leur ressort, à l’effet de réduire tous leurs cahiers en un seul, et de nommer le quart d’entre eux pour porter ledit cahier à l’assemblée des trois états du bailliage ou sénéchaussée principale, conformément aux lettres de convocation. XXXIX. L’assemblée des trois états du bailliage ou de la sénéchaussée principale sera composée des membres du clergé et de ceux de la noblesse qui s’y seront rendus, soit en conséquence des assignations qui leur auront été particulièrement données, soit en vertu de la connaissance générale, acquise par les publications et affiches des lettres de convocation; et des différents députés du tiers-état qui auront été choisis pour assister à ladite assemblée. Dans les séances, l’ordre du clergé aura la droite, l’ordre de la noblesse occupera la gauche, et celui du tiers-état sera placé en face. Entend, Sa Majesté, que la place que chacun prendra en particulier dans son ordre ne puisse tirer à conséquence dans aucun cas, ne doutant pas que tous ceux qui composeront ces assemblées n’aient les égards et les déférences que l’usage a consacrés pour les rangs, les dignités et l’âge. XL. L’assemblée des trois ordres réunis sera ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lre Série, T. Ier.] ARCH1\ES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] présidée par le bailli ou sénéchal, ou son lieutenant ; il y sera donné acte aux comparants de leur comparution, et il sera donné défaut contre les non comparants; après quoi il sera passé à la réception du serment que feront les membres de l’assemblée, de procéder fidèlement à la rédaction du cahier général et à la nomination des députés. Les ecclésiastiques et les nobles se retireront en--suite dans le lieu qui leur sera indiqué pour tenir leur assemblée particulière. XLI. L’assemblée du clergé sera présidée par celui auquel l’ordre de la hiérarchie défère la présidence; celle de la noblesse sera présidée par le bailli ou sénéchal, et en son absence, par le président qu’elle aura élu; auquel cas l’assemblée qui se tiendra pour cette élection sera présidée par le plus avancé en âge. L’assemblée du tiers-état sera présidée par le lieutenant du bailliage ou de la sénéchaussée, et à son défaut par celui qui doit le remplacer. Le clergé et la noblesse nommeront leurs secrétaires ; le greffier du bailliage sera secrétaire du tiers. XLII. S’il s’élève quelques difficultés sur la justification des titres et qualités de quelques-uns de ceux qui se présenteront pour être admis dans l’ordre du clergé ou dans, celui de la noblesse, les difficultés seront décidées provisoirement par le bailli ou sénéchal, et en son absence par son lieutenant, assisté de quatre ecclésiastiques pour le clergé, et de quatre gentilshommes pour la noblesse, sans que la décision qui interviendra puisse servir ou préjudicier dans aucun autre cas. XLIII. Chaque ordre rédigera ses cahiers, et nommera ses députés séparément, à moins qu’il ne préfère d’y procéder en commun, auquel cas le consentement des trois ordres, pris séparément, sera nécessaire. XLIV.Pour procéder à la rédaction des cahiers, il sera nommé des commissaires qui y vaqueront sans interruption et sans délai ; et, aussitôt que leur travail sera fini, les cahiers de chaque ordre seront définitivement arrêtés dans l’assemblée de l’ordre. XLV. Les cahiers seront dressés et rédigés avec le plus de précision et de clarté qu’il sera possible; et les pouvoirs dont les députés seront munis devront être généraux et suffisants pour proposer, remontrer, aviser et consentir, ainsi qu’il est porté aux lettres de convocation. XLV1. Les élections des députés, qui seront successivement choisis pour former les assemblées graduelles ordonrtées par le présent règlement, seront faites à haute voix ; les députés aux États généraux seront seuls élus par la voie du scrutin. XLVII. Tour parvenir à cette dernière élection, il sera d’abord fait choix au scrutin de trois membres de l’assemblée, qui seront chargés d’ou-549 vrir les billets, d’en vérifier le nombre, de compter les voix, et de déclarer le choix de l’assemblée. • Les billets de ce premier scrutin seront déposés, par tous les députés successivement, dans un vase placé sur une table au-devant du secrétaire de l’assemblée, et la vérification en sera faite par ledit secrétaire, assisté des trois plus anciens d’âge. Les trois membres de l’assemblée qui auront eu le plus de voix seront les trois scrutateurs. Les scrutateurs prendront place devant le bureau, au milieu de la salle de l’assemblée, et ils déposeront d’abord dans le vase à ce préparé leurs billets d’élection ; après quoi tous les électeurs viendront pareillement, l’un après l’autre, déposer ostensiblement leurs billets dans ledit vase. Les électeurs ayant repris leurs places, les scrutateurs procéderont d’abord au compte en recensement des billets; et si le nombre s’en trouvait supérieur à celui des suffrages existants dans l’assemblée, en comptant ceux qui résultent des procurations, Userait, sur la déclaration des scrutateurs, procédé à l’instant à un nouveau scrutin et les billets du premier scrutin seraient incontinent brûlés. Si le premier billet portait plusieurs noms, il serait rejeté sans recommencer le scrutin; il en serait usé de même dans le cas où il se trouverait un ou plusisurs billets qui fussent en blanc. Le nombre des billets étant ainsi constaté, ils seront ouverts, et les voix seront vérifiées par lesdits scrutateurs, à voix basse. La pluralité sera censée acquise par une seule voix au-dessus de la moitié des suffrages de l’assemblée. Tous ceux qui auront obtenu cette pluralité seront déclarés élus. A défaut de ladite pluralité, on ira une seconde fois au scrutin, dans la forme qui vient d’être prescrite ; et, si le choix de l’assemblée n’est pas encore déterminé par la pluralité, les scrutateurs déclareront les deux sujets qui auront réuni le plus de voix, et ce seront ceux-là seuls qui pourront concourir à l'élection qui sera déterminée par le troisième tour de scrutin, en sorte qu’il ne sera dans aucun cas nécessaire de recourir plus de trois fois au scrutin. En cas d’égalité parfaite de suffrages entre les concurrents dans le troisième tour de scrutin, le plus ancien d’âge sera élu. Tous les billets, ainsi que les notes des scrutateurs, seront soigneusement brûlés après chaque tour de scrutin. H sera procédé au scrutin autant de fois quhl y aura de députés à nommer. XL VIII. Dans le cas où la même personne aurait été nommée député aux États généraux par plus d’un bailliage dans l’ordre du clergé, de la [ire Série, T. Ie1'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 550 noblesse ou du tiers-état, elle sera obligée d’opter. S’il arrive que le choix du bailliage tombe sur une personne absente, il sera sur-le-champ procédé, dans la même forme, à l’élection d’un suppléant pour remplacer ledit député absent, si, à raison de l’option ou de quelque autre empêchement, il ne pouvait point accepter la députation. XL1X. Toutes les élections graduelles des députés, y compris celles des députés aux États généraux, ainsi que la remise qui leur sera faite, tant des cahiers particuliers que du cahier général, seront constatées par des procès-verbaux qui contiendront leurs pouvoirs. L. Mande et ordonne, Sa Majesté, à tous les joaillis et sénéchaux, et à l’officier principal de chacun des bailliages et sénéchaussées compris dans l’état annexé au présent règlement, de procéder à toutes les opérations et à tous les actes prescrits pour parvenir à la nomiuation des députés, tant aux assemblées particulières qu’aux États généraux, selon l’ordre desdits bailliages et sénéchaussées, tel qu’il se trouve fixé par ledit état, sans que desdits actes et opérations, ni en général d’aucune des dispositions faites par Sa Majesté, à l’occasion de la convocation des États gé-nénaux, ni d’aucune des expressions employées dans le présent règlement, ou dans les sentences et ordonnances des baillis et sénéchaux principaux, qui auront fait passer les lettres de convocation aux officiers des bailliages ou sénéchaussées secondaires, il puisse être induit ni résulter en aucun autre cas aucun changement ou novation dans l’ordre accoutumé, de supériorité, infériorité ou égalité desdits bailliages, LI. Sa Majesté, voulant prévenir tout ce qui pourrait arrêter ou retarder le cours des opérations prescrites pour la convocation des États généraux, ordonne que toutes les sentences, ordonnances et décisions qui interviendront sur les citations, les assemblées, les élections, et généralement sur toutes les opérations qui y sont relatives, seront exécutées par provision, nonobstant toutes appellations et oppositions en forme judiciaire, que Sa Majesté a interdites, sauf aux parties intéressées à se pourvoir par-devers elle par voie de représentation et par simples mémoires. Fait et arrêté par le roi, étant en son conseil, tenu à Versailles le vingt-quatre janvier mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé LOUIS. Et plus 6a*, Laurent de Villedeuil. Arrêté du Parlement , du 5 décembre 1788, les pairs y séant , sur la situation actuelle de la nation. La cour, justement alarmée des nuages qui sélèvent dans les esprits, et des troubles qui menacent l’État ; Instruite des manœuvres pratiquées dans le royaume par des personnes malintentionnées, pour enlever à la nation le fruit des efforts de la magistrature, en substituant le feu de la sédition et les horreurs de l’anarchie aux succès si désirables d’une généreuse et sage liberté ; Considérant qu’il eût été facile d’étouffer les semences de ces divisions, en proposant au roi de fonder pour jamais la liberté, la paix et là fortune publique, sur l’harmonie de tous les ordres, par des principes si clairs et des moyens si sûrs, qu’il fût devenu impossible d’en abuser comme d’en douter ; Considérant enfin, ladite cour, que son devoir l’oblige de réparer cette omission et d’obvier à ces manœuvres, en expliquant ses véritables intentions, dénaturées malgré leur évidence : Déclare qu’en distinguant dans les États de 1614 la convocation, la composition et le nombre ; A l’égard du premier objet, la cour a dû réclamer la forme pratiquée à cette époque, c’est-à-dire la convocation par bailliages et sénéchaussées, non par gouvernements ou généralités ; cette forme, consacrée de siècle en siècle par les exemples les plus nombreux et par le dernier État, étant surtout le seul moyen d’obtenir la réunion complète des électeurs, par les formes légales, devant des officiers indépendants par leur état. A l’égard de la composition, la cour n’a pu ni dû porter la moindre atteinte au droit des électeurs, droit naturel, constitutionnel et respecté jusqu’à présent, de donner leurs pouvoirs aux citoyens qu’ils en jugent les plus dignes. A l’égard du nombre, , celui des députés respectifs n’étant déterminé par aucune loi, ni par aucun usage constant pour aucun ordre, il n’a été ni dans le pouvoir ni dans l’intention de la cour d’y suppléer; ladite cour ne pouvant sur cet objet que s’en rapporter à la sagesse du roi sur les mesures nécessaires à prendre pour parvenir aux modifications que la raison, la liberté, la justice et le vœu général peuvent indiquer. Ladite cour a de plus arrêté que ledit seigneur roi serait supplié très-humblement de ne plus permettre aucun délai pour la tenue, des États généraux, et de considérer qu’il ne subsisterait aucun prétexte d’agitation dans les esprits, ni d’inquiétude parmi les ordres, s’il lui plaisait, en convoquant les États généraux, de déclareret consacrer: Le retour périodique des États généraux ; Leur droit d’hypothéquer aux créanciers de l’État des impôts déterminés ; Leur obligation envers les peuples de n’accorder aucun autre subside qui ne soit défini pour la somme et pour le temps ; Leur droit de fixer et d’assigner librement, sur les demandes dudit seigneur roi, les fonds de chaque département ; flre Série, T. I».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 551 La résolution dudit seigneur roi de concerter d’abord la suppression de tous impôts définitifs des ordres avec le seul qui les supporte ; ensuite leur remplacement avec les trois ordres par des subsides communs, également répartis ; La responsabilité des ministres ; Le droit des États généraux d’accuser et traduire devant les cours, dans tous les cas intéressant directement la nation entière, sans préjudice des droits du procureur général dans les mêmes cas ; Les rapports des États généraux avec les cours souveraines, en telle sorte que les cours ne doivent ni ne puissent souffrir la levée d’aucun subside qui ne soit accordé, ni concourir à l’exécution d’aucune loi qui ne soit demandée ou consentie par les États généraux -, La liberté'individuelle des citoyens, par l’obligation de remettre immédiatement tout homme arrêté dans une prison royale entre les mains de ses juges naturels, Et la liberté légitime de la presse, seule ressource prompte et certaine des gens de bien contre la licence des méchants, sauf à répondre des écrits répréhensibles après l’impression, suivant l’exigence des cas. Au moyen de ces préliminaires, qui sont dès à présent dans la main du roi, et sans lesquels on ne peut concevoir une assemblée vraiment nationale, il semble à la cour que le roi donnerait à la magistrature la plus douce récompense de son zèle, en procurant à la nation, par le moyen d’une solide liberté, tout le bonheur dont elle est digne. Arrêté en conséquence que les motifs, les principes et les vœux du présent arrêté seront mis sous les yeux du seigneur roi, par la voie de très-humbles et très-respectueuses supplications. Règlement particulier fait par le roi , du 16 mars 1789, pour la convocation aux États généraux dans sa province de Bretagne Le roi, par des instructions à ses commissaires, et par toutes les dispositions que sa sagesse lui a inspirées, n’a rien négligé pour calmer l’agitation qui s’est manifestée dès l’ouverture des Étals de Bretagne ; mais, au moment où: Sa Majesté espérait que les contestations survenues entre les ordres prendraient une marche régulière, des événements malheureux et des actes répréhensibles, que Sa Majesté voudrait pouvoir effacer de sa mémoire, sont venus déranger ses vues et contrarier son attente. Le roi, au milieu des justes alarmes que ces événements ont fait naître, n’a pu rassembler les États le 3 février, ainsi qu’il se l’était proposé, et tous les ordres de la province ont paru rendre hommage à la prudence de cette mesure. Les deux premiers ordres, avant de se retirer, ont consenti aux contributions connues sous le nom de demandes du roi, et le troisième a séparément adhéré à cette délibération, mais en renouvelant instamment le vœu qu’il avait formé pour obtenir un changement dans la composition des états de la province, pour demander une répartition plus égale des impôts, et pour être admis à jouir, avec le reste du royaume, des sages dispositions de Sa Majesté, relatives à la convocation des États généraux. Cette dernière réclamation, dont la décision est instante, a dû fixer l’attention du roi d’une manière plus particulière ; Sa Majesté a pensé qu’elle ne pouvait priver ses sujets de Bretagne du juste droit qu’ils ont tous, ensemble ou séparément, d’être représentés à la prochaine assemblée des États généraux. Ils sont Français, et se sont montrés tels avec honneur dans tous les dangers de l’État ; ils participent à tous les intérêts de la monarchie ; ils sont associés à sa prospérité, et jouissent de tous les avantages qui résultent de sa puissance : aussi le plus grand nombre des habitants de la Bretagne regarderaient-ils comme un véritable malheur d’être négligés, dans un moment où tous les sujets du roi nomment les députés qui viendront autour de Sa Majesté travailler avec elle au bonheur public, à la gloire et à la prospérité de l’État. Sa Majesté est bien éloignée de vouloir rejeter un pareil sentiment ; elle désire de l’entretenir \ elle voudrait l’accroître, afin de réunir de plus en plus à un même intérêt tous les habitants de son royaume, surtout dans une circonstance éclatante, où il doit se former comme un nouveau nœud d’amour et de confiance entre le souverain et ses peuples. Sa Majesté a donc considéré attentivement ce qu’elle devait et ce qu’elle pouvait faire dans la circonstance extraordinaire et critique où se trouve la Bretagne. Les divisions, les ressentiments qui subsistent dans cette province, les mêmes qui ont obligé Sa Majesté à séparer les États, ne permettent pas de les rassembler ; et, quand cette réunion serait praticable, une grande partie des habitants de la Bretagne aurait à se plaindre, si, dans un moment où Sa Majesté appelle tous ses sujets à concourir à l’élection des députés aux États généraux, elle resserrait en Bretagne ce droit, pour le clergé, aux seuls évêques, abbés commendataires et députés de chapitres, qui composent, au nombre de trente, l’ordre entier de l’église, et, pour le tiers-état, aux députés des municipalités de quarante-deux villes. Le roi eût pu néanmoins, dans sa sagesse et selon son premier dessein, détourner son attention de ces inégalités, si lesHrois ordres des citoyens de Bretagne y avaient donné leur consentement tacite, en n’élevant aucune réclamation - contre une forme de représentation établie sur de pareilles bases ; mais les habitants des villes, 552 [ire Série, T. !«»•.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] les communes de Bretagne en général, et le clergé du second ordre, invoquent en cette circonstance les principes d’équité manifestés dans le règlement de Sa Majesté du 24 janvier. Le roi, avant de donner aucune décision dans une affaire grande et difficile, l’a examinée avec toute l’attention qu’on peut attendre de sa justice et de sa prudence. Sa Majesté a vu d’abord avec peine que, dans la situation des choses en Bretagne, et au sein de la malheureuse division qui y règne, il était impossible que Sa Majesté prît uii parti exempt d’inconvénients, et qui pût s’accorder avecles diverses opinions. SaMajesté espère que le temps et l’intervention des États généraux ramèneront le calme dans une province dont le bonheur et la prospérité l’intéressent si essentiellement; et, ne pouvant plus différer de fixer la forme de convocation de ses sujets de Bretagne aux États généraux, le rois’est déterminé, dans son conseil, aux dispositions qui lui ont paru se concilier davantage avec sa justice. En conséquence, Sa Majesté a cru devoir convoquer d’abord par paroisses et par sénéchaussées, non seulement les habitants des villes, mais encore ceux des campagnes, afin qu’ils eussent à procéder à l’élection des députés du tiers-état aux États généraux, de la même manière qu’on le pratique dans le reste du royaume. Le roi, désirant de se rapprocher des usages constitutifs de la Bretagne dans tout ce qui ne contrarie pas ses principes d’équité générale, et voulant encore en sa grande bonté ménager au haut clergé de cette province le moyen de renoncer sans incertitude à l’adhésion qu’il a donnée à la déclaration de la noblesse du 8 janvier, Sa Majesté a cru devoir rassembler ces deux ordres à la même époque et dans le même lieu, afin que leur vœu, relativement à la députation aux États généraux, puisse être le résultat des mêmes motifs; et cependant le roi ne voulant pas que ces dispositions privent le second ordre du clergé du droit de concourir aux élections des députés aux États généraux, Sa Majesté le fera participer aux nominations dans une proportion convenable. Enfin Sa Majesté s’est déterminée à convoquer et à réunir dans son ensemble toute la noblesse de Bretagne, afin qu’éclairée par la réflexion elle puisse renoncer, selon son drpit, à l’engagement qu’elle s’est imposé à elle-même relativement aux États généraux, engagement qu’elle n’aurait jamais dû prendre, et qu’un sentiment d’honneur patriotique, le plus fort et le plus respectable de tous, la déterminera sans doute à changer, Sa Majesté veut qu’ensuile l’ordre de la noblesse fasse le choix de ses députés aux États généraux dans les formes dont elle a l’habitude. Le roi ayant éprouvé tant de fois le dévouement, le zèle et la fidélité de sa noblesse de Bretagne, attend d’elle en cette occasion une juste I déférence aux dispositions que le moment présent a rendues nécessaires. Sa Majesté veut bien inviter tous les gentilshommes de Bretagne, à considérer qu’il est des circonstances où l’on ne doit pas regretter de faire quelque sacritice de ses opinions, et même de ses droits, à l’amour de la paix et au bien général de l’État : Sa Majesté leur donne un grand exemple, en plaçant elle-même son premier intérêt dans le bonheur public. Cependant le roi réserve aux États et à tous les ordres de la Bretagne la faculté de faire valoir aux États généraux leurs litres et leurs prétentions , et Sa Majesté prévoit, avec une pure satis-, faction, que bientôt, éclairée par les-lumières de cette assemblée, elle ne craindra plus de se méprendre dans la recherche de la justice. Il serait naturel, il serait digne des sentiments que Sa Majesté a droit d’attendre de tous ses sujets, que les différents ordres de l’Étal concourussent à ses intentions bienfaisantes, et que chacun, aperce-cevant la difficulté des circonstances, on s’empressât d’aplanir les voies qui doivent conduire à une conciliation. Et comme rien n’est plus favorable à ces vues que les égards et les ménagements de tous les ordres de l’État les uns envers les autres, comme il faut se préparer ainsi à cette grande assemblée de famille que le roi va réunir autour de lui, Sa Majesté exhorte particulièrement ses sujets de Bretagne à faire des efforts pour revenir à un pareil esprit; mais Sa Majesté déclare en même temps qu’elle regardera comme ennemis de l’État et coupables envers elle et envers la nation tous ceux qui se permettraient aucune démarche, aucun écrit, aucune confédéra-ration surtout, propre à renouveler en Bretagne des troubles et des dissensions; et 5a Majesté enjoindra aux commandants de ses troupes de se servir de l’autorité qu’elle leur a confiée pour seconder la surveillance des magistrats, et pour réprimer toute désobéissance à son exprès commandement. En conséquence SaMajesté a ordonné ce qui suit : (Le dispositif de ce règlément est composé de vingt-cinq articles, dont voici le précis :) Des 25 sénéchaussées qui composent la Bretagne, 6 seulement députeront aux États généraux, savoir: Rennes, Hennebon, Brest, Lesneven, Dinan et Ploërmel : les 19 autres se formeront en sept assemblées d’arrondissement, et elles nommeront toutes ensemble 44 députés du tiers-état, et 22 des deux autres ordres. En exécution des lettres de convocation, les bailliages furent immédiatement assemblés pour la nomination des corps électoraux, dont la première opération fut de rédiger ‘les instructions qu’ils devaient donner aux députés d’après les vœux émis à cet égard dans les différentes assemblées primaires. Pour donner une idée de ces sortes de cahiers et de l’esprit qui a dirigé leur [lre Série, T. 1er.] rédaction, nous allons rapporter celui des communes de Paris. Extrait du cahier du tiers-état de la ville de Paris. L’assemblée générale des électeurs du tiers-état de la ville de Paris, avant de procéder au choix de ses représentants, et de les revêtir de ses pouvoirs, doit exprimer ses regrets sur une convocation trop tardive, qui l’a tant forcée de précipiter ses opérations. Comme Français, les électeurs s’occuperont d’abord des droits et des intérêts de la nation ; comme citoyens de Paris, ils présenteront ensuite leurs demandes particulières. L’instruction qu’ils vont confier au patriotisme et au zèle de leurs représentants se divise naturellement en six parties. La première portera sur la constitution. La seconde sur les finances. La troisième sur l’agriculture, le commerce et la juridiction consulaire. La quatrième sur la religion, le clergé, l’éducation, les hôpitaux et les mœurs. La cinquième sur la législation. La sixième sur les objets particuliers à la ville de Paris. Observations préliminaires. Nous prescrivons à nos représentants de se refuser invinciblement à tout ce qui pourrait offenser la dignité de citoyens libres qui viennent exercer les droits souverains de la nation. L’opinion publique paraît avoir reconnu la nécessité de la délibération par tête, pour corriger les inconvénients de la distinction des ordres, pour faire prédominer l’esprit public, pour rendre plus facile l’adoption des bonnes lois. Les représentants de la ville de Paris se souviendront de la fermeté qu’ils doivent apporter sur ce point; ils la regarderont comme un droit rigoureux, comme l’objet d’un mandat spécial. Il leur est enjoint expressément de ne consentir à aucun subside, à aucun emprunt, que la déclaration des droits de la nation ne soit passée en loi, et que les bases premières de la constitution ne soient convenues et assurées. Ce premier devoir rempli, ils procéderont à la vérification delà dette publique et à sa consolidation. Iis demanderont que tout objet d’un intérêt majeur soit mis deux fois en délibération, à des intervalles proportionnés à l’importance des questions, et ne puisse être décidé que par la pluralité absolue des voi�, c’est-à-dire par plus de la moitié des suffrages. Déclaration des droits. Dans toute société politique tous les hommes sont égaux en droits. 553 Tout pouvoir émane de la nation, et ne peut être exercé que pour son bonheur. La volonté générale fait la loi; la force publique en assure l’exécution. La nation peut seule concéder le subside; elle a le droit d’en déterminer la quotité, d’en limiter la durée, d’en faire la répartition, d’en assigner l’emploi, d’en demander le compte, d’en exiger la publication. Les lois n’existent que pour garantir à chaque citoyen la propriété de ses biens et la sûreté de sa personne. Toute propriété est inviolable. Nul citoyen ne peut être arrêté ni puni que par un jugement légal. Nul citoyen, même militaire, ne peut être destitué sans un jugement. Tout citoyen a le droit d’être admis à tous les emplois, professions et dignités. La liberté naturelle, civile, religieuse de chaque homme, sa sûreté personnelle, son indépendance absolue de toute autre autorité que celle de la loi, excluent toute recherche sur ses opinions, ses discours, ses écrits, ses actions, en tant qu’ils ne troublent pas l’ordre public et ne blessent pas les droits d’autrui. En conséquence de la déclaration des droits de la nation, nos représentants demanderont expressément l’abolition de la servitude personnelle, sans aucune indemnité; de la servitude réelle en indemnisant les propriétaires ; de la milice forcée ; de toutes commissions extraordinaires ; de la violation de la foi publique dans les lettres confiées à la poste; et de tous privilèges exclusifs, si ce n’est pour les inventeurs, à qui ils ne serontaccor-dés que pour un temps déterminé. Par une suite de ces principes, la liberté dé la presse doit être accordée, sous la condition que les auteurs signeront leurs manuscrits, que l’imprimeur en répondra, et que l’un et l’autre seront responsables des suites de la publication. La déclaration de ces droits naturels, civils et politiques, telle qu’elle sera arrêtée dans les États généraux, deviendra la charte nationale et la base du gouvernement français. Constitution. Dans la monarchie française la puissance législative appartient à la nation, conjointement avec le roi ; au roi seul appartient la puissance exécutrice. Nul impôt ne peut être établi que par la nation. Les États généraux seront périodiques de trois ans en trois ans, sans préjudice des tenues extraordinaires. Ils ne se sépareront jamais sans avoir indiqué le jour, le lieu de leur prochaine tenue, et l’époque de leurs assemblées élémentaires qui doivent procéder à de nouvelles élections. ARCHIVES PARLEMENTAIRES ‘[Introduction.] [1» Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. j Au jour fixé, ces assemblées se formeront sans autre convocation. Toute personne qui sera convaincue d’avoir fait quelque acte tendant à empêcher la tenue des États généraux sera déclarée traître à la patrie, coupable du crime de lèse -nation, et punie comme telle par le tribunal qu'établiront les États généraux actuels. L’ordre et la forme de la convocation et de la représentation nationale seront fixés par une loi. En attendant l’union si désirable des citoyens de toutes les classes en une représentation et délibération communes et générales, les citoyens du tiers-état auront au moins la moitié des représentants. Il ne sera nommé, dans l’intervalle des États généraux, aucune commission revêtue de pouvoirs quelconques, mais seulement des bureaux de recherche et d’instruction, sans autorité, même provisoire, pour se procurer des renseignements utiles, et préparer le travail des États généraux subséquents. Nos représentants appuieront la demande de la colonie de Saint-Domingue, d’être admise aux États généraux : ils demanderont que les députés des autres colonies soient également admis, comme étant composées de nos frères, et comme devant participera tous les avantages de la constitution française. Dans l’intervalle des tenues d’États généraux, il ne pourra être fait que des règlements provisoires pour l’exécution de ce qui aura été arrêté dans les précédents États généraux, et ces règlements ne pourront être érigés en lois que dans les États généraux subséquents. La personne du monarque est sacrée et inviolable. La succession au trône est héréditaire dans la race régnante, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, â l’exclusion des femmes ou de leurs descendants, tant mâles que femelles, et ne peut échoir qu’à un prince né Français en légitime mariage, et régnicole. A chaque renouvellement de règne, les députés aux derniers États généraux se rassembleront de droit, et sans autre convocation. La régence, dans tous les cas, ne pourra être conférée que par eux. Les États généraux actuels décideront à qui appartiendra par provision, et jusqu’à la tenue des États généraux, l’exercice de la régence, dans tous les cas où il pourra y avoir lieu de la conférer. A chaque renouvellement de règne, le roi prêtera à la nation, et la nation au roi, un serment, dont la formule sera fixée par les États généraux actuels. Aucun citoyen ne pourra être arrêté, ni son domicile violé, en vertu de lettres de cachet, ou de tout ordre émané du pouvoir exécutif, à peine, contre toutes personnes qui les auraient sollicités, contre-signés, exécutés, d’être poursuivies extraordinairement, et punies de peine corporelle, sans préjudice des dommages et intérêts, pour lesquels elles seront solidaires envers les parties. Les mêmes peines auront lieu contre quicon-: que aura sollicité, accordé ou exécuté des arrêts du propre mouvement. Les ministres, ordonnateurs, administrateurs en chef de tous les départements, seront responsables, envers la nation assemblée en États généraux, de toute malversation, abus de pouvoir et mauvais emploi de fonds. Tout le royaume sera divisé en assemblées pro ; vinciales, formées de membres de la province, librement élus dans toutes les classes, et d’après la proportion qui sera réglée. L’administration publique, en tout ce qui concerne la répartition, la perception des impôts, l’agriculture, le commerce, les manufactures, les communications, les divers genres d’améliorations, l’instruction, les mœurs, sera confiée aux assemblées provinciales. Les villes, les bourgs et villages auront des municipalités électives, auxquelles appartiendra pareillement l’administration de leurs intérêts locaux. Les assemblées provinciales et les municipalités ne pourront ni accorder des subsides, ni faire des emprunts. Tous les membres qui les composeront seront pareillement responsables de toute délibération qu’ils auraient prise à cet égard. Le pouvoir judiciaire doit être exercé en France, au nom du roi, par des tribunaux composés de membres absolument indépendants de tout acte du pouvoir exécutif. Tout changement dans l’ordre et l’organisation des tribunaux ne peut appartenir qu’à la puissance législative. Les nobles pourront, sans dérogeance, faire le commerce, et embrasser toutes les professions utiles. Il n’y aura plus aucun anoblissement, soit par charge, soit autrement. Il sera établi par les États généraux une récompense honorable et civique, purement personnelle, et non héréditaire, laquelle, sur leur présentation, sera déférée sans distinction, par le roi, aux citoyens de toutes les classes qui l’auront méritée par l’éminence de leurs vertus patriotiques, et par l’importance de leurs services. Les lois formées dans les États* généraux seront sans délai inscrites sur les registres des cours supérieures, et de tous les autres tribunaux du royaume, comme aussi sur les registres des assemblées provinciales et municipales, et elles lire Série, T. !•«•.]■ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. llnlroduction.] seront publiées et exécutées dans tout le royaume. La constitution qui sera faite dans les États généraux actuels, d’après les principes que nous venons d’exposer, sera la propriété de la nation, et ne pourra être changée ou moditiée que par le pouvoir constitutif, c’est-à-dire par la nation elle-même, ou par ses représentants, qui seront nommés ad hoc par l’universalité des citoyens, uniquement pour travailler au complément et au perfectionnement de cette constitution. La charte de la constitution sera gravée sur un monument public, élevé à cet effet. La lecture çn sera faite en présence du roi à son avènement au trône, sera suivie de son serment, et la copie insérée dans le procès-verbal de la prestation de ce serment. Tous les dépositaires du pouvoir exécutif, soit civil, soit militaire, les magistrats des tribunaux supérieurs et inférieurs, les officiers de toutes les municipalités du royaume, avant d’entrer dans l’exercice des fonctions qui leur seront confiées, jureront l’observation de la charte nationale. Chaque année, et au jour anniversaire de sa sanction, elle sera lue et publiée dans les églises, dans les tribunaux, dans les écoles, à la tête de chaque corps militaire et sur les vaisseaux ; et ce jour sera un jour de fête solennelle dans tous les pays de la domination française. Finances. Art. Ier. Tous les impôts qui sa perçoivent actuellement seront déclarés nuis et illégaux ; et cependant, par le même acte, ils seront provisoirement rétablis, pour ne durer que jusqu’au jour qui aura été fixé par les États généraux pour leur cessation, et pour le commencement de la perception des subsides qu’ils auront librement établis. IL La dette du roi sera vérifiée *, et, après l’examen, consolidée et déclarée dette nationale ; et, pour faciliter son acquit, et en diminuer le poids, il sera arrêté que lanation rentrera dans les domaines engagés, vendus ou inféodés depuis 1566. A l’égard des échanges, les États généraux ordonneront la révision de ceux qui ne sont pas revêtus de toutes les formalités légales, pour prendre ensuite le parti qu’ils jugeront le plus avantageux à la nation sur ces échanges... III. Les habitants de la capitale déclarent renoncer expressément à leurs privilèges, soit sur les droits d’entrée des productions de leurs terres, soit sur les terrains de leurs habitations et jardins d’agrément, et de leur exploitation. IV. Toute imposition distinctive quelconque, soit réelle ou personnelle, telle que taille, franc-fief, capitation, milice, corvée, logement des gens de guerre et autre, sera supprimée et remplacée, suivant le besoin, en impôts généraux, supports tés également par les citoyens de toutes les classes. V. Les traites ne seront perçues qu’à l'entrée du royaume, où les barrières seront reculées. VI Les États généraux s’occuperont essentiellement de la suppression des impôts désastreux des aides et gabelles, et des moyens de les remplacer. Ils s’occuperont de la suppression de la ferme du tabac, et du remplacement en un autre impôt. VII. Les États généraux, dans le remplacement net des impôts , s’occuperont principalement d’impositions directes, qui porteront sur tous les citoyens, sur toutes les provinces, et dont la perception sera la plus simple et la moins dispendieuse. A gricult'ure. Art. Ier. Les États généraux Bont spécialement et instamment invités par l’assemblée à prendre, le plus tôt qu’il sera possible, en considération la cherté actuelle des grains, à en rechercher attentivement la cause et les auteurs, et à s’occuper des moyens d’y remédier efficacement, et pour toujours. II. Les États généraux prendront en considération les moyens d’assurer la propriété des communaux, et d’en améliorer le produit. III. Les États généraux prendront en considérations le dessèchement des marais. IV. Les États généraux prendront en considération les moyens d’opérer la destruction des pigeons, qui sont le fléau de l’agriculture. V. Tout propriétaire aura le droit d’enclore son héritage, d’y cultiver tous les végétaux qu’il jugera à propos, et d’y fouiller toutes les mines et carrières qui s’v trouveront. VI. Les capitaineries s’étendent sur quatre cents lieues carrées, et peut-être plus : elles sont un fléau continuel de l’agriculture. La liberté, la propriété y sont dégradées et anéanties : les bêtes y sont préférées aux hommes, et la force y contrarie sans cesse les bienfaits de la nature. Les députés seront spécialement chargés de demander la totale abolition des capitaineries ; elles sont, dans leur établissement, tellement en opposition à tout principe de morale, qu’elles no peuvent être tolérées, sous prétexte d’adoucissement dans leur régime. VII. Il est de droit naturel que tout propriétaire puisse détruire sur son héritage le gibier et les animaux qui peuvent être nuisibles. A l’égard du droit de chasse, et des moyens qu’on peut employer, soit pour la suppression, soit pour la .conservation de ce droit, en supprimant les abus d’une manière facile, l’assemblée s’en rapporte à la sagesse des États généraux, etc. (Suivent divers projets de règlement.) 556 [ire série, T. !•*■.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Commerce. Art. Ier. Les différents traités de commerce faits entre la France et les puissances étrangères seront examinés par les États généraux, pour en connaître et balancer les résultats relativement à la France ; et il ne pourra en être conclu aucun à l’avenir, sans que le projet en ait été communiqué à toutes les chambres de commerce du royaume, et aux États généraux. II. Il sera établi dans les principales villes une chambre de commerce, composée de vingt négociants, marchands, fabricants, artistes mécaniciens , artisans des plus recommandables , au secrétariat de laquelle seront déposés toutes les lois, règlements, statuts et tarifs de France et de l’étranger, concernant le commerce, ou qui pourront l’intéresser. III. On affranchira les marchandises nationales, exportées à l’étranger, de tout droit de sortie, et on assujettira les marchandises, provenantes des fabriques étrangères, à un droit d’entrée dans le royaume, relatif à leur nature et à leur valeur. IV. On défendra la sortie hors le royaume des matières premières, propres à nos manufactures, et on exemptera de droits les matières premières, propres à nos manufactures, venant de l’étranger. V. On demandera qu’il soit accordé des primes aux marchandises de nos fabriques qui seront exportées chez l’étranger. VI. La disette de bois exige que l’exploitation des mines de tourbe et de charbon de terre soit encouragée. VII. On proposera aux États généraux de déterminer s’il convient, pour le plus grand avantage du commerce, de se conformer rigoureusement aux règlements faits pour les manufactures, ou d’en modifier les dispositions, ou enfin d’accorder aux fabricants une liberté indéfinie. VIII. Et dans le cas où cette liberté ne serait pas accordée, les inspecteurs et sous-inspecteurs des manufactures seront choisis par les chambres de commerce, à la pluralité des voix, et ils seront tenus d’y faire le rapport de leur visites, toutes les fois qu’ils en seront requis. IX. Tous les droits de péage, pontonage, et autres de cette nature, seront dès à présent supprimés provisoirement , sauf à -rembourser les propriétaires fondés en titres constitutifs. X. Les droits d’octrois des villes, tant qu’ils subsisteront, ne pourront être perçus sur les marchandises en passe-debout, et ne pourront l’être que sur les objets de consommation des villes. XI. L’impôt appelé droit de marque sur les cuirs, en détruisant en France les tanneries et le commerce des cuirs, nous force d'en tirer de l’étranger : il est nécessaire de supprimer cet impôt, ainsi que celui de la marque sur les fers. XII. Aucune refonte des monnaies, ni aucun changement dans les titres et dans la valeur, ne pourront être faits sans le consentement des États généraux. XIII. On établira dans tout le royaume l’uniformité des poids et mesures, etc. Juridiction consulaire et objets y relatifs. Art. Ier. L’ordonnance de 1673 sera entièrement refondue, et il sera fait un code général pour le commerce. (Suivent des projets de règlement à cet égard.) Religion, cierge’, hôpitaux, éducation et mœurs. Art. Ier. La religion, nécessaire à l’homme, t’instruit dans son enfance, réprime ses passions dans tous les âg,es de la vie, le soutient dans l’adversité, le console dans la vieillesse. Elle doit être considérée dans ses rapports avec le gouvernement qui l’a reçue, et avec la personne qui la professe. Ses ministres, comme membres de l’État, sont sujets aux lois ; comme possesseurs de biens, sont tenus de partager toutes les charges publiques; comme attachés spécialement au culte divin, doivent l’exemple et la leçon de toutes les vertus. II. La religion est reçue librement dans l’État, sans porter aucune atteinte à sa constitution. Elle s’établit par la persuasion, jamais par la contrainte. III. La religion chrétienne ordonne la tolérance civile. Tout citoyen doit jouir de la liberté particulière de sa conscience ; l’ordre public ne souffre qu’une religion dominante. IV. La religion catholique est la religion dominante en France; elle n’y a été reçue que suivant la pureté de ses maximes primitives : c’est le fondement des libertés de l’église gallicane. V. Que l’article II de l’ordonnance d’Orléans, qui défend tout transport de deniers à Rome, sous couleur d’annate , vacants ou autrement, soit exécuté selon sa forme et teneur. VI. La juridiction ecclésiastique ne s’étend en aucune manière sur le temporel; son exercice extérieur est réglé par les lois de l’État. VII. Que l’article V de l’ordonnance d’Orléans, sur la nécessité de la résidence des archevêques, évêques, abbés séculiers et réguliers, et curés, soit observé, et qu’ils n’en soient jamais dispensés, même pour service à la cour ou dans les conseils du roi, mais seulement pour l’assistance aux conciles. VIII. Que les chanoines soient pareillement tenus à résidence dans leurs églises, et sous les mêmes peines. IX. Que nul ecclésiastique pourvu de bénéfices, ou jouissant de pensions sur iceux, produisant trois mille livres de revenu, ne puisse tenir aucun autre bénéfice ou pension. [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 557 X. Les vœux de religion qui seront faits à l’avenir ne lieront point les religieux et religieuses au monastère, et ne feront perdre aucun des droits civils. Ne pourront, lesdits religieux et religieuses, disposer de leurs biens mobiliers ou immobiliers en faveur desdits monastères, etc. XI. Il sera établi dans chaque paroisse ayant plus de cent feux un maître et une maîtresse d’école pour donner des leçons gratuites à tous les enfants de l’un et de l’autre sexe ; et une sœur de charité pour soigner les malades. XII. Les fonds pour le payement desdits maîtres et maîtresses d’école, et sœurs de charité, appro-visionnemment de livres et papiers pour l’école. fournitures gratuites de médicaments pour les pauvres, seront pris par addition sur les fonds destinés aux répartitions des églises et presbytères. XIII. Toutes les maisons de jeu et les loteries seront supprimées comme contraires aux bonnes mœurs, et funestes àtoutes les classes de la société. XIV. Les États généraux prendront en considération les moyens d’opérer la réforme et la restauration des-mœurs. XV. 11 est expressément défendu, sous la loi de l’honneur, à tout député des États généraux d’accepter, soit pendant leur tenue, soit dans les trois années qui suivent, aucune grâce, gratification et pension pour eux ou pour leurs enfants. Législation. Art. Ier. L’objet des lois est d’assurer la liberté et la propriété. Leur perfection est d’être humaines et justes, claires et générales, d’être assorties aux mœurs et au caractère national, de protéger également les citoyens de toutes les classes et de tous les ordres, et de frapper, sans distinction de personnes, sur quiconque viole l’ordre public ou les droits des individus. II. Un assemblage informe de lois romaines et de coutumes barbares, de règlements et d’ordonnances sans rapport avec nos mœurs, comme sans unité de principes, conçus dans des temps d’ignorance et de trouble, pour des circonstances et un ordre de choses qui n’existent plus, ne peut former une législation digne d’une grande nation, éclairée de toutes les lumières que le génie, la raison et l’expérience ont répandues sur tous les objets. III. Il sera donc proposé aux États généraux d’établir un ou plusieurs comités, composés de magistrats, de jurisconsultes et de citoyens éclairés, choisis dans les différentes classes de la nation, lesquels s’occuperont de refondre toutes les lois anciennes et nouvelles, civiles et criminelles, et de former, autant qu’il sera possible, une loi universelle, qui embrasse toutes les matières, et gouverne toutes les propriétés et toutes les personnes soumises à la domination française. Les États généraux recommanderont surtout à ces comités de travailler d’abord à la réformation et à la simplification de la procédure civile et criminelle. IV. Et cependant, sans attendre la fin d’un travail qui sera nécessairement très-long, les Étatv généraux s’occuperont dès à présent 4�1â suppression des commissions du eoriseiî, de celle des départis, des chambres ardentes, et successivement de tous les tribunaux d’exception, dont les fonctions reviendront aux tribunaux ordinaires. V. II sera choisi par les habitants, dans les arrondissements de cinq ou six bourgs ou villages, un certain nombre de notables, honorés de la confiance publique , lesquels jugeront sur-le-champ sans frais et sans appel, les contestations journalières qui s’élèvent dans les campagnes, à l’occasion des rixes, des petits vols de fruits, des dommages faits aux arbres et aux récoltes, du glanage, des anticipations et entreprises des laboureurs sur les héritages voisins, et toutes les causes qui n’excéderont pas vingt-cinq livres. Les notables pourront juger sans appel toutes les autres contestations où les deux parties consentiront de s’en rapporter à leur arbitrage. Les rapports des instances et procès ne pourront se faire qu’en présence des parties et de leurs défenseurs. Les juges, même ceux des cours supérieures, seront tenus d’opiner à voix haute, soit dans les audiences, soit au rapport, et de motiver chacune des dispositions essentielles de leurs jugements. Les épices et vacations seront supprimées, sauf à pourvoir aux honoraires des juges; et l’arrêt du conseil, qui commande aux juges de se taxer des épices à peine d’amende, sera révoqué. En matière criminelle. 1° Aucun citoyen domicilié ne pourra être arrêté ni même obligé de comparaître devant aucun magistrat, sans un décret émané du juge compétent, excepté dans les cas où il aurait été pris en flagrant délit ou arrêté à la clameur publique par les gardes chargés de veiller à la sûreté et à la tranquillité publique; et, dans ce cas, le citoyen arrêté sera mené sur-le-champ, et dans les vingt-quatre heures au plus tard, devant le tribunal compétent, qui décernera un décret, s’il y a lieu, pour le constituer prisonnier, ou le renverra, s’il n’y a aucune preuve de délit. 2° Nul citoyen ne pourra être décrété de prise de corps que pour un délit qui emporte peine corporelle. 3° Tout accusé aura, même avant le premier interrogatoire, le droit de se choisir des conseils, 4° Le serment exigé des accusés, étant évidemment contraire au sentiment� naturel qui attache l’homme à sa propre conservation, n’est qu’une violence faite à la nature humaine, inutile pour [ire Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 558 découvrir la vérité et propre seulement à affaiblir l’horreur du parjure. La raison et l’intérêt des mœurs exigent donc que ce serment soit supprimé, 5° La publicité des procédures criminelles, ôta* blie autrefois en France, et en usage dans tous ..�stqmps, chez presque toutes les nations éclairée?, seKKrétablie, et l’on fera désormais l’instruction, portes 'ouvertes, et l’audience tenant, 6° En matière criminelle, le jugement du fait sera toujours séparé du jugement du droit. L’institution des jurés pour le jugement du fait paraissant la plus favorable à la sûreté personnelle et à la liberté publique, les États généraux chercheront par quels moyens on pourrait adapter cette institution à notre législation. 7° Tous les tribunaux, sans distinction, seront tenus d’énoncer dans les arrêts et sentences de condamnation, sous peine de nullité, la nature du délit et les chefs de l’accusation; d’indiquer les preuves sur lesquelles ils auront prononcé leur jugement, et de citer le texte de la loi qui prononce la peine. 8° La législation , en établissant des peines contre le coupable qui aura violé la loi, doit aussi établir une réparation pour l’innocence injustement accusée. Ainsi tout accusé déchargé des accusations intentées contre lui pourra réclamer la publication et l’affiche du jugement, et des indemnités proportionnées au dommage qu’il aura souffert dans son honneur, sa santé ou sa fortune. Cette indemnité sera prise sur les biens des dénonciateurs ou accusateurs, et subsidiairement sur des fonds publics assignés pour cet objet. 9° La confiscation n’aura plus lieu; les biens du condamné passeront aux héritiers, les frais et les dommages-intérêts pris sur iceux. 10° La modération des lois pénales caractérise la douceur des mœurs et la liberté des gouvernements. L’observation a prouvé que l’extrême sévérité des peines a des effets directement contraires au but même de la loi ; qu’elle tend à endurcir les âmes et à rendre les mœurs cruelles, en familiarisant l’imagination avec des spectacles atroces ; qu’elles diminue l’horreur du crime, et en favorise souvent l’impunité , en excitant la compassion en faveur du criminel. Il sera donc fait une loi pour supprimer toute torture préalable à l’exécution, et tout supplice qui ajoute à la perte de la vie des souffrances cruelles et prolongées. 1 1® La peine de mort sera réduite au plus petit nombre de cas possible, et réservée aux crimes les plus atroces. 12° Les coupables du même crime, de quelque classe qu’ils soient* subiront la même peine. 13° Les prisons,- dans l’intention de la loi, étant destinées, non à punir les prisonniers, mais à s’assurer de leur personne, on supprimera partout les cachots souterrains; on s’occupera des moyens de rendre l’intérieur des autres prisons plus salubre, et on veillera à l’exécution des règlements relatifs à la police et aux mœurs des prisonniers. Il sera établi des ateliers de travail dans les maisons de réclusion, ainsi que dans toutes les prisons où cet établissement ne nuira point à la sûreté, 14° Toute partie en matière civile aura de droit la liberté de plaider sa cause elle-même; en matière criminelle, chaque citoyen pourra se charger de plaider la cause de l’accusé. 15° L’usage de la sellette sera aboli. 16° Les États généraux prendront en considération le sort des esclaves noirs ou hommes de couleur, tant dans les colonies qu’en France. . Municipalités . La ville de Paris, à raison de son étendue et de sa population, de son commerce et de son industrie, des deux excès de luxe et de détresse dont elle est le mélange, de sa richesse et de ses besoins multipliés et renaissants, du soin pénible et assidu de pourvoir à sa subsistance, est, sans comparaison, celle des villes du royaume qui exige l’administration la plus active et la plus vigilante, la plus sagement organisée et la mieux concertée dans tous ses mouvements. En conséquence, le tiers-état demande pour la ville de Paris une ■ administration composée de membres librement élus par tous les citoyens, et renouvelés tous les trois ans ; formée à l’instar des assemblées provinciales, chargée des mêmes fonctions, et ayant les mêmes rapports avec les États généraux ; laquelle administration fera, suivant le régime qu’elle établira, les fonctions de corps municipal, et aura la gestion des propriétés de la ville, etc. Les administrations provinciales, etparticulière-ment l’administration de Paris, examineront avec attention s’il convient de maintenir, réformer ou supprimer les corporations et jurandes. 11 sera pareillement renvoyé à l’assemblée de Paris l’examen de la question s’il convient de maintenir, réformer ou supprimer les privilèges des maisons du roi et des princes, et ceux des corps et des nations. Que les Etats généraux s’assemblent désormais à Paris, dans un édifice public destiné à cet usage. Que sur le frontispice il soit écrit : Palais des Etats généraux; et que sur le sol de la Bastille détruite et rasée (1) on établisse une place publique, au milieu de laquelle s’élèvera une colonne d’une architecture noble et simple, avec cette (1) On observera que ces paroles furent écrites plusieurs mois avant l’ouverture dss Etats généraux. [1«> Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] inscription : A Louis XVf, restaurateur de la J liberté publique. Signé Target, président, librement élu ; Camus second président, élu librement ; Bailly, secrétaire, élu librement; Guillotin, second secrétaire, élu librement. (Suivent les signatures des commissaires.) Arrêté de la chambre du clergé de Paris. / L’ordre du clergé de l’assemblée de Paris, intra murost à délibéré et arrêté unanimement de concourir , proportionnellement à ses revenus , à l’acquittement des charges publiques, librement consenties par les trois ordres dans les États généraux ; la chambre ecclésiastique ne se permettant pas de douter que la nation ne reconnaisse comme dettes de l’État les dettes du clergé, parce qu’elles ont toutes été contractées pour son service. Le 26 avril 1789. Signé Antoine-Eléonore-Léon le Clerg de Juigné, archevêque de Paris ; Dumouchel, secrétaire. Arrêté des citoyens nobles de la ville de Paris. L’assemblée générale des électeurs représentant tous les citoyens nobles de la ville de Paris, voulant donner à ses concitoyens des deux autres ordres une preuve de son affection et des principes de justice et d’union dont elle est animée, se fait un devoir de leur déclarer qu’elle a arrêté de protester en corps contre la dispersion de la commune ; que pour suppléer, autant qu’il est en elle, à cette réunion absolue de vœux et de travaux devenue impossible, elle a autorisé ses commissaires à donner respectivement à chaque ordre tou tes les communications qui leur seraient demandées, et à en recevoir toutes celles qui leur seraient offertes ; qu’ enfin elle a arrêté de faire porter aux États généraux, par ses députés, son vœu unanime pour la suppression des impôts distinctifs, et leur conversion en subsides communs, répartis également, proportionnellement, et dans la même forme, entre les citoyens de tous-les ordres et de toutes les classes. Fait dans l’assemblée des citoyens nobles de la ville de Paris, tenue à l’archevêché, ce premier mai 1789. Signé Stanislas de ClerMqnt-Tgnnerre, président ; le comte de Lally-Tolendal, secrétaire. Règlement du 3 mai 1789, fait par le roiy concernant les suppléants. Le roi a été informé que dans les assemblées de plusieurs bailliages et sénéchaussées il a été nommé des suppléants autres que ceux dont la nomination était autorisée par l’article 48 du règlement général du 24 janvief dernier; Sa Majesté a remarqué en même temps que dans quelques assemblées ces nominations ont été faites, 559 tantôt par un seul ordre, tantôt par deux, quelquefois par chacun des trois ordres ; que dans d’autres assemblées un des ordres a nommé un seul suppléant pour les députés de son ordre ; qu’ailleurs on en a nommé autant qu’il y avait de députés, tandis que dans beaucoup d’assemblées les ordres se sont exactement conformés aux dispositions du règlement, et n’ont point nommé de suppléants. Sa Majesté a encore remarqué la même variété dans la mission qui a été donnée aux suppléants : quelques-uns ne doivent remplacer les députés de leur ordre que dans le cas de mort seulement; plusieurs peuvent le faire en cas d’absence, de maladie, ou mémo d’empêchement quelconque : les uns ont des pouvoirs unis avec les députés qu’ils doivent suppléer, les autres ont des pouvoirs séparés ; enfin plusieurs assemblées-ont supplié Sa Majesté de faire connaître ses intentions à cet égard. Sa Majesté, considérant que le peu d’uniformité que l’on a suivi dans ces différentes nominations établirait nécessairement une inégalité de représentation et d’influence entre les différents ordres et les différents bailliages, et que la mutation continuelle de députés dans chaque ordre, résultant de la faculté qu’auraient les suppléants d’être admis dans le cas de maladie, d’absence, ou même d’un simple empêchement d’un député, pourrait d’un instant à l’autre troubler l’harmonie des délibérations, en retarder la marche, et aurait l’inconvénient d’en faire varier sans cesse l’objet et les résultats, Sa Majesté a résolu de déterminer la seule circonstance dans laquelle les suppléants pourraient être admis à remplacer aux États généraux les députés de leur ordre, et elle a pensé qu’il était en même temps de sa justice de pourvoir, dans la même circonstance, au remplacement des députés qui n’ont point de suppléants; enfin que tous les bailliages et sénéchaugsées jouissent de l’avantage d’être également représentés ; en conséquence, le roi a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. I,r. Les suppléants qui n’auront été nommés dans aucun des trois ordres, pour remplacer les députés de leur ordre aux États généraux, en cas de mort, de maladie, d’absence, ou même d’empêchement quelconque, ne pourront être admis en qualité de députés que dans le cas où le député dont ils ont été nommés suppléants viendrait à décéder. IL En cas de mort d’un des députés auxquels il n’aurait pas été nommé de suppléants, il sera procédé sans délai, dans le bailliage dont le député décédé était l’un des représentants, h la nomination d’un nouveau député, suivant la forme prescrite par le règlement du 24 janvier dernier. à l’effet de quoi tous les électeurs de l’ordre auquel appartenait ledit député, et qui avaient concouru immédiatement à son élection, seront rap- [ire Série, T. Ier. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 560 pelés et convoqués pour élire celui qui devra le remplacer. Règlement particulier , fait par le roi, le 28 mars 1789, pour l’exécution de ses lettres de convocation aux États généraux dans sa bonne ville de Paris et dans la prévôté et vicomté de Paris. Le roi, voulant conserver aux citoyens de sa bonne ville de Paris le droit dont ils ont toujours joui de députer directement aux États généraux, s’est fait rendre compte des diflicultés éprouvées lors des précédentes convocations, et que des contestations entre le prévôt de Paris et les prévôt des marchands et échevins viennent de renouveler ; Sa Majestéa reconnu que les officiers municipaux et la juridiction du Châtelet avaientégalement prétendu au droit de réunir les bourgeois et habitants. Les titres invoqués par le corps de ville, s’il eût été question d’une assemblée de commune, auraient mérité d’être favorablement accueillis ; mais les principes adoptés par Sa Majesté, pour la convocation actuelle des États généraux, ne sont point applicables à une assemblée de ce genre : ces principes établissent une proportion fixe pour le nombre respectif des députés des différents ordres, et ne permettent pas qu’une assemblée, composée indistinctement des membres du clergé, de la noblesse et du tiers-état, puisse nommer des députés qui, dans leur qualité de représentants de la commune, ne seraient admissibles aux États généraux que dans l’ordre du tiers. Sa Majesté n’aurait donc pu attribuer au corps de ville le droit de députer aux États généraux, qu’autant que les trois ordres auraient eu la faculté de se séparer ; mais c’eût été détruire son caractère distinctif de commune, et supposer trois intérêts, lorsque sous un pareil rapport il n’en doit exister qu’un seul. Il serait résulté d’ailleurs de ces dispositions que les officiers municipaux auraient exercé un pouvoir et une autorité que la loi n’accorde qu’aux baillis et sénéchaux. Enfin Sa Majesté n’aurait pu, sans exciter de justes réclamations fixer à l’hôtel de ville la rédaction des cahiers du tiers-état et l'élection de ses députés aux États généraux, tandis que les mêmes opérations seraient faites à la prévôté pour l’ordre du clergé et pour celui de la noblesse, puisque de cette manière les trois ordres de la ville du royaume où il se trouve le plus de connaissances et de lumières auraient seuls été privés de l’avantage de pouvoir se réunir pour conférer ensemble, se communiquer leurs cahiers, s’éclairer réciproquement, et concerter tous les moyens capables de préparer les délibérations importantes qui seront soumises aux États généraux. Ainsi l’intérêt des habitants de tous les ordres, et celui du tiers-état en particulier, exigent que Sa Majesté donne au prévôt de Paris le droit de faire procéder en sa présence, tant à la rédaction des cahiers, qu’à l’élection des députés des trois états de la ville de Paris. Et, comme la capitale du royaume a fait dans tous les États généraux, à cause de son excellence et de sa prééminence, uu corps à part, Sa Majesté a voulu que l’assemblée générale de la ville et faubourgs fût séparée de l’assemblée générale de la prévôté et vicomté. Mais en modifiant, pour cette grande circonstance seulement, les droits dont ont joui les prévôt des marchands et échevins, Sa Majesté leur conservera la prérogative de recevoir d’elle directement des lettres de convocation, de convoquer tout le tiers-état, et de présider au choix des électeurs qui se rendront à la prévôté. Elle y ajoutera, en faveur d’une administration dirigée avec autant de zèle que de sagesse, la faculté de transmettre immédiatement aux États généraux tout ce qui peut intéresser plus particulièrement les propriétés, les privilèges et les droits de la cité. Elle ordonnera, en conséquence, que les députés de la ville de Paris élus à la prévôté se rendront, sur l’invitation des prévôt des marchands et échevins , à l’hôtel de ville , pour y concourir, avec le corps municipal, à la rédaction d’un cahier particulier qu’ils seront chargés de porter directement aux États généraux. Le roi ne doute pas que les officiers municipaux de sa bonne ville de Paris ne considèrent cette disposition particulière comme une marque de l’attention que Sa Majesté ne cessera jamais d’apporter à la conservation de leurs droits, et que, pleins de confiance dans sa bienfaisance et dans sa protection, ils ne se montrent animés des mêmes sentiments et du même zèle qu’ils ont constamment témoignés pour l’intérêt public , l’avantage de leurs concitoyens et le bien du service du roi, etc. Règlement fait par le roi, le 13 avril , en interprétation et exécution de celui du 28 mars dernier , concernant la convocation des trois états de la ville de Paris. Le prévôt de Paris et le lieutenant civil, ainsi que les prévôt des marchands et échevins, ayant présenté au roi, en exécution du règlement du 28 mars dernier, des projets de distribution de différentes assemblées préliminaires, tant pour l’ordre du clergé et pour celui de la noblesse que pour l’ordre du tiers, Sa Majesté a reconnu que, malgré les soins qui ont été donnés à la division exacte des différents quartiers de Paris, entre lesquels les premières assemblées de la noblesse et du tiers-état doivent être partagées, il était impossible d’acquérir avec certitude la connaissance du nombre de personnes qui composeront chacune de ces asserrfblées, et qu’ainsi en assignant le nombre fixe de représentants que chaque assemblée aurait à choisir, on s’exposerait à une [Ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] répartition très-inégale -, Sa Majesté a donc pensé qu’il était plus convenable de proportionner le nombre des représentants à celui des personnes qui seraient convoquées -, et que, s’il résultait de cette disposition une obligation de renoncer à une proportion égale pour le nombre respectif de représentants des trois ordres à l’assemblée de la prévôté, proportion qui n’a existé dans aucun bailliage, cet inconvénient serait compensé par l’accroissement du nombre de ceux qui concourraient à l’élection des députés aux États généraux; accroissement qui paraît également désiré dans les trois ordres. Le roi a vu avec satisfaction toutes les précautions prises par leprévôtdeParis et le lieutenant civil, et par les prévôt des marchands et échevins, pour rétablir l’ordre dans une opération aussi nouvelle et aussi étendue ; et Sa Majesté espère que les citoyens de sa bonne ville de Paris, apportant dans cette circonstance un esprit sage et de bonnes intentions, faciliteront et accéléreront la dernière des dispositions destinées à préparer l’ouverture des États généraux, et que leur conduite sera l’augure de cet esprit de conciliation qu’il est si intéressant de voir régner dans une assemblée dont les délibérations doivent assurer le bonheur de la nation, la prospérité de l’État et la gloire du roi. Art. 1er Tous les curés de Paris tiendront, dans le lieu qu’ils croiront le plus convenable , le mardi 21 avril, l’assemblée de tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans et domiciliés sur leurs paroisses, qui ne possèdent point de bénéfices dans l’enceinte des murs. Cette assemblée procédera à la nomination d’un secrétaire et au choix de ses représentants, à raison d’un sur vingt présents, deux au-dessus de vingt jusqu’à quarante, et ainsi de suite, non compris le curé, à qui le droit de se rendre à l’assemblée des trois états de la ville de Paris appartient à raison de son bénéfice. II. Les chapitres séculiers d’hommes tiendront, au plus tard le même jour 21 avril, l’assemblée ordonnée par l’article X du règlement du 24 janvier, et procéderont au choix de leurs représentants, dans le nombre déterminé audit article. III. L’assemblée générale de l’ordre de la noblesse se tiendra le lundi 20 avril; elle sera divisée en vingt parties, suivant les quartiers dont les limites ainsi que le lieu de l’assemblée seront déterminées par l’état qui sera annexé à l’ordonnance du prévôt de Paris ou lieutenant civil. IV. A chacune des assemblées assistera un magistrat du Châtelet, qui aura son suffrage, s’il a la noblesse acquise et transmissible. V. Tous les nobles possédant fiefs dans l’enceinte des murs seront assignés pour comparaître, ou en personne, ou par leurs fondés de pouvoirs, lr# Série, T. Ier. 561 à celle de ces assemblées partielles que présidera le prévôt de Paris, assisté du lieutenant civil et du procureur du roi. VI. S’il, s’élève quelque difficulté à raison de la qualité de noble , l’assemblée nommera quatre gentilshommes pour, avec le président qu’elle se sera choisi, assister le magistrat du Châtelet qui remplacera le lieutenant civil ; la décision qui interviendra sera exécutée par provision, sans pouvoir servir ni préjudicier dans aucun autre cas. Vil. Le nombre des présents déterminera celui des représentants à nommer, et quand le nombre aura été constaté on procédera au choix des représentants dans la proportion d’un sur dix, de deux au-dessus de dix jusqu’à vingt, et ainsi de suite. Il seront choisis parmi les membres de l’assemblée, ou parmi ceux qui, à raison de leur domicile actuel dans le quartier, auraient eu le droit de s’y trouver. VIII. L’assemblée du tiers-état de la ville de Paris se tiendra le mardi 21 avril; elle sera divisée en soixante arrondissements ou quartiers, etc. IX. Pour être admis dans l’assemblée de son quartier, il faudra pouvoir justifier d’un titre d’office, de grades dans une faculté, d’une commission ou emploi, de lettres de maîtrise, ou enfin de sa quittance ou avertissement de capitation, montant au moins à la somme de six livres en principal. X. Avant d’entrer dans ladite assemblée, chacun sera tenu de remettre à celui qui aura été préposé à cet effet un carré de papier sur lequel il aura écrit ou fait écrire lisiblement son nom, sa qualité, son état ou profession, et le nom de la rue où il a son domicile actuel ; il recevra en échange le billet qui lui servira pour l’élection dont il sera ci-après parlé. XI. Chaque assemblée sera tenue et présidée par un des officiers du corps municipal, ancien ou actuel, et délégué expressément à cet effet par le mandement des prévôt des marchands et échevins ; chaque officier sera accompagné d’un greffier ou secrétaire, qui fera les fonctions de secrétaire de rassemblée. XII. Chacun écrira, sur le billet qui lui aura été remis en entrant dans l’assemblée, autant de noms qu’il doit être choisi de reyésentants. Le greffier fera l’appel de tous les présents à haute voix ; celui qui aura été appelé se présentera au président, et lui remettra son billet; et quand tous les billets auront été recueillis, le président en fera faire lecture à haute voix ; tous les noms compris dans les billets seront écrits aussitôt qu’ils seront proclamés, et ceux qui auront réuni le plus de suffrages seront élus. XIII. Le procès-verbal de l’assemblée contiendra les noms, qualité, état et profession des représen-36 562 [ire Série, T. 1«] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] tants qui auront été choisis ; il sera signé par le président et le greffier, et remis dans le jour aux prévôt des marchands et échevins. XIV. Tous les représentants du tiers-état de la ville de Paris se rendront à l’assemblée du corps municipal, qui sera convoquée pour le mercredi 22 avril ; les procès-verbaux faits dans les soixante divisions serviront à en faire l’appel ; il y sera formé une liste de tous lesdits représentants, laquelle sera arrêtée et signée dans la forme usitée à l’hôtel de ville, et l’expédition en sera remise aux représentants qui la déposeront dans le jour au greffe du Châtelet pour servir à l’appel desdits représentants à l’assemblée des trois états. ' XV. Quoique l’assemblée des trois états de la ville de Paris, composée d’un grand nombre de représentants qui auront obtenu la confiance de leur ordre, donne l’assurance que les cahiers seront rédigés avec le soin qu’on doit attendre de la réunion des talents, des lumières et du zèle, il sera libre néanmoins, à tous ceux qui voudraient présenter des observations ou instructions , de les déposer au Châtelet ou à l’hôtel de ville, dans le lieu préparé pour les recevoir, et elles seront remises aux commissaires chargés de la rédaction des cahiers. XVI. Entend, Sa Majesté, que la place que chacun prendra en particulier dans les assemblées ne puisse tirer à conséquence dans aucun cas ; ne doutant pas que ceux qui les composeront n’aient les égards et les déférences que l’usage a consacrés pour les rangs, les dignités et l’âge. Arrêt du conseil d’Êtat du roi, du 20 avril, sur V importation des blés. Lès primes seront de 30 sous par quintal de froment, 40 sous par quintal de farine de froment , 24 sous par quintal de seigle , 32 par quintal de farine de seigle, 20 sous par quintal d’orge, et 27 par quintal de farine d’orge. Ces primes seront payées par les receveurs des droits des fermes dans les ports du royaume, ou dans les bureaux établis sur les frontières, par lesquels les grains et farines seront introduits, sur les déclarations fournies par ceux qui en feront l’introduction, et qui seront tenus d’y joindre une copie légale du connaissement pour celles de ces denrées qui seront introduites par mer, et des lettres de voiture p�hr celles qui seront introduites par les frontières. Tous les navires indistinctement qui, pendant l’espace de temps énoncé ci-dessus, importeront des blés, seigles, orges et farines de chacune de ces espèces de grains, provenants des pays étrangers, seront exempts des payements des droits de fret, pour raison desdites importations. Autre , de même date, pour proroger jusqu'au 1er septembre 1789 les primes accordées à l'importation en France des blés et farines venant des États-Unis de l'Amérique. Autre , du 23 avril 1789, concernant les grains et l'approvisionnement des marchés. Sa Majesté, du moment où elle a pu concevoir des inquiétudes sur le produit de la récolte de cette année, n’a cessé de prendre toutes les précautions que sa prudence lui a suggérées ; elle a défendu, dès les commencements de septembre, la sortie des grains de la manière la plus absolue ; elle a ensuite accordé des primes pour encourager l’importation des secours étrangers ; et, dans la crainte que les efforts du commerce ne fussent pas suffisants, elle a ordonné qu’on fit au-dehors du royaume, et à ses périls et risques, des approvisionnements, qui sont arrivés et qui arrivent encore journellement dans les ports ; et les fonds qu’elle a destinés à ces opérations, le crédit dont elle a été obligée de faire usage, et les secours pécuniaires, qu’elle a répandus dans plusieurs provinces, s’élèvent à des sommes considérables. Le roi a, de plus, obtenu, par sa puissante intervention, des permissions de sortie de plusieurs pays où l’extraction des grains était défendue d’une manière générale. Sa Majesté, fixant en même temps son attention sur la police intérieure du royaume, et voulant décourager les spéculateurs toujours dangereux dans un temps de cherté, a défendu les achats de blés hors des marchés, et elle a pris soin que dans ces mêmes lieux les approvisionnements journaliers des consommateurs eussent rang avant toute autre transaction. Enfin Sa Majesté a invité avec la plus grande bonté, et au nom du bien de l’État, les propriétaires, les fermiers et tous les dépositaires, de grains, à garnir les marchés, et à ne pas abuser delà difficulté des circonstances. Il est de la justice du roi de reconnaître que ces recommandations ont eu dans plusieurs districts l’effet qu’on avait droit d’attendre. Cependant Sa Majesté s’est déterminée à aller plus loin encore ; et, pour rassurer les esprits contre les inquiétudes que la cherté des grains rend naturelles, elle a résolu d’autoriser ses commissaires, départis dans les provinces, et les magistrats de police, à user du pouvoir qui leur est confié pour faire approvisionner les marchés par ceux qui auraient des blés en grenier, et pour acquérir même des informations sur les approvisionnements auxquels on pourrait avoir recours dans les moments où la liberté du commerce ne suffirait pas pour assurer dans chaque lieu la subsistance du peuple. Sa Majesté, indépendamment de ces ordres, invite les propriétaires et les fermiers à user de modération dans leur prétention, et, comme dans un si vaste royaume la surveillance du gou- [Ire série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] vernement ne peut pas tout faire, Sa Majesté exhorte les chefs des municipalités et toutes les personnes généreuses et bien intentionnées à concourir de leur pouvoir au succès de ses soins paternels. Le roi ne se porte qu’à regret à prescrire des mesures qui peuveat gêner en quelque chose la parfaite liberté dont chaque propriétaire d’une denrée doit naturellement jouir; mais ces mesures, dictées par des circonstances particulières, cesseront à l’époque de la récolte prochaine : elle s’annonce partout favorablement ; et Sa Majesté se livre à l’espérance que la divine Providence daignera combler le premier de ses vœux , en faisant renaître au milieu de son royaume la tranquillité, l’abondance et le bon* heur. En conséquence, le roi étant en son conseil, ouï le rapport, a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. Ier. Veut, Sa Majesté, que tous les propriétaires, fermiers, marchands et autres dépositaires de grains, puissent être contraints par les juges et officiers de police à garnir suffisamment les marchés du ressort dans lequel ils sont domiciliés, toutes les fois que la liberté du commerce n’effectuerait pas cette disposition. II. Autorise, Sa Majesté, lesdits juges et officiers de police à prendre connaissance, s’ils le jugent indispensable, soit à l’amiable et par préférence, soit par voie judiciaire, mais sans frais, des quantités de grains qui peuvent exister dans les greniers ou autres dépôts situés dans l’arrondissement de leur ressort. III. Sa Majesté, qui veille du même amour sur tous ses sujets, ordonne expressément qu’à l’exception des précautions locales, ordonnées dans les articles ci-dessus, aucune espèce d’obstacle ne soit apportée à la libre circulation de district à district et de province à province. IV. Défend de nouveau, Sa Majesté, sous les peines portées par les ordonnances, tout attroupement, toute clameur, tendants à exciter le désordre dans les marchés ou dans leurs routes, et à inspirer des craintes aux propriétaires, fermiers et marchands, dont la parfaite sécurité est indispensable pour l’approvisionnement de ces mêmes marchés. § VII. Notice de quelques-uns des écrits politiques les plus influents qui ont précédé Vouverture des États généraux. Une révolution d’opinions et de choses aussi importan tes que celle que l’année 1789 vit éclore, ne pouvait être que le résultat d’une grande et rapide diffusion des lumières dont un petit nombre de philosophes avaient depuis quelque temps fait jaillir les étincelles. Les écrits de ceux-ci, trop abstraits pour la plupart, ou trop, volumi-563 neux pour être répandus dans la classe la plu8 nombreuse de la société, ne se trouvaient encore que dans les bibliothèques des hommes aisés ou instruits, et ne fructifiaient guère que dans les mains de ces derniers. Il fallait que ceux-ci développassent avec courage, en dépit de l’inquisition et des censures, ces germes de vérités ; que, s’emparant de la culture encore difficile de cette plante nouvelle, ils en étendissent les rameaux sous des formes sensibles aux yeux vulgairés ; qu’appelant au secours de leur enseignemen t l’intérêt des circonstances, ils ne dédaignassent pas de consigner, dans des productions éphémères et diversifiées, les vérités qu’un public frivole saisissait avec avidité dans une brochure piquante, tandis qu’elles seraient restées éternellement enfouies dans de gros volumes. Tels sont les services moins brillants qu’utiles que beaucoup de gens de lettres rendirent alors à la patrie. Ils traduisirent pour le peuple les principes des Rousseau, Mably, Raynal, Diderot, Condillao, etc. ; ils rappelèrent dans des dissertations courtes, mais d’une intelligence facile, les droits naturels des peuples, ceux dont avaient joui les anciens Francs, le pouvoir des premières assemblées nationales ; ils dévoilèrent par des allégories ingénieuses les abus du despotisme et de la féodalité. Une nuée de brochures inonda tout à coup la France ; et les discussions les plus importantes du droit public passèrent rapidement dans toutes les bouches, éclairèrent tous les esprits : la révolution fut dès-lors dans les opinions. Dans l’impossibité de citer même le titre de ces divers écrits, nous allons rappeler l’esprit de quelques-uns, qui pourra faire juger de l’esprit de tous. Nous allons commencer par le premier en date ; c’est le mémoire de M. Necker sur les assemblées provinciales, imprimé en 1778, et plusieurs fois réimprimé pendant les dix années suivantes ; en voici un extrait dont plusieurs passages pourront paraître hardis pour cette époque, surtout sortant de la plume d’un ministre : Extrait du mémoire deM. Necker, présenté au roi en 1778, sur rétablissement des administrations provinciales. Une multitude de plaintes se sont élevées de tous les temps contre la forme d’administration employée dans les provinces : elles se renouvellent plus que jamais, et l’on ne pourrait continuer à s’y montrer indifférent, sans avoir peut-être de justes reproches à se faire. A peine, en effet, peut-on donner le nom d’administration à cette volonté arbitraire d’un seul homme, qui, tantôt présent, tantôt absent, tantôt instruit, tantôt incapable, doit régir les parties les plus importantes de l’ordre public, et qui doit s’y trouver inhabile, après ne s’être occupé toute sa vie que de requêtes en cassation; qui souvent, ne mesurant pas même [îr* Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 564 la grandeur de la commission qui lui est confiée, ne considère sa place que comme un échelon à son ambition ; et si, comme il est raisonnable, on ne lui donne à gouverner, en débutant, qu’une généralité d’une médiocre étendue, il la voit comme un lieu de passage, et n’est point excité à préparer des établissements dont le succès ne lui sera point attribué, et dont l’éclat ne paraîtra pas lui appartenir. Enfin, présumant toujours, et peut-être avec raison, qu’on avance encore plus par l’effet de l’intrigue ou des affections que par le travail et l’étude, ces commissaires sont impatients de venir à Paris, et laissent à leurs secrétaires ou à leurs subdélégués le soin de les remplacer dans leur devoir public. Ces subdélégués n’ont jamais de relation avec leur ministre, même en l’absence de l’intendant, qui, dans quelque lieu qu’il soit, retient toujours à lui seul la correspondance ; ainsi ils ne peuvent acquérir aucun mérite direct auprès du gouvernement, ni aucune gloire qui leur soit propre. On doit naturellement se ressentir du défaut de ces deux grands mobiles, sans lesquels, à moins d’une grande vertu, un subalterne chargé d’une administration publique doit être soumis à toutes les passions particulières. De tels hommes, on le sent facilement, doivent être timides devant les puissants, et arrogants devant les faibles ; ils doivent surtout se parer de l’autorité royale, et cette autorité en de pareilles mains doit souvent éloigner du roi le cœur de ses peuples. Tous ces inconvénients, qui seraient sensibles dans le temps le plus heureux, deviennent plus aggravants quand les peuples gémissent sous le poids d’impôts accumulés, et quand il est alors si nécessaire d’adoucir par une attention paternelle la rigueur de leur sort : de là cette fermentation générale et sur la répartition des impositions, et sur les corvées, et sur l’arbitraire absolu, et sur la difficulté d’obtenir justice, et sur le défaut d’encouragement : de là peut-être l’indifférence générale pour le bien de l’État, qui gagne tous Tes jours. Le gouvernement, témoin de toutes ces plaintes, ne trouvera jamais que des moyens insuffisants pour y remédier, tant que la forme actuelle d’administrer les provinces n’éprouvera aucune modification. En effet, il est à remarquer qu’il n’y a dans les pays d’élection aucun contradicteur légitime du commissaire départi, et il ne peut même en exister dans l’ordre actuel, sans déranger la subordination et contrarier la marche des affaires. Ainsi, à moins qu’on ne soit averti par des injustices éclatantes, ou par quelques scandales publics, on est obligé de voir par les yeux de l’homme même qu’on aurait besoin de juger. Votre Majesté peut aisément se faire une idée de l’abus et presque du ridicule de cette prétendue administration. Il vient au ministre des plaintes d’un particulier ou d’une paroisse entière : que fait-on alors, et qu’a-t-on fait de tous les temps? On communique à l’intendant cette requête ; celui-ci, en réponse, ou conteste les faits, ou les explique, et toujours d’une manière à prouver que tout ce qui a été fait par ses ordres a été bien fait ; alors on écrit au plaignant qu’on a tardé à lui répondre jusqu’à ce qu’on ait eu pris connaissance exacte de son affaire, et alors on lui transmet comme un jugement réfléchi du conseil la simple réponse de l’intendant ; quelquefois même, à sa réquisition, on réprimande le contribuable ou la paroisse de s’être plaint mal à propos. , Et qui sait s’ils ne se ressentent pas encore d’une autre manière de leur hardiesse ? car un intendant et ses subdélégués, voyant toujours que les requêtes leur sont renvoyées, que leurs décisions sont adoptées, et que cette déférence à leur avis est nécessaire, doivent naturellement mépriser les plaintes auxquelles des corps entiers ne s’associent pas. Voilà pourquoi ils sont si fort redoutés dans les provinces de la part de ceux qui n’ont pas de relation avec la cour ou avec la capitale. Quand de longs murmures dégénèrent en plaintes générales, le Parlement se remue et vient se placer entrç le roi et ses peuples ; mais eût-il les connaissances qu’il ne peut rassembler, eût-il les mesures qu’il n’observe guère, ce remède est un inconvénient lui-même, puisqu’il habitue les sujets de Votre Majesté à partager leur confiance et à connaître une autre protection que l’amour et la justice de leur souverain. C’est après avoir été frappé de la défectuosité de cette contexture d’administration, que j’ai désiré fortement, pour la gloire de Votre Majesté, pour le bonheur de ses peuples, et pour l’accomplissement du devoir de ma place, qu’on pût développer à Votre Majesté la nécessité de s’occuper essentiellement de cet important objet. En même temps, je sens plus que personne la convenance de n’employer que des moyens lents, doux et sages : il faut désirer le bien, y marcher; mais c’est y renoncer que de vouloir y atteindre par un mouvement précipité, qui presque toujours augmente les obstacles et les résistances. D’ailleurs il n’est rien qui ne soit soumis à quelques inconvénients ; il n’est rien où l’expérience n’ajoute encore à l’instruction et à la confiance. Ainsi ce n’est que dans une seule généralité que je proposerais à Votre Majesté d’introduire un changement qui consisterait essentiellement dans l’essai d’une administration provinciale ou municipale. Il est sans doute des parties d’administration qui, tenant uniquement à la police, à l’ordre public, à l’exécution des volontés de Votre Majesté, ne peuvent jamais être partagées, et doivent con- [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] stamment reposer sur un intendant seul; mais il en est aussi, telles que la répartition de la levée des impositions, l’entretien et la construction des chemins, le choix des encouragements favorables au commerce, au travail en général, et au débouché de la province en particulier, qui, soumises à une marche plus lente et plus constante, peuvent être confiées préférablement à une commission composée de propriétaires, en réservant au commissaire départi l’importante fonction d’éclairer le gouvernement sur différents règlements qui seraient proposés ; de cette manière, Votre Majesté aurait des garants multipliés du bonheur de ses peuples ; et, sans déranger en rien l’ordre public, elle serait sûre que les tributs nécessaires au besoin de l’État seraient adoucis par la répartition, et plus encore par la confiance. On ne verrait plus cumuler sur le peuple, et le poids des impôts et les frais de justice, qui attestent son impuissance, ainsi que les moyens rigoureux qu’on est obligé de mettre en usage. On délivrerait peut-être insensiblement les habitants de la campagne du joug sous lequel ils vivent. Subdélégués, officiers d’élection, directeurs, receveurs et contrôleurs des vingtièmes, commissaires et collecteurs des tailles, officiers des gabelles, voiluriers, buralistes, huissiers, piqueurs de corvées, commis aux aides, aux contrôles, aux droits réservés, tous ces hommes de l’impôt, chacun selon son caractère, assujettissent à leur petite autorité, et enveloppent de leur science fiscale des contribuables ignorants, inhabiles à connaître si on les trompe, mais qui le soupçonnent ou le craignent sans cesse. Si ces diverses servitudes peuvent un jour être tempérées, si d’un pareil chaos il peut enfin sortir un système simple et régulier d’imposition, on ne peut l’espérer, à travers les obstacles de l’habitude, qu’à l’aide des administrations provinciales, qui en proposeraient successivement les moyens et qui en faciliteraient l’exécution. En même temps ce qui convient à chaque province en particulier serait mieux connu. La France, composée de vingt-quatre millions d’habitants répandus sur des sols différents, et soumise à diverses coutumes, ne peut pas être assujettie au même genre d’impositions. Ici la rareté excessive du numéraire peut obliger à commander la corvée en nature; ailleurs, une multitude de circonstances invitent à la convertir en contribution pécuniaire ; ici la gabelle est supportable ; là, des troupeaux qui composent la fortune des habitants font, de la cherté du sel, un véritable fléau ; ici, où tous les revenus sont en fonds de terre, l’on peut confondre la capitation avecla taille ouïes vingtièmes; ai Heurs, de grandes richesses mobiliaires et l’inégalité de leur distribution invitent à séparer ces divers impôts ; ici, 56f> l’impôt territorial peut être fixe et immuable; là, tout est vignoble, et tellement soumis à des révolutions, que si l’impôt n’est pas un peu flexible, il sera trop rigoureux; ici, les impôts sur les consommations sont préférables; ailleurs, le voisinage de l’étranger les rend illusoires et difficiles à maintenir. Enfin, partout en même temps que la raison commande, l’habitude et le préjugé sont existants. Cependant c’est l’impossibilité de pourvoir à toutes ces diversités par des lois générales', qui oblige d’y suppléer par l’administration la plus compliquée, et, comme la force morale et physique d’un ministre des finances ne saurait suffire à cette tâche immense et à de si justes sujets d’attention, il arrive nécessairement que c’est du fond des bureaux que la France est gouvernée ; et, selon qu’ils sont plus pu moins instruits, plus ou moins purs, plus ou moins vigilants, les embarras du ministre et les plaintes des provinces s’y accroissent ou diminuent. Cependant, en ramenant à Paris tous les fils de l’administration, il se trouve que c’est dans le lieu où l’on ne sait que par des rapports éloignés, où l’on ne croit qu’à ceux d’un seul homme, où l’on n’a jamais le temps d’approfondir, qu’on est obligé de diriger et discuter toutes les parties de l’exécution appartenantes à cinq cent millions d’impositions, subdivisées de plusieurs manières par les formes, les espèces et les usages. Quelle différence entre la fatigue impuissante d’une telle administration et le repos et la confiance que pourrait donner une admistration provinciale sagement composée ! Aussi n’est-il aùcun ministre sage qui n’eût dù désirer un pareil changement, si, trompé par une fausse apparence d’autorité, il n’eût imaginé qu’il augmentait son pouvoir en rapportant tout à un intendant qui prenait ses ordres, tandis que les contrôleurs généraux auraient dû sentir qu’en ramenant à eux une multi-tnde d’affaires au-dessus de l’attention, des forces et de la mesure du temps d’un seul homme, ce ne sont plus eux qui gouvernent, ce sont leurs commis. Mais ces mêmes commis, ravis de leur influence, ne manquent jamais de persuader au ministre qu’il ne peut se détacher de commander un seul détail, qu’il ne peut laisser une seule volonté libre pour renoncer à ses prérogatives et diminuer sa consistance : comme si l’établissement de l’ordre et son maintien par les mesures les plus simples ne doivent pas être le seul but de tous les administrateurs raisonnables. Je traiterai plus particulièrement, dans un mémoire séparé, de la généralité qui paraîtrait la plus propre à ce genre d’épreuve , et du plan qui semblerait préférable. On aperçoit aisément qu’on peut en modifier les détails de différentes manières, et remplir néanmoins le but qu’on se propose. Un sage équilibre entre les trois ordres, soit qu’ils soient-sé- ggQ [lw Série, T. Ier.] parés ou qu’ils soient confondus ; un nombre de représentants qui, sans embarrasser, soit suffisant pour avoir une garantie du vœu de la province ; des règles simples de comptabilité ; l’administration la plus économe; les assemblées générales aussi éloignées que l’entretien du zèle et de la confiance peut le permettre ; l’obligation de soumettre toutes les délibérations à l’approbation du conseil, éclairé par le commissaire départi ; l’engagement de payer la même somme d’imposition versée aujourd’hui au trésor royal ; le simple pouvoir de faire des observations en cas de demandes nouvelles, de manière que la volonté du roi fût toujours éclairée et jamais arrêtée ; enfin le mot de don gratuit absolument interdit, et celui de pays d’administration subrogé à celui de pays d’États, afin que la ressemblance des noms n’entraînât jamais des prétentions semblables : voilà en abrégé l’idée des conditions essentielles. On sent qu’il est aisé de les remplir en rassemblant diverses opinions et les lumières que peuvent donner la réflexion et l’expérience, surtout lorsque l’on n’est gêné par aucune convention antérieure, et que de la part du souverain tout devient concession et bienfaisance. J’ajouterai encore, comme une condition essentielle, que, quelque perfection qu’on crût avoir donné à cette institution nouvelle, il ne faudrait annoncer sa durée que pour un temps, sauf à la confirmer ensuite pour un nouveau terme, et ainsi de suite, aussi longtemps que Votre Majesté le jugerait à propos ; de manière quiaprès avoir pris tous les soins nécessaires pour former un bon ouvrage, Votre Majesté eût encore constamment dans sa main le moyen de le supprimer ou de le maintenir. Avec une semblable prudence, quel inconvénient pourrait-on craindre, et que de bien au contraire ne doit-on pas attendre d’une pareille expérience ! Déjà j’ai indiqué une partie des avantages attachés à ce nouvel ordre d’administration; il en est beaucoup d’autres que j’omets : c’en serait un que de multiplier les moyens de crédit, en procurant à d’autres provinces la faculté d’emprunter; c’en serait un plus grand que d’attacher davantage les propriétaires dans leurs provinces, en leur y ménageant quelque occupation publique dont ils se crussent honorés : cette petite part à l’administration relèverait le patriotisme abattu, et porterait vers le bien de l’État une réunion de lumières et d’activité dont on éprouverait le plus grand effet; c’en serait un essentiel encore que d’inspirer à chaque ordre de la société une confiance plus directe dans la justice et la bonté du monarque : c’est ce qu’on éprouve dans les pays d’États ; au lieu que dans une généralité d’élection, où un intendant paraît bien plus un vice-roi qu’un lien entre le souverain et les sujets, on est entraîné à porter ses regards et ses [Introduction.} espérances vers les parlements, qui deviennent ainsi dans l’opinion les protecteurs du peuple. Enfin, comme il est généralement connu que l’administration des pays d’élection et la forme actuelle des impositions inspirent aux étrangers une sorte de frayeur plus ou moins fondée, tout projet d’amélioration attirerait en France de nouveaux habitants, et deviendrait sous ce rapport seul une nouvelle source de richesses. Projet d'administrations municipales, des généralités, districts et arrondissements , par M. Le Tel-lier , conseiller au Parlement. Imprimé en 1778. Voici la conclusion de cet ouvrage relativement à la division territoriale : Il faut diviser et subdiviser le territoire. Je propose de le partager en généralités, en districts, en arrondissements. 11 faut donc un conseil provincial dans la capitale de chaque généralité. Il faut un conseil de district dans chaque ville du second ordre, et dans la capitale pour le territoire de son ressort. II faut dans chaque arrondissement une commune ou municipalité. L'impôt territorial et ses avantages, par M. Linguet.— 1787, Cet ouvrage fut très répandu en France, et y produisit beaucoup de sensation. L’auteur y déclamait avec force contre tous les privilèges ; il y représentait l’impôt territorial comme le seul moyen de soulagement réel pour le peuple : il contribua, par une savante théorie, à exalter la haine publique contre le système fiscal d’alors. « Il est trop vrai, dit-il, que l’impôt territorial que l’on doit proposer à l’Assemblée des notables n’a que le nom de cette subvention; il n’aurait été qu’une branche de plus ajoutée à cette tige meurtrière, conservée d’ailleurs dans toute son étendue. On amalgamait l’impôt territorial avec la taille, l’ustensile, l’industrie, les garnisons , etc., etc., qui grèvent déjà les campagnes ; avec les droits sur les consommations, les aides, les gabelles, le tabac, etc. Il nécessitait une complication dispendieuse et funeste. Il devait être réparti sur un cadastre fictif, sur un classement des différentes qualités de terre, établi d’après le prix des fermages, et par conséquent d’après le relevé des baux dont il faudrait exiger la révélation et vérifier l’exactitude; procédé inquisitorial qui appelle la fraude et le châtiment, et qui dès-lors ouvre la porte aux vexations. Il est vrai qu’on fixe cette taxe dans une proportion infiniment modérée en apparence. C’était le vingtième du loyer des meilleures terres, et le quarantième de celui des plus mauvaises ; mais ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] cela même est une source d’incertitudes, et un juste sujet d’alarmes : cette modicité spécieuse ne serait que trop susceptible d’une extension arbitraire et indéfinie. En très-peu d’années, par un manège presque imperceptible, sur des arrêts du conseil ignorés et cependant exécutés, chaque quotité pourrait changer de terme, et s’accroître par une graduation dévorante. Le fond de cette idée d’un impôt territorial, ou d’une dîme laïque adaptée par son essence aux besoins de l’État, n’est ni de moi, qui ai tâché de la conserver dans toute sa pureté, ni des économistes qui, en la modifiant, sont venus à bout de la rendre suspecte et pernicieuse. Elle appartient originairement à M. de Vauban, ce guerrier citoyen qui, devant sa fortune et sa réputation à sa supériorité dans l’art d’exterminer les hommes, semble avoir voulu expier ses tristes succès par des recherches profondes et presque perpétuelles, mais malheureusement restées sans usage, sur les moyens de les gouverner avec douceur. C’est de l’argent que les gouvernements veulent -, et il faut bien qu’on leur en fournisse, puisqu’ils ont des besoins auxquels ils ne peuvent subvenir qu’avec de l’argent; mais les administrateurs qui les dirigent semblent n’avoir jamais fait attention qu’à une des facultés de ce Protée politique, à celle qu’il a de se métamorphoser en toutes sortes de denrées; ils ont oublié qu’il avait aussi celle de naître de tous les objets qui ont quelque valeur d'ans la société, et qui sont, ou le produit du travail et de l’industrie des hommes, ou l’objet de leurs désirs. En conséquence, c’est toujours du métal en espèce qu’ils ont demandé; et en cela ils ont commis une faute dont les suites ont été infiniment funestes. C’est certainement un impôt, dans toute la force du terme, que la contribution payée sous l’ancienne loi à la tribu de Lévi, et sous la nouvelle à l’église chrétienne à son* imitation, sous le nom de dîme. Or, ce riche héritage, aux deux époques, n’a jamais été desséché par l’avidité imprudente, qui n’est satisfaite que quand elle moissonne des métaux. Ce sont des fruits, et non de leur valeur monétaire qu’elles se sont réservé une portion; et de là ont résulté pour le clergé des avantages sans nombre. Recette plus facile, perception plus humaine et moins coûteuse, jouissance plus assurée, indépendance absolue des temps et des événements, qui établissent des variations daus les valeurs monétaires, etc., ce système réunit tous les avantages. La dîme en nature est le plus clair de tous les droits, le moins sujet à discussion. Le décimateur n’est autorisé qu’à recueillir : ce n’est pas même lui qui fait sa part. Des officiers désintéressés, engagés par serment à soutenir la justice, et par humanitéà ne point l’outrer , vont dans les champs 567 désigner et marquer eux-mêmes la portion sa' crifiée à la franchise du reste. Les principales objections portent sur ce prin-. cipe faux que l’administration doive en général payer toutes ses dépenses comptant; qu’elle sera en conséquence obligée, aussitôt après chaque récolte, d’inonder à la hâte tous les marchés du résultat de sa collecte, afin de la convertir sans délai en argent : or, rien de moins fondé. Une réflexion répond absolument à toutes les difficultés. Adoptez encore la méthode ecclésias-, tique dans la perception, comme dans l’assiette même de l’impôt, et il ne subsiste plus ni crainte, ni dépense, ni danger, pas même celui de noyer des marchés pour les affamer après. Affermez la dîme du roi, comme celle des évêques, des chapitres, des curés; que dans chaque village elle soit donnée à bail à des entrepreneurs pour des termes fixes assez longs pour qu’ils puissent s’indemniser des variations, soit dans le produit physique, soif dans la valeur accidentelle, et assez bornés pour que jamais cette valeur accidentelle ne vienne, par la suite des temps, à se trouver trop disproportionnée avec la redevance ; tout est concilié : le peuple payera en nature; le roi recevra en argent : tous les frais s’évanouissent. La terre payera en raison de son produit ; à la vérité, à produit égal, les frais de culture peuvent être différents; mais il y a eu d’avance une compensation dans le prix d’achat des terres, avec lequel l’impôt territorial sera toujours proportionné. Pour achever de dissiper tous les scrupules sur les effets de la dîme royale, quant aux campagnes et à l’agriculture, présentons-en un tableau détaillé et circonstancié. Supposons donc un propriétaire qui tire par an de ses domaines à la campagne. . . . 10,000 1. Il a fallu pour lui rendre ce revenu liquide que la ferme produisît au moins. 30,000 1. Combien l’impôt dans la forme actuelle en enlève-t-il? Le 9e pour la taille, etc., au moins ........... 3,300 1. Sur le bénéfice personnel du fermier, ses consommations, etc., au moins. . 1,500 1. Total. . . . 4,800 1. Ainsi aujourd’hui une somme de 30,000 livres arrachée d’une métairie est donc chargée à la campagne même, à sa source, avant que d’arriver au propriétaire, d’environ 5,000 livres envers le roi : par la dîme royale établie au 10e elle ne le sera que de 3,000 livres, et toutes les espèces d’ignominies actives et passives dont se composent les malheureuses contributions d’aujourd’hui disparaîtraient. Les frais de perception, à quelque somme qu’ils montent, n’égaleront jamais ceux de la perception compliquée qui nous écrase aujourd’hui, et il en 568 [ire Série, T. !«.] - ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] coûtera toujours moins au roi pour transporter un chariot de blé dans la grange de son receveur, que pour faire passer un écu de la poche d'un financier dans la sienne, surtout si les dîmes sont affermées. La dîme royale, dit -on, doit écraser les campagnes ou faire déserter les villes, et par cela. même entraîner un renchérissement général des denrées avec un désordre universel dans toutes les classes de la société. Mais n’y-a-t-il pas mille moyens d’étendre la contribution sur les cités, et d’assujettir à l’impôt l’esclavage des bourgeois, comme la liberté rustique ? J’ai proposé le toisage du terrain que les premiers occupent; si cet expédient répugne, tout facile qu’il est, n’a-t-on pas les capitations, ou personnelles, ou par familles, ou par compagnies, etc. ? Il me serait aisé de faire voir que la dîme royale d’une part, le toisage de l’autre, fourniraient sans peine et au delà, même en France, à toutes les dépenses publiques ; que l’impôt territorial ainsi généralisé remplirait, sans épuiser les peuples, ce gouffre insatiable; que,bientôt il fermerait ce tonneau des Danaïdes qui absorbe également, et leurs larmes et leurs espèces, sans que les unes y laissent plus de traces que les autres. A la vérité, il n’y a point de données sûres d’après lesquelles on puisse avec évidence travailler à la résolution de ce problème : la finance ne connaît ni la quantité d’hommes qu’elle tyrannise, ni l’é-teqdue effective des terrains qu’elle dévaste, ni le produit réel des biens qu’elle dessèche, ni peut-être celui de ses propres rapines. Tout est incertitude, même dans cette alchimie cruelle, hors les maux qu’elle fait et l’or qu’elle compose du sang de l’indigence ; et, quand on propose aux ministres des réformes utiles, ils profitent, pour excuser leur indolence ou leur pusillanimité, d’une confusion dont ils sont les véritables auteurs, puisqu’ils la tolèrent, pouvant sans peine y remédier. Mais, de quelque timidité qu’on veuille s’armer pour préférer le dépérissement vexatoire actuel à' une régénération consolante, il n’en est pas moins certain que l’or aspiré de toutes les provinces produit dans les coffres du roi, par an, plus de 600 millions, en y comprenant les frais de perception déguisés, et multipliés sous des milliers de formes, car les peuples sont des moutons à qui l’on arrache la peau pour payer ceux qui leur enlèvent la laine. Je prends pour terme de la fécondité de la terre en France, dans les campagnes, l’évaluation de M. l’abbé d’Expilly, parce que c’est la plus récente : il la porte à environ 50 millions de setiers de tous grains. L’impôt territorial, ou la dîme levée au cinquième, ferait pour la part du roi 10 millions de setiers, qui rendraient, compensation faite des différentes espèces, au prix actuel, environ 180 millions. Supposons que les autres natures de denrées rustiques, les foins, les bestiaux, les bois, les chanvres, les vins et tous les autres objets sur lesquels la dîme se lèverait également, ne rendent que la même somme, ce qui assurément est bien au-dessous de la vérité, ce seraient. 180 millions. La campagne seule rendra donc au roi .......... 360 millions. Quant aux villes, prenons Paris pour exemple : mais supposons-en la surface de deux lieues carrées, dont moitié seulement en maisons, cours ou jardins ; supposons cette moitié divisée entre chacun de ces genres de propriété ou de jouissances, et taxée dans la progression ou la gradation suivante : Deux millions de toises en bâtiments à 12 livres la toise ; trois en cours, à 6 livres. Cette taxe n’aurait rien d’excessif à beaucoup près, et se rapprocherait très-fort, à ce que je pense, du rapport supposé ci-dessus dans l’exemple cité, d’une maison louée 6,000 livres; le toisage de Paris sur ce pied rendrait 50 millions. On compte, si je ne me trompe, en France cinq villes du premier ordre après la capitale : Lyon, Marseille, Bordeaux, Nantes et Rouen. Supposons qu’elles .égalent ensemble Paris pour l’étendue, et qu’elles soient taxées sur le même pied, à raison de leur opulence, du faste que l’industrie et le commerce y entretiennent ; elles rendront entre elles ......... 50 millions. Vingt du second ordre, doubles au moins de Paris pour l’espace, mais taxées seulement à moitié, rendront également ......... 50 millions. Quatre-vingts du troisième ordre, occupant un espace plus que triple de celui de Paris en bâtiments, taxées à un quart, rendront environ ... 37 millions. Environ deux cents, tant de petites villes, que bourgs murés, quadruples au moins de Paris pour le terrain, mais taxés seulement à un 8e, rendront environ ... ....... 25 millions. Qui feront, avec les 50 millions de Paris, en tout pour le toisage . . 212 millions. Par conséquent l’impôt territorial par ses deux branches rendrait 572 millions. On pourrait d’ailleurs étendre le toisage à toutes les habitations des campagnes consacrées uniquement à la volupté, etc.... » Principes positifs de M. Necker , extraits de tous ses ouvrages ; ou M. Necker mis en opposition avec lui-même. — Paris, 1788. Puisque enfin les Français ont le bonheur de voir encore une fois la direction des affaires entre les mais de M. Necker, l’on pense qu’ils seront infiniment satisfaits d’apercevoir d’un coup d’œil les [lr« Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction. principes positifs de ce ministre. On les a extraits du milieu des idées morales, si belles, si consolantes, qui forment la plus grande partie de ses ouvrages, et qui peignent si bien son caractère. « Le souverain d’un royaume tel que la France peut toujours, quand il le veut , maintenir la balance entre ses dépenses et ses revenus ordinaires : la diminution des unes, toujours secondée par le vœu public, est entre ses mains ; et, lorsque les circonstances l’exigent, l’augmentation des impôts est soumise à sa puissance. » ( Compte rendu , pages 3 et 4.) « G’est le pouvoir d’ordonner des impôts qui constitue la grandeur souveraine. » (Mémoire donné au roi par M. Necker en 1788; Compte rendu page 79.) « Mais parce que dans un état monarchique le souverain est le lien des intérêts politiques, et parce que dans une telle constitution il détermine seul les sacrifices des citoyens, que seul il est l’interprète des besoins de l’État, que seul il veut, que seul il ordonne; que seul il a le pouvoir de contraindre à l’obéissance, les principes de justice ne sont point changés, et les devoirs du représentant de l’État n’existent pas moins dans toute leur force. On voit sortir de ces réflexions une vérité effrayante pour la conscience des rois : c’est qu’en confiant aux tribunaux la décision des différends qui s’élèvent entre leurs sujets, ils sont demeurés seuls arbitres de la plus grande cause qui existe dans l’ordre social, de celle qui doit fixer la mesure des droits et des prétentions du trésor public sur la propriété de tôus les membres de la société ; et que pour la décider et la connaître, cette cause, dans toutes ses parties, il faut, non-seulement un cœur droit, mais encore de l’étude et la science. » (De l'administration des finances, tome Ier, chapitre il, pages 43 et 44.) « Le simple pouvoir (aux assemblées provinciales) de faire des observations, en cas de demandes nouvelles, de manière que la volonté du roi fût toujours éclairée, et jamais arrêtée. Enfin le mot de don gratuit absolument interdit, et celui de pays d’administration subrogé à celui de pays d’Élats, afin que la ressemblance des noms n’entraînât jamais de prétentions semblables. On sent qu’il est aisé de remplir ces conditions, surtout lorsqu’on n’est gêné par aucune convention antérieure, et que, de la part du souverain, tout devient concession et bienfaisance. J’ajouterai encore, comme une condition essentielle, que, quelque perfection que l’on crût avoir donnée à cette constitution nouvelle, il ne faudrait annoncer sa durée que pour un temps, sauf à la confirmer ensuite pour un nouveau terme, et ainsi de suite, aussi longtemps que Votre Majesté le jugerait à propos ; de manière qu’après avoir pris tous les soins nécessaires pour former un bon ouvrage, Votre Majesté eût encore constamment dans sa 569 main les moyens de le supprimer. Avec une semblable prudence, quels inconvénients pourrait-on craindre ? » (Mémoire donné au roi en 1788. ) « Dans un pays monarchique, où la seule volonté du prince fait la loi, l’inquiétude du souverain doit se borner à être certain que ses intentions justes et bienfaisantes soient remplies. » (Mémoire donné au roi en 1778.) « Mais il n’est aucune partie de ses revenus, même annuels, qu’un roi de France n’ait le pouvoir de dépenser bien ou mal à propos. » (Sur le Compte rendu au roi en 1781, nouveaux éclaircissements, page 63.) « Les anciennes liaisons de la France avec les Suisses; le rempart naturel que leur alliance assure à une partie de ses frontières ; les longs et loyaux services de cette nation patiente et courageuse ; enfin l’utilité peut-être dont il est à un souverain d’avoir, dans des temps de trouble ou d’effervescence, une certaine quantité de troupes étrangères : toutes ces diverses raisons ont pu faire envisager comme une disposition sage l’entretien habituel d’un corps de troupes suisses assez considérable. » (De l'administration des finances , tGme II, chap. xil, page 408.) « Il y a, dans les soins que l’on prend de sa réputation, un sentiment étranger au jugement des autres. C’est une glace où l’on a l’habitude de se regarder, et nous voulons qu’elle soit pure comme notre propre cœur. » ( Sur le Compte rendu au roi en 1781, nouveaux éclaircissements, par M. Necker, page 181.) « La plupart des nations, ou par choix ou par nécessité, ont déposé leurs volontés entre les mains d’un seul, et elles ont ainsi élevé un monument perpétuel à l’esprit de discorde, d’injustice et de désunion qui a régné si souvent parmi les hommes. Il est vrai que de temps à autre elles ont voulu se souvenir qu’elles étaient capables de connaître elles-mêmes leurs véritables intérêts; mais le monarque, se défiant de leur inconstance, avait pris soin de fortifier les ressorts de sa domination ; et en s’entourant d’une milice guerrière et disciplinée, il ne leur a plus laissé le pouvoir de se dégoûter de l’esclavage : il a eu des soldats avec des impôts, et des impôts avec des soldats; et, à l’aide de cette double action correspondante, il est devenu le maître de tout faire et de tout ordonner. » (De l'importance des opinions religieuses, commencement du chap. vil, page 206.) Sur la liberté de la presse ; imité de l'anglais de Milton, par M le comte de Mirabeau. — 1788. C’est au moment où la nécessité des affaires, la méfiance de tous les corps, de tous les ordres, de toutes les provinces ; la diversité des principes, des avis, des prétentions, provoquent impérieusement le concours des lumières et le contrôle universel ; c’est dans ce moment que, par 570 [1» Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] la plus scandaleuse des inconséquences, on poursuit, au nom du monarque, la liberté de la presse, plus sévèrement, avec une inquisition plus active, plus cauteleuse que ne l’a jamais osé le despotisme ministériel le plus effréné. Le roi demande des recherches et des éclaircissements, sur la constitution des États généraux et sur le mode de leur convocation, aux assemblées provinciales, aux villes, aux communautés, aux corps, aux savants, aux gens de lettres ; et ses ministres arrêtent l’ouvrage posthume d’un des publicistes les plus réputés de la nation ! et soudain la police, convaincue de sa propre impuissance pour empêcher la circulation d’un livre, effrayée des réclamations qu’un coup d’autorité si extravagant peut exciter ; la police, qui n’influe jamais que par l’action et la réaction de la corruption, paye les exemplaires saisis, vend le droit de contrefaire, de publier ce qu’elle vient de proscrire, et ne voit, dans ce honteux trafic de tyrannie et de tolérance, que le lucre du privilège exclusif d'un jour! Le roi a donné des assemblées à la plupart de ses provinces, et le précis des procès-verbaux de ces assemblées, ouvrage indispensable pour en saisir l’ensemble et pour en mettre les résultats à la portée de tous les citoyens, ce précis, imprimé chez Levrault à Strasbourg, d’abord permis, puis suspendu, puis arrêté, ne peut franchir les barrières dont la police, à l’envi de la fiscalité, hérisse chaque province du royaume, où l’on semble vouloir mettre en quarantaine tous les livres pour les purifier de la vérité. Certes, ils commettent un' grand attentat, ceux qui, dans la situation où la France se trouve plongée, arrêtent l’expansion des lumières. Ils éloignent, ils reculent, ils font avorter autant qu’il est en eux le bien public, l’esprit public, la concorde publique. Us n’essaient d’aveugler que parce qu’ils ne peuvent convaincre ; ils ne s’humanisent à séduire que parce qu’ils ne peuvent pas corrompre ; ils ne songent à corrompre que parce qu’ils ne sauraient plus intimider : ils voudraient paralyser, mettre aux fers, égorger tout ce qu’ils ne pourraient intimider, corrompre ni séduire ; ils craignent l’œil du peuple, ils veulent tromper le prince : ce sont les ennemis du prince, ce sont les ennemis du peuple. Milton écrivait il y a cent cinquante ans, dans un siècle tout religieux, où, bien que l’on commençât à discuter les grands intérêts de cette vie en concurrence avec ceux de l’autre, les raisons théologiques étaient de beaucoup les plus efficaces. On n’a point accusé cet homme d’être un philosophe : et si dans quelques-uns de ses écrits Milton s’est montré républicain violent, il n’est dans celui-ci, où il s’adresse à la législature de la Grande-Bretagne, qu’un paisible argumenta-teur. ' « Je ne prétends pas, Milords et Messieurs, lui dit-il, que l’église et le gouvernement n’aient intérêt à surveiller les livres aussi bien que les hommes, afin, s’ils sont coupables, d’exercer sur eux la même justice que sur des malfaiteurs, car un livre n’est point une chose absolument inanimée. Il est doué d’une vie active comme l’âme qui le produit; il conserve même cette prérogative de l’intelligence vivante qui lui a donné le jour. Je regarde donc les livres comme des êtres aussi vivants et aussi féeonds que les dents du serpent de la fable, et j’avouerai que, semés dans le monde, le hasard peut faire qu’ils y produisent des hommes armés. Mais je soutiens que l’existence d’un bon livre ne doit pas plus être compromise que celle d’un bon citoyen ; l’une est aussi respectable que l’autre, et l’on doit également craindre d’y attenter. Tuer un homme c’est détruire une créature raisonnable; mais étouffer unbon livre c’est tuer la raison elle-même.Quantité d’hommes n’ont qu’une vie purement végétative et pèsent inutilement sur la terre, mais un livre est l’essence pure et précieuse d’un esprit supérieur; c’est une sorte de préparation que le génie donne à son âme, afin qu’elle puisse lui survivre. La perte de la vie, quoique irréparable, peut quelquefois n’être pas un grand mal; mais il est possible qu’une vérité qu’on aura rejetée ne se représente plus dans la suite des temps, et que sa perte entraîne les malheurs des nations. « Soyons donc circonspect dans nos persécutions contre les travaux des hommes publics. Examinons si nous avons le droit d’attenter à leur vie intellectuelle dans les livres qui en sont les dépositaires, car c’est une espèce d’homicide, quelquefois un martyre, et toujours un vrai massacre, si la proscription s’étend sur la liberté de la presse en général. « A Athènes, où l’on s’occupait de livres plus que dans aucune autre partie de la Grèce, je ne trouve que deux sortes d’ouvrages qui aient fixé l’attention des magistrats, les libelles et les écrits blasphématoires. Ainsi les juges de l’aréopage condamnèrent les livres de Protagoras à être brûlés, et le bannirent lui-même, parce qu’à la tête d’un de ses ouvrages il déclarait qu’il ne savait point s’il y avait des dieux ou s’il n’y en avait pas. Quant aux libelles, il fut arrêté qu’on ne nommerait plus personne sur le théâtre, comme on le faisait dans l’ancienne comédie, ce qui nous donne une idée de leur discipline à cet égard. Cicéron prétend que ces mesures suffirent pour empêcher la diffamation et pour imposer silence aux athées. On ne rechercha point les autres opinions ni les autres sectes ; aussi ne voyons-nous point qu’on ait jamais cité devant les magistrats Épicure, ni l’école licencieuse de Cyrène, ni l’impudence cynique. On voit qu’ Aristophane, le plus satirique de tous les poètes comiques, faisait les 571 [l*e Série, T. Iep.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] délices de Platon, et qu’il en recommandait la lecture à Denis, son royale disciple ; ce qui ne doit pas paraître extraordinaire, puisqud saint Chrysostôme passait les nuits à lire cet auteur, et savait mettre à profit, dans des sermons, le sel de ses sarcasmes et de sa piquante ironie. «. Les Romains pendant longtemps marchèrent sur les traces des Spartiates. C’était un peuple absolument guerrier. Leurs connaissances politiques et religieuses se réduisaient à la loi des Douze Tables et aux instructions de leurs prêtres, de leurs augures, de leurs flamines. Ils étaient si étrangers aux autres sciences, qu’alors que Gar-néades, Critolaüs et Diogène le stoïcien vinrent en ambassade à Rome et voulurent profiter de cette circonstance pour essayer d’introduire leur philosophie dans cette ville, ils furent regardés comme des suborneurs ; Caton n’hésita point à les dénoncer au Sénat, et à demander qu’on purgeât l’Italie de ces babillards attiques. Mais Scipion et quelques autres sénateurs s’opposèrent à cette proscription ; ils s’empressèrent de' rendre hommage aux philosophes athéniens ; et Caton lui-même changea si bien de sentiment par la suite, qu’il se livra tout entier dans sa vieillesse à l’étude de ces connaissances qui d’abord avaient excité son indignation. « Cependant vers le même temps Nævius et Plaute, les premiers comiques romains, offrirent sur le théâtre des scènes empruntées de Ménandre et de Philémon. Ici s’ouvre le beau siècle de la littérature latine, époque à laquelle les Romains surent enfin allier la gloire des lettres à celle des armes. Étouffées par la tyrannie, ces deux mois-- sons renaissent sous l’influence de la liberté républicaine. Lucrèce chante l’athéisme ; il le réduit en système, et cherche à l’embellir des charmes de la poésie ; tout le monde applaudit à ses beaux vers ; il les dédie à son ami Memnius, sans que personne lui en fasse un crime : on ne persécuta ni l’auteur ni l’ouvrage, parce qu’on sait que la liberté publique repose sur la liberté de la pensée: César même respecta les Annales deTite-Live, quoiqu’on y célébrât le parti de Pompée. « Lorsque Dieu permit à l’homme d’user modérément de toutes les productions de la nature, il voulut aussi que l’esprit jouît du même privilège: et quoique la tempérance soit une des plus grandes vertus, Dieu la recommanda simplement aux hommes, sans rien prescrire de particulier à cet égard, afin que chaque individu pût la pratiquer à sa manière. « Le bien et le mal ne croissent point séparément dans le champ fécond de la vie ; ils germent l’un à côté de l’autre, et entrelacent leurs branches d’une manière inextricable. La connaissance de l’un est donc nécessairement liée à celle de l’autre. Renfermés sous l’enveloppe de la pomme dans laquelle mordit notre premier père, ils s’en échappèrent au môme instant, et tels que deux jumeaux ils entrèrent à la fois dans le monde. Peut-être même dans l’état où nous sommes ne pouvons-nous parvenir au bien que par la connaissance du mal ; car comment choisira-t-on la sagesse? comment l’innocence pourra-t-elle se préserver des atteintes du vice, si elle n’en a pas quelque idée? et puisqu’il faut absolument observer la marche des vicieux pour se conduire sagement dans le monde; puisqu’il faut aussi démêler l’erreur pour arriver à la vérité, est-il une méthode moins dangereuse de parvenir à ce but que celle d’écouter et de lire toute sorte de traités et de raisonnements? Avantage qu’on ne peut se procurer qu’en lisant indistinctement toute sorte de livres. « D’ailleurs, comment confier ces livres à des censeurs, à moins qu’on ne leur confère ou qu’ils ne puissent se donner à eux-mêmes le privilège del’incorruption et de l’infaillibilité? Encore s’il est vrai que, semblable au bon chimiste, l’homme sage peut extraire de l’or d’un volume rempli d’ordures, tandis que le meilleur livre n’avise point un fou, quelle est donc la raison qui ferait priver l’homme sage des avantages de sa sagesse, sans qu’il en résulte le moindre bien pour les fous, puisqu’avec des livres ou sans livres ils n’en extravagueront pas moins ? « Si nous voulons subordonner la presse à des règlements avantageux pour les mœurs, il faudra soumettre à la même inspection les plaisirs et les divertissements: il faudra des censeurs pour le chant, qui ne permettront que des sons graves et doriques, car la musique est encore une source de corruption; il en faudra pour la danse, afin qu’on n’enseigne aucun geste indécent à notre jeunesse, chose à laquelle Platon n’a pas manqué de faire attention : vingt censeurs auront assez d’occupation dans chaque maison pour inspecter les guitares, les violons et les clavecins ; il ne faudra pas qu’ils permettent qu’on jase comme on fait aujourd’hui, mais qu’ils règlent tous les discours qu’on devra tenir. Et comment empêcher la contrebande des soupirs, des déclarations et des madrigaux qui s’échapperont à voix basse dans les appartements ? « Préférer au triste plaisir d’enchaîner les hommes celui de les éclairer, c’est une vertu qui répond à la grandeur de vos actions, et à laquelle seule peuvent prétendre les mortels les plus dignes et les plus sages, etc. » Tels sont les raisonnements victorieux auxquels l’Angleterre doit peut-être le bienfait de la liberté de la presse. Ce n’est point à l’existence perpétuelle d’une opposition décidée, ouverte, sans crainte, intéressée à tout disputer aux ministres , puisqu’il est possible que le ministère et l’opposition trouvent un plus grand intérêt à se réunir, 572 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] C’est à cette épée de Damoclès, partout en Angleterre suspendue sur la tête de quiconque méditerait dans le secret de son cœur quelque projet funeste au prince et au peuple; l'épée tombe au premier pas qu'il fait pour l’exécuter. C’est à ce principe inculqué dans toutes les têtes anglaises� que celle d’un seul homme ne renferme pas toutes les idées ; que le meilleur avis ne peut être que celui qui résulte de la combinaison de tous; qu’il n’a besoin que d’être déclaré pour être senti, et devenir aussitôt une propriété générale, qui constate un droit égal à toutes les conséquences qui en dérivent, etc. Lettre à M. de Brienne , chef du conseil des finances.. — 1787. Cet ouvrage est une discûssion très sensée sur les moyens de réformer les finances, sur la nécessité de les faire concourir avec les réformes politiques désirées par la nation. Nouvelles vues sur P administration des finances et sur l'allégement de l’impôt. — A Londres , 1787. On développe parfaitement dans cet écrit la théorie du système de finances anglais; on s’y élève ensuite avec force contre la fiscalité française, et on y trace les principes généraux de l’impôt. On y établit, par des calculs très-spécieux, basés sur le nombre des marchands en hétâil d’objets non de première nécessité, et sur les bénéfices évalués au minimun que chacun doit faire par année de sa subsistance, que la somme des ventes de ces objets en détail est au moins par année de 15 milliards par an; que l’impôt ne doit peser que sur cette seule sorte de consommation, et qu’en supposant même qu’il en réduisît la somme à huit milliards, pour la vente générale des productions de luxe et d’agrément, tant territoriales que manufacturières, ce capital serait toujours suffisant pour supporter la totalité des impôts, eh le portant au dixième, même en en défalquant les sommes soulraites par la fraude. L’auteur propose en conséquence de supprimer toute imposition territoriale sur les blés, vins, grains, légumes et fourrages. Il discute ensuite très-savamment les questions relatives à l’intérêt de l’argent, aux emprunts, à la balance du commerce, etc. Cet ouvrage, assez volumineux, a eu en peu de temps plusieurs éditions, et a pu contribuer à mûrir les esprits pour les réformes. Analyse d'un mémoire sur les Etats généraux , par M. Gautier de Sibert; lu à l'académie royale des inscriptions et belles lettres en 1788. Il y rend compte de tous ceux qui se sont tenus depuis 1301 jusqu’en 1356. Il appuie sur ceux des années 1317 et 1328, qui donnèrent une sanction solennelle et le caractère de loi civile à la loi de la succession à la couronne, Recherches sur les impôts mis dans les Gaules depuis César jusqu'à Clovis; par M. Pastoret. — Mémoire lu à l'académie. M. Pastoret recherche quels furent le pouvoir, la forme et les objets des assemblées nationales et des assemblées provinciales chez les Gaulois. Il examine ensuite avec beaucoup de détail le genre et la nature des impositions que les Gaules supportèrent pendant plus de cinq siècles, et la manière dont on les percevait. Des lettres de cachet, par M. le comte de Mirabeau. Cet ouvrage, écrit sous les verrous de la Bastille, ne porte pas seulement l’empreinte d’une âme fortement exaspérée contre le despotisme, on y trouve des élans de génie : le régime des prisons d’État y est peint des plus fortes couleurs que peut appeler à son secours l’imagination, lorsqu’elle s’efforçait en vain d’aggraver les traits d’une horrible réalité. Cet ouvrage, répandu avec les premiers germes des principes de liberté, devait efficacement concourir à leur développement : il servit en partie de texte à un grand nombre de cahiers des bailliages. 11 est, au reste, trop connu pour qu’il soit nécessaire d’en rapporter ici une analyse. Appel à la nation provençale, par M. de Mirabeau. — 1788. Écrit plein de force et d’éloquence, dans lequel on remarque beaucoup de pensées hardies pour cette époque , telles que celles-ci : « Peuple, l’heure du réveil a sonné... La liberté frappe à la porte, courez au-devant; elle vous tend la main, sachez la saisir... Le despotisme va fuir comme l’ombre devant l’aurore, etc. » A la nation française , sur les vices de son gouvernement, sur la nécessité d’établir une constitution, et sur la composition des États généraux ; avec cette épigraphe : Quand la patrie est en danger, c’est la trahir que de taire la vérité. Attribué à Rabaut-Saint-Etienne. — Juin 1788. Voici comment débute cet écrit : « Nation noble et généreuse, vous qui avez tant de fois étonné l’univers par la grandeur de vos entreprises et par l’éclat de vos exploits dans tous les genres, servez-vous aujourd’hui par vous-même de vos lumières et de vos connaissances ; profitez de tous les moyens, de tous les avantages qui sont rassemblés autour de vous ; il s’agit de vos plus grands intérêts, de votre salut, de votre existence. Une gloire infiniment préférable à toutes les autres vous est réservée, celle de vous réformer vous-même ; songez avant tout que vous n’avez jamais eu de constitution, que voqs devez en établir une, 573 [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] « Tant que la forme versatile et arbitraire de votre administration subsistera, tant qu’il sera permis aux ministres, à qui vos intérêts sont passagèrement confiés, de bouleverser l’ordre établi avant eux, de changer, modifier, ou abroger les lois et les règlements faits par leurs prédécesseurs, tous vos efforts pour corriger les abus et pour améliorer votre situation seront inutiles et sans effet durable, « Jamais les circonstances n’ont été si favorables. Tous les esprits sont disposés à de grands changements. Déjà les notables ont, dès l’année dernière, déchiré le voile qui couvrait les mystères des administrations précédentes : chaque jour le flambeau de la philosophie porte de nouvelles lumières dans toutes les parties du gouvernement : les droits des différents ordres de citoyens sont reconnus ; l’homme est rétabli dans sa première dignité ; un saint enthousiasme pour améliorer son sort s’est universellement répandu : des assemblées tutélaires ont été créées dans toutes les provinces. Nous n’avons plus qu’un pas à faire. Les États généraux, assemblés fréquemment, seront le.centre commun où les intérêts de toutes les provinces viendront aboutir, pour sè confondre et se réunir à l’intérêt général. » L’orateur examine ensuite, dans de très-longs développements, les différentes questions de droit public relatives à l’établissement d’une constitution. Son ouvrage est ainsi divisé : La forme vicieuse du gouvernement actuel ne, peut subsister. L’inexécution des lois et le règne de l’arbitraire sont une des causes de l’inégalité des impôts dans plusieurs provinces ; Delà variation funeste des ordonnances ; De la faiblesse réelle du pouvoir exécutif, et des abus de l’administration des finances. La nation a droit de consentir, non-seulement aux lois de l’impôt, mais encore à toutes les autres lois sans exception. Pouvoir des États généraux, leurs droits positifs prouvés par l’histoire et par le droit naturel des peuples. Vices de leur composition et de leurs délibérations. Trois 'nations seulement peuvent être citées pour modèles, les Suisses, les Anglais, les États-Unis d’Amérique ; observations sur leur constitution. Vices des constitutions particulières des pays d’États. Principes d’une bonne constitution. Aperçu de celle d’Angleterre. Énumération de ses avantages. Division du pouvoir législatif. Méthode des délibérations. Pouvoir du roi. Distinction des trois puissances. Liberté et sécurité personnelles. Liberté de la presse. Justice impartiale. La lettre de la loi toujours suivie. Admission des jurés dans les jugements. Douceur des lois pénales. Uniformité' des peines. Subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil. Point de privilèges en matière d’impôts. Point de douanes ni de droits intérieurs. Les ministres comptables de leurs actions. Devoirs du ministre des finances. Les États généraux doivent être convoqués annuellement. L’autorité du roi affaiblie par le régime des enregistrements. Nécessité d’un consentement unique et national. La composition des États généraux et la forme des élections doivent être telles qu’il y ait une balance parfaite entre les ordres-; que les deux premiers ne puissent plus opprimer le troisième. Vices des élections anciennes. La forme des États de 1614 ne peut être adoptée. Les élections ne peuvent pas être faites par les assemblées provinciales. Les États généraux doivent être divisés en deux chambres ; sans cette division il n’y aura jamais de balance entre les ordres. Toutes les lois doivent être faites dans les États généraux. Des conditions nécessaires à la légalité des États généraux ; par M. Desmeuniers : avec cette épigraphe : Salus populi suprema lex esto. L’avantage du peuple est la suprême loi. On remarque dans cet écrit le passage suivant : «... Par quels motifs le Parlement de Paris a-t-il donc demandé les États généraux sous là forme de 1614? Est-ce à titre d’antiquité ? il est des formes plus anciennes. Est-ce comme analogue à l’état présent? les faits y sont contraires, comme l’arrêt du conseil du 5 octobre l’a solidement prouvé. « Quel est d’ailleurs le droit du Parlement de Paris à prescrire la forme des États généraux? 14 n’est point chargé des pouvoirs de la nation, et il a lui-même reconnu son incompétence : voudrait-il se rétracter, et, revenant contre un aveu arraché, il est vrai, par la nécessité, reprendre ses prétentions antérieures ? «... C’est erreur ou mauvaise foi de dire qu’il est à craindre que l’on ne change la constitution, que l’on ne fasse des innovations, que l’on ne renverse l’ordre ; l’unique sens de ce discours est celui-ci, qu’il est à craindre que l’on ne change l’état actuel, c’est-à-dire que Ton ne réforme les abus qui régnent ; et, si l’on observe [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 574 de qui viennent ces alarmes, l’on trouvera toujours que c’est de personnes à qui ces mêmes abus sont utiles. « Mais je suppose que nous eussions une constitution, je suppose que nos aïeux eussent consenti ou souffert une forme déterminée de gouvernement, s’ensuivrait-il que nous fussions astreints à la conserver, à la suivre ? Non certainement, parce qu’il est du droit public de toutes les nations, et encore plus du droit naturel de l’espèce, que nul ne peut engager autrui ; et il est à la fois injuste et absurde que les morts puissent lier les vivants, et qu’une génération contracte pour une autre. » Analyse de la brochure intitulée : Des conditions nécessaires à la légalité des États généraux par un avocat au Parlement de Paris. — Juillet 1788. Écrit dans lequel les mêmes principes sont tracés avec de nouveaux développements. Avis au tiers-état , par M. le marquis de Beauvau. 1788. Cette brochure commençait ainsi : - « . . . Vous formez corps dans l’État; c ’est pour le défendre, pour le protéger, pour en soutenir la majesté, la splendeur : toute puissance est intrinsèque, tout est en nous, tout est dans l’État, rien n’est hors de lui. Quand ces principes vous seront bien inculqués, vous y trouverez des bases certaines, et les corollaires que vous en saurez tirer répondront au bien de chacun, au soutien de la propriété foncière, comme de la propriété éventuelle. « Vous voterez pour la répartition égale de l’impôt, pour l’anéantissement de toute exemption, pour que le maintien des hiérarchies n’emporte que les prérogatives de rang et de noblesse. « Mais aussi vous vous éloignerez de cet esprit de vertige qui, tout à la fois injuste et inconséquent, fait tout anéantir sans reproduction. « Vous ne déchirerez pas le sein de la patrie : vous voudrez une égalité qui tende à la liquidation ; vous voudrez connaître l’emploi des sommes arrachées aux produits territoriaux ; en cela vous serez justes : mais vous ne sentirez votre force que pour la tourner contre les ennemis de l’État. « Vous vous chargerez de la dette immense accumulée pendant deux siècles d’erreurs et de corruption ; et, dès que vous l’aurez avouée, rendue nationale, il se trouvera des Français qui vous indiqueront des moyens sûrs de la rendre mobile et temporaire. « Mais vous n’accorderez pas un écu, un seul écu, que le consentement royal n’ait été donné à une loi (Phabeas corpus , qui garantisse à jamais la liberté du moindre individu des criminelles entreprises du pouvoir arbitraire. « Vous n’accorderez pas un seul écu, qu’une loi n’ait déclaré coupable de lèse-nation, et condamné aux peines les plus dures (encourues par le seul fait), tout ministre qui aurait l’audace d’attenter à la liberté d’un Français, et tout homme assez lâche pour coopérer directement ou indirectement à un tel excès. « Vous n’accorderez pas un seul écu, que la dépense personnelle du souverain n’ait été entièrement distraite de la dépense nationale. « Vous n’accorderez pas un seul écu, qu’il n’ait été statué par uDe loi que la nation s’assemblera au moins tous les trois ans, à une époque fixée et sans qu’il soit besoin d’aucune nouvelle convocation ; et surtout vous n’accorderez aucun subside qui pourrait être perçu après l’époque fixée par la loi pour une nouvelle tenue d’États généraux, etc. » Exhortation pressante aux trois ordres de la pro-■ vince de Languedoc, par M. S., ancien A. G. au P. de G. — 1788. Voici dans quel esprit cet écrit est conçu : « Dites-moi, citoyens du Languedoc, dites-moi ce que vous prétendez être. Vous croyez-vous citoyens ? Ré veillez-vous donc et devenez libres, sous l’égide des lois que tient la main seule de votre roi. « Voulez-vous n’être que des chrétiens? déjà vous en avez la pauvreté ; mais demandez donc à vos évêques de suivre.au moins cet exemple qu’ils auraient dû vous donner ; demandez-leur de ne pas prêcher (si jamais ils prêchent) une religion dont les richesses et leurs actions ne sont qu’un démenti public. « Mais si vous ne voulez être rien que des esclaves opprimés, ah ! restez, restez comme vous êtes, comme vous fûtes toujours ; et pour jamais oubliez le siècle où vous vivez, l’occasion qui se présente, et le roi qui vous gouverne. « Mais non ; il est impossible que vous soyez à ce point pusillanimes et traîtres à vous-mêmes ; il est impossible que vous ne soyez profondément indignés de tant d’oppressions passées, et touchés au moins de l’espoir de quelque liberté, de quelque justice dans un prochain avenir. « Gardez-vous surtout de consumer un temps, si précieux pour agir, en vaines recherches d’une érudition insensée ; gardez-vous de travestir en combats de chartes et de titres une question sur les droits de l’homme, et qui n’a de juges et de titres que dans le cœur même : quelle serait votre démence d’établir une guerre de plume, et, pour ainsi dire, un procès civil sur les arrêts de la nature humaine! Dites seulement, nous sommes hommes et citoyens, voilà nos titres ; confrontons maintenant la constitution de vos États avec vos tyrans. « Mais l’union dont je vous parle n’est pas celle [lr® Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] K75 de vos personnes dans des assemblées générales, mais l’union de vos volontés dans une volonté commune ; évitez même d’abord les lenteurs et les inconvénients infinis des assemblées nombreuses : vous avez un moyen plus prompt et plus facile d’unir vos volontés et vos forces en vous nommant des syndics dans tous vos diocèses, etc. » Mémoire sur la constitution des États provinciaux, et en particulier de ceux de la province de Languedoc, et sur le danger qui menace la liberté publique quand les provinces sont régies par des États inconstitutionnels ; par M. le comte d’ Entraigues. Imprimé en Vivarais. — 1788. Voici comment M. d’Entraigues exprime le régime arbitraire de plusieurs pays d’États : « ... Une assemblée d’États pour administrer une province : voilà sans doute une base de la liberté publique ; mais le pouvoir du roi suppléant au choix des citoyens, le pouvoir du roi constituant, sans leur aveu, les représentants des citoyens; mais le roi nommant ceux qui doivent lui accorder au nom du peuple les impôts qu’il demande au peuple : voilà une seconde liberté, une liberté parallèle à l’autre, quoiqu’elle en détruise totalement l’effet ; de telle manière que le résultat de ces deux libertés parallèles, qui forment le droit public en Languedoc, n’est autre que la servitude la plus complète, la plus cruelle, la plus dangereuse, et, qu’on ne s’y trompe pas, la tyrannie la plus imposante sans doute, celle où un citoyen tel que Sylla, s’emparant par la force des armes de tous les pouvoirs, maintient ses usurpations par la violence et la cruauté. Les actes multipliés d’une tyrannie aussi éclatante pénètrent les citoyens d’un effroi que d’abord nul moyen ne peut réprimer. « Se mettre seul à la place des lois, rendre ses volontés instantanées des actes de législation, juger les individus, faire du pouvoir judiciaire l’instrument des haines et des vengeances, ravir aux uns leurs propriétés, aux autres la vie, répandre en tout lieu des satellites et des espions, les rendre à la fois juges des délits et les exécuteurs des volontés du tyran, s’entourer de victimes, et répandre en tout lieu la désolation et la mort : ces fléaux horribles, je le répète, ne sont pas les plus redoutables aux peuples ; tous souffrent alors, tous sont opprimés ; mais l’injustice agit à découvert, l’ennemi commun se montre, il est connu ; déjà la haine circule, et la mort plane sur sa tête. « Eh ! qui peut douter en effet que dans les provinces de France régies par des États provinciaux qui, à l’appui de ce titre, ont usurpé le pouvoir de servir la cupidité ministérielle, et se sont habitués à offrir sans pudeur comme sans mesure le sang et le pain du pauvre; qui peut douter que ces États ne soient mille fois plus nuisibles à la chose publique que le pouvoir arbitraire de ces intendants dont on a tant décrié l’administration? Je suis loin de les excuser, ils ont fait de grands maux; mais il fut plus facile d’y remédier qu’aux vexations des États provinciaux illégalement constitués. « Quand un intendant , trahissant lâchement son ministère, emploie à vexer les peuples l’autorité que lui confia le roi pour les servir, il peut s’élever contre lui de si violentes oppositions que le ministre qui le protège soit forcé de l’immoler à sa sûreté et à la haine publique. Cette salutaire terreur, ce frein de l’opinion enchaîne ces despotes subalternes : un caprice les éleva, un souffle peut les détruire. « Mais quand des États sont tellement constitués, qu’en offrant une assemblée nombreuse, ils en imposent par leur consistance, sans cesser d’être asservis à l’autorité, aux mandataires de l’autorité; s’il leur plaît de faire une injustice, quelque cruelle qu’elle soit, par cela même qu'elle est faite par un corps, elle devient irréparable; la réclamation de l’opprimé échoue contre ces assemblées, comme la vague se brise contre les écueils. Forts pour soutenir l’injustice, faibles pour forcer le prince à respecter les droits des peuples, ils réunissent tous les fléaux de l’oppression, et n’offrent aucun des remèdes que la tyrannie d’un individu présente sans cesse pour s’en garantir. « Le temps est venu où le Languedoc doit se ressaisir de ses précieuses libertés, et les rétablir sur des bases inébranlables; ce moment perdu peut ne jamais renaître ; mais ce ne sera point en vain que la Providence qui dirige les événe-mets l’aura amené parmi nous. Nous nous montrerons dignes d’une constitution libre par la sage fermeté de nos réclamations et la constante énergie de nos démarches. « C’est à nous à seconder le«zèle du roi, à lui offrir les volontés générales, pour que la sienne s’y réunissant imprime à nos vœux l’indestructible caractère de la loi. » (Suivent d’autres observations de l’auteur que l’on pourra trouver assez opposées aux principes des premières; elles sont en faveur du droit dont jouissent les barons des États de* Languedoc de représenter exclusivement la noblesse aux assemblées des sénéchaussées, et à celle des États de cette province.) Considérations sur Vinjustice des prétentions du clergé et de la noblesse , suivies d'un dialogue entre un noble et un évêque ; par l’abbé Goûtes. - 1788. « En examinant, dit l’auteur, les intentions tdu souverain législateur du ehristiaaisme , an me conçoit pas sur .quels foadementsie eWgé prétend et des immunités et des «honneurs mondains 576 [l*e Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] qui lui furent expressément défendus par les lois du christianisme. « Dans l’institut de cette religion sainte, Jésus-Christ n’établit aucune distinction de rang entre ses disciples, qu’il avait choisis dans la lie du peuple, pour leur montrer que l’humilité était la première vertu du christianisme. Il leur recommanda la douceur et la charité envers les hommes ; de les appeler à lui par la douceur et la persuasion ; il leur ordonna de renoncer à tous les biens périssables de ce monde, pour ne s’occuper que de la prédication de sa loi, et persuader les peuples par la charité et l’exemple de la pureté de leurs mœurs. « Les ecclésiastiques doivent se souvenir que Dieu leur a dit de rendre à César ce qui appartient à César, et que leur royaume n’était pas de ce monde. Si, en renonçant aux lois qui leur furent dictées par leur divin législateur, ils ont abusé de l’ignorante crédulité des rois et de la bonhomie des grands pour se faire donner des richesses, et de la faiblesse des gouvernements pour se faire accorder des immunités et des exemptions contraires à l’humilité chrétienne et au bonheur public, il est temps que la nation assemblée les rappelle à leurs devoirs primitifs, et les assujettisse aux lois du royaume, aux charges et impositions, comme membres de la nation dont ils font partie, quoiqu’ils prétendent en faire une portion distincte, indépendante du gouvernement. » Lettre d’un citoyen à un frondeur , sur les affaires présentes , par M. de Varville ; Paris. — 1788. « Que je vous plains, Monsieur, de ne plus croire ni à la probité ni à la vertu ! Vous voulez donc ne plus être ni honnête ni heureux ! Quoi! parce qu’une main tutrice laisse lentement échapper du trésor royqj. vos rentes qu’elle s’efforce de vous assurer, vous criez tout haut ce que disait tout bas le docteur Grossi : Quand saint Pierre descendrait du ciel pour m’emprunter dix pisto-les, me donnât-il la Trinité pour caution, je ne les lui prêterais pas l » - Le gouvernement sénati-clérico-aristocratique ; par Cerutti. Paris, octobre 1788. « Vainement on chercherait à effrayer le tiers-état, dans les circonstances actuelles, sur l’issue de la contestation, bien fondée, née de ses justes réclamations contre les deux autres ordres , la noblesse et le clergé. « 11 suffit de prouver que la condition du tiers-état ne peut être détériorée par l’issue de la contestation dont il s’agit. « Depuis nombre de siècles on a exigé, on exige, et les deux autres ordres prétendent encore aujourd’hui faire supporter au tiers-état une portion des charges publiques, telle, qu’elle est bien au delà de ses forces. L’expérience la plus fâcheuse a incontestablement prouvé ce fait. La noblesse et le clergé jouissent seuls et réclament à titre de privilèges la jouissance exclusive de toutes les charges, commissions, places et offices, qui peuvent conduire rapidement à la fortune, et à ce qu’on nomme l’honneur et la considération. Que reste-t-il donc au tiers-état dans l’ordre actuel des choses ? Beaucoup de peines, assaisonnées du mépris révoltant des deux autres ordres. Or, si le tiers-état n’a en ce moment que ses sueurs pour récompense de ses travaux, de ses peines, et de l’utilité dont il est dans l’ordre politique ; et si ses sueurs sont encore aigries par le ton altier, la morgue ridicule et les manières insolentes des deux autres ordres, ce qui est incontestable, que l’on me dise si, dans l’ordre social, on peut être soumis à une position plus affligeante que celle que je viens de peindre?... » Tout cet ouvrage est écrit avec la même simplicité de style, particulière à son auteur; les raisonnements en sont précis, et on le distingue par une apostrophe aux parlements, pleine de force et d’éloquence. Lettre des avocats du Parlement de Toulouse à monseigneur le garde des sceaux, sur les nouveaux édits, transcrits par les commissaires de Sa Majesté, dans les registres du Parlement , le 8 mai 1788. De semblables lettres furent écrites par les corps d’avocats des Parlements d’Aix, Grenoble, Rennes, etc... Dialogue entre S. Exc. monseigneur l’archevêque de Sens et le sieur Chrétien de Lamoignon ; avec l’Epître du diable à ces deux ministres. — 1788. Cave, cave namque in malos asperrimus parafa tollo cornua , Hor. Prenez garde à vous, car je tiens les cornes levées contre les méchants. Satire que son style piquant fait distinguer de la foule de celles qui parurent à lamême époque. Lettre du cardinal de Fleury au conseil de Louis XV 1. — 1788. Champs-Elysées, juin 1788. « Sans doute qu’il faut une grande sagesse, un génie extraordinaire pour faire de nouvelles lois ; mais il faut encore de plus grandes qualités pour en abolir d’anciennçs. Un projet utile en lui-même à toutes les classes des citoyens peut devenir funeste à une natioù entière, et nuisible pour un long avenir. « Détruire ou dénaturer un grand corps, causer [ire série, T. R] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! ces mouvements convulsifs qu’on appelle coups d’État, c’est agiter la masse nationale, qui s’en ressent quelquefois durant des siècles. « Les grandes innovations doivent être insensibles ; elles doivent naître du besoin, être, pour dire ainsi, proclamées par le cri public, ou du moins s’accorder avec le vœu général. Si vous anéantissez ou créez tout à coup, vous empirerez le mal et corromprez le bien. Si vous agissez sans consulter la volonté générale, sans recueillir la pluralité des suffrages dans l’opinion publique, vous aliénez les cœurs et les esprits ; vous discréditez toutes vos opérations, toutes vos intentions, même lorsqu’elles sont bonnes et honnêtes. « Dans tous les empires monarchiques c’est la persuasion qui doit mouvoir les volontés. Abandonnez au despotisme illimité l’usage homicide de la foudre, du fer et des échafauds : que l’utilité de vos lois soit d’une telle évidence qu’elle force la conviction des esprits, et opère une obéissance aisée et générale. Alors la raison et la vérité triompheront de l’audace des esprits ardents, qui ne s’emportent que dans "la contrainte, et ne s’irritent que de la persécution. » Lettre à M. le baron de P..., officier aux Gardes-Françaises. — Paris, 7 juin 1788. a Ne craignons pas de le dire : le roi n’est que le premier sujet de son royaume. Il commande aux autres, mais l’intérêt de ses peuples lui commande. 11 arme des soldats, mais c’est pour soutenir ses peuples contre l’ennemi qui les attaque, et jamais pour attaquer ses peuples eux-mèmes. « Le lendemain que Pharamond fut élevé sur un bouclier par les chefs de la nation, pour diriger l’armée contre l’ennemi commun, aurait-il cru pouvoir ordonner à ses soldats de se retourner contre leurs concitoyens, et d’aller à main armée les arracher de leurs foyers ? Le pouvoir du roi a-t-il changé de nature par la succession des temps ? Avons-nous cessé d’être une nation qui avait choisi son roi pour la gouverner et non pour la combattre? Le serment que chaque soldat fît de suivre Pharamond au combat, quelque formule qu’on lui ait donnée depuis, est-il différent de ce qu’il fut dans l’origine ? etc. » Mémoire présenté par les députés d'Artois à M. le comte de Brienne, secrétaire d'État , ayant V Artois dans son département , pour être mis sous les yeux du roi. — 1788. Cet ouvrage est plein de vérités hardies, tant sur les innovations faites dans l’ordre judiciaire, que sur la nécessité des réformes politiques à opérer par les États généraux. Lettre d'un ancien mousquetaire à son fils , conseiller au Parlement de... — 1788. Dissertation sur les droits des Parlements. lre Série, T, 1er, 877 La tête leur tourne. — 1788. — Avec cette épigraphe : Une venimeuse ambition a saisi l’esprit de plusieurs et les a tellement dénaturés de l’humeur française, qu’ils estiment blasphèmes ce que nos ancêtres ont cru droits sacrés.... Remontrances du Parlement d’Aix en 1614. Réponse aux questions du Courrier de l’Europe, relativement à la cour plénière ; par un militaire. — 1788. ... « Remontons à la constitution. Le roi fait la loi; le peuple y donne son consentement : Lexfit consensu populi , et constitutione régis. Sans le concours de ces deux circonstances point de loi. Les lits de justice, tels qu’ils se tiennent aujourd’hui, sont un hommage rendu à cette vérité. Si l’enregistrement n’était qu’une formalité mécanique que le roi pût suppléer par sa seule volonté, se donnerait-on tant de peine pour eünvoir au moins l’image ? . . . Or, je vois que c’est du roi que le nouveau corps, formé par un - acte absolu de sa volonté, reçoit le pouvoir de vérifier les lois. Ce corps est donc absolument sans pouvoir; et comment les intérêts delà nation pourront-ils être défendus par un corps à qui elle ne les a point confiés ? Je vois que ce corps, appelé cour plénière , sera composé en grande partie d'officiers, dont le nombre n’est pas même fixé, qui tiennent à la cour, à ses grâces, dont la fortune entière dépend du roi; de courtisans enfin qui ne regardent le peuple que comme une victime dont le sang lui appartient. Ces gens vendus balanceront, et pourront, quand on voudra, absorber les opinions de ceux qui pourraient être fidèles à leur devoir. Je vois dans l’article VII, et je frémis, que la cour tiendra ses séances dans le palais même du roi; qu’elle sera suffisamment garnie, et en état de rendre arrêt, encore que plusieurs classes tout entières des membres qui la composeront n’assistent à la délibération. Aussi on pourra en écarter celles des classes dont on craindra ou pressentira la résistance, soit en ne les appelant pas, soit en les forçant de s’absenter par des ordres, ou même des enlèvements. Est-il possible que ce soit dans une loi publique que je voie de pareilles dispositions ? Et c’est ce corps, composé de parties hétérogènes, qui se pourra monter et démonter par pièces, que l’on m’offre pour garant de ma propriété, de ma liberté ! N’est-ce pas une dérision ? etc. » Questions d'un bon patriote sur les principes relatifs à l'ordre judiciaire ; par M. Millin. — 1788. La philosophie aupeuple français , par M. Desmoulins. — 1788. Expergiscamw, ut errores nostros coarguere pos-37 [ire Série, T. I�.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m simus. Sola autem nos philosophia excitabit , sola somnum excutietgravem.($>EtiECA, de philosophiâ.) ... « U est temps que vous leviez la'tête, et que vous la leviez constamment; il est temps que vous rentriez dans vos droits, et que vous recouvriez votre liberté originelle; l’entreprise est formée, les premiers mouvements sont produits; mais ce n’est pas assez, il faut que vous résistiez jusqu’à ce que vous soyez sûrs du triomphe. Ah ! que vous seriez à plaindre si vous veniez à mollir devant vos ennemis ! Vous seriez cent fois plus malheureux que vous ne l’étiez avant d’avoir songé à secouer vos chaînes. Vous retomberiez dans cette honteuse et triste servitude de vos infortunés ancêtres, etc. » L’auteur développe ensuite les principes d’un plan de constitution. Différence de trois mois en 1788, par M. le marquis de Casaux , de la société royale de Londres , et de celle d'agriculture de Florence ; avec cette épigraphe : If men would be content to graft upon nature and assist her operations, what mighty effects mi-ght we expect ! (Spectator.) Si les hommes voulaient se borner à greffer sur la nature, et aider ses opérations , quels puissants effets nous pourrions en attendre ! (LE SPECTATEUR.) i Cet écrit est un de ceux qui se sont particulièrement fait distinguer par une discussion lumineuse et respirant le génie. Mirabeau le cite avec éloge dans ses ouvrages. Il commence par un parallèle des différentes époques de la société, qui offre plusieurs traits saillants. Un second chapitre traite de la différence trop peu méditée entre l’opinion et la vérité. Il cite ensuite quelques apophtegmes, qu’il regarde comme des exemples d’une vérité indestructible, et comme les premiers axiomes du droit public : « Le gouvernement est fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le gouvernement. » c La raison seule doit gouverner quiconque est en étal de l’entendre. » « La raison et la loi seules doivent gouverner l’homme en société. » « Quiconque vit en société doit à la société en proportion des avantages qu’il en reçoit. » « Quiconque vit en société est en droit d’exiger de la société en proportion des avantages qu’il lui rapporte. » « Lorsque ces cinq vérités, uniques points essentiels de toute bonne constitution, sont dans toutes les bouches, détruirez-vous dans tous les esprits la faculté d’en déduire toutes les conséquences ? étourdirez-vous avec des mots quiconque est capable de combiuer ces cinq idées, et d’y rapporter, de mesurer sur elles toute espèce d’antiquailles et de nouveautés ? « Ministres français, ne parlez plus de l’opinion : c’est sous l’empire de la vérité que vous êtes aujourd’hui. » (Suit un chapitre sur la formation des lois dans une monarchie.) « L’idée de roi suppose nécessairement celle de peuple, mais l’idée de peuple ne renferme pas nécessairement celle de roi; elle suppose au contraire, dans le cas le plus favorable à la royauté, qu’il existait avant elle un nombre d’hommes qui pouvaient se donner ou ne pas se donner un roi. Observons maintenant que le souverain d’un grand État ne ferait rien, ou ferait tout mai, s’il voulait agir par lui-même. Le souverain croit-il nécessaire, d’établir une loi, il charge son ministre de s’en occuper; le ministre prend les idées de ses sous-ordres, et quand il a réuni, combiné leurs idées avec les siennes, corrigé ou modifié les unes par les autres, le règlement est rédigé. C’est un fait de tous les jours, sur lequel il ne peut y avoir le moindre doute : il est donc visible que le règlement n’est pas, et qu’il ne peut pas être l’œuvre du prince. Il n’est pas même celui du ministre; il est simplement le produit de quelques-unes de ses lumières, et de beaucoup de celles de ses sous-ordres; ce n’est l’idée d’un tel que plus et moins celle de dix autres. Mais quelle est la volonté absolue du prince à cet égard, j’entends cette volonté inséparable de la royauté ? C’est uniquement qu’il y ait une loi sur tel objet. Or, une loi n’est rien de moins qu’une déclaration du résultat de toutes les connaissances qu’il est possible de recueillir sur l’objet à l’égard duquel il parait nécessaire de statuer. (Observons que cette définition de loi, définition qui dévoile en peu de mots tout le mécanisme de la meilleure législation, est d’autant plus juste qu’il n’est aucune espèce de gouvernement raisonnable où un homme de bien refusât de l’adopter, et où tout autre qu’un homme de bien osât publiquement refuser d’y souscrire.) Maintenant, si le prétendu résultat de toutes les connaissances qu’il était possible de recueillir, n’est réellement que le résultat d’un petit nombre d’idées incomplètes que le ministre a trouvées dans sa tête ou dans celles de ses sous-ordres, quel sort mériterait-il s’il avait aujourd’hui l’indiscrétion de le déclarer à tout un peuple qui raisonne, au nom d’un prince qui s’applaudit du bonheur de gouverner un tel peuple ? Un peuple si convaincu aujourd’hui que toute déclaration faite au nom du roi doit contenir la vérité connue, toute la vérité connue, rien de plus que la vérité connue. La vérité connue , car un tel peuple la fera [irê Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] connaître à un tel prince, si son ministre la lui cache. Toute; la vérité connue , car un tel peuple instruira un tel prince de tout ce que le ministre aura Oublié ou caché. Bien de plus que la vérité connue, car un tel prince verra que rien de ce qu’un tel peuple ne peut comprendre ne saurait le diriger, et que cependant tout ce qu’un ministre est capable de concevoir de raisonnable, un tel peuple peut le comprendre et l’apprécier. Je ne vois qu’un seul moyen de remplir ces trois conditions dans le siècle où nous sommes, surtout s’il s’agissait d’un règlement général qui dût contenir les bases de tout règlement particulier, et classer un tel peuple et son siècle dans l’esprit de tous les autres peuples, et dans le tableau de tous les siècles. Ce n’est que du sein d’une discussion publique, longue, et surtout libre, que peut sortir un règlement armé de tous les rayons de l’évidence. Donc nécessité d’une assemblée nationale composée des représentants de la nation. Répétons-le encore : qu’est-ce qu’une loi dans toute espèce de gouvernement où le bien du peuple n’est pas un vain mot? C’est le résultat de toutes les connaissances, qu’il est possible de recueillir sur l’objet qui fait la matière de la loi. Donc il est absurde de donner le nom de loi à rien de ce qui précède la collection de toutes ces connaissances, et odieux de s’opposer à rien de ce qui peut augmenter cette collection. D’ailleurs toute loi est évidemment une diminution de quelqu’une de ces propriétés de toute espèce, pour la conservation desquelles tout gouvernement qui n’est pas despotique est établi. Donc, à l’instant qu’il est reconnu que le prince n’est pas un despote, et qu’il ne peut ôter à la nation aucune de ses propriétés sans son consentement (car s’il pouvait lui en ôter une il pourrait la dépouiller de. toutes), aucune collection, même des meilleures idées, ne peut mériter le nom de loi avant que la nation lui ait donné son suffrage. L’intention du roi publiquement déclarée est de s’environner de toutes les lumières de son royaume, et de ne prononcer qu’après les avoir recueillies : c’est donc le trahir que de ne pas les répandre, c’est trahir l’État que de se rendre maître de les étoulfer. Done la liberté de la presse. ...» Des intérêts de la France dans la prétendue crise où se trouve l'Europe. « Quel est l’intérêt actuel, l’intérêt indubitable de la France, dans cette position tragi-comique de l’Europe, qu’on honore du nom de crise ? Rien de plus ni de moins que de se constituer elle-même, avant de songer à l'existence d'autrui, » 579 De la régénération annoncée par le ministre au nom du prince. « Tous les gens qui connaissent la valeur des mots savent qu’il n’y a pas de constitution en France, et tous les gens de bien, capables de prévoir les effets d’une bonne constitution, désirent ardemment que la France en ait une. Mais cette régénération, annoncée avec tant de solennité au nom du prince lorsque le ministre congédia les notables, serait un mot vide de sens, si l’on n’y attachait pas l’idée d’une constitution. Et que seraient ces droits, dont la restitution fut aussi solennellement annoncée par un princejuste à un peuple capable de les apprécier, et digne d’en jouir? Que seraient-ils ces droits, si ce n’était pas celui de s’occuper enfin de ses propres intérêts qu’on ne peut plus lui déguiser, de ses intérêts depuis si longtemps reconnus, et reconnus si inutilement, pour les mêmes que ceux du prince; celui de se communiquer respectivement et librement toutes les lumières qu’il sera possible de recueillir sur des intérêts aussi grands, des intérêts en apparence aussi compliqués, et cependant si faciles à simplifier quand la discussion en sera libre, balancée et publique ; celui de former de la réunion de ces lumières cette enceinte éclatante , dont le roi veut désormais s'environner au lieu de ce nuage d'idées obscures , incohérentes, contradictoires , qui enveloppa si souvent le trône , et désola tout ce qui eut assez de courage pour s’en déclarer hautement l’appui? Mais à quoi se réduirait le droit de discussion, si l’ignorance ou l’astuce pouvaient en prescrire les limites, en déterminer l’ordre, et proscrire tout ce dont elles redouteraient l’examen? Un lien indissoluble enchaîne tous les intérêts dans la société, et vous oseriez statuer finalement sur un seul point, avant qu’ils fussent tous examinés ? Donc une constitution qui règle par un pacte commun tout les droits, tous les intérêts. Suivant un usage reçu comme la volonté absolue du prince, quoiqu’il eût la certitude que le ministre qui lui succéderait renverserait bientôt cette volonté absolue, pour lui substituer une volonté contradictoire qu’il appellerait absolue aussi, et qui n’attendrait pour faire place à une autre que la nomination d’un autre ministre... Avec une bonne constitution, des principes discutés, des prétentions jugées, des droits reconnus, des devoirs fixés, et surtout des lois sans maîtres, que vous importera d’un ministre, si ce n’est son intégrité ? Or, quel, ministre craindra d’être intègre lorsqu’il sera sûr d’avoir la nation pour juge, et que les regrets de la nation le suivraient dans sa retraite ? Et quel ministre osera n’être pas intègre, lorsque le prince, enfin débarrassé du détail mesquin et impossible, quoique [1* -Série. T.- !«*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 880 toujours supposé, de la vérification de tous comptes ministériels, se reposera de cette vérification sur une assemblée nombreuse, librement choisie, éclairée sans cesse, sans cesse encouragée par ses électeurs, et aussi intéressée que les électeurs et le prince à tout vérifier? Donc des Etats généraux périodiques, etc... Enfin les notables ne sont ni les seuls instruits, ni les seuls à instruire, et le sort de la nation dépend aujourd’hui de l’instruction la plus générale et la plus complète. Ce vestige honteux d’inconséquence féodale qui paralyse la main des journalistes, devenus comme les nègres de la littérature, pendant qu’elle impose sur les productions de cette main des taxes multipliées qu'elle extorque sans daigner même les faire enregistrer, ne doit sans doute être attribué qu’à l’ignorance où sont les ministres qu’il existe encore. Lorsque des secrétaires d’académies (des secrétaires d’académies ! ) écrivaient, il y a trois ans, qu’ils ne se permettaient jamais (c’est-à-dire quon ne leur permettait pas) l’examen d’aucun ouvrage qui eût le moindre rapport à la chose publique, aux objets d’administration, c’est-à-dire à la manière dont trois ou quatre ministres s’arrangeaient pour disposer de 24 millions d’hommes et de la toute-puissance de leur roi, ces secrétaires d’académies étaient pardonnables alors ; mais le ministère d’aujourd’hui n’est-il pas enfin persuadé que la chose publique est la chose de tout le monde, et que le droit d’en parler et d’en écrire est inséparable du devoir de s’y intéresser? ... Je dis plus, peut-on s’y intéresser sans folie, si l’on n’a pas le droit d’en écrire et d’en parler ? » Lettre sur les Etats généraux, convoqués par Louis XVI, et composés par M. Target. Par le comte de Lauraguais. — 1788. C’est une critique de l’ouvrage précédent, et qui lui dut un moment d’intérêt. Catéchisme du tiers-état, à l'usage de toutes les provinces de France , et spécialement de la Provence ; par Antonelle. — 1788. — Avec cette épigraphe : Non ut Serpentes avibus geminentur, tigribus agni . (Horace, Art poét.) Résultat des premières assemblées de la société publicole, tenues les 20, 24, 31 décembre 1788, 2, 4 et § janvier 1789. Le dernier mot du tiers-état à la noblesse de France. — 1788. — Avec cette épigraphe : Qu’avez-vous fait pour tant de biens? vous Vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. (Figaro.) Catéchisme des Parlements. — 1788. Leur système de conduite y est assez ingénieusement dialogué. D. Qu’êtes-vous de votre nature ? R. Nous sommes des officiers du roi, chargés de rendre justice à. ses peuples. D. Qu’aspirez-vous à devenir? R. Les législateurs, et par conséquent les maîtres de l’État. D. Comment pourriez-vous en devenir les maîtres ? R. Parce qu’ayant à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, il n’y aura rien qui puisse nous résister. D. Comment vous y prendrez-vous pour en venir là? R. Nous aurons une conduite diverse avec le roi, le clergé, la noblesse et le peuple. D. Comment vous conduirez-vous d’abord avec le roi ? R. Nous tâcherons de lui ôter la confiance de la nation, eu nous opposant à toutes ses volontés, en persuadant aux peuples que nous sommes leurs défenseurs, et que c’est pour le bien que nous refusons d’enregistrer les impôts. D. Le peuple ne verra-t-il pas que vous ne vous êtes refusés aux impôts que parce qu’il vous les aurait fallu payer vous-mêmes? R. Non ; parce que nous lui ferons prendre le change, en disant qu’il n’y a que la nation qui puisse consentir les impôts, et nous demanderons les États généraux. D. Si, malheureusement pour vous, le roi vous prend au mot, et que les États généraux soient convoqués, comment vous en tirerez-vous ? R. Nous chicanerons sur la forme, et nous demanderons la forme de 1614. D. Pourquoi cela? R. Parce que, selon cëtte forme, le tiers-état sera représenté par des gens de loi, ce qui nous donnera la prépondérance ? D. Mais les gens de loi vous haïssent. R. S’ils nous haïssent ils nous craignent, et nous les ferons plier à nos volontés, etc., etc., ete. Vérités philosophiques et patriotiques sur les affaires présentes; par M. Thouret. — 1788. — Avec ces épigraphes : Ad homines. Oüm homines, obscuro ignotoque genereprognati, Terræ filii dicebantur, proptereà quod terra sit [omnium Communis parens. Ad nobiles. Sint tibi Gallorum rex et regina parentes, Et maneat virtus pectore nulla tuo ; Non pluris faciam te quàm tibi ruslica mater Si sit et ignotus rusticus ipse pater, Lettre d'un curé du diocèse du Mans à MM. ses confrères , à l’occasion de la prochaine tenue des Etats généraux. — 1788. Une foule de lettres pastorales de ce genre furent publiées à cette époque, qui prouvaient l’extrême mécontentement de la classe des curés, le patriotisme de plusieurs, et qui, par le caractère de leurs auteurs, eurent une grande influence sur les opinions. Avis aux députés qui doivent représenter la nation dans l'assemblée des États généraux. Par M. Desmeuniers. — 1788. Ouvrage très-étendu, qui s’est fait distinguer d’un nombre presque infini de brochures qui parurent sous le même titre. Les principes d’une constitution mixte y sont très-bien développés. Mémoire de M. de La Croix , professeur de droit public , sur la convocation des États généraux. — 1788. Réformes dans l'ordre social , et particulièrement dans le commerce ; par M. Lazorerie, avocat et secrétaire du conseil des finances. — 1788» Cet ouvrage est en deux volumes, chargés de citations, et quelquefois d’éloquentes peintures des effets de la liberté publique, des avantages de l’égalité civile. Requête d'une société rustique a toutes les assemblées générales, provinciales du royaume. — 1788. Résultat des délibérations d’une société discutant à Angers les droits politiques. Le Moniteur, ouvrage périodique qui parut secrètement en 1787 et 1788 avec cette épigraphe : Major rerum nascitvr ordo , (ÉnÉIDE, liv. VII.) On attribue à Condorcet, Brissot et Clavière, d’en avoir été coopérateurs. Lettre à un ami sur V Assemblée des notables. Paris, 6 novembre 1788; par le marquis de Cormoran. « A entendre les partisans du système féodal, dit l’auteur, ne semble-t-il pas que la France n’ait point connu les assemblées nationales avant celles qui ont porté le nom d’Ètats généraux, tandis qu’au contraire ces États eux-mêmes n’étaient qp’une image imparfaite, une altération des premières assemblées libres de la nation ? Ce n est que par une méprise digne d’un siècle si barbare qu’on a scandaleusement relégué au troisième rang le corps de la nation qui, sous Charlemagne, était tout, et qu’alors on a inventé ce nom de tiers-état, qui doit être à jamais proscrit des annales d’un peuple libre. » [Introduction.] 581 Commentaire roturier sur le noble discours adressé par monseigneur le prince de Conti à MONSIEUR, frère du roi, dans l'Assemblée des notables , le.... 1788. Il s’agit dans cette petite satire d’un discours prononcé par le prince de Conti dans un des bureaux des notables, pour obtenir la -prohibition sévère de tout écrit sur la chose publique. Nous allons en rapporter quelques phrases pour faire connaître l’esprit de ce discours. Texte. « Monsieur, je dois à l’acquit de ma conscience. » Commentaire. Quelle conscience ! vous allez voir comment elle s’acquitte. T. « A l’acquit de ma conscience, à la position critique de l’État... » C. Il est vrai que la position do l’État est même un peu plus que critique. Mais à qui la doit-on ? Serait-ce aux révoltes, 3ux folies du tiers-état, ou bien aux profusions en faveur des grands seigneurs, de la noblesse, du clergé et des princes; en un mot, aux désordres connus, toujours causés par eux, ou pour eux? ( L’auteur de la satire rapporte ici la fable des animaux convoqués par le lion, pour aviser aux moyens d’éloigner la peste, et il en fait d’ingé-nieuses'applications. ) T. « Je dois... à la position critique de l’État, et à ma naissance... » C. Ma naissance, admirable titre quand il s’agit des droits de la nature humaine ! 11 y a sans doute des principautés innées, des altesses innées, des monseigneurs innés, comme il y a des rotures et des canailles innées. Continuons le texte du discours : T. « Je dois... à ma naissance de vous observer que nous sommes inondés d’écrits scandaleux, qui répandent de toutes parts le trouble et la division. « La monarchie est attaquée ; on veut son anéantissement, et nous touchons à ce moment fatal ; mais il est impossible qu’ enfin le roi n’ouvre pas les yeux... et que les princes ses frères n’y coopèrent pas. « Veuillez donc, Monsieur, représenter au roi combien il est important, pour la stabilité de son trône, pour son autorité, pour la paix et le bon ordre, que tous les nouveaux systèmes soient proscrits à jamais, etc. » L’auteur s’égaye en commentaires sur toutes les expressions de ce discours; il termine par énoncer d’excellents principes politiques, sous le titre d 'Extrait des nouveaux systèmes à proscrire. Cet écrit fut condamné par le Parlement, et l’auteur forcé de se cacher. [1m Série, T. Ier.[ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ire Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! 582 Le Gloria in excelsis du peuple , auquel on a joint l'épitre et l'évangile du jour , avec la réflexion et la collecte ; suivi des litanies du tiers-état. Par un curé du diocèse d'Auxerre. — 1788. Ouvrage à la portée du peuple, contenant des vérités hardies et d’ingénieux rapprochements. Il est suivi de Prières à l'usage de tous les ordres , contenant le Magnificat du peuple , le Miserere de la noblesse , /cDe profundis du clergé , le Nunc dimittis du Parlement , la Passion , la Mort et la Résurrection du peuple, et le petit prône aux roturiers , en attendant le grand sermon a tous les ordres. Le véritable ami du peuple , ouvrage qui parut par cahiers en 1788 et 1789 ; par Loustalot , avec cette épigraphe : Latet anguis in herbâ. (ViRG.) Le serpent est caché sous l’herbe. Lettres de M. deSerant à M. Delay d'Agier , avocat au siéqe présidial d' Angers, et’ réponses de M. Delay. — 1788. Ouvrage digne de la réputation des deux correspondants. Les opérations du ministère y sont critiquées avec sagacité, et des vérités philosophiques, aussi hardies pour cette époque que profondes en elles-mêmes, y sont répandues. On y remarque une des causes principales pour lesquelles les Capitulaires de Charlemagne paraissent être, par rapport à la grossièreté des temps, des chefs-d’œuvre de politique et de législation. « Pourquoi sont-ils devenus les lois constitutionnelles de l’État? Pourquoi aujourd’hui, dans des temps de troubles et de calamités, la nation les invoque-t-elle comme le rempart de ses privilèges et de sa liberté? C’est que ce grand prince, dont le génie égalait l’empire, méditait ses règlements avec la plus profonde sagesse ; il les soumettait d’abord à l’examen de ses peuples, qui les modifiaient et consentaient à leur exécution, avec les restrictions qu’ils croyaient convenables à l’intérêt général et aux principes fondamentaux de la monarchie ; la loi était ensuite rédigée avec la plus scrupuleuse exactitude, conformément à ce qui avait été résolu et arrêté par les trois ordres. » On trouve encore dans cet ouvrage beaucoup de citations heureusement choisies, pour caractériser le despotisme de la France gottiique. Philippe de Poitiers, député de la noblesse de Champagne, répondit avec emportement « que c’était une frénésie de prétendre renverser l’ordre de la nature, en assignant aux différents membres du corps politique des fonctions qui leur sont étrangères ; de vouloir que le clergé et la noblesse, qui sont les yeux et les bras de ce corps, fassent encore la fonction des pieds ; que les fonctions du clergé sont de prier et d’instruire ; que celles de la noblesse sont de défendre la patrie et de verser son sang pour elle ; que celles du peuple consistent à payer les impôts et procurer par son travail des subsistances à toute la nation. » L’avocat du tiers voulut répliquer, lorsque le - chancelier lui imposa silence, et donna gain de cause au clergé et à la noblesse. La Sentinelle du peuple , aux gens de toutes les professions, sciences, arts, commerce et métiers, composant le tiers-état de la province de Bretagne. Par un propriétaire en ladite province [M. Mousodive ). Ouvrage qui parut par cahiers, et se distribua clandestinement en 1787 et 1788. Il en parut trente numéros. Tous les arguments des avocats de la noblesse y étaient habilement réfutés. Réflexions d' un philosophe breton à ses concitoyens, sur les affaires présentes ; par M. Kervelegan ; Janvier 1788. — avec cette épigraphe : Parcere subjectis, et debellare superbos. (ViRG.) « Est-il bien vrai, ô mes concitoyens, dit l’auteur de celte philippique, que vous songiez à briser les chaînes humiliantes que l’orgueilleuse noblesse vous fait porter depuis un temps immémorial? Êtes-vous enfin résolus de sortir de l’esclavage dégradant où vous avez rampé jusqu’ici? Êtes-vous las de composer la partie lva plus nombreuse, la plus solide, la plus essentielle de l’État, sans y faire la moindre sensation ? Voulez-vous, en un mot, recouvrer votre première liberté, cette liberté le plus beau des titres de l’homme, cette liberté sans laquelle il n’y a qu’une existence arbitraire, incertaine, malheureuse ? La noblesse et le clergé, ces deux ordres rapaces, se sont approprié tous les avantages de la société, se sont emparé de toutes les issues qui conduisent aux honneurs, aux distinctions, ont fait tarir pour nous toutes les sources de l’aisance et de la prospérité : on nous a vexés, macérés, à peu près comme des bêtes de somme. Ges ennemis du bonheur des peuples ne payent rien à l’État, quoiqu’ils possèdent les plus grands biens, des biens immenses : tout est à eux, rien à nous; et, avec ce rien, nous sommes obligés de faire face à tous les besoins de la chose publique. Réduits à la plus affreuse misère, au désespoir, nous venons demander au Gouvernement protection contre ces usurpateurs qui ont Violé à notre égard toutes les lois de l’association. Si vous eussiez employé cette voie, il y aurait longtemps que vous seriez soulagés ; ce que vous avez omis jusqu’à ce jour, vous êtes encore plus que jamais à même de le faire. » fl re Série, T, 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 883 Objets proposés à l'Assemblée des notables par de zélés citoyens. A Paris , de l'imprimerie poly-type. — 1788 : 1° Un mémoire sur l'utilité des États provinciaux; par M . le marquis de Mirabeau père. Imprimé en 1750. 2° Un examen des administrations provinciales; par M. de Saint-Priest. Ouvrage in-8°, imprimé en 1782. 3° Un ouvrage sur le même objet ; par M. le président Lelellier. La France libre ; par M. Camille Desmoulins , avocat au Parlement de Paris , électeur du Verman-dois. — 1789. L'Innovation utile , ou la nécessité de détruire les parlements. Plan proposé au roi, par M. le comte de Mirabeau. — Janvier 1789. On trouve dans cet ouvrage une violente diatribe contre les corps judiciaires vénaux, que l’auteur propose de remplacer par des juges temporaires et électifs. Sur la représentation illégale de la nation provençale dans ses états actuels, et sur la nécessité de convoquer une assemblée générale des trois ordres. — Imprimé en janvier 1789. « Je ne suis point du nombre de ceux qui pensent, dit Mirabeau dans ce discours, que les communes se révoltent contre l’autorité ; je crois plutôt, si j’ai bien deviné leurs représentants’, que c’est le défaut de liberté qui rend dans nos États leur marche chancelante, irrégulière, incertaine. On n’est jamais plus porté à former des difficultés sur les préliminaires, que lorsqu’on n’a pas la force d’énoncer ce qu’on redoute dans les résultats. Ce n’est pas, gardez-vous de le croire, ce n’est pas pour des formes minutieuses que les communautés sont agitées ; et si elles pouvaient l’être, notre amour pour la paix saurait bien lui sacrifier ces frivoles obstacles, il ne s’agit de rien moins que de savoir si nous sommes les véritables représentants ou les usurpateurs de ces pouvoirs ; et�cette question est véritablement faite pour arrêter tout citoyen qui, même en ne voulant que le bien, craint d’exercer quelque genre de despotisme que ce soit, fût-ce celui de la bienfaisance. .. .Mes principes n’étonneront point ceux qui ont étudié les titres des nations dans le code non écrit du droit universel ; et celui-là seul est éternellement légitime. ...Pour exprimer plus sûrement ce que nous sommes, voyons ce qu’incoatestablement nous devrions être. Lorsqu’une nation n’a point de représentants, chaque individu donne son vœu par lui-même. Lorsqu’une nation est trop nombreuse pour être réunie dans une seule assemblée, eile eu formé plusieurs, et les individus de chaque assemblée particulière donnent à un seul'le droit de voter pour eux. Tout représentant est par conséquent un élu ; la collection des représentants est la nation, et tous ceux qui ne sont point représentants ont dû être électeurs par cela seul qu’ils sont représentés. Le premier principe en cette matière est donc que la représentation soit individuelle; elle le sera s’il n’existe aucun individu dans la nation qui ne soit électeur ou élu, puisque tous devront être représentants ou représentés. Je sais que plusieurs nations ont limité ce principe, en n’accordant le droit d’élection qu’aux propriétaires ; mais c’est déjà un grand pas vers l’inégalité politique. Le second principe est que la représentation soit égale, et cette égalité, considérée relativement à chaque agrégation, doit être tout à la fois une égalité de nombre et une égalité de puissance. La représentation sera égale en nombre, si chaque agrégation de citoyens choisit autant de représentants qu’une autre aussi importante. Mais comment fixer cette importance? Elle ne résulte pas seulement de l’égalité qu’il pourrait y avoir entre le nombre des électeurs dans chaque agrégation. Cette égalité doit être combinée avec celle des richesses et avec celle des services que l’État retire des hommes et des fortunes. L’incertitude des données ne permet peut-être pas une égalité parfaite, mais on peut du moins et l’on doit en approcher. Voyons maintenant, Messieurs, si nos états actuels représentent la nation provençale, ou ce qu’on appelle les trois ordres de cette nation ; n’oublions pas surtout qu’en nous livrant à cet examen nous devons mettre à l’écart la tyrannie des règlements, le despotisme des usages et l’esclavage des préjugés. Trois ordres sont dans les états, mais la nation n’y est point, si ceux qui se disent ses représentants n’ont pas été choisis par une élection libre et individuelle. La nation n’y est point, si les représentants des agrégations égales en importance ne sont pas égaux en nombre. La nation ne peut être liée par un vœu, si les représentants des agrégations égales ne sont pas égaux eu suffrages. Ainsi je demande d’abord si le roi a convoqué la noblesse ou les seuls possédants fiefs, etc. Enfin je demande comment on a convoqué les communes, et qui sont les représentants de cet ordre, tellement important que sans lui les deux premiers ordres ne forment certainement pas la nation, et que seul sans ces deux premiers ordres, il présente encore une image de la nation. [fre Série, T. I«. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [introduction. J m Si, au lieu de convoquer les représentants des villes, l’on n’a convoqué que les consuls, par cela seul il n’y a point eu d’élection, ou l’élection n’a pas été libre. Les communes dans les états ne sont point une assemblée de simples députés, mais une assemblée de représentants. Ce n’est pas pour connaître la volonté des chefs, mais pour recueillir les voix des différentes agrégations, qu’une province enlière se concentre dans des états; les administrateurs des villes réunies forment, si l’on veut, une assemblée d’aristocrates, mais il ne formeront jamais une assemblée de la nation. L’élection des consuls eût-elle été libre, je demanderais quels ont été les électeurs. Si les prétendus représentants n’ont que les, suffrages du conseil ordinaire de chaque municipalité, l’élection n’a dono point été individuelle ; le mandat n’est que partiel, à moins qu’on ne soutienne que trente électeurs peuvent élire sans pouvoirs pour six mille, que le droit d’administrer la municipalité comprend expressément ce droit précieux, , domaine sacré de la société entière, dont aucun citoyen ne peut se dépouiller que lorsqu’il est dans l’impuissance physique de l’exercer, le droit de dire : La volonté de tel autre sera la mienne, etc. Quelques villes députent aux États, d’autres plus importantes sont confondues dans les assemblées de vigueries. Ici l’élection est directe; là, sans raison, sans motifs, elle est concentrée, et par conséquent inégale, et par conséquent injuste. Cette violation des droits du citoyen est bien • plus forte encore, si je l’applique aux vigueries. Une viguerie de vingt mille habitants, d’une médiocre étendue territoriale et d’une faible contribution, a autant de députés qu’une viguerie de deux cent mille individus et d’une grande richesse. En arithmétique on ne représente pas les grands nombres comme les unités, par un seul signe. En économie politique, lorsqu’on respecte les hommes, on n’assimile pas cent individus à dix individus. Si le despotisme ne connaît point les nuances, la justice en exige. Ne voulût-on consulter que les probabilités humaines sur la corruption des hommes ou sur leurs faiblesses, on ne trouverait pas qu’il soit égal d’être représenté par dix députés ou par un seul, lorsqu’on a le droit d’en avoir dix, pour se mettre en équilibre avec les agrégations qui n’en n’ont qu’un. Si j’examine l’égalité de la représentation, par rapport à l’égalité de puissance ou de suffrage, je découvre encore que, sur ce point comme sur tous les autres, nous nous sommes écartés de tous les principes. Je ne dirai pas que l’ordre de la nation doit l’emporter sur les ordres qui ne sont pasla nation, je léguerai ce principe à la postérité. Je ne veux être, du moins dans les assemblées politiques, ni plus juste ni plus sage que mon siècle. Mais je demande s’il est juste, même dans le siècle où nous sommes, que les deux ordres qui ne sont pas la nation l’emportent sur la nation. Cet abus, je le sais, existe ailleurs que chez nous,, mais j’aimerais autant que l’on dît: Puisque l’op est injuste ailleurs, nous avons le droit de l’être, etc. . . . Délibérons nous-mêmes, ~ou de convoquer ou de demander une assemblée des trois ordres, et bientôt des acclamations se feront entendre. Bientôt tous les droits seront conciliés ; notre députation aux États généraux du royaume sera le fruit d’une véritable représentation ; l’édifice de notre constitution, ce grand ouvrage national, s’élèvera couronné de tous les attributs de la puissance politique; le génie bienfaisant de la paix réunira, par les doux liens de la liberté et de l’égalité, tous les citoyens, tous les intérêts, tous les cœurs ; et les noms de ceux qui auront fait recouvrer à la nation ses droits üe resteront pas sans gloire. » Discours sur les États généraux ; par M. de La Boissière, conseiller , avocat général au Parlement de Dauphiné. — Janvier 1789. — Avec cette épigraphe : , « Un seul cri s’est élevé autour de moi : Nous n’v paraîtrons qu’en qualité de mandataires de la patrie. » Cet ouvrage, assez volumineux, est plein de vie et de sentiment ; le génie de la liberté y brille dans tout son éclat, y déploie toute sa force : il annonce un philosophe hardi et profond, qui avait dès-lors prédit la révolution. En voici quelques passages détachés : ... « Il n’y avait plus de patrie ; l'égoïsme, l’intérêt, l’exemple précipitaient tous les Français à la fois vers un centre commun, où l’on s’arrachait mutuellement les débris du fisc et les hochets de la faveur ; tandis que les malheureux qui n’avaient pas la force de courir, ou l’avantage. d’être poussés, se desséchaient et mouraient d’envie. • « Il semblait que dans la profonde léthargie où la France était plongée, la politique n’avait plus qu’à soulever des mains lassées et énervées pour les ljer de chaînes éternelles. « Gomment sentîmes-nous son approche? Quelle puissance nous éveilla? Ce fut, Messieurs, le bruit de ces fers inconsidérément agités; ce fut lorsqu’un despotisme malhabile, ennuyé de la lenteur et des ruses des formes, voulut, en simulant pour elles un respect outrageant, associer la justice à ses complots, et employer son glaive à trancher le faible lien qui nous attachait encore au simulacre de la liberté ; ce fut lorsque deux ! ministres sans principes, fouillant dans dos siè- 585 [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] clés reculés des institutions de servitude, leurs recherches imprudentes découvrirent la source de nos libertés, et la firent jaillir inopinément sur un sol qu’ils condamnaient à la stérilité. Le système exalté d’une cour plénière nous fit ré ¬ trograder vers celui des associations... « Vous montrerai-je encore les haches de la soldatesque levées sur les portes du temple des lois ? « Montgommery avait autrefois saisi Dubourg au milieu du sénat, et sous les yeux de Henri II; mais le délire fanatique de ce siècle, la cause du ciel vengée, tout, jusqu’au supplice du magistrat, semblait justifier cet excès. Dubourg fut puni pour avoir blasphémé et non pour avoir opiné. Le gladiateur Bussi avait osé traîner le sénat entier dans des prisons; mais la France était alors livrée à des étrangers avides ; le roi avait abandonné son trône et sa patrie, et Bussi s’exila dès que Henri IV parut... ...« Si je rafraîchis les couleurs d’un tableau tant de fois offert à la curiosité, c’est pour vous ramener vers une époque plus heureuse, et pour que vous puissiez mesurer lafélicité publique par la profondeur de l’abîme sur les bords duquel vous avez les premiers arrêté la France, qui s’y précipitait. Ainsi un historien de Rome ne se proposait de parler de Domitien que pour conduire son lecteur effrayé vers le règne fortuné de Tra-jan; ainsi les bosquets de l’Élysée étaient autrefois précédés par les horreurs du Ténare. « Qu’ils s’éloignent donc un instant de notre vue, ces monuments d’une tyrannie qui n’est plus! mais qu’ils restent dans notre souvenir, pour nous retracer nos devoirs envers ce peuple généreux ! Qu’ils restent pour attester aux ennemis de la nation qu’elle n’est pas impunément opprimée! Qu’ils restent pour montrer à nos descendants nos malheurs et notre énergie; et si jamais, croupissant dans une honteuse apathie, ils pouvaient regarder en face la servitude, qu’ils se tournent, qu’ils rougissent et qu’ils se lèvent! La vertu de Gaton s’échauffait à la vue du tribunal arrosé du sang des Gracques; l’échafaud de d’Egmont est la pierre angulaire des franchises bataves; et le chapeau, devant lequel un insolent gouverneur voulut ployer la tête élevée des Suisses, est aujourd’hui parmi eux l’étendard de la liberté : à ce titre, consacrons, au milieu de ces monuments éternels, les chaînes dont nous avons été menacés... « S’il fut jamais une époque à laquelle la France ait pu se promettre une régénération totale, c’est sans doute celle que les abus du despotisme viennent de nous offrir. « Il semblait qu’après les fureurs de la ligue, et à l’approche de Henri, la nation devait lui présenter un pacte social ét éternel. Henri, né dans la médiocrité, élevé dans lés camps, poursuivi par le fanatisme, persécuté par l’intrigue, s’avançait au trône avec une âme nourrie des leçons salutaires du malheur. Elle s’ouvrait aisément aux douces impressions de la pitié qu’elle avait quelquefois excitée, e‘ de l’amitié qui lui fut toujours utile. Cette âme généreuse était guidée par une imagination vive et par la connaissance des hommes. Quelles dispositions pour fonder sur le marchepied du trône une constitution durable ! Mais, si ce roi était né pour régner sur la nation, la nation n’était pas encore faite pour lui. Elle ignorait qu’elle ne devait chercher un durable bonheur que dans elle-même, non dans le caractère variable d’un homme. « Il n’exista entre le règne de Henri et celui de son successeur d’autre différence que celle qui peut être entre le despotisme qui fait le bien,- et, celui qui fait le mal. « Enfin la nation va traiter avec son roi ! Ce peuple, que ses ministres lui ont dépeint comme séditieux, va parler comme souverain aux despotes révoltés... . . . « Ce fut sous la troisième race, quand nos rois ramassèrent les branches diverses de leur autorité , transplantées sur la surface d’un royaume déchiré en lambeaux, que chaque domaine, se consolidant avec la souveraineté, fit acheter ses avantages physiques par les abus qui y avaient germé. Les lois féodales instituées par les seigneurs, les coutumes introduites par l’usage , les privilèges que l’habitude et les hasards de la guerre avaient tantôt sanctionnés et tantôt abrogés, les obligations pécuniaires que ces privilèges et les affranchissements avaient nécessitées, l’usage des extortions fiscales entrèrent à la fois dans le régime de la France. « Ce fut lorsque le code de Justinien fut exhumé, qu’une masse énorme de lois, de res-crits,de décisions tomba tout à coup sur des provinces écrasées, se mêla à leur constitution particulière, et fit oublier l’antique simplicité de notre législation primitive... « Ce sont tous ces grands objets de législation, de finance, de commerce et de police universelle qui vont être réformés par l’assemblée dépositaire des vœux de la nation. « Mais à quels titres se présenteront à cette assemblée auguste ceux que les divers ordres de l’État auront élus ? Seront-ils les conseillers du prince? Seront-ils les représentants du peuple? « Un seul cri s’est élevé autour de moi : Nous n’y paraîtrons qu’en qualité de mandataires de la patrie... » Après cette introduction suivent des dissertations très-savantes sur les pouvoirs des États généraux , et les principes d’une constitution dans laquelle se trouvent tous les germes d’unè répu-bliq’ué. ■' ' " ; ' ' \i** Série, T. !«'.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 586 Lettrés sur la liberté politique , avec des notes de l'abbé Pacot , auteur de l’Histoire des Pays-Bas. Imprimées a Liège en 1783 et 1789, avec cette épigraphe : De minoribus principes consultant , de majoribus omnes. (Tacit. ) Cet ouvrage contient tous les principes de la liberté anglaise, soumis à l’examen éclairé de la théorie de l’auteur. On y trouve un excellent commentaire sur Montesquieu. V aristocratie enchaînée et surveillée par le peuple et le roi. Premier -cahier , traitant de l'aristocratie du régime des provinces ; second cahier , relatif à l'état du clergé et aux prétentions des barons. — Janvier 1789. — Avec cette épigraphe : - « Dans une monarchie où le souverain ne meurt jamais, commande les armées, distribue les grâces et . les emplois, faut-il des représentants héréditaires ou électifs, ou des représentants en partie électifs et en partie héréditaires? ou son pouvoir ne doit-il pas être contre-balancé par une autorité fréquemment renouvelée. » Voici la conclusion de cet ouvrage : Accorder aux députés une procuration illimitée, moyennant les conditions suivantes : 1° La liberté des personnes; 2° le retour périodique des États généraux sans convocation, puisqu’il y a tant d’entraves à les convoquer; 3° la déclaration authentique de notre liberté de consentir la loi et les impôts, délibérés, consentis, limités, gratuits, sans conséquence pour l’avenir, et répartis par les contribuables; la concession des impôts pour la clôture de l’assemblée seulement, et point auparavant. Le droit des nations , et particulièrement de la France, fondé sur les principes immuables de la raison , et sur l'histoire de la monarchie française. — Avec ces épigraphes. — Janvier 1789. « L’amour du bien public est entouré de tant d’appui connus et inconnus, que c’est une faiblesse de ne pas s’y livrer avec confiance. » (M. Necker.) « Dans une nation libre, il est très -indifférent queles particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffît qu’ils raisonnent : de là sort la liberté qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements. » (Montesquieu.) Nullus'homo capiatur, vel exulelur , vel impriso-netur , aut ultragetur , aut aliquo modo destrua-tur, nisi per legale judicium parium suorum. (La grande charte anglaise, art. 29.) La partie la plus remarquable de cet ouvrage est une dissertation sur la division des pouvoirs, et un traité sur la procédure criminelle, imité de Blackstone. Réflexions impartiales sur la grande question qui partage les esprits, concernant les droits du roi et de la nation assemblée en États généraux. Par M. d'Épreménil. — Paris , janvier 1789. Latet anguis in herbâ. « L’état actuel des affaires, dit M. d’Épréménil, présente de si grandes questions à résoudre, les vrais principes de la constitution sont tellement compromis, les têtes sont tellement exaltées ; en généra], il y a si peu d’instruction, ou du moins si peu de bonne foi, avec tant d’intérêts particuliers à concilier, que c’est rendre au roi et à la nation le plus important de tous les services que de leur présenter un véritable et très-impartial rapport de cette grande affaire, qui fixe aujourd’hui l’attention de toute la France, et même celle de l’Europe entière. Il y a des gens assez imbéciles, ou d’assez mauvaise foi pour assurer que le royaume de France n’a point de constitution ; cette absurdité, quelque choquante qu’elle puisse être, a cependant besoin d’être réfutée avec beaucoup de soin, parce qu’elle a fait de trop grands progrès dans certains esprits superficiels, pour qu’il n’y ait pas un très-grand danger à la laisser s’y propager davantage. Quelle que soit sa constitution, la France en a une, c’est un fait. 1° Cette constitution n’est pas despotique. Si, dans quelques circonstances, les rois ont exercé des actes d’un despotisme très-dur, ce n’est point un droit qu’il ont acquis, cela a seulement été un abus d’autorité, dont tous les esprits ont été révoltés. Le roi, pour son propre intérêt, et même pour sa gloire, ne peut désirer que la forme du gouvernement devienne despotique ; sa sûreté en serait compromise, il n’ajouterait rien à sa puissance réelle ; au surplus, la nation ne le souffrirait pas. 2° Cette constitution n’est point aristocratique non plus. En France un seul ordre ne gouverne point les autres, il ne les a jamais gouvernés ; il est vrai que successivement tous les ordres ont cherché à étendre leurs prérogatives particulières, que tous, autant qu’ils l’ont pu, ont tenté de se soustraire aux charges publiques, et même quelquefois ils y sont parvenus ; mais dans tous les temps, dans tous les lieux, par tous les corps, et par tous les individus, comme dans toutes les sociétés, il en a toujours été ainsi, et de pareilles entreprises, pour avoir été formées, même mises à exécution, n’ont jamais pu faire loi : il est encore vrai que c’est un mal qui, dès qu’il a été reconnu, indique la nécessité. de réparer promptement le passé et de mettre ordre pour l’avenir... 3° Getlë constitution n’est pas démocratique, et il serait fort dangereux qu’elle le devînt : l’éten- [lre Série, T. !«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] due du royaume de France ne comporte pas une pareille forme de gouvernement : elle ne procurerait l’avantage d’aucun individu, elle porterait le désordre et la confusion dans toutes les parties du royaume ; d’ailleurs on n’y arriverait qu’à travers des Bots de sang. 4° La constitution française est donc purement monarchique; cette forme de gouvernement tient au caractère de la nation, qui y est accoutumée depuis tant de siècles ; elle convient à la position du royaume, etc... » M. d’Épréménil partage ensuite ses dissertations en différents chapitres, dont voici les titres : 1° Exposé réciproque des droit du roi et de la nation. 2° Droits des différents ordres de la nation , relativement aux privilèges pécuniaires et aux impôts. 3° Il est plus utile aux intérêts de la chose publique que les suffrages soient mis par ordre, que de l’être par tête. 4° La décision des affaires ne sera point retardée en opinant par ordre. Cahier du tiers-état à l'assemblée des États généraux de l'année 1789 ; par M. Bergasse. — Avec • cette épigraphe : « 11 est, dans tous les États, un corps que l’on ne peut égarer sur ses vrais intérêts, c’est le peuple. » ( Mém . du comte d'Entraigues.) Extrait de l'avant-propos. Le tiers-état compte un grand nombre d’érudits qui ont parlé en sa faveur. Quelques-uns même ont montré un zèle désordonné, et leurs productions sont moins estimables, par cela même qu’ils ont voulu y mettre trop d’énergie. On a reconnu surtout les ouvrages publiés par des jeunes gens, dont l'imagination ardente et fougueuse prend pour autant de traits d’éloquence les élansd’un enthousiasme irréfléchi. La cause du tiers-état a intéressé vivement la nation, et même un grand nombre�le membres de l’ordre de la noblesse, qui ne se sont point refusés à l’évidence. L’ordre de la noblesse peut sa diviser en deux classes : celle des grands seigneurs, et eelie des simples gentilshommes. Ces derniers sont en quelque sorte intéressés à embrasser le parti du tiers-état, parce qu’ils sont opprimés dans la répartition des impôts que supporte l’ordre dont ils sont membres. Il en est de même dans l’ordre du clergé , qu’on pourrait diviser en deux classes : la classe des prélats et bénéficiers simples, et la classe des curés, vicaires et desservants. Ges derniers, comme les simples gentilshommes, payent plus de décimes, toute proportion gardée, que les évêques, lès abbéset prieurs com-mendataires ; ainsi ces deux classes inférieures des deux premiers ordres ont intérêt que les abus soient réformés. m J’ai essayé de tracer dans cet écrit les principaux abus à réformer, et j’ai ajouté quelques observations sur des objets qui ne sont pas moins essentiels, tels que l’éducation publique, les mœurs ! Les mœurs. Combien elles sont corrompues !... Les États généraux ne peuvent se dispenser de pren* dre cette partie du cahier du tiers-état en considération. 11 s’en faut que ce que j’ai dit sur cet article soit satisfaisant ; je n’ai fait qu’indiquer, ou plutôt représenter le mal ; les États généraux aviseront au remède. Je me suis permis aussi d’écrire un projet d’impôt à peu près unique ; j’ai montré la source où j’ai puisé. Quelque confiance cependant que j’aie dans l’utilité de ce projet, je ne dois pas taire qu’il en a été présenté un aussi séduisant, et qu’on trouve dans un ouvrage intitulé Souvenirs d’un homme du monde , imprimé depuis peu de jours. Qu’on ne s’attende point à trouver dans l’écrit que je publie aujourd’hui ces expressions nuancées, ces mouvements oratoires que j’ai tâché de répandre dans mes précédents écrits. Je n’ai pas le temps de relire mes phrases ; je vais m’attacher plus aux choses qu’aux mots. Les États généraux convoqués par Louis XVI. ParM. Target ; trois parties. — 1789. « Nous voyons approcher, dit l’auteur, un jour bien important pour la nation ; la France va s’assembler, et notre bonheur et celui de nos derniers neveux dépendent de la conduite que nous allons tenir dans cette grande époque : l’Europe entière a les yeux attachés sur nous ; les Français vont être jugés, et c’est dans peu de temps que la voix incorruptible du genre humain va leur assigner le rang qui leur appartient entre les nations. Nous avons acquis des lumières, mais c’est de patriotisme, de désintéressement et de vertu qu’on a besoin, pour rechercher et pour défendre les intérêts d’un grand peuple; il faut que chacun s’oublie, pour ne se voir que dans le tout dont il est membre ; il faut se détacher de son existence individuelle, renoncera toute secte, à tout parti, abjurer tout esprit de corps, pour n’appartenir qu’à la grande société, et pour n’être qu’un enfant de la patrie. ... Les Parlements, détachés de leur autorité, et renonçant à un ancien usage, ont renvoyé à la nation son droit antique et imprescriptible d’accorder les subsides nécessaires : c’est à leur dévouement et à l’élévation de leurs âmes que nous devons l’heureuse révolution qui Se prépare. Si le clergé, dans sa dernière assemblée, semble avoir perdu quelque Chose de son zèle et repris ses trop anciennes maximes, n’en soyons pas surpris : c’est le propre dé l’esprit de cOrps, de dominer au milieu de leurs membres quand ils sont réunis, et de se dissiper au contraire lors- 588 [1 » Sérié, T. l«r.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] qu’il est mêlé, confondu avec des préjugés d’un autre genre. Là il s’anime nécessairement par le rapprochement des mêmes idées, par le concert des mêmes principes ; l’honnêteté même est presque tentée d’y rougir, lorsqu’elle combat les vieilles maximes, qui sont comme l’âme immortelle des compagnies ; l’esprit des corps s’exalte d’autant plus qu'il a l’un des caractères du bien public, celui d’embrasser des intérêts communs, de sorte qu’il réunit, à la force de l’amour-propre caché dans le secret des âmes, la puissance et la douceur d’un enthousiasme enfanté par la vertu qu’elles croient avoir. Au contraire, si vous rapprochez, si vous unissez, si vous confondez ensemble les préjugés divers, s’ils éprouvent la contradiction des préjugés contraires; affaiblis, émoussés mutuellement dans ce conflit, ils cèdent, disparaissent et laissent à découvert, ce qui est commun à tous les hommes, la raison et la justice; de sorte que pour obtenir la vérité dans les délibérations humaines, il suffit bien souvent de réunir les diverses illusions et de mélanger les erreurs. D’un autre côté, tous les principes, de la constitution nationale sont avoués, reconnus, consacrés par le roi lui-même. Le roi veut que la nation exerce la totalité de ses droits (1) ; il déclare qu’il entend la rétablir dans l’entier exercice de tous les droits qui lui appartiennent (2). Il renonce à demander aucun impôt sans le consentement des États généraux (3) ; il les convoquera toujours pour en obtenir ceux qui pourront être nécessaires (4). C’est de cette assemblée nationale qu’il espère de voir renaître l’ordre dans toutes ses parties; c’est d’elle qu’il attend la consolidation de la dette publique (5); c’est à elle qu’il demandera des représentations et des avis sur ses projets de législation (6). Le roi n’entend se réserver de pouvoir que celui qui a toujours été dans la main du monarque (7), la manière la plus constitutionnelle, la tenue d’États la plus régulière (8); voilà ce que Sa Majesté veut procurer à la nation : son unique désir est de préparer les voies à cette harmonie, sans laquelle toutes les lumières et toutes les bonnes intentions deviennent mutiles (9). Elle sent le prix inestimable du concours des sentiments et des opinions, elle veut y mettre sa force, elle veut y chercher son bonheur, et elle secondera de sa puissance les efforts de tous ceux qui, di-(1) Arrêt du conseil du 20 juin 1788. (2) Arrêt du 20 juin. Arrêt du conseil du 8 août 1788. (3) Réponse du roi au clergé, du 20 juin. Arrêt du conseil du même jour. (4) Arrêt du conseil du 20 juin. (5) Arrêt du 8 août 1788. (6) Même arrêt du 8 août 1788; (7) Airêt du 20 juin 1788. (8) Arrêt du conseil du 5 octobre 1788. f9) Arrêt du 5 juillet 1788. rigés par un véritable esprit de patriotisme (1), seront dignes d’être associés à ses intentions bienfaisantes (2). Enfin Je Parlement déclare, par l’arrêté que ses membres, réunis le 13 septembre, ont formé, dans l’attente d’un lit de justice annoncé pour le surlendemain, que chacun d’eux, loin de s’opposer à la destruction des abus qui peuvent s’être introduits dans� l’administration de la justice, désire voir des changements utiles s’opérer dans l’ordre judiciaire et dans la législation civile et criminelle; mais que, l’intérêt public devant seul déterminer ces réformes, il est essentiel « que la volonté nationale soit manifestée de la manière la plus authentique... « Ils protestent contre la suppression . création , extension de pouvoirs, réunion de quelques tribunaux que ce soit , opérées en exécution des édits sans le consentement préalable des États généraux ; contre tous changements dans la jurisprudence civile et criminelle que les États généraux n’auraient pas consentis ou demandés (3). Que l’on me cite une seule époque où les préjugés contraires au bien de la nation aient été si puissamment attaqués, si universellement ébranlés ; où l’intérêt personnel se soit plus noblement retiré à l'approche des intérêts publics ; où Ips droits de la nation aient été plus authentiquement reconnus, et les principes d’une constitution sage posés d’une manière plus nette et plus franche, par le monarque, par les parlements, par les citoyens distingués, par les assemblées politiques ou économiques; où la décision des grandes questions du droit public ait précédé la convocation même des États ; où la nation ait développé d’avance plus de lumières et plus de zèle ; où les comices généraux aient été convoqués sous de plus heureux auspices! » M. Target s’étend ensuite avec beaucoup de développements sur l’histoire des précédents États généraux, leur composition, leur forme, leur pouvoir. Il discute avec la même étendue la question de la double représentation du tiers-état, et du vote par tête, du principe de la répartition des députés par bailliages, en raison de la population et des impôts ; enfin il propose un projet d’instruction pour les députés, et un canevas de con-' stitution. Lettre d'un homme à huit cent soixante-quatre nobles bretons ; par M. Gleizen, — 1789. | Ouvrage très-philosophique, et qui fut très-ré-(1) Arrêt du 5 octobre 1788. (2) Arrêt du conseil du 5 octobre 1788. (3) J’ai vu des personnes qui prétendent que l’arrêté ne parle que du vœu des Etats, et non de la volonté nationale; mais l’exemplaire que j’ai entre les mains, et que je crois authentique, est conforme à ce que je veins de copier. [1** Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Introduction.] pandu, à raison de l’intérêt que l’on prenait aux troubles de Bretagne. Philosophie de la nature , publiée, par une société de gens de lettres , sous le nom de Mirabeau. Les droits politiques de l’homme y sont discutés, le principe des sociétés très-bien analysé. — Cet ouvrage paraît avoir été principalement consacré au renversement des dogmes religieux. Idées sur le mandat des députés aux Etats généraux; par M. Servan, ancien avocat général au Parlement de Grenoble. — 1789. Les hommes instruits et de bonne foi, dit l’auteur dans cet écrit plein de pensées lumineuses et d’expressions de modestie, avouent que la nation française n’a eu jusqu’à ce jour ni véritable constitution politique, ni le caractère qui lui convient, ni de justes lumières sur ses droits et sur ses devoirs. Depuis la convocation des États généraux, elle peut aspirer à ces avantages. La gloire du prince qui les accorde est assurée dans la postérité; mais l’honneur de la nation qui reçoit ce présent inouï dépend de l’usage qu’elle en saura faire. Le plus grand malheur est d’avoir perdu la liberté civile, et souvent de ne mériter plus de la recouvrer. Nos États généraux vont apprendre à l’Europe attentive ce que nous sommes et ce que nous méritons d’être. C’est dans cette assemblée, comme dans un miroir fidèle, que les hommes sages de toutes les nations contempleront la nôtre. Mais le premier acte qui va la faire connaître, c’est ln choix de ses représentants ; et le second, ce sont les instructions dont elle les chargera. A ■la simple lecture des divers mandats des députés de toutes les provinces, on pourra presque infailliblement en augurer le sort des États généraux et la destinée de la nation. Le modèle de mandat que je prends la liberté de proposer n’offre que le même fond d’idées qui circulent dans la plupart des esprits ; et malheur à qui prétendrait offrir des idées nouvelles, sur ses ressources, à une nation qui depuis une année ne cesse de réfléchir sur ses dangers ! On n’invente rien en morale, ni môme en politique; et la plus saine est toujours celle que tout le monde sait déjà. Seulement j’ai établi dans ce mandat deux clauses auxquelles les esprits ne m’ont point paru s’arrêter assez. Le premier point est une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. J’ai pensé que cet acte devait être l’objet préliminaire de l’examen de la nation. Au lieu d’une constitution dont on ne cesse de parler, sans expliquer ce qu’elle peut ou doit être, ne serait-il pas plus sûr d’établir d’abord le por-889 tique d’un tel édifice ? et ce portique serait la déclaration des droits impérissables de l’homme dans la société de ses semblables. L’esprit d’une telle déclaration serait donc de l’appliquer à toutes les constitutions légitimes, et de n’en déterminer aucune en particulier. Cet acte laisserait à la nation, agitée et neuve encore, le temps de se rasseoir, de mûrir ses idées, et de se rendre enfin digne d’élever le plus grand, mais le plus difficile monument des hommes, une heureuse constitution. Le second article que je me suis aussi permis de proposer est d’assembler les trois ordres de chaque province, du moins pendant les premiers temps de la tenue même des États généraux. Cette idée pourra d’abord paraître bizarre aux uns, dangereuse aux autres; mais j’avoue qu’en réfléchissant sur les obstacles peut-être insurmontables qui pourront naître de la diversité et quelquefois de l’opposition dans les mandats, je n’ai pu découvrir d’autre expédient que d’assembler en meme temps ceux mêmes qui les auront donnés, et d’établir entre ces diverses assemblées une correspondance plus facile et plus heureuse qu’on ne pense. Au lieu de trouver ce concours d’assemblées bizarre, je n’y ai su voir qu’un spectacle imposant et très-naturel. Au lieu de le croire dangereux, j’y ai vu le succès presque infaillible des États généraux, le salut de l’État et la source de la paix publique. Ce que je vois encore plus clairement, c’est que, me trompant fréquemment, mes idées ne sont peut-être que des erreurs à joindre à d’autres erreurs : mais, dans ce moment d’attention vive et générale, proposer une erreur peut servir à faire mieux remarquer la vérité même... Qu'est-ce que le tiers état? par M. l'abbé Sieyès ; — 1789. — Brochure de 130 pages , avec cette épigraphe : « Tant que le philosophe n’excède point les li-« mites de la vérité, ne l’accusez pas d’aller trop « loin. Sa fonction est de marquer le but; il faut « donc qu’il y soit arrivé. Si, restant en chemin, « il osait y élever son enseigne, elle pourrait être « trompeuse. Le devoir de l’administrateur, au « contraire, est de graduer sa marche suivant la « nature des difficultés... Si le philosophe n’est « au but, il ne sait où il est. Si l’administrateur « ne voit le but, il ne sait où il va. » « Nous avons trois questions à nous faire, dit l’auteur : « 1° Qu’est-ce que le tiers-état ? — Tout. « 2° Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique? — Rien. « 3° Que demande-t-il ? — A y devenir quelque chose. « Nous examinerons ensuite les moyens que [Ire Série, T. le».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] m l’on a essayés, et ceux que l’on doit prendre, afin que le tiers-état devienue en effet quelque chose. Ainsi nous dirons : « 4® Ce que les ministres ont tenté, et ce que des privilégiés eux-mêmes proposent en safaveur; h 5° Ce qu’on aurait dû faire ; « 6° Enfin ce qui reste à faire au tiers pour prendre la place qui lui est due. » Chap Ier. Le tiers-état est une nation complète. « Que faut-il pour qu’une nation subsiste et prospère ? Des travaux particuliers, et des fonctions publiques. » I.’auteur tire, d’une exacte énumération de ces fonctions et de ces travaux, la preuve que ceux-ci sont tous sans exception supportés par le tiers-état; que, quant aux fonctions publiques, le tiers-état en remplit à la vérité les neuf vingtièmes, avec celte différence qu’il est chargé de tout ce qu’il y a de vraiment pénible, de tous les soins que l’ordre privilégié refuse d’y remplir. « Les places lucratives et honorifiques seules y sont occupées par des membres de l’ordre privilégié. Lui en ferons-nous un mérite ? Il faudrait pour cela ou que le tiers refusât de remplir ces places, ou qu’il fût moins en état d’en exercer les fonctions. On sait ce qu’il en est ; cependant on a osé frapper le tiers-état d’interdiction. On lui a dit : « Quels que soient les services, quels que soient les talents, tu iras jusque-là; tu ne passeras pas outre. Il n’est pas bon que tu sois honoré. >< — « Quelques rares exceptions, senties comme elles doivent l’être, ne sont qu’une dérision, et les discours qu’on se permet dans ces occasions rares, une insulte de plus. « Si cette exclusion est un crime social envers le tiers-état, pourrait-on dire au moins qu’elle est utile à la chose publique? Eh ! ne connaît-on pas les effets du monopole ? S’il décourage ceux qu’il écarte, ne sait-on pas qu’il rend inhabiles ceux qu’il favorise ? Ne sait-on pas que tout ouvrage dont on éloigne la libre concurrence sera fait plus chèrement et plus mal? « En dévouant une fonction quelconque à servir d’apanage à un ordre distinct parmi les citoyens, a-t-on fait attention que ce n’est plus alors seulement l’homme qui travaille qu’il faut salarier, mais aussi tous ceux de la même caste qui ne sont pas employés, mais aussi les familles entières de ceux qui sont employés et de ceux qui ne le sont pas ? A-t-on fait attention que cet ordre de choses, bassement respecté parmi nous, nous paraît méprisable et honteux dans l’histoire de l’ancienne Égypte, çt dans les relations des voyages aux grandes Indes?... Lorsqu’on soutient d’un côté avec éclat que la nation n’est pas faite pour son chef, ne serait-il pas souverainement absurde de vouloir qu’elle soit faite pour quelques-uns de ses membres?... % Qui donc oserait dire que le tier$*état n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation complète ? Il est l’homme fort et robuste dont un bras est enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu’est-ce que le tiers? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre privilégié? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui; tout irait infiniment mieux sans les autres. » L’auteur prouve ensuite « qu’il n’est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une nation, de trouver où placer la caste des nobles. » (Il ne parle point du clergé : dans ses idées ce n’est pas un ordre, mais une profession.) « Je sais qu’il est des individus, en trop grand nombre, que les infirmités, l’incapacité, une paresse incurable, ouïe torrent des mauvaises mœurs rendent étrangers aux travaux de la société. L’exception et l’abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste empire; mais au moins conviendra-t-on que, moins il y a de ces abus, mieux l’État passe pour être ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où, non-seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général, et saurait consommer sa meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise. « L’ordre noble n’est pas moins étranger au milieu de nous, par ses prérogatives civiles et publiques. « Qu’est-ce qu’une nation? Ua corps d’associés vivant sous une loi commune, et représentés par la même législature. « N’est-il pas trop certain que l’ordre noble a des privilèges, des dispenses, même des droits séparés des droits du grand corps des citoyens? Il sort par là de l’ordre commun, de la loi commune. Ainsi ses droits civils en font déjà un peuple à part dans la grande nation. C’est imperium inimperio. « A l’égard de ses droits politiques, il les exerce aussi à part. Il a ses représentants à lui, qui ne sont charges en rien de la procuration des peuples.. Sa représentation est étrangère à la nation par son principe, puisque sa mission ne vient pas du peuple, et par son objet, puisqu’il consiste à défendre, non l’intérêt général, mais l’intérêt particulier. « Le tiers embrasse donc tout ce qui appartient à la nation, et tout ce qui n’est pas le tiers ne peut se regarder comme étant la nation. Qu’est-ce que le tiers? Tout... » CHAP. II. Qu'est-ce que le tiers-état a été? Rien. « On n’est pas libre par des privilèges, mais par [1*® Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] les droits de citoyen, qui appartiennent à tous. « Que si les aristocrates entreprennent, ajoute l’auteur, de retenir le peuple dans l’oppression, il osera demander à quel titre. Si l’on répond : A titre de conquête, il faut en convenir, ce sera vouloir remonter un peu haut. Mais le tiers ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Il se reportera à l’année qui a précédé la conquête; et, puisqu’il est aujourd’hui assez fort pour ne pas se laisser conquérir, sa résistance sera plus efficace. Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race de ces conquérants, et d’avoir succédé à leurs droits ? « La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer naissance et naissance, ne pourrait-on pas révélera nos pauvres concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant que celle qui viendrait des Sicambres, des Welches, et autres sauvages sortis des bois et des étangs de l’ancienne Germanie ? Oui, dira-t-on ; mais la conquête n’a pas dérangé tous les rapports, et la noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eli bien! il faut la faire repasser de l’autre côté : le tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son tour. » L’auteur s’étend ensuite en citations historiques sur les droits primitifs du tiers-état; il fait voir les progrès de sa dégradation. Il résume ainsi ce chapitre : « Le tiers état n’a pas eu jusqu’à présent de vrais représentants aux États généraux; ainsi ses droits politiques sont de fait nuis. » Ghap. III. Que demande le tiers-état ? — Le moins possible en vérité : une influence au moins égale à celles des privilégiés. — Le vote par tête et non par ordre. L’auteur consacre plusieurs paragraphes à la discussion de ces demandes ; il veut « que les re-présentantsdu tiers-étatnesoientchoisis que parmi les citoyens qui appartiennent véritablement au tiers ; que ses députés soient au moins en nombre égal à ceux des deux ordres privilégiés, tant qu’il y aura des privilégiés. » Il examine ensuite la question du vote par tête, d’après les mêmes principes ; il appuie l’affirmative par des arguments également précis, également pleins de force et d’inductions lumineuses. Ghap. IV. Il y examine ce que le gouvernement a tenté, ce que les ordres privilégiés ont proposé, dans la crainte de leur destruction, de moyens conciliatoires. Il prouve que la mauvaise organisation et le mode d’élection des assemblées provinciales ont 591 rendu leur établissement nul pour les avantages qu’en attendait le peuple, favorable seulement au despotisme, pour le populariser par des apparences de formes légales. «Quant aux notables, qu’ont-ils fait en 1787? Ils ont défendu leurs privilèges contre le trône. Qu’ont-ils fait en 1788? Ils ont défendu leurs privilèges contre la nation. C’est qu’au lieu de consulter des notables en privilèges, il aurait fallu consulter des notables en lumières. » Il demande de la part de tous les ordres la promesse solennelle de supporter également les impositions. Il entre dans des détails lumineux sur les abus de leur système ancien. Dans un dernier paragraphe il combat la prétention de quelques noWes ou imprudents publicistes, d’imiter la constitution anglaise. Il fait voir que l’intérêt de ce système n’est que celui des trois ou quatre cents familles nobles des premières classes, dont l’orgueil se nourrit de l’espérance de n’être plus confondues dans la foule des gentilshommes, si elles parvenaient, comme en Angleterre, à s’emparer exclusivement d’une des branches du pouvoir législatif. H invite le tiers à se garder par-dessus tout d’un système qui tendrait à faire refluer, dans la chambre de ses représentants, la basse noblesse qui serait exclue de la chambre haute, mais qui ne porterait pas moins, dans la chambre du tiers, des prétentions orgueilleuses et un intérêt contraire à l’intérêt commun. Il consacre un paragraphe particulier à la critique de la constitution anglaise, favorable au despotisme, et fait voir que la nation française peut atteindre, dans la constitution qu’elle va se donner, à un degré de perfection bien supérieur à tout ce que l’histoire des gouvernements anciens et modernes, presque tous le fruit du hasard, ou le résultat des lumières d’un seul homme, présente de bon et de louable à imiter. Dans un chapitre sur ce qui a été fait, l’auteur attaque avec force quelques ministres, connus par leur tendance aux mesures violentes et arbitraires ; il reproche aux autres leurs erreurs, leurs demi-mesures, leur faiblesse. Enfin, dans un dernier chapitre sur ce qui reste à faire, il donne ses vues sur les bases d’une constitution, sur les réformes de toute espèce. 11 est inutile de rappeler combien ses conseils furent avidement écoutés, ardemment suivis : on sait assez que cet ouvrage, qui commença la réputation de son auteur dans les sciences politi-tiques, eut une grande influence sur les progrès alors si rapides de l’esprit public. § VIII. Note sur la procession des Etats généraux. Mai 1789. La cérémonie religieuse qui devait précéder les [1« Série, î. H.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [introduction.] m États généraux «ut lieu le 4 de ce mois. Dès le samedi 3, Sa Majesté permit que les députés lui fussent présentés. Il y eut à ce sujet une réclamation de ceux de Bourgogne : ayant entendu appeler le premier le bailliage de Vermandois, ils prétendirent que cet honneur leur était dû en l’absence des députés de la capitale et de sa vicomté. Cependant, pour ne pas suspendre cette présentation, ils gardèrent le rang qu’on leur avait assigné, et remirent à faire valoir leurs droits le soir même pour la procession du lundi. La décision du roi leur a été favorable, et ils parurent ce jour-là à la première place. La même difficulté s’était présentée en 1614. Du reste, tous les députés, le jour de cette présentation, furent nommés à Sa Majesté. La seule différence qu’il y ait eu entre les ordres, c’est que le tiers fut reçu dans la chambre de Sa Majesté, et que la noblesse et le clergé le furent dans le cabinet. Les députés ayant été invités d’assister le lendemain, eu habit de cérémonie, à la procession générale du saiut sacrement, ils se rendirent de bonne heure dans l’église Notre-Dame, paroisse du château de Versailles. Le roi sortit à 10 heures pour se rendre à cette église : ses carrosses, ceux de la reine, des princes ses frères, des autres princes et princesses du sang, le vol du cabinet, etc., etc., tout le cortège entin et la pompe qui entourent les rois de France dans les grandes cérémonies, se montrèrent à celle-ci. Un peuple nombreux répandu dans les rues, les croisées garnies de spectateurs et le beau temps concoururent à la maguificenee de ce spectacle. Sa Majesté avait dans son carrosse les princes ses frères, M. le duc d’Angoulême et M. le duc de Berry ; la reine et les autres princesses venaient à la suite de Sa Majesté. Après une courte prière à Notre-Dame, la procession commença à se former ; il était alors onze heures : elle était ouverte par les récollets, seul corps de religieux qui fût à Versailles ; venait ensuite le clergé des deux paroisses de Versailles, ensuite les députés du tiers-état, marchant à la file sur deux lignes parallèles. On remarqua le plus, dans cet ordre, des laboureurs bas-bretons, du diocèse de Vannes, qui avaient conservé leur veste et culotte de bure. La noblesse suivait le tiers-état, et l’ordre de l’église celui de la noblesse. La musique du roi sépara les évêques du clergé du second ordre : ils furent alors placés immédiatement avant le dais du saint sacrement, porté par M. l’archevêque de Paris. Il n’y avait que trente-deux évêques, quoiqu’on en compte au moins cinquante de députés aux États généraiix. M. l’archevêque de Rouen, en grande chape de cardinal, avait la place d’honneur. Le dais était porté par les grands officiers et les gentilshommes d'honneur des princes frères du roi, qui se relevaient successivement. Les cordons du dais étaient tenus par Monsieur, M. le comte d’Artois, M. le duc d’Angoulême et M. le duc de Berry. Le roi marchait immédiatement après ; les princes du sang, les ducs et pairs et autres seigneurs étaient à droite, à la suite du roi. La reine était à la gauche de Sa Majesté. Elle était suivie par Madame, madame Élisabeth, madame la duchesse d’Orléans et madame la princesse de Laraballe : les autres princesses étaient absentes ou indisposées. Toutes les personnes formant cette procession portaient un cierge. Pendant toute la marche de Notre-Dame à Saint-Louis, Sa Majesté reçut les acclamations continuelles et les vœux des spectateurs. Parvenus à l’église Saint-Louis, les trois ordres y entendirent la messe et le sermon prononcé par M. de la Fare, évêque de Nancy. Ce discours, de près de sept quarts d’heure, fut écouté avec intérêt. Le tableau des funestes effets du régime fiscal, celui du luxe de la cour et des villes mis en opposition avec la misère des campagnes ; l’éloge du roi et les bienfaits qu’il prépare à la nation, de concert avec ses représentants, etc., etc., causèrent une impression qui fit oublier la décence, et l’orateur fut applaudi sans respect pour la majesté de l’assemblée et de la cérémonie. Tableau de la salle préparée pour les États généraux. Cette salle, de 120 pieds de longueur et de 57 de largeur en dedans des colonnes, est soutenue sur des colonnes canuelées d ordre ionique, sans piédestaux, à la manière grecque ; l’entablement est enrichi d’oves, et au-dessus s’élève un plafond percé en ovale dans le milieu : le jour principal vient par cet ovale, et est adouci par une espèce de tente en taffetas blanc. Dans les deux extrémités de la salle on a ménagé deux jours pareils, qui suivent la direction de l’entablement et la courbe du plafond. Dans les bas côtés on a disposé pour les spectateurs des gradins, et, à une certaine hauteur des murs, des travées ornées de balustrades. La partie de la salle destinée à former l’estrade pour le roi et pour la cour est surmontée d’un magnilique dais, dont les retroussis sont attachés aux colonnes, et tout le derrière du trône forme une vaste enceinte tapissée de velours semé de fleurs de lis. Le trône est placé sous le grand baldaquin ; au côté gauche du trône était un fauteuil pour la reine, et ensuite des tabourets pour les princesses. A droite il y avait des pliants pour les princes ; auprès du marchepied du trône, une chaise à bras pour M. le garde des sceaux ; à gauche et à droite un pliant pour le grand chambellan. Au bas de l’estrade était adossé un banc pour les secrétaires d’État, et devant eux une longue table [ire Sérié, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.} couverte d’un tapis de velours violet semé de fleurs de lis. Les banquettes de la droite étaient destinées aux quinze conseillers d’État et aux vingt maîtres des requêtes invités à la séance : les banquettes de la gauche ont été occupées par les gouverneurs et lieutenants généraux des provinces. Dans la longueur de la salle, à droite, étaient d’autres banquettes pour les députés du clergé ; à gauche il y en avait pour la noblesse, et dans le fond, en face du trône, étaient celles destinées aux communes. Tous les planchers de la salle et de l’estrade étaient recouverts de magnifiques tapis de la Savonnerie. Le grand maître des cérémonies a rendu publique une note du 27 avril dernier, qui fixe de la manière suivante le costume de cérémonie des députés des trois ordres aux États généraux. Clergé. MM. les cardinaux en chape rouge. MM. les archevêques et évêques en rochet, ca-mail, soutane violette et bonnet carré. MM. les abbés, doyens, chanoines, curés et autres députés du second ordre du clergé, en soutane, manteau long et bonnet carré. Noblesse. Tous MM. les députés de l’ordre de la noblesse porteront l’habit à manteau d’étoffe noire de la saison ; un parement d’étoffe d’or sur le manteau ; une veste analogue au parement du manteau; culotte noire, bas blancs; cravate de dentelle, chapeau à plumes blanches, retroussé à la Henri IV, comme celui des chevaliers de l’ordre. Il n’est pas nécessaire que les boutons de l’habit soient d’or. Tiers-état. MM. les députés du tiers-état porteront habit, veste et culotte de drap noir, bas noirs, avec un manteau court, de soie ou de voile, tel que les personnes de robe sont dans l’usage de le porter à la cour ; une cravate de mousseline ; un chapeau retroussé des trois côtés, sans ganses ni boutons, tel que les ecclésiastiques le portent lorsqu’ils sont en habit de cour. Deuil du clergé. Si quelques-uns de MM. les archevêques et évêques députés se trouvent en deuil de famille, ils porteront soutane et camail noirs. MM. les abbés, doyens, chanoines, curés et députés du second ordre du clergé, qui se trouveraient être en deuil drapé, porteront le rabat blanc et la ceinture de crêpe, Deuil de la noblesse. MM. les députés de la noblesse porteront l’habit de drap noir, avec le manteau à revers de drap, bas noirs, cravate de mousseline; boucles | lre Série. T. Ier. 593 et épée d’argent, chapeau à plumes blanches, retroussé à la Henri IV.fS’ils sont en deuil de laine, ils porteront également habit, veste, culotte et manteau de drap noir; boucles et épée noires; cravate de batiste; chapeau à la Henri IV, sans plumes. Deuil du tiers-état. L’habit de MM. les députés du tiers-état sera le même, à l’exception que le manteau ne pourra être de soie, mais de voile, et qu’ils porteront des manchettes effilées, avec des boucles blanches, s’ils sont en deuil ordinaire ; et les boucles noires, cravate et manchettes de batiste, s’ils sont en deuil de laine. LISTE ALPHABÉTIQUE. • DES DÉPUTÉS AUX ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1789, CONVOQUÉS PAR LE ROI LOUIS XVI. CLERGÉ. A Allain, recteur de Josselin. Évêché de Saint-Malo. Andelau (D’)j prince-abbé de Murbach. Baill. de Colmar et Schlestadt. Antroche (César d’), évêque de Condom. Sén. deNérac. Argentré (Duplessis d’) évêque de Limoges, abbé de Vaux-de-Cernay, diocèse de Paris, et de Saint-Jean-d’Angély, diocèse de Saintes ; premier aumônier de Monsieur, frère du roi, en survivance. Sén. de Limoges. Aubert, curé de Couvignon. Baill. de Chaumont en Bassigny. Aubry, curé de Véel. Baill. de Bar-le-Duc Aury, curé d’Hérisson. Sén. de Moulins. Ayroles, cufé de Reirevigne. Sén. du Quercy. B Ballard, curé du Poiré. Sén. du Poitou. Balore (Cortois de), évêque de Nîmes. Sén. de Nîmes et Beaucaire. Banassât, curé de Saint-Fiel. Sén. de Guéret. Barbotin, curé de Prouvy. Hainaut. Barbou, curé d’Ile-lès-Villenoy. Baill. de Meaux. Bargemont (de Villeneuve), chantre, comte, chanoine de Saint-Victor-lès -Marseille. Sén. de Marseille. Barmond (Perrolin de), abbé, conseiller-clerc au Parlement de Paris. Ville de Paris. Bastien, curé de Xeuilley. Baill de Toul. Beaupoht (Malalesle de), curé de Moritastruc. Sén. d’Agen. Beaupoil de Saint-Aulaire, évêque de Poitiers, abbé de Saint-Taurin, diocèse d’Évreux, et de Coulombs, diocèse de Chartres. Sén. de Poitou. Beauvais (De), ancien évêque de Senez. Prévôté et vicomté de Paris. Bécherel, curé de Saint-Loup. Baill. de Coutances. Béhin, curé d’Hersin-Coupigny. Province d’Artois. Benoit, curé du Saint-Esprit. Sén. de Nîmes et Beaucaire. Bernis (François de Pierre de), archevêque de Damas, coadjuteur d’Alby. Sén . de Carcassonne. Bertereau, curé de Teiller. Sén. du Maine. Besse, curé de Saint-Aubin. Baill. d’Avesnes. 38 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! [lre Série, T. Ier.l 594 Béthisy de Mézières, évêque d’Uzes, abbé de Barzelles, diocèse de Bourges. Sén. de Nîmes et Beaucaire. Bigot de Vernière, curé de Saint-Elour. Baill. de Sainl-Flour. Binot, principal du collège d’Ancenis. Sén. de Nantes el Guérande. Blandin, curé de Saint-Pierre-le-Puellier. Baill. d’Orléans. Bluget, Doyen-curé des Riceys. Baill. de Bar-sur-Seine. Bodineau, curé de Saint-Bienheuré de Vendôme. Baill. de Vendôme. Boisgelin (De), archevêque d’Aix, abbé de Chaalis, diocèse de Senlis; de Saint-Gilles, diocèse de Nîmes et de Saint-Maixent, diocèse de Poitiers. Sénéch. d’Aix. Bonnac (Dusson dg) évêque d’Agen, abbé de Theulley, diocèse de Dijon. Sénéch. d’Agen. Bonnal, évêque de Clermont, abbé de Bonporl, diocèse d’Evreux. Baill. de Clermont. Bonnefoy, chanoine de Thiers. Sénéchaussée de Riom. Bonnet, curé de Villefort. Sénéch. de Nîmes et Beaucaire. Bonneval, chanoine de l’église de Paris. Ville de Paris. Bottex, curé de Neuville-sur-Ains. Baill. de Bourg-en-Bresse. Boudart, curé de la Couture. Prov. d’Artois. Bouillotte, curé d’Arnay-le-Duc. Baill. d’Auxois. Bourdet, curé de Bouère. Sénéch. du Maine. Boyer, curé de Néchères. Sénéch. de Riom. Bracq, curé de Ribecourt. Cambrésis. Breteuil (Le Tonnelier de), évêque de Montauban, abbé de Belleperche, diocèse de Montauban. Pays etjugerie de Rivière-Verdun. Breuvard, curé de Saint-Pierre de Douay. Baill. de Douai el Orchies. Brignon, curé de Dore-l’Église. Sénéch. de Riom. Brouillet, curé d’ Avise. Baill. de Vitry-le-François. Brousse, curé de Volcrange. Baill. de Metz. Bruet, curé d’Arbois. Baill. d’Aval. Brun, curé de Saint-Chély. Sénéch. de Mende. Bucaille, curé de Frétun. Baill. de Calais et Ardres. Burnequez, curé de Mouthe. Bail!. d’Aval. C Cartier, curé de la Ville-aux-Dames. Baill. de Touraine. Castaing (Raymond du), curé de la Nux. Sénéch. d’ Armagnac, Lectoure et Isle-Jourdain. Castellas, doyen de l’église, comte de Lyon. Sénéch. de Lyon. Castelnau (D’Albignac de), évêque d’Angoulême. Baill. d’Angoulême. Caüneille, curé de Belvis. Sénéch. de Limoux. Chabannettes, curé de Saint-Michel de Toulouse. Première sénéch. de Languedoc. Chabaut, curé de la Chaussée-Saint-Victor. Baill. de Blois. Champeaux, curé de Montegny. Baill. de Montfort-La-maury. Charrier de la Roche, prévôt du chapitre d’Aynay, etc. Sénéch. de Lyon. Chatizel, curé de Soulaine. Sénéch. d’Anjou. Chevalier, recteur de Sainte-Lumine de Coûtais. Sénéch. de Nantes. Chevreuil, chancelier de l’église de Paris. Ville de Paris. Chevreux (Dom), général de la congrégation de Saint-Maur. Ville de Paris. Choppier, curé de Flins. Baill. de Manies et Meulan. Chouvet, curé de Chomerac. Sénéch. de Villeneuve de Berg, en Vivarais. Cicé (Champion de), archevêque de Bordeaux, abbé de la Grasse, diocèse de Carcassonne, et d’Ourcamp, diocèse de Noyon. Sénéch. de Bordeaux. Cicé (Champion de), évêque d’Auxerre, abbé de Mo-lesme, diocèse de Langres. Baill. d’Auxerre. Clerget, curé d’Ornans. Baill. d’ Amont. Clermont-Tonnerre (Jules de), évêque, comte de Châlons-sur-Marne, pair de France, abbé de Moustier en Der, diocèse de Châlons. Baill. de Châlons-sur-Marne. Colaud de la Salcette, chanoine de Die. Dauphiné. Colbert (Seignelay de Gast le Hill), évêque de Rodez, abbé de Sorèze, diocèse de Lavaur. Sén. de Rodez. Coitinet, curé de Ville-sur-Iron. Baill. de Bar-le-Duc. Colson, curé de Nitting, Baill. de Sarreguemines. Conzié (François de), archevêque de Tours. Baill. de Touraine. Cornus, curé de Muret. Comminges et Nébouzan. Costel, curé de Foissy. Baill. de Sens. Coster, chanoine, vicaire général de Verdun. Baill. de Verdun. Cousin, curé de Cucuron. Séiî. d’Aix. Couturier, curé de Salives. Baill. de Châtillon-sur-Seine. D David, curé de Lormaison. Baill. de Beauvais. Davin, chanoine de Saint-Martin. Sén. de Marseille. Davoust (dom), prieur claustral de l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen. Baill. de Rouen. Decoulmiers, abbé régulier de Notre-Dame d’Abbecourt, ordre de Prémontré. Prévôté et vicomté de Paris. Defaye (J. -B.-A. de Villeloutreix), évêque d’Oléron. Pays de Soûles. Degrieu, prieur commendataire de Sainl-Himer. Baill. de Rouen. Delage, curé de Saint-Christoly, en Blayois. Sén. de Bordeaux. Delaplace, curé de ..... Baill. de Péronne. Delaunay, chanoine Prémontré, prieur-recteur de Ploua-gat-Châtelaudren. Évêché de Tréguier. Delettre, curé de Berny-Rivière. Baill. de Soissons. Delfaué, archiprêtre d’Aglan. Sén. du Périgord. Demandre, curé de Saint-Pierre. Baill. de Besançon. Depradt, grand vicaire de Rouen. Baill. de Caux. Desmontiers de Mérinville, évêque de Dijon. Baill. de Dijon. Desvernay, curé de Villefranche. Sén. du Beaujolais. D’Eymar, abbé prévôt de Neuviller, en Alsace. Baill. de Haguenau et Weissembourg. D’Héral, vicaire général. Sén. de Bordeaux. Dillon, curé du Vieux-Pouzange. Sén. du Poitou. Diot, curé de Ligny-sur-Canche. Prov. d’Artois. Dodde, curé de Saint-Péray, official et archiprêtre. Sén. d’Annonay. Dolomieu, chanoine, comte du chapitre de Saint-Pierre. Dauphiné. Dubois, curé de Sainte-Madeleine de Troyes. Baill. de Troyes. Ducret, curé de Saint-André de Tournus. Baill. de Mâcon. [ 1 re Série, T. I«\] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I Introduction.! gog Dufrêne, curé de Ménil-Durand. Baill. d’Alençon. Dülau, archevêque d’Arles, abbé d’Ivry, diocèse d’É-vreux. Sén. d’Arles. Dumouchel, recteur de l’Université de Paris. Ville de Paris. Dumont, curé de Villers-devant-leThours. Baill. de Vitry-le-François. Dupont, curé de Turcoing. Baill. de Lille. Dupuis, curé d'Ailly-le-Haul-Clocher. Sén. du Ponthieu. Dutillet, évêque d’Orange. Principauté d’ürange : E Estaing (Dom), prieur de Marmoulier. Baill. de Touraine. Eudes, curé d’Angerville-l’Orcher. Baill. de Gaux. Expilly, recteur de Saint-Martin de Morlaix. Évêché de Saint-Pol-de-Léon. F Farochon, curé d’Ormoy. Baill. de Crépy,* en Valois. Favre, curé d’Hotonnes. Sén. de Bugey et Valromey. Flachat, curé de Notre-Dame de Saint-Chamont. Sén. de Lyon. Fleury ; curé d’Ige, Glaire et Villetle. Baill. de Sedan. Font, chanoine-curé de l’église collégiale de Pamiers. Sén. de Pamiers. Fontanges (François de), archevêque de Toulouse, abbé de Saint-Victor de Paris. Ire sén. de Languedoc. Forest de Marmoucy, curé d’Ussel. Sén. de Tulle. Fougère, curé de Saint-Laurent de Nevers. Baill. du Nivernais. Fournetz, curé de Pui-Miélan. Sén. d’Agen. Fournier, curé d’Heilly. Baill. d’Amiens et Ham. G Gabriel, recteur de Queslembert. Sén. de Vannes. Gagnières, curé de Saint-Cyr-les-Vignes. Baill. du Forez. Galland, curé de Charmes. Baill. de Mirecourt. Gardiol, curé de Callian. Sén. de Draguignan. Garnier, recteur de Notre-Dame deDol. Évêché de Dot-de-Bretagne. Gassendi, prieur-curé de Barras. Sén. de Forcalquier. Gausserand, curé de Rivière en Albigeois. Ire sén. de Languedoc. Gennetet, curé d’Étrigny. Bail de Châlon-sur-Saône. Gibert, curé de Saint-Martin de Noyon. Bail!, de Ver-mandois. Girard, doyen-curé de Lorris. Baill. de Montargis. Gobel, évêque de Lydda. Baill. de Belfort et Huningue. Godefroy, curé de Nouville. Baill. de Mirecourt. Goubert , curé de Saint-Silvain-Bellegarde. Sén. de Guéret. Goullard, curé de Roanne. Baill. du Forez. Gouttes, curé d’Argellier. Sén. de Béziers. Goze, curé de Gaas. Sén. de Dax, Saint-Séver et Bayonne. Grandin, curé d’Ernée. Sén. du Maine. Grégoire, curé d’Emberménil. Baill. de Nancy. Gros, curé de Saint-Nicolas-du-Cbardonnet. Ville de Paris. Guédant, curé de Saint-Trivier. Baill. de Bourg-en-Bresse. Guégan, recteur de Pontivy. Sén. de Vannes. Guépin, curé de Saint-Pierre-des-Corps de Tours. Baill. de Touraine. Guillon, recteur de Martigné-Fer-Chaud. Sén. de Rennes Guillot, curé d’Orchamps en Venne. Baill. de Dole en Franche-Comté. Guingan de Saint-Mathieu, curé de Saint-Pierre. Sén. de Limoges. Guino, recteur d’Elliant. Sén. de Quimper et Concarneau. Guiraudez de Saint-Mezare, docteur en théologie, ar-chiprêtre de Laverdans. Sén. d’Auch. Guyon, curé de Baziéges. Sén., de Castelnaudary. II Hingant, curé d’Andel. Sénéch. de Saint-Brieux. Hunault, recteur-doyen de Billé. Sén. de Rennes. Hurault, curé de Broyés. Bailliage de Sézanne. J Jallet, curé de Chérigné. Sén. de Poitou. Joubert, curé de Saint-Martin. Baill. d’Angoulême. Jouffroyde Goussans, évêque du Mans. Sén. du Maine. Joyeux, curé de Saint-Jean de Châtellerault. Sén. de Chàtellerault. Juigné (Le Clerc de), archevêque de Paris, duc de Saint-Cloud, pair de France. Ville de Paris. Julien, curé d’Arrosez. Béarn. L, La Bastide, curé de Paulhiaguet. Sén. de Riom. Laroissière, vicaire général de Perpignan. Viguerie de Perpignan. Laborde, curé de Corneillan. Sén. de Condom. Labrousse de Beauregard, prieur-curé de Champagnole. Sén. de Saintes. Lafare (De!, évêque de Nancy, abbé de Moreilles, dio-. cèse de la Rochelle. Baill. de Nancy. Lafont de Savines, évêque de Viviers. Sén. de Ville-leneuve-de-Berg, en Vivarais. (S’est retiré.) Lagoille de Lochefontaine, chanoine et séqéchal de l’église métropolitaine de Reims. Baill. de Reims. Lalande, curé d’Iliers-l’Évêque. Baill. d’Évreux. La Luzerne, évêque-duc de Langres, pair de France, abbé de Bourgueil, diocèse d’Angers. Baill. de Langres. Landreau, curé de Moragne. Sén. de Saint-Jean-d’An-géiy. Landrin, curé de Garencières. Baill. de Montfort l’A-maury. Lanusse, curé de Saint-Étienne, près Bayonne. Sén. de Tartas. Laporte, curé de Saint-Martial d’Haulefort. Sén. du Périgord. Laporterie, curé de Linconac. Sén. de Mont-de-Marsan. Larenne, curé de Saint-Martin de Nevers. Baill. du Nivernais, La Rochefoucauld , cardinal , archevêque de Rouen, commandeur des ordres du roi, abbé de Cluny, diocèse de Mâcon, et de Fécamp, diocèse de Rouen. Baill. de Rouen. La Rochefoucauld, évêque, comte de Beauvais, pair de France. Baill. de Clermont de Beauvoisis. La Rochefoucauld-Bayers, évêque de Saintes, abbé de Vauluisant, diocèse de Sens. Sén. de Saintes. La Rochefoucauld, abbé de Preuilly. Baill. de Provins. Larochenegly, prieur de Saint-Honoré de Blois. Baill, de Blois. [1«> Série, T. le-*.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.! 596 Lasmartres, curé de Lille-en-Dodon . Comminges et Né-bouzan. Lastic (De), évêque de Couserans. Vicomté de Couserans. Latyl, prêtre de l’Oratoire, supérieur du collège de Nantes. Sénéch. de Nantes et Guérande Laurent, curé d’Huilaux. Sénéc. de Moulins. Leborlhe de Grandpré, curé d’Oradoux-Sannois. Sénéc. de la Basse-Marche. Lebrun, curé de Lions-Ia-Forêt. Bailliage de Rouen. Lecève, curé de Sainte-Triaize. Sénéchaussée du Poitou. Le Clerc, curé de la Cambe. Baill. d’Alençon. Le François, curé du Mage. Baill. du Perche. Le François, curé de Mutrecy. Bailliage de Caen. Legros, prévôt de Saint-Louis-du-Louvre. Ville deParis. Leguin, curé d’Argenteuil. Prévôté et vicomté de Paris. Leissègues de Rosaven, recteur de Plogonnec. Sén. de Quimper et Concarneau. Lelubois, curé de Fontenay. Baill. de Coutances. Le Peletier de Feumusson, prieur-curé de Domfront. Sénéch. du Maine. Leroux, curé de Saint-Pol. Province d’Artois. Leroux-Villois, curé de Carantilly. Baill. de Coutances. Lespinasse, prieur de Saint-Pierre-le-Moustier. Baill. de Saint-Pierre-le -Moustier . Letellier, curé de Bonœil. Baill. de Caen. Lévêque, curé de Tracy, Baill. de Caen. Leymarye, curé de Saint-Privat. Sénéch. du Quercy. Leyris Desponchez, évêque de Perpignan. Viguerie de Perpignan. Lindet (Robert-Thomas), curé de Sainte-Croix de Ber-nay. Baill. d’Évreux. Loaisel, recteur de Rhédon. Sénéch. de Vannes. Loedon de Kéromen, recteur de Gourin. Sénéch. de Quimper et Concarneau. Lolier, curé d’Aürillac. Baill. de Saint-Flour. Longpré, chanoine de Champlitte. Baill. d’ Amont. Lousmeau-Dcpont, curé de Saint-Didier de Chalaronne. Sénéch. de Trévoux. Lubersac, évêque de Chartres, abbé de la Grenetière, diocèse de Luçon, et de Noirlac, diocèse de Bourges. Baill. de Chartres. Lucas, recteur du Minihy-Ploulan-Tréguier. Évêché de Tréguier. ai Machault (De), évêque d’Amiens, abbé de Valloires. Baill. d’Amiens et Ham. Maisonneuve, recteur de Saint-Étienne-de-Montluc. Sén. de Nantes. Malartic, curé de Saint-Denis-de-Pile. Sén. de Castel-Moron d’Albret. Malide (De), évêque de Montpellier, abbé de Bel val, diocèse de Reims. Sén. de Montpellier. Malrieu, prieur-curé de Loubous. Sén. de Villefranche de Rouergue. Marolles, curé de Saint-Jean de Saint-Quentin. Baill. de Saint-Quentin. Marsay, curé de Neuil-sur-Dive. Baill. de Loudun. Martin, curé de Sainte-Aphrodise. Sén. de Béziers. Martinet, chanoine régulier, prieur-curé de Daon. Sén.. d’Anjou. Massieu, curé de Sergy. Baill. de Senlis. Mathias, curé de l’Église-Neuve. Sén. de Riom. Maury, prieur de Lions, abbé de la Frénade. Baill. de Péronne. Mayet, curé de Rochetaillée. Sén. de Lyon. Melon de Pradoux, prieur-curé de Saint-Germain en Laye. Prévôté et vicomté de Paris. Merceuet, curé de Fontaine-lès-Dijon. Baill. de Dijon. Mercy (De), évêque de Luçon, abbé de Lieu-Dipu en Jard, diocèse de Luçon. Sén. de Poitou. Méric de Montgazin, vicaire général du diocèse de Boulogne. Sén. de Boulogne-sur-Mer. Mesnard, prieur-curé d’Aubigné. Sén. de Saumur. Millet, curé de Saint-Pierre de Dourdan. Baill. de Dourdan. Monnel, curé de Valdelancourt. Baill. de Chaumont en Bassigny. Montesquiou (L’abbé de), agent général du clergé de France, abbé de Beaulieu, diocèse du Mans ; abbé de Beaulieu, diocèse de Langres. Ville de Paris. Montjallard, curé de Barjols. Sén. de Toulon. Mougins de Roquefort, curé de Grasse. Sén. de Draguignan. Moutier, grand chantre et chanoine d’Orléans. Baill. d’Orléans. Moyon, recteur de Saint-André-des-Eaux. Sén. de Nantes. Nicolaï (Louis-Marie de), évêque de Cahors. Sén. du Quercy. Noln, curé de Saint-Pierre de Lille. Baill. de Lille. O Ogé, cnré de Saint-Pierremont. Bail, de Vermandois. Oüdot, curé de Savigny, Baill. de Châlon-sur-Saône. P Pampelone, archidiacre de la cathédrale de Viviers. Sén. de Villeneuve-de-Berg, en Vivarais. Panat, grand vicaire de Pontoise. Baill. de Chaumont en Vexin. Papin, prieur-curé de Marly-la-Ville. Prévôté et vicomté de Paris. Peretti della Rocca, grand vicaire d’Alleiria. Ile de Corse. Périer, curé de Saint-Pierre d’Élampes. Baill. d’Étampes. Piffon, curé de Valeyrac. Sén. de Bordeaux. Pinelle, curé de Hilsheim. Baill. de Colmar et Schles-tadt. Pinelière, curé de Saint-Martin, lie de Ré. Sén. de la Rochelle. Pocheront, curé de Champvert. Baill. de Charolles. Pompignan (Jean-Georges Le Franc de), archevêque de Vienne, abbé de Buzay, diocèse de Nantes, et de Sainte-Chaffre, diocèse du Puy. Dauphiné. Pons, curé de Mazamet. Première Sénéch. de Languedoc. Potjpart, curé de Sancerre. Baill. du Berry. Privât, prieur-curé de Craponne. Sén. du Puy en Velay. Puiségur (Chastenay de), évêque de Bourges, abbé de Saint-Vincent, diocèse de Metz. Baill. du Berry. R Rabin, curé de Notre-Dame de Cholet. Sén. d’Anjou. Rangeard, archiprêtre d’Angers, curé d’Andard. Sén. d’Anjou. Rastignac (De Chapt de), abbé de Saint-Mesmin. Baill. d’Orléans. Ratier, recteur de Broos. Évêché de Saint-Malo. Renaüt, curé de Preux-aux-Bois. Hainaut. [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Richard de Lavergxe, recteur de la Trinité de Clisson. Marche commune du Poitou et de Bretagne. Rigouard, curé de Solliès-la-Fallède. Sén. de Toulon. Rivière, curé de Vie. Sén. de Bigorre. Robien, doyen de la cathédrale d’Auxerre. Baill. d’Auxerre. Rohan-Guémenée, cardinal, évêque-prince de Strasbourg; abbé de Saint-Vaast, diocèse d’Arras, et de la Chaise-Dieu, diocèse de Clermont. Baill. de Haguenau et Weissembourg. Rolin, curé de Verton, Baill. de Montreuil-sur-Mer. Rolland, curé du Caire. Sén. de Forcalquier. Rosé, curé d’Obersteinbronn. Baill. de Belfort et Hu-ningue. Roussel, curé de Blarenghem. Baill. de Bailleul. Rousselot, curé de Thiénans. Baill. d’ Amont. Royer, conseiller d’Etat, abbé de la Noue, diocèse d’Evreux. Ville d’Arles. Royère (De), évêque de Castres.- Sén. de Castres. Rozé, curé d’Émalville. Baill. de Caux. Rualem, abbé d’Ile-lès-Villenoy, abbé de Saint-Allyre, diocèse , de Clermont, et de Saint-Faron, diocèse de Meaux; chef du conseil et intendant général des finances de mesdames Adélaïde et Victoire, conseiller de grand’chambre au Parlement de Rouen. Baill. de ’ Meaux. Ruello, curé de Loudeac. Sén. de Saint-Brieuc. Ruffo (Claude-Marie des comtes de Laric), évêque de Saint-Flour. Baill. de Saint-Flour. S Sabran (Louis-Hector-Honoré-Maxime de), évêque-duc de Laon, pair de France, grand aumônier de la reine, abbé de Saint-Nicolas-des-Bois, diocèse de Laon. Baill. de Vermandois. Saint-Albin, doyen de Vienne. Dauphiné. Saint-Esteven, curé de Ciboure. Baill. du Labour. Saint-Sauveur (De), évêque de Bazas, abbé de l’Ile de Médoc, diocèse de Bordeaux. Sén. de Bazas. Samary, curé de Carcassonne. Sén. de Carcassonne. Saurine (l’abbé). Béarn. Simon, curé de Woel. Baill. de Bar-le-Duc. Simon, recteur de la Boussacq. Évêché de Dol. Surade (De), chanoine régulier de Sainte-Geneviève, prieur de Plaisance. Sén. de Poitou. T Talaru de Chalmazel, évêque de Coutances, abbé de Blanchelande, diocèse de Coutances, et de Montebourg, même diocèse. Baill. de Coutances. Talleyrand-Périgord, archevêque-duc de Reims, pair de France, abbé de Saint-Quentin-en-l’Ile, diocèse de Noyon, et de Cercamp, diocèse d’Amiens. Baill. de Reims. Talleyrand-Périgord, évêque d’Autun, abbé de Celles, diocèse de Poitiers, et de Saint-Denis, diocèse de Reims. Baill. d’Autun. Texieb, chanoine de Chartres. Baill. de Châteauneuf en Thimerais. Thibaut, curé de Soupes. Baill. de Nemours. Thiébault, curé de Sainte-Croix. Baill. de Metz, Thirul, curé de Saint-Crespin. Baill. de Château-Thierry. Thomas, curé de Mormant. Baill. de Melun. Thomas, curé de Meymac. Sén. de Tulle. 597 Thourin, curé de Vic-le-Comte. Sén de Clermont en Auvergne. Thouzet, curé de Sainte-Terre. Sén. de Libourne. Tridon, curé de Rongères. Sén. de Moulins. V Vallet, curé de Saint-Louis. Baill. de Gien. Vaneau, recteur d’Orgères. Sén. de Rennes. Varelles, curé de Marolles. Baill. de Villers-Cotterets. Varicourt (Rouph de), official de l’évêché de Genève. Baill. de Gex. Verdet, curé de Vintrange. Baill. de Sarreguemines. Verguet (Dom), prieur de l’abbaye de Relecq. Évêché de Saint-Pol-de-Léon. Veytard, curé de Sainl-Gervais. Ville de Paris. Villaret, vicaire général de Rhodez. Sén. de Villefran-che de Rouergue. Villebanois, curé de Saint-Jean-le-Vieux. Baill. du Berry. Villevielle (Pavée de), évêque de Bayonne. Navarre. Viochot, curé de Maligny. Baill. de Troyes. Yvernault, chanoine de Saint-Ursin de Bourges. Baill du Berry. NOBLESSE. A Agoult (Le comte Antoine d’). Dauphiné. Aigalliers (Bruéys, baron d’). Sén. de Nîmes. Aiguillon (Le duc d’), pair de France. Sén. d’Agen. Allarde (Le baron d’). Baill.. de Saint-Pierre-le-Mous-tier. Ambly (Le marquis d’), maréchal de camp. Baill. de Reims. Andelau de Hombourg (Le baron d’), maréchal de camp, grand bailli d’épée. Baill. d’Haguenau. Angosse (Le marquis d’), maréchal de camp, gouverneur et grand sénéchal d’Armagnac. Sén. d’ Armagnac. Antraigues (Le comte d’). Sén. de Villeneuve de Berg. Aoust (Le marquis d’). Baill. de Douai. Apchier (Le marquis d’). Sén. de Mende. Arcy (Le comte d’). Baill. d’Auxerre. Argenteuil (Le marquis d’), maréchal de camp. Baill. d’Auxois. Aurillac (le baron d’). Baill. de Saint-Flour. Avaray (le marquis d’), maître de la garde-robe de Monsieur, frère du roi. Baill. d’Orléans. Avessens (Le marquis d’). Première Sén. de Languedoc. B Badens (Le marquis Du Pach de). Sén. de Carcassonne. Ballidard (De). Baill. de Vitry-le-François. Barrançon (Le comte de). Baill. de Villers-Cotterets. Barbotau (Le comte de). Sén. de Dax. Barville (De), officier aux gardes. Baill. d’Orléans. Batz (Le baron de), grand sénéchal. Sén. de Nérac. Beauchamp (Le marquis de). Sén. de Saint-Jean-d’An-gély. Beaudrap (De). Baill. de Coutances. Beauharnais (Le vicomte de), major en second d’infanterie. Baill. de Blois. Belboeuf (De), avocat général au Parlement de Rouen. Baill. de Rouen. Bengy de Puy-Vallée. Baill. du Berry. Biencourt (Le marquis de), maréchal de camp. Sén. de Guéret. [1«> Série, T. I«.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Introduction.] 898 Biron (Le duc de). Sén. du Quercy. ] Blacons (Le marquis de). Dauphiné. Boisse (Le chevalier de). Ville et sén. de Lyon. Bonnay (Le marquis de): Baill. de Nivernais. Bonneville (Lecomte de). Baill. d’Évreux. Bonvodloir (Taehard de). Baill. de Coutances. Boufflers (Le chevalier de), chevalier de Malte, noble Génois, maréchal de camp, etc. Baill. de Nancy. Bournazel (Le comte de). Sén. de Yillefranche en Rouer-gue. Bourran (Le marquis de) . Sén. d’Agen. Bousmard, capitaine au corps royal du génie. Baill. de Bar-le-Duc. Bouthilier (Le marquis de). Baill. du Berry. Bouville (De). Baill. de Caux. Briois de Beaumetz, premier président du conseil d’Artois. Province d’Artois. Broglie (Le prince Victor de). Baill. de Colmar et Schlestadt. Broves de Rafélis (Le vicomte de). Sén. de Draguinan. Bureau de Puzy, officier du génie. Bailliage d’Amont. Burignot de Varennes. Baill. de Châlon-sur-Saône. Burle (De) lieutenant général de Sisteron. Sén. de For-calquier. Buttafoco (De), maréchal de camp. Ile de Corse. C Cairon (Le marquis de). Baill. de Caux. Castellane (Le comte de). Baill. de Châteauneuf en Thimerais. Castries (Le duc de). Prévôté et vicomté de Paris. Causans (Le marquis de). Principauté d’Orange. Caylus (Le duc de), grand d’Espagne. Baill. de Saint-Flour. CAZALÈs(De). Pays et jugerie de Rivière-Verdun. Cernon (Le baron de). Baill. de Châlons-sur-Marne. Chabrol, lieutenant criminel de la sénéchaussée d’Auvergne. Chaléon (Le baron de). Dauphiné. Chalon (Le chevalier de). Sén. de Castel-Moron. Chambray (Le marquis de), maréchal de camp. Baill. d’Évreux . Champagny (De Nompair de), major de vaisseau. Baill. du Forez. Chastenay de Lanty (Le comte de). Baill. deChâtillon-sur-Seine. Châtelet (Le duc du), chevalier des ordres du roi, grand d’Espagne, colonel des gardes-françaises. Baill. de Bar-le-Duc. Choiseuil d’Aillecourt (Le comte de). Baill. de Chaumont en Bassigny. Choiseuil-Praslin (Le duc de), pair de France. Sén. d’Anjou. Clairmont (d’Esclaibe. (Comte de). Baill. de Chaumont en Bassigny. Clapiers (De). Sén. d’Aix. Clermont-Lodève (Guilhelm, marquis de). Ville d’Arles. Clermont-Mont-Saint-Jean (Le marquis de). Baill. de Bugey et Val-Romey. Clermont-Tonnerre (Le comte de), pair de France. Ville de Paris. Coiffin (Le baron de). Sén. de Moulins. Coigny (Le duc de), pair de France, chevalier des ordres du oi, lieutenant-général de ses armées, etc. Baill. de Caen. Comaserra (De). Province de Roussillon. Crécy (Le comte de). Sén. du Ponthieu. Crillon (Le comte de). Baill. de Beauvais. Crillon (Le marquis de), maréchal de camp. Baill. de Troyes. Croï (Le duc de), chevalier des ordres du roi. Hainaut Croix (Le comte de). Major en second d’infanterie. Province d’Artois. Crussol d’Amboise� (Le marquis de), lieutenant général des armées du roi. Sén. du Poitou. Crussol (Le baron de), grand bailli d’épée. Baill. de Bar-sur-Seine. Crussol (Le bailli de), chevalier des ordres du roi, capitaine des gardes de M. le comte d'Artois. Prévôté et vicomté de Paris. Culant (Lecomte de). Baill. d’Angoulême. Custine (Le comte de). Baill. de Metz. Cypierre (Le marquis de). Sén. de Marseille. * D D’Aguesseau de Fresnes. Baill. de Meaux. D’André, conseiller au Parlement d’Aix. Sén. d’Aix. Depiis, grand sénéchal. Sén. de JBazas. Deschamps. Ville et sénéchaussée de Lyon. Dieuzie (Le comte de). Sén. d’Anjou. Digoine du Palais (Le marquis). Baill. d’Autun. Dionis Du Séjour, conseiller au Parlement. Ville de Paris. Dortan (Le comte de). Baill. de Dole en Franche-Comté. Douzon (Dubuisson, comte de). Sénéch. de Moulins. Duport, conseiller au Parlement. Ville de Paris. Duval d’Éprémesnil, conseiller au Parlement. Prévôté et vicomté de Paris. E Egmoxt-Pignatelli (Le comte d’) , grand d’Espagne, chevalier, de la Toison-d’Or, lieutenant général des armées du roi. Baill. de Soissons. Escars (Lé comte François d ), gentilhomme d’honneur de M. Le comte d’Artois. Sén. de Châtellerault. Esclans (Le chevalier d’). Baill. d’Amont. Escouloubre (Le marquis d’). Première sénéch. de Languedoc. Esquille (Le marquis d’) , président au Parlement. Béarn. Estagnolle (Le comte d’). Baill. de Sedan. Estourmel (Le marquis d’). Cambrésis. Eymard (D’). Sénéch. de Forcalquier. F Failly (Le comte de). Baill.de Vitry-le-François. Férierres (Le marquis de). Sénéch. do Saumur. Flachslauden (Le baron de), maréchal de camp. Baill. de Colmar et Schlestadt. Fonchateau (Provençal , marquis de). Sénéchauss. d’Arles. Fossés (Le vicomte des). Baill. de Vermandois. Foucault de Lardimalie (Le marquis de). Sénéch. du Périgord. Fournès (Le marquis de). Sénéch. de Nîmes. Fresnay (Bailli, marquis de). Sénéch. du Maine. Fréteau de Saint-Just, conseiller au Parlement de Paris. Baill. de Melun. Froment (De), ancien lieutenant-colonel du régiment de Rohan. Baill. de Langres. [Ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Frondeville (Lambert de), président au Parlement de Rouen. Baill. de Rouen. Fumel-Monségur (Le marquis de), maréchal de camp. Sénéch. d’Agen. G Gaillon (Le marquis de). Baill. de Mantes. Garon de la Rivière, chevalier de Saint-Louis. Baill. de Bourg-en-Bresse. Gauville (Le baron de). Baill. de Dourdan. Gleizes de la Blanque, lieutenant général de Béziers. Sén. de Béziers. Gomer (Le comte de), maréchal de camp. Baill. de Sar-reguemines. Gonxès (Le baron de). Sénéch. de Bigorre. Graimberg de Belleau, lieutenant des maréchaux de France. Baill. de Château-Thierry. Grammont (Le comte de), lieutenant général des armées du roi. Béarn. Grezolles (Le comte de). Baill. du Forez. Grosbois (De), premier président du Parlement de Besançon. Baill. de Besançon. H Harambure (Le baron d’). Baill. de Touraine. Harchies (Le marquis de), capitaine au régiment de Bresse. Baill. de Bailleul. Hart (Le marquis Du). Pays de Soûles. Hautoy (Le vicomte Du), maréchal de camp. Baill. de Bar-le-Duc. Havre de Croï (Le duc d’), grand d’Espagne Baill. d’Amiens et Ham. Helmstatt (Le comte d’). Baill. de Sarre guemines. Hercé (Le chevalier de). Sén. du Maine. HoDiCQ .(Le comte d’), maréchal de camp. Baill. de Mon-treuil-sur-Mer. I Irland de Bazoges. lieutenant du présidial de Poitiers. Sén. du Poitou. Iversay (Jouflard, comte d’). Sén. du Poitou. J Jessé (Le baron de). Sén. de Béziers. J l'igné (Le marquis de), lieutenant général des armées du roi. Marches communes de Poitou et Bretagne. Juigné (Le baron de). Baill. deCoulances. L Lablache (Le comte de), maréchal de camp. Dauphiné. Lachatre (Le comte de), premier gentilhomme de la chambre de Monsieur, frère du roi. Baill. de Berry. Lachatre (Le vicomte de). Sén. de Poitou. Lacoste (Le marquis de). Baill. de Charolles. Lacoudraye (Deloynes, chevalier de). Sén. du Poitou. Lafayette (Moitié, marquis de), maréchal de camp. Sén. de Riom. Lagalissonnière (Le comte de). Sén. d’Anjou. Laipaud (Le comte de), grand sénéchal d’épée. Sén. de la Basse-Marche. Lally-Tollendal (Le comte de). Ville de Paris. Lamarck (Le comte de). Hainaut. Lambertye (Le comte de). Sén. du Poitou. Lamerville (Heurtault, vicomte de). Baill. de Berry. Lameth (Le comte Charles de), colonel des cuirassiers. Province d’Artois. 399 Lameth (Le chevalier Alexandre de), gentilhomme d’honneur de M. le comte d’Artois. Baill. de Pérunne. Landerberg-Wagenbourg (Baron de). Baill. de Belfort. Langon (Le marquis de). Dauphiné. Lannoy (Le comte de), maréchal de camp. Baill. de Lille. Lapoype-Vertrieux (Le marquis de), chef d’escadre. Sén. de Toulon. Laqueille (Le marquis de). Sén. de Riom. Laqueille (Le vicomte de). Sén. de Tulle. Larochefoucauld (Le duc de), pair de France. Ville de Paris. Laroque de Mons (Le comte de). Sén. du Périgord. La Roüzière (Le marquis de), maréchal de camp. Sén. de Riom. Lassigny de Joigne (Le comte de), Sén. de Draguignan. Latouche (Le Vassor, comte de), capitaine des vaisseaux du roi, inspecteur général des canonniers auxiliaires de la marine, chancelier de M. le duc d’Orléans. Baill. de Monlargis. Latour-du-Pin (Le comte de). Sén. de Saintes. (Remplacé par le comte de Brémont-d’Ars.) Latour-Maubourg (Le marquis de). Sén. du Puy en Velay. Lavalette-Parizot (Le' marquis de). Sén. du Quercy. Lavie (Le président). Sén. de Bordeaux. Leberthon, premier président du Parlement de Bordeaux. Sén. de Bordeaux. Lecarpentier de Chailloue, conseiller au Parlement. Baill. d’Alençon. Lemoine de Belleisle. Baill. de Chaumont en Vexin. Lemulier de Bressey. Baill. de Dijon. Lencosne (Le marquis de). Baill. de Touraine. Lesergéan d’Isbergue, lieutenant des maréchaux de France. Province d’Artois. Lévi (Le duc de). Baill. de Senlis. Levis (Le comte de). Baill. de Dijon. Lezay de Marnezia (Le marquis de), maréchal de camp. Baill. d’Aval. L’Huillier-Rouvenac (Le baron de). Sén. de Limoux. Liancourt (Le duc de), chevalier des ordres du roi, grand maître de sa garde-robe. Baill. de Clermont en Beauvoisis . Linière (Le comte de La.) Sén. de Nîmes. Logras (Le marquis de), conseiller au Parlement de Navarre. Navarre. Loras (Le marquis de). Ville et sén. de Lyon. Ludres (Le comte de), maréchal de camp. Baill. de Nancy. Lupé (Le baron de).. Sén. d’Auch. Lusignan (Le marquis de) Sén. de Condom. Lusignem (Le marquis de), lieutenant-général des armées du roi. Ville de Paris. Luxembourg (Piney, duc de) , pair de France, etc. (Remplacé par M. Irland de Bazoges.) Luynes (Le duc de), pair de France. Bail, de Touraine. 1H Macaye (Le vicomte de). Baill. de Labour. Macquerel de Quémy. Baill. de Vermandois. Mailly (Le duc de). Baill. de Péronne. Malartic (Le vicomte), lieutenant colonel de bataillon. Sén. de la Rochelle. Marguerites (Le baron de), maire de Nîmes. Sén. de Nîmes. [ire Série, T. 1er.,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 600 Marsanne-Fontjuliane (Le comte de). Dauphiné. Mascon (Le comte). Sén. de Riom. Maugette (Le chevalier de). Baill. de Montfort-l’A-maury. Maurens (De), président à mortier au Parlement de Toulouse. Première sén. de Languedoc. Menonville (De). Baill. de Mirecourt. Menou (Le baron de). Baill. de Touraine. Mesgrigny (Le marquis de). Baill. de Troyes. Mirabeau (Le vicomte de), colonel du régiment de Touraine. Sén. de Limoges. Miremont (Le comte de). Baill. de Vermandois. Mirepoix (Le comte de). Ville de Paris. Moncorps-Duchénoi (Le comte de). Baill. d’Auxerre. Monjoye-Vaufrey (Le comte de). Baill. de Blefort. MoNSPEY(Le marquis de). Sén. du Beaujolais. Montagut-Barrau (Le baron de). Comminges et Né-bouzan. Montboissier (Le comte de), chevalier des ordres du roi, lieutenant-général de ses armées. Sén. de Clermont en Auvergne. Montboissier (Le baron de) . Baill. de Chartres. Montcalm-Gozon (Le comte de), maréchal de camp. Sén. de Carcassonne. Montcalm-Gozon (Le marquis de). Sén, de Villefranche en Rouergue. Mont-d’Or (Le marquis de). Ville et sén. de Lyon. Montesquiou-Fezensac (Le marquis de), chevalier des ordres du roi, premier écuyer de Monsieur, etc. Ville de Paris. Montferré (Le chevalier de). Province de Roussillon. Montmorency (Le comte Mathieu de), grand bailli. Baill. de Montfort-l’Amaury. Montrevel (Le comte de), maréchal de camp. Baill. de Mâcon. Morge (Le comte de). Dauphiné. Mortemart (Le duc de), pair de France. Baill. de Sens. Mortemart (Le marquis de). Baill. de Rouen. NT Noailles, prince de Poix, chevalier des ordres du roi et de la Toison-d’Or, capitaine des gardes du corps, gouverneur de Versailles, etc. Baill. d'Amiens et de Ham. Noailles (Le vicomte de). Baill. de Nemours. Noyelles (Le baron de). Baill. de Lille. O Orléans (Louis-Philippe-Joseph de Bourbon, duc d’). Baill. de Crépy en Valois. Ormesson (Le président d’). Prévôté et vicomté de Paris. P Panat (Le marquis de). Première sén. de Languedoc. Panat (Le vicomte de). Sén. de Rhodez. Panetiers (Le comte de). Vicomté: de Couserans. Pannette (Vincent de). Sén. de Trévoux. Paray (Le marquis de), grand bailli. Baill. de Provins. Pardieu (Lecomte Félix de). Baill. de Saint-Quentin, Phélines (De), capitaine au corps royal du génie. Bail!. de Blois. Plas de Tane (Le comte de). Sén. du Quercy. Pleure (Le marquis de), grand bailli. Baill. de Sézanne. Poissac (Le baron de), conseiller au Parlement de Bordeaux. Sén. de Tulle. Pouilly (Le baron de). Baill. de Verdun. Praslin (Le comte de), colonel du régiment de Lorraine. Sén. du Maine. Prez de Crassier, chevalier de Saint-Louis, grand bailli d’épée Baill. de Gex. Puch de Montbreton. Sén. de Libourne. Puisaie (Le comte de). Baill. du Perche. R Rancourt de Villiers. Baill. de Gien. Rathsamhausen (Le baron de), colonel d’infanterie. Baill. d’Haguenau. Rénel (Le comte). Baill. de Toul. Reuillez (Le comte de). Sén. d’Anjou. Richier (De), gentilhomme de Marennes. Sén. de Saintes. Robecq (Le prince de), chevalier des ordres du roi, grand d’Espagne, etc. Baill. de Bailleul. Rochebrune (Le baron de). Baill. de Saint-Flour. Rochechouart (Le comte de), maréchal de camp. Ville de Paris. Roquefort (La Salle, marquis de). Sén, du Mont-de Marsan. Roys (Le comte de), grand sénéchal de Limoges. Sén. de-Limoges. S Sainte-Aldegonde (Le comte François de), colonel au régiment de Royal-Champagne. Baill. d’Avesnes. Saint-Fargeau (Le Pelletier de), Président au Parlement. Ville de Paris. Saint-Maixant (Le marquis de), maréchal de camp. Sén. de Guéret. Saint-Marc (Le marquis de). Baill. d’Étampes. Saint-Maurice (Le marquis de). Sén. de Montpellier. Saint-Simon (Le marquis de), grand d’Espagne. Baill. d’Angoulême. Sandrans (Cardon, baron de). Baill. de Bourg-en-Bresse. Sandrouin (Le vicomte de), chevalier de Malte. Baill. de Calais et Ardres. Sarrazin (Le comte de). Baill. de Vendôme. Sassenay (Le marquis Bernard de). Baill. de Chalon-sur-Saône. Satiheu (Le marquis de), capit. au corps royal du génie. Sén. d’Annonay. Ségur (Le vicomte de), maréchal de camp. Sén. de Bordeaux. Sérent (Le comte de), maréchal de camp. Baill. de Nivernais. Seurrat de La Boulaye, conseiller au Châtelet d’Orléans. Baill. d’Orléans. Sillery (Brûlart de Genlis, marquis de). Baill. de Reims. Sinéti (De), chevalier de Saint-Louis. Sén. de Marseille. Ternay (Le marquis de). Baill. de Loudun. Tessé (Lecomte de), grand d’Espagne, chevalier des ordres du roi, premier écuyer de la reine, lieutenant général des armées du roi. Sén. du Maine. Thiboutot (Le marquis de), maréchal de camp. Baill. de Caux. [ire Série, T. 1er.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 601 Toulongeon (Le marquis de). Baill. d’ Amont. Toulongeon (Le vicomte de). Bail!. d’Aval. Toulouse-Lautrec (Le comte de), maréchal de camp. Sén. de Castres. Toustain de Viray (Le comte de) Baill. de Mirecourt. Trac y (Destutt, comte de). Sén. de Moulins. Trie (Le comte de). Baill. de Rouen. U Usson (Le marquis d’), maréchal de camp. Sén. de Pa-miers. Ustou de Saint-Michel (Le vicomte d’). Commingés et Nébouzan. V Vassé (Le vidame de). Sén. du Maine. Varsy(L6 comte Louis de). Baill. de Caen. Vaudreuil (Le marquis de), lieutenant-général des armées navales. Sén. de Castelnaudary. Verthamont (Le chevalier de). Sén. de Bordeaux. Vialis (De), maréchal de camp. Sén. de Toulon. Villarmois (Le comte Arthur de). Baill. de Coutances. ViLLEMORT(Le comte de). Sén. du Poitou. Villequier (Le duc de), chevalier des ordres du roi, premier gentilhomme de sa chambre. Sén. de Boulogne-sur-Mer. Virieu (Le comte de). Dauphiné. Vogué (Le comte de). Sén. de Villeneuve de Berg. Vrigny (Le marquis de), grand bailli. Baill. d’Alençon. W Wimpfen (Le baron de). Baill. de Caen. Wolter de Neubourg. Baill. de Metz. N. B. La noblesse de Bretagne ne s’étant pas rendue aux États généraux ne se trouve point dans cette liste. TIERS-ÉTAT. A Afforty , cultivateur, à Villepinte. Prévôté et vicomté de Paris. Agier, lieutenant général de la sénéchaussée du Poitou. Allard, médecin. Sén. d’Anjou. Allard-Duplantier, propriétaire. Dauphiné. Alquier, maire de la Rochelle. Sén. de la Rochelle. Andrieu, avocat général, etc. du duché de Montpensier, maire d’Aigueperse. Sén. de Riom. Andurant, avocat. Sén. de Villefianche en Rouergue. Ango, bailli de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Baill. de Cou-- tances. ' Anson, receveur général des finances. Ville de Paris. Anthoine, lieutenant général du bailliage de Boulay. Baill. de Sarreguemines. Armand, avocat. Baill. de Saint-Flour. Arnoult, avocat. Baill. de Dijon. Ariveur, commissaire enquêteur en la sénéchaussée de Lyon. Sén. de Trévoux. Aubry-Dubouchet, commissaire à terrief. Baill. de Villers-Cotterets. Auclerc-Descottes, médecin. Baill. du Berry. Audier-Massillon, lieutenant général en la sénéchaussée. Sén. d’Aix. Augier, négociant à Cognac. Baill. d’Angoulême. Augier négociant à Charente, Sén, de Saintes, Auvinet, sénéchal de Montaigu. Marches communes du Poitou et de Bretagne. Auvry, procureur-syndic dp département. Baill, de Mon-furt-l’Amaury. B Babey, avocat du roi à Orgelet. Baill. d’Aval. Baco de La Chapelle, procureur du roi à Nantes. Sén. de Nantes. Bailleul, président de l’élection du Perche. Baill. du Perche. Baillot, avocat. Baill. de Troyes. Bailly, des académies française, des belles-lettres et des sciences. Ville de Paris. Bailly, laboureur. Baill. du Vermandois. Bandi-Delachaux, lieutenant de maire de Felletin. Sén. de Guéret. Barbier, lieutenant général au bailliage de Vitry. Baill. de Vitry-le-François. Barnave, propriétaire. Dauphiné. Baron, avocat. Baill. de Reims. Barrière de Vieuzac, avocat, conseiller en la sénéchaussée du Bigorre. Sén. du Bigorre. Basquiat de Mugriet, lieutenant général de Saint-Scver. Sén. de Saint-Sever, Dax, etc. Baucheton, avocat à Issoudun. Baill. du Berry. — Bazin, avocat. Baill. de Gien. Bazoche, avocat du RoiàSaint-Mihiel. Baill.deBar-le-Duc Beaudoin de Maisonblanche, avocat. Sén. de Lannion. Beaulieu, propriétaire. Baill. de Touraine. Beauperrey, propriétaire à Gâcé. Baill. d’Évreux. Bédouin, écuyer, négociant au Havre. Baill. de Caux. Bellezais de Courmesnil, procureur du roi à Argentan. Baill. d’Alençon. Bénazet, bourgeois de Saissac. Sén. de Carcassonne. Benoist, avocat et notaire à Frolois. Baill. de Chàtillon-sur-Seine. Béranger, procureur du roi à l’élection de Valence. Dauphiné. Bergasse, avocat. Sén. de Lyon. Bergasse-Laziroule, ancien officier d'artillerie. Sén. de Pamiers. Bernard, syndic du chapitre de Weissembourg. Alsace. Bernard-Valentin, bourgeois. Sén. de Bordeaux. Bernigaud de Grange, lieutenant au bailliage de Châ-lon-sur-Saône. Baill. de Châlon-sur-Saône. Berthereau, procureur au Châtelet. Ville de Paris. Berthier, bailli de Puyseaux. Baill. de Nemours. Berthomier de Lavillette, procureur du roi. Sén. de Moulins. Bertrand, avocat et procureur du roi. Baill. de Saint-Flour. Bertrand de Montfort, vice-bailli, lieutenant géné-des baronies. Dauphiné. Besnard-Duchesne, lieutenant au bailliage de Valogries. Baill. de Coutances. Bévière, notaire. Ville de Paris. Biaille de Germon, procureur du roi aux eaux et forêts. Sén. du Poitou. Bidault, lieutenant criminel au baill.de Poligny. Baill. d’Aval . Bignan, négociant. Dauphiné. Billette, négociant. Sén. de Quimperlé, etc. Bion, avocat. Baill. de Loudun. Biroteau de Burondières, avocat près les Sables, Sén, du Poitou. [i™ Série, T. I«] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 602 Bizard, ancien maire. Sén. de Saumur. Blanc, avocat. Baill. de Besançon. Blancard, propriétaire. Dauphiné. Blanquard des Salines. Baill. de Calais. Blin, médecin. Sén. de Nantes. Boéry, président en l’élection de Châteauroux. Baill. du Berry. Boislandry, négociant à Versailles. Prévôté et vicomté de Paris. Boissonnot, notaire. Sén. de Bordeaux. Boissy-d’Anglas. Sén. d’Annonay. Bonegen, lieutenant à la sén. de Saint-Jean-d’Angély. Bonet de Treyches, lieutenant de la sén.duPuyenVelay. Bonnet, avocat. Sén. de Limoux. Bordeaüx, procureur du roi. Baill. de Chaumont en Vexin. Bornier (Dutrou de), conseiller à Montmorillon. Sén. du Poitou. Bouche, avocat. Sén. d’Aix. Bouche, avocat. Sén. de Forcalquier. Boucher, négociant. Province d’Artois. Bouchet, procureur du roiàChinon. Baill. de Touraine. Bouchette, avocat à Bergues. Baill. de Bailleul. Bouchotte, procureur du roi au bailliage de Bar-sur-Seine. Baill. de Bar-sur-Seine. Boullé, avocat à Pontivy. Sén. de Ploërmel. Boulouvard, négociant à Arles. Ville d’Arles. Bourdon, procureur du roi au baill. d’ Arques. Baill. de de Caux. Bourdon, curé d’Evaux. Sén. de Riom. Bourgeois, laboureur. Baill. de Villers-Cotterets. Bouron, avocat du roi à Fontenay. Sén. de Poitou. Boutaric, président de l’élection de Figeac. Sén. du Quercy. Bouvet, négociant. Baill. de Chartres. Bouveyron, bourgeois. Baill. de Bourg-en-Bresse. Bouvier, procureur du roi. Principauté d’Orange. Branche, avocat. Sen. de Riom. Brassart, avocat. Province d’Artois. Brevet de Beaujour, avocat du roi au présidial d’Angers. Sén. d’Anjou. Briaut, sénéchal de la Mothe-Sainte-Héraye. Sén. du Poitou. Brillat-Savarin, avocat. Baill. de Bugey et Val-romey. Brocheton, avocat. Baill. de Soissons. Brostaret, avocat à Castel-Jaloux. Sén. de Néràc. Brunet de Latuque, juge royal de Puch de Gontaut. Sén. de Nérac. Buffy, notaire. Baill. deDourdan. Burdelot, maire de Pontorson. Baill. de Coutances. Buschey Desnoes , conseiller au bailliage de Bernay. Baill. d’Évreux. Buzot, avocat à Évreux. Baill. d’Évreux. C Campmas, médecin. Première Sén. de Languedoc. Camus, avocat, de l’académie des inscriptions et belles-lettres. Ville de Paris. Camusat de Belombre, négociant. Baill. de Troyes. Castaignède, notaire. Sén. de Tartas. Castelanet, notaire.; admis pour remplacer M. Liquier, mort à Versailles le 13 juin 1789. Sén. de Marseille. Chabroud, avocat. Dauphiné. Çhaillon, avocat. Sén. de Nantes. Chambon de Latour, maire d’Uzès. Sén. de Nîmes. Chambors (Le comte de). Vicomté de Couserans. Chantair, conseiller au présidial de Mirecourt. Baill. de Mirecourt. Chapelier, avocat. Sén. de Rennes. Charier, avocat. Sén. de Mende. Ciiassebceuf de Volney, propriétaire à Angers. Sén. d’Anjou. Chasset, avocat. Sén. du Beaujolais. Chavoix, avocat. Sén. de Limoges. Chenet, maire de Montélimart. Dauphiné. Chenon de Beaumont, conseiller en l’élection du Mans. " Sén. du Maine. Ciierfils, procureur du roi au baillage de Cany. Baill. de Caux. Guerrier, lieutenant général de Neuchâteau. Baill. de Mirecourt. Chesnon de Bagneux , lieutenant criminel à Chinon. Baill. de Touraine. Chevalier, cultivateur. Prévôté et vicomté de Paris. Choisy, cultivateur. Baill. de Châlons-sur-Marne. Chombart, propriétaire. Baill. de Lille. Christin, avocat à Saint-Claude. Baill. d’Aval. Cigongne, négociant. Sén. de Saumur. Claude, avocat à Longwy. Baill. de Metz. Claye, laboureur. Baill. de Châteauneuf en Thimerais. Cochard, avocat. Baill. d’Amont. Cocherel (Le chevalier de) . Colonie de Saint-Domingue. Cochon de l’Apparent, conseiller à Fontenay , suppléant admis en place de M. Thibaudeau, resté à Poitiers. Sén. du Poitou. Colombel de Boissaulard', négociant. Baill. d’Alençon. Corentin Le Floc, laboureur à Quanquizerne. Sén. d’Hennebont. Coroller Dumoustoir, procureur du roi à Hennebont. Sén. d’Hennebont, Cottin, propriétaire. Sén. de Nantes. Couder, négociant. Ville de Lyon. Coupard, avocat. Sén. de Dinan. Couppé, sénéchal de Lannion. Sén. de Lannion, etc. Crénière, négociant à Vendôme. Baill. de Vendôme. Creuzé de Latouche, lieutenant de la sénéchaussée de Châtellerault. Sén. de Chàtellerault. Cussy (De), directeur de la monnaie de Caen. Baill. de Caen. » Dabadie, capitaine au corps royal du génie. Les Qua-tre-Vallées. D’Ailly, conseiller d’État. Baill. de Chaumont en Vexin. Darches, maître de Forges à Marienbourg. Baill. d’A-vesnes. D’Arnaudat, conseiller au Parlement de Navarre. Béarn. D’Arraing, propriétaire. Pays de Soûles. Daubert, juge royal. Sén. d’Agen. Dauchy, cultivateur. Baill. de Clermont en Beauvoisis. Darbe, avocat du roi. Baill. de Saint-Flour. Davost, greffier au bailliage de Provins. Baill. de Provins. Debourge, négociant. Ville de Paris. Decretot, négociant à Louviers. Baill. de Rouen. Defay, propriétaire. Baill. d'Orléms. Defrances, avocat à Privas. Sén. de Villeneuve-de-Berg. Del abat, négociant. Sén. de Marseille. Delacour, cultivateur. Baill. de Senlis. 603 [jre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Delacour d’Ambésieux, avocat. Dauphiné. Delapaye de Launay, propriétaire. Baill. d’Orléans. Delalande, lieutenant de maire d’Ernée. Sén. du Maine. Delambre, cultivateur. Cambrésis. Dalandine, avocat, bibliothécaire de l’académie de Lyon. Baill. du Forez. Delattre, négociant. Sén. de Ponthieu. Delattre de Balzaert, maître particulier des eaux et forêts à Merville, Baill. de Bailleul. Delartigue, lieutenant général de la sénéchaussée de Toulouse. Première sénéchaussée de Languedoc. Delauney, avocat à Bayeux. Baill. de Caen. * Delort de Puymalie, lieutenant de la sénéchaussée d’Uzerches. Sén. de Tulle. Deluze l’Étang, notaire. Sén. de Bordeaux. Desmazières, conseiller au siège d’Angers. Sén. d’An-j°u. Desmeuniers, homme de lettres. Ville de Paris. Demeunille, sénéchal de Jugon. Sén. de Saint-Brieuc . Dehaze, lieutenant général de Vezoul. Baill. d’ Amont. Dbsecoutes, propriétaire. Baill. de Meaux. Desèse, médecin. Sén. de Bordeaux. Despatys de Courteilles, lieutenant général du Châtelet. Baill. de Melun. Deviefville des Essarts, avocat, subdélégué de Guise. Baill. de Vermandois. Devillas, juge de Pierrefort. Baill. de Sain t-Flour. Devisme, avocat. Baill. de Vermandois. Devoisins, avocat au Parlement de Toulouse. Première sénéchaussée de Languedoc. Dinochau, avocat à Blois. Baill. de Blois. Dosfand, notaire. Ville de Paris. Douchet, cultivateur. Baill. d’Amiens. Dourthe, procureur du roi. Baill.de Sedan. Druillon, lieutenant général au bailliage de Blois. Baill. de Blois. Dubois, maire de Châtellerault. Sénéch. de Châlelle-rault. Dubois de Crancé, écuyer, ancien mousquetaire. Baill. de Vitry-le-François. Dubois-Maurin, doyen des conseillers de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg. Dubuisson d’Inchy , agriculteur, propriétaire. Province d’Artois. Ducellier, avocat. Prévôté et vicomté de Paris. Dufraisse-Duchey, lieutenant général de la sénéchaussée d’Auvergne. Dumas, avocat. Principauté d'Orange. Dumas-Gonthier, propriétaire. Sén. de Libourne. Dumesnil des Planques, maire de Carentan. Baill. de Coutances. Dumetz, avocat. Baill. de Péronne. Dumoustier de La Fond, avocat du roi. Baill. de Lou-dun. Duplaquet, chapelain conventuel de l’ordre de Malte, censeur royal Baill. de Saint-Quentin. Dupont, avocat. Sén. de Bigorre. Dupont, conseiller d’État, chevalier de l’ordre de Vasa, propriétaire-cultivateur. Baill. de Nemours. Dupré, négociant à Carcassonne. Sén. de Carcassonne. Dupré de Ballay, procureur du roi au baillage du Cler-montois. Baill. de Verdun. Duquesnoy, avocat. Baill. de Bar-le-Duc. Durand, avocat. Sén. de Quercy. Durand, négociant. Sén. de Lyon. Durand de Maillanne, avocat. Sén. d’Arles. Durget, avocat. Baill. D’Amont. Dusers, conseiller au présidial de Vannes. Sén. de Van • nés. Duval de Grandpré, avocat. Sén. de Ponthieu. Duvivier, cultivateur à Bonneuil-en-France. Prévôté et vicomté de Paris. E Emmery, avocat. Baill. de Metz. Enjubault de Laroche, juge du comté-pairie de Laval. Sénéch. du Maine. Escourre de Péluzat, avocat. Sén. d’Agen. Espic, avocat à Aubenas. Sén. de Villeneuve-de-Berg. F Faydel, avocat à Cahors. Sén. du Quercy. Ff.raud, consul de Brignolles. Sén. de Toulon. Fermon-Deschapelirées , commissaire des Étals de Bretagne. Sén. de Rennes. Ferté, laboureur. Baill. de Soissons. Filleau, conseiller en la sénéchaussée de Niort. Sén. du Poitou. Fisson-Jaubert, médecin. Sén. de Bordeaux. Flachslanden (Le Bailli de), grand’eroix de l’ordre de Malte. Baill. d’Haguenau. Flaust, lieutenant général du baillage de Vire. Baill. de Caen. Fleury, fermier. Province d’Artois. Fleurye, procureur du roi au baillage do Montivilliers, Baill. de Caux. Fontenay, négociant. Ville de Rouen. Fos de Laborde, maire de Gaillac. Première sén. de Languedoc. Fouquier d’Hérouelle, seigneur et cultivateur. Baill. de Saint-Quentin. Fournier de la Charmie, lieutenant général de Péri-gueux. Sén. duPérigoi’d. Fournier de la Pommerais, procureur du roi à Fougères. Sén. de Fougères. Francheteau de la Glostière, avocat. Marches communes du Poitou et de Bretagne. Franchistegui, propriétaire. Navarre. François, agriculteur. Sén. d’Agen. Francoville, avocat. Baill. de Calais. Fricaud, avocat. Baill. de Charolles. Fricot, procureur du roi à Remiremont. Baill. de Mire-recourt. Frochot, avocat, prévôt royal d’Aignay-le-Duc. Baill. de Châtillon-sur-Seine. G Gagon-Duchénay, avocat, ancien maire de Dinan. Sén. de Dinan. Gallot, médecin. Sén. du Poitou. Gantheret, cultivateur. Baill. de Dijon. Garat aîné, avocat au Parlement de Bordeaux. Baill. de Labour. Garat jeune, homme de lettres. Baill. de Labour. Garesché, propriétaire. Sén. de Sain les. Garnier, conseiller au Châtelet. Ville de Paris. Gaschet de Lille, négociant. Sén. de Bordeaux. Gaultier, avocat du roi. Baill. de Touraine. Gaulthier de Biauzat, avocat. Baill. de Clermont eq Auvergne. 604 [lre Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Gautier des Orcières, avocat. Baill. de Bourg-en-Bresse. Geoffroy, avocat. Baill. de Charolles. Gérard, laboureur. Sén. de Rennes. Gérard, propriétaire. Colonie de Saint-Domingue. Gérard, syndic de Vie. Baill. de Toul. Germain, négociant . Ville de Paris. Germiot, agriculteur. Baill. de Nantes. Gidoin, propriétaire. Baill. d’Ëtampes. Gillet de La Jacquemière, procureur-syndic du département de Joigny. Baill. de Montargis. Gillon, avocat. Baill. de Verdun. Giraud Ddplessix, avocat du roi à Nantes. Sén. de Nantes. Girerd, médecin à Tarare. Sén. de Lyon . Girod de Chévry, bourgeois. Baill. de Gex. Girod de Toiry, avocat. Baill. de Gex. Girot-Pouzol, avocat. Sén. de Riom. Gleizen, avocat. Sén. de Rennes. Gontier de Biran, lieutenant général de la sénéchaussée de Bergerac. Sén. du Périgord. Gossin, lieutenant général au baillage de Bar. Baill. de Bar-le-Duc. Gossuin, lieutenant-général du baillage du Quesnoy en Hainaut. Goudard, négociant. Ville de Lyon. Gouges-Carton, négociant à Moissac. Sén. du Quercy. Gounot, avocat au Parlement. Baill. de Nivernais. Goupil de Préfeln, ancien magistrat. Baill. d’Alençon. Goupilleau, notaire à Montaigu. Sén. du Poitou. Gourdan, lieutenant criminel au baillage de Gray. Baill. d’Amont.- Gournay, avocat à Mayenne. Sén. du Maine. Gouy d’ârcy (Le marquis de). Colonie de Saint-Domingue. Goyard, avocat. Sén. de Moulins. Graffan, licencié ès droits. Province du Roussillon. Grangier, avocat en Parlement. Baill. du Berry. Grellet de Beauregard, avocat du roi au présidial de Guéret. Sén. de Guéret. Grenier, avocat. Sén. de Riom. Grenot, avocat. Baill. de Dôle en Franche-Comté. Griffon de Romagné, lieutenant général de la sénéchaussée. Sén. de la Rochelle. Gros, avocat. Sén. de Boulogne-sur-Mer. Guérin, maître de Forges à Sougé. Sén. du Maine. Guilhermy, procureur du roi au présidial. Sén. de Cas-telnaudary. Guillaume, avocat au conseil. Prévôté et vicomté de Paris. Guillotin,' médecin. Ville de Paris. Gujnebaud de Saint-Mesme, négociant à Nantes. Sén. de Nantes. Guiot, avocat à Arnay-le-ôuc. Baill. d’Auxois. Guiot de Saint-Florent, avocat à Semur. Baillage d’Auxois. Guittard, chevalier de Saint-Louis. Baill. de Belfort et Huningue. H Hanoteau, fermier, Baill. de Crépy en Valois. Hardy de Largère, maire de Vitré, Sén. de Rennes. Harmand, avocat. Baill. de Château-Thierry. Hauducoeur, ancien laboureur. Baill. de Montfort-l’A-maury. Hérrard, avocat. Baill. de Saint-Flour, Héliand, Sén. du Maine. Hell, procureur-syndic provincial d’Alsace. Baill. d’Ha-guenau. Hennet, prévôt de Maubeuge. Baill. d’Avesnes. Henriot, procureur du roi. Baill. de Langres. Henri de Longuève, avocat du roi au Châtelet d’Orléans. Baill. d’Orléans. Hernoux, négociant à Saint-Jean-de-Losne.' Baill. de Dijon. IIerrmann, procureur général du conseil souverain d’Alsace. Baill. de Colmar et Schlestadt. IIerwyn, conseiller-pensionnaire à Honschoote. Baill. dé. Bailleul. Houdet, maire de Meaux. Baill. de Meaux. Huard, négociant, armateur de Saint-Malo. Sénéch. de Rennes. Huguet, maire de Billom. Baill. de Clermont en Auvergne. IIuot de Goncoürt, avocat. Baill. de Bar-le-Duc. Humblot, négociant. Sénéch. du Beaujolais. IIutteau, avocat. Ville de Paris. J Jac, propriétaire. Sén. de Montpellier. Jaillant, lieutenant criminel du bailliage de Sens. Baill. de Sens. Jamier, propriétaire à Montbrison, officier du point d’honneur. Baill. du Forez. Janny, avocat. Baill. de Chaumont en Bassigny. Janson, propriétaire Baill. de Gien. Jarry, cultivateur. Sén. de Nantes. Jaume, propriétaire à Hyères. Sén. de Toulon. Jeannet, négociant. Baill. de Troyes. Jeannet, procureur du roi à Saint-Florentin. Baill. de Troyes. » Jourdan, avocat à Trévoux. Sén. de Trévoux. Jony-Desroches, lieutenant au présidial du Mans. Sén. du Maine. K Kauffmann, prévôt de Matzenheim. Baill. de Colmar et Schlestadt. Kispotter, lieutenaut criminel. Baill. de Bailleul. L, Labeste, propriétaire à Cumières. Baill. de Reims. Laborde-Escuret, notaire à Mauléon. Pays de Soûles. Laborde de Méréville. Baill. d’Étampes. Laboreys de Chateau-Favier, inspecteur des manufactures d’Aubusson. Sén. de Guéret. . Lachèze, lieutenant de là sénéchaussée de Martel. Sén. du Quercy. Laclaverie de La Chapelle, avocat. Sén. d’Arma-gnac, etc. Lafargue, ancien consul. Sén. de Bordeaux. Laforge, conseiller au présidial. Baill. d’Auxerre. Laforge, avocat à Châteaudun. Baill. de Blois. Laignière, avocat. Baill. de Montfort-l’Amaury. Laloy, médecin. Baill. de Chaumont en Bassigny. Lamarque, procureur du roi. Sén. de Saint-Sevcr Dax, etc. Lambel, avocat. Sén. de Villeneuve en Rouergue. Lamethrie, avocat. Baill. de Mâcon. L�ry, négociant à Caen, Baill. dç Caen, [ire Série, T. Ier.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] Langlier, cultivateur. Baill. d’Amiens. Lanjuinais, avocat et professeur en droit canon. Sén. de Rennes. Lapoule, avocat Baill. de Besançon. Larevellière-Lépeaux, bourgeois. Sén. d’Anjou. Larreyre, conseiller du roi en la sénéchaussée. Sén. de Tartas. Lasalle, lieutenant général à Sarrelouis. Baill. de Metz Lasmer de Vaussenay, négociant à Laval. Sén. du Maine. Lasnon, cultivateur. Baill. de Caux. Laterrade, juge-mage, lieutenant général de Lectoure. Sén. d’Armagnac, etc. Latil, avocat, maire de Sisteron. Sén. de Forcalquier. Latour, médecin et maire de la ville d’Aspet. Com-minges et Nébouzan Latteux, avocat. Sén. de Boulogne-sur-Mer. Laurence, négociant à Poitiers. Sén. du Poitou. Laurendeau, avocat. Baill. d’Amiens. Lavenue, avocat à Bordeaux. Sén. de Bazas. Lavie, cultivateur. Baill . de Belfort et Huningue. Laviguerie, juge royal de Muret. Comminges et Nébouzan. La ville-Leroux, négociant à Lorient. Sén. d’Henne-bont. Lazad£, syndic du diocèse d’Aleth. Sén. de Limoux. Lebigot de Bauregard, maire de Domfront. Baill. d’Alençon. Leblanc, maire de Senlis. Baill. de Senlis. Lebois Desguays, lieutenant particulier du bailliage de Montargis. Baill. de Montargis. Lebrun, écuyer. Baill. de Dourdan. Lebrun, de la Motte-Vessé et Belle court. Sén de Moulins. Lecarlier, maire de Laon. Baill du Vermandois. Leclerc, libraire, ancien juge-consul. Ville de Paris. Leclerc, laboureur. Baill. du Vermandois. Ledéan, commissaire des États de Bretagne. Sén. de Quimper. Lefebvre de Ghailli, propriétaire à Gamaches. Baill. de Rouen. Lefort, propriétaire à Canteleu. Baill. de Rouen. Lefort, négociant. Baill. d’Orléans. Legendre, avocat. Sén. de Brest. Legoazre de Kervelegan, sénéchal. Sén. de Quimper. Legohas, avocat à Châteaulin. Sén. de Quimperlé, etc. Legoutleux de Canteleu,, premier échevin. Ville de Rouen. Legrand, avocat du roi au bailliage de Ghâteauroux. Baill. du Berry. Leguen de Kérangal de Landivisiau, propriétaire. Sén. de Lesneven. Leguiou de Kérinkuff, avocat. Sén. de Quimper. Lejeans, négociant. Sén. de Marseille. Lelai de Grantugen. Sén. de Lannion. Leleu de La Ville-aux-Bois, subdélégué à Laon. Baill. du Vermandois. Lemaignan, lieutenant criminel de Baugé. Sén. d’Anjou, Lemaréchal, négociant à Rugles. Baill. d’Évreux. Lemercier, lieutenant au présidial. Sén. de Saintes. Lemoine, orfèvre. Ville de Paris. Lemoine de La Giraudais, avocat. Sén. de Fougères. Lenoir de La Roche, avocat. Prévôté et vicomté de Paris. Lepoutre, fermier. Baill. de Lille. Lereffait, propriétaire. Baill. de Rouen. Leroux, ancien maire de ville. Bail!. d’Amiens. Lesacher de La Palière, avocat. Baill. de Goutances. 6(15 L’Escurier, lieutenant au bailliage de Salers. Baill. de Saint-Flour. Lesterpt, avocat , juge-sénéchal du Dorât. Sén. de la Basse-Marche. Lesterpt de Beauvais, avocat au Dorât. Sén. de la Basse-Marche. Lesure, lieutenant général de Sainte-Ménéhould. Baill. de Vitry-le-François. Lillias de Crosse, avocat. Baill. de Bugey et Valromey. Liquier, négociant. Sén. de Marseille. Livré, échevin de la ville du Man3. Admis pour remplacer M. Héliaud, mort à Versailles le 7 mai 1789. Sén. du Maine. Lofficial, lieutenant général au bailliage de Vouvant. Sén. du Poitou. Lombard de Taradeau, lieutenant général du bailliage. Sén. de Draguignan. Lomet, avocat. Sén. de Moulins. Long, procureur du Roi à Beaumont-les-Lomagnes. Pays et jugerie de Rivère-Verdun. Loslier, marchand. Baill. de Montfort-l’Amaury. Loys, avocat à Sarlat. Sén. du Périgord. Lucas de Bourgerel, avocat à Vannes. Sén. de Vannes. Lulière, avocat, ancien lieutenant de maire de Tulle. Sén. de Tulle. M Madier de Monjau, avocat, consul et maire de Saint-Andéol. Sén. de Villeneuve-de-Berg. Maillot, lieutenant au bailliage de Toul. Baill. de Toul. Malès, avocat. Sén. de Tulle. Malouet, intendant delà marine à Toulon. Sén. de Riom. Maranda d’Oliveau, avocat. Baill. de Nivernais. Marchais, assesseur du duché de la Rochefoucauld. Baill. d’Angoulême. Mareux, cultivateur. Baill. de Péronne. Margonne, négociant. Baill. du Perche. Marquis, avocat. Baill. de Bar-le-Duc. Martin, avocat en Parlement. Suppléant admis pour remplacer M. Blanc, mort à Versailles. Baill. de Besançon. Martin d’Auch, licencié ès-droits. Sén. de Castclnaudary. Martineau, avocat. Ville de Paris. Mathieu de Rondeville, avocat. Baill. de Metz. Mauhiaval, avocat, propriétaire-cultivateur. Sén. de Vil-lefranche en Rouergue. Maupetit, procureur du roi à Mayenne. Sénech. du Maine. Mauriet de Flory, avocat. Sén. de Mont-de-Marsan. Mayer, avocat et propriétaire. Baill. de Sarreguemine • . Mazurier de Penannech. Sén. de Lannion. Melon, lieutenant de la sénéchaussée de Tulle. Sén. de Tuile. Ménard de la Groye, conseiller au présidial du Mans. Sén. du Maine. Menu de Ghomorceau, lieutenant au bailliage de Ville-neuve-le-Roi. Baill. de Sens. Mérigeaux, avocat. Sén. de Beziers. Merle, maire de Mâcon. Baill. de Mâcon. Merlin, avocat au Parlement de Flandre et secrétaire du roi. Baill. de Douai. Mestre, propriétaire. Sén. de Libohrne. Meunier du Breuil, lieutenant au présidial de Mantes. Baill. de Mantes. [ire Série, T. fer.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction ] 606 - Meurinne, cultivateur. Baill. de Clermont en Beau-voisis. Mévolhox, avocat. Sén. de Forcalquier. Meyer, médecin. Alsace. Meyfrend, consul à Toulon. Sén. de Toulon. Meyniel, avocat Sén. de Condom. Meynier de Salimelles, bourgeois. Sén. de Nîmes. Michelon, procureur du Roi à Montmarant. Sén. de Moulins. Millanois, imprimeur et libraire. Ville de Lyon. Millet de Belleysle, avocat. Sén. d’Agen. Millet de Lamambre, lieutenant général au bailliage de Mohon. Baill. de Sedan. Millon de Montherlant, avocat, syndic de Beauvais. Baill. de Beauvais. Milscent, lieutenant au présidial d’Angers. Sén. d’Anjou. Mirabeau (Le comte de). Sén. d’Aix. Mollien, propriétaire à Ménil-sur-Blangis. Baill. de Rouen. Monneron l’aîné. Sén. d’Annonay. Monsinat, avocat au Parlement de Toulouse. Première sén. de Languedoc. Montaudon, avocat. Sén. de Limoges. Moreau, avocat, Baill. de Touraine. Morel, cultivateur. Baill. de Chaumont en Bassigny. Morin, avocat. Sén. de Carcassonne. Mortier, cultivateur. Cambrésis. Mougeotte de Vignes, procureur du roi. Baill. de Chaumont en Bassigny. Mougins de Roquefort, maire et premier consul de la ville de Grasse. Sén. de Draguignan. Mounier, secrétaire des États du Dauphiné. Dauphiné. Mourût, avocat. Béarn. Moutier, lieutenant au bailliage de Sézanne. Baill. de Sézanne. Moyot, négociant. Sén. de Brest. Muguet de Nantiiou, écuyer, lieutenant général au bailliage de Gray. Baill. d’Amont. N Nairac, négociant. Sén. de Bordeaux. Nau de Belleisle, maire de Castelmoron. Sén. de Cas-telmoron. Naurissart, directeur de la monnaie de Limoges. Sén. de Limoges. Nicodème, ancien échevin de Valenciennes. Ville de Valenciennes. Nioche, avocat à Loches. Baill. de Touraine. Noussitou, avocat à Pau. Béarn. O Oudaille, laboureur. Baill. de Beauvais. P Paccard, avocat à Châlon-sur-Saône. Baill. de Châ-lon-sur-Saône. Pain, conseiller-assesseur au bailliage deThorigny. Baill. de Caen. Palasne de Champeaux, sénéchal de Saint-Brieuc. Sén. de Saint-Brieuc. Parent de Chassi, avocat au conseil. Baill. du Nivernais. Parisot, avocat aux Riceys. Baill. de Bar-sur-Seine. Paulhiac de la Sauvetat, avocat. Sén. du Périgord. Paultre Desépinettes, bourgeois de Saint-Sauveur. Baill. d’Auxerre. Payen, cultivateur. Province d’Artois. Payen-Boi-sneuf, propriétaire. Baill. de Touraine. I’égot, négociant. Comminges et Nébouzan. Pelauque-Béraut,. procureur du roi. Sén. de Condom. Pèlerin de la Buxière, propriétaire. Baill. d’Orléans. Pellerin, avocat. Sén. de Nantes. Pellegrin, curé de Sommercourt. Baill. de Bar-le-Duc. Pelissier, méd’ecin. Sén. d’Arles. Pemartin, avocat à Oleron. Béarn. Perdry, ancien échevin de Valenciennes. Ville de Valenciennes. Pérès, avocat à Mirande. Sén. d’Àuch. Pérès d’AtmssAN, conseiller au Parlement de Bordeaux. Sén. de Mont-de-Marsan. Pérès de Lagesse, avocat. Pays et jugerie de Rivière-Verdun. Périer, notaire. Baill. de Châteauneuf en Thimerais. Périsse Duluc, libraire à Lyon. Ville de Lyon. Pernelle, notaire à Lure. Baill. d’Amont. Perrée-Duhamel, négociant. Baill. de Coutances. Perret de Trigadoret, avocat. Sén. de Ploërmel. Perrigny (Le marquis de). Colonie de Saint-Domingue. Perrin de Rozier, avocat. Sén. de Villeneuve en Rouergue. Pervinquière, avocat à Fontenay. Sén. du Poitou. Petion de Villeneuve, avocat. Baill. de Chartres. Pétiot, procureur du roi à Chalon-sur-Saône. Baill. de Châlon-sur-Saône. Petit, cultivateur. Province d’Artois. Petit-Mangin, procureur du roi à Saint-Diez. Baill. de Mirecourt. Pezous, avocat à Alby. Sén. de Castres. Peyruchaud, avocat. Sén. de Castelmoron. Peliéger, procureur-syndic d’Huningue. Bail!, de Belfort et Huningue. Picard de la Pointe, lieutenant de la vénerie du roi. Baill. de Saint-Pierre-le-Moustier. Picquet, avocat du roi. Baill. de Bourg-en-Bresse. Pincepré de Buire, propriétaire. Baill. de Péronne. Pinterel de Louverny, lieutenant au bailliage de Château-Thierry. Baill. de Château-Thirry. Pison du Galland, avocat. Dauphiné. Pochet, avocat. Sén. d’Aix. Poignot, négociant. Ville de Paris. Poncet d’Elpech, avocat à Montauban. Sén. du Quercy. Poncin, avocat. Baill. du Quesnoy en Hainaut. Pons de Soulages, propriétaire. Sén. de Rhodez. Populus, avocat. Baill. de Bourg-en-Bresse. Pothée, échevin de Montuire. Baill. de Vendôme. Pougeard du Limbert, avocat à Confolens. Baill. d’An-goulême. Poulain de Beauchesne, ancien lieutenant de la grande louveterie de France. Baill. de Caen. Poulain de Boutancourt, maître de forges. Baill. de Vitry-le-François. e Poulain de Corbion, maître de Saint-Brieuc. Sén. de Saint-Brieuc. Poultier, lieutenant général du bailliage. Baill. de Mon-treuil-sur-Mer. Pouret-Rocquerie, procureur du roi au bailliage de Perriers. Baill. de Coutances. Poya de l’Herbey, lieutenant particulier au bailliage d’Issoudun. Baill. du Berry. [ire Série, T. 1er] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.] 007 Prévôt, avocat du roi à Roye. Baill. de Péronne. Prieur, avocat à Châl'ons. Baill. de Châlons-sur-Marne. Pruche, maire de Dormans. Baill de Sézanne. Prudhomme df. Kérangon, lieutenant des canonniers gardes-côtes. Sén. de Ses neven. Prugnon, avocat. Baill. de Nancy. « Qcatrefages de la Roquette, bourgeois. Sén. de Nimes. K Rabaud de Saint-Étienne, homme de lettres. Sén. de Nîmes. Raby de Saint-Médard, citoyen de Castel-Sarrazin. lre sén. de Languedoc. Ramel-Nogaret, avocat du roi à Carcassonnne. Sén. de Carcassonne. Ratier de Montgüion, propriétaire. Sén. de Saintes. Raux, maître de forges. Baill. de Reims. Rédon, avocat. Sén. de Riom. Régnault d’Épercy, procureur du roi à Dole. Baill. de Dole en Franche-Comté. Régnault, avocat. .Sén. de Sainl-Jean-d’Angély. Regneault, avocat du roi à Lunéville. Baill. de Nancy. Regnîer, avocat. Baill. de Nancy. Renaud, avocat. Sén. d’Agen. Repoux, avocat à Autun. Baill. d’Autun. Reyvbell, bâtonnier de l’ordre des avocats au conseil souverain d’Alsace. Baill. de Colmar et Schlestadl. Révol, avocat. Dauphiné. Rey, avocat. Sén. de Béziers. Reynaud (Le comte de). Colonie de Saint-Domingue. Riberolles, négociant. Sén. de Riom. Ricard, conseiller au sénéchal. Baill. de Castres. Ricard, lieutenant au présidial de Nîmes. Sén. de Nîmes. Ricard de Séalt, avocat. Sén. de Toulon. Richard, propriétaire à Bourg-Argental. Baill. du Forez. Riche, négociant à Angers. Sén. d’Anjou. Richon, avocat. Sén. du Puy en Velay. Riquier, propriétaire. Baill. de Montreuil-sur-Mer. Rivierre, lieutenant général de la sénéchaussée. Sén. de Mende. Robert, avocat à Saint-Pierre-le-Moustier. Baill. du Nivernais. Robespierre (Maximilien), avocat à Arras. Province d’Artois. Robin de Moréry, négociant. Sén. de Ploërmel. Roca, bourgeois de Prades. Province du Roussillon. Rocca (Le comte de Colonna-Cesari de), capitaine au régiment provincial de Corse. Ile de Corse. Rocque de Saint-Pons, négociant. Sén. de Béziers. Rodat-Dolemps, cultivateur. Sén. de Rhodez. Roger, juge royal de Simorre. Comminges et Nébouzan. Rostaing (Le marquis de), maréchal de camp, chevalier de Saint-Louis et de Cincinnatus, grand bailli du Forez. Baill. du Forez. Roulhac, lieutenant général de la sénéchaussée de Limoges. Sén. de Limoges. Rousselet, avocat du roi à Provins. Baill. de Provins. Roussier, négociant. Sén. de Marseille. Roussillon, négociant à Toulouse. lre sénéchaussée de Languedoc. Roy, avocat à Angoulême. Baill. d’Angoulême. S Saige, avocat. Sén. de Bazas. Sales de Costebelle, avocat. Sén. de Béziers. Salicetti, avocat au conseil supérieur de Corse. Ile de Corse. Salle de Choux, avocat du roi à Bourges. Baill. du Berry. Salles, médecin à Yézelise. Baill. de Nancy. Salomon de La Saugerie, avocat. Baill. d’Orléans. Sancy, avocat à Châlon-sur-Saône. Baill. de Châlon-sur-Saône. Scheppers, négociant à Lille. Baill. de Lille. Schmits, avocat à Château-Salins. Baill. de Sarregue-mines. Schwendt, syndic de la noblesse de la Basse-Alsace. Ville de Strasbourg. Sentez, procureur du roi à Auch. Sén. d’Auch. Sieyes, chanoine et grand vicaire de Chartres. Ville de Paris. •Sieyes de La Baume, propriétaire. Sén. de Draguignan. Simon, cultivateur. Baill. de Caux. Simon de Maibelle, docteur et professeur en droit. Baill. de Douai. Sollier, avocat. Sén. de Forcalquier. Soustelle, avocat. Sén. de Nimes. T Taillardat de la Maison-Neuve, procureur du roi de la sénéchaussée d’Auvergne. Target, avocat au Parlement, de l’Académie française. Prévôté et vicomté de Paris. Tellier, avocat du roi. Baill. de Melun. Terme, cultivateur. Sén. d’Agen. Terrats, juge de la viguerie du Roussillon. Province du Roussillon. Thébaudière (De), ancien procureur général, etc. Colonie de Saint-Domingue. Thévenot de Maroise, lieutenant général de police. Baill. de Langres. Thibaudeau, avocat, procureur-syndic de l’administration du Poitou. Sén. du Poitou. Thoret, médecin. Baill. du Berry. Thouret, avocat. Ville de Rouen. Thuault, sénéchal. Sén. de Ploërmel. Tixedor, juge de la viguerie de Conflans. Province du Roussillon. Tournyol, ancien président de l’élection de Guéret. Sén. de Guéret. Trébol de Clermont, sénéchal de Pontcroix. Sén. de Quimper. Treilhard, avocat. Ville de Paris. Tronchet, avocat. Ville de Paris. Trouillet, négociant. Sén. de Lyon. Turckheim, consul de Strasbourg. Ville de Strasbourg. Turpin, lieutenant criminel au bailliage de Blois. Baill. de Blois. U Ulry, avocat du roi au bailliage de Bar. Baill. de Bar-le-Duc. V Vadier, conseiller au présidial de Pamiers. Sén. de Pamiers. 608 [fre Série, T. I».j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Introduction.� Vaillant, ancien garde des sceaux à la chancellerie du conseil d’Artois. Province d’Artois. Valérian-Duclos, maire du Saint-Esprit. Sén. de Nîmes. Valette, négociant à Tours. Baill. de Touraine. Varin, avocat. Sén. de Rennes. Verchere de Reffye, avocat. Baill. d’Autun. Verdolin, avocat. Sén. de Draguignan. Verdonne (Adam de), lieutenant général de Crépy. Baill. de Crépy en Valois. Vernier, avocat. Baill. d’Aval. Verni.v, lieutenant criminel au siège de Moulins. Sén. de Moulins. Verny, avocat. Sén. de Montpellier. Viard, lieutenant de police à Pont-à-Mousson. Baill. de » Bar-le-Duc. Vieillard fils, avocat. Baill. de Coutances. Viellard, docteur et professeur en droit. Baill. de Reims. Vignon, ancien consul. Ville de Paris. Viguier, avocat au parlement de Toulouse, 1™ sén. de Languedoc. Vimal-Floüvat, négociant. Sén. de Riom. Vivier, propriétaire. Navarre. Voidel, avocat à Moranges. Baill. de Sarreguemines. Volfius, avocat à Dijon. Baill. de Dijon. Voulland, avocat. Sén, de Nîmes. Vyau de Baudreuille, lieutenant au bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier. W Wartel, avocat à Lille. Baill. de Lille. Ministres du roi à l'époque de l’ouverture des États généraux. M. de Barentin, garde des sceaux. M. Necker, directeur général des finances. M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères. M. le comte de Brienne, ministre de la guerre. M. le comte de La Luzerne, ministre de la marine. M. Laurent de Villedeuil, ministre de Paris et de la maison du roi. FIN DE L’INTRODUCTION.