[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [6 novembre 1790.) 393 ticulière et qu’elle a été altérée dans la traduction. (On décrète de passer à l'ordre du jour.) M. de Foucault. M. le président, j’y consens; mais c’est pour faire grâce à M. de Mirabeau. Un membre du côté droit'. C’est le plus insolent des assassins ! M. de Montlosier. Je demande la parole, je l’aurai. M. le Président. Il vient d’être décrété qu’on passerait à l’ordre du jour. M. de-Montlosier. Je demande l’ordre du jour, mais non pas l’ordre des insolences. Je réclame le châtiment des députés de Corse; je demande qu’ils soient éconduits. M. le Président. Une partie de l’Assemblée demande et l’autre partie s’oppose à ce que les députés soient entendus. M. Charles de Lauiéth. On ne peut pas mettre aux voix si on entendra les députés d’un pays qui s’est donné à la nation ; c’est une indécence; je demande la question préalable. M. le Président. On réclame; je suis obligé de prendre les voix. (On décide, à une très grande majorité, que les députés continueront la lecture de leur adresse). M. de Montlosier. Nous déclarons que nous ne souffrirons pas d'insolence, à quelque prix que ce soit. (Les députés de Corse veulent continuer. — Le tumulte redouble du côté droit, dont tous les membres de la minorité se répandent en groupes au milieu de la salle ; plusieurs menacent de quitter la séance.) M. le Président se couvre. Tous les députés qui étaient couverts ôtent leurs chapeaux. Les membres de la minorité reprennent le chemin de leurs gradins. Mais à peine le silence paraît-il rétabli que les députés corses sont de nouveau interrompus. Après une demi-heure d’efforts pour se faire entendre : M. le Président. Il y a un décret qui ordonne que la lecture de l’adresse soit continuée. Je déclare sur ma responsabilité de sévir avec la plus grande rigueur contre tous ceux qui interrompront. (La très grande majorité de l’Assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.) M. de Montlosier. Je déclare que j’interromprai l’adresse si elle contient la moindre injure. M. de Folleville. On a fait la motion que les députés qui sont à la barre fussent chassés; cette motion est appuyée, elle doit être mise aux voix. M. le Président. Quand ils auront parlé sans interruption, je mettrai aux voix les motions qui seront faites. En attendant, je déclare que je ferai exécuter le décret. L'orateur de la députation : « Nous savons trop combien les opinions doivent être libres dans cette Assemblée pour inculper la conduite que nos députés ont tenue dans l’intérieur de cette salle; mais nous vous les dénonçons pour avoir porté jusque dans nos contrées l’influence de l’esprit de parti. L’un d’eux vous a dit dans cette tribune que le général Paoli était un despote, comme snl avait oublié que c’est sous ses ordres que nous avons versé notre sang pour la liberté. Il a ajouté qu’il était à la tête d’un parti qui devait livrer la Gorse entre les mains d’une puissance étrangère. Peut-on ainsi méconnaître nos sentiments ? A-t-on pu croire que nous trahissons nos serments, notre bonheur? C’est avec le double caractère -de représentant de la nation et de prêtre qu’on donne l’exemple de l’insurrection, qu’on invite le peuple à protester contre vos décrets. Leurs complots ont échoué par notçe fermeté, comme la vague se brise contre nos antiques rochers... Nous renouvelons le serment de vous rester fidèles, de défendre vos décrets jusqu’à la dernière goutte de notre sang et de vous prouver que nous sommes dignes de votre adoption. ( Une très grande partie de l'Assemblée applaudit.) M. le Président. L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’hommage de vos vœux et de votre reconnaissance. Elle a établi la liberté, vous avez combattu pour elle: vous êtes dignes de partager ses triomphes.. . Elle sait que, si la force a donné des sujets à la France, il était réservé à l’influence des lois et de la liberté de lui donner des citoyens. M. le Président s’adresse ensuite à l’Assemblée : « Gomme les expressions des députés corses ont donné lieu à quelques discussions, je crois devoir consulter l’Assemblée pour savoir si elle veut les admettre dans l’intérieur de la salle. » • On décide l’affirmative à une très grande majorité. MM. les députés de Gorse vont se placer à l’extrémité gauche, au milieu des applaudissements répétés de l’Assemblée et du public. M. Bnttafnoco. D’après ce que vous avez entendu, il paraît qu’on a voulu me faire, ainsi qu’à l’abbé Peretti, une inculpation grave. Je demande que l’Assemblée indique un tribunal pour nous juger. M. de Montlosier appuie cette motion . M. Rewbell. Il faut commencer par décider s’il y a lieu à inculpation, et pour le décider vous devez renvoyer au comité des rapports. (L’Assemblée renvoie le discours des députés de la Gorse au comité des rapports.) ( Voyez aux Annexes de la séance diverses pièces relatives aux affaires de-Corse , p. 297 et suiv.) Une députation de la société des amis de la Constitution établie à Paris, est admise à la barre et prononce le discours suivant : Messieurs, les différentes sociétés des amis de la Constitution répandues dans le royaume prennent aujourd’hui celle de Paris pour organe, et usant du droit de pétition, exerçant ce droit conservateur que vous avez placé à côté de la liberté, comme son incorruptible gardien; à côté des lois comme un moyen toujours renaissant d’en préparer la sagesse; à côté de l’opinion publique, pour en diriger utilement le cours; à côté de* 2Q4 (Assemblée nationale.] ennemis de la Constitution pour leur susciter autant d’accusateurs que d’hommes libres; elles vont fixer votre attention sur le sort d’un monument sacré, dont il faut arracher la destruction au temps, puisque les souvenirs que ce monument rappelle sont immortels. Si l’on vous disait que cet heureux vaisseau, cette arche précieuse, qui, au milieu du bouleversement du globe, sauva les restes du genre humain, existe encore près de vous et périt dans l’oubli, vous vous empresseriez de la déposer dans le plus beau de vos temples, et vous ne seriez que les interprètes des générations innombrables dont elle a été le berceau. Ces planches antiques n’auraient cependant sauvé que l’existence à quelques hommes, et les auraient également conservés pour la liberté, l’âme de la vie, et pour l’esclavage, pire que la mort. Si l’on vous disait que les représentants d’un grand peuple, envoyés auprès du trône pour faire une Constitution et créer des lois nouvelles, n’ayant d’autre force que ce saint caractère et cette auguste mission, d’autres gardes que les satellites d’un pouvoir qu’ils venaient détruire, et obligés d’attaquer la tyrannie en délibérant dans les palais même des rois, ont été forcés tout à coup de chercher au autre asile; et, comme si le même génie les eût également inspirés, se sont rendus sans concert dans le même lieu, sous un humble toit, retraite obscure que sa simplicité ne destinait pas à cette scène imposante ; que là, contents d’habiter des ruines quoique dépositaires delà souveraineté du peuple, contents de pouvoir graver sur des murailles le droit éternel des nations, la première explosion de leur courage fut un serment solennel de ne se séparer qu’après avoir conquis la liberté : si l’on ajoutait que ce serment fut une source féconde de patriotisme, de vertus et de bonnes lois, que ce peuple deviendra le plus heureux de la terre, et que cependant ce premier temple où la liberté prit naissance, reste sans honneur ; ne seriez-vous pas frappés d’une si étrange indifférence? Augustes organes du vœu de la France, l’en - ceinte de ce temple existe au milieu de nous, et ce temple est sans gloire ! Il existe, et la main du temps le détruit, lorsque sa durée doit atteindre la stabilité, l’éternité de vos lois. G’est ce Jeu de paume, qui, le 20 juin 1789, servit d’asile à six cents d’entre vous, lorsque l’entrée de votre salle vous fut refusée, qui recueillit les espérances d’un peuple de vingt-cinq millions d’hommes, et qui fut à jamais consacré par le serment dont il devint le dépositaire et le témoin. Que les autres nations vantent leurs monuments, ces antiques pyramides amoncelées par une multitude d�esclaves, ces palais, orgueilleuse retraite des dominateurs de la terre, ces tours sourcilleuses, instruments de la tyrannie. Il ne faut à des Français devenus libres, que des monuments qui attestent, d’âge en âge, la conquête de leur liberté. L’histoire peindra cet instant, où les députés errants dans les rues de Versailles, ne cherchaient qu’à se rencontrer pour se réunir; où le peuple consterné demandait ; Où est l’Assemblée nationale? et ne la trouvait plus ; où lej,despo-tisme, qui croyait triompher, expirait sous les derniers coups qu’il venait de se porter à lui-même ; où quelques hommes, à l’approche d’une horrible tempête, et dans un lieu sans défense, qui. pouvait devenir leur tombeau, sauvèrent une grande nation par leur courage. Mais ces murs nus et noircis, image d’une prison, et transfor-(6 novembre 1790.] més en temple de la liberté ; Ces planches servant de siège, et qui semblaient échappées à un naufrage; cette table chancelante sur laquelle fut écrit le plus durable et le plus redoutable serment ; ce ciel que chaque député prenait à témoin et qui ne donnait qu’une faible lumière, comme s’il avait voulu cacher cet auguste mystère à de profanes regards; ce peuple immense se pressant autour de cette retraite, attentif, comme s’il avait pu voir à travers les murs, silencieux, comme s’il avait pu entendre : et près de là ces palais des prétendus maîtres du monde, ces lambris dorés, d’où les législateurs d’une grande nation étaient repoussés; un tel tableau échapperait peut-être à l’histoire; c’est à l’immortel pinceau, c'est à l’impérissable burin à le retracer. Conservez, ô représentants des Français, conservez ce précieux monument; qu’il reste dans son inculte et religieuse simplicité ; mais qu’il échappe au torrent des années par des soins ca-ables de l’éterniser sans le changer, ni l’em-ellir; qu’une garde de citoyens l’environne, comme s’il concentrait encore tout l’espoir d’une grande nation, comme s’il était encore le berceau de la loi ; qu’il soit, qu’il demeure surtout fermé comme le temple de la guerre, puisque nous ne verrons jamais renouveler le combat des pouvoirs qui fit sa glorieuse destinée. Monument instructif pour les enfants des rois, il servira de contraste à leurs demeures ; il leur retracera l’époque où commença leur véritable puissance. A jamais respecté de la nation, il lui rappellera le courage, les vertus de ses véritables fondateurs. Un jour la vénération publique en environnera l’enceinte, comme d’une barrière impénétrable aux vils adorateurs du despotisme; et quand le temps aura couvert d’un voile religieux son origine, les générations futures verront encore le génie de la liberté veillant sur les destinées de l’Empire. C’est là que chaque législature, en prêtant son premier serment, rendra grâces à l’Auteur de l’homme et de ses droits imprescriptibles, de n’êtreplus exposée aux dan-ers qui immortalisèrent le choix de cet asile. es étrangers mêmes, en abordant notre terre hospitalière, viendront recueillir sur le seuil de ce sanctuaire les impressions profondes qu’il fera naître, et emporteront dans leur patrie les germes féconds d’une sensible et courageuse liberté. O premiers législateurs des Français 1 ou plutôt premiers organes des lois de la nature ! couronnez nos vœux, en agréant l’hommage du tableau qui représentera votre héroïque serment ! Il sera éternel, ce monument dédié au temps et à la patrie, si, placé dans la salle même de vos assemblées, il a sans cesse pour spectateurs des hommes capables d’imiter le patriotisme, dont il retracera l’image. M. le Président répond : L’émotion que l’Assemblée a ressentie au récit des événements que vous lui avez rappelés, les applaudissements qu’elle vous a donnés, vous prouvent l’intérêt qu’elle attache à vos demandes. . . Il est aisé de concevoir ce que peuvent les arts, sous les yeux de la liberté, pour la conservation précieuse des monuments qui en rappellent la conquête.. . L’Assemblée prendra vos propositions en très grande considération, et vous invite à assister à sa séance. (L’Assemblée ordonne l’impression de ces deux discours, et le renvoi de la pétition de la société ARCHIVES PARLEMENTAIRES.