502 [Assemblée nationale»] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1791.] à' un de* cinq tribunaux saisis actuellement de l’instruction. « La crainte que le dépérissement des preuves n’amenât l’impunité des coupables, le désir que l’appareil d’une prompte instruction criminelle étayât et contînt ceux qui seraient tentés de les imiter, ont déterminé MM. les commissaires civils à faire informer par les cinq tribunaux sur le territoire desquels ont été commis les délits; mais il est facile de sentir que si les preuves de ces délits, qui ont entre eux une si étroite connexité qu’ils tiennent évidemment à un seul et même projet, restaient éparses et disséminées dans cinq tribunaux différents, la conviction des coupables serait impossible. Aussi MM. les commissaires civils ont-ils borné aux informations et aux décrets seulement l i réquisition qu’ils ont faite aux cinq tribunaux. « C’est sur ces raisons que je m’appuie, monsieur le Président, pour vous engager à proposer à l’Assemblée, dans le cas où elle n’estimerait pas pouvoir soumettre à la haute cour nationale la connaissance de cette affaire, d’en attribuer la poursuite et le jugement à l’un des cinq tribunaux réunis sous les yeux d’un tribunal unique; les preuves conserveront toute leur force, et mettront les juges dans le cas de prononcer en pleine connaissance de cause. Je suis avec respect, etc. « Signé : Duport. » ( L’Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre, avec le précis historique imprimé qui y est joint (1), au comité des rapports pour en rendre compte dans le plus court délai.) M. le Président. Voici le résultat de l’appel nominal sur le premier article du projet de décret du comité portant réunion d’Avignou et du Com-tat Venaissin à la France. Le nombre des votants a été de 870; 316 ont voté oui. 487 ont voté non. 67 n’ont pas donné de voix. En conséquence, l’Assemblée nationale a rejeté le premier article du comité (2). Plusieurs membres de l'extrême gauche demandent la question préalable sur le surplus des articles du projet de décret. M. Dubois-Crancé. L’Assemblée vient de décider une question très importante, je demande que la séance soit levée. ( Applaudissements .) M. de Clermont-Tonnerre. La question préalable. Plusieurs membres demandent l’ajournement indétini. M. le Président. On demande la question préalable sur le surplus du projet de décret du comité. Plusieurs membres : Aon ! uon ! M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angèly). Mon-(1) Yoy. re document aux annexes de la séance, p. 573 et suiv. (i) Voy. ci-après, aux annexes de la séance, la liste des membres de l’Assemblée qui ont pris part au scrutin. sieur de Clermont, si vous êtes de bonne loi vous savez que la question préalable ne vaut rien; descendez dans votre conscience et, si vous l’appuyez réellement, je serai de votre avis. M. Malouet. Je demande à parler contre la question préalable. Plusieurs membres : La levée de la séance. M. le Président. Je mets aux voix la levée de la séance. A droite: Non ! non ! ( L’Assemblée, consultée, décrète la levée de la séance. ) M. le Président indique l’ordre du jour de la séance de demain, qui comprend la continuation de la discussion de l’affaire d’Avignon. La séance est levée à quatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MERCREDI 4 MAI 1791. Plainte adressée a l’Assemblée nationale contre MM. le maréchal de Castries et de La Luzerne, ministre de la marine , par M. La-B0R1E, lieutenant-colonel. Messieurs, parmi les plans que l’auguste Assemblée nationale ne cesse de former pour le bonheur de ous,on remarque particulièrement son extrême attention à débariasser les Français des pesantes chaîo' s sous lesquelles ilsgémissaientdepuis des siècles entiers ; et nous voyons, avec une respectueuse reconnaissance, le progrès de ses utiles travaux à cet égard, se marquer chaque jour par de nouveaux bienfaits et à mesure qu’il se découvre quelques restes des fers que, dans leur multiplicité, il a été possible de dérober à sa sagacité. C’est donc avec la plus juste confiance qu’on peut exposer aux représentants de la nation tout ce qui menace encore notre liberté : et j’ajoute que cette confiance doit redoubler pour moi dans l’affaire que j'ose lui soumettre, si je ne me suis déterminé à recourir à sa suprême autorité qu 'après avoir éprouvé l’in suffi? an ce des ressources et des moyens connus et donnés pour nous soustraire à la tyrannie ministériellesigénéralement abhorrée. Et en effet, Messieurs, vous apprendrez sans doute avec étonnem nt et indignation par l’extrait du mémoire que je me trouve foia é de vous adresser que le ministre de la marine n’a pas craint de se rendre coupable de désobéissance envers le roi son maître (I), ni se railler de l’avis du comité des (1) Le roi est le chef des Français et le maître de ses ministres qui, dès l’instant qu’ils tiennent au gouvernement, ne sont plus Français, mais leurs ennemis, par la raison que tous les gouvernements tendent à opprimer les peuples. Le gouvernement et la nation sont deux corps ditincts formant chacun particulièrement une personne morale; qui ont une existence et des fonctions particulières et simulianées : en sorte que tout ce qui lient au gouvernement n’est plus de la nation; de même ne tout ce qui est de la cité n’est pas du gouvernement. e ne fais qu'indiquer ici celte idée qui, pour être bien sentie, a besoin d’un développement que ne comporte [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i mai 1791.] rapports de l’Assemblée nationale, pour persister avec une obstination affectée dans l’injustice la pius manifeste. IL parait même, par sa conduite condamnable, qu’il a formé le dangereux et coupable projet de se réserver le droit de nous opprimer en dépit de nos cris, de nos plaintes, de nos réclamations, en tournant en dérision les deux graves autorités que justement cous regardons tous comme les sauve-ardes de notre liberté et dont on ne peut cepen-ant se railler sans alarmer tous les Français. Ne jugerez-vous pas, Messieurs, dans votre sagesse, ue le succès du ministre et même son impunité, ans cette circonstance essentielle, auraient les conséquences les plus alarmantes pour la nation entière, et eu effet, que deviendrions-nous, quel sort serait le nôtre, enfin, de quelle liberté oserions-nous nous vanter si un de ces êtres malfaisants parleur état n’avait pour frein que son arrogance, pour guide que ses intérêts, pour supérieur que sa jactance; si ses décisions indiscrètes devenaient des lois, ses caprices des arrêts et ses volontés des ordres ? Alors, san3 doute, alors nous verrionsl’honneur, la probité, le désintéressement, la loyauté, la franchise, toutes les vertus enfin, périr avec notre liberté, leur compagne inséparable. Mais non, un tableau si effrayant ne se réalisera jamais sous les yeux des représentants d’une nation d’honneur ; non, jamais ils ne permettront que la perfidie, à l’aide de l’astuce, s’enveloppe de ces anciennes et vicieuses formes de gouvernement pour transmettre l’autorité suprême et légitime dans des mains subalterneset gangrenées dont elles ne manqueraient pas dans la suite de s’armer pour anéantir la liberté publique; non, jamais elle ne laissera un pareil projet germer et se développer dans une de ces têtes accoutumées à tourner l’oppression en principe ..... Je pense que l’Assemblée nationale remarquera encore que dans l’objet dont je me plains il est bien moins question de s’occuper d’une injustice particulière que de réprimer l’audacieux projet de trouver le moyen d’en faim impunément ..... Il est de fait aussi que cet essai tyrannique du ministre ne s’est manifesté qu’en bravant les ordres du roi et l’avis du comité; que dans ce cas la majesté royale se trouve gravement outragée par le rôle très subalterne, pour ne pas dire presque nul, qu’elle vient de jouer; d’où il suit que cette dissonance révoltante estnécessairement due à quelque vice du gouvernement qui mérite les soins de l’Assemblée nationale, afin qu’il n’arrive plus que, sous ses yeux même, on puisse remarquer une inversion dangereuse dans des autorités que le bon ordre exige qu’on tienne 80us une rigoureuse dépendance qui seule peut assurer le bonheur public. Au reste, je me plais d’autant plus dans ces idées, qu’elles sont parfaitement conformes aux leçons de la liberté aussi judicieusement qu’énergiquement énoncées dans les droits de l’homme et du citoyen. Tout nous autorise donc à croire que les représentants de la nation ne permettront pas qu’on les viole sur nos personnes, tandis qu’ils vicil iraienl sur un pas une simple note. Jo dirai pourtant que je pourrais citer plusieurs inconséquences en fait de législation, faute d’avoir connu cette idée, et par l’erreur où jette, non pas La division des pouvoirs, mais les faux principes sur lesquels on l’établit. Cette idée renferme une des questions les plus importantes du droit politique, que j’ai autrefois longtemps discutée et soutenue avec succès contre l’homme immortel auquel l’Europe entière devra incessamment sa liberté. Elle est surtout infiniment essentielle pour un peuple qui sc régénère. 563 parchemin stérile. Nous devons espérer au contraire que la sagesse qui les a dictés ne manquera pas de s’étendre jusqu’à les faire respecter également de tous, eu même temps que d’une voix imposante elle en marquera la direction et les développements, afin qu’on n’ose plus les enfreindre sur aucun de nous, ni les détourner du but qui les a déterminés. Je m’arrête; je sais que ce n’est pas à cette auguste assemblée qu’il faut apprendre que la sagesse d’un gouvernement est manifeste lorsque chaque citoyen est dans une parfaite indépendance des autres, et tous, dans une excessive dépendance de la loi ; de môme u’on doit moins calculer et apprécier le bonheur ’un peuple sur l’excelleuce et la perfection d’un vain code de lois que sur le soin d’en assurer l’exécution selon les vues du législateur. Enfin, Messieurs, j’ose espérer votre protection dans une affaire qui intéresse la nation française tout entière, et dont la décision doit marquer le degré d'estime que nous faisons de la liberté, ce qui devient pour moi un sûr garant dans cette circonstance la plus importante qui puisse s’offrir à votre imposante destination et à vos hautes et respectables fonctions. J’ai l’honneur d’être, avec un extrême respect, Messieurs, votre très humble, etc. Laborie. Je vais transcrire, ici, littéralement la première plainte que j’ai portée à M. le Président de l’Assemblée nationale, qu’il renvoya au comité des rapports, où elle fut enregistrée le 5 janvier 1790. Je dois observer que cette plainte n’esi qu’uu extrait très succinct du mémoire sur lequel cette affaire a été examinée au comité des rapports que j’y remis. Lettre adressée à M. le Président de l'Assemblée nationale, en date du 27 décembre 1789. Monsieur le Président, j’ose vous supplier de vouloir bien porter à l’Assemblée nationale la plainte d’un officier qui, après avoir blanchi au dur métier de la guerre, n’a reçu pour prix de ses longs services que misère et déshonneur, par des injustices de MM. le maréchal de Gastries et de la Luzerne, ministre de la marine. Voici, Monsieur le Président, un extrait succinct du mémoire qui contient le détail de ces injustices où vous verrez néanmoins qu’elles sont de nature à blesser à la fois l’honneur, la probité et la bienséance, et qui, par cette raison, paraîtraient impossible dans tout pays où Pou ne mesurerait pas l’élévation des rangs par la bassesse de l’âme. Dans ce mémoire se trouve d’abord une plainte de M. Laborie, maréchal de camp et gouverneur de Sainte-Lucie, adressée à M. le maréchal de Gastries, contre plusieurs officiers des régiments de la Martinique et de la Guadeloupe qui, après avoir formé le projet de m’assassiner, ont en effet, quelque temps après, tenté d’effectuer cet exécrable dessein. Vous trouverez, sans doute, cet attentat d’autant plus abominable qu'il avait pour objet de s’exempter de bien servir; les brigands qui égorgent les passants ont des motifs moins condamnables. Voici ce fait: M. deBouillé, gouverneur général des îles du Vent, témoin de mon attachement à mes devoirs, me fit promettre d'accepter la place de colonel du régiment de la Guadeloupe lorsqu’elle vaquerait, afin, me dit-il obligeamment, qu’après avoir formé ce régiment 564 l Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1791.) sur des règles et des principes convenables à ces pays, on pût ensuite constituer tous les régiments coloniaux sur ce même plan. Cette promesse me fut fait** publiquement, et, par conséquent, fut bientôt connue de tous ceux qu’elle intéressait ; on sent que ce projet du général dut beaucoup effrayer ceux des officiers ae ces régiments accoutumés à mal servir, qui, pour détourner l’orage qui menaç ât leur crapule, leur indiscipline, leur paresse, formèrent le complot dont je viens de parler dans un comité tenu a Sainte-Lucie, et dans les termes que je transcris ici. « Ce chevalier Laborie est bien plus strict et sévère que son frère; si nous n'y prenons garde , il va monter nos chefs à son ton , et on nous fera servir comme en France; il faut absolument nous défaire de ce bougre-là , de façon ou d'autre. » J’ai offert à M. le maréchal de Castries de faire prouver ce complot par des témoins irrécusables, au moment où celte plainte lui parvint. Comme il y a six ans qu’il fut formé, il est vraisemblable que ces témoins n’existent plus; mais il en reste que rien ne peut altérer, dénaturer ni démentir, qui sont les faits et les circonstances dont il est environné, qui le caractérisent en le dévoilant sensiblement. Mais, afin d’avoir un prétexte plausible pour exécuter celte résolution, ils chargèrent une espèce de maître d’armes, leur camarade, de tâcher de s’attirer par une conduite peu mesurée et des propos grossiers, une réponse désobligeante, qu’ils auraient soin de tourner ensuite en insulte, dans le public, afin de pouvoir, avec moins de danger, risquer un assassinat qu’ils pensaient plus facilement voiler d’un duel, à l’aide de cette précaution. Bientôt les circonstances leur en offrirent une occasion facile, car, n’ayant pas trouvé à Sainte-Lucie, dans l’air frais qu’on respire au morne fortuné, le soulagement que les médecins m’en avaient fait espérer, contre une maladie tenace, je fus forcé, deux mois après un démêlé qui vint naturellement à la suite de ce complot, de venir me faire traiter en France. Alors, trois officiers du régiment de la Martinique, pour se défaire de moi, ainsi qu’ils en éiaient convenus dans le comité tenu à Sainte-Lucie, s’évadèrent travestis, deux du Fort-Royal, et un de Sainte-Lucie, pour me suivre furtivement à Saint-Pierre de la Martinique, où je fus m’embarquer pour la France, et m’attaquèrent tous les trois hors de la ville, quoique seul et très malade. La conduite de ces officiers étonnera moins si on fait attention que ces régiments ne sont guère que des sortes d’é-outs où vont se déposer toutes les immondices de rance ou des asiles pour les valets du roi recommandés par les commis des bureaux de la marine : on sait que M. de Repentini, voulant épuier le régiment dont il était colonel, en chassa nombre d’ofliciers, plusieurs desquels ne quitièrent l’uniforme de ce régiment que pour venir à Versailles endosser l'habit de palefrenier. Je ne dois pas taire qu’il y a des exceptions honorables à faire dans ces régiments, qu’il s’y trouve beaucoup d’officiers pleins d’honneur et de loyauté. Lorsque je fus arrivé en France, et après mon rétablissement, je me rendis à Versailles pour demander à M. le maréchal de Castries le régiment de la Guadeloupe, qui vaquait 1 ar la mort de son colonel. Ce ministre me répondit qu’il ne me donnerait pas ce régiment, parce que j’avais eu une affaire d’honneur avec un capiiaine du régiment de la Martinique. On sent, par ce que j’ai déjà dit, combien j’étais autorisé à rejeter cette dénonciation, et combien il me fut facile de prouver au ministre, par des raisons qui portent conviction, que ce prétendu duel est un assassinat manifeste/ et de lui montrer clairement qu’il était impossible de justifier la conduite de ces trois officiers par des motifs qui émanent du point d’honneur. J’ai depuis joint les observations que je lui fis à la plainte de M. Laborie dans mon mémoire, ar lesquelles je montre bien évidemment que la écision de ce maréchal de France ne prouve rien, sinon qu’on peut fait e profession d’honneur, qu’on peut être juge d’honneur en France, sans en connaître les premières lois. Le ministre, voyant que j’étais loin de me contenter de cette défaite, que je la combattais avec force et par des raisons auxquelles il n’avait rien à objecter, ajouta : et aussi parce que vous n'avez pas été assez longtemps lieutenant-colonel. Frappé de ce qu’il me trouvait trop nouveau après 35 ans de service, et après avoir vieilli dans les différents grades qui sont la véritable école du colonel, je lui dis que son fils avait obtenu ce grade après avoir servi 8 ans, et que, cependant je serais encore longtemps son maître en fait de science militaire; que je ne comprenais pas d’après cela, sur quoi pouvaient porter les motifs de celte préférence. On ne saurait trop admirer, en effet, combien il faut qu’un homme de la cour soit dépourvu de sens pour donner une pareille excuse à un de ceux sur qui des privilèges extorqués par ceux de son ordre pèsent le plus directement. Ne semble-t-il pas, au contraire, qu’ils devraient, en pareil cas, user de la plus grande circonspection, afin de ne pas révolter par le droit qu’ils ont acquis de tout faire sans rien savoir, de tout obtenir sans rien mériter, et de s’élever du sein de la crapule, de l’ineptie et des frivolités, aux plus hautes dignités et aux plus hauts emplois. La marche établie particulièrement dans l’ordre militaire pour leur avancement, est assez curieuse pour mériter d'être suivie. D’abord on fait enregistrer un enfant pendant 5 ans sur le contrôle d’un régiment comme lieutenant; après quoi il estcapitaine, à trois ans de là ilestcolonel, ensuite brigadier, maréchal de camp, etc. Il lait tout ce chemin sans talenis, sans connaissances, sans aptitudes et même sans servir; le peu de temps qu’il passe à son régiment, il peut le donner aux femmes, au vin, au jeu; n’importe qu’il soit lâche, fripoD, fourbp, menteur, il arrive également, rien ne peut arrêter un homme de ce rang, tout est bon pour faire un général français. La suprême dignité de cet ordre ne fait même nullement preuve de mérite et de lab nts, et ne sert guère qu’à déguiser un homme très puissant tout comme un habit à la romaine nous fait sur les planches un Cé-ar d’un histrion. Enfin, il est certain qu’ils ont eu l’adresse d’obtenir le privilège de devenir exclusivement les chefs de l’ordre militaire, quoique, dans le fait et selon la plus juste appréciation de leurs qualités, ils n’en soientque le rebut. Ils devraient donc éviter avec soin tout ce qui peut autoriser ce juste reproche; et c’est, selon moi, une bien étourdie défaite, de la part deM. de Castries de me trouver trop jeune pour être fait colonel, après 35 ans de services. Ensuite, pour le ramener par un exemple sur un de ceux de ma classe, je lui rappelai qu’il venait de donner le régiment de la Martinique à un jeune homme qui n’était connu en France par aucun service marqué ou du moins, par des services qu’il osât avouer, mais seulement pour avoir accompagné et servi d’interprète à M. de 566 I Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 mai 1791.1 La Fayette dans ses voyages d’Amérique; que cependant, à la sollicitation d’une maison puissante il n’avait pas balancé de lui donner ce régiment en faveur de ces services, quoique étrangers à la nation, et qui n’avaient guère mérité que dece général, et cela sans s’inquiéter du murmure des gens d’honneur et des bons ofticiers. Au reste, on ne sait que trop qu’il est d’usage chez nous qu’un protégé de deux jours l’emporte sur un concurrent recommandé par 40 ans de services. Au reste, ce n’est pas là le premier exetn-Ïile de l’infâme commerce que les gens en place ont des récompenses militaires qu'ils ont soin de convertir en une sorte de monnaie pour la distribuer invariablement à leur profit ; on sait que c’est avec cette monnaie qu’ils assoupissent le crédit et la puissance qui peuvent leur nuire, qu’ils s’affermissent dans leurs places, qu’ils payent les talents qui couvrent leur ineptie, qu’ils obtiennent les faveurs d’une jeune solliciteuse, etc. On sait enfin que, mêlant de honteuses vues au mobile destiné a donner de l’énergie à l’ordre militaire, ils finissent par en faire, aux dépens de leur honneur, l’instrument de sa dégradation. J’ai autrefois cité, dans un mémoire, plus de 200 exemples de récompenses accordées à des soins purement serviles, et en général il s’en distribue peu à la classe subalterne qui ne coûte quelque humiliation à celui qui l’obtient, ou qu’il ne laduiveà la souplesse, à l’intrigue, à la tromperie, en sorte que le premier effet des récompenses est d’apprendre à cette classe maltraitée à couvrir une vraie bassesse par un faux honneur, et à se former des âmes serviles sous un habit recommandable. J’observai enfin au ministre que M. de Bouillé ne m’avait fait cette promesse que parce qu’il avait été témoin de mon empressement à saisir toutes les occasions qui se présentaient à mon zèle, et particulièrement des soins que je pris pour rétablir l’ordre à Saint-Pierre, où j’étais lieutenant du roi ; qu’il avait vu avec satisfaction que j’y dissipai plusieurs associations de fripons qui volaient les capitaines de navire par de fausses lettres de change; que j’en chassai plus de deux cents vauriens sans occupation, sans iniustrie, et qui subsistaient en dévorant le commerce, ue je lis acquitter nombre d’anciennes dettes ont on éludait le payement sous des prétextes de mauvaise foi, que j’y terminai nombre de procès considérables qui tendaient à la ruine des deux partis; que j’y détruisis des assemblées de jeu où des fripons exercés tâchaient d’attirer des gens honnêtes pour les dépouiller ; il vit enfin que je fis rentrer plus de 500 nègres marrons qui étaient errants dans les buis voisins de ce lieu, et qui, chaque nuit, ravageaient quelque habitation. Pour prouver encore davantage au ministre la confiance que mon zèle avait inspirée à ce général, je lui rappelai qu’à l’époque où la Grenade était menacée, il m’y avait envoyé avec ordre de prendre 700 hommes sur les 1,100 qui formaient fa totalité de la garde de la colonie, pour défendre les forts Richeraont et Sartine, qui font toute la sûreté de cette île. Enfin, je lui répétai que M. de Bouillé ne m’eùt pas fait cette promesse, si je n’eusse servi avec distinction, et qu’il était affreux pour moi de penser que le premier prix de moQ attachement à mes devoirs et de ma constante application fût un refus déshonorant, et u’il était même révoltant de songer qu’en re-oublant de zèle pour le service du roi j’eusse travaillé à mou déshonneur et en même temps à la perte de mon état, fit en effet, on sent que si j’eusse servi avec tiédeur, on ne m’eût pas fait une pareille promesse, et que j’aurais pu alors reparaître sans honte, avec mon grade de lieutenant-colonel, dans un pays d’où m’excluait cette promesse éludée. A cela le ministre me répondit : M. de Bouillé ne pouvait pas vous faire cette promesse ; s'il vous eût promis l'Empire turc , serait-on obligé de vous le donner ? A cette réponse extraordinaire, je lui dis que l’Empire turc u’était pour rien dans ce que je demandais; mais que M. de Bouillé pouvait, non seulement me faire la promesse du régiment de la Guadeloupe, mais même ct-tte promesse devait être un titre pour moi, puisqu’elle émanait du bien du service du roi. Et en effet, si le ministre, qui est à 1,800 lieues des colonies, veut régler l’avancement des officiers sur des services rendus plus que sur des recommandations, n’est-il pas forcé de s’en rapporter au gouverneur général qui est à portée de juger de l’activité des officiers, et de démêler leur aptitude aux diverses places qui viennent à vaquer. Il est donc évident que le bien du service exige que le choix du ministre tombe sur ceux que désigne le gouverneur général, et même qu’il ne peut s’écarter de cette règle, à moins qu’il ne veuille préférer le protégé au bon officier, ür, si celte promesse émane du bien du service du roi, elle devait être un titre pour moi, et ne devait pas être étourdiment comparée à la promesse ridicule de l’Empire Turc. C’est même en considération de ce motif qu’on donne aux gouverneurs généraux le pouvoir de nommer provisoirement aux emplois qui viennent à vaquer aux colonies, et que leur choix est constamment confirmé par la cour. J’ai même vu, à Saint-Dominique, M. Dennery accorder la croix à deux capitaines d’infanterie et les autoriser à s’en décorer à l’instant même. J’observai enfin à M. de Castries que la promesse de M. de Bouillé m’avait été faite si publiquement, qu’après la mort du colonel du régiment de la Guadeloupe, tous les créoles que je rencontrais me fé icitaient sur mon avancement prochain, en ajoutant qu'ils n’avaient plus à en douter, d’après la promesse publique du général. Que, d’un autre côté, on connaissait en Amérique l’affaire qui m’était arrivée; qu’on y savait combien ceux qui l’avaient fomentée étaient criminel', et que jamais on ne pourrait penser qu’il m’eût refusé ce régiment par rapport a une affaire de cette nature. Qu’on penserait, au contraire, que sans doute, j'avais démérité par quelque action honteuse ou par une mauvaise conduite; que ce refus enfin laissait un soupçon injurieux sur mon compte, d’autant plus apparent que c’était la première fois qu’on voyait, en Amérique, le ministre refuser une grâce annoncée à un officier par son gouverneur général. Je demandai en conséquence à ce ministre, plusieurs foi-et avec instance, qu’il ordonnât de nouvelles informations, afin d’être autorisé, après lui avoir montré qu’on l’avait jeté dans l’erreur, à réclamer mon rang et mes droits. Je le prévins aussi que les personnes qui m’avaient desservi auprès de lui n’étaient mes ennemis que pour m’être refusé à voler le roi de concert avec elles; que, dan' les nouvelles informations, je me chargeais de dévoiler un grand nombre d’infâ t des, qu’il lui était important de connaître, soit envers moi ou envers les colons qui sont continuellement victimes d�s malhonaêtes gens qu’on leur donne pour chefs. Mais rien ne peut l’ébranler, et on sait, en effet, que rien n’a jamais pu chan ger sa première opinion, quelle qu’elle soit. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1791.] Sentant alors que je ne pouvais reparaître dans nos colonies avec mon grade de lieutenant-colonel, qu'avec honte, je priai M. de Bouillé de lui présenter la proposition de retraite suivante, qui n’offre qu'un motif de délicatesse, et qui est très modérée. MÉMOIRE. J’ai l’honneur de prier M. le maréchal de Ca3tries de m’obtenir à la guerre l’emploi que j’avais lorsque je passai au département de la marine, et dans le cas qu’il n’y en ait pas de vacant au moment de ma demande, je le prie de me conserver des appointements jusqu’à ce que je sois lacé. J’ai l’honneur de lui observer que j’offre e rejoindre le régiment de la Guadeloupe, en qualité de lieutenant-colonel, si ces conditions offrent quelque difficulté, etc... Il est évident que je n'ai demandé à repasser à la guerre que jus-u'à ce que j’aie fait informer de ce prétendu uel, et que je réclamerai mon rang à ce département, sitôt que j’aurai montré que c’est un assassinat. Je ne pouvais faire une demande plus modérée, puisque j’acquiesçais par là à perdre le fruit de trois campagnes que je venais de faire à mes dépens, et mon ambition se bornait à retrouver l’emploi que je n'avais redemandé que pour n’avoir pas -voulu rester inutile en France ..... J’avais quitté -ma majorité des régiments provinciaux pour aller en Amérique faire la guerre sur une simple expectative du ministre de la marine... • Ici, il serait impossible de suivre la marche du ministre à l’égard de ma proposition de retraite. •Les promesses qu’il me fit faire par l’inspecteur •général des colonies, par M. de Bouille, et les demandes réitérées du traitement que je voulais, •tous ces objets opposés à sa dernière détermina--tiOn, et surtout à sa dernière lettre qui vient ci-après, offrent une carrière d’inconséquences, de contradictions, une espèce de chaos, dans lequel -il est impossible à un homme raisonnable de rien comprendre. Je ne citerai de tout ce tripotage incohérent et sahs suite que la dernière lettre du ministre qui me fut écrite de cette manière-ci : - Assez longtemps après avoir fait ma proposition de retraite, je me rendis chez M. de Bouillé, pour Bavoir la dernière résolution de M. de Castries à cet égard. Ce général me dit que le ministre lui •avait promis de me conserver un traitement jusqu’il ce que je fusse placé à la guerre. Sur cela, je lui écrivis cette lettre de remerciement : « Paris, le 16 mai 1785. « Monsieur le Maréchal, j’ai l’honneur de vous remercier de ce que vous avez bien voulu promettre à M. de Bouillé de me conserver des appointements jusqu’à ce que sois placé au département la guerre. Je joins ici, Monseigneur, un nouveau plan pour donner la liberté aux nègres. « J’ai l’honneur, eic. t Chevalier Laborie. » Réponse. « Versailles, le 3 juin 1785. c J’ai reçu, Monsieur, avec votre lettre du 16, .«n plan contenant une nouvelle manière de don-,ïràr-la liberté aux nègres d'Amérique, dont je 90üs remercie. Je vous ai laissé tout le temps de réfléchir sur le parti que vous avez pris de quitter votre emploi de lieutenant-colonel du régiment de la Guadeloupe; vous ne tenez plus au département des colonies, et je n’ai aucun titre pour venir à votre secours. « Le maréchal de Castries. ■> Il est certain que le ton impérieux et dominant de cette lettre ressemble bien plus à l’expression d’une divinité malfaisante qu à celle de l’organe respectueux des volontés a’un maître juste et bon; puisque ce ton tranchant ferait croire que nous n’avons de règle que le caprice des ministres, tandis que cependant l’ordonnance prononce dans ces cas sur le sort des officiers; mais indépendamment de cette dissonnance orgueilleuse et de fatuité, on trouve encore que cette réponse n’a aucun rapport à la lettre qui me l’a attirée, puisqu’elle est simplement une lettre de remerciement, et que je n’y fais aucune demande importante; tout décèle enfin, dans cette lettre, que le ministre y déraisonne, y dépasse ses droits et y abuse de son autorité. Que signifie, par exemple, je vous ai laissé tout le temps de réfléchir sur le parti que vous avez pris de quitter votre emploi de lieutenajit-colonel? A quoi cela se rapporte-t-il et où a-t-il trouvé que j’ai abandonné mon emploi? Dans ma proposition de retraite, je redemande la majorité que j’avais autrefois à la guerre, et un traitement jusqu’à ce que je sois placé, en offrant en même temps de rejoindre mon régiment, si ces conditions ne pouvaient être remplies. Je n’ai donc pas pris le parti d’abandonner mon emploi; et même, selon toute justice, il ne pouvait y nommer sans remplir les conditions que j’y mettais, ou du moins, sans me faire prévenir qu’il ne pouvait accepter ma démission, et alors j’aurais rejoint. H devait se rappeler aussi que je ne donnais ma démission que parce qu’il s’était orgueilleusement et mal à propos cru capable de décider d’une affaire d’honneur ..... Je prouve bien clairement dans mon mémoire que son jugement outrage nos lois, est démenti par l’honneur et chcque le bon sens, en sorte qu’on ne peut guère comparer l’autorité d’où il émane qu’à une arme meurtrière dans les maiûs d’un aveugle, dont il frappe au hasard. Vous ne tenez plus au département des colonies. Il fallait ajouter ici :... Four avoir mérité d’y tenir par le régiment de la Guadeloupe... Et alors on aurait plus facilement compris combien c’est affreux d’avoir affaire à uo homme incapable et injuste. Et je nai aucun titre pour venir à votre secours. D’abord, pourquoi cette expression avilissante dont on se servirait à peine envers un valet importun, puisque ie n’ai fait aucune demande dans ma lettre? Mais je laisse la grossièreté de l’expression, pour me renfermer au sens. Ce ministre n’a donc aucun titre pour venir à mon secours, par la raison que je ne tiens plus aux colonies. Mais si je ne tiens plus aux colonies, c’est par la raison qu’il a injustement et illégalement nommé à mon emploi, et je ne sais pas pourquoi il tirerait d’une première injustice le droit de m’en faire une seconde. D’ailleurs ou trouve que c’est une bien chétive et futile défaite, si on prend garde que l’injustice d’avoir nommé à mon emploi, n’efface pas mon service; et il est bien clair que, quoique je ne tienne plus aux colonies, je n%n ai pas moins 35 ans de service; or, comme on trouve ensuite que l’ordonnance des récompenses militaires marque quel est le prix de 35 ans de services, on n’entend plus alors pourquoi ce ministre n’a aucun titre pour [Assembléa natiooala.| ARCHIVES PaRLBMENTAIRES. (4 mai 1791.] .ÿgj venir à mon secours; ou plutôt, cela montre évidemment que son orgueil lui a faitoublier qu’un ministre, dans ce cas, n’est uniquement que l'organe de son maître, et qu’il a dépassé ses droits en me refusant la récompense que l'ordonnance du roi m’attribue.... Après ce refus injuste, je fus faire quelques tentatives au département de la guerre, où l’on me répondit de même que, ne tenant plus depuis longtemps à ce département, je ne pouvais y obtenir de pension. De cette sorte, je me suis trouvé, après avoir servi toute ma vie, sans emploi et sans traitement d’aucune espèce, et cela, pour avoir été faire la guerre en Amérique de bonne volonté, et pour y avoir montré assez de zèle pour être élevé à un grade supérieur. C’est ainsi qu’on apprend aux gens de guerre comment se paye la bonne volonté, et que ce n’est pas en servant bien l’Etat, qu’on mérite le plus. Ou voit donc enfin que c’est une lettre qui me dégrade et me réduit à la misère, qui a été jusqu’à présent la récompense des travaux et des fatigues de toute ma vie. Je m’arrête, je ne saurais revenir sur cette lettre sans frémir, et i’es-père que, dans un temps où l’honneur, la probité, la vertu reprennent hautement l’empire, il n’arrivera pas qu’un officier qui a passé sa vie à servir avec honneur et zèle, Unisse dans l’opprobre et la misère, faute d’un acte de justice. Je dois observer que cet abandon inusité fait naturellement croire que je me suis déshonoré par quelque action honteuse et que cette seule considération doit redoubler rua vigilance et faire pardonner mes imporiuuités pour me relever de cet état accablant. Observations relatives a M. de Castries. On sait que ce maréchal de France possède une fortune immense, et que daos cet état d’opulence il ne craint pas de blesser sa délicatesse, en faisant payer à l’Etat des services qu’il n’a jamais su lui rendre, 5 à 600,000 livres par an, dont il jouit à titre de bienfaits du roi. Cependant, on ne peut nier que celui qui jouit d’une récompense qui n’est due ni à ses talents, ni mesurée sur des services rendus, peut justement être taxé de fripon public; et il est bien étonnant qu’au homme à qui on peut faire ce juste reproche, ose refuser, sans motif, une modique pension pour subsister à un officier sans fortune, surtout quand l’ordonnance la lui attribue. Si l’on trouvait que je parle légèrement des talents de ce ministre, en ce cas, pour me justifier, je rappellerais les imbéciles opérations faites à la marine, et les déprédations commises aux Antilles durant la dernière guerre, qui ne témoignent que trop qu’il était au moins incapable de remplir sa place de ministre de la marine s’il n’en était indigne. Il a cru, sans doute, lorsqu’il m’a traité aussi durement, que j’avais oublié qu’il ne devait son élévation, à la dignité de maréchal de France, u’à la basse adresse qu’il eut de se faire honneur u gain de la bataille de Clostercamp, auquel il ne contribua, cependant, en rien, et du soin qu’il eut de cacher que le salut de ce corps d’armée fut uniquement dû aux officiers de chasseurs du régiment d’Auvergne dont je faisais partie, qu’il eut l’indignité de laisser sans récompense aucune de cette action de valeur, afin que toute la gloire de cette journée mémorable rejaillît plus particulièrement sur lui. J'avoue que j’étais loin de penser alors qu’en courant volontairement à un danger imminent, je travaillais à l’élévation de celui qui, dans la suite, devait m’accabler de cette même grandeur, acquise durant un paisible sommeil. Enfin, lorsque M. de La Luzerne parvint au ministère, c’est-à-dire plus de 3 ans après qu’on eut nommé à mon emploi, je me rendis à une de ses audiences, pour lui demander l’examen de mon affaire, afin que je fusse autorisé ensuite à réclamer un emploi à son département et un dédommagement pour les 3 années pendant lesquelles on m’avait laissé sans emploi et sans récompense aucune. 11 me dit alors qu’il ne pouvait rien changer à ce que son prédécesseur avait décidé à mon égard. Je lui observai à cela que la décision de M. de Gastries ne pouvait annuler des droits fondés sur l’ordonnance du roi, et qu’il ne pouvait nier que cette décision ne fût une injustice puisque je prouvais qu’elle était en opposition à cette grave autorité; d’où il suivait que j'avais tout lieu d’espérer qu’il ne réglerait pas le traitement et l’état d’un officier qui avait bien servi, d’après cette décision aussi absurde qu’injuste, que je le priai, au contraire, d'examiner mes services, et de les rapporter ensuite, aux dispositions de l’ordonnance, afin qu’il pût tirer de là une règle plus conforme à la raison et à l’équité. Il me répéta qu’il se référait entièrement à ce que M. le maréchal avait décidé pour tout ce qui me concernait. A cette seconde réponse, je citai quelques articles de l’ordonnance, particulièrement celui qui fixe à chaque grade des sommes proportionnées aux années de services que l’on constate, et je lui dis : Vous voyez, Monsieur, que la décision de M. le maréchal qui me laisse sans traitement après 35 ans de services, est opposée aux intentions du roi, bien clairement manifestées dans cet article de son ordonnance, qui m’attribue la moitié des appointements de mon grade. J’ai donc tout lieu de croire, qu’après avoir comparé ces deux autorités, et dans l’alternative du choix, que vous Vi us référerez de préférence à celle du roi qui m’attribue un traitement qu’à celle de M. le maréchal qui n’est appuyée que sur une injustice. Je vous observerai encore, ajoutai-je, qu’il est honteux qu’on refuse sans motif, à uu officier qui a blanchi au service de son pays, une modique pension pour subsister, tan iis que tous les jours on en prodigue à des filles de débauche, à uu tas d’intrigants et de vile canaille qui font honte à l’humanité; sans compter ces énormes traitements faits à la classe supérieure, que pas un ne pourrait justifier par ses talents et sa capacité : que pour indisposer le moins possible contre ces actes de prodigalité, scandaleux et révoltants, on ne devrait pas du moins faire disputer ce qu’il y a de fixé pour ceux qui les ont mérités par de bons services. Tout fut inutile et j’ai continué pendant plus d’uu an à réclamer mes droits par lettres, sans pouvoir rien obtenir : il m'a constamment répondu qu’il se référait à la décision de M. le maréchal. Enfin, ne pouvant vaincre cette obstination affectée, par aucune bonne raison, je m’adressai au roi, pour le supplier qu’il voulût bien ordonner l’examen d’un mémoire qui contenait le détail des injustices que m’avaient faites MM. le maréchal de Castries et de La Luzerne. A ma supplication, Sa Majesté eut la boulé d’ordonner l’examen de mon mémoire. Les personnes qui en furent chargées jugèrent que les injustices dont je 'me 868 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |4 mai 1791.] laignais étaient évidentes et bien constatées, et écidèrent en conséquence qu’on devait me donne? le gouvernement de Sainte-Lucie, devenu vacant par la mort de mon frère, ou une place pareille, en cas qu’on y eut pourvu et 2,000 écus de gratification pour le temps qu’on m'avait abam tonné sans motif. La demande du gouvernement de Sainte-Lucie fut ensuite faite, par ordre du roi, au ministre de la marine qui, malgré cela, s’est refusé à me nommer à cette place. 11 est bon de dire ici que M. de La Luzerne, informé de ma démarche, et sachant que les gens du roi avaient décidé qu’on demanderait le gouvernement de Sainte-Lucie pour moi, se pressa de donner cette place à ce même officier à qui M. le maréchal de Castries avait donné le régiment de la Martinique pour avoir accompagné M. de La Fayette en Amérique. Il est bon d’ajouter que l’éléva'tion de cet officier a fait plusieurs mécontents aux Antilles; d’abord parce qu’il a très peu servi, et ensuite, parce qu’on lui reproche d’avoir été renvoyé du régiment où il servait en France, avant ses voyages d’Amérique. Ici finit la lettre que j’écrivis à M. le Président de l’Assemblée nationale, du 27 décembre 1789 et enregistrée le 5 janvier 1790, au comité des rapp rts. Ne pouvant tirer aucune réponse du ministre de la marine, relativement au gouvernement de Sainte-Lucie ..... le silence fut le moyen qu’il trouva pour résister à l’ordre du roi ; jamais il ne m’a été possible d’en avoir, même une réponse négative ..... alors je pris le parti d’adresser à M. le Président de l’Assemblée nationale la lettre précédente et le mémoire qui déjà avait été examiné par les gens du roi. M. le Président renvoya ces deux objets au comité des rapports après l’examen de mon mémoire, le comité fut d'avis que son président se retirerait par-devant M. de La Luzerne, afin de solliciter pour moi le gouvernement de Sainte-Lucie, en réparation des injustices qu’on m’avait faites. Il y a cette circonstance à ajouter à tous les motifs qui doivent donner un grand poids à la décision du comité de3 rapports qui est que lorsqu’on eut désigné M. de Praslin pour mon rapporteur, je le priai de demander à M. de La Luzerne toutes les pièces qui pouvaient être contre moi, au département de la marine, afin qu’il ne restât rien de louche dans cette affaire, et qu’elle fût jugée avec une pleine connaissant e de toutes les particularités qui la distinguaient, de manière qu’on n’eùt plus rien à opposer à un jugement qui émanerait des rapports de tous les objets qui lui étaient relatifs. Ces pièces furent envoyées et c’est sur elle et sur mon mémoire comparés ensemble, que le comité a donné son avis. Voici la raison qui me détermina à faire demander ces diverses pièces à M. de La Luzerne. Dans la première lettre que je lui écrivis, je demandai, comme j’avais déjà fait à son audience, un traitement jusqu’à ce que je fusse placé, et une révision de mon affaire, afin que je pusse ensuite réclamer mon rang et mes droits à la marine. M. de La Luzerne me fit cette réponse-ci qui est du 7 février 1788... « J’ai reçu, Monsieur, le mémoire par lequel vous me demandt z un traitement, en attendant votre remplacement. D’après l’examen que j’ai fait de votre affaire, il ne m’est pas possible de proposer au roi de vous remettre en activité, au service des colonies, etc... de La Luzerne. » A la réception de cette lettre, je lui demandai qu’il me fût permis de voir dans ses bureaux les comptes qui avaient été rendus de cette affaire, afin qu’il me fût possible de détruire les faussetés qui la montraient de nature à me rendre indigne de servir le roi... La réponse à cette demande est du 17 avril 1788... « J’ai reçu, Monsieur, etc., etc. Je ne puis au surplus consentir à ce que vous preniez cou naissance dans mes bureaux des rapports qui ont été faits sur votre affaire par M. le vicomte de Damas, ni ordonner de nouvelles informations, ainsi que vous le demandez... La Luzerne. » Je priai donc M. de Praslin de demander tout ce qui était contre moi à la marine, afin de connaître ce qui avait donné lieu à l’article déshonorant de la lettre du ministre, et j’ai été fort étonné, après l’examen de ces pièces, de ne rien trouver qui fût à ma charge et même qui justifiât nos agresseurs. On y tâche seulement de les excuser eu couvrant leur conduite criminelle par le prétexte d’une affaire d’honneur, et d’une manière si maladroite et par des mensonges si évidents, qu’ils ne témoignent absolument rien que de la bêtise de ceux qui les ont crus bons a quelque chose. Cette justification est particulièrement du colonel du régiment de la Martinique, qui affirme, du fort royal de la Martinique, ce qui s’est passé à Sainte-Lucie où il n’a jamais été peut-être, que pour prendre possession du gouverne-mentde cette île queM. de La Luzerne lui a donné si précipitamment à la mort de mon frère. Au reste toutes les pièces n’ont pas été envoyées et il est inutile de dire qu’on a eu soin d’en soustraire particulièrement celles qui étaient trop en ma faveur. Mais, malgré cette tricherie, il n’en est pas moins évident, après les avoir lues que la tournure déshonorante de la lettre de ce ministre n’a d’autre source que dans la souillure de l’imagination qui l’a dictée : et on ne cherche plus la raison pourquoi, après m’avoir écrit cette infâme lettre il s’est refusé à me laisser prendre connaissance, dans ses bureaux, des comptes qu’on avait rendus de mon affaire. Lorsque M. l’évêque de Chàlons, président du comité des rapports, fut signifier à M. de La Luzerne que l’avis du comité portait qu’il devait me donner le gouvernement de Sainte-Lucie en réparation des injustices que j’avais éprouvées, il lui fit une réponse à peu près semblable à celle dont je viens de parler et qui certainement fut de même dictée par la mauvaise foi. Voici cette réponse... « Que le chevalier de Laborie, ayant eu des raisons majeures pour ne pas retourner à son régiment, où il aurait été mai accueilli, demanda sa retraite qui lui fut accordée. » Pour s'assurer que cette réponse est de pure invention et un vil mensonge fait uniquement dans l’intention de refroidir l'intérêt que le comité des rapports devait naturellement prendre à un ancien officier aussi indignement qu’injustement traité, on n’a qu’à se rappeler que j’ai fait d mander à M. de La Luzerne toutes les pièces qui étaient contre moi à son département ; et on juge bien que s’il eût pu montrer que des raisons majeures m’avaient empêché de retourner à mon régiment, il se serait empressé de les faire connaître. D’ailleurs, il est prouvé, dans mon mémoire, que je n’ai demandé, à repasser à la guerre que parce qu’on m’a refusé le régiment de la Guadeloupe; preuve évidente que jè n’avais pas des raisons majeures pour ne pas retourner au régiment de la Guadeloupe. Enfin on sent encore que s’il y eût eu des raisons majeures, il eût dit quelles étaient ces raisons et qu’il ne se serait pas servi de [Assemblé* national*.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai I79l.| 569 cette expression vague et indéterminée. Au surplus j'ai fait mon possible pour le faire expliquer sur cela. J’ai employé tous les moyens pour savoir ce qu’il avait voulu dire par ces raisons majeures, pour apprendre de quelle part il avait été instruit. Tous mes soins ont été inutiles ; enfin, ne pouvant en tirer aucun éclaircissement, je lui ai adressé des observations qui prouvent que cette réponse est purement une imposture. Au reste, il n’y a qu’à se rappeler comment m’a été refusé le régiment de la Guadeloupe pour qu’un homme d’honneur y trouve le vrai motif qui m’a fait demander de repasser à la guerre. Je pense donc qu’après ces diverses observations l’on ne balancera pas à placer cette réponse à côté de ce qu’il me manda dans sa lettre du 7 février 1788, où il dit : « D’après l’examen que j’ai fait de votre affaire, il ne m'est pas possible de proposer au roi de vous remettre en activité au service des colonies... » Afin donc de bieo sentir la foi que mérite la réponse de ce ministre à M. l’évêque de Ghâlons, il faut se rappeler qu’il n’a pas pu justifier cette dernière et basse inculpation par les pièces qui étaient contre moi à son départe-meu t, demandées, à ma sollicitation , par M. de Pras-lin; et qu’au contraire le comité des rapports a jugé qu’on devait me donner le gouvernement de Sainie-Lucie, en réparation des injustices qu’on m’avait faites et qui sont démontrées dans ces mêmes pièces, malgré les faussetés évidentes qu’elles renferment. Cependant, c’est de ces pièces qu’il part pour me dire que, d’après l’examen qu’il en a fait, il a jugé que j’étais indigne de servir le roi. On sent bien qu’il ne m’a mandé cela que parce qu’il a espéré que jamais je ne viendrais à bout de voir dans ses bureaux ce qui concernait cette affaire et qu’il a cru qu’à l’aide des prérogatives de sa place, il pourrait m’avilir et me déshonorer à son gré, chaque fois que je demanderais justice. Il a jugé de même qu’en disant à M. l’évêque de Ghâlons que j’avais des raisons majeures pour ne pas retourner à mon régiment et en se refusant de donner ensuite l’explication de ces termes vagues, il laisserait par là un soupçon injurieux sur mon compte que je ne pourrais détruire. Et cet infâme calcul s’est en effet réalisé. puisque, en refusant de me donner le gouvernement de Sainte-Lucie, il a trouvé en même temps le moyen de verser le déshonneur sur ma conduite, en disant que des raisons majeures m’avaient empêché de retourner à mon régiment. En sorte qu’au résultat, et après avoir prouvé d’une manière assez claire aux gens du roi et au comité des rapports que j'étais réduit à la misère et au déshonneur par des injustices, pour en avoir une décision en ma faveur, il arrive cependant que, non seulement je n’ai pas obtenu !a grâce demandée pour moi, mais môme que je me trouve avec une tache de déshonneur de plus et, cela, par un vil mensonge et de basses inculpations sans fondement. Je dirais donc de M. de La Luzerne s’il n’était pas ministre, qu’il n’y a qu’un malhonnête homme et un misérable qui puisse se iouer ainsi de l’honneur français et qu’un pareil homme devrait être voué, chez cette mtion délicate, à l’infâmie et à l’opprobre pour jamais chez cette nation que la franchise et la loyauté doivent particulièrement distinguer. Au surplus, il est évident que j’ai épuisé toutes les ressources qui s’offrent auprès du pouvoir exécutif et auprès de l’ Assemblée nationale, par le moyen de son comité des rapports, pour avoir raison des injustices dont j’ai à me plaindre; et Sue néanmoins je reste opprimé. J’ose donc m’a-resser à l’Assemblée nationale pour la supplier d'ordonner au mini-tre de la marine de me nommer du gouvernement de Sainte-Lucie et de me donner le dédommage ment demandé pour le temps où l’on m’a abandonné sans motif; c’est-à-dire qu’elle ordonne à ce ministre d’obéir au roi et de se conformer à l’avis de son comité des rapports. Je finis par cette observation que, pour oser parler de liberté, il faut trouver plus de facilité pour se faire rendre justice et de plus honnêtes gens pour nous gouverner. Voyant que je n’avais rien à espérer de la marine, je m’adressai au ministre ae la guerre, à qui, après plusieurs refus, je lis enfin ce mémoire de demande, en y joiguant mes services. Mémoire du chevalier Laborie pour demander à continuer de servir, ou une pension de retraite pour les 30 années qu'il a servi au département de la guerre. J’ai commencé à servir en 1750, en qualité de lieutenant au bataillon de milice de Vernoux. Passé au régiment d’Auvergne avec le même grade en 1755. Fait capitaine au même régiment en 1760. Nommé à la majorité d’un régiment provincial en 1778, lieutenant-colonel du régiment de la Guadeloupe en 1782. J’ai fait la guerre d’Allemagne aux chasseurs ..... Je me suis trouvé à deux batailles par pure volonté ..... Je me rendis à celle de Crefeld, quoique tenu dans mon lit par la lièvre, depuis plusieurs jours; je m’y fis transporter du village où j’avais été me faire traiter ..... A Souest, sur deux bataillons de grenadier, nous fûmes détachés 6 compagnies pour protéger les travailleurs chargés d’ouvrir des marches à l’armée de B oglie. Notre mission ttnip, M. le comte d’Estain ville, aux ordres de qui nous étions, nous dit de rentrer à nos régiments. Jugeant que ce général s’était trompé, sur ce que nos régiments ne devaient arriver que le lendemain, je fus rejoindre nos grenadiers et chasseurs, qui en ce moment formaient l’attaque de quelques redoutes qui couvraient la gauche de l’armée ennemie, que nous enlevâmes et dans lesquelles nous prîmes poste. Un instant avant la nuit, les troupes qui étaient à notre droit *, sur une fausse alarme, se retirèrent jusqu’au village qui était derrière nous ; nos grenadiers, pensant que nous étions tournés, suivirent ce mouvement. Je restai seul et je conservai le poste, malgré l’effort des ennemis, qui, voyant qu’on se repliait, s’y portèrent en foule. Dans cette occasion, j’eus 32 hommes de tués sur 100 que je commandais. J’avais forcé le capitaine avec lequel j’étais particulièrement détaché de venir avec moi ; mais en arrivant au lien de l’attaque, il abandonna lâchement sa troupe, qui vint se mettre à mes ordres. Je fus, par ce moyen, le seul des capitaines détachés qui revint au combat et assez heureux pour conserver un poste essentiel et indispensable pour former l’attaque générale projetée pour le lendemain ..... Au surplus, toutes les personnes avec lesquelles j’ai servi attesteront que, dans la durée de cette guerre, je me suis exposé aux risques des coups de fusil, par nur zèle, bien plus souvent que par devoir ..... Au siège de Brunswick, j’ai repris une pièced’ar-lillerie, au moment où les ennemis la rentraient dans la ville sous une escorte nombreuse ..... A la bataille de Grebestein, j’en ramenai 4 qu’on avait 570 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 mai 1791.] abandonnées, et dont les tronpes légères des ennemis s’étaient déjà emparées. J’ai été blessé plusieurs fois, et je reste estropié d’une jambe ..... A la paix, j’ai fourni 63 mémoires au département de la guerre, qui pour la plupart ont produit des changements avantageux ..... 11 à la marine, dont un seul a économisé à l’Etat au moins 15 millions durant la dernière guerre, de l’aveu des personnes employées à ce département ..... En 1775, notre 4e bataillon ayant été détaché pour passer à Saint-Domingue, je changeai de compagnie avec un de mes camarades, pour le suivre. Dans cette occasion, je refusai, pour aller en Amérique, une majorité que m’offrait M. le comte de Muy, ministre de la guerre; c’est-à-dire que je sacriliai mon avancement à un service pins actif ..... M. le prince de Montbarrei m’ayant nommé à une majorité quelque temps après, je ne laissai pas que de continuer à servir en Amérique jusqu'à rassemblement de l’armée de Bretagne destinée à 1 expédition d’Angleterre. Alors, seulement, je repassai en France, et je lus employé à cette armée comme major de division du corps de grenadiers et chasseurs qui en formait l’avai;t-garde ..... Lorsqu’il n’y eut plus apparence de guerre en Europe, je demandai à repasser en Amérique, ce que j’obtins en 1782 ; et j’y fus sur une simple expectative du ministre de la marine, c’est-a-dire sans emploi et sans appointements. Permettez, Monsieur le maréchal, que je vous rappelle que dans cette occasion, et ■au moment de mou départ, je vous priai de me conserver mon emploi jusqu’à ce que je fusse placé à la marine, ou, si vous le préfériez, me donner une pension sur l’ordre de Saint-Louis, et que vous me refusâtes inexorablement l’une et l’autre de ces demandes ..... Alors, pour vous disposer en ma faveur, je vous rappelai que M. de Liabé, pour qui j’avais passé à Saint-Domingue en 1775, ayant quitté le régiment lorsque notre premier bataillon reçut l’ordre de venir nous y joindre, obtint 800 livres de pension, quoique cet officier eût alors 3 années de service, 2 actes de volonté et un grade de moins que moi. Vous me répondîtes à cela que les temps étaient changés (1). J’eus l’honneur de vous observer que l’ordonnance des récompenses militaires était la même; vous me dites une seconde fois que les temps étaient changés, et il fallut aller en Amérique faire la guerre à mes dépens. Je vous observerai encore que, malgré que les temps fussent changés, mon frère avec qui je passais aux Antilles et à qui on avait donné, à ia marine, le gouvernement de laGrenade, qui jouissait déjà de 18,000 livres de pensiou, en obtint encore de vous une de 1,000 écus ..... Je dois vous observer aussi qu’à la sollicitation de M. Gerbier, avocat, vous avez donné ma majorité à un capitaine du même régiment où j’ai servi, quoique cet officier ait refusé de passer en Amérique dans les deux occasions où j’y ai été de bonne volonté et que particulièrement, dans cette dernière occasion, le protégé (2) que vous avez nommé à ma majorité (i) On ne conçoit pas comment un ministre ose s’exprimer ainsi ; car si les temps changent quand le ministre change, tandis que l’ordonnance du roi reste la même, ii suit do là nécessairement que l’ordonnance n’a de force qu’autant qu’il plail au ministre, et que les gens de guerre n’ont , par conséquent , d’autres lois que ses caprices; c’est ce qu’il me semble qu’un ministre ne devrai t pas oser dire. (2) Au reste, cet officier, qui est mon ancien camarade, est très capable de faire des actes de volonté quand ils seront bons à quelque chose, mais il est impossible que jouissait paisiblement en France de mon emploi et de mes appointements, tandis que vous avez souffert que je fusse faire la guerre en Amérique à mes dépens. Demande. En rapprochant ces diverses circonstances, j’espère, Monsieur le maréchal, qu’elles vous détermineront à me rendre mon emploi ou à me donner la récompense de mes services. Chevalier Laborie. Cette demande n’eut aucun succès, et je restai définitivement sans emploi et sans aucune sorte de récompense. Je range, parmi mes services, le bulletin de l’acte de volonté des chasseurs du régiment d’Auvergne, dont je faisais partie et qui sauva, à Glostercamp, un corps de 25,000 hommes, dont j’ai fait autrefois honneur à d’Assas seul, connu depuis, sous le nom honorable de Curtius François; et en même temps, pour former la demande de la récompense de cet acte de valeur qu’on a laissé dans l’oubli. M. le maréchal de Broglie détacha, en octobre 1760, de l’armée qui était en Hesse, un corps de 25,000 hommes pour secourir Vesel, qui était assiégé par M. le prince héréditaire de Brunswick. Le régiment d’Auvergne brisait partie de ce corps qui arriva le 15 à Rheinberg où il campa; la droite appuyée à celte ville, la ganche au village de Campenbruck et son front couvert par le canal de Gleves. Dès que le camp fut établi, nous fûmes, les 8 officiers de chasseurs du régiment d’Auvergne, en parcourir le front et nous jugeâmes, à la distribution des postes avancés, que nous serions surpris, si les ennemis marchaient sur nous, ainsi que tout l’annonçait. En effet, nous venions de faire le long trajet de Gassel à Rheinberg par des marches forcées qui se prolongeaient fort avant dans la nuit, à travers un pays où nous avions manqué de tout, par une pluie continuelle, dans des chemins mal faits, chargés de boue, et partout dégradés par des torrents qui ajoutaient a la fatigue le danger de les passer. Plusieurs régiments d’infanterie, presque toute la cavalerie et l’artillerie eu entier nous manquaient et ne pouvaient arriver que le lendemain. Il manquait aussi, aux régiments campés, beaucoup de soldats, que l’excessive fatigue avait forcés d’être en retard. Nous jugeâmes donc que les ennemis qui campaient en avant de Burick profiteraient de ce moment de désordre pour nous attaquer, et que dans l’espoir de nous surprendre, ils marcheraient à nous dans la nuit. Pleins de cette idée, nous cherchâmes un poste sur le chemin de Campenbruck à Glostercamp, où nous jugeâmes que les ennemis seraient forcés de passer s’iis venaient à nous, et que nous résolûmes d’aller occuper au premier iodice de leur marche. Ce poste reconnu, nous rentrâmes au camp et formâmes le projet de nous reposer jusqu’à 11 heures, de souper jusqu’à minuit et de prolonger notre repas jusqu’à l’apparition des eu-oemis. nos lourdes têtes ministérielles ne portent partout le dégoût et l'ennui. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 mai 1791.) $71 Ce fat à 4 heures du 16 au matin que nous entendîmes, dans un grand éloignement, un seul cri d’alarme... A l’instant nous courûmes à n s troupes -et les rassemblâmes à la gauche du régiment. Notre marche donna l’éveil au camp, et dan3 l’instant tout fut en armes. A peine fûmes-nous réunis qu’il vint du village de Compenbruck, où logeaient nos officiers généraux et officiers supérieurs, l’ordre de faire rentrer tout le monde, en ajoutant que l’alarme était fausse. A coup sûr on pouvait dire aux soldats de se reposer sans inquiétude. À cet ordre, tout le monde rentra donc, hors nous qui nous mîmes en marche pour aller occuper notre poste. M. de Langa, commandant de bataillon aux ordres de qui était le régiment, en l’absence de nos chefs, nous dit que, l’ordre étant général, il fallait aussi rentrer. Nous répondîmes à cet officier que si nous voulions en croire nos généraux, on nous couperait les oreilles dans nos lits; que, malgré leur ordre, nous allions occuper un poste que, nous avions reconnu la veille en avant du village, où nous espérions devancer les ennemis. Cet officier pensait sur cela comme nous et n’insista pas. Nos grenadiers surent bientôt le parti que nous avions pris, et nous suivirent de très près. L’instant après que nous fûmes rendus à notre poste, nous entendîmes le bruit sourd, et très sensible durant le silence de la nuit, d’une troupe en marche. A cet indice, nous tirâmes quelques coups de fusil dirigés vers cette troupe suspecte, qui riposta. En même temps s’éleva, du côté des ennemis, une voix qui dit avec beaucoup de véhémence: « Il faut être bien lâches pour se détruire ainsi entre amis, et ne vous avons-nous pas déjà dit que nous étions Français » ..... Sur cette plainte, et dans la crainte de nous être mépris, nous fîmes cesser le feu. Dans l’incertitude où nous restions, j’approchai de mon frère pour lui observer combien il était imprudent de laisser venir cette troupe sur nous, qu’il fallait, au moment même, la sommer d’arrêter où elle était. Dans ce même instant, j’aperçus, malgré l'extrême obscurité, le brillant des plaques de cuivre dont étaient recouverts les bonnets des grenadiers anglais qui formaient la tête de la colonne. J’en fis l’observation à mon frère, qui dit : « Il n’y a plus à en douter, ce sont les ennemis. Vite à nos postes! » Et s’adressant à sa troupe, il dit : « Chasseurs, ce sont les ennemis; tenons ferme. Ce fut donc alors que d’Assas, qui s’était porté, ainsi que nous, à huit ou dix pas en avant de sa troupe fut saisi par les Ecossais, qui le sommèrent de se rendre, en lui signifiant que sa vie dépendait d’un seul mot prononcé. A cette terrible menace, d’Assas se retourne vers sa troupe et crie : « Chasseurs, ce sont les ennemis! » et tombe mort. Le commandant de la troupe ennemie avança aussitôt vers nous et dit : Grenadiers d’Auvergne, rendez-vous; ou ne vous fera pas de mal. » Cette sommation fut le signal du combat; à l’instant nous chargeâmes à la baïonnette. Alors commença donc un combat de 12,000 Contre 400, et la valeur suppléa si bien le nombre, que, dans un poste qui n’avait rien d’avantageux nous arrêtâmes les ennemis pendant une heure et demie. Enfin, nous fûmes secondés par les troupes campées, et le lieu de la première rencontre devint ainsi le champ de bataille. L’action du courageux d’Assas fut ignorée même du régiment d’Auvergne jusqu’en 1766. Il n’était resté, après la bataille de Clostercamp. que deux chasseurs de sa compagnie et moi qni eussions entendu le cri de leur capitaine, et ces deux chasseurs périrent pendant la guerre ; je fus donc le seul qui en conservait le souvenir par le bulletin que j’ai transcrit... Les garants de ce bulletin sont, et le cri de d’Assas que j’avais entendu, et la narration d’un Ecossais, prisonnier, que je rencontrai à l’hôpital de Dus-eldorf, ui était au nombre de ceux qui avaient sommé ’Assas de se rendre. Ce ne fut donc qu’en 1766, et lorsque M. de Roussel nous demanda des notes pour servir à l’histoire du régiment, qu’il avait entreprise, que je fournis ce trait. Quelque temps après, je mandai à M. de Voltaire à peu près ce qu’on vient de lire, eu le priant de faire connaître l’action de valeur de d’Assas. C' thiimme c lèbre i’aen effet éternisé depuis, en le modifiant à sa façon; sur cela, les Parisiens ont fait une gravure, avec l’inscription duCurtius français, quoique, même selon M. de Voltaire, ce trait n’ait aucun rapport au dévouement fanatique et ridicule de ce Romain. Il en avait un plus immédiat au dévouement patriotique et éclairé de Décius, qui ranima le courage de l’armée romaine, qui commençait à fuir, et changea, par sa mort honorable, une défaite en victoire. Quoi qu’il en soit, tout cela a concouru à remplir mou objet qui était de faire éclater cette affaire. Voici quel fut l’événement de ce combat mémorable : sur les 8 officiers de chasseurs, 3 restèrent sur le champ de bataille, et les 5 autres furent gravement blessés; je fus le plus épargné de tous, et je reçus 3 coups de feu, plus de la moitié de nos chasseurs furent jetés raides, et il n’y en eut presque pas qui ne fussent blessés; en général, notre perte lut évaluée à plus des 9 dixièmes. Cette intrépide résistance fut particulièrement due à la précaution que nous eûmes en arrivant à notre poste, de jurer et faire jurer à nos chasseurs que pas un de nous ne le céderait aux ennemis, tant qu’il lui resterait un souffle de vie. bientôt ce rude combat fut connu de l’armée entière; partout on y énumérait avec enthousiasme les particularités qui le distinguaient, on y répétait unanimement que c’était une des plus vigoureuses actions connues dans 1 histoire, et fait pour honorer même la nation française : On admirait à la fois cette sage prévoyance de cher cher un poste en avant de Gampenbruck, et cette louable résolution de passer encore une nuit, quoique exténués de fatigue, et ce serment terrible, si bien justifié par cette inébranlable fermeté à conserver notre poste; et surtout enfin à la détermination de cotte audacieuse charge d’un petit oombre qui força cette redoutable colonne de s’éloigner, et à laquelle fut certainement dû le salut de l’armée et le gain de la bataille, puis-qu’en même temps que nous arrêtâmes le3 ennemis, nous conservâmes le village de Gampenbruck dont tout dépendait... Mais il n’en fut pas de même à Versailles; là, l’intérêt particulier enveloppa notre conduite avec celle de tdutes les troupes qui donnèrent, pour en conclure que c’értnit à ceux qui les commandaient qu’appartenait la gloire de cette journée, quoique cependant il soit bien certain qu’il n’y eut ni dispositions faites, ni positions prises, ni manœuvres ordonnées, et qu’elle fut uniquement due à la très grande valeur des troupes, mais qui cependant combattirent en même temps dans uu grand dé- K7f [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1791.] désordre, Alsace seul combattit avec ordre et valeur... Quoi qu’il eu soit, dans l’exposé qui fut fait au ministre, il ne fut aucunement question de nous, et nous fûmes totalement oubliés par ceux qui nous devaient tout, et qui eurent la basse adresse de se parer d’une gloire qui ne leur appartenait pas : Bnfin, il ne nous reste pour toute récompense que le souvenir honorable de de les avoir mérités. Ici je fais la supplication à Monseigneur le président de l’Assemblée nationale, de se faire autoriser par nos seigneurs les représentants de cette nation aussi généreuse qu’amie de la gloire, à apostiller avantageusement la demande que je prie le ministre de la guerre de faire au roi, qui est: d’autoriser les femmes des 4 officiers ci-dessus nommés qui sont et qui pourraient être mariés, de se décorer d’une croix de Saint-Louis. Ces officiers sont : Le chevalier de Spens, maréchal de camp ; Le chevalier de Luborie, lieutenant-colonel, non marié et hors d’âge; De Bazignan, lieutenant de roi de Ham, marié; De Bordenave, capitaine retiré, non marié. J’offre de faire constater le contenu de ce bulletin par des témoins irrécusables... Quant à ce que cette demande paraît tardive, on doit penser combien il eût été inutile et même imprudent, à des subalternes, accoutumés à tout tenir de la bonté des grands, de former, avant cette époque-ci, une demande qui eut clairement démenti ces traits de vaillance, exagérés ou chimériques auxquels cependant plusieurs de nos hauts personnages durent leur avancement. En effet, notre général fut fait prisonnier avant le combat, et quoique sa captivité fut ignorée et personne n’eût donné des ordres en son absence, elle ne fit pas moins, dans la suite que naître l’idée à tous ces hauts personnages de s’attribuer la plus grande part possible du succès de cette journée ; et il arriva même de cette concurrence d’artificieuses prétentions débattues parla seule jactance, que les plus menteurs furent les mieux récompensés. On voit donc que, forcés, par l’exposé de notre demande, de découvrir tout ce tripotage avilissant, nous nous serions attirés de très mauvaises affaires, sans aucun espoir de succès. Il faut connaître le ton des bureaux pour bien juger cela; il faut connaître quelle forme est établie pour la distribution des récompenses de la classe subalterne; il faut savoir que rien ne lui parvient sans la protection des gens remarquables; il faut savoir que cette protection ne s’accorde jamais à ceux qui servent bien l’Etat, mais bien à ceux qui s'avilissent à leur gré ; et qu’on ne peut mesurer le droit qu'on veut y avoir, que par le degré de bassesses que l’on montre, etc., etc. Quoique dans la demande que je fais, il ne soit question que des officiers de chasseurs, j’espère que l’Assemblée nationale voudra bien ordonner que le petit nombre qui reste des 4G0 qui partagèrent les dangers, soient également récompensés par quelque distinction honorable, car il est certain que le plus grand mérite de cet événement consiste dans l’intrépidité des combattants et ce mérite fut commun. Voici les motifs qui m’ont déterminé à mettre dans cette lainte le détail des injustices de M. le maréchal e Castries, quoique étrangers à ma supplication à l’Assemblée nationale. 1° Afin de montrer par quel événement je me trouve sans emploi et sans traitement après avoir passé ma vie à servir, ce qui laisse un soupçon injurieux sur mon compte ; 2° pour apprendre aux officiers d’infanterie qu’on a laissé parmi eux 3 personnes indignes d'être leurs camarades... J’enverrai pour cela un exemplaire de cette plainte à chaque régiment. RÉSUMÉ des objets de cette plainte sur lesquels ü m'a paru que V Assemblée nationale seule a droit de prononcer. Je la supplie, en conséquence, de vouloir bien ordonner : 1* Que le dédommagement de 2,000 écus demandé par les gens du roi sur le Trésor public en raison de l’injustice de M. de Castries, me soit donné sur le compte de ce maréchal de France, puisqu’il est évident qu’il me fait un vol manifeste en me laissant sans emploi et sans traitement, c’est-à-dire en me réduisant à n’avoir plus rien dans le monde, pour subsister, alors même u’il jouissait de 5 à 600,000 livres de bienfaits u roi ; 2° Que M. de La Luzerne soit exactement recherché sur ses basses inculpations à mon égard, afin qu’il soit puni comme fourbe et calomniateur, s’il ne peut les justifier; 3° Que l'Assemblée nationale ordonne des informations relatives au protégé de M. de La Fayette, à qui M. de La Luzerne a donné le gouvernement de Sainte-Lucie, afin qu’il soit déplacé, s’il est prouvé qu’il n’a pas droit à cette place par ses services, ou qu’on découvre qu’il a été renvoyé du régiment où il servait en France. Il est bon que les ministres apprennent que, sous les yeux de l’Assemblée nationale, les récompenses seront réparties à ceux qui les auront méritées ; 4° Enfin qu’elle veuille bien faire faire des recherches sur le dévouement des 400 de Gloster-camp, afin que l’on tire de l’oubli cette ferme résolution de tous périr dans une occasion, où tout annonçait qu’elle serait suivie de l’événement qui a éternisé les 300 des Thermopyles. Il est certain que la conformité de ces 2 traits les doit faire marcher ensemble dans l’histoire, si l’Assemblée daigne s’occuper de ma demande. Il est évident que si les grandes occupations de l’Assemblée nationale ne lui permettent pas de s’occuper des objets que je la supplie de prendre en considération, alors, je resterai la victime de M. de La Luzerne. Cependant, cet état d’oppression ne pouvant se concilier avec celui de liberté, que nous cherchons, alors l’Assemblée nationale se trouverait forcée de porter un décret par lequel elle nous autoriserait à nous rendre nous-mêmes la justice que la loi nous refuse. Mais non : j’oublie que j’ai pour garant de sa protection la désobéissance du ministre aux ordres du roi, et sa résistance à l’avis du comité des rapports. Certainement elle ne permettra pas que ces deux graves autorités deviennent nulles pour moi. Il est certain que celui qui est opprimé par un minisire, ne peut avoir raison de l’abus de son autorité que par l’Assemblée nationale. Voici, du moins, selon moi, comment il paraît impossible de créer un tribunal pour juger les ministres, et comment ce droit paraît appartenir directement à la nation ou à ses représentants. 11 est constant que le gouvernement ne forme qu’un individu, un seul être moral qui n’a de supérieur que la nation. Or, si vous créez un tribunal pour juger les ministres, ce tribunal aura une autorité supé- [Axsembléa national©-! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1T91.J 573 rieare à celle de la personne morale du gouvernement, ce qui eet impossible, ou bien il faudrait rompre ruuité de cette personne morale, et faire du roi et de ses ministres des êtres distincts, ce qui est absurde, ou bien enfin, on tomberait dans Pinçon vénient des gouvernements mixtes, qui meurent bientôt avec la liberté. On m’a objecté à cela la responsabilité des ministres, et ou dit que puisqu’ils sout responsables, ils doivent être jugés. Mais ne sent-on pas que la responsabilité ne peut être qu’une loi provisoire pour arrêter les abus, en attendant le nouveau plan de gouvernement que nécessite notre nouvelle législation; car il ne serait pas plus sage d’adapter l’ancien gouvernement à nos nouvelles lois fondamentales, que de vouloir que l’habit d’un enfant lui servît encore dans l’âge de la maturité. La responsabilité ne prouve donc rien. Eolin, à mesure qu’on approfondit cette question, on est toujours plus convaincu que le seul juge du gouvernement est la nation... C’est ainsi ue cela se pratiquait chez les Germains... L’amour e la liberté et l’énergie de ce peuple nous assurent que nous ne nous conduirons pas indiscrètement en l’imitant. DEUXIÈME ANNEXE À LA SÉANCE DE L’ ASSEMBLÉE NATIONALE DU MERCREDI 4 MAI 1791. PRÉCIS HISTORIQUE sur les désordres arrivés à Nîmes (présenté à l’Assemblée nationale par le ministre de la justice). Il y a près d’un an que quelques boute feux établis à Nîmes n’épargnent rien pour y semer la division et pour arrêter le cours de la Révolution; la religion leur en a fourni le prétexte et le moyen. Nimes renferme 54,000 âmes et les protestants y font le quart de cette députation, selon le calcul même des chanoiûes, dans leur mémoire en faveur de la religion. On a répandu dans cette ville des écrits incendiaires et qui invitaient au massacre. On a fait des processions et des visites à une croix, célèbre par ses miracles, placée à deux lieux de la ville. Dès le mois d’août dernier, après que les citoyens des deux religions eurent formé des compagnies où ils étaient indistinctement confondus, quelques séditieux formèrent des compagnies toutes catholiques et forcèrent le comité permanent de les accepter. Ce fut le levain de Ja division et l’on en a excité la fermentation dangereuse. Ces compagnies, dirigées par des prêtres et des ex-jésuites, avaieat d’abord arboré la croix à leurs chapeaux. On vit que c’était trop se démasquer, on la leur fit ôter. Mais les conventicules, les conférences nocturnes, la correspondance des boute-feux avec d’autres personnes, d’autres villes du Languedoc entretenaient l’animosité que l’on se proposait de conduire jusqu’à une rupture ouverte. Quand le temps de former la municipalité fut venu, les boute-feux n’épargnèrent rien pour empêcher les protestants d’y entrer. Ils feignirent de redouter la supériorité de ceux-ci, qu’ils conviennent n’être que le quart des habitants ; ils formèrent des assemblées chez des prêtres. Les pénitents et les congrégations, dont cette ville est remplie, s’engagèrent par serment de ne donner leur voix à aucun protestant. Ces moyens ne suffisaient pas, parce que les protestants ne sont pas seuls patriotes dans cette ville, et qu’il fallait remplir la municipalité d’antipatriotes. On réunit à la communauté de Nîmes cinq villages qui en font la banlieue et ui auraient dû faire des communautés séparées. n prépara des listes; on inonda les sections d’habitauts de la campagne; on pratiqua des moyens d’adresse et de violence pour former la municipalité comme on le désirait; elle le fut selon les listes. Des intérêts particuliers et de vieilles haines avaient dirigé les choix. M. de Marguerittes, député à l’Assemblée nationale, fut élu maire. C’était ce même M. de Marguerittes qui avait été mal vu dans son pays, parce que, ayant le mandat de voter par tête, il n’avait point passé à l’Assemblée nationale avec la minorité de la noblesse. Il demanda congé à l’Assemblée nationale pour aller passersix semaines dans sa ville, prendre sa place etjonirde sontriompne : c’était le 6 mars. Il aurait dû être de retour le 18 avril ; mais il écrivit à l’Assemblée nationale pour demander une prolongation de trois semaines; elle ne l’accorda pas : c’était un refus, et M. le maire y est encore. Le jour où le maire et les officiers municipaux devaient prêter sprment, on le fit avec pompe non pas dans l’hôlel-de-ville, mais dans une place hors de la ville, toutes les compagnies de la légion étant sous les armes. Plusieurs, et c’étaient des catholiques, s’étaient armés de fourches fabriquées exprès, dont on devait armer les catholiques de Nimes, d’Uzès et d’Alais. Le commandant, qui les avait défendues, voulut les faire poser, il fut insulté; il voulut donner sa démission. Ce fait devint la cause d’un tumulte dont la religion fut le prétexte. En effet, le lendemain, à l’ordre, le3 sergents ayant fait des reproches à un de ces sergents à fourche, de ce qu’il avait désobéi en la portant, il répondit que M. le maire le lui avait permis. On lui dit que cela n’était pas vrai. Un des sergents, tonnelier de son métier, malheureusement protestant et, comme les séd tieux les appellent, Gorge-noire , le prit au collet et lui dit : Allons chez M. le maire pour savoir si cela est vrai. Ou l'y mena. M. le maire dit qu’il ne lui avait pas permis et il le condamna, pour punition, à une ..... demi-heure de prison. Get homme sorti, il se forma un attroupement composé de ses amis. Ils se rendirent, sur les 11 heures du soir, chez le tonnelier avec une potence. Celui-ci se sauva par les derrières de sa maison. Les femmes donnèrent l’alarme dans le q artier, l’attroupement se dissipa cour aller se réunir sur une place voisine. Là il attendit les personnes qui se retiraient. 11 laissait passer les catholiques; il battait les protestants. Deux hommes furent grièvement battus et deux autres blessés dangereusement, un d’entre eux d’un coup de couteau. La municipalité n’en tint aucun compte et ne fit ni recherches ni proclamation. C’est de ces assassinats qu’a sans doute voulu parler l’auteur du Nouveau Complot découvert . Il s sont antérieurs et non nostérieurs à la nomination de M. Rabaut-Saint-Etiem.e à la présidence. Il a été mal instruit en cela, mais les assassinats n’en sont pas moins vrais; ce n’en est pas moins la religion qui en a été le prétexte, puisque les assassi u s laissaient passer les catholiques et mal-