ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 247 [Assemblée nationale.] prononcer son discours. M. Bailly s’est approché de Sa Majesté, et après avoir reçu ses ordres, a dit que le Roi était venu pour calmer les inquiétudes qui pouvaient encore subsister sur les dispositions qu’il avait fait connaître à la nation, et pour jouir de la présence et de l’amour de son peuple ; que Sa Majesté désirait que la paix et le calme se rétablissent dans la capitale ; que tout y rentrât dans l’ordre accoutumé; et que, s’il survenait quelque infraction aux lois, les coupables fussent livres à la justice. M. Bailly ayant dit ensuite que Sa Majesté permettait de parler, M. le comte de Lally-Tollendal s’est levé, et a dit : « Eli bien ! citoyens, êtes-vous satisfaits ? Le voilà ce Roi que vous demandiez à grands cris, et dont le nom seul excitait vos transports, lorsqu’il y a deux jours nous le proférions au milieu de vous. Jouissez de sa présence et de ses bienfaits. Voilà celui qui vous a rendu vos Assemblées nationales, et qui veut les perpétuer. Voilà celui qui a voulu établir vos libertés, vos propriétés, sur des fondements inébranlables. Voilà celui qui vous a offert, pour ainsi dire, d’entrer avec lui en partage de son autorité ; ne se réservant que celle qui lui est nécessaire pour votre bonheur, celle qui doit à jamais lui appartenir, et que vous-mêmes devez le conjurer cle ne jamais perdre. Ah ! qu’il recueille enfin des consolations ; que son cœur noble et pur emporte d’ici la paix dont il est si digne! Et puisque, surpassant les vertus de ses prédécesseurs, il a voulu placer sa puissance et sa grandeur dans notre amour, n’ê-treobéi que par l’amour, n’étre gardé que par l’amour, ne soyons ni moins sensibles ni moins généreux que notre Roi, et prouvons-lui que même sa puissance, que même sa grandeur, ont plus gagné mille fois qu’elles n’ont sacrifié. « Et vous, Sire, permettez à un sujet qui n’est ni plus fidèle, ni plus dévoué que tous ceux qui vous environnent, mais qui l’est autant qu’aucun de ceux qui vous obéissent, permettez-lui d’élever sa voix vers vous et de vous dire: Le voilà ce peuple qui vous idolâtre, ce peuple que votre seule présence enivre, et dont les sentiments pour votre personne sacrée ne peuvent jamais être l’objet d’un doute. Regardez, Sire ; consolez-vous en regardant tous ces citoyens de votre capitale. Voyez leurs yeux, écoutez leurs voix; pénétrez dans leurs cœurs qui volent au-devant de vous. Il n’est pas ici un seul homme qui ne soit prêt à verser pour vous, pour votre autorité légitime, jusqu’à la dernière goutte de son sang. Non, Sire, cette génération de Français n’est pas assez malheureuse pour qu’il lui ait été réservé dedémen-tir quatorze siècles de fidélité. Nous péririons tous, s’il le fallait, pour défendre un trône qui nous est aussi sacré qu’à vous et à l’auguste famille que nous y avons placée il y a huit cents ans. Croyez, Sire, croyez que nous n’avons jamais porté à votre cœur une atteinte douloureuse qui n’ait déchiré le nôtre; qu’au milieu des calamités publiques, c’en est une de vous affliger, môme par une plainte qui vous avertit, qui vous implore et qui ne vous accuse jamais. Enfin, tous les chagrins vont disparaître, touslestroubles vont s’apaiser. Un seul mot de votre bouche a tout calmé. Notre vertueux Roi a rappelé ses vertueux conseils. Périssent les ennemis publics qui voudraient encore semer la division entre la nation et son chef! Roi, sujets, citoyens, confondons nos cœurs, nos vœux, nos efforts, et déployons aux yeux de l’univers le spectacle magnifique d’une de ses plus belles nations, libre, heureuse, triom-[18 juillet 1789. J phante, sous un Roi juste, chéri, révéré qui, ne devant plus rien à la force, devra tout à ses vertus et à son amour. » Ces divers discours ont été interrompus, à chacun des traits qui exprimaient les dispositions du peuple à l’égard de son Roi, par les acclamations de toute l’assemblée. Le Roi, toujours plus ému, a pu à peine proférer ces paroles, qui ont été répétées : Mon peuple peut toujours compter sur mon amour. La séance étant terminée, le Roi s’est montré par une fenêtre à un peuple innombrable rassemblé dans la place de Grève, à toutes les fenêtres, et qui couvrait tous les toits. Les cris universels de vive le Roi ! ont retenti de toutes parts. — Sa Majesté est ressortie de l’Hôtel-de-Ville, et a retrouvé sur son passage les mômes transports d’amour et de joie. Ce récit a' souvent été interrompu par les applaudissements et les acclamations de l’Assemblée. .Avant la fin de la séance, le maire de Poissy se présenteà l’Assemblée, et demande à être entendu. Il rend compte de plusieurs crimes qui ont été commis à main armée par une troupe de brigands dans les villes de Poissy et de Saint-Germain, et supplie l’Assemblée de s’occuper de réprimer ces désordres. Un membre de l'Assemblée observe que cet objet n’est pas de la compétence du pouvoir législatif ; qu’il y a un pouvoir exécutif et les tribunaux judiciaires chargés de maintenir le repos et la tranquillité publics. M. le Président annonce que le temps dé sa résidence sera demain expiré. Il prie les mem-res de se retirer demain dans leurs bureaux respectifs pour procéder au scrutin. — La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du samedi 18 juillet 1789 (l). A l’ouverture de la séance, les membres, sur l'invitation du président, sont allés dans leurs bureaux donner leur suffrage pour l'élection d’un nouveau président. On revient sur le rapport, fait dans la séance d’hier, des troubles de la ville de Poissy. Un membre annonce qu’une populace indisciplinée s’est emparée du corps de garde et de la caserne des Invalides. Un meunier, nommé Sauvage, a été arrêté et conduit à la halle pour y être pendu. Il était accusé d’avoir accaparé des grains ; vainement plusieurs personnes ont tenté de le justifier: on les a menacées de les écarte-ler si elles entreprenaient sa défense. Ainsi Sauvage, innocent ou coupable, a été victime de la fureur populaire. Un garçon boucher lui a coupé la tête. Plusieurs membres proposent que l’Assemblée (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.