689 [Assemblée na ionale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] Mais si, comme il est probable, le cautionnement de M. Bailly n’est qu’un plan artistement combiné, de la part des agioteurs d’accord avec lui, et offrant sous une garantie apparente des tournures cependant tellement adroites, que jamais ceux-ci ne puissent être exposés à aucune perte ; alors ne serait-ce pas un nouveau tour de jonglerie dont il serait permis de se défier aussi longtemps qu’on n’aura pas rendu publiques toutes les conditions du traité ? üe plus, certainement, ni la commune de Paris, ni les sections, ne consentiront à laisser contracter par la ville déjà si obérée, un engagement qui puisse l’exposer à une perte énorme, et à moins que le délire ne soit dans toutes les têtes, il faut bien s’attendre qu’ils s’opposeront aux emprunts que l’on projette et dont ils deviendraient responsables. Ce que je dis pour Paris peut s’appliquer à toutes les municipalités du royaume, il est notoire que presque toutes les viiles sont dans un état de détresse cruelle (Lyon, seul, doit près de 50 millions) et qu’elles ont si peu de ressources, qu’elles demandent journellement à l’Assemblée nationale à être autorisées à faire des emprunts; or, ce sont des villes mineures obérées, et qu’en aucun cas on ne pourra contraindre à s’acquitter, qu’on nous donne pour garant de la solidité d’une opération immense, dont le défaut de succès entraînera infailliblement, avec la ruine de la fortune publique, le bouleversement de toutes les fortunes particulières. Dire que les municipalités ne risquent jamais rien, et qu’en cas de perte elles compteront de clerc à maître avec la nation, c’est avancer une absurdité, car alors ce n’est plus une vente de biens que vous faites, mais vous confiez tout simplement la totalité des biens du clergé à des administrations particulières, qui auront un intérêt d’autant plus grand à gaspiller ces biens qu’elles pourront le faire avec impunité. Le comité des finances s’expliquant par la bouche de M. Anson, a osé avancer « qu’un billet forcé ne pouvait jamais devenir un objet d’agiotage ». Il est fâcheux de remarquer que cette observation ne fait pas l’éloge des connaissances en finances et de M. Anson et du comité. Si le billet forcé n’est pas susceptible d’agiotage quand il sert à forcer la volonté de celui auquel on doit, certainement il en arrivera autrement toutes les fois que celui qui aura ainsi été payé voudra employer l’effet qui lui a été donné au lieu d’écus pour une acquisition quelconque ; car, comme peut-être on ne décrétera pas que les personnes seront contraintes de vendre des propriétés ou des marchandises, il est à supposer qu’avec la conservation de la volonté de vendre ou de ne pas vendre, le vendeur proportionnera le prix de sa vente en raison des valeurs qui lui seront données en payement, et si ces valeurs perdent contre des écus, qu’il haussera le prix de sa marchandise en raison de la différence qui existera entre le papier et le numéraire. Voilà certainement une cause infaillible d’agiotage. Cette vérité devient sensible, au reste, par l’article 7 du décret rie l’Assemblée, dans lequel article, la perte des assignats contre le numéraire est manifestée d’une manière bien naïve, car on y annonce que le débiteur sera toujours obligé de faire l’appoint de ce qu’il doit et de se procurer l’argent nécessaire pour solder exactement la somme dont il sera redevable. Il me semble, si je ne me trompe, que cet article prouve clairement que si le papier valait l’argent, ou mieux lrc Série, T. X. encore que l’argent, comme on a osé l’avancer, il serait égal au créancier de rendre lui-même l’appoint au débiteur, et que cette expression, que le débiteur sera obligé de se procurer l'argent nécessaire, indique assez qu’il faudra qu’il l’achète de ceux qui continueront cette branche utile de commerce. D’ailleurs, comment le comité des finances ne prévoit-il pas ce que j’ai démontré ci-devant, que les étrangers, ayant des sommes considérables à retirer de la France, ne pourront recevoir ces retours qu’en espèces, qu’alors, leurs correspondants, pour les payer, seront obligés de faire la conversion de nos papiers-unonnaie en espèces, et ne faut-il pas être plus que borné pour ne pas voir qu’une telle conversion ne se fera jamais qu’à perte? Or, comme cela ne manquera pas d’arriver tous les jours, je prie qu’on me dise si l’on peut manœuvrer plus habilement que nous l’avons fait, pour ouvrir la plus vaste carrière à l'agiotage. Peut-être, au reste, est-il réservé à M. Anson de prouver qu’au temps de Law on n’agiotait pas du tout. J’aurais voulu pouvoir traiter encore de l’influence funeste des assignats forcés sur nos îles à sucre; pour peu qu’on y veuille réfléchir, on n’aura pas de peine à se convaincre que toute espèce de commerce avec nos îles nous est désormais interdit par l’effet de ce papier; malheureusement il m’importe que ma protestation paraisse promptement, et je suis forcé de renoncer, quant à présent, à cette discussion intéressante. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du lundi 21 décembre 1789 (1). La lecture du procès-verbal de la séance du samedi est interrompue par M. l’abbé Maury. M. l’abbé Maury. Je demande qu’on rende un hommage pur et simple à la vérité, en disant que la parole m’a été refusée sur le fond du décret. J’étais membre du comité des dix, et j’avais à dire à l’Assemblée une chose importante que je vais lui révéler aujourd’hui. Je n’ai eu aucune connaissance du décret qui vous a été lu samedi ; il n’a pas été communiqué à votre comité. L’Europe saura bientôt, et il importe à tous les principes de l’équité sociale que la nation apprenne que, lorsqu’il s’agissait de vendre les biens du clergé, cet ordre, ayant demandé la parole par l’organe d’un de ses membres, n’a jamais pu l’obtenir. M. d’Ailly. Comme président du comité des dix, je dois observer que la déclaration du préopinant n’est pas très-exacte dans les faits. M. l’abbé Maury était chez M. Lecoulteux de Canteleu à dix heures du matin, le jour que le décret a été rédigé; la lecture en a été faite devant lui, et tous les articles en ont été discutés en sa présence. (1 ) Cette séance est incomplète au Moniteur. 44 0QA [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] M. l’abbé llaury. Je donne ma parole d’honneur ..... Les applaudissements de l’Assemblée ne permettent pas d’entendre la fin de la période de l’opinant. M. le Président se dispose à mettre aux voix la question en ces termes : « Le procès-verbal est-il exactement rédigé? » M. l’abbé de Pradt demande qu'elle soit ainsi posée : « A-t on refusé à M. l’abbé Maury la parole pour discuter le fond du décret, qui ne l’avait pas été ? » M. Boutteville-Dumetz. Il s’agit aujourd’hui de savoir s’il sera dérogé aux usages les plus constants de l’Assemblée. Chaque fois que la discussion est fermée, il y a toujours quelqu’un qui réclame, et l'on ne fait jamais mention de ces réclamations sur le procès-verbal. M. Gaultier de Biauzat. Le projet de M. l’abbé Maury, vous l’avez bien entendu, est de prouver à toute l’Europe que vous avez jugé sans connaissance de cause. Depuis longtemps onvous menace d’une insurrection contre vos décrets. On ne l’obtiendrait pas en disant la vérité. Je vais cependant accorder la vérité avec le système de M. l’abbé Maury. La vérité est que nous avons discuté pendant trois jours sur les décrets dont il s’agit. M. l’abbé Maury a parlé plusieurs fois. M. l’abbé de Montesquiou a eu la parole. Je demande qu’en accueillant la réclamation il soit dit que la parole a enfin été refusée à M. l’abbé Maury, parce que la discussion avait duré trois jours, et qu’il avait parlé plusieurs fois. L’Assemblée est consultée sur la manière de poser la question. Elle décide que le procès-verbal restera tel qu’il est. On lit le procès-verbal de la séance de vendredi dernier, qui n'avait point été lu à celle de samedi. M. de Lafare, évêque de Nancy. Croyez-vous qu’il soit juste que de grandes déterminations soient prises, lorsqu’il s’agit du clergé, sans en entendre les membres? On a ajourné vendredi une motion de M. Treilhard : j’ai l’honneur de vous proposer de traiter mieux le clergé, lorsqu’il faudra la discuter. Je viens de me présenter pour être inscrit sur la liste; il y a déjà trente personnes, et très-peu d’ecclésiastiques. J’ai un intérêt personnel, j’ai de grandes considérations à présenter, et je demande à être entendu. M. lLecoulteux de Canteleu, rapporteur du comité des dix. Messieurs, le premier ministre des finances demande qu’il soit fait quelques modifications aux décrets rendus hier. Comme les changements sont de pure forme et qu’ils sont destinés à apporter un plus grand avantage au Trésor public, nous vous en demandons l’adoption. Ils consistent à mettre, savoir: 1° A l’article 4, au lieu de ces mots: « payables à raison de 5 millions par mois, depuis le 1er juillet 1790 jusqu’au 1er juillet 1791 ; et ensuite à raison de 10 millions par mois, » ceux-ci : « payables à raison de 10 millions par mois depuis le 1er janvier 1791. » 2° A l’article 8, faire après les mots : « le 1er juillet 1792, » qui le terminent, l’addition suivante : « Ce remboursement ne pourra avoir lieu qu’autant qu’il restera à la caisse d’escompte un fonds libre en circulation de 50 millions, au moins. » 3° Qu’à l’article 4 du second décret du 19 de ce mois, la quantité des assignats, fixée à mille livres, soit supprimée sans en exprimer aucune. 4° Qu’audit article 4 du second décret, après ces mots: « qui pourront avoir lieu, » à la place de 100 millions, il soit mis « 120 millions, » et que le dernier alinéa soit supprimé. Ces changements et additious sont décrétés. M. le Président prononce ensuite de nouveau et en entier, le décret ainsi qu’il suit: « L’Assemblée nationale a décrété et décrète: « 1° Que les billets de ta caisse d’escompte continueront d’être reçus en payement dans toutes les caisses publiques et particulières jusqu’au ler juillet 1790; elle sera tenue d’effectuer ses payements à bureau ouvert à cette époque. « 2° La caisse d’escompte fournira au Trésor public, d’ici au premier juillet prochain, 80 millions en ses billets. « 3° Les 70 millions déposés par la caisse d’escompte au Trésor royal, en 1787, lui seront remboursés en annuités portant 5 0/0 d’intérêts, et 3 0/0 pour le remboursement du capital en vingt années. « 4° Il sera donné à la caisse d’escompte, pour ses avances de l’année présente et des six premiers mois de 1790, 170 millions en assignats sur la caisse de l’extraordinaire, ou billets d’achats sur les biens-fonds qui seront mis en vente, portant intérêt à 5 0/0, et payables à raison de 10 millions par mois, depuis le 1er janvier 1791. « 5° La caisse d’escompte sera autorisée à créer 25,000 actions nouvelles, payables par sixième , de mois en mois , à compter du 1er janvier prochain, moitié en argent ou en billets de caisse, et moitié en effets qui seront désignés. t 6° Le dividende sera fixé invariablement à 6 0/0; le surplus des bénéfices restera en caisse, ou dans la circulation de la caisse, pour former un fonds d’accumulation. « 7° Lorsque le fonds d’accumulation sera de 6 0/0 sur le capital de la caisse, il en sera retranché 5, pour être ajoutés au capital existant alors, et le dividende sera également payé à 6 0/0 sur ce nouveau capital. « 8° La caisse d’escompte sera tenue de rembourser à ses actionnaires 2,000 livres par action, eu quatre payements de 500 livres chacun, qui seront effectués le 1er janvier 1791, le 1er juillet de Ja même année, le 1er janvier 1792, et le 1er juillet 1792. Ce remboursement ne pourra avoir lieu qu’autant qu’il restera à la caisse d’escompte un fonds libre en circulation de 50 millions au moins. Un membre a demandé qu’à l’article 2 du second décret du 19 de ce mois, il fût ajouté, à la dernière période de la phrase, le mot « ensemble, r> et qu’il fût dit: « suffisante pour former ensemble la valeur de 400 millions. » Cette addition a été admise, et il a été décrété que ce décret serait aussi de nouveau prononcé, ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera formé une caisse de i’ex-