[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1790]. 660 qui soutient l’innocence. Un décret de l’Assemblée nationale pourrait détruire les dangers de notre situation, et empêcher un incendie qui embraserait bientôt toute la France. » (Ges deux lettres sont renvoyées au comité des rapports.) L'ordre du jour est la suite de la discussion sur V ordre judiciaire. M. le Président. Dans la séance du 8 mai l’Assemblée nationale s’est arrêtée à la question relative au tribunal de cassation ou de grands juges. M. Barère de Vienzac. Messieurs, avant de discuter la question au fond, sur un sujet complexe, il me paraît nécessaire de l’analyser et de le diviser. Quand il s’agit de statuer sur la forme d’une cour judiciaire, il faut connaître les fonctions qu’elle doit remplir, car c’est delà nature des fonctions que dépendra votre jugement sur la forme sédentaire ou ambulante. Ainsi l’on demanderait : y aura-t-il une Cour de cassation et quelles fonctions lui seront attribuées? vient ensuite la question de la forme que vous donnerez à cette cour. Ainsi l’on discutera si elle sera entièrement sédentaire ou entièrement ambulante. Vous examinerez ensuite si des magistrats qui doivent non pas juger, mais prononcer s’il y a jugement et par état sont obligés de connaître le droit public et le droit privé de tout le royaume et maintenir l’esprit uniforme et général de la Constitution et des lois, seront élus à temps ou pour la vie. Il vous restera encore la grande question de savoir si c’est au peuple seul, ou au roi seul, ou par le concours de tous les deux, que les magistrats doivent être choisis. Car vous n’oublierez pas que les magistrats de cassation ne sont pas des juges ; qu’ils ne font que prononcer s’il y a ou non jugement; mais dans tous les cas, il ne faut plus se servir du mot de révision , mais de cassation. Je propose donc de décider avant toute chose que les questions seront posées en ces termes : 1° Quelles seront lesfonctions de la cour de cassation ? 2° Sera-t-elle sédentaire ou divisée en sections, pour exercer ses fonctions dans les départements? 3° Ses membres seront-ils perpétuels ou temporaires ? 4° Seront-ils nommés par le peuple ou par le roi ? M. Merlin. Je crois qu’il y a utilitéà nesepas départir de la série des questions déjà décrétées et à continuer la délibération commencée le 8 mai sur les deux questions suivantes : 1° Y aura-t-il un tribunal de cassation ou de grands juges? 2° Sera-t-il composé de juges sédentaires ou ambulants ? Je demande le maintien de cet ordre de discussion. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide que l’ordre de discussion précédemment adopté sera maintenu. M. Briois de Beaumelz. Messieurs, avant de décider si oui ou non, vous instituerez un tribunal de cassation, il convient de décider préalablement si les jugements rendus en dernier ressort seront susceptibles de cassation; car si ces jugements étaient définitifs, le tribunal de cassation n’aurait aucune raison d’être. M.IieChapelier.La justesse de l’observation qui vous est soumise la rend irréfutable. Je propose donc de mettre la question aux voix en ces termes : « Les jugements en dernier ressort pourront-ils être attaqués par la voie de la cassation, oui ou non ? » (L’Assemblée décrète que les jugements en dernier ressort pourront être attaqués par la voie de la cassation.) M. le Président met en discussion la question suivante: Les juges du tribunal de cassation seront-ils sédentaires ou ambulants ? M. Merlin (1). Messieurs, j’ai envisagé, sous tous ses rapports, la question importante qui vous occupe, et, sous tous ses rapports, elle m’a paru devoir être décidée en faveur de la résidence du tribunal de cassation. Mon opinion à cet égard ne peut pas être suspecte de partialité ; car, demeurant en province, j’aurais peut-être quelque intérêt particulier à ce que l’ambulance de ce tribunal fut décrétée ; mais l’intérêt de la nation, l’intérêt de la justice, l’intérêt des justiciables eux-mêmes, sont à mes yeux d’une toute autre considération, et ce sont ces grands intérêts que je crois défendre, en soutenant, en prouvant que le tribunal de cassation doit être sédentaire. Je reprends ces trois points : intérêt de la nation, intérêt de la justice, intérêt des justiciables. L’intérêt de la nation est certainement d’être une, et par conséquent de multiplier, de fortifier tous les moyens propres à lui assurer cette unité, comme de détruire ou d’écarter tout ce qui serait capable de la troubler, de l’altérer. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez aboli ces privilèges qui, distinguant les provinces les unes des autres, semblaient en faire des Etats fédératifs, plutôt que des parties homogènes d’un grand tout, d’un tout vraiment national. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez concentré dans un seul corps, dans le Corps législatif, le droit de faire les lois, mêmes locales, dont chaque province, chaque ville, chaque bourgade peut avoir besoin. C’est dans cette vue sage et politique que vous avez réservé à ce même Corps le droit exclusif d’établir des impôts, et que vous avez cru devoir ôter aux provinces, ci-devant constituées en Etats, le pouvoir qu’elles avaient de s’imposer elles-mêmes pour leurs besoins particuliers. Pour tout dire, en un mot, c’est dans cette vue sage et politique que, fidèles organes de la volonté nationale, vous avez déclaré que le gouvernement français est monarchique, que letrône est indivisible et que le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du monarque. Toutes ces dispositions tendent évidemment au même but, celui d’unir toutes les parties de l’empire par un lien commun, de rassembler comme dans un foyer toutes leurs forces et de donner à tous leurs mouvements un seul et unique point central. Mais, j’oserai le dire, si ce but important au maintien de la Constitution, ce grand but est (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Merlin.