128 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE «Le présent décret ne sera point imprimé. Il sera, pour sa publication, inséré au bulletin de correspondance » (1). 46 Le même [RAMEL] fait un rapport sur une lettre du ci-devant ministre des contributions publiques, relative aux rôles supplétifs de la contribution mobiliaire; il propose un décret qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des finances sur la lettre du ci-devant ministre des contributions publiques, relative aux rôles supplétifs de la contribution mobiliaire, sur lesquels sont rapportées les taxes des citoyens omises et ajoutées aux premières répartitions; « Décrète que le montant de ces rôles supplétifs sera perçu, pour le trésor public, en ce qui concerne le principal, et, pour le compte des départements, des districts et des municipalités, en ce qui concerne les sous additionnels. Le présent décret ne sera point imprimé. Il sera, pour la publication, inséré au bulletin » (2). 47 Un membre [BEZARD], au nom du comité de législation, fait un rapport sur les contestations élevées entre François-Gaëtan Cervelle-ra et ses co-héritiers, relativement à la succession de son père, décédé à Gênes (3) : BEZARD : La question que je viens soumettre à la Convention nationale a été présentée au Comité de législation par le tribunal du troisième arrondissement du département de Paris. La Convention nationale trouvera l’occasion de prouver à la République de Gênes que ce n’est point en vain que, le 2 nivôse, elle a solennellement décrété « que les traités qui lient la France et la république de Gênes seraient fidèlement exécutés ». Vous pardonnerez les détails du rapport; ils sont nécessaires, non seulement à cause du tribunal qui doute, mais encore à cause du droit que l’on croit acquis à l’Hôtel-Dieu de Paris, intervenu dans l’instance, et enfin à cause de l’intérêt que mérite le pétitionnaire, marié à une Française. (1) P.V., XXXVI, 34. Minute de la main de Ramel (C301 pl. 1066, p. 13). Décret n° 8878. Reproduit dans Bin, 2 flor. (suppl*); Audit, nat., n° 576; Mon., XX, 273; M.U., XXXIX, 40; J. Perlet, n° 578; J. Paris, n° 478; Débats, n08 579, p. 12 et 586, p. 116; Feuille Rép., n° 288 ou 298; Ratave, n° 432. (2) P.V., XXXVI, 35. Minute de la main de Ramel (C 301, pl. 1066, p. 14) . Décret n° 8877. Reproduit dans Bln, 2 flor. (suppl*). Mention dans Mon. XX, 282; J. Paris, n° 478; Débats, n° 579, p. 16; J. Matin, n° 612; M.U., XXXIX, 40; Feuille Rép., n° 294; Mess. Soir, n° 612. (3) P.V., XXXVI, 35. Un ex-moine, Génois de naissance, domicilié et marié en France du consentement de son père, est exclu de la succession de ce dernier, ouverte à Gênes en 1786, soit d’après le testament du défunt, soit d’après les vœux que son fils avait émis à dix-huit ans. Après avoir fait opposition sur des revenus payables en France, faisant partie du patrimoine paternel, et sur lesquels il demandait sa légitime, il est renvoyé à se pourvoir «par-devant qui il appartiendra » pour faire valoir ses droits à la succession. Où et devant qui doit-il se pourvoir ? Est-ce en France et devant les tribunaux français, comme il le prétend?... Est-ce à Gênes et devant les tribunaux génois, comme le soutiennent ses frères et ses sœurs, à l’exception d’un seul qui se prête à ses vues ? Telle est en deux mots la question soumise au comité de législation. Voici l’histoire de ce religionnaire. Né le 4 octobre 1755, il avait pris à dix-sept ans (le 4 octobre 1772) l’habit religieux au couvent des Carmes de Sainte-Thérèse, dans la ville de Gênes. Décidé à la fin de son noviciat à faire profession, il avait (le 12 septembre 1773) fait sa renonciation formelle à tous biens et successions. Mais après l’émission de ses vœux il regretta bientôt sa liberté; il se pourvut à la pénitencerie de Rome, et parvint à en obtenir (au mois d’avril 1780) un bref qui l’affranchissait du vœu de chasteté et de celui de pauvreté. Dans l’intervalle il avait parcouru plusieurs pays et s’était fixé à Saint-Malo. Là il obtint de son père (le 28 septembre 1785) un consentement pour se marier (sous la condition cependant, lui dit-on, de l’absolution de ses vœux), et il conclut son mariage le 10 février 1787, avec Anne-Marie Piedegne. Son père était alors décédé depuis six semaines, et il ne tarda pas à faire des démarches pour recouvrer la plénitude de ses droits dans sa succession. A Paris il forme opposition entre les mains de Buzoni et de tous les payeurs de rentes et arrérages dépendant de la succession de son père, et actionne le premier en reddition de compte de son administration devant le ci-devant Châtelet, qui ordonne l’intervention des héritiers du père commun. A Gênes il demande au sénat, par l’intermédiaire du ministre plénipotentiaire, la confirmation de son mariage, et la jouissance dans sa patrie des droits attachés à son nouvel état. De leur côté ses frères et sœurs s’y opposent, y poursuivent la distraction de leur légitime et la mainlevée des oppositions de Gaëtan, sous l’offre d’une caution... Voici le résumé des moyens présentés par les parties dans toutes leurs discussions. « Mes vœux, dit François Gaëtan, ont été surpris à ma jeunesse; j’avais à peine dix-huit ans quand je les fis; aussi en fus-je relevé, et j’épousai une Française du consentement de mon père. Ce consentement, postérieur de deux ans huit mois à son testament, en est une 128 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE «Le présent décret ne sera point imprimé. Il sera, pour sa publication, inséré au bulletin de correspondance » (1). 46 Le même [RAMEL] fait un rapport sur une lettre du ci-devant ministre des contributions publiques, relative aux rôles supplétifs de la contribution mobiliaire; il propose un décret qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des finances sur la lettre du ci-devant ministre des contributions publiques, relative aux rôles supplétifs de la contribution mobiliaire, sur lesquels sont rapportées les taxes des citoyens omises et ajoutées aux premières répartitions; « Décrète que le montant de ces rôles supplétifs sera perçu, pour le trésor public, en ce qui concerne le principal, et, pour le compte des départements, des districts et des municipalités, en ce qui concerne les sous additionnels. Le présent décret ne sera point imprimé. Il sera, pour la publication, inséré au bulletin » (2). 47 Un membre [BEZARD], au nom du comité de législation, fait un rapport sur les contestations élevées entre François-Gaëtan Cervelle-ra et ses co-héritiers, relativement à la succession de son père, décédé à Gênes (3) : BEZARD : La question que je viens soumettre à la Convention nationale a été présentée au Comité de législation par le tribunal du troisième arrondissement du département de Paris. La Convention nationale trouvera l’occasion de prouver à la République de Gênes que ce n’est point en vain que, le 2 nivôse, elle a solennellement décrété « que les traités qui lient la France et la république de Gênes seraient fidèlement exécutés ». Vous pardonnerez les détails du rapport; ils sont nécessaires, non seulement à cause du tribunal qui doute, mais encore à cause du droit que l’on croit acquis à l’Hôtel-Dieu de Paris, intervenu dans l’instance, et enfin à cause de l’intérêt que mérite le pétitionnaire, marié à une Française. (1) P.V., XXXVI, 34. Minute de la main de Ramel (C301 pl. 1066, p. 13). Décret n° 8878. Reproduit dans Bin, 2 flor. (suppl*); Audit, nat., n° 576; Mon., XX, 273; M.U., XXXIX, 40; J. Perlet, n° 578; J. Paris, n° 478; Débats, n08 579, p. 12 et 586, p. 116; Feuille Rép., n° 288 ou 298; Ratave, n° 432. (2) P.V., XXXVI, 35. Minute de la main de Ramel (C 301, pl. 1066, p. 14) . Décret n° 8877. Reproduit dans Bln, 2 flor. (suppl*). Mention dans Mon. XX, 282; J. Paris, n° 478; Débats, n° 579, p. 16; J. Matin, n° 612; M.U., XXXIX, 40; Feuille Rép., n° 294; Mess. Soir, n° 612. (3) P.V., XXXVI, 35. Un ex-moine, Génois de naissance, domicilié et marié en France du consentement de son père, est exclu de la succession de ce dernier, ouverte à Gênes en 1786, soit d’après le testament du défunt, soit d’après les vœux que son fils avait émis à dix-huit ans. Après avoir fait opposition sur des revenus payables en France, faisant partie du patrimoine paternel, et sur lesquels il demandait sa légitime, il est renvoyé à se pourvoir «par-devant qui il appartiendra » pour faire valoir ses droits à la succession. Où et devant qui doit-il se pourvoir ? Est-ce en France et devant les tribunaux français, comme il le prétend?... Est-ce à Gênes et devant les tribunaux génois, comme le soutiennent ses frères et ses sœurs, à l’exception d’un seul qui se prête à ses vues ? Telle est en deux mots la question soumise au comité de législation. Voici l’histoire de ce religionnaire. Né le 4 octobre 1755, il avait pris à dix-sept ans (le 4 octobre 1772) l’habit religieux au couvent des Carmes de Sainte-Thérèse, dans la ville de Gênes. Décidé à la fin de son noviciat à faire profession, il avait (le 12 septembre 1773) fait sa renonciation formelle à tous biens et successions. Mais après l’émission de ses vœux il regretta bientôt sa liberté; il se pourvut à la pénitencerie de Rome, et parvint à en obtenir (au mois d’avril 1780) un bref qui l’affranchissait du vœu de chasteté et de celui de pauvreté. Dans l’intervalle il avait parcouru plusieurs pays et s’était fixé à Saint-Malo. Là il obtint de son père (le 28 septembre 1785) un consentement pour se marier (sous la condition cependant, lui dit-on, de l’absolution de ses vœux), et il conclut son mariage le 10 février 1787, avec Anne-Marie Piedegne. Son père était alors décédé depuis six semaines, et il ne tarda pas à faire des démarches pour recouvrer la plénitude de ses droits dans sa succession. A Paris il forme opposition entre les mains de Buzoni et de tous les payeurs de rentes et arrérages dépendant de la succession de son père, et actionne le premier en reddition de compte de son administration devant le ci-devant Châtelet, qui ordonne l’intervention des héritiers du père commun. A Gênes il demande au sénat, par l’intermédiaire du ministre plénipotentiaire, la confirmation de son mariage, et la jouissance dans sa patrie des droits attachés à son nouvel état. De leur côté ses frères et sœurs s’y opposent, y poursuivent la distraction de leur légitime et la mainlevée des oppositions de Gaëtan, sous l’offre d’une caution... Voici le résumé des moyens présentés par les parties dans toutes leurs discussions. « Mes vœux, dit François Gaëtan, ont été surpris à ma jeunesse; j’avais à peine dix-huit ans quand je les fis; aussi en fus-je relevé, et j’épousai une Française du consentement de mon père. Ce consentement, postérieur de deux ans huit mois à son testament, en est une SÉANCE DU 2 FLORÉAL AN U (21 AVRIL 1794) - N° 47 129 révocation manifeste, et on ne peut l’opposer, ainsi que l’émission de mes vœux, à mes droits incontestables. «Pour ce qui est de la compétence, suivant la constitution, je suis devenu Français, et par mon mariage avec une Française, et par une résidence en France non interrompue depuis 1785. Comme tel je mérite toute la protection des lois et des dignes représentants du peuple qui en sont les organes. A quel titre donc me renverrait-on à Gênes réclamer des biens qui sont en France, et éprouver un jugement qui ne manquerait pas d’être contraire à nos principes ? «Pourquoi des rentes placées en France, sur lesquelles un citoyen français a des droits établis par le droit de la nature, seraient-elles du ressort du sénat de Gênes, surtout dès que mon père les a soumises lui-même aux tribunaux français par sa substitution conditionnelle à l’Hôtel-Dieu, et surtout dès que les biens situés à Gênes sont absorbés par la légitime des autres héritiers et ne peuvent remplir la mienne, que je dois prendre sur les revenus situés en France ? » D’après ces considérations, il demande qu’il soit décrété que « les étrangers d’origine, ci-devant religieux, domiciliés et mariés en France, pourront exercer et prendre leurs droits héréditaires particulièrement sur les biens situés dans la République, en renonçant à toute action sur les biens situés en pays étranger». Mathieu Cervellera adopte toutes les idées de son frère. L’administration de l’Hôtel-Dieu s’oppose au déclinatoire des autres cohéritiers, sur le fondement qu’on ne peut l’obliger d’aller chercher à Gênes un objet placé et légué en France, qui lui appartient en vertu d’un testament, et du cas prévu, arrivé, par le refus de Buzoni. A toutes ces raisons accumulées la famille Cervellera oppose, pour le renvoi aux tribunaux de Gênes, le droit des gens, le droit public français, les lois civiles et la jurisprudence : Le droit des gens, qui s’oppose à ce qu’aucune autorité de la République française entreprenne rien sur la personne et les droits d’une famille qui fait partie intégrante d’une puissance alliée; Le droit public, qui rend sans force, respectivement à un Etat, les jugements émanés du pouvoir judiciaire d’un autre Etat, de manière que les décisions françaises seraient sans effets à Gênes, où est le siège de la succession, et où elles doivent s’exécuter; Les lois civiles, qui assujettissent tout demandeur à suivre le domicile du défendeur, et, en pétition d’héridité, à se pourvoir là où elle est ouverte; Enfin la jurisprudence, qui a toujours été de renvoyer les étrangers, surtout en matière personnelle, devant les juges naturels, quand ils y insistaient. « Qu’importe, dit la famille Cervellera, que Gaëtan ne réclame ses droits que sur des rentes situées à Paris ? Ces rentes font toujours partie de la succession ouverte à Gênes, et c’est où doit etre jugé son droit à cette succession. «Enfin le décret, dit-elle, que sollicite Gaëtan serait même contradictoire avec la loi du 5 brumaire, parce qu’elle n’admet les religieux qu’aux successions ouvertes depuis 1789, et que celle de Cervellera père est ouverte à Gênes depuis le 9 décembre 1786. » Tels sont les divers moyens des parties sommairement rappelés... Voici les diverses considérations recueillies au milieu de ces débats, et qui ont fixé la décision du comité. De tous les liens qui unissent les Républiques alliées, le plus précieux, le plus respectable sans doute, est le droit des gens; les pactes formés entre les nations qui doivent être sacrés, ainsi que leurs droits respectifs, et la bonne foi qui leur impose ce grand caractère doit être continuellement la base des actions d’un grand peuple... Ce sont ces sentiments qui ont déterminé la Convention, par son décret du 2 ventôse, à déclarer solennellement « que les traités qui lient la France et la République de Gênes seraient fidèlement exécutés ». Aussi le Comité s’est-il empressé d’approfondir si, dans ces traités, quelques stipulations avaient rapport à la question qui lui était soumise. D’après l’examen fait par les ministres des affaires étrangères de tous ceux existant au dépôt, il paraît assuré qu’il n’existe aucune disposition applicable. Mais il résulte de la correspondance que l’usage constamment observé dans la manière de traiter les affaires entre les individus des deux nations est absolument conforme aux prétentions de la famille Cervellera, et que toujours on a décidé que les actions judiciaires devaient être intentées là où résidait la personne contre laquelle on voulait les exercer. Cet usage, conforme aux principes fondamentaux et incontestables de la législation française, a fixé particulièrement l’attention du comité avec leur application actuelle. D’après ces principes établis par les lois et une jurisprudence constante, toute action personnelle doit être intentée devant le juge naturel du domicile du défendeur. L’action en pétition d’héridité doit être formée au lieu où la succession est ouverte, et l’ouverture réglée par le domicile de celui de cujus. Gaëtan redoute les lois de Gênes, il a plus de confiance dans celles de France; mais peut-on pour cela le soustraire à la loi ? Si d’ailleurs (comme cela paraît juste) ses droits à succéder, la nullité du testament du père commun et le partage de la succession doivent être jugés d’après les lois de Gênes, où la succession est ouverte; si la capacité, même personnelle, ne doit pas être jugée suivant les principes de notre législation actuelle, qui ne reconnaît point de vœux; si c’est à l’époque de 1786, ouverture de la succession, qu’il faut se reporter; si, les vœux étant alors un empêchement à succéder, il faut qu’il prouve la dissolution antérieure de ses vœux; s’il fallait qu’il remplit cette preuve en France comme à Gênes, et qu’il fût enfin jugé suivant les lois existantes, que lui importe, sous ce rapport, d’être jugé dans l’un ou l’autre lieu ? Quant à la crainte des effets d’une persécution, la qualité de citoyen français doit seule la repousser; celle de citoyen de Rome, donnant au monde l’exemple de la prospérité et des vertus, fut toujours une sauvegarde inviolable. SÉANCE DU 2 FLORÉAL AN U (21 AVRIL 1794) - N° 47 129 révocation manifeste, et on ne peut l’opposer, ainsi que l’émission de mes vœux, à mes droits incontestables. «Pour ce qui est de la compétence, suivant la constitution, je suis devenu Français, et par mon mariage avec une Française, et par une résidence en France non interrompue depuis 1785. Comme tel je mérite toute la protection des lois et des dignes représentants du peuple qui en sont les organes. A quel titre donc me renverrait-on à Gênes réclamer des biens qui sont en France, et éprouver un jugement qui ne manquerait pas d’être contraire à nos principes ? «Pourquoi des rentes placées en France, sur lesquelles un citoyen français a des droits établis par le droit de la nature, seraient-elles du ressort du sénat de Gênes, surtout dès que mon père les a soumises lui-même aux tribunaux français par sa substitution conditionnelle à l’Hôtel-Dieu, et surtout dès que les biens situés à Gênes sont absorbés par la légitime des autres héritiers et ne peuvent remplir la mienne, que je dois prendre sur les revenus situés en France ? » D’après ces considérations, il demande qu’il soit décrété que « les étrangers d’origine, ci-devant religieux, domiciliés et mariés en France, pourront exercer et prendre leurs droits héréditaires particulièrement sur les biens situés dans la République, en renonçant à toute action sur les biens situés en pays étranger». Mathieu Cervellera adopte toutes les idées de son frère. L’administration de l’Hôtel-Dieu s’oppose au déclinatoire des autres cohéritiers, sur le fondement qu’on ne peut l’obliger d’aller chercher à Gênes un objet placé et légué en France, qui lui appartient en vertu d’un testament, et du cas prévu, arrivé, par le refus de Buzoni. A toutes ces raisons accumulées la famille Cervellera oppose, pour le renvoi aux tribunaux de Gênes, le droit des gens, le droit public français, les lois civiles et la jurisprudence : Le droit des gens, qui s’oppose à ce qu’aucune autorité de la République française entreprenne rien sur la personne et les droits d’une famille qui fait partie intégrante d’une puissance alliée; Le droit public, qui rend sans force, respectivement à un Etat, les jugements émanés du pouvoir judiciaire d’un autre Etat, de manière que les décisions françaises seraient sans effets à Gênes, où est le siège de la succession, et où elles doivent s’exécuter; Les lois civiles, qui assujettissent tout demandeur à suivre le domicile du défendeur, et, en pétition d’héridité, à se pourvoir là où elle est ouverte; Enfin la jurisprudence, qui a toujours été de renvoyer les étrangers, surtout en matière personnelle, devant les juges naturels, quand ils y insistaient. « Qu’importe, dit la famille Cervellera, que Gaëtan ne réclame ses droits que sur des rentes situées à Paris ? Ces rentes font toujours partie de la succession ouverte à Gênes, et c’est où doit etre jugé son droit à cette succession. «Enfin le décret, dit-elle, que sollicite Gaëtan serait même contradictoire avec la loi du 5 brumaire, parce qu’elle n’admet les religieux qu’aux successions ouvertes depuis 1789, et que celle de Cervellera père est ouverte à Gênes depuis le 9 décembre 1786. » Tels sont les divers moyens des parties sommairement rappelés... Voici les diverses considérations recueillies au milieu de ces débats, et qui ont fixé la décision du comité. De tous les liens qui unissent les Républiques alliées, le plus précieux, le plus respectable sans doute, est le droit des gens; les pactes formés entre les nations qui doivent être sacrés, ainsi que leurs droits respectifs, et la bonne foi qui leur impose ce grand caractère doit être continuellement la base des actions d’un grand peuple... Ce sont ces sentiments qui ont déterminé la Convention, par son décret du 2 ventôse, à déclarer solennellement « que les traités qui lient la France et la République de Gênes seraient fidèlement exécutés ». Aussi le Comité s’est-il empressé d’approfondir si, dans ces traités, quelques stipulations avaient rapport à la question qui lui était soumise. D’après l’examen fait par les ministres des affaires étrangères de tous ceux existant au dépôt, il paraît assuré qu’il n’existe aucune disposition applicable. Mais il résulte de la correspondance que l’usage constamment observé dans la manière de traiter les affaires entre les individus des deux nations est absolument conforme aux prétentions de la famille Cervellera, et que toujours on a décidé que les actions judiciaires devaient être intentées là où résidait la personne contre laquelle on voulait les exercer. Cet usage, conforme aux principes fondamentaux et incontestables de la législation française, a fixé particulièrement l’attention du comité avec leur application actuelle. D’après ces principes établis par les lois et une jurisprudence constante, toute action personnelle doit être intentée devant le juge naturel du domicile du défendeur. L’action en pétition d’héridité doit être formée au lieu où la succession est ouverte, et l’ouverture réglée par le domicile de celui de cujus. Gaëtan redoute les lois de Gênes, il a plus de confiance dans celles de France; mais peut-on pour cela le soustraire à la loi ? Si d’ailleurs (comme cela paraît juste) ses droits à succéder, la nullité du testament du père commun et le partage de la succession doivent être jugés d’après les lois de Gênes, où la succession est ouverte; si la capacité, même personnelle, ne doit pas être jugée suivant les principes de notre législation actuelle, qui ne reconnaît point de vœux; si c’est à l’époque de 1786, ouverture de la succession, qu’il faut se reporter; si, les vœux étant alors un empêchement à succéder, il faut qu’il prouve la dissolution antérieure de ses vœux; s’il fallait qu’il remplit cette preuve en France comme à Gênes, et qu’il fût enfin jugé suivant les lois existantes, que lui importe, sous ce rapport, d’être jugé dans l’un ou l’autre lieu ? Quant à la crainte des effets d’une persécution, la qualité de citoyen français doit seule la repousser; celle de citoyen de Rome, donnant au monde l’exemple de la prospérité et des vertus, fut toujours une sauvegarde inviolable. 130 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Mais cette qualité de citoyen français peut-elle lui servir d’exception ? D’après l’article XVII du titre II de la loi du 24 août 1790, « les justiciables ne peuvent plus être en France distraits de leurs juges naturels par aucune commission, ni par d’autres attributions et évocations que par celles déterminées par la loi ». Cette disposition générale et absolue est fondée sur la raison et l’équité... Pourquoi ne lierait-elle donc pas les Français vis-à-vis les étrangers comme elle les lie entre eux ? Est-ce qu’un Français ne serait dans ses procédés au dehors soumis ni à la loi, ni à la raison, ni à la justice, tandis qu’il ambitionne de faire adopter sa liberté et ses lois par tous les peuples ? Enfin, une dernière circonstance paraît décisive dans la position actuelle; elle est prise du décret du sénat de Gênes du 26 juin 1788, qui accueillit la réclamation de la famille Cervellera en mainlevée provisoire des oppositions faites par Gaëtan, pour la discussion des droits qu’il réclamait, devant le tribunal compétent de la Rote. Voilà donc évidemment les tribunaux de Gênes nantis par le fait, et contradictoirement avec Gaëtan; ils le sont donc de fait et de droit; et le droit des gens, sous tous les rapports, les lois et la jurisprudence, nécessitent l’accueil des prétentions de la famille Cervellera, etc. C’est d’après ces différentes considérations, établies et développées par le rapporteur, que la Convention a renvoyé le jugement de cette affaire par-devant les tribunaux de Gênes (1) . [BEZARD] propose un décret qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la question de savoir si l’instance engagée devant les tribunaux français par François-Gaëtan Cervellera, ex-religieux génois, marié en France et y résidant depuis 1785, en pétition d’hérédité, partage et liquidation de la succession de son père, décédé à Gênes en 1786, contre ses frères et sœurs, génois et domiciliés à Gênes, doit être jugée en France, ou renvoyée devant les tribunaux naturels où la succession est ouverte; « Considérant qu’il résulte de la correspondance entre Gênes et la France, que l’usage constamment observé dans la manière de traiter les affaires entre les citoyens des deux nations veut que les actions judiciaires soient intentées là où réside la personne contre laquelle on veut l’exercer. « Considérant aussi que le 2 ventôse la Convention nationale a déclaré solennellement que les traités qui lient la France à la République de Gênes seraient fidèlement exécutés; « Renvoie devant les tribunaux de Gênes toutes les contestations élevées en France entre François-Gaëtan Cervellera et ses co-héritiers, relativement à la succession de leur père commun, décédé à Gênes. « Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera inséré au bulletin de correspondance, et adressé à la République de Gênes, au tribunal (1) Mon., XX, 290. du troisième arrondissement du département de Paris » (1). 48 Un membre [BRIEZ] , au nom du comité des secours, propose les décrets suivants, qui sont adoptés. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Lartigue, qui après avoir servi huit ans dans le septième régiment de dragons, a rendu des services importants à la République depuis la révolution, dans les différentes missions qui lui ont été confiées, notamment dans la guerre de la Vendée, en combattant les rebelles, et en soustrayant à leur brigandage les registres du receveur du district de Challans, qui étaient déjà en leur pouvoir; «Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Lartigue la somme de 200 liv., à titre de secours. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (2) . 49 « Un membre observe que tous les jours on fait à la Convention nationale des pétitions pour demander des secours provisoires, soit pour des défenseurs de la République, blessés ou estropiés, soit pour les veuves, les enfants ou parents de ceux qui ont péri dans les combats; que ces diverses pétitions donnent lieu à une foule de décrets particuliers et incohérents, et demande qu’il soit rendu un décret qui fixe pour tous, les moyens généraux d’obtenir les secours provisoires, en attendant les liquidations définitives, sans qu’il soit nécessaire de recourir pour cela à la Convention nationale. La proposition est renvoyée au comité des secours publics, pour présenter ses vues et faire son rapport à cet égard dans le plus bref délai» (3). 50 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] du comité des secours publics sur la pétition de (1) P.V., XXXVI, 36. Minute de la main de Bezard (301, pl. 1066, p. 15). Décret n° 8875. Reproduit dans Bin, 2 flor., M.U., XXXIX, 60; Mon., XX, 282; Feuille Rép., n° 293; J. Sablier, n° 1272; Batave, n° 431; Débats, n° 579, p. 15; J. Mont., n° 160; C. TJniv., 3 flor.; Rép., n° 124. C. Eg., n° 612, p. 171; J. Paris, n° 677; J. Fr., n° 575; J. Perlet, n° 577; Ann. Rép. Fr., n° 144; Mess. Soir, n° 612. (2) P.V., XXXVI, 36. Minute de la main de Briez (C 301, pl. 1066, p. 16). Décret n° 8870. Reproduit dans Bln, 2 flor. (suppl1) ; M.U., XXXIX, 59. (3) P.V., XXXVI, 37. J. Sablier, n° 1272; J. Perlet, n° 578. 130 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Mais cette qualité de citoyen français peut-elle lui servir d’exception ? D’après l’article XVII du titre II de la loi du 24 août 1790, « les justiciables ne peuvent plus être en France distraits de leurs juges naturels par aucune commission, ni par d’autres attributions et évocations que par celles déterminées par la loi ». Cette disposition générale et absolue est fondée sur la raison et l’équité... Pourquoi ne lierait-elle donc pas les Français vis-à-vis les étrangers comme elle les lie entre eux ? Est-ce qu’un Français ne serait dans ses procédés au dehors soumis ni à la loi, ni à la raison, ni à la justice, tandis qu’il ambitionne de faire adopter sa liberté et ses lois par tous les peuples ? Enfin, une dernière circonstance paraît décisive dans la position actuelle; elle est prise du décret du sénat de Gênes du 26 juin 1788, qui accueillit la réclamation de la famille Cervellera en mainlevée provisoire des oppositions faites par Gaëtan, pour la discussion des droits qu’il réclamait, devant le tribunal compétent de la Rote. Voilà donc évidemment les tribunaux de Gênes nantis par le fait, et contradictoirement avec Gaëtan; ils le sont donc de fait et de droit; et le droit des gens, sous tous les rapports, les lois et la jurisprudence, nécessitent l’accueil des prétentions de la famille Cervellera, etc. C’est d’après ces différentes considérations, établies et développées par le rapporteur, que la Convention a renvoyé le jugement de cette affaire par-devant les tribunaux de Gênes (1) . [BEZARD] propose un décret qui est adopté en ces termes : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la question de savoir si l’instance engagée devant les tribunaux français par François-Gaëtan Cervellera, ex-religieux génois, marié en France et y résidant depuis 1785, en pétition d’hérédité, partage et liquidation de la succession de son père, décédé à Gênes en 1786, contre ses frères et sœurs, génois et domiciliés à Gênes, doit être jugée en France, ou renvoyée devant les tribunaux naturels où la succession est ouverte; « Considérant qu’il résulte de la correspondance entre Gênes et la France, que l’usage constamment observé dans la manière de traiter les affaires entre les citoyens des deux nations veut que les actions judiciaires soient intentées là où réside la personne contre laquelle on veut l’exercer. « Considérant aussi que le 2 ventôse la Convention nationale a déclaré solennellement que les traités qui lient la France à la République de Gênes seraient fidèlement exécutés; « Renvoie devant les tribunaux de Gênes toutes les contestations élevées en France entre François-Gaëtan Cervellera et ses co-héritiers, relativement à la succession de leur père commun, décédé à Gênes. « Le présent décret ne sera pas imprimé; il sera inséré au bulletin de correspondance, et adressé à la République de Gênes, au tribunal (1) Mon., XX, 290. du troisième arrondissement du département de Paris » (1). 48 Un membre [BRIEZ] , au nom du comité des secours, propose les décrets suivants, qui sont adoptés. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Lartigue, qui après avoir servi huit ans dans le septième régiment de dragons, a rendu des services importants à la République depuis la révolution, dans les différentes missions qui lui ont été confiées, notamment dans la guerre de la Vendée, en combattant les rebelles, et en soustrayant à leur brigandage les registres du receveur du district de Challans, qui étaient déjà en leur pouvoir; «Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Lartigue la somme de 200 liv., à titre de secours. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (2) . 49 « Un membre observe que tous les jours on fait à la Convention nationale des pétitions pour demander des secours provisoires, soit pour des défenseurs de la République, blessés ou estropiés, soit pour les veuves, les enfants ou parents de ceux qui ont péri dans les combats; que ces diverses pétitions donnent lieu à une foule de décrets particuliers et incohérents, et demande qu’il soit rendu un décret qui fixe pour tous, les moyens généraux d’obtenir les secours provisoires, en attendant les liquidations définitives, sans qu’il soit nécessaire de recourir pour cela à la Convention nationale. La proposition est renvoyée au comité des secours publics, pour présenter ses vues et faire son rapport à cet égard dans le plus bref délai» (3). 50 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BRIEZ, au nom] du comité des secours publics sur la pétition de (1) P.V., XXXVI, 36. Minute de la main de Bezard (301, pl. 1066, p. 15). Décret n° 8875. Reproduit dans Bin, 2 flor., M.U., XXXIX, 60; Mon., XX, 282; Feuille Rép., n° 293; J. Sablier, n° 1272; Batave, n° 431; Débats, n° 579, p. 15; J. Mont., n° 160; C. TJniv., 3 flor.; Rép., n° 124. C. Eg., n° 612, p. 171; J. Paris, n° 677; J. Fr., n° 575; J. Perlet, n° 577; Ann. Rép. Fr., n° 144; Mess. Soir, n° 612. (2) P.V., XXXVI, 36. Minute de la main de Briez (C 301, pl. 1066, p. 16). Décret n° 8870. Reproduit dans Bln, 2 flor. (suppl1) ; M.U., XXXIX, 59. (3) P.V., XXXVI, 37. J. Sablier, n° 1272; J. Perlet, n° 578.