371 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ' [8 août 1 780.] reau la remise d’une pension de deux mille livres, seul bienfait que je tienne des bontés du Roi. Je l’ai obtenue après la guerre d’Amérique. Personne ne prise comme moi les grâces de son souverain : mon amour pour sa personne sacrée en est un sûr garant ; mais si j’ai été assez heureux pour les mériter par mes services, j’en suis assez récompensé par l’honneur de les avoir rendus, et par la position où ce monarque bienfaisant m’a mis, en me confiant le commandement d’un de ses corps, de le servir plus efficacement. Je remets donc sur le bureau la renonciation à la seule pension que ma famille possède : je voudrais avoir un sacrifice plus important à faire ; mais, toute proportion gardée, cela pourrait en être un pour moi. Je crois avoir suffisamment établi que j’ai droit et devoir de parler, en cette occasion importante. Je propose donc à l’Assemblée d’énoncer qu’elle va nommer un comité, chargé de recevoir avec reconnaissance l’abandon volontaire que les membres de cette respectable Assemblée pourront faire des grâces exagérées dont eux et leur famille sont comblés, et d'examiner toutes celles dont la proportion n’est point équivalente aux services qui les ont méritées. Si l’Assemblée se détermine à mettre à profit cet élan de patriotisme, qui, sans doute, ne s’affaiblira jamais, mais dont il est quelquefois essentiel de saisir le mouvement instantané, je suis persuadé qu’on verra cesser les abus multipliés qui ont nécessité les plaintes de mes commettants ; Que telle personne, qui a obtenu des secours énormes et perpétuels pour soutenir un grand nom, croira que sa façon de penser et son énergie doivent seules en maintenir la gloire, et fera le sacrifice de ce qu’elle tient du souverain ; Que ceux qui, après avoir réuni sur leur tête toutes les grâces réservées aux courtisans, ont encore obtenu celles dues aux guerriers actifs et utiles, feront à l’Etat et à eux-mêmes la justice de se dépouiller librement des unes ou des autres ; Que celui qui, chargé d’un gouvernement aux portes de Paris, en possède un autre aux frontières les plus éloignées du royaume, s’empressera de ne garder que celui des deux auquel il peut donner une surveillance active ; Que si quelqu’un a trouvé le moyen de faire payer à la nation ses dettes personnelles, il lui offrira le remboursement des avances qu’elle lui a faites, dans un moment où elle a besoin de toutes ses ressources ; Que d’autres demanderont qu’on annulle les échanges onéreux au Roi et à l’Etat, qu’ils ont sollicités ; Que les personnes qui ont bâti, presque sous nos yeux, un palais sur un terrain domanial, se trouveront, par la prompte restitution d’un dépôt amélioré, être les bienfaiteurs de la patrie ; Que ceux qui réunissent sur leur tête des places municipales, domestiques et militaires à la cour, et tiennent encore le premier rang dans nos provinces et dansnosarmées, s’empresseront, par un choix éclairé, de prouver que, loin de vouloir tout envahir, ils ont la générosité de sacrifier leur intérêt personnel à l’intérêt public ; Qu’une seule famille enfin, qui est dénoncée par la clameur publique pour posséder deux millions de revenus en grâces et bienfaits, se fera un devoir de renoncer aux uns, et de justifier au public les services qui ont mérité les autres. Je conviendrai facilement, à cet égard, de la vérité de l’axiome qui établit qu’il ne faut croire que la moitié des ouï-dire ; mais cette moitié est encore beaucoup ; car je crois que nous en sommes au point où l’on peut calculer la valeur d’un million de revenu. J’imagine qu’on ne s’arrêtera point au sacrifice des pensions et des grâces connues, et qu’on renoncera généreusement aussi à ces traitements obscurs sur les régies, les fermes, les postes, les provinces d’Etats, etc., à ces concessions de domaines sans nombre ; car l’insatiabilité est un Protée qui s’enveloppe sous toutes les formes; etil paraîtra bien doux à la nation de la voir entièrement démasquée en ce jour par un dévouement généreux et patriotique. Toutes ces considérations me font insister sur la demande que je viens de faire à l’Assemblée, et sur laquelle je la supplie de délibérer. Je vais relire la rédaction d’arrêté que je propose. « Il sera nommé sur-le-cbamp un comité chargé de recevoir avec reconnaissance l’abandon volontaire qu’on lui fera des grâces qui sont accumulées sur les mêmes têtes ou dans les mêmes familles, et de faire un examen scrupuleux de toutes les pensions et traitements sur les différentes régies et branches d’administration quelconques, qui ne seront pas proportionnés aux services qui les ont mérités. « L’Assemblée nationale espère de l’esprit de patriotisme qui semble animer tous ses membres, qu’elle trouvera dans cette ressource une hypothèque certaine pour l’emprunt proposé, et qu’elle recueillera dans son propre sein les moyens d’en payer les intérêts. » (On applaudit de divers côtés de la salle.) M. le vicomte de Noailles. Je suis chargé par mes commettants de proposer tout ce qui peut être utile au bien de l’Etat. En conséquence, j’ai proposé la suppression des droits féodaux. Quant à la renonciation aux bienfaits du Roi, je ne puis parler que pour moi. J’ai refusé toute récompense au retour delà guerre d’Amérique; et lorsque j’ai été nommé député, j’ai renoncé à la survivance de commandant de la Guyenne, parce que j’ai cru que les survivances étaient un mal. (On applaudit.) M. l’abbé Grégoire annonce qu’il soutiendra à la fois et la proposition de M. Lameth et les droits du clergé. M. de Clermont-Tonnerre. Je ne jugerai pas si les biens ecclésiastiques appartiennent à la nation; mais je juge qu’il est nécessaire de voter l’emprunt. On objecte contre l’emprunt le voeu des commettants. La plupart des cahiers, il est vrai, nous défendent de nous occuper d impôts avant que la constitution soit faite; mais ce qu'on doit appeler constitution est déjà fait; car Sa Majesté a annoncé qu’elle sanctionnerait toutes les décisions de cette Assemblée. Il n’y a donc plus d’obstacles. Mon avis est que l'emprunt soit accordé. On crie de toutes parts : Aux voix! aux voix! M. le Président consulte l’Assemblée, et l’emprunt est décrété unanimement. M. le Président met ensuite aux voix la seconde proposition, et il est décrété que cet emprunt sera de trente millions. Une députation du bailliage de Nemours est in-