7Q0 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 11 AVRIL 1791. PÉTITION A L’ASSEMBLÉE NATIONALE, pour les avocats aux conseils du roi, PAR M. DE MIRBECK. A Messieurs les représentants de la nation française. Messieurs, Vous avez décrété, le 15 décembre dernier, la suppression de la vénalité et de l’hérédité de tous les offices de procureurs dans les cours et juridictions royales, et généralement de tous le s offices ministériels établis auprès des tribunaux, sous quelque dénomination que ce soit, et vous avez ordonné que la liquidation en serait faite, en la manière qui serait déterminée par décret particulier. Les décrets que vous avez rendus à ce sujet ne parlent point des avocats aux conseils; quoiqu’ils y paraissent implicitement compris sous la dénomination générale d’officiers ministériels. Vous avez même préjugé, en leur faveur, une exception que sollicitaient leur existence particulière, la nature, l’objet et l’importance de leurs fonctions uniques ; en effet, sur l’observation qui vous a été fade : 1° Que le tribunal de cassation ne devait pas être assimilé aux autres tribunaux ; 2° Que sa compétence n’était pas augmentée; 3° Que le conseil d’Etat subsistait toujours (1); 4° Que les avocats aux conseils, exclusivement attachés à ce tribunal, y exerçaient les deux fonctions que vous avez réunies ; 5° Enfin, que non seulement ils étaient les défenseurs des parties, mais qu’ils étaient aussi les défenseurs de la loi; Vous avez pensé qu’ils ne devaient pas être confondus avec les autres officiers ministériels; vous avez décrété à leur égard un ajournement indéfini, le 17 du même mois de décembre. Les considérations puissantes, qui vous ont porté à prononcer cet ajournement, leur présagent le sort qu’ils doivent attendre avec confiance de votre justice. Défenseurs habituels des lois transgressées : occupés sans cesse à dévoiler et à combattre les anciens abus; très souvent victimes du zèle pur qui les animait et que le despotisme ministériel enchaînait ou punissait : ils doivent naturellement aimer la Constitution nouvelle. Convaincus que tout doit céder au bien général, ils font sans peine, et en bous citoyens, le sacrifice des avantages inestimables attachés, sous l’ancien régime, à l’exercice de leur profession (2); ils se bornent à demander la juste valeur de leurs offices, de cette propriété sacrée dont ils vont être dépouillés; ils vous la demandent, parce qu’elle est absolument nécessaire au soutien de leur existence et de leur famille, c’est le seul bien qui leur reste; c’est l’unique (1) Le décret du 27 novembre dernier, sanctionné le l“r décembre suivant, pour la formation du tribunal de cassation, supprime seulement le conseil des parties. (2) Elle embrassait funiversalité dos demandes et toutes les affaires contentieuses qui se portaient dans les divors départements de l’administration générale du royaume. [Il avril 1791. J ressource de la plupart d’entre eux ; c’est le gage des obligations qu’ils ont contractées sous la sauvegarde de fa foi publique et sous la protection de la loi. Le mode de liquidation que vous adopterez pour eux, celui que la raison et la justice sollicitent à leur égard, doit se concilier avec les principes sévères que vous avez manifestés et qui prennent leur source dans la déclaration des droits de l’homme : « Nul ne doit être dépouillé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité. « Celle qui est due aux avocats aux conseils, doit se régler sur la position singulière où ils se trouvent. Leur compagnie est unique, son ressort embrassait tout l’Empire et s’étendait dans les deux mondes. Elle est peu nombreuse; elle n’est composée que de 73 membres. Mais il convient de distinguer ceux qui ont acquis, avant l’édit de 1771, concernant l’évaluation des offices de ceux qui ont acquis depuis. Ceux qui ont acquis depuis 1771 sont au nombre de vingt. La valeur actuelle des offices, quant au titre, est égale pour tous. L’évaluation doit être aussi la même pour tous, ainsi que l’indemnité. Tous les contrats d’acquisition, passés avant et depuis 1771, sont uniformes sur la fixation de la finance ; elle a été réglée à la somme de 9,500 livres. Mais ils diffèrent essentiellement, dans les dispositions relatives à la clientèle et aux recouvrements. Dans les uns, il est seulement fait mention de la finance; les autres font mention de la finance et de la clientèle confondues avec les recouvrements. Voici la raison de cette différence : En traitant anciennement avec les titulaires, chacun s’arrangeait suivant ses convenances et ses facultés. Les uns achetaient au comptant et les autres à crédit. Les uns achetaient, à forfait, la clientèle et les recouvrements; les autres, sur le pied de l’estimation. Ceux qui achetaient à forfait, la clientèle et les recouvrements et qui payaient comptant, ne conservaient aucune trace authentique du marché, parce qu’ils n’en avaient pas besoin et qu’ils ne pouvaient pas prévoir qu’ils en auraient besoin un jour; en effet, lorsqu’on cède ou qu’on vend des biens mobiliers ou des choses réputées telles, il n’est pas nécessaire que l’acte de cession ou de vente soit passé devant notaires. L’acquéreur, qui ne payait pas comptant la valeur de la clientèle et des recouvrements, donnait au vendeur une reconnaissance de la dette et prenait un ou plusieurs termes pour la payer; la plupart de ces reconnaissances se faisaient sous signature privée. Celui qui achetait la clientèle et les recouvrements sur le pied de l’estimation la faisait faire par deux avocats titulaires qui étaient choisis, l’un par le vendeur, l’autre par l’acquéreur. Ce qui était réglé par ces deux avocats devenait la lui des parties contractantes ; elles s’y soumettaient et l’exécutaient dans les termes et de la manière convenus. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 avril 1791.] Tout se passait à l'amiable, de la meilleure foi du inonde et sans le eoncuurs des notaires. Cette manière de proeéder était généralement suivie avant le fameux édit du mois de février 1771. Les dispositions textuelles de cette loi insidieuse firent sentir aux acquéreurs d’ofuces la nécessité d’en déterminer la valeur d’une manière positive ; dans la crainte où ils étaient de ne pouvoir les revendre à l’avenir, an delà du prix fixé dans les contrats ou dans les évaluations. Quoique ces avocats aux conseils aient été nommément exceptes de cette loi générale, néanmoins ceux d’entre eux qui ont acquis depuis, ont cru qu’il était prudent de fixer dans les contrats le prix et la valeur d“ leurs acquisitions, tant eu nrincipal qu’aecessoires. C’est d’après cette donnée qu’ont traité tous les avouais aux conseils, pourvus depuis 1771. Daignes, Messieurs, ne pas perdre de vue que les droits d tous sont égaux, et qu’il n’y a aucune similitude entre eux et les aunes officiers ministériels que vous avez supprimés; que les procureurs, pourvus avant et depuis 1771, ont eu la faculté d’établir la valeur de leurs propriétés en les évaluant; et que les avocats aux conseils ne l’avaient pas. Ainsi on ne peut rien leur imputer à cet égard : ce qu’ils n’ont pas pu faire, voire justice le fera. Leur position singulière et unique exclut tout parallèle avec les autres. En effet leurs offices ne tombaient point dans les parties casuelles du roi; mais par une attribution singulière, ils tombaient dans celles du chef de la justice, auquel ils payaient chaque a înée une rétribution pour jouir de la dispense de 40 jours. Ce que vous avez décrété dans des circonstances particulières, en faveur des ofliciers du conseil supérieur de Corse, peut s’appliquer aux avocats aux conseils. Ils sont dans la même position; ils demandent la même justice, et pour l’obtenir, ils proposent deux bases de liquidation. La première fut le prix commun des offices vendu depuis 1780 La seconde fut révaluation du prix commun des offices vendus depuis 1771. En adoptant pour les avocats aux conseils une des deux bases proposées, vous remplirez, à leur égard, les promesses solennelles que vous avez faites d’être justes envers tout le monde, de respecter les propriété'! et de ne pas enlever celles que vous avez cru devoir sacrifier à l’utilité publique sans indemniser les propriétaires avant de les dépouiller. Or, les oflices dont jouissaient les avocats aux conseils et la clientèle qui y était attachée, formaient une propriété au moins aussi sacrée que toute celles que vous avez mises sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté française. Eli ! quelle propriété en effet doit être plus respectée que celle aquise, soit à prix d’argent, soit à titre d’hérédité et qui s’est acrue par le temps et par la plus honorable confiance ? il n’en est aucune. Les offices des avocats aux conseils et la clientèle qui en forme l’accessoire, sont évidemment des propi iétés de la nature la plus sacrée et la plus inviolable; elles sont d’ailleurs pour la plupart leur unique ressource, le patrimoine de leurs femmes et de leurs enfants, et le gage de leurs créanciers. Ceux qui ont acquis récemment, ceux qui pus-707 sèdent depuis longtemps ont un droit égal à votre justice. Tous doivent être indemmisés eu égard à la valeur de chaque propriété, au moment de V éviction. Si vous vous écartiez de ce monde équitable, la plupart des anciens avocats aux con-eils seraient réduits, avec leurs femmes et leurs enfants, à la plus affreuse détresse. Lu malheureux père de famille, vieillard et infirme, hors d’état de fournir une autre carrière, serait ruiné et écrasé sous le poids de la plus cruelle infortune. La femme serait privée de son douaire et de sa dot. Et leurs enfants, plus malheureux encore, seraient réduits à la mendicité. Des considérations aussi puissantes, des motifs aussi impérieux, font espérer aux avocats aux consei s que vous voudrez bien adoucir leur situation et que si la nécessité légale vous force à les exproprier, vous les indemniserez, suivant les principes de justice qui dirigent vos travaux salutaires. Certains de perdre leur état, ils ne vous demandent que la formalité et les moyens d’exister avec leur propre bien. Ce n’est pas un don, ce n’est pas une récompense, ce n’est pas une faveur, une gratification qu’ils sollicitent. C’est la valeur de la propriété qu’on leur enlève, d’une propriété dont ils avaient déjà disposé avant la Révolution en l’affectant spécialement à la sûreté de tous les engagements qu’ils o d contracté envers leurs femmes, leurs enfants et leurs créanciers. Daignez vous rappeler, Messieurs, ce qui a été annoncé à Ja France, dans les rapports qui vous ont été faits au nom des comités de Constitution et de judicature, sur la liquidation des offices ministériels. On a dit : « Que la nation ne voulait « pas que les avaniages qui doivent résulter « d’un meilleur ordre de choses prennent leur « source dans une foule de malheurs particuliers, « et qu’en dépossédant les officiers ministériels « de leurs propriétés, il fallait leur en restituer « la valeur, et leur accorder, de plus, une indem-« nité. >> Or, la suppression des avocats aux conseils déirait, pour les anciens, le seul espoir qu’ils avaient, celui d’exister par le produit de leur travail. Privés de cette ressource, ils ne peuventéchap-per à une ruine certaine, s’ils n’obiiennent pas le remboursement de la véritable valeur de leur propriété, et l’i.idemniié qui leur ont été promis. Ce remboursement et cette indemnité, quelque favorables qu’ils soient, ne les dédommageront jamais d’un état qui formait peur chacun d’eux une existence aussi utile qu’imnorable. Les contrats passés depuis 1/71 indiquent d’une manière sure la valeur réelle des offices et des clientèles. Les comrats passés aunaravant ne l’indiquent pas ; dans plusieurs, il n’y est fait aucune mention de la clientèle et des recouverments, qui sont évalués par tous les contrats moderm s. Mais il est un point iixe, une vérité mathématique prouvée par tous les contrats modernes, c’est que le titre nn de chaque office valait, avant la Révolution, 60,000 livres, sans la clientèle et les recouvrements. Ceux qui ont été vendus 70,80,90, 100,000 liv. et au delà, n’out été portés à ce prix que d’api ès [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1791.] 708 l’estimation de la clientèle qui en augmentait la valeur en raison de son importance et des recouvrements à faire au prolit des acquéreurs. De sorte que la valeur réelle intrinsèque et la plus modérée, que l’on peut prendre pour base de révaluaiion de chaque of lice, est de 60,000 livres. A l’égard de l’indemnité, vous la réglerez, Messieurs, suivant votre équité. Les saintes lois qui veillent à la conservation des biens et des personnes, la justice la plus rigoureuse et vos principes veulent que, dans le cas d’éviciion forcée, le remboursement et l’indemnité soient poportionnés à la valeur réelle et intrinsèque des objets dont on est dépossédé et cela au moment de l’éviction. Par exemple si la nation juge à propos de disposer de deux héritages contigus de meme nature, de même étendueet de même valeur, pour y élever un édifice public; que l’un de ces héritages ait coûté 1 ,000 francs il y a 40 ou 50 ans, et que l’autre acheé tout récemment ait coûté 10,000 livres, qui est la valeur réelle et actuelle des deux héritages, le propriétaire du premier recevra le même dédommagement que le propriétaire du second, parce que la propriété enlevée au premier, et que lui ou ses auteurs avaient acquise anciennement à un prix modique, valait autant que celle enlevée au second, du moment de la dépossession. La conséquence nécessaire etjusteest que chacune des deux propriétés ayant la même valeur au moment de l’éviction doit être payée de même, c’est-à-dire au même taux ni plus ni moins. Ce raisonnement simple est sans réplique. En effet, la valeur d’un office que l’on vend avec ses accessoires est égale pour celui qui vend et pour celui qui achète. En passant d’une main dans l’autre, cette valeur u’augmente pas; ainsi, un office qui valait 60,000 livres d’après l’évaluation la plus modérée doit être remboursé sur ce pied et non pas au prix qu’il a coûté il y a un siècle. Le dédommagement doit être proportionné à la perte ; c’est une obligation de droit; elle est stricte, naturelle et juste; vous avez promis de la remplir envers tout le monde; la justice, le respect dû aux propriétés, l’humanité, les droits de l’homme et vos décrets vous en imposent également le devoir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHABROUD. Séance du mardi 12 avril 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. Prugnoii, au nom du comité d'emplacement, présente trois projets de decrets, tendant à autoriser différents directoires de départements et de districts à acquérir des biens nationaux, aux frais des administrés, pour y placer les corps administratifs. Ces décrets sont ainsi conçus : Premier décret. « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’emplacement, autorise le directoire du département de la Creuse à acquérir, aux frais des administrés, et dans les formes prescrites par les décrets de l’Assemblée nationale pour la vente des biens nationaux, la mai-on des Récoltes de la ville de Guéret, pour y placer les corps administratifs du département et du district; excepte néanmoins de la présenie permission d’acquérir, le jardin du côté du nord desdits bâtiments, de la contenance du 1,230 toises cariées, le pré qui est à la suite, de 576 toises, et un autre jardin du côté du midi, de 777 toises 3 pieds, pour être lesdits jardins et prés vendus séparé-rémentdans les formes ci-dessus prescrites, sans que cela puisse nuire au jour dont le bâtiment a besoin. » (Adopté.) Deuxième décret. « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’emplacement, autorise le directoire du département de la Corrèze à acquérir, aux frais des administrés, dans les formes prescrites par les décrets de l’Assemblée nationale pour la vente des biens nationaux, la maison des Feuillants, jardins et bâtiments en dépendant, contenant en totalité un arpent ou environ, pour y placer l’administration du département ; autorise pareillement le directoire à faire faire les réparations et arrangements intérieurs nécessaires pour leditemplacement, d’après les devis estimatifs qui ont été dressés des ouvrages à faire; à l’adjudication au rabais desquels il sera procédé, et le montant supporté par les administrés. » (Adopté.) Troisième décret. « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité d’emplacement, autorise le directoire du district de Sens, département de l’Yonne, à acquérir, aux frais des administrés, et dans les formes prescrites par les décrets de l’Assemblée nationale pour la vente des biens nationaux, les bâtiments de la bibliothèque du ci-devant chapitre deSens et dépendances, ainsi qu’ils sont désignés sur le plan qui sera joint à la minute du présent décret; l’autorise pareillement à faire faire les réparations et arrangements intérieurs, portés au devis estimatif qui en a été dressé le 25 mars dernier, d’après l’adjudication au rabais qui en sera faite en la manière accoutumée, et dont le montant sera supporté par lesdits administrés. » (Adopté.) M. le Président donne lecture : 1° D’un mémoire du sieur Déchamps, marchand épinglierà Pont-à-Mousson, lequel fait part àl’As-semblée qu’il a trouvé un moyen pour convertir le métal des cloches en pièces de monnaie. (Ce mémoire est renvoyé au comité des monnaies.) 2° D’une lettre de M. Le Prestre, de Château-Giron, lequel sollicite un décret qui accorde à Descartes, son grand oncle, l’honneur d’être placé dans le temple où doivent être déposées les cendres des grands hommes. Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Un petit neveu de Descartes, le fils de la dernière descendante de ses frères, ose solliciter un décret qui accorde à ses cendres l’honneur d’être (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.