150 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de la loi du 13 brumaire dernier, de destituer les gardiens qui ont laissé évader des détenus (1). » Suit le texte du rapport et du projet de décret présentés par Merlin (de Douai), d’après un document imprimé. Rapport et projet de décret, sur les chan¬ gements QUE NÉCESSITENT DANS LA LOI DU 18 SEPTEMBRE 1791 CONCERNANT LES JURÉS ET LA PROCÉDURE CRIMINELLE, LES LOIS ÉMANÉES DEPUIS LE 10 AOUT 1792, tant de l’Assemblée législative que de la Convention nationale; présentés au NOM DU COMITÉ DE LÉGISLATION PAR Ph.-Ant. Merlin (de Douai). (Imprimé par ordre de la Convention nationale {2).) La plus belle institution qui soit sortie des mains de l’Assemblée constituante, c’est sans contredit celle des jurés : les applaudissements unanimes dont elle a été couverte, les succès qu’elle a obtenus dès le principe sur tous les points du territoire français, les témoignages mêmes des jurisconsultes anglais qui sont convenus alors que nous avions surpassé nos modèles en sont des preuves assez frappantes. Cependant elle s’est ressentie de la funeste erreur dans laquelle l’intrigue et le désordre d’une des séances les plus tumultueuses qui aient jamais eu lieu entraînèrent l 'Assemblée constituante lorsque, après avoir reconnu solen¬ nellement l’égalité originaire et permanente de tous les hommes en droits naturels civils et politiques elle décréta la monstrueuse distinc¬ tion des citoyens actifs et des citoyens non actifs. Cette distinction, qui fut aussitôt mise en œuvre pour exclure dés fonctions d 'électeurs ceux qui n’avaient pas une certaine fortune, servit ensuite à exclure des fonctions de jurés ceux qui n’étaient pas admis à celles d’électeurs; et cetté exclusion fut textuellement prononcée par la loi du 16 septembre 1791, partie II, titre X, art. 2, et titre XI, art. 1er. Mais la dernière heure de la tyrannie vint, et avec elle disparurent toutes les inventions machiavéliques de ses complices. L’article 2 de la loi du 11 août 1792 proclama hautement la suppression de toute distinction de citoyens actifs et de citoyens non actifs. Cette suppression dut sans doute frapper aussi, par une conséquence nécessaire, sur les limites dans lesquelles avait été circonscrite jusqu’alors la classe des citoyens habiles à exer¬ cer les fonctions de jurés. Et, par une autre conséquence, elle dut égale¬ ment faire cesser l'obligation imposée par la loi du 16 septembre 1791, à « tout citoyen ayant les qualités requises pour être électeur, de se faire inscrire avant le 15 décembre de chaque année, pour Bervir de juré de jugement, sur un registre tenu à cet effet par le secrétaire-greffier de chaque district. » Néanmoins, les inscriptions ont encore eu lieu (I) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 34 à 46. (2) Bibliothèque nationale, 22 pages in-8°, Le38 n® 617. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), t. 72, n° 6. en décembre 1792; elles n’ont pas nui sans doute, mais elles étaient inutiles, et il est de notre devoir d’avertir les citoyens de leur inutilité. Ainsi, deux changements essentiels à faire dans la loi du 18 septembre 1791, d’après celle du 11 août 1792 : 1° Admission de tous les citoyens aux fonc¬ tions de jurés, ou plutôt obligation imposée à tous de les remplir; 2° Plus d’inscription préliminaire pour être admis à les exercer. Mais d’autres changements vous sont com¬ mandés par votre loi du 14 frimaire, par cette loi que vous a si impérieusement dictée la situa¬ tion de la République, et que vous avez si sage¬ ment appropriée à ses besoins. En effet, elle supprime les procureurs géné¬ raux-syndics, et elle ôte aux administrations de département toutes celles de leurs attributions qui ne se rapportent pas aux contributions publiques, aux biens nationaux, aux manufac¬ tures, aux grandes routes et aux canaux. Or, 1° par l’article 5 du titre XI de la seconde partie de la loi du 16 septembre 1791, les pro¬ cureurs généraux syndics étaient chargés de dresser, tous les trois mois, chacun dans son département, et d’après les inscriptions dont on vient de parler, une liste de 200 citoyens qui servait à former chaque mois, par la Voie du sort, le tableau du juré de jugement; 2° Cette liste, d’après le même article, devait être approuvée par le directoire du départe¬ ment. Il faut donc nécessairement déterminer par qui seront remplacés à cet égard, et le direc¬ toire du département, et le procureur général syndic. Plusieurs idées se sont offertes là-dessus à votre comité. D’abord, il s’est demandé si la liste ne pourrait pas être formée par le tribunal criminel; et cette question a été aussitôt décidée que pro¬ posée. La liberté ne serait bientôt plus qu’un vain nom, si les juges, chargés de l’application des lois pénales, étaient maîtres de choisir qui il leur plairait pour examiner les faits allégués contre un accusé, et décider s’il est innocent ou coupable. Votre comité a donc repoussé ce premier moyen de remplacement. Il ne s’est pas plus arrêté à la proposition qui lui avait été faite d’attribuer en cette partie les fonctions du procureur général syndic et du directoire du département, à l’agent national du district, et au district même du lieu où siège le tribunal criminel. Cette proposition lui a paru contraire à l’égalité qui doit essentiellement régner entre tous les districts, et sans laquelle vous verriez bientôt renaître les maux que la hiérarchie départementale a faits à la Répu¬ blique. Guidé par ce principe, votre comité n’a pas tardé à se convaincre qu’il était indispensable de répartir, entre tous les agents nationaux et tous les districts de chaque département, la fonction que la loi du 16 septembre 1791 avait concentrée dans les mains du procureur général syndic et du directoire auquel il était attaché. Votre comité a même senti que cette répar¬ tition serait aussi avantageuse, qu’elle est devenue nécessaire; et dans le fait, il n’est pas difficile de concevoir qu’il y aura moins de par¬ tialité, plus de justice, plus d’attention dans des choix faits par cinq, six ou huit agents nationaux, et confirmés par autant d’adminis- [Convention nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I J 'nvese an H ) 51 ’ I 22 décembre 1793 trations de district, qu’il ne devait y en avoir dans ceux que faisait un seul procureur général syndic, et qui n’étaient soumis qu’à l’approba¬ tion d’une administration de département. Mais si la nécessité, si l’ avantage de cette répartition sont sensibles, est-il bien facile d’en déterminer le mode? Et d’abord, ne semble-t-il pas se présenter un obstacle dans la disposition de la loi du 16 septembre 1791, qui attribue aux procureurs syndics des districts, remplacés aujourd’hui par les agents nationaux, la formation des listes de 30 citoyens sur lesquelles les jurés d’accusation doivent être tirés au sort? Est-il possible d’aban¬ donner ainsi aux mêmes individus la composi¬ tion des jurés d’accusation et celle des jurés de jugement? Ne serait-ce pas leur remettre indi¬ rectement le pouvoir de juger en même temps que celui d’accuser? Ne serait-ce pas les ériger en arbitres suprêmes de la vie et de l’honneur de leurs concitoyens? Ne serait-ce pas retomber dans tous les inconvénients qu’a voulu prévenir l’Assemblée constituante, lorsqu’elle a établi une séparation si marquée de pouvoirs, relati¬ vement aux différentes espèces de listes dont il est ici question? Sans doute, ce danger existe; mais on peut l’éviter, et on l’évitera effectivement, en sup¬ primant la distinction entre les listes de jurés d’accusation et les listes de jurés de jugement; en sorte que les jurés de jugement et les jurés d’accusation se tirent désormais sur les mêmes listes, les premiers au tribunal criminel, à qui seront adressées les listes de tous les districts de son arrondissement, pour les refondre en une seule; les seconds, par-devant le directeur du juré, à qui il ne sera envoyé que la liste particu¬ lière de son district. On conçoit, en effet, qu’il ne peut entrer ni partialité ni passion quelconque, dans la forma¬ tion d’une liste de jurés, lorsque celui qui y tra¬ vaille est dans l’impossibilité de prévoir si les citoyens qu’il y place seront appelés pour accu¬ ser, ou s’ils ne le seront que pour juger. Cependant toutes les difficultés ne sont pas encore levées. La loi du 16 septembre 1791 déterminait le nombre des citoyens qui devaient se trouver sur la liste de chaque trimestre; elle le fixait à 30 pour le juré d’accusation, et à 200 pour le juré de jugement : comment procé¬ der à cet égard, d’après la réunion des listes de juré de jugement avec celles de juré d’accusa¬ tion? Auquel des deux nombres se tiendra-t-on? Ou plutôt, est-il possible d’exiger ici un nombre fixe? Pour résoudre ces questions, votre comité vous propose un moyen qui lui paraît très simple; c’est de supprimer les listes de 30 et de 200, de conserver néanmoins celles qui exis¬ tent actuellement pour tout le moi sfrimaire, d’en étendre même l’effet jusqu’au mois nivôse, afin qu’on ait le temps de les remplacer dans la nouvelle forme et, pour l’avenir, de faire por¬ ter sur la liste de chaque district autant de citoyens que son arrondissement contient de milliers d’âmes de population. Par là, il est vrai, chaque département aura pour le juré de jugement une liste plus nom¬ breuse que dans l’ancien ordre des choses. Mais quel inconvénient peut-il en résulter? Moins est restreint le nombre de ceux sur qui le tableau des jurés doit être pris au sort, moins il y a à craindre les influences de la prévention, de la partialité; et plus il se réunit de moyens pour épouvanter le crime et rassurer l’innocence. Les listes des jurés spéciaux ne peuvent pas être assujetties aux mêmes règles que les listes des jurés ordinaires. D’un côté, elles ne peuvent pas être aussi nombreuses; de l’autre, les jurés spéciaux ne sont presque jamais appelés que pour une seule affaire; et il est d’usage, par cette raison, de les prendre tous, soit dans le lieu où siège le tribunal criminel, soit dans ceux qui l’avoisinent le plus. Ces considérations nous ont déterminés à vous proposer de laisser subsis¬ ter, sur la formation du juré spécial, le fond du système adopté par la loi du 16 septembre 1791, en attribuant seulement à l’agent national du district, dans l’étendue duquel le tribunal cri¬ minel tient ses séances, toutes les opérations dont cette loi avait chargé le procureur général syn¬ dic du département. Nous avons déjà remarqué qu’une pareille attribution serait dangereuse pour le juré ordi¬ naire; mais elle est sans conséquence pour le juré spécial, qui ne se forme que rarement, et dont l’existence est toujours limitée à quelques heures. Telles sont les bases du projet de loi que votre comité de législation vous propose. Ce projet, du reste, n’est pas borné aux changements que le nouvel ordre de choses exige dans les titres 10, 11 et 12 de la loi du 16 septembre 1791; il ren¬ ferme encore, et il rappelle tout au long, celles des dispositions de ces trois titres auxquelles il n’est point dérogé. Votre comité a cru devoir vous le présenter dans cette forme, tant parce que l’ensemble en sera plus simple et plus facile à saisir, que parce que les citoyens, qui étaient en 1791 dans la classe des non actifs, n’ont pas dû prendre connaissance, à cette époque, d’une loi qui leur était étrangère, et qu’il est par con¬ séquent indispensable de la leur faire connaître aujourd’hui. Pbojet de loi. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, sur la nécessité de raccorder les dispositions de la loi sur les jurés et la procédure criminelle, du 16 septembre 1791, tant avec la loi du 11 août 1792, qui abolit toute distinction de ci¬ toyens actifs et de citoyens non actifs, qu’avec les articles de la loi du 14 frimaire, présent mois, qui suppriment les procureurs généraux syn¬ dics, et réduisent les fonctions des administra¬ teurs de départements, décrète ce qui suit : § 1er-Des listes des jurés Art. 1er. « La loi appelle aux fonctions de jurés tous les citoyens âgés de 25 ans accomplis. (1) Bien que ce projet de loi diffère peu du décret que nous avons inséré ci-dessus d’après le procès - verbal, nous avons cru devoir le reproduire. D’abord parce qu’il présente quelques légères variantes avec le texte adopté, et ensuite à cause des notes expli¬ catives qui accompagnent la plupart des articles, et dont le procès-verbal n’a tenu aucun compte.