[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l«r octobre 1790.J NOTA. Pour rendre plus faciles les recherches dans la collection des Archives parlementaires, et pour établir une différence essentielle entre les articles proposés et les articles, adoptés d’un décret, les textes seront à l’avenir disposés de la façon suivante : Les articles proposés continueront, comme par le passé, à être numérotés sur la même ligne que le texte, tandis que le numérotage des articles adoptés sera mis en vedette. De la sorte, il n’y aura pas de confusion possible. J. M. et E. L. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du vendredi 1er octobre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Gtonpllleau, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier 30 septembre au matin. Ce procès-verbal est adopté sans réclamation. M. Halrac. üix-sept mille citoyens, qui composent la garde nationale de Bordeaux, se plaignent de l’affront fait à l’uniforme national dans la personne de trois de ses membres, qui ont été dépouillés de cet uniforme à Saint-Pierre-la-Martinique par ceux qui ont envahi inconslitu-tionnellement tous les pouvoirs pour y opprimer le parti patriote, seul attaché à la mère-patrie, et qui ont osé y proscrire la garde nationale, la cocarde nationale et l’uniforme de la nation. C’est le motif de l’adresse que les citoyens armés de Bordeaux m’ont chargé de vous présenter. Après la lecture de cette adresse, M. Nairac propose un projet de décret qui est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète que l’adresse du conseil militaire de la garde nationale bordelaise, en date du 28 août dernier, sera renvoyée au comité colonial pour être jointe aux autres pièces qui constatent les excès commis à la Martinique, et notamment le dépouillement de l’uui-forme national en la personne de trois membres de la garde bordelaise. » M.de Moailles (ci-devant le vicomté). Les corps suisses demandent, dans une note qui a été envoyée à votre comité militaire par le ministre de la guerre, qu’il soit attribué la même solde aux soldats et sous-officiers des régiments suisses, que vous avez accordée aux soldats et sous-officiers des régiments français ou étrangers ; ils sollicitent également de votre justice qu’au terme de leur capitulation, les traitements, pensions et émoluments qu’ils ont obtenus leur soient conservés pendant le cours de leur vie. Votre comité militaire pense, sur le premier objet, que l’égalité que vous avez établie entre les hommes ne permet pas de mettre une différence entre des soldats qui se dévouent également au service de la patrie ; il observe que chez toutes les puissances de l’Europe où il y a des corps suisses avoués par des traités, ils sont plus (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 1M Série. T. XIX. 337 payés que les nationaux et les étrangers ; il remarque en outre que sous l’ancien régime, les soldats et sous-officiers suisses jouissaient d’une solde de douze deniers plus forte que celle des autres troupes au service de la France. Sur le second objet, le comité militaire ayant consulté le comité des pensions a vu que par un décret du 15 avril vous n’aviez pas compris les pensions et traitements des Suisses dans les règles que vous aviez établies pour le reste de l’armée, et qu’à cet égard vous vous étiez conformés aux termes de vos traités et capitulations. Pour fixer d’une manière certaine le sort des troupes suisses, et pour montrer au corps helvétique que la nation française sait attribuer un juste prix aux services qui lui ont été rendus, et donner à un allié fidèle des preuves de gratitude, le comité militaire a l’honneur de vous proposer, conformément à vos précédentes délibérations, de décréter ce qui suit : « L’Assemblée nationale, d’après le rapport de son comité militaire, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les soldats et sous-officiers suisses recevront la même solde que les soldats etsous-officiers français ou étrangers. En conséquence, la solde des régiments suisses sera augmentée de dix-huit deniers, dont quatre deniers donnés à l’ordinaire, six deniers en poche et huit deniers à la masse d’entretien. Cette augmentation aura lieu à partir du premier octobre 1790. Art. 2. « Les officiers, sous-officiers et soldats suisses continueront à l’avenir, ainsi qu’il avait été décrété provisoirement le 15 avril dernier, de jouir des pensions, traitements et émoluments qui leur ont été accordés jusqu’à l’époque du premier mai 1789. » (Ce décret est adopté.) M. Vernier, au nom du comité des finances, expose que, malgré deux décrets rendus par l’Assemblée nationale, les élus de la ci-devant province de Bourgogne trouvent le moyen de retarder la reddition de leurs comptes. Il donne lecture d’un projet de décret. M. l’abbé Gouttes, sans attaquer le fond même du décret proposé par le rapporteur, pense qu’il est bon d'y introduire diverses dispositions pour le rendre général à toute la France. Aprè3 quelques explications échangées de part et d’autre, le décret est rendu en ces termes : « L’Assemblée nationale, instruite des différentes difficultés qui suspendent dans plusieurs départements, notamment dans celui de la Côte-d’Or et autres, l’exécution du décret du 28 décembre dernier, enjoint aux élus et à tousautres comptables de rendre par-devant les commissaires de département, leurs comptes non jugés par des cours supérieures ou jugés depuis la sanction et l’envoi dudit décret, en appuyant les comptes à rendre par ceux du trésorier et pièces relatives, lesquels comptes seront rendus dans la huitaine pour tout délai, du jour où les comptables en auront été requis; autorise les lits départements et commissaires à redemander à tous dépositaires desdites pièces, chambres des comptes et autres, moyennant récépissé, toutes celles qui leur paraîtraient nécessaires, soit pour les nouveaux comptes, soit pour la révision de ceux des dix dernières années non jugés par des cours 22 338 (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« octobre 1790.] supérieures; enjoint, au surplus, auxdits dépositaires, quels qu'ils soient, de remettre toutes les pièces qui leur seront demandées sur récépissé, et ce nonobstant tous arrêts ou jugements à ce contraires, à peine contre les comptables, ou dépositaires de pièces refusant, ou en retard de s’exécuter, d’être les uns et les autres poursuivis comme débiteurs etreliquataires, suivant la forme des ordonnances, et à la requête des procureurs généraux syndics des départements, le tout sans entendre préjudicier à ce qui pourrait être légitimement dû pour les épices ou taxations des comptes qui auraient été dûment clos et arrêtés. M. Vieillard (de Saint-hô), secrétaire , donne lecture d’une lettre adressée à l’Assemblée parles officiers municipaux et le conseil général de la commune de Niort ; ils annoncent qu’au moyen des mesures qu'ils ont prises, la tranquillité publique est rétablie dans la ville ; que le prix du grain y est entièrement libre ; et que quelques-uns de ceux qui avaient excité les troubles, ont été arrêtés, et qu’on continue d’informer contre eux. (Cette lettre est renvoyée au comité des recherches.) M. de Eia Rochefoucauld. Les occupations du comité d’aliénation devenant de jour en jour plus multipliés, le nombre des membres qui le ‘composent est insuffisant. Je demande, en conséquence, qu’il lui soit adjoint huit membres nouveaux. M. Bouche. Je demande que le nombre des commissaires à adjoindre soit porté à douze. M. Gérard. Je réclame l’exécution de votre règlement afin que les membres qui seront nommés ne fassent partie d’aucun autre comité. On demande la question préalable sur les deux amendements. La question préalable est prononcée. L’Assemblée décrète ensuite qu’il sera adjoint huit membres nouveaux au comité d’aliénation des domaines nationaux. M. le Président. L’ordre du jour est la lecture du rapport sur la procédure du Châtelet relativement aux affaires du 6 octobre 1789 (1). M. Chabroud, rapporteur. Messieurs, un attentat horrible a été commis le 6 octobre ; les ministres de la loi ont recherché les coupables ; et venus dans cette enceinte, ils vous ont dit : le secret est découvert, et les coupables sont assis entre yous. Vous avez ordonné dans votre affliction profonde, à votre comité, d’éclairer ce cruel mystère ; et je vous apporte le fruit de ses soins. Quelque calme avait succédé aux agitations u’éclairèrent les jours à jamais célèbres de la évolution ;, ce calme couvait la tempête. Des inquiétudes saisirent les esprits, soit que de chimériques appréhensions en fussent le principe, soit que divers incidents, qui venaient de se succéder, eussent dénoncé des dangers réels, soit que des chimères et la réalité eussent été combinées et mises à profit. par quelque faction méditant des complots. (1) Nous insérons ici, in extenso , le rapport fait par M. Chabroud, dans les séances des 30 septembre et octobre 1790. Une résolution soudaine est prise et exécutée ; la capitale laisse échapper un peuple immense, impatient de sa situation qui va remplir Versailles et demander son salut à l’Assemblée nationale et au roi. Peut-êire des scélérats sont répandus dans cette multitude ; ils la gouvernent à leur gré, elle est un instrument mobile, dont ils abusent dans leurs desseins. L’asile du monarque est environné, sa garde est menacée ; le sang coule ; mais quelque agression, quelque imprudente bravade n’a-t-elle pas provoqué ce malheur? L’armée parisienne accourt ; des citoyens qui ont conquis la liberté répriment la licence; l’ordre renaît, la nuit s'achève dans le silence ..... dans un silence perfide. Le jour paraît pour donner le signal des forfaits. — Les barrières sont forcées; les gardes du roi sont massacrés aux portes de son palais ; une bande homicide s’avance. Dans sa fureur elle vomit des imprécations, dans ses blasphèmes elle ne respecte rien, dans son ivresse elle est capable de tous les crimes. — Elle est aux portes de la reine ..... D’intrépides guerriers combattent; mais ils succombent; il n’y a plus de résistance ; il n’y a presque plus d’espace entre ces tigres et l’épouse de Louis XVI. Rassurez-vous : un respect involontaire va retenir leurs pas; la majesté du lieu est le rempart qu’ils n’oseront franchir, et le crime n’ira pas jusqu’à son dernier excès. Voilà une esquisse, et vous demandez un tableau; vous désirez que l’on vous montre les causes qui amenèrent cette subite convulsion, que l'on remonte, s’il est possible, jusqu’à la première étincelle qui commença cet incendie affreux, que l’on développe devant vous les détails d’une abomination qui semble se multiplier par toutes ses circonstances. C’est un labyrinthe à parcourir, et l’on a peine à saisir le fil qui doit guider dans ses détours. En ce temps critique d’une Révolution qui met tuut en mouvement, au milieu de l’action et de la réaction rapides des intérêts qui se croisent, l’esprit de parti répand son influence et s’empare même du passé. Vous avez été presque les témoins d’un événement qu’à peine vous reconnaissez dans ses versions nombreuses. Peut-être un grand ascendant a tenté de diriger le jugement du peuple ; peut-être des desseins secrets ont été associés aux récits de la renommée ; peut-être aussi le patriotisme abusé s’est abandonné à la prévention et a repoussé, sans les apprécier, des témoignages proférés par des bouches qui lui étaient suspectes. On a crié à la coupable insouciance, lorsque les comités des recherches et les tribunaux se taisaient ; on a crié à la partialité, lorsqu’une procédure solennelle a été entreprise et poursuivie. Des libelles ont dit que le crime triomphait sur les ruines des lois; des libelles ont dit que l’on méditait le renversement des nouvelles lois chères à la nation. C’est au milieu de ces préjugés disparates, que le comité des recherches de la ville de Paris a dénoncé les crimes du 6 octobre, et que les juges du Châtelet ont accompli une volumineuse information. Des décrets en ont été la suite. La conscience des juges leur a désigné deux membres de l’As-