334 [Assemblée nationale.} voirs ne sont pas définis, où tous les devoirs sont incertains, et où on ne fait pas un pas sans craindre une erreur ? Une administration provisoire est sans cesse arrêtée par le désaveu qui peut la suivre ; elle a peine à faire quelque bien ; et au moment où nous recouvrons la liberté, il faut nous donner et la liberté de faire le bien, et le pouvoir de le faire dans toute son étendue. M. Beauvais des Préaux, président du district des Prémontrés, fait ensuite lecture d’un mémoire où sont développés tous les avantages que doit retirer la capitale de l’existence des districts dans l'organisation de la municipalité de Paris. M. le Président fait à la députation la réponse suivante : L’Assemblée nationale ne peut douter ni du patriotisme des citoyens et de la commune de Paris, dont elle a tant de preuves, ni de la soumission de tous les Français aux décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi. Elle a consacré le principe que tous les citoyens ont le droit de présenter des pétitions : elle prendra donc en considération l’adresse qui lui est présentée par la majorité des districts de Paris et les idées qu’ils pourront lui soumettre. Bientôt dans le développement du système de l’organisation et de la représentation générale, l’Assemblée nationale appliquera à l’organisation particulière de la ville de Paris, les principes qu’elle a déjà décrétés devoir être communs à tous les citoyens et à toutes les parties de l’Empire. Conserver les principes politiques et conserver les droits des citoyens, ne sont pas dans l’administration des Etats deux maximes contradictoires : c’est une seule maxime. L’Assemblé nationale pèsera soigneusement les observations que vous lui avez présentées. (La séance est levée à dix heures du soir.) ANNEXE A la séance de l’Assemblée nationale du 23 mars 1790. Observations des députés de Saintonge contre les prétentions de la ville de la Rochelle. Me voir que soi, ne s’occuper que de ses intérêts, leur sacrifier l’avantage de tout ce qui nous entoure, c’est le caractère de l’égoïsme. Ce sentiment qui créa le despotisme, devrait être mort au moment où la liberté a pris naissance. Comment survit-il à l’esclavage de la France? et comment ose-t-il se montrer aussi à découvert que dans les prétentions de la ville de la Rochelle. On demande pour elle la réunion de tous les établissements que va créer le nouveau régime. 11 semble qu’une inique substitution ait assuré tous les avantages à la Rochelle ; que la loi ne doive considérer qu’elle dans leur dispensation, et que la Saintonge doive être soumise à ses spéculations et à ses désirs. Examinons donc les titres sur lesquels la Rochelle fonde ses injustes projets d’envahissement. t. La Saintonge isolée avait tout pour former un [23 mars 1790.] département ; surface, population, impositions, convenances, rien ne lui manquait ; elle n’avait rien à désirer de ses voisins que de la bienveib* lance et de l’affeclion. L’Aunis, au contraire, avec une population Re 100,000 âmes, une surface de 120 lieues carrées se complaisait dans son enceinte, et voulait reste? seul. Les députés de Saintes, loin de contrarier ce vœu de leurs voisins, se sont empressés d’y réunir le leur; ils se sont clairement exprimés dans un mémoire remis au comité de constitution, pour que l’Aunis eut son administration particulière : ceux de Saint-Jean-d’Angely ne s’y sont pas opposés. L’Angoumois, au levant, voulait aussi former un département particulier. Cette position géographique a engagé le comité à proposer des sacrilices à la Saintonge, et à lui demander de s’unir avec l’Aunis, pour faire un département, en abandonnant du côté de l’An-goumois, une portion de terrain pour l’agrandir. Les Saintongeois ont senti qu’ils appartenaient à l’Etat avant d’appartenir à la province. En conséquence, ils se sont réunis à la justice de l’Assemblée, qui les a réunis par un décret avec l’Au-nis, pour faire avec lui une même société. Cette réunion ne leur a été pénible que parce qu’elle entraînait la nécessité d’une séparation avec d’anciens frères qu’ils espèrent retrouver dans leurs nouveaux associés. Mais les députés de îa Saintonge n’ont pas entendu se soumettre à un despote, ni même se donner une métropole ; ils ont cru trouver, au contraire, dans les dispositions fraternelles de La Rochelle, dans les ressources de sou industrie, dans l’avantage de ses relations, un nouveau moyen de bonheur. Le siège du département et du directoire, le tribunal du même nom, l’établissement des caisses, Saintes et Saint-Jean-d’Angely, eussent tout possédé, si elles fussent restées seules, comme elles le pouvaient, puisqu’elles se suffisaient à elles-mêmes. La Rochelle, au contraire, veut tout avoir. Mais l’Assemblée nationale, qui se trouvera entre elle et nous, interposera sa justice. ' Puisque la Rochelle invoque en sa faveur les raisons de droit et de convenance, pour mettre le comité Reconstitution et l’Assemblée nationale à même de prononcer, nous examinerons les convenances et les droits. § leï‘. — Raisons de droit. Nous serions tentés de demander ce qu’on entend ici par les droits. Ceux de l’homme, ceux du citoyen sont définis et consacrés par l’Assemblée nationale. Mais parmi les monuments précieux de la liberté conquise, nous cherchons en vain des décrets qui consacrent les droits des cités. Nous n’en connaissons pas qui établissent la hiérarchie des villes; nous croyons même et nous le disons avec joie aux modestes habitants d'un village obscur, mais heureux par cela même qu’il est inconnu, nous croyons qu’aux veux du législateur et du gouvernement, Une communauté de campagne a autant et plus de droits à leur intérêt, à leur surveillance, que de fastueuses cités. C’est la première qui nourrit et alimente les secondes. 11 est bon de réparer l’injustice de l’au-cien régime; le temps n’est plus où le pauvre était foulé, privé de son nécessaire, chassé de sa chaumière pour embellir le palais d’un despote. archives parlementaires. [Assemblée nationale*] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [23 mars 179®.] 33S Utie enceinte modeste et simple dans une petite ville, réunira des citoyens libres ; et on n’enviera pas aux grandes villes les orgueilleux monuments de l’esclavage français. Qu’on ne nous parle donc pas des droits de la ville de la Rochelle. Toutes les communautés du royaume, grandeset petites, sont égales en droits, comme les citoyens qui les composent. Nulle ne peut dire à l’autre : je suis plus que toi; elle ne peut que dire : je suis plus utile à la chose commune; je sers plus avantageusement la patrie: la nature ou l’industrie de mes habitants me met dans le cas de plus faire pour elle ; je suis la mieux exposée pour la commodité et les besoins du plus grand nombre. Voilà les seuls titres dont les hommes et les associations d’un empire puissent se prévaloir. Mais depuis longtemps la Rochelle est la capitale et le siège de l’administration de la généralité; c’est un rang..., une 'propriété dont on ne peut la dépouiller sans injustice. Heureusement pour la France , un grand nombre de villes seront dépouillées, avec justice, de ce qu’il plaît de considérer comme la propriété de la ville de la Rochelle. Heureusement de grandes villes, abîmes sans fond, où le sang des peuples engraissait la cupidité, et alimentait le luxe, n’auront plus leurs iniques administrations, leurs nombreux tribunaux; dix villes autour d’elles se partageront leurs dépouilles, et deviendront les égales de leurs tyrans. On ne conservera pas plus à la Rochelle ce rang, dont elle est si jalouse, qu’on ne le conservera, parmi les citoyens, à l’homme titré. Si un grand était en place, son mérite seul l’y maintiendra; s’il en manque, il descendra dans la foule, et le mérite obscur, tiré de l’oubli le remplacera. 11 en sera de même des villes; si la masse de leurs maisons ou de leurs palais est le seul titre, on leur enlèvera les prérogatives dont elles ont joui, et ou les partagera, pour le plus grand avantage public, entre tous les établissements qui les environnaient en consultant les convenances générales et l’intérêt du plus grand nombre. Que les défenseurs de ce qu'on a appelé les droits de la ville de la Rochelle, cessent donc de dire qu’ils doivent être écoutés, parce qu’ils ne veulent pas un nouvel ordre de choses. C’est précisément pour cela qu’ils ne doivent pas l’être, parce que, d’un bout du royaume à l’autre, c’est un nouvel ordre de choses qui s’établit, et que la possession qu’invoque la Rochelle n’est que la demande injuste de ia perpétuité d’un abus, dans un moment où leur règne est passé, pour ne plus renaître. Les droits de la Rochelle ne sont donc qu’un. rêve de l’intérêt personnel, que le résultat de l’oubli des bases respectables sur lesquelles se fonde, en ce moment, la plus belle constitution de l’univers. Le passé n’est rien, les convenances, les raisons d’intérêt général, voilà ce qu’il faut juger et ce que nous allons examiner. § II. — Raisons de convenances. C’est dans l’état actuel des choses qu’il faut les chercher, ainsi que nous venons de le prouver ; les convenances de l’ancien régime deviennent, à bien des égards, des inconvenances pour le nouveau. Dans la formation actuelle du département de Saintonge et d’Aunis réunis, ia première chose qu’il faut faire c’est de déterminer le point central. En effet, l’objet d’un bon gouvernement doit être de placer l’administration au milieu de ceux sur lesquels doit s’étendre sa surveillance. Le regard de l’homme public embrasse alors d’un coup d’œil tout le bien qu’il peut faire, tout le mal qu’il doit prévenir. U y a à peu près égalité dans les lignes que chaque citoyen doit parcourir pour venir demander justice, secours ou protection; nul n’est révolté en voyant le plus petit nombre trouver dans ses foyers ce que le plus grand nombre est forcé d’aller chercher à trois ou quatre journées de sa demeure. Nous examinerons : 1° quel est le point central géographique ; 2° nous verrons si la Rochelle est du moins le point central politique ; 3° nous analyserons les convenances. Article premier. Point central géographique. Le point central géographique est incontestablement à Saintes ou à Saint-Jean-d’Angely. Pour s’en convaincre, il ne faut qu’une carte à des yeux. Nous en remettrons uneen petit à Messieurs du comité. Le département est de forme pins longue que large ; sa longueur se prend depuis la Rochelle et l’île de Ré au nord-ouest, jusqu’à Montlieu et la Rochechalais, au sud-est. De l’ile de Ré et de Marans, aujourd’hui d’Aligre, à Saintes, il y a environ seize lieues du pays et vingt -quatre de poste. De la Rochechalais à Saintes, il y a à peu près la môme distance. Saint-Jean-d’Angely, placé à cinq lieues de Saintes, et qui est séparé de cette ville par une des plus belles routes de France, est à une distance de l’île de Ré moindre d’environ deux lieues, et un peu plus éloigné de Fautre extrémité du département. Gomment la Rochelle, placée à quarante lieues d’une grande partie du département, et très loin du surplus, voudrait-elle forcer descitoyens aussi éloignés d’elles à venir y former les assemblées du département? On y trouverait le directoire à grands frais, et avec une grande perte de temps, tandis que tout l’Aunis trouverait les ressources à cinq à six Lieues au plus. Vainement la Rochelle prétend-elle être un point central, à cause des îles qui l’environnent. Dette ceinture ne sera pas pour elle comme celle de la fable, un sûr moyen de séduction. 1° On n’avait pas le compas à la main quand on a dit qu’en partant de l’extrémité de ces îles, la Rochelle était le centre géométrique du département. Rien n’est plus faux. De l’extrémité de l’île de Ré à la Rochelle, la distance moyenne est six lieues; de Montguyon et Montlieu* à la Rochelle, la distance est de quarante lieues. Qu’on juge de lajustesse de l’assertion; 2° Quant à l’île d’Oléron, ses habitudes, ses relations sont avec les rives de la Seudre en Sain-longe, et la proximité plus grande avec son territoire qu’avec celui de l’Aunis. On en convient même dans un mémoire pour la ville de la Rochelle. Gomment donc l’Aunis a-t-il pu espérer que l’Assemblée nationale se montrerait une marâtre injuste pour les habitants de la Saintonge, et traiterait les siens en enfants gâtés ? Non, sans doute; et ce n’est plus la balance ministérielle ou celle 336 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1790.] des intendants qui sert à distribuerles avantages entre les lieux et les hommes ; c’est celle de la justice. Article II. Point central politique. La Rochelle est-elle du moins, comme elle le prétend, le centre où toutes les lignes d’intérêt public de la Saintonge et de l’Aunis viennent aboutir ? Une pente nécessaire fait-elle de ses murs le bassin où des canaux établis amènent du dedans toutes les denrées qui s’exportent; du dehors toutes celles qui servent aux besoins journaliers, qui animent l’industrie et vivifient le commerce ? Est-ce avec elle que la Saintonge a ses relations les plus habituelles dans tous les genres? 1° Nous convenons que depuis longtemps la Rochelle est la résidence du commandant de la province et de l’intendant de la généralité. Nous convenons que les suppôts du pouvoir arbitraire et les agents du lise ont consacré une partie des sueurs du peuple de Saintonge à édifier pour eux des palais somptueux ou à embellir, par des édifices publics, le lieu de leur résidence. Nousen convenons pour nousen plaindre ; nous en convenons pour dire que c’est une injustice qu’il faut réparer; nous en convenons pour dire que l’hôtel de l’intendant, monument au despotisme de ceux qui l’ont habité, ne doit pas être l’asile d'une administration pareille. Assez d’autres bâtiments à Saintes où à Saint-Jean - d’Angely, assez de vastes maisons religieuses offriront un emplacement commode et peu dispendieux. Il y a même à considérer qu’à Saintes le directoire* et ses bureaux seront logés à beaucoup moins de frais qu’à la Rochelle où on tirera de l’hôtel de l’intendant, s’il est inutile, un parti avantageux. 11 faut aussi remarquer que M. de Reverseaux, le dernier des intendants de cette province, n’a jamais été à la Rochelle qu’en passant et a demeuré à Saintes, qu’il trouvait être un centre de communication plus facile. Le commandant militaire peut et doit continuer d’habiter la Rochelle. Son palais de justice servira au tribunal du district et à son administration. Son palais épiscopal, son hôtel de ville, sa bourse ne changeront pas de destination. 2° Les relations d’ordre public entre elle et la Saintongeontde tout tempsété restreintes à celles que ce même ordre rendait indispensables, parce que les relations particulières n’existaient pas pour les fortifier; et nous ajoutons que celles existantes étaient très préjudiciables à la Saintonge. Quand on avait des ordres à prendre du commandant de la province, on allait les chercher à la Rochelle; mais cette communication, qui devra être continuée, intéressait peu le citoyen; elle l’intéressera moins encore dans le nouveau système, parce qu’il n’v aura pas de point de contact, comme par le passé, entre l’administration civile et le commandement militaire, et qu’une constitution libre fera diverger entre elles toutes les lignes du pouvoir, dont le despotisme voulait réunir le faisceau en une seule main. Les relations avec l’intendance ! On sait de quel genre elles étaient pour le peuple, et de quelle manière la plupart des subdélégués, transmettaient des ordres ou des décisions qui, presque toujours étaient des fléaux ou des injustices. De telles relations n’étaient pas attirantes, et les citoyens n’allaient à l’intendance que pour se plaindre d’une vexation, ou éviter une injustice. Souvent ils ue rapportaient que l’indignation ou le désespoir; on rend de telles relations les plus rares possibles, elles l’étaient en effet; et elles n’attachaient pas aux lieux où on les avait. D’ailleurs, comme nous l’avons dit, le dernier intendant résidait à Saintes, malgré que quelques-uns de ses bureaux fussent à la Rochelle. Les autres relations publiques étaient celles de la comptabilité des aides des domaines, et des tailles et vingtièmes. Les directeurs et les receveurs généraux de ces trois branches d’administration résidaient à la Rochelle, leurs caisses étaient utiles à son commerce, nous en convenons; mais leur établissement et leur ordre de régie nuisait à celui de la Saintonge; il faut que sur ce point l’ordre nouveau qui va s’établir concilie tous les intérêts. Noublions pas que ce n’est pas un avantage local et partiel qu’il faut chercher, mais celui de tous; et voyons si les convenances assurent à la Rochelle tout ce qu’elle avait d’établissements en ce genre, Art. 111. - Convenances. Il faut du numéraire au commerce pour qu’il soit animé; il faut qu’il soit vivifié par une circulation continuelle; autrement il languit et s’éteint, et l’agriculture, qu’il faisait fleurir, s’anéantit avec lui. Voilà un principe politique incontestable. Appliquons-le à la position de l’Aunis et de la Saintonge. Cette dernière province est à la fois agricole et commerçante, et ses relations de commerce, les débouchés de ses denrées ne sont point à la Rochelle ; c’est une vérité que la mauvaise foi seule pourrait méconnaître. Le genre deculture le plus habituellement adopté en Saintonge est celui de la vigne; et cette culture même est un négoce. Le cultivateur des autres productions sème et recueille la même année; la même année il ramasse, l’automne, le fruit des avances et des travaux de l’hiver et du printemps. 11 n’a besoin pour ainsi dire pour récolte ses fruits que d’avoir ses bras ; il ne lui faut ni bâtiments, puisque les grains et foins se battent dehors, ni ustensiles dispendieux, Celui qui édifie des vignes, au contraire, fait pendant cinq à six années des avances ; il est incertain de recueillir le produit, et dont il ne retire rien pendant ce temps. Le moment de récolter arrive-t-il enfin? il faut une dépense énorme en vaisseaux vinaires, pressoirs, bâtiments, ustensiles de toute espèce ; les vendanges, la conversion des vins en eau-de-vie, exigent une activité continuelle, et un cours habituel de ventes et d’achats, en denrées nécessaires à l’exploitation des vignes. Une autre production de la Saintonge, c’est le sel, qui se recueille abondamment dans de vastes marais salants, et qui forme un objet d’exportation considérable. Lorsque ce commerce débarrassé des entraves fiscales, sera libre au dehors et au dedans, la Saintonge rendra, par son secours, l’étranger ou les autres provinces de la France tributaires, et en sera une branche de négoce de première importance, quoiqu’elle fût déjà très considérable. Voyons si M. Nairac (1) a raison de dire que la (1) Voy. le mémoire de M. Nairac, Archives parlementaires, tome XI. p, 465. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mars 1790.] 33,7 Rochelle seule exporte ou consomme les denrées de Sainionge, que celle-ci n’a point de commerce et que toutes ses relations en ce genre sont avec la Rochelle. 1° Aucune des denrées de Saintonge, si on en excepte un peu de bois de chauffage ne se consomme à la Rochelle. Cette ville tire ses blés de son propre territoire ou du Poitou. Ses vins servent à la boisson habituelle du peuple, et des habitants même plus aisés qui tirent ensuite des vins de Bordeaux ou des environs. Il était même impossible, dans l’ancien ordre de choses, qu’il y eût beaucoup de communication entre l’Aunis et la Saintonge. Cette dernière était réputée par l’autre province, étrangère et n’y pouvait porter ses denrées qu’en payant un droit qui leur ôtait la possibilité de la concurrence pour la Rochelle, à cause de la réunion des droits aux frais de transports. Les denrées de la Saintonge servent, au couchant, à la consommation de Rochefort, à ['approvisionnement d’une partie de la Bretagne et de la marine royale, ou des bâtiments qui s’arment dans ce dernier port pour les colonies ou pour la traite, et elles y sont transportées aisément par la Chareute et la Boutonne qui s’embranchent à Carillon. Elles servent au sud est et au midi à la consommation du Bordelais et du Périgord qui achètent des vins, des toiles et des bois, Elles servent au nord et au nord-est à la consommation du Poitou qui donne en échange du vin qu’il ne recueille pas, des blés dont il est ordinairement abondamment pourvu. Mais la Rochelle ne consomme, on le répète, que du bois de chauffage de la Saintonge, elle en consomme peu; les habitudes de consommation avec elle sont tellement nulles pour la Sainionge, qu’on pourrait les rompre demain sans que cette province y perdit un denier de sa balance, peut-être même y gagnerait-elle. 2° Les denrées surabondantes de la Saintonge ne s’exportent point par la Rochelle. Nous l’avons déjà dit, la Saintonge fournit des vins, des eaux-de-vie, des bois, de la graine de lin, des toiles, de l’avoine, etc. Rien ou presque rien de tout cela ne passe à la Rochelle. Les denrées de la Haute-Saintonge, entreposées dans les magasins le long de la Charente et à Puns, ou transportées sur les rives de la Dordogne, à Saint-André de Gubsac, à Mortagne, et aux environs, ou à Blaye, passent à Bordeaux, et y sont vendues ou exportées. Une autre portion, telle que les sels, les vins et eaux-de-vie qui se recueillent sur les rives de la Seudre et à Oléron, est exportée par les vaisseaux étrangers qui viennent les charger directement dans les ports de Saintonge et loin que l’Au-nis offre en ce genre une facilité avantageuse à ses voisins, il est avec eux dans une concurrence préjudiciable. Enfin une autre partie, celle des eaux-de-vie de Sainionge et Cognac, égales en qualité, s’entreposent à Cognac, Saint-Jeau-d’Angely et Charente, et sont chargées dans ce dernier port pour l’Angleterre, l’Irlande, l'Allemagne elles autres Etats du nord, ou pour les proviuces septentrionales de France. Il n’tu passe pas une pièce par la Rochelle, à moins que ce ne soit par entrepôt. On en charge ensuite, par terre, une assez grande partie pour l’Orléanais, Pans, la Normandie et les environs. Que la Rochelle démente ces faite par une ire Série, T. K II. seule preuve et nous passons condamnation. Rien ne démontre mieux la vérité de ce que nous avançons, que l’état du change de la Rochelle avec les places de la Saintonge. Il est nul avec ces dernières, tandis qu’il y en a an constamment établi entre elles et Rochefort, Angou-lême ou Bordeaux. Que la Rochelle ne dise donc pas que la Saintonge n’a pas de commerce. Elle en a un habituel, un très actif, un sans lequel elle n’existerait pas. Car il faut considérer que la Rochelle et l’Aunis en général commercent pour s’enrichir; leurs avantages en ce genre les appauvriraient, à .là vérité en diminuant, mais les laisseraient encore dans l’aisance, au lieu que la Saintonge si elle perdait les siens serait ruinée, dévastée, dépeuplée, et n’offrirait bientôt que des friches et un vaste désert. Le commerce delà Saintonge n’est pas à la vérité, réuni en un seul point, comme celui de l'Au-nis l’esta la Rochelle. La nature a fait pour celle-ci ce que l’industrie a fait pour l’autre. Mais si les divers entrepôts épars dans la Saintonge pouvaient être réunis, si le commerce qui se divise entre eux était rassemblé en un seul point, il n’offrirait pas une ma-se moins imposante que celui de la Rochelle. S’il s’en fait peu à Saintes même, ce n’est pas que la position de cette ville y soit contraire. La Charente qui baigne ses murs, les belles routes qui y aboutissent, les terres fertiles et surtout les vignobles dont elle est environnée, tout y semble devoir exciter et favoriser l’émulation de ses habitants. Mais presque toujours privée de la préférence des administrateurs qui n’y faisaient chaque année qu’un séjour de quelques heures, souvent marqué ou par des refus désespérants ou des décisions accablantes et ruineuses, pendant qu’ils allaient prodiguer à la Rochelle les embellissements et les superfluités; tant d’injustices abattaient, flétrissaient le courage des citoyens de Saintes, d’autant plus portés à ce découragement, que le fisc s’y acharna constamment à exercer ses rigueurs les plus accablantes et sa plus sévère inquisition sur celui dont les talents ou la plus légitime industrie paraissaient augmenter les ressources. Elle renferme néanmoins des manufactures assez considérables de laines, de bazins, d’éta-miues et de toiles; et l’espoir d’un ordre de choses meilleur et plus équitable, y fait déjà compter quelques commerçants courageux dont les succès et l’exemple auront bientôt des imitateurs. Mais un commerce considérable se fait à Saint-Jean-d’Angely ; il se fait autour de Saintes, à Taillebourg, à Saint-Savinien, à Marennes, à la Tremblade, à Oléron, sur la Seudre, à Saint-Jean-d’Angely et à Charente, surtout sur le cours des rivières de Charente et de Boutonne, qui baignent la Saintonge et en font la richesse. Concluons donc que la Saintonge a un commerce, et que ses besoins sont d’après cela les mêmes que ceux de l’Aunis : comme à l’Aunis il lui faut du numéraire; comme l’Aunis elle a besoin d’avoir les caisses de département et du directoire ; elle est dans le cas de les réclamer par la situation géographique de Saintes et de Saint-Jean-d’Angely, pendant que les établir à la Rochelle ce serait placer à l’extrémité la plus éloignée ce qui doit être au centre, ce serait révolter la provihee entière. Le gouvernement l’avait bien senti lorsque, voulant former une administration provinciale pour l’Aunis et la 8aintonge, il en avait fixé le 22 338 {Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 mars 1790. siège à Saintes, voyant qu’il était impossible et so juste de l’établir à la Rochelle. Ges deux villes avaient la caisse des décimes du clergé, celle des aides, qui ne versaient à la Rochelle qu'en papier sur Paris; celles des domaines qui n’y comptaient que de cette manière; celles de quatre élections, dont l’une est diminuée par une cession à l’Angoumois. Elles ont donc besoin pour elles et pour les établissements de commerce qui les entourent, que tous les avantages ne soient pas donnés à la Roehelle. Cette ville a trois ressources pour le numéraire : 1° Sa caisse des fermes ; 2° son hôtel des monnaies; 3° les remises en espèces, qu’une balance avantageuse nécessite. La Sain ton ge n’a pas ces ressources, elle a besoin qu’on lui en donne d’autres : et si elle consent à partager avec la Rochelle, la caisse qui établira le nouveau régime, elle ne consent pas à lui céder tous les établissements. Elle ne consent pas surtout que les assemblées de département et le directoire soient à l’extrémité d’un département de forme longue, ce qui augmente encore la distance ; car ce serait alors que les regrets les plus vifs empoisonneraient pour la Saintonge les bienfaits de l’Assemblée nationale. Il faut faire pour la Rochelle et son commerce tout ce qu’on pourra, sans nuire essentiellement à l’intérêt général, sans violer les principes de l’Assemblée ; mais il ne faut pas lui sacrilier une province qui l’a adoptée ; il ne faut pas qu’une association à laquelle elle a consenti pour le bien du royaume, soit la source de sa ruine et de ses malheurs. Il faut lui donner un moyen d’animer son commerce, en y versant du numéraire ; il faut joindre de nouvelles ressources en ce genre à celles qu’elle a déjà ; il faut après que les barrières fiscales qui la séparaient de la Saintonge seront rompues, augmenter les relations, multiplier les communications, les habitudes et bien confondre les intérêts. Vainement objectera-t-on qu’à Saintes et à Saint-Jean-d’ An gely l’esprit de commerce sera étouffé par une administration dont ces villes seront alternativement le siège. Oublie-t-on que cette administration sera composée des habitants de l’Aunis comme de ceux de la Saintonge ; que par conséquent son système embrassera les intérêts des deux provinces. Oublie-t-on que l’homme cherche plutôt à multiplier qu’à restreindre ses jouissances, et que quand on supposerait que la Saintonge est sans industrie et sans mouvement commercial, ce qui n’est pas, elle prendrait plutôt l’esprit d’activité de ses voisins, qu’elle ne leur communiquerait son engourdissement. On se trompe, en disant que Saintes n’a que *2 à 8,000 âmes de population. Saint-Jean-d’Angely en a davantage ; il en réunit environ 10,000 et Saintes à 1/4 en sus. La portion de la Saintonge ui s’unit à l’Aunis, fait presque les trois quarts e l’étendue et de la population du département entier ; et c’est une portion du quart restant qui veut qu’on lui sacrifie le surplus. Car il faut remarquer que toute la portion de l’Aunis qui n’est pas sur la côte, et qui avoisine la Saintonge, Rochefort, par exemple, préférera avoir dans cette province le siège de son département. Qu’on observe que la Saintonge moins animée que la Rochelle par le mouvement des étrangers, parce qu’elle est plus dans les terres, a besoin de l’être davantage par le mouvement intérieur de ses habitants. Sans lui, sans ce mouvement qui est remplacé sur la côte et dans un port par mille avantages divers, les villes du centre, Saintes et Saint-Jean-d’Angely perdraient toutes les ressources dont elles ont joui ; et les terres qui les environnent, n’étant plus fécondées par ces ressources mêmes, laisseraient dans la misère et le propriétaire des terres et les malheureux qui les cultivaient. Qu’on observe que plusieurs raisons s’opposent encore à ce qu’on établisse à la Rochelle le siège du directoire, et militent en faveur de Saintes. 1° L’air de la Rochelle est mauvais, le tiers de l’année, on y éprouve une espèce de contagion qui gagne plutôt encore les étrangers que les indigènes, et qui ne permettrait pas aux membres du directoire d’aller s’y établir sans compromettre leur santé ; 2° Les logements, les vivres, tout enfin est plus cher à la Rochelle qu’à Saintes, et ce sera grever le sort des administrateurs, qu’il est important de ne pas prendre dans les classes opulentes, que de les obliger d’aller s’établir à grands frais à la Rochelle, tandis qu’il leur en coûtera moitié moins pour vivre à Saintes et pour s’y rendre. Concluons que, par sa position géographique, la Rochelle ne peut absolument être le lieu où s’assemblera le département; où résidera le directoire. Que ses prétendus droits pris de l’ancien régime, sont une chimère sous la nouvelle constitution ; Qu’elle n’est point centrale en géométrie, ni eu politique ni en convenances ; Qu’il faut lui assurer par le versement d’une masse de numéraire qui peut, sans un grand inconvénient, être compté loin du directoire un moyen de vivification pour son commerce ; Qu’enfin, ainsi que les députés de Saintonge y consentent, le directoire doit être fixé à Saintes, les assemblées de département doivent s’y tenir dans le cas où Saint-Jean-d’Angely pourra être dédommagé par l’établissement du tribunal de département, si on en établit un ; Et que, dans le cas où il n’en serait pas formé, le directoire restera bien à Saintes également ; mais les assemblées de département alterneront à Saint-Jean-d’Ângely, à moins que la prochaine législature n’en décide autrement. Le tribunal de département, d’après ces données, ne peut être fixé qu’à Saint-Jean-d’Angely. Il ne peut pas plus être à la Rochelle que le département, par la même raison, sans réplique, des distances. On ne contestera pas à la Rochelle le mérite de ses magistrats; ses députés à l’Assemblée nationale le justifient. Mais Saintes a, comme la Rochelle, un présidial ; Saint-Jean-d’Angely a une sénéchaussée importante, un barreau nombreux et éclairé. Les convenances de toute espèce assurent donc qu’à Saint-Jean-d’Angely seul peut être fixé le tribunal de département. Une raison de plus pour le décider, c’est qu’une portion du Poitou, réunie à la Saintonge par échange entre les deux provinces, ne voudrait sûrement pas aller à la Rochelle plaider dans un pays éloigné et aussi inconnu pour elle que pour les habitants de la Haute-Saintonge, qui iraient chercher à plus de quarante lieues la justice qu’ils trouvent au milieu de tous les justiciables et qu’il est sage de mettre à la moindre distance possible. Nous finissons en suppliant avec des sentiments fraternels, MM. les députés d’Aunis, d’être justes avec nous de considérer que notre réunion doit resserrer les nœuds de confiance et d’amitié qui unissaient les deux provinces, au lieu d’exciter des chocs violents d’intérêt et des rivalités d’ambition ; [Assemblée nationale.] ARCHIVES Pj Que vouloir tout envahir en prétextant qu'on ne veut que conserver, c’est montrer une injustice qui doit être loin de leurs cœurs; Que dans la distribution des avantages entre les villes, c’est l’intérêt général de 350,000 habitants, ou de la majorité, qu’il faut chercher, avant de songer à l’avantage particulier des cités et des citadins. Enfin nous leur assurons que lorsque nous trouverons l’avantage du peuple, qui doit être notre boussole, notre signe de ralliement, nous serons prêts à lui tout sacrifier ; mais que nous mettrons à repousser les prétentions qui le blessent toute l’énergie que doit inspirer aux représentants de la nation la défense d’une cause sacrée pour eux. ■ Signé: ÜE LA RoCHEFOüCAULD-BayERS, évêque de Saintes. Regnaüd. Aitgier. Lan-DREAU. LEMERCIER. RiCHIER. DE BONNE-gens. Le comte Pierre de b remond d’ars. Ratier. Le marquis deReauchamps. Garesché. La broinse de Beauregard. ASSEMBLÉE NATIONALE* PRÉSIDENCE DE M. RABAUD DE SAINT-ÉTIENNE-Séance du mercredi 24 mars 1790 (1). M. le Président, en conformité du décret du 21 mars, ouvre la séance à 9 Heures précises du matin. L’Assemblée ne comptant qu’une trentaine de membres, il est donné lecture des adresses suivantes : Adresse de la ville de Langres, contenant adhésion aux décrets de l’Assemblée natiooale; et félicitation sur les travaux auxquels elle s’est livrée et se livre sans interruption, ainsi que sur la bonne harmonie qui règne entre elle et le monarque adoré de la France. Cette ville joint à ces expressions de son patriotisme, la remise d’une somme de trente mille livres dont elle est créancière de l’Etat, et envoie les titres acquittés de cette créance. Adresse de la ville de Bar-sur-Aube : après l’expression des mêmes sentiments, elle annonce la formation constitutionnelle de sa municipalité, laquelle s’est faite à la grande satisfaction de tous ¬ ses citoyens. Adresse de la. ville d’Allunèse : elle offre à la nation le montant des impositions sur les ci-de-vant privilégiés, pour les six derniers mois 1790. Adresse des officiers et soldats composant la garde nationale de la ville de Mende : elle rend compte de la solennité avec laquelle elle a prêté le serment civique, proteste de maintenir la nouvelle constitution du royaume, et se félicite de vivre dans un Etat libre, et sous un monarque si digne de l’amour de son peuple. Adresse des officiers municipaux de la ville de Bar-le-Quc : ils présentent à l'Assemblée nationale l’hommage de leur respect, et l’assurance d’une ferme et entière adhésion à tous ses décrets. Ils annoncent que la commune de la ville, par un vœu unanime, les a chargés d’exprimer de sa (i) Cette séance est incomplète au Moniteur. lLEMENTAIRES. [34 mars 1790.J 339 part les mêmes sentiments à l’Assemblée, et fom don patriotique de 854 livres en leur nom, et de 324 livres de la part des écoliers de leur collège. Adresses des municipalités réunies de Miribel, Rillieux, Neyron, Thilet Satonay en Bresse, contenant, avec leur adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, les expressions de leur respect pour ses membres, le renouvellement entre leurs mains du serment civique qu’ils ont fait de maintenir tes décrets, de les observer, et de les faire observer dans toute leur plénitude, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir la tranquillité qui a régné jusqu’à présent dans leur canton, et de préserver leurs concitoyens des désordres qui ont eu lieu dans les provinces voisines. Ils demandent l’établissement d’un tribunal de district à Miribel. Adresse des nouvelles municipalités des villes de Reims et de St-Etienne en Forez. Adresse de la ville d’HurieL district de Noyon, qui supplie l’Assemblée de lui abandonner les biens d’un prieuré situé dans son territoire, pour les faire servir à des établissements de bienfaisance et d’éducation. Adresse de la communauté de Boussès en Al-bret : elle annonce que le peuple ne s’est livré à des actes de violence dans cette contrée, que parce qu’il avait été trompé; mais que bientôt désabusé de son erreur, la tranquillité publique n’a pas tardé à se rétablir dans son territoire. M. le Président. L’Assemblée étant devenue plus nombreuse, MM. les secrétaires vont dan*_ ner lecture du procès-verbal. M. présentants de la nation. Un membre rappelle le don patriotique offert par M. le comte de Pawlet dans une des séances précédentes, d’un plan combiné qui. embrasse. les milices auxiliaires , les travaux publics et la police générale, du royaume. L’Assemblée ordonne de nouveau l’impression de ce travail et autorise M. le président à témoigner à ce citoyen la satisfaction de l’Assemblée sur l’utilité des travaux dont il s’occupe. M. le Président fait part à l’Assemblée d’une lettre de M. d'Ogny, intendant des postes, par laquelle cet administrateur expose qu’il est arrivé de Reauvais quatorze paquets contresignés et cachetés du seeau de l’Assemblée nationale; ce qui, suivant lui, peut faire soupçonner qu’on abuse