614 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [IC décembre 1789.] seront tenus de prendre toutes les précautions nécessaires pour que ces changements amiables puissent s’opérer librement et sans danger pour la chose publique. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SA1NT-JUST. Séance du mercredi 16 décembre 1789 (1). M. lïamel-HTogaret, à l’ouverture de la séance rend compte d’un trait de patriotisme qui mérite les applaudissements de l’Assemblée. Le 2 de ce mois, 90 sacs de blé avaient été pillés au bourg de Pénautier. La milice nationale de Carcassonne s’est transportée au lieu du délit et a fait rentrer les attroupés dans le devoir. On a proclamé contre eux la loi martiale, mais on n’a point été obligé de la mettre à exécution: la manière prudente dont la garde nationale s’est conduite à fait rentrer tout te monde dans le devoir et l’ordre sans coup férir. M. Brostaret annonce que les officiers municipaux et la garde nationale de Montolieu ont porté le même secours, pour le même motif de pillage de grains, le 30 novembre dernier, à la municipalité de Saissac. L’Assemblée autorise M. le président à témoigner sa satisfaction à ces différentes municipalités et gardes nationales. M. Talon, lieutenant civil et suppléant de M. le baron de Montboissier, député de Chartres, est admis à le remplacer, ses pouvoirs ayant été trouvés en bonne forme par le comité des vérifications. Un de MM. les secrétaires donne ensuite lecture des adresses suivantes : Adresse des prébendiers de l’église collégiale de Carcassonne, qui exprime d’une manière énergique les sentiments de respect, de reconnaissance et de dévouement dont ils sont pénétrés pour l’Assemblée nationale. Ils dénoncent les chanoines de la collégiale comme coupables de despotisme et d’une négligence blâmable sur les intérêts de la mense capitulaire, et demandent qu’il soit fait une apposition de scellés sur les papiers, livres, journaux et argent déposés chez le syndic du chapitre. Adresse de la garde nationale de la ville de Tarbes, capitale du Bigorre, contenant félicitations, remerciements, et adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, promesse de les faire exécuter, et ratification de la renonciation à tous les privilèges delà province. Elle demande à être un chef-lieu de département. Adresse du même genre, de la communauté de Begole en Bigorre: elle désire que l’Assemblée nationale fasse en sorte de procurer des armes à chaque citoyen actif, pour garantir l’exécution des nouvelles lois constitutionnelles. Adresse du même genre de la ville de Goray en Bretagne : elle demande une justice royale. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. Adresse du même genre de la ville de Lan-vollon en Bretagne : elle demande une justice royale. Adresse du même genre de la ville de Bourg-Argental en Forez : elle fait le don patriotique de tout reversement de supplément d’impôtde la présente année sur les ci-devant privilégiés, et demande la conservation du monastère des religieuses usurlines, établi dans cette ville. Adresse du même genre de la ville de Mon-contour en Bretagne: elle demandela conservation de son siège royal, et d’être un chef-lieu de district. Adresse des officiers de la garde nationale de Chauny, du même genre : ils jurent de maintenir au péril de leur vie, l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale, et la supplient de conserver à cette ville son bailliage royal. Adresse du même genre des officiers de la maîtrise particulière des eaux et forêts de la même ville de Ghauny : ils font le serment d’exécuter et de faire exécuter, en tout ce qui les concerne, les décrets de l’Assemblée nationale, quoique, jusqu’à présent, ils n’en aient encore reçu aucun, pas même celui relatif à la procédure criminelle, ni celui pour la conservation des bois ecclésiastiques. Ils présentent à l’Assemblée un mémoire sur les forêts situées dans le ressort de Ja maîtrise de l’Ile-de-France, pour aider le comité des domaines et bois dans son travail sur cette matière. Adresse du même genre des habitants de Bourg de Lurey en Bourbonnais : il font part des difficultés qu’ils éprouvent relativement à la manière de répartir l’imposition sur les ci-devant privilégiés; ils demandent le siège d’une nouvelle assemblée de district. Adresse des religieuses ursulines de Sainte-Marie-d’Oloron en Béarn, qui témoignent leurs inquiétudes sur le changement de leur état, et leur désir de continuer un genre de vie qu’elles ont choisi librement, et qu’elles justifient par les précautions dont elles ont fait précéder leurs engagements. Elles ajoutent que leurs biens n’offrent rien à la spéculation, puisque les remboursements des capitaux dont elles sont chargées pour faire acquitter certaines fondations pieuses, et assurer des pensions viagères, égalera ou surpassera même le capital de leurs biens, tant meubles qu’immeubles. Elles demandent enfm à mourir dans leurs saintes habitudes. Extrait des registres de délibérations et adresses de la ville d’Oloron, qui renouvelle son adhésion à tous les décrets de l’Assemblée nationale, l’abandon qu’elle a fait de ses droits, exemptions et privilèges communs et individuels ; donne aux pouvoirs de ses députés toute l’extension nécessaire, et réclame tout le bien dont elle est susceptible, et qui ne préjudicierait à aucun autre lieu. M. Villoutreïx de Faye, évêque d'Oloron , au sujet des adresses de la ville d’Oloron, et des religieuses de Sainte-Marie, sollicite, avec instance,. l’Assemblée de vouloir bien prendre ces différents objets en considération. Il demande qu’en attendant que les décrets de l’Assemblée nationale, concernant la dotation de 1,200 livres au moins pour Jes curés, et de 600 livres pour les vicaires, puissent recevoir leur exécution, ces ministres de l’Église entrent, provisoirement et à commencer du l3r janvier prochain, en jouissance de l’augmentation de leur portion congrue, telle qu’elle a été réglée par la déclaration [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 décembre 1789.] 615 du Roi de 1786, en accordant 700 livres, aux premiers, et 350 livres, aux seconds, et qu’en conséquence ladite déclaration, non encore enregistrée au parlement de Pau, lui soit incessament envoyée pour qu’elle soit transcrite sur ses registres; et que pareil envoi et que pareille inscription soient ordonnés à l’égard des autres parlements qui pourraient être dans le retard. On propose que cette motion soit renvoyée au comité ecclésiastique, et l’Assemblée alors décrète que le comité ecclésiastique en rendra compte vendredi à deux heures. Les Suisses des châteaux et parcs de Versailles et Marly, admis à la barre, offrent en don patriotique leurs boucles d’argent, et une somme de 572 livres. Ils témoignent leurs regrets de ce que leurs faibles moyens ne leur ont pas permis de réunir entre eux un don plus considérable. M. le Président leur témoigne la satisfaction que cause à l’Assemblée leur patriotisme. Il est fait ensuite lecture du procès-verbal des deux séances de la veille. Plusieurs membres demandent la parole sur la rédaction de la partie du procès-verbal qui rend compte de la séance du soir. Un d’entre eux, sollicite vivement la suppression des détails d’une scène affligeante et propose à l’Assemblée de décréter qu’il ne sera inscrit sur le procès-verbal que les décrets prononcés pas l’Assemblée, relativement à l’affaire de M. le vicomte de Mirabeau, et qu’il ne sera fait aucune mention des motions sur lesquelles on n’a pas délibéré, ni des différentes réflexions faites pendant le cours de cette discussion. La question préalable demandée met l’Assemblée dans le cas de décréter qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette motion,- ce qui laisse le procès-verbal sans aucun changement dans sa rédaction. On passe à l’ordre du jour, et on reprend la discussion sur le rapport du comité' militaire concernant le mode de recruter V armée, et sur la préférence à donner , ou à la conscription militaire, ou aux engagements volontaires. M. Bureaux de Pusy, député d’ Amont (1). Messsieurs, je ne viens point offrir à l’Assemblée le plan d’un nouveau mode de recrutement pour l’armée ; en adoptant celui qui existe sauf quelques modifications nécessaires , je me bornerai à rapprocher et à développer (2) davantage quelques-unes des objections qui ont été faites contre le projet d’une conscription militaire. D’abord , en considérant la disposition qu’on vous propose, dans son sens Je plus mitigé , soit qu’elle s’étende à la totalité des forces militaires du royaume, soit qu’elle se borne à la formation et à l’entretien de l’armée auxiliaire , destinée à (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. (2) Cette opinion, telle qu’elle avait été conçue, offrait des détails, et s’appuyait sur des moyens que Ton a cru devoir supprimer, comme étant devenus faibles ou surabondants, depuis ce qu’avaient dit M. le duc de Liancourt et M. le baron rte Wimpfen, et Ton a pensé que pour achever d’éclaircir la question, il suffirait de donner à quelques rapports que les préopinants n’avaient fait qu’indiquer sommairement, les développements dont ces rapports étaient susceptibles. (Note de M. Bureaux d« Pusy.) compléter ou à renforcer l'armée active en cas de guerre, je dis que l’intention d’une telle loi ne sera presque jamais remplie que par l’homme pauvre qui, privé de la faculté de se substituer un avoué, supportera seul unjoug auquel l’homme riche aura tous les moyens de se soustraire. La loi n’atteindra donc pas” son but, qui est d’imposer une obligation égale et personnelle à tous les membres de l’Etat, pour l’intérêt commun de tous. Au lieu d’obliger l’universalité des citoyens, elle ne pèsera donc plus que sur quelques individus Or, tonte loi générale qui, par la facilité d’en éluder les dispositions, se transforme en une loi particulière, si elle n’est pas décidément mauvaise, est au moins bien imparfaite. Passant à l’examen des effets ultérieurs de cette loi, prise dans son sens le plus absolu, je n’en vois pas résulter le bien qu’on se propose de produire par elle. Je crois même qu’en organisant l’armée d’après ce principe , on tomberait dans des inconvénients très-graves, que je vais exposer le plus succinctement qu’il me sera possible. Premièrement, on se priverait de la faculté de choisir les sujets dont serait composée l’armée. En second lieu, on arracherait à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, aux arts, aux talents, des hommes précieux , pour les changer tout au plus en de médiocres soldats ; car rarement on fait bien ce qu’on ne fait point librement et par choix. Troisièmement, qu’est-ce que veulent ceux qui demandent une conscription militaire ? épurer la composition de l’armée, la rendre aussi solide, aussi digne de la confiance de la nation qu’il sera possible, en substituant, dans sa formation, aux hommes achetés qui la composent, des soldats citoyens pénétrés de l’importance et de la dignité des fonctions auxquelles ils seront appelés par les lois de la patrie et par la voix de l’intérêt public. Si l’Assemblée nationale pouvait être séduite , sans doute elle serait excusable de céder à l’illusion brillante d’un projet qui rappelle, qui semble mettre en jeu le patriotisme et toutes les vertus civiques. Mais, Messieurs , on l’a dit avant moi, et je le répète avec confiance : gardons-nous de décider des questions politiques d’après la seule impression du sentiment. En effet, comme l’a dit un des préopinants : si toutes les communes ont réclamé contre le tirage au sort de la milice... si cette institution a laissé une impression profonde de douleur dans des cœurs qui se sentaient nés pour la liberté ; je demande comment l’on conçoit que la nouvelle loi qui, au lieu de forcer quelques volontés, les contraindra toutes, sera plus favorable à la liberté..? Je demande si l urne qui renfermera le sort de tous les citoyens, ne présentant jamais qu’un billet noir à chacune des victimes de l’obéissance, leur paraîtra moins fatale alors , que dans le temps où celui qui allait y puiser l’arrêt de sa destinée, savait en y portant la main, qu’un grand nombre de chances heureuses militait en sa faveur ; et qui même, lorsque la fortune avait trompé ses vœux, avait au moins conservé jusqu’au dernier instant, les charmes et les dédommagements de l’espérance ? Je demande encore pourquoi des enrôlements faits avec choix, discernement, et surtout avec décence, ne procureraient pas à l’armée des soldats aussi sûrs, aussi dignes de confiance, que ceux que le hasard seul appellerait sous les drapeaux ? Que j’examine ensuite les caractères moraux