SÉANCE DU 7 VENDÉMIAIRE AN III (28 SEPTEMBRE 1794) - N° 33 113 quelques hommes jaloux de toute renommée, ont voulu entraver son organisation provisoire et le détruire entièrement : la Convention ne laissera pas tomber cet utile établissement, qui doit porter au plus haut degré de perfection un art si estimé des législateurs et des philosophes de la Grèce, un art le plus vraiment populaire, le plus démocratique de tous, dont le charme embellit la poésie même, et dont la puissante énergie enfante et célèbre les victoires. Des chants républicains et des jeux scéniques, voilà pour le moment tout ce qui est or-gnisé relativement aux fêtes nationales. Ce n’est pas en cinq jours que l’on peut créer de grands moyens d’exécution : mais le comité d’instruction publique prépare avec soin un travail considérable sur cette partie, qui rassemble une foule d’institutions particulières, et qui mérite un examen mûri par des études préliminaires et profondes. Au reste, n’en doutez pas, représentans : le sommeil des arts en France n’est pas un sommeil de mort. Des hommes habiles en tous genres ont échappé au glaive meurtrier du Vandale : tous ont gémi, tous ont souffert; mais tous ne sont point assassinés. L’harmonieux Lebrun chante encore la liberté, le traducteur des Géorgiques exerce dans le silence son talent correct et pur; Laharpe et Ducis n’ont pas abandonné la scène tragique ; Vien, Renaud, Vincent n’ont pas jeté leurs pinceaux; Gossec, Méhul, Cherubini, Lesueur n’ont pas brisé leur lyre; Houdon, Julien, Pajou tiennent encore en main le ciseau qui a fait penser le marbre plein du génie de Voltaire, de La Fontaine et de Pascal. S’il existe dans la République des talens plongés dans la stupeur et l’engourdissement, un mot, un signe de la Convention nationale les retirera de cette léthargie passagère, où l’intérêt de leur sûreté même a pu long-temps les retenir; et déjà ces courtes réflexions que vous présente votre comité, vont porter dans leur cœur la première des consolations, l’espérance (Vifs applaudissemens). Il est temps que dans la république on puisse avoir du génie impunément ( Les applaudissemens recommencent ); il est temps que les talens dispersés par l’épouvante, se réunissent fraternellement sous l’abri de la protection nationale ; alors, mais alors seulement, nous aurons des fêtes et des monumens dignes du peuple, car le génie a besoin de la liberté, et la liberté a besoin du génie. (Ce discours est couvert d’applaudissemens). Chénier, à la suite de ce rapport, présente un projet de décret, après avoir prévenu l’Assemblée que le peu de temps qui reste d’ici à la fête, n’a pas permis au comité d’appbquer au plan de cette fête les idées que son rapporteur vient de développer. On demande l’impression du rapport de Chénier (47). (47) Débats, n° 737, 81-84; Moniteur, XXII, 83-84. 33 Sur la proposition d’un autre membre, La Convention nationale rapporte le décret du 3 vendémiaire, qui ordonne que les victoires des armées de la République seront célébrées décadi prochain ; Décrète que la célébration de cette fête se fera le 30 vendémiaire dans toutes les communes de la République; Renvoie à son comité d’instruction publique pour lui présenter incessamment le mode d’exécution; Renvoie au même comité la proposition qui est faite de charger les autorités constituées de veiller à ce que cette fête ait lieu partout à l’époque ci-dessus déterminée (48). DU ROY : Il me semble que ce n’est pas à Paris seul que doit éclater l’allégresse publique. Je demande que vous décrétiez que toutes les communes, qui ont des théâtres, représenteront ce jour-là pour le peuple. LOUCHET : Je demande que la fête soit différée d’une décade, et célébrée le même jour dans toute la République. [Ce n’est pas seulement à Paris que les victoires doivent être célébrées, elles doivent l’être partout, et dans le même jour. Je demande que la fête proposée soit renvoyée au 30 vendémiaire, et que le comité d’ Instruction publique présente un mode qui puisse s’exécuter partout.] (49) Un membre : Le second décadi de vendémiaire a été consacré, par un décret, à la translation des cendres de J. -J. Rousseau au Panthéon français. La Convention ajourne la fête au 30 vendémiaire, et charge le comité d’instruction publique de lui présenter un nouveau projet pour que cette fête soit générale dans la République. BOURDON (de l’Oise) : Il faut que la Convention se défasse enfin de la manie de faire des processions; c’est le peuple qui doit être tout dans ses fêtes ; les rois se montraient à lui pour l’endormir sur ses misères, et se faire adorer ; ses représentants ne doivent s’occuper que de travailler à son bonheur; ils seront assez payés s’ils ont fait ce bonheur. Renonçons donc à cette manie monarchique de nous donner en spectacle dans les fêtes du peuple ; cette manie d’ailleurs peut être funeste à la liberté ; c’est à la fête du 20 prairial que le tyran essaya la couronne. (48) P.-V., XLVI, 137. C 320, pl. 1321, p. 9, minute de la main de Louchet, rapporteur. Bull., 7 vend, (suppl.). Mention dans Ann. Patr., n° 636; Ann. R. F., n 7; C. Eg., n° 771; F. de la Républ., n” 8; Gazette Fr., n° 1001; J. Fr., n" 733; J. Mont., n° 152; J. Paris, n' 8; J. Perlet, n° 735; J. Univ., n° 1769; M. U., XLIV, 107; Mess. Soir, n° 771; Rép., n" 8. (49) J. Paris, n° 8. Les journaux placent le discours de Merlin (de Thionville) après cette discussion (voir plus bas, n” 46). 114 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les observations de Bourdon sont renvoyées au comité d’instruction publique (50). La Convention nationale renvoie à son comité d’instruction publique, pour présenter un projet de fêtes nationales, où il n’y aura aucune autre distinction entre les citoyens que celles de ceux occupés à ordonner la fête (51). 34 La Convention nationale, ouï le rapport de son comité de Législation, décrète que le citoyen Emery, juge au tribunal du 4ème arrondissement, remplira provisoirement les fonctions de vice-président du tribunal criminel du département de Paris. Le présent décret ne sera point imprimé; il sera envoyé manuscrit au tribunal criminel, et au tribunal du 1er arrondissement de Paris (52). 35 Une députation de la société populaire séante à la salle électorale, admise à la barre, fait lecture de deux pétitions. a Par la première, elle demande une décision sur les arrestations des citoyens Varlet et Bodson, deux de ses membres. Cette demande est renvoyée au comité de Sûreté générale (53). Le président annonce qu’une députation de la société populaire séante à la salle électorale, demande à être admise. Elle entre. L’orateur rappelle que c’est pour la troisième fois que la société vient réclamer la justice de la Convention en faveur de deux de ses membres, Varlet et Bodson, mis en état d’arrestation pour avoir eu le courage d’exprimer librement leur opinion; ils sollicitent de nouveau leur mise en liberté (54). [Une députation du club électoral se plaint de ce que le droit de pétition a été violé dans (50) Moniteur, XXII, 84; Débats, n 737, 84. (51) P.V., XL VI, 137. C 320, pl. 1321, p. 10, minute de la main de Bourdon (de l’Oise), rapporteur. Bull., 7 vend, (suppl.). (52) P.V., XL VI, 137. C 320, pl. 1321, p. 11, minute de la main de Louchet. Décret anonyme selon C* II 21, p. 3. Ann. R. F., n 8; J. Fr., n“ 733; M. U., XLIV, 107; Rép., n 8. (53) P.V., XLVI, 137. Ann. Patr., n° 636; C. Eg., n“ 771; F. de la Républ., n" 8; Gazette Fr., n 1001; J. Fr., n' 733; J. Mont., n“ 152; J. Paris, n“ 8 ; J. Perlet, n” 735; M. U., XLIV, 107; Mess. Soir, n° 771; Rép., n” 8. (54) Débats, n° 737, 89 ; Moniteur, XXII, 96. la personne de deux de ses membres, Varlet et Bodson, qu’elle a dit n’avoir été arrêtés que pour avoir usé du droit de pétition. Depuis, le comité de Sûreté générale a ordonné la mise en liberté de Bodson; la députation réclame celle de Varlet, dont elle atteste le patriotisme] (55) b Par la seconde, elle demande le rapport du décret qui ordonne que la salle où la société tient ses séances seroit disposée pour les hôpitaux. Renvoyé au comité des Domaines et aliénations (56). Ensuite il demande le rapport du décret qui ajoute au local destiné à recevoir les malades de l’hospice de Paris, le lieu de la séance du club électoral. Il assure la Convention que cet hospice est moitié plus vaste qu’il ne faut pour le nombre des malades qu’il contient. Il termine par demander au moins la suspension de l’exécution du décret, jusqu’à ce que des gens de l’art aient pu constater l’inutilité, pour l’hospice, de cette salle, qui d’ailleurs sert de lieu de séance aux citoyens qui habitent la section de la Cité (57). [Elle expose que cette salle sert aussi de lieu de séance à la section de la Cité. Les pétitionnaires sont invités à la séance] (58) 36 Un membre fait part du fait suivant : Lorsque la Martinique fut prise par les Anglais, ces féroces ennemis embarquèrent les citoyens de toute couleur qui avoient témoigné leur attachement à la République. Le citoyen Pavillon, homme de couleur, lieutenant de chasseurs, s’étoit signalé par son intrépidité et sa haine contre l’aristocratie; il fut embarqué : il résista à toutes les sollicitations qui lui furent faites de rester au milieu des émigrés rentrés avec les Anglais; sa mère lui écrivit la lettre suivante : Ces deux mots sont pour vous faire savoir ma façon de penser : je suis très contente de la vôtre et de votre résolution de partir; je vous prie sur toutes choses de n’employer personne pour vous débarquer; j’ai grande envie de vous voir, mais j’aime mieux me priver de ce plaisir. Si la férocité des aristocrates vouloit vous faire fusiller, subissez la mort plutôt que de leur demander grâce : vous êtes mon seul fils, (55) Ann. R. F., n° 8. (56) P. V., XLVI, 138. (57) Débats, n° 737, 89 ; Moniteur, XXII, 96. (58) Ann. R. F., n* 8.