[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 novombre 1790.) 135 semblée que M. Fleury, cultivateur, et l’on des députés du département du Pas-de-Calais, est décédé hier en cette ville, à l’hôtel Berlin, rue Saint-Guillaume, près de celles des Saints-Pères, faubourg Saint-Germain, et que ce soir à b heures il sera inhumé à Saint-Sulpice. M. USonassai, curé de Saint-Fiel , député de Guéret, demande et obtient un congé de six semaines. M. Gomlard, membre du comité d’agriculture et de commerce, fait un rapport sur le tarif des droits d'entrée et de sortie du royaume. Je viens appeler l’attention de l’Assemblée sur le tarif des droits qui seront perçus à l’entrée et à la sortie sur les objets qui en ont paru susceptibles. Ce n’est pas sans quelque défiance que je me présente à cette tribune, où vous avez daigné accueillir avec bonté le travail de votre comité d’agriculture et de commerce, que j’ai été chargé de vous soumettre. Lorsque je vous ai proposé de renverser ces odieuses barrières qui gênaient la circulation intérieure, je n’ai pas dû trouver des contradicteurs. Devant la liberté, ces chaînes fiscales que le commerce traînait après lui ont du se briser. Vous avez reculé ces barrières aux extrêmes frontières... Le comité d’agriculture et de commerce a admiré cette théorie, qui repose sur la liberté indéfinie; elle honore ceux qui s’en sont déclarés les apôtres, et qui prêchent cette sublime doctrine au monde commerçant; mais il ne lui a pas paru sage de s’eu faire les disciples uniques, et de donner un exemple qui ne serait point imité, parce que ce serait prononcer la destruction de notre industrie. Il doit s’attendre pourtant que ce système séduisant trouvera parmi les vrais amis de la liberté des partisans et des défenseurs; il a toujours suffi de prononcer devant vous le mot de liberté pour rallier tous les esprits : les efforts ne coûtent rien alors, et les plus grands sacrifices ne nous arrêteront jamais. Moi aussi je viens, au nom du commerce, vous demander la liberté; elle est la devise du commerce, de l’agriculture et de toute industrie, mais elle est incomplète sans la protection et la sûreté. Je réclama la liberté dans ce sens qu’elle sera protection du commerce national et qu’elle veillera à la sûreté de nos manufactures; lorsque vous n’avez été arrêté par aucun obstacle qu’on a tenté de vous opposer, lorsque vous avez triomphé de tous les préjugés, je vous demande d’accorder au commerce le liberté d’exister. La protection et la sûreté que vous lui devez ne peuvent se trouver, dans le système actuel de l'Europe commerçante, que par une combinaison de droits à l’entrée et à la sortie qui attire tout ce qui doit favoriser l’industrie nationale et porter votre exportation au dernier terme possible. Ge n’est donc pas pour l'intérêt du Trésor public que les tirons sont établis, c’est pour l’intérêt, bien plus considérable, de i’agricuiture, de nos manufactures et de nos arts. Si votre comité, dont je suis l’organe dans ce moment, s’écarte de ces niées, qui paraissent vraies dans la spéculation, qui en imposent à tons ceux qui ne sont que théoriciens, parce qu’elies offrent à l’esprit de grandes vues politiques, j’espère au moins que vous entendrez avec indulgence les motifs d’une opinion qui ne paraît restreindre la liberté qu’aux yeux de ceux qui n’embrassent pas le syslème commercial dans tous ses rapports et qui oublient sans cesse que les faveurs que nous accorderions à nos voisins nous seraient refusées par eux. Nous avons pu sans danger déclarer les droits des nations et offrir dans notre Constitution un grand exemple aux peuples qui vivent sous une autorité plus ou moins despotique ; que le reste de l’Europe soit esclave ou devienne libre comme la France, notre liberté n’en sera pas moins entière; mais faire des lois commerciales dans lesquelles nous stipulerions seuls et sans réciprocité la liberté indéfinie, votre comité a pensé que ce serait une fausse mesure pour une nation dont le système politique est aujourd’hui d’être une puissance purement agricole et commerçante, dont la splendeur dépend des progrès de son industrie, qui doit accroître sa population, la force de l’Etat, et assurer la prospérité de l’agriculture, qui en est la véritable richesse. Votre comité, en s’occupant du commerce, n’a pas dû considérer uniquement ces spéculateurs que l’on confond trop souvent avec le véritable négociant; ces spéculateurs, vrais cosmopolites, à qui il importe peu de vendre ou vos productions ou celles des nations étrangères. Pour ceux-là, sans doute, ce ne serait point assez d’avoir repoussé les barrières aux frontières; il faudrait les renverser entièrement, pour faire de la France un grand comptoir, un port franc ouvert à tous les peuples, d’où ces avides spéculateurs introduiraient chez les nations qui se gardent, qui prohibent nos productions, tout ce que leur intérêt leur prescrirait. Mais que deviendraient nos manufactures dans ce système? Ge qu’elles deviendraient est facile à prévoir; elles s’anéantiraient et, avec elles, cette industrie si active qui occupe des milliers de citoyens. Le spéculateur, seul dans son comptoir, fait des affaires immenses; le manufacturier est bien plus utile que lui. C’est donc cette industrie que vous avez eu en vue de protéger, d’encourager, de défendre, lorsque vous avez placé des barrières à vos frontières; et déjà vous avez jugé que ce grand intérêt exigeait des droits qui ne sont que l'effet de la protection que vous devez à l’industrie; ils servent à la sûreté des spéculations, parce qu’ils garantissent les manufactures qu’il ne sera rien introduit qui puisse soutenir la concurrence avec ies productions nationales sans laisser à celles-ci tout l’avantage. Votre comité a pensé que cette sûreté serait complète, si vous ajoutiez à des mesures si sages quelques prohibitions dont il lui a paru que la justice et la nécessité se démontrent facilement. Cette dernière question me parait la seule susceptible d’une controverse, et pourtant, en réduisant le problème à ses termes les plus simples, elle a paru à votre comité une conséquence nécessaire des droits protecteurs et conservateurs de nos manufactures, que sans doute personne ne proposera de supprimer. Dès qu’il sera démontré que les droits d’entrée et de sortie sont indispensables pour favoriser notre commerce, il sera prouvé qu’il est de notre intérêt de prohiber tout ce qui noos devient inutile, tout ce qui serait nuisible à noire industrie nationale. La discussion que vous allez ouvrir est importante; vous aurez à vous défendre vous-mêmes de cet enthousiasme de la liberté, sentiment qui se partage, mais qui pourrait vous conduire au-delà de ce que vous devez. Songez que, si, philosophiquement, vous pouvez jeter les fonde- 136 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 novembre 1790.] mentsde la législation de tous les peuples, commercialement, vous avez, avant tout, à considérer l’intérêt national. Avant de résumer les questions que vous aurez à examiner, je vous dois une observation générale sur le tarif ; elle me paraît devoir en abréger la discussion. J’ai déjà eu l’honneurde dire à cette tribune que le tarif n’est pas l’ouvrage seul des comités d’agriculture et du commerce; depuis longtemps on s’en occupait dans l'administration ; les députés des villes de commerce avaient été consultés; une nouvelle discussion y a introduit des changements utiles, et, depuis qu’il est connu de tous les commerçants, votre comité peut vous assurer que, dans l’immensité des lettres qu’il a reçues de différentes places de commerce, il n’a pas eu de réclamations contre ce tarif sur lesquelles il n’eût de lui-même fait droit, parce qu’il a été éclairé par les observations que ies membres de cette Assemblée se sont empressés de lui faire et par les instructions qu’ils ont fournies. Il serait difficile que la discussion répandît plus de lumières sur ce tarif. Ce n’est que lorsqu’il nous a paru satisfaire, autant qu’il était possible, à tous les intérêts que nous avons cru devoir vous le présenter pour en ordonner l’exécution. Cependant, votre comité le répète, il est loin de penser que ce tarif soit aussi parfait qu’il le peut devenir; mais ce n’est pas une loi destinée à être immuable. Le devoir des législateurs qui vous succéderont sera d'y faire des changements que l’expérience peut seule indiquer. L’Assemblée nationale ne peut délibérer successivement sur chaque article du tarif sans une perte de temps infinie. Pour l’en convaincre, il suffit de savoir que, depuis un temps considérable, le comité s’en occupe constamment, et il faudrait consacrer peut-être un mois entier si on voulait suivre cette marche. Mais quand l’Assemblée pourrait ainsi prodiguer son temps, elle ne devrait pas adopter ce mode de discussion, parce que cent articles divers ramèneraient cent fois la même discussion. Votre comité d’agriculture et de commerce a donc été obligé de chercher une méthode simple de faire décréter le tarif. Il commencera par vous exposer les principes suivant lesquels il a cru devoir classer et taxer les diverses marchandises, soit à l’entrée, soit à la sortie. Si ces principes sont justes, il ne s’élèvera d’autre question que celle de savoir si telle ou telle marchandise appartient à la classe dans laquelle elle a été rangée. Les principes qui ont guidé votre comité peuvent se réduire à deux ; le premier concerne l’entrée imposée sur les marchandises étrangères ; il consiste en un droit d’autant plus fort que la marchandise sera moins nécessaire à notre consommation ou à nos fabriques, ou qu’elle aura reçu de l’étranger une valeur industrielle nuisible aux fabriques de même genre que possède le royaume. Le second principe, qui est relatif à la sortie, est de favoriser, autant qu’il est possible, l’exportation du superflu des productions de notre sol et de notre industrie, et de retenir par des droits les matières premières utiles à nos manufactures. L’intérêt de notre industrie nous a même portés à vous proposer l’établissement de quelques prohibitions tanta l’entrée qu’à la sortie. Nous avons divisé les marchandises de notre commerce extérieur en huit classes pour l’entrée et autant de classes pour la sortie, avec des droits gradués de manière à donner le plus grand encouragement aux matières premières età l’exportation des marchandises ouvrées. Voici d’abord ce qui concerne le tarif d’entrée. Nous proposons d’affranchir de droits ies productions indispensables à la subsistance et les matières premières les plus utiles à nos fabriques, d’imposer au droit le plus léger les matières beaucoup moins indispensables sous le même rapport; elles forment la première classe des objets à imposer. Le droit affecté à cette classe ne peut être évalué depuis 1/2 0/0 de la valeur jusqu’à 1 1/2 0/0. — La seconde classe comprend quelques matières premières , dont les unes , comme l’indigo, peuvent nous être fournies par nos colonies, et les antres sont dans le cas d’être employées à des ouvrages de luxe ou de seconde nécessité; cette classe payera de 2 à 3 1/2 0/0. La troisième classe, les marchandises qui, quoique matières premières pour les arts et les manufactures, peuvent nous être fournies par nos colonies ; la quatrième classe, les comestibles consommés par les riches, ou en si petite quantité par toutes les autres classes de citoyens que le droit en est insensible ; quelques matières première ouvrées, dont nous n’avons pas des quantités suffisantes, et le fer, dont nos fabricants sont surchargés. Ces différents objets sont soumis à un droit de 8 à 12 0/0. La cinquième classe, plusieurs objets manufacturés auxquels notre industrie peut suffire : droits, 15 à 20 0/0. La sixième classe, les productions de pêche étrangère, qu’il est de l’intérêt de notre navigation d’écarter; les eaux-de-vie et liqueurs qui nuiraient aux productions de notre territoire: droits, de 20 à 30 0/0. La septième classe, les productions de même espèce que celles de nos colonies. La huitième classe, les charbons de terre : la fixation du droit sera graduée sur le besoin des différents points du royaume. Le tarif pour la sortie est également divisé en huit classes, qui ne comprennent qu’un très petit nombre d’articles; car nous proposons d’affranchir de droits les grains et les graines, nos productions industrielles, et tout ce qui, étant venu de l’étranger, se trouvera dans le cas d’v être réexporté par le commerce. Nous avons aussi une neuvième classe de marchandises contre lesquelles votre comité croit devoir vous proposer de prononcer une prohibition absolue pour être exercée sur les unes à l'entrée, et sur les autres à la sortie du royaume. Il ne s’est élevé aucune réclamation contre celle-ci; mais on a objecté au système prohibitif à l’entrée que, le taux de l’assurance pour l’introduction d’une marchandise prohibée n’élant jamais de 7 à 8 0/0 de la valeur, il était de l’intérêt des manufactures de préférer uu droit de 10 à 12 0/0, qui s’acquitterait, à une prohibition qui serait toujours éludée. Nous répondons que, si on peut nous indiquer un moyen de faire acquitter aux manufactures étrangères un droit d’entrée de 10 0/0 de la valeur effective, nous renonçons aux prohibitions ; mais si ce mode est impossible à trouver, si, pour obtenir un droit de 10 0/0, ou est obligé d’en mettre un de 15 à 20, qui pour les uns ne soit que de 8 0/0, tandis qu’il sera de 12 pour les négociants de meilleure foi, nous excitons à la fraude celui qui ne pourra pas entrer en concurrence avec son confrère. Alors nous ne pouvons opposer d’autre barrière que celle de la police relative aux droits de traites. Cette police est bien insuffisante ; car, si la marchandise que le négociant veut introduire est permise, il peut la faire arriver dans nos [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 novembre 1790.] ports, l’y faire séjourner souvent pendant plusieurs jours avant d’être tenu à une déclaration, et il a tout ce temps pour essayer de verser sa marchandise en fraude ; s’il ne réussit pas, il est quitte pour ressortir avec sa marchandise, Il en est autrement des marchandises prohibées. Les petits bâtiments sont les plus dangereux , parce qu’ils peuvent se soustraire à la vigilance des préposés; mais faisons, � comme l’Angleterre, croiser sur les côtes des bâtiments légers autorisés à arrêter les marchandises de contrebande qui s’en approcheraient. La prohibition seule peut nous préserver des versements avec armes et attroupements. H n’en serait pas de même si les marchandises étaient admises avec un droit de 8 à 10 0/0 de leur valeur, qui est assez considérable pour exciter la fraude, parce que, ne pouvant être saisies à l’approche des côtes, elles arriveraient avec sécurité et même séjourneraient dans nos ports. Les introductions par terre, quand il s’agit de marchandises prohibées, sont, comme celles par mer, un obstacle de plus à surmonter; car elles sont saisissables par le seul fait qu’elles arrivent sur le territoire français. Ces considérations suffisent pour prouver que la prohibition est plus propre que le droit à repousser une marchandise préjudiciable à nos manufactures. Le comité n’a-t-il pas d’ailleurs, à l’appui de son opinion, le traité de commerce avec l’Angleterre? Lorsque les coopérateurs de cette convention désastreuse ont éprouvé des contradictions auprès du ministère, leur argument était que, les marchandises anglaises entrant dans le royaume nonobstant la prohibition, il importait à nos manufactures de commuer cette prohibition en un droit d’entrée. C’est pour s’en être rapporté à leur opinion que des centaines de milliers de bras précédemment occupés à la fabrication des articles que l’Angleterre nous fournit sont depuis plusieurs années sans travailler. M. Goudard termine en présentant un projet de décret (1). M. Maïouct. Quoique les rapports commerciaux semblent être de droit naturel, il faut cependant les considérer sous un autre aspect ; les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, la rivalité du commerce des nations, dont la concurrence se choque, nous force d’en circonscrire la liberté. Les lois prohibitives sont nécessaires, et, avant que nous les disposions, je demande, pour notre instruction, que le comité fasse imprimer avant la discussion : 1° l’état de celles de nos marchandises dont l’entrée est interdite chez les principales nations commerçantes de l’Europe; 2° l’état des droits que les nations étrangères imposent chez elles sur les marchandises dont l’importation est permise chez nous, et avec lesquelles elles rivalisent nos manufactures et ruinent principalement celles de toiles peintes et de toiles de coton. M. l’abbé Maury. Je demande aussi qu’on veuille bien nous soumettre le produit de nos lois prohibitives sur les marchandises étrangères. M. Itoedercr. Les états que demande M. Ma-louet seraient le résultat d’un dépouillement des (1) Voyez le tarif proposé par M. Goudard, A rchives parlementaires, tome XVIII, page 317. 137 tarifs de toutes les nations, ce qui serait un ouvrage interminable. Quant à la proposition de M. l’abbé Maury, elle me semble inintelligible. Qu’est-ce, en effet, que le résultat des lois prohibitives ? Ce sont les confiscations, les amendes, etc. Eh! qu’importent de pareils résultats? Je demande donc la question préalable sur les deux propositions. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lien à délibérer.) M. Louis Doislaudry (1). Messieurs, il serait trop long de discuter chacun des articles compris dans le tarif qui vous est proposé ; vous avez dû y remarquer une grande variété dans la fixations des droits. Plusieurs marchandises sont totalement prohibées, tant à l’entrée qu’à la sortie; d’autres assujetties à des droits prohibitifs: