424 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE versité, nous aurions précisément le degré de supplice, et si je peux m’exprimer ainsi, le tarif du malheur d’un criminel. Si nous pouvions descendre d’un point connu de probité, de perfection, de vertu, à tel individu, nous aurions la somme de son bonheur. Si l’homme pouvait voir comme la nature, l’ensemble de ces détails n’échapperait point à sa sagacité; mais il n’y a que le principe qui lui soit connu, moralement démontré. Citoyens, si ces moyens, si ces conceptions trompaient nos espérances, il faudrait, en répandant des larmes, répéter avec ce Romain abusé, sensible et outrageant les dieux : « Le bonheur, la vertu ne sont que des fantômes. » Mais non, législateurs, il est digne de vous de donner, et vous donnerez au peuple que vous représentez un code de lois appuyées sur la morale, sur la vertu. Il faut, pour propager ces principes sacrés, seul fondement de la société, établir des chaires de morale calculée à la place de ces tréteaux de théologie, qui ont si longtemps désolé la terre, qui ont été les ateliers honteux et redoutables où le mensonge, l’hypocrisie, l’ignorance forgeaient, au nom du ciel, les chaînes de la terre ; d’où sont sortis l’humiliation, les malheurs, le long avilissement des siècles. Celui qui fera ce code de la morale, qui fera un tableau, une échelle approximative des crimes et de leurs supplices, aura bien mérité du genre humain. Je propose à la Convention de décréter : Art. premier. Tous les savants sont invités de donner à la Convention nationale une échelle graduée des délits, et des tourments qu’ils traînent après eux sur la terre. II. Tous les ouvrages seront envoyés au comité d’instruction publique, qui sera chargé d’en faire un rapport à la Convention. III. Tous les membres de la Convention pourront avoir recours aux originaux. IV. Chaque ouvrage ne pourra excéder cent pages in-8°. V. Le concours sera ouvert le 30 vendémiaire, et fermé le 1er messidor. VI. La Convention accorde une palme civique à l’auteur dont l’ouvrage lui paraîtra digne d’être proclamé, et en outre une somme de 12 000 livres ; ou on renverra à un second concours. L’assemblée décrète l’impression et le renvoi au comité (117). La séance est levée (118). Signé, CAMBACÉRÈS, président; PELET, A.P. LOZEAU, LAPORTE, ESCHASSERIAUX [jeune], BOISSY [d’ANGLAS], P. GUYOMAR, secrétaires. (117) Moniteur, XXII, 193-196; J. Univ., n 1785, 1786. Mention dans F. de la Républ., n° 18; Gazette Fr., n° 1012; J. Fr., n° 743; J. Mont., n° 162; J. Perlet, n" 745; J. Paris, n°18; J. Univ., n” 1779; Mess. Soir, n“ 781 ; M. U., XLIV, 267; Rép., n° 18. (118) P.-V., XLVII, 44. AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 69 La société populaire de Brion-du-Gard [Gard], écrit à la Convention nationale qu’elle ne sauroit souffrir plus longtemps que l’injustice et le crime soient à l’ordre du jour, puisqu’elle y a substitué la justice et la vertus elle ne veut plus que le bien succombe sous le mal dont on l’avoit environné, ni que des hommes voués par erreur au système désastreux d’un moderne conspirateur, se fassent un jeu de l’honneur et de la vie des citoyens; que la liberté publique soit plus longtemps outragée, mais elle entend, au contraire, que les personnes et les propriétés soient respectées. Elle exprime, enfin, son horreur pour l’oppression, son dévouement à la République, son respect et son attachement à la représentation nationale, et l’invite à rester à son poste (119). 70 [La commission des Administrations civiles, police et tribunaux au citoyen Bordas, représentant du peuple, de Paris, le 14 vendémiaire an III\ (120) Citoyens représentons, Il résulte de la vérification que nous avons fait faire au bureau des décrets de la Convention, que des expéditions du décret du 5 fructidor, relatif aux autorités constituées dY rieix-la-Montagne [ci-devant Saint-Yrieix-la-Perche, Haute-Vienne] n’ont effectivement été envoyées qu’à la municipalité, au tribunal et au juge-de-paix de cette commune ; nous nous sommes empressés d’en adresser, par le courrier de ce jour, une expédition à l’agent national, conformément au désir de ta lettre d’hier. Le chargé provisoire, Aumon. 71 PORCHER : la police, cet objet essentiel de tout bon gouvernement, est, depuis le 9 thermidor, presque entièrement privée de l’action qui peut la rendre utile dans cette ville immense ; depuis cette époque, les ressorts de cette magistrature conservatrice de l’ordre, de la tranquillité, de la salubrité et des moeurs, sont presque entièrement rompus ou au moins fortement énervés. (119) Bull., 17 vend. (120) C 321, pl. 1338, p. 19. SÉANCE DU 17 VENDÉMIAIRE AN III (8 OCTOBRE 1794) - N° 71 425 Une quantité immense de prisonniers attendent depuis longtemps leur jugement, et languissent détenus contre le voeu de la loi. Des marchandises et denrées de toute espèce restent en dépôt, se détériorent, et compromettent ainsi non seulement la fortune privée, mais encore la fortune publique qui s’en compose; le vice lève une tête altière; des rassemblements dont on ne connaît pas assez ni le but, ni la cause, ont lieu dans plusieurs quartiers : tout cela nous avertit qu’il est temps de redonner à cette partie essentielle de notre administration intérieure ce degré d’activité dont elle a besoin, pour que la société en retire les avantages qu’elle a droit d’en attendre. Le comité de Législation ne vient pas cependant encore vous proposer des idées nouvelles, un système nouveau sur cet objet. Il pense que l’institution de la police municipale et correctionnelle, aidée de nos lois révolutionnaires, est suffisamment bonne dans les circonstances où nous sommes. Les articles que nous aurons à vous proposer n’auront d’autre but que de redonner la vie à ce tribunal, qui plie sous le faix de son attribution, parce qu’il n’a pas le nombre d’agents nécessaire pour poursuivre et juger les affaires qui, suivant la loi du 19 juillet 1791 et celle du 14 fructidor, en font essentiellement partie. Pour vous faire sentir la nécessité des mesures que nous allons vous proposer, nous allons vous dire un mot de ce qui les rend absolument indispensables. Vous voudrez bien vous rappeler d’abord que le ministère public près du tribunal de police correctionnelle n’existait pas en chef, mais en supplément seulement et comme émanation de celui de la commune, en vertu de l’article XLIV de la loi du 22 juillet 1791. « La poursuite des délits sera faite, dit cet article, soit par les citoyens lésés, soit par les procureurs de la commune ou ses substituts, s’il y en a, soit par des hommes de loi commis à cet effet par la municipalité. » Cet article était général; il mettait, comme vous le voyez, dans toute l’étendue de l’empire, la pobce correctionnelle sous l’administration et la surveillance des commîmes : on ne fit peut-être pas assez attention qu’à Paris, où les objets d’administration sont si vastes et si compliqués, les affaires de la pobce correctionnelle si multipliées et si intéressantes, ces deux autorités devaient peut-être rester indépendantes l’une de l’autre. Quoi qu’il en soit, en exécution de cet article XLIV dont nous venons de parler, dès l’installation de la police correctionnelle à Paris, la municipahté, sentant que le procureur de la commune et ses deux substituts suffisaient à peine à leurs travaux administratifs, nomma jusqu’à trois suppléants pour faire les fonctions du ministère pubbc près la police correctionnelle, et cet ordre de choses a continué jusqu’au 9 thermidor. D’après cette organisation, la poursuite et l’instruction sur les délits se faisaient par les suppléants près le tribunal, à la requête et au nom de l’agent national près la commune. Les procès-verbaux et pièces passaient, par un usage qui n’était fondé sur aucune loi, et qui avait pris naissance à l’époque de la destruction du bureau central des juges de paix, passaient, dis-je, de l’officier de pobce qui les avait reçus et rédigés, à l’administration de pobce qui les ordonnançait, de là au parquet de la commune. Cette marche entravait, traînait en longueur les affaires, augmentait la dépense, jetait trop souvent les parties dans le cas de ne savoir à qui s’adresser pour obtenir justice. Les circonstances vous ont forcés de détruire ces abus, qui n’avaient sans doute pas échappé à une meilleure organisation de pouvoirs pu-bbcs que vous avez droit d’attendre de vos comités. La commune, par sa révolte, a creusé son tombeau; de trois agents nationaux, deux volontairement associés à ses forfaits y sont descendus avec ebe, il vous faut dont réorganiser presque en entier le ministère pubbc. Un agent national et trois substituts nous ont paru devoir le composer; ce tribunal sera, comme tous ceux du reste de la République, sous la surveillance de la commission nationale des administrations civiles, pobce et tribunaux. L’agent national sera exclusivement chargé de tout ce qui concerne l’exécution près le tribunal de pobce correctionnelle, telles que les demandes et instructions à sa requête, la suite et l’exécution des jugements, les arrivées, les renvois et transfèrements des prisonniers, en un mot de toute l’exécution, aux termes des lois. L’article XX de celle du 14 fructidor porte que les agents doivent être" nommés par la Convention nationale, sur la présentation du comité de Législation. Ce choix était important sans doute, et le comité a pris les renseignements qui pouvaient lui donner la conviction qu’il ne vous présentait que des hommes probes, actifs, intebigents, et constamment attachés à la cause populaire depuis le commencement de la révolution. Cette mesure n’est que le premier pas qui doit compléter une bonne organisation. L’article XV de la loi qui règle l’administration actuelle de la pobce de Paris ordonne que la partie contentieuse de la police municipale sera exercée par le tribunal de pobce correctionnelle. De là naît un surcroît considérable d’attributions; et si vous faites attention , à la stagnation où sont restées les affaires depuis le moment surtout qui a vu tomber les conspirateurs que le parquet renfermait dans son sein, vous sentirez comme nous la nécessité de porter à quinze juges de paix, avec obligation de se diviser en trois chambres, la composition de ce tribunal, qui, d’après le paragraphe III de la loi des 7 et 9 juillet 1791, n’était porté qu’à neuf, avec la faculté d’agir collectivement ou de se diviser, suivant qu’ils le jugeraient convenable. Trois chambres, dont rien ne pourra plus suspendre l’activité, nous ont paru devoir mettre la pobce correctionnelle à même de remplir le voeu de la loi du 14 frimaire sur le gouvernement révolutionnaire, qui exige que tous les tribunaux vident, dans le délai de trois mois, 426 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE les procès dont la connaissance leur est attribuée. Inutilement cependant aurions-nous mis ce tribunal en mesure d’expédier promptement les affaires qui concernent son attribution, si des obstacles apportés à l’envoi direct des pièces enchaînaient son zèle et son activité. Je vous ai déjà dit qu’après la destruction du bureau central des juges de paix, qui véritablement présentait les plus graves inconvénients, la commune de Paris s’était emparée, de sa propre autorité, du pouvoir que la loi assignait au bureau central des juges de paix; elle avait exigé que tous les procès-verbaux lui fussent adressés pour les ordonnancer; c’était substituer un abus à un autre. L’agent national et ses substituts, trop occupés pour pouvoir donner à ces actes l’attention nécessaire, les ordonnançaient, pour ainsi dire, au hasard ; toutes les autorités étaient perpétuellement occupées à faire des échanges des pièces et des procès-verbaux qui leur avaient été mal à propos adressés; souvent on ne se donnait pas la peine de faire ces renvois, et l’on m’a assuré qu’on trouverait peut-être au moins quinze cents procès-verbaux sous les scellés de Payan. Le redressement d’abus aussi contraires à l’intérêt public qu’aux prévenus a excité l’attention de votre comité, qui en a cherché le remède; il a pensé que le moyen le plus naturel et le plus facile de tarir la source du mal était d’autoriser les commissaires de police à faire eux-mêmes directement les renvois à l’autorité qui devra connaître des faits qu’ils auront constatés. Un officier public, en effet, qui a rédigé un procès-verbal, qui a entendu les témoins sur un délit, qui est saisi des pièces de conviction, peut beaucoup plus aisément le caractériser que celui qui n’a jeté qu’un coup d’oeil superficiel sur les pièces. L’erreur alors sera infiniment rare, pour ne pas dire impossible, surtout si, comme nous vous le proposons, vous les contraignez à citer le texte de la loi en vertu de laquelle ils motiveront le renvoi. Nous avons dû terminer notre travail en portant nos yeux sur un dernier objet : c’est l’organisation du greffe. Votre comité a pensé qu’il n’était pas possible de confondre en ce moment celui de la police municipale contentieuse et celui de la police correctionnelle. La réunion de ces deux juridictions, jusqu’à présent séparées, n’est encore que provisoire. Cette réunion semble limitée au temps que durera le gouvernement révolutionnaire ; vous ignorez, et votre comité ignore encore lui-même (car il n’a aucun plan fixe sur cet objet), quel est celui qu’il vous proposera définitivement d’adopter à l’époque dont nous parlons. Dans l’incertitude de cette détermination, il nous a paru prudent de laisser un dépôt aussi important qu’immense, puisqu’il remonte jusqu’au XIIe siècle, dans le local qui le recèle actuellement, sous la garde et la responsabilité de l’archiviste de la maison-commune. Les frais de déplacement seraient considérables; il en faudrait de plus grands encore pour disposer un local propre à le recevoir dans le ci-devant Châtelet, où le tribunal de police correctionnelle tient ses séances, et peut-être faudrait-il remettre un jour les choses dans leur primitif état. Vous voyez que l’ordre, la prudence et l’économie ont concouru à opérer une détermination que nous avons crue sage et peut-être indispensable. L’adoption de ces mesures donnera, nous l’espérons, à ce tribunal toute l’activité dont il peut être susceptible ; nous ne verrons plus des milliers de procès-verbaux s’accumuler sans recevoir de décision ; des pères et mères, des enfants, des citoyens ne languiront plus, oubliés dans les maisons d’arrêt ; innocents, ils seront rendus à leurs familles qu’ils nourrissent, à leur patrie qu’ils servent; coupables, ils seront encore utiles à la société par le salutaire exemple-que produira la punition prompte de leurs délits, et par les travaux qu’on aura droit d’exiger d’eux. Le rapporteur lit un projet de décret qui est ajourné (121). Art. I. - A Paris, le tribunal de police correctionnelle sera composé de quinze juges, servant par tour dans l’espace d’une décade. Ils tiendront audience tous les jours, et se diviseront en trois chambres qui leur seront assignées par le sort. II. - Les deux premières de ces chambres prononceront sur toutes les causes dont la connaissance est dévolue à la police correctionnelle. La troisième aura pour attribution le contentieux de la police municipale; elles pourront toutes juger au nombre de trois juges. III. - Il y aura près de ce tribunal un agent national et trois substituts ; la Convention nomme pour remplir la place d’agent national le citoyen... et pour substituts les citoyens... IV. - L’agent national sera seul chargé de la poursuite des délits, de la suite des jugemens, des arrivées, renvois, transfèrements des prisonniers : en un mot, de toute l’exécution aux termes des lois, tant de la police correctionnelle que municipale. V. - Les trois substituts seront chargés du travail des audiences; ils rempliront tour à tour, dans chacune des trois chambres, suivant l’ordre de leur nomination, les fonctions attribuées au ministère public. En cas de maladie ou de tout autre légitime empêchement, ils en préviendront l’agent national qui sera tenu de les remplacer. VI. - Le greffier de la police correctionnelle présentera autant de commis-greffiers qu’il est établi de chambres par le présent décret. VII. - Il sera extrait du greffe de la police municipale contentieuse tout ce qui est relatif (121) Moniteur, XXII, 203-204; Débats, n" 747, 273-277; J. Mont., n° 164; M. U., XLIV, 310-314. Mention dans Ann. R. F., n° 17 ; F. de la Républ., n° 18; Gazette Fr., n° 1011; J. Fr., n" 743; J. Perlet, n” 745; J. Paris, n“18; M. U., XLIV, 266; Rép., n° 18. Tous les journaux placent la lecture de ce rapport dans la séance du 17 vendémiaire, sauf le Moniteur, qui l’insère au 19.