[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [30 septembre 1790.] 321 dégénération aussi complète que celle-ci, tous vos travaux se tiennent, et ne peuvent être séparés dans la pensée des biens ; la confiance ne peut s’éloigner d’une, sans s'affaiblir par les autres ; et si vos effets perdent 50 0/0, votre Constitution perdra nécessairement dans l’esprit des peuples : aussi l’instinct du patriotisme et de l’intérêt général semblent déjà avoir rallié partout autour de cette idée, les meilleurs amis de la Constitution. Mais, en vous pressant, Messieurs, de toute la chaleur d’un homme fortement convaincu, d’adopter cette mesure, en vous priant de ne pas croire que la grandeur et la hardiesse des vues soient des signes de réprobation, lorsqu’au contraire, les remèdes qui conviennent à ces maux doivent avoir surtout ce caractère. Je sens combien il est sage de donner attention aux moyens d’adoucir les effets violents d’une émission subite et excessive, voici les moyens que je propose pour les tempérer ' 1° Ne négliger aucun moyen de faciliter la vente. On se plaint de toutes parts qu’elles ne soient pas plus avancées. Je suis loin d’inculper en cela le comité; mais je crains que, formé pour une opération partielle, il n’ait pas l’organisation la plus convenable. Trouveraient-ils mauvais que je leur propose l’adjonction de six nouveaux membres, parmi lesquels je voudrais voir un homme dont le courage, la sévérité et le travail opiniâtre ne sont au-dessous d’aucun obstacle, et mon respectable collègue, M. Camus, à qui désormais les travaux du comité des pensions ne paraissent avoir permis une autre occupation? 2° Je propose qu’il soit attribué aux assignats, une prime de 2 0/0 pour la vente. L’argent n’étant admis que pour l’enchère, et non pour la vente, l’assignat obtient, par là, sur lui, un avantage dont l’effet est de le porter plus sûrement à la terre, et de le retirer encore de la circulation; 3° Qu’il soit ouvert un emprunt de 300,000 livres à 3 0/0 d’intérêt dont les effets soient reçus à l’enchère; cette mesure qui vous a été proposée avant moi, me paraît remédier à tout. Elle prévient la trop grande quantité du numéraire; elle empêche la crainte de l’avilissement de ce numéraire, et, par là, le surhaussement des denrées; car celles-ci ne peuvent augmenter que si les assignats perdent. Gela est évident, elle agit toujours avec cette flexibilité qui suit les mouve-vements naturels; elle ne force rien; elle s’unit à tous les intérêts, et prévient toutes les craintes; 4° Enfin, il me paraît que pour donner encore un frein capable d’arrêter les inactions faibles, il convient que le même comité soit chargé de surveiller à la fois la vente des biens nationaux et l’émission des assignats. Par là, vous serez toujours averti des différences trop marquées de l’une de ces opérations sur l’autre, et vous pourrez conserver contre elles le parallèle nécessaire, avec la légère compression que les assignats doivent opérer pour cette vente. Voilà, ce me semble, de quoi calmer toutes les inquiétudes. Mais, Messieurs, prenez enfin un parti. C’est en finances surtout que la lenteur à nous décider peut nous perdre. Déjà beaucoup de maux se font sentir, dont le plus funeste, est que nous dissipons nos capitaux pour des besoins journaliers. Je finis par cette réflexion. On vous a dit, Messieurs, qu’il fallait attacher, par leur intérêt, tous les individus à la Constitution; mais un exemple pourra bien aisément faire sentir toute la force de cet argument. L’Angleterre n’ose tenter au-i" SEME. T. XIX. cun changement dans une Constitution dont chacun reconnaît les vices. Ce qui en est la cause principale est bien connue, c’est que presque tous ies individus sont médiatement ou immédiatement intéressés à la chose publique, et que le moindre choc dans la fortune publique ébranlerait toutes les fortunes particulières. Voilà le ciment qui lie entre elles toutes les parties de l’édifice politique anglais. Jugez, Messieurs, de la force de ce lien, autour d’une Constitution libre, déjà favorable à tous les intérêts, à la raison et à la justice. Walpole fit contracter des dettes aux Anglais, pour les attacher à la maison de Brunswick, et nous, Messieurs, nous payerons les nôtres pour attacher les Français à l’ouvrage de leurs représentants, nous aurons uni ainsi, d’une manière indissoluble, la politique et la justice. Pour moi, qui sacrifierais tout ce que je possède au monde, hors la liberté, au bonheur de voir les Français réunis, je me plais à les voir au moins jurer la paix sur l’autel de l’intérêt. Vous craignez ce mouvement rapide et général dans la circulation qui va agiter la société, moi, je le désire comme la plus précieuse et la plus douce des institutions. C’est lui qui placera l’espérance auprès de tous ceux qui, maintenant sont abattus; c’est lui qui deviendra le principe d’une activité bienfaisante. Au lieu de ces sentiments aigres et violents qui maintenant nous agitent, il donnera le change, il dénaturera toutes ces passions haineuses qui nous tourmentent même dans le sein de nos familles et de nos amis, pour y faire naître un intérêt commun, fruit du besoin et de l’intérêt particulier : c’est ainsi que la chose publique acquerra de nouveaux défenseurs et de nouveaux appuis. Après avoir donné des lois à la France, vous donnerez à ses habitants tout ce qui les fait chérir, la richesse et la paix. Après la physionomie toujours austère de la liberté, vous leur montrerez la riante image de la prospérité, d’une agriculture florissante, d’un commerce animé, d’impôts diminués. Tant de biens émousseront enfin la pointe des malheurs inséparables d’une Révolution. Ils embelliront la fin de vos travaux. Ainsi, il ne sera pour aucun citoyen, même pour vos ennemis aucun bien, aucune jouissance dont l’origine ne remonte jusqu’à vous. Vous aurez ainsi parcouru avec succès la carrière louable où le choix du peuple vous avait placés, et dans laquelle il vous a si généreusement soutenus. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du jeudi 30 septembre 1790, au matin, La séance est ouverte à dix heures du matin. M. Bouche, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Ce procès-verbal est adopté. M. de Beauharnais ( ci-devant le vicomte). J’ai reçu du collège de Pontlevoy un mémoire qui présente un nouveau système d’éducation publique. Il m’a paru d’autant plus important que l’Assemblée nationale a le projet de s’occuper de cet intéressant objet. Ce collège a joint à ce mé-21 322 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790.J moire une lettre, dans laquelle ces bons citoyens se plaignent du désagrément que leur ont occasionné leurs principes et surtout leur agrégation à une société des Amis de la Constitution établie dans leur ville. Je demande qu’on fasse mention du mémoire et de la lettre dans le procès-verbal. Un cle MM. les secrétaires lit une lettre de la municipalité de Versailles, dont voici l’extrait : « Sans doute, il est fâcheux de rappeler des événements désagréables; mais aujourd’hui on nous inculpe d’exagération; on nous accuse d’avoir voulu affliger le roi, et troubler l’Assemblée nationale. Il nous importe de rendre notre justification éclatante, et nous supplions l’Assemblée de charger un comité de l’examen de notre conduite, etc. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre au comité des rapports.) On fait lecture d’une lettre des membres de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue. Extrait de cette lettre. « A peine les représentants de la colonie de Saint-Domingue ont touché au rivage de Brest, qu’ils ont envoyé à l’Assemblée nationale une adresse pleine des expressions du dévouement et du respect dont ils sont pénétrés pour elle; cette adresse n’est point parvenue à l’Assemblée : sans songer à leur âge, aux fatigues de la traversée, ils se sont hâtés de veuir réclamer votre justice ; mais les infirmités de quelques-uns ont été un obstacle â leur empressement, et leur réunion entière ne pourra être effectuée que le 5 du mois prochain. — Les calomniateurs ont pris le devant; mais l’Assemblée distinguera l’innocence : qu’elle daigne suspendre son opinion, jusqu’à ce que les réprésentants de Saint-Domingue lui aient dévoilé toutes ces intrigues : le témoignage de 85 cultivateurs, chargés des pouvoirs de leur colonie, sera sans doute de quelque poids aux yeux des législateurs de l’Empire français. » (Cette lettre est revêtue de 15 signatures.) (L’Assemblée décrète le renvoi de cette lettre au comité colonial.) M. Moreau. Je dénonce le numéro de M. Marat ..... (Il s'élève des murmures dans V Assemblée). (M. Moreau cherche en vain à se faire entendre ; plus il s’agite, plus les murmures redoublent. Il porte sur le bureau le numéro qu’il voulait dénoncer et l’Assemblée décide de passer à l’ordre du jour.) M. Rasquiat, député de Dax, demande un congé de trois semaines. M. Dupré, député de Carcassonne, demande à s’absenter pour un mois. _M. Rodât, député de Rodez, sollicite la permission d’aller à ses affaires pour six semaines. M. de Failly, député de Vitry-le-François, demande par lettre une prolongation de congé de trois semaines. Ces congés sont accordés. M. le Président. Le comité de Constitution demande la parole pour un projet de décret qui est urgeiit. M. EiO Chapelier, rapporteur. Vous avez décrété que toutes les chambres des vacations des parlements de province cesseraient leurs fonctions le 30 septembre; la seule chambre des vacations du parlement de Paris est prorogée au 15 octobre. La cour supérieure provisoire que vous avez établie à Rennes, a jugé plus d’affaires en six mois que les anciens juges n’en expédiaient en dix-huit mois. Les justiciables sont extrêmement contents du zèle et de l’activité de ces nouveaux juges. La ville de Rennes nous a écrit pour solliciter leur prorogation jusqu’à l’élection des nouveaux tribunaux. Nous avons pensé que cette prorogation était sans inconvénient. Le comité de Constitution auquel nous avons communiqué cette lettre a été de notre avis; j’ai l’honneur de présenter le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale déclare que la cour supérieure provisoire, créée à Rennes au mois de février dernier, n’est pas comprise dans les dispositions du décret du 7 de ce mois; « Décrète, en conséquence, que ladite cour provisoire continuera ses fonctions jusqu’au 15 octobre prochain. » M. d’Estourmel. J’observe que la province de Bretagne vous demande un privilège, et que si vous le lui accordez, vous ne pourrez le refuser à aucune des autres provinces qui vont vous accabler de pétitions, pour conserver chacune leur chambre de vacations. M. Defermon. Si vous refusez le décret que nous sollicitons en faveur de la ville de Rennes, ce sera le signal d’une insurrection. Songez que la cour supérieure provisoire de cette ville est votre ouvrage, et qu’elle n’a, sous aucun poi nt de vue, nul rapport avec les chambres des vacations. M. Goupil. Je demande la même faveur pour la cour provisoire de Dijon. (Après plusieurs oppositions et plusieurs amendements proposés au projet de décret lu par M. Le Chapelier, et qui sont écartés par la question préalable, le décret est adopté.) M. de Menou, au nom du comité diplomatique, fait lecture d’une adresse des ligues Grises qui est renvoyée aux comités diplomatique et militaire réunis, pour en rendre compte à l'Assemblée. M. Rewbell. Il faut nous occuper de compléter la grande opération qui nous occupe depuis plus de six semaines. Il faut éclairer le peuple abusé par le mémoire du premier ministre. On lui a persuadé, dans certains départements, qu’il aurait un assignat de 200 livres pour 6 livres. (On demande l’ordre du jour.) M. de Farochefoucanlt-Fiancourd. Vous avez décrété hier pour 1,200 millions d’assignats. Le devoir de tout bon citoyen est de donner à cette opération tout le crédit qu’elle mérite. Je demande, en conséquence, que le comité des finances soit chargé de rédiger une adresse pour démontrer aux départements tous les avantages du plan que vous avez adopté. M. de Foncanlt. J’appuye de toutes mes forces la motion du préopinant. Il est du devoir de tout bon citoyen de concourir de toutes ses forces à l’exécution des décrets, lorsqu’une fois Ds sont ren-