{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {18 novembre 1T90.] '4$5 Jamais aucun tabac ne retournera dans le pays qui l’aura vu croîire. La régie sera donc obligée d’acheter tous les tabacs que l’on aura apportés en France, si elle ne veut pas que tout le royaume soit infecté de contrebande. Remarquez, Messieurs, que si cette culture est pemise en France, il y aura beaucoup plus d’empressement alors, pour acheter les tabacs américains sous le règne de la liberté, qu’on n’en montre aujourd’hui sous le régime prohibitif. En voici la preuve : Dès que le commerce du tabac sera libre, ce ne seront plus seulement les contrebandiers, ce seront tous les planteurs du royaume qui auront besoin d’acheter des tabacs américains, et de s’en procurer en abondance, pour les mélanger avec les productions de leur cru. Nos tabacs français auront trop peu de montant pour satisfaire le goût des consommateurs, sans être ranimés par cette sève étrangère qui les améliorera infiniment. Les propriétaires seront, par conséquent, très intéressés à s’en approvisionner, pour pouvoir soutenir la concurrence avec le tabac de la régie. Il y aura donc, d’un côté, émulation des cultivateurs pour atteindre à la perfection du tabac que fourniront les régisseurs ; et, d’un autre côté, émulation des régisseurs, pour descendre au prix commun des planteurs ordinaires du tabac. Dès lors, notre nouvelle loi ruinera le Trésor public, sans enrichir ni l’Etat, ni aucun particulier. Ce n’est pas trop, ce me semble, la peine de changer notre administration, si nos trois comités n'ont que de tels résultats à nous promettre 1 Art. 7. La législature déterminera , suivant les circons-tances, les différentes espèces de tabacs que la régie nationale fabriquera et débitera , et elle en fixera le prix . Est-ce donc à déterminer la fabrication du tabac, que les représentants de la nation française doivent consacrer désormais leurs séances? Voilà certes d’étranges fonctions à donner à des législateurs! nous sommes envoyés par nos commettants pour décréter des lois et non pour rédiger des statuts sur des manipulations qui nous sont inconnues. Le dernier des ouvriers employés dans les manufactures de Dieppe, du Havre et de Morlaix, eu sait plus sur la fabrication du tabac, que tout le Corps législatif. Nous occuperons-nous ici de ces détails si étrangers à notre mission et à nos études ? Nos successeurs qui seront appelés aux nouvelles législatures seront-ils plus savants que nous dans le3 importants procédés de la mouillade , de Yécotage, ou de F époulardage , qui ont tant d’influence sur la perfection du tabac? Les administrateurs nationaux seront-ils plus habiles, que les agents de la ferme, pour diriger ces opérations, pour régler l’achat, le transport fd la conservation du tabac en feuilles ? Cette surveillance exercée sur le tabac, au nom de la nation, sera-t-elle plus heureuse que ne l’a été celle du blé? Quand il a fallu acheter des blés étrangers, les préposés du gouvernement ont-ils empêché que le peuple ne fût obligé de payer très chèrement des grains pourris? Cette calamité, encore récente, n’est guère propre à nous inspirer de la confiance dans une classe d’hommes qui ne verront jamais dans les emplois publics que leurs émoluments particuliers. Une régie coûterait trop de frais pour ne pas renchérir le prix du tabac; elle ne serait vraiment utile qu’aux seuls régisseurs, pour lesquels nous aurions créé des places sans fonctions. Si c’est le mot de ferme générale qui déplaît, il est facile d’y substituer la dénomination de régie nationale, comme on convertit un bail ordinaire en bail judiciaire. Ce nom de ferme générale n’a été nouvellement adopté que pour distinguer cette compagnie, de la régie générale, et de l'administration des domaines, qui ont succédé à l’ancien bail qu’on appelait les cinq grosses fermes. Mais de quelque dénomination que l’on veuille se servir, on conviendra que nos fabriques de tabac étant, sans comparaison, les premières de l’Europe, il serait très imprudent d’en changer la direction, et très indécent, j’ose le dire, de les soumettre à l’inspection des législateurs. Le droit de fixer le prix du tabac n’est qu’un vain prétexte, imaginé pour établir notre compétence législative. Si la culture du tabac était libre, y aurait-il un seul consommateur dans le royaume qui pût ignorer la valeur courante de cette marchandise? Les preneurs de tabac se plaindraient probablement bientôt d’une dégradation sensible dans sa qualité : de sorte qu’en ren tant cette culture libre, nous nous placerions entre 16 millions de plaintes de la part des contribuables, et 8 millions de regrets de la part des consommateurs. Ainsi donc, Messieurs, dans le projet de décret de nos trois comités, et dans les opinions des adversaires du privilège exclusif, il n’y a pas un seul article, pas un seul raisonnement qui puisse résister à un examen sérieux, et soutenir, comme je l’avais annoncé, les regards de la raison. Je crois l’avoir prouvé invinciblement. Je pense donc qu’il est de notre intérêt et de notre devoir, de maintenir le privilège exclusif du tabac ; d'entrer en composition avec les provinces frontières pour les dédommager de cette culture; de n’écouter aucun projet de suppression jusqu’à ce qu’on nous ait présenté un mode de remplacement, qui rapporte 30 millions au Trésor public, sans être plus oppressif pour le peuple, que fa contribution sur le tabac; et en terminant mon opinion, je réitère, en présence de la nation assemblée, l’aveu du regret que j’éprouve, de ne pouvoir pas voter une augmentation très considérable sur cette même imposition que l’on nous propose de supprimer. M. le Président appelle M. Rewbell à la tribune. M. Rewbell commence la lecture d’une longue opmion ( Nous la donnerons en entier dans la séance de demain. Voir p. 461.) Plusieurs membres demandent le renvoi à la prochaine séance. Le renvoi est prononcé. La séance est levée à trois heures,