274 lÀssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |23 avril 1790.) M. Tronchet. Le premier des principes renfermés dans ces cinq articles est relatif à la question de savoir si le rachat n’est qu’une faculté individuelle, et s’il peut être fait par tous les vassaux conjointement. Le comité l’a regardé comme une faculté individuelle; le second principe est que cette faculté individuelle ne s’étend pas jusqu’à donner à l’individu le droit de racheter ce qui est indivisible; le troisième, que cette faculté ne peut débarrasser de la solidarité; mais ce principe, qui n’est que le corollaire du principe précédent, se modifie à l’égard du rachat des droits casuels. — Voilà les principes sur lesquels la discussion doit s’ouvrir. M. Moreau {de Tours). Le principe que je crois devoir attaquer est particulier à l’article 3. Les droits casuels et éventuels doivent être régis par des principes différents de ceux qui régissent les redevances annuelles. En effet, dans les redevances seigneuriales annuelles, on distingue le cens proprement dit des autres redevances, et en général le cens est imprescriptible; les redevances seigneuriales sont prescriptibles. Cette distinction seule suffit pour prouver qu’on peut diviser le rachat de ces redevances. En admettant le principe du comité, on rendrait nulle et illusoire la faculté accordée aux propriétaires de fonds. M. Tronche!. Il serait trop long d’entrer dans la discussion pour vous prouver la vérité des principes énoncés. La solution dépend de la manière dont le bail à cens est conçu. Un bail à cens, pour inféodation, est une véritable rente foncière; or, qu’est-ce qu’un bail à rente foncière, si ce n’est un contrat indivisible, par lequel j’abandonne la totalité d’une propriété sous la condition qu’on me paiera la totalité des droits convenus et consentis? Assurément vous n’autoriserez pas le remboursement de 50 livres sur 1 00 livres, parce que la rente foncière est indivisible. Si, dans le cinquième article nous divisons les droits casuels et éventuels, c’est parce qu’ils sont indivisibles de leur nature, et qu’ils ne portent que sur les mutations de chaque portion. M. de Richier. Quand l’Assemblée a ordonné le rachat des droits féodaux et seigneuriaux, elle a fait un grand tort aux propriétaires de ces droits. Il n’entre pas dans l’intention de l'Assemblée que le mode d’un rachat, que vous n’étiez pas en droit d’exiger, soit entièrement nuisible à ceux sur qui on le fera : ce mode tend à ruiner tous les propriétaires. En Saintonge les plus belles terres ne rapportent pas en fermage plus de 1,000 livres; tout leur produit est en redevances. Vous feriez tort à un grand nombre de propriétaires s’ils ne retrouvaient plus les 10,000 livres de rentes qu’ils avaient. Permettez-moi de citer un fait que je connais bien, puisqu’il m’est personnel. Je possède un fief, en agriôve, de deux cents pièces de vin sur trois mille propriétés particulières. Si chaque propriétaire me remboursait séparément, qu’arriverait-il? Il faudrait, jusqu’à ce qu’ils eussent tous racheté, que je conservasse les hommes et bâtiments nécessaires à la perception des redevances. Il se présente un second inconvénient; toutes les terres ont entre elles un degré de bonté commun ; le degré de bonté des vignes diffère avec la qualité du sol et l’âge du cep. Si tous les propriétaires sont autorisés à racheter, ils rachèteront les bonnes vignes et non les mauvaises; ainsi ce sera une double perte pour le propriétaire qui sera obligé de faire la même dépense pour la récolte d’un moindre revenu. L’article 3 autorise la libération individuelle. Demain je recevrai 6 livres, après-demain 20 livres, pendant quelques mois je ne recevrai plus rien : indiquez-moi la manière de placer ces petites sommes ; quand bien même elles seraient plus considérables, vous m’avez ôté le moyen d’un placement avantageux, en me privant du retrait féodal. Je n’examine pas ce que dans ma province pourra faire un mari des droits des domaines inaliénables de sa femme. Vous ruinerez un millier de citoyens qui n’ont d’autre crime à vos yeux que d’être possesseurs de fiefs. Je demande que le comité revoie cet article, et examine s’il y aurait beaucoup d'inconvénient à ordonner que le tennement soit obligé de se racheter tout entier : vous éviterez l’inconvénient d’exiger le rachat d’une terre entière, et vous ne ruinerez pas des milliers de familles. M. le marquis de Foucault. Le comité a voulu trouver un moyen de concilier l’intérêt des censitaires et celui des seigneurs ceosiers ; il n’y a pas réussi. Par exemple, dans ma province, j’ai cédé quatre arpents ; deux sont bons, deux sont mauvais ; on rachètera seulement les deux premiers, et on déguerpira les deux autres; la classe la plus pauvre ne pourra jamais se rembourser. M. Tronchet. Vous pouvez, en vous conformant à l’article, racheter un fief, quand vous en avez deux, et non le tiers, et non le quart d’un fief. Ainsi, l’objet particulier de l’opinant ne peut mériter aucune espèce d’attention. M. le marquis de Foucault répète mot pour mot son objection, et conclut ainsi : ne pas donner aux censitaires le moyen de le racheter en commun, c’est une chose, injuste, attentatoire à la propriété et destructive de l’agriculture. M. Dupont {de Nemours). Je crois qu’on pourrait proposer un plan qui donnerait aux propriétaires grevés de redevances les moyens de se racheter partiellement, et aux seigneurs ceux d’obtenir un remboursement total. Voici ce plan : le rachat partiel, permis à tout propriétaire grevé de droits seigneuriaux, sera effectué à la caissedu département; cette caisse emploiera les fonds qui en proviendront, à acquérir des assignats ou autres titres de créances publiques, qu’elle gardera en dépôt; elle paiera les intérêts aux propriétaires jusqu’à ce que ces propriétaires veuillent retirer partie ou totalité du remboursement. Gomme la caisse pourra placer sur des effets qui produiront un intérêt plus considérable que celui qu’elle sera obligée de payer aux propriétaires, cette opération sera très avantageuse, et l’administration emploiera ce bénéfice à des objets d’utilité publique. M. de Richier. On pourrait demander si les propriétaires de droits aussi sacrés que les droits seigneuriaux voudront les échanger contre des créances sur des effets publics. Le roi de Sardaigne avait accordé la liberté du rachat en suivant le même mode que votre comité ; les propriétaires se plaignirent, et il fut ordonné que tous les censitaires de la même seigneurie se rachèteraient ensemble. La Savoie est un pays pauvre; 275 [Assemblée nationale»} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1790.] cependant cet édit a paru en 1774, et maintenant tous les propriétaires de liefs sont remboursés. Comment cela s’est-il fait? Les communautés se sont syndiquées, elles ont emprunté, et avec les deniers de leurs emprunts, elles ont payé leur rachat. Serait-il impossible d’imiter cbez nous cet exemple? M. Brillat-Savarin. Il m’est très facile de vous donner des éclaircissements sur la manière dont les droits féodaux se sont rachetés en Savoie :je demeure dans un pays voisin de celui-là. Le premier objet du roi de Sardaigne avait été de laisser à chaque individu la liberté de se racheter; il est vrai que les grands seigneurs qui environnent le trône ont bientôt fait changer ce parti; il est vrai que l’on a fait le rachat avec des troupes; il est vrai que les censitaires n’ayant pas d’argent pour ce rachat ont été obligés de se rendre pour se racheter; il est encore vrai que le rachat n’est point achevé. J’ai entendu les communautés gémir de la manière dont ce rachat s’est fait : la génération actuelle est plus mal qu’auparavant. M. Girod de Toiry. Le roi de Sardaigne avait rendu un édit qui n’eut point d’effet. Le roi actuel a forcé les seigneurs à porter leurs titres par devant une commission de gens éclairés et d’une probité reconnue, ün a fait le tarif le plus exact possible, puis on a imposé tant par livre sur la taille, et avec le produit de cette imposition, chaque terre s’est libérée. M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes. A l’époque de l’édit rendu par le roi de Sardaigne, j'étais membre d’une église de Savoie ; elle me chargea de stipuler pour elle dans cette opération : j'en connais parfaitement tous les détails, et j’observe que le dernier préopinant a rapporté les faits avec exactitude, et que M. Savarin a eu tort de dire que l’on a employé la force coactive. M. le Président. Il paraît nécessaire de rappeler aux opinants qu’il ne s’agit pas en ce moment du prix du rachat, mais des principes suivant lesquels le rachat sera établi. M. Tronchet. Le comité a eu deux règles principales : votre décret, par lequel le rachat a été ordonné, et les lois de la justice; il a voulu balancer les intérêts du censitaire et ceux du propriétaire de fief. Nous avons remarqué que le rachat en bloc était plus prompt et plus utile même au propriétaire de fief; mais pouvons-nous prendre ce parti sans nous écarter de votre décret ? Dire que des droits sont rachetables, ce n’est pas obliger à les racheter. La faculté de racheter est donnée à celui qui doit payer jusqu’au remboursement; l’individu doit payer jusqu’au remboursement; donc la faculté du rachat lui est donnée. Il faudrait, pour racheter en masse, ou emprunter, ou payer de la poche ; or, dans le second cas, beaucoup de redevables ne pourraient pas rembourser: dans le cas de l’emprunt, on serait soumis à une rente foncière pour un droit éventuel qui n’arrivera jamais, si je ne veux ni vendre ni acheter. Dans un pays comme la France, l’opération du rachat en masse paraît impossible. D’après votre décret, nous ne pouvions pas vous la proposer : voyez si vous voulez revenir sur votre décret. M. de Richier vous a présenté des inconvénients qui sont communs à toute terre où les champarts ou agriers ont lieu : 1° Il faut observer qu’il s’agit ici d’un inconvénient local, et non d’une objection générale contre le principe; 2° quand il s’agira de la liquidation des objets de détail, on prendra celui-ci en considération. La proposition de M. Dupont sera examinée lorsqu’il sera question des moyens d’exécuter le rachat. L’Assemblée délibère. — L’article 1er, l’article 2 et l’article 3 sont adoptés sans changement. On lit l’article 4. M. Delaudine. Cet article ôte la solidarité à celui qui a payé pour tous; mais, en droit, la solidité est indivisible, û’emphytéote en emphy-téote, le droit seigneurial s’éteindra. Je propose en amendement ces mots : « Pourra se faire subroger à tous les droits du propriétaire original.» M. de Richier. On pourrait dire : « Auquel cas il demeurera subrogé de droit. » M. Tronchet. Les deux parties de l’article sont rigoureusement calquées sur les vrais principes du droit. Celui qui ne paie que volontairement pour un autre n’a pas le droit d’être subrogé; mais le comité, pour favoriser les remboursements, ne s’oppose pas à ce que le second amendement proposé soit adopté en ces termes : « Auquel cas il sera subrogé de plein droit aux droits du tenancier. » Il est impossible d’admettre l’autre amendement. La solidarité parcourrait en effet un cercle vicieux, d’où il résulterait qu’a-près avoir racheté je serais encore solidaire. (L’Assemblée adopte l’amendement accueilli par M. Tronchet ; elle décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur celui de M. Delandîne.) M. de Richier. Vous autorisez-le copropriétaire à racheter la totalité de la rente, et vous l’exemptez de payer la totalité des lods et ventes. Vous faites l’avantage de celui qui rachète au détriment du propriétaire. Dès qu’un particulier peut racheter toute la reute, qu’il rachète donc toutes les charges. M. Goupil de Préfeln. Cette observation est très juste; il me paraît convenable de laisser l’option aux seigneurs. M. Tronchet. La réponse à cette observation se trouve à la première partie de l’article 4; cependant, pour éviter toute confusion, je propose à cet article un changement qui serait ainsi conçu : « ..... Si ce n’est du consentement de celui auquel la redevance est due, lequel pourra refuser le remboursement total, en renonçant à la solidarité vis-à-vis de tous les débiteurs. Quand le redevable aura fait le remboursement total, il demeurera de plein droit subrogé aux droits du tenancier... » (Ce changement est adopté.) L’article 4 est décrété ainsi qu’il suit : «Art. 4. Lorsqu’un fonds tenu en fief ou en censive et grevé de redevances annuelles solidaires sera possédé par plusieurs copropriétaires, l’un d’eux ne pourra pas racheter divisément les-dites redevances au prorata de la portion dont il est tenu, si ce n’est du consentement de celui auquel la redevance est due, lequel pourra refuser le remboursement total, en renonçant à la solidarité vis-à-vis de tous les coobligés ; mais quand le redevable aura fait le remboursement total, il demeurera subrogé aux droits du tenan-