130 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.1 de l’impôt, pour le recouvrement duquel plusieurs d’entre eux se sont chargés d’assister personnellement les préposés de la régie; de plus, les citoyens dlssoudun annoncent qu’ils se dépouillent de leurs boucles d’argent, lesquelles, jointes à quelques autres objets, font un montant d’environ 115 marcs; qu’enfin ils remplacent pour le moment leurs boucles d’argent par des boucles de cuivre, afin de donner un plus grand débit aux manufactures du royaume. M. le Président. L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’assurance des sentiments patriotiques delà ville d’Issoudun et le témoignage de son zèle pour le soulagement des besoins de l’Etat. Elle vous permet d’assister à la séance. M. d’Ailly, député de Chaumont. L’exemple donné par les citoyens d’Issoudun ne doit pas être perdu; je fais le don de mes boucles et j’invite mes collègues de l’Assemblée à agir de même. M. Hairac. La ville de Bordeaux a déjà donné l’exemple qu’on nous propose aujourd’hui et si cette résolution devient générale, elle produira au moins 120 millions. L’Assemblée accueille la proposition deM. d’Ailly, par acclamation et décide que ses membres porteront des boucles de cuivre. MM. les députés suppléants, présents à l’Assemblée, prient M. le président de leur permettre de faire le même don patriotique, ce qui est agréé. M. Lesure , député de Sainte-Mène hould , a annoncé, au nom des officiers du bailliage, du corps municipal et des citoyens de la ville de Sainte-Ménéhould leur reconnaissance et leur respect, l’adhésion la plus entière et la plus formelle à tous ses décrets, et la plus ferme résolution d’en maintenir l’exécution; il a demandé la conservation de son siège royal , et a offert, au nom du comité patriotique de la ville de Sainte-Ménéhould, la somme de 3,296 liv. 19 s. 9 d. provenant deslibéralités de toutes les classes de citoyens ; il a demandé de plus, que l’état annexé à l’adresse, soit imprimé, avec la liste des dons patriotiques, ainsi que la lettre de M. Cbamisso de Villé ; ce qui a été agréé. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du mémoire du ministre des finances pour convertir la caisse d'escompte en banque nationale , sous la garantie de la nation. Quelqu’un demande-t-il la parole? (Un grand silence se fait dans l’Assemblée. — Les orateurs semblent hésiter devant l’importance de la question.) M. le comte de Custine. J’ai à soumettre à l’Assemblée quelques considérations sur le plan du premier ministre des finances et un plan de banque nationale, mais il n’y a pas lieu de les produire à la tribune. Je les ferai imprimer et distribuer. (Voy. ces documents annexés à la séance.) M. le Président répète sa question : Quelqu’un réclame-t-il la parole ? M. le comte de Mirabeau, entrant dans la salle. Je suis prêt à parler. (Un grand silence se fait dans l’Assemblée.) M. le comte de Mirabeau. Messieurs, lorsque sur un établissement aussi important que la caisse d’escompte, on s’est expliqué comme je l’ai fait dans deux motions; lorsque l’une et l’autre de ces motions offrent des résultats infiniment graves et entièrement décisifs, surtout pour un peuple dont les représentants ont, en son nom, juré foi et loyauté aux créanciers publics; lorsqu’on n’a été contredit que par de misérables libelles, ou des éloges absurdes, si ce n’est perfides, des opérations de la caisse d’escompte ; lorsqu’ enfin une fatale expérience manifeste mieux tous les jours, combien sontcoupables les moyens extérieurs par lesquels mes représentations ont été jusqu’ici rendues inutiles, il ne reste peut-être qu’à garder le silence, et je l’avais résolu. Mais le plan qu’on nous apporte s’adapte si peu à nos besoins; les dispositions qu’il renferme sont si contraires à son but ; l’effroi qu’il inspire à ceux-là mêmes qu’il veut sauver est un phénomène si nouveau ; les deux classes d’hommes que l’on s’attend si peu à rencontrer dans les mêmes principes, les agioteurs et les propriétaires, les financiers et les citoyens, le repoussent tellement à l’envi , qu’il importe avant tout de fixer les principes, et de chercher au milieu des passions et des alarmes, l’immuable vérité. Je me propose de démontrer, non-seulement les dangers d’une opération qui n’a aucun vrai partisans, mais la futilité de cette objection ban-nale dont on harcelle depuis quelques jours les esprits timides, ou les hommes peu instruits. Si l’on ne relève pas la caisse d’escompte, on n’a RIEN A METTRE A LA PLACE. M. Necker est venu nous déclarer que les finances de l’Etat ont un besoin pressant de 170 millions. Il nous annonce que les objets sur lesquels le Trésor royal peut les assigner d’après nos décrets, sont assujettis à une rentrée lente et incertaine ; qu’il faut, par conséquent, user de quelque moyen extraordinaire, qui mette incessamment dans ses mains la représentation de ces 170 millions. Voilà, si nous en croyons le ministre, ce qui nous commande impérieusement de transformer la caisse d’escompte en une Banque nationale, et d’accorder la garantie de la nation aux transactions que cette banque sera destinée à consommer. Cependant, si nous trouvions convenable de créer une Banque nationale, pourrions-nous faire un choix plus imprudent, plus contradictoire avec nos plus beaux décrets, moins propre à déterminer la confiance publique, qu’en fondant cette banque sur la caisse d’escompte ? Et quel don la caisse d’escompte offre-t-elle en échange des sacrifices immenses qu’on nous demande pour elle?... Aucun... Nous avons besoin de numéraire et de crédit : pour que la caisse, puisse nous aider dans l’un ou l’autre de ces besoins, il faut que le crédit de la nation fasse pour la Banque ce qu’il a paru au ministre que la nation ne pourrait pas faire pour elle-même. Oui, Messieurs , par le contrat que M. Necker nous propose de passer avec la caisse d’escompte, la ressource que la Banque nous offrirait porte tout entière sur une supposition qui détruit nécessairement celle dont le ministre a fait la base de son mémoire. Si la nation ne méritait pas encore aujourd’hui un très-grand crédit, nulle espèce de succès ne pourrait accompagner les mesures que ce mémoire développe. En effet, M. Necker nous’propose, pour suppléer à la lenteur des recettes sur lesquelles le Trésor [20 novembre 1789.] [Assemblée nationale,] royal a compté, de lui faire prêter par la ban-' que nationale 170 millions en billets de banque. Mais quelle sera la contre-valeur de ces billets ? où se trouveront les fonds représentatifs de cette somme ? 1° Vous créerez un receveur extraordinaire. 2° Vous ferez verser dans la caisse les fonds qui proviendront soit de la contribution patriotique , soit des biens-fonds du domaine royal et du clergé, dont la revente serait déterminée, soit enfin delà partie des droits attachés à ces deux propriétés, et dont! aliénation et le rachat seraient pareillement prescrits. 3° Le Trésor royal fournirait sur ces objets des rescriptions en échange des 170 millions de billets. 4° Elles seraient livrées à raison de dix millions par mois, à commencer de janvier 1791, jusqu’en mai 1792. Et quel serait, dans la circulation, le passeport de ces billets de banque, le motif de la confiance que la capitale et les provinces pourraient placer dans l’usage de ce papier? Le crédit de la nation. Un décret spécial de votre part, sanctionné par le Roi, la rendrait caution de ces billets. Ils seraient revêtus d'un timbre aux armes de France, ayant pour légende ces mots : GARANTIE NATIONALE. Respirons, Messieurs : tout n’est pas perdu ; M. Necker n’a pas désespéré du crédit de la France. Vons le voyez ; dans treize mois le nouveau receveur extraordinaire sera en état, par les divers objets que vous assignerez à sa caisse, d’acquitter de mois en mois, les rescriptions que le Trésor royal aura fournies sur lui à la Banque nationale en échange des 170 millions qu’elle lui aura livrés en billets. C’est donc nous qui nous confierons à nous-mêmes les soit-disant billets. Uniquement fondée sur notre crédit, la Banque daignera nous rendre le service essentiel de nous prêter sur le nantissement de nos rescriptions, les mêmes billets auxquels notre timbre aura donné la vie et le mouvement. Nous érigerons donc en Banque nationale privilégiée une caisse d’escompte que quatre arrêts de surséance ont irrévocablement flétrie ; nous garantirons ses engagements (et je montrerai bientôt jusqu’où va cette garantie) ; nous laisserons étendre sur le royaume entier ses racines parasites et voraces. Nous avons aboli les privilèges, et nous en créerons un en sa faveur, du genre le moins nécessaire. Nous lui livrerons nos recettes, notre commerce, notre industrie, notre argent, nos dépôts judiciaires, notre crédit public et particulier ; — nous ferons plus encore, tant nous craindrons de ne pas être assez généreux: nous avons partagé le royaume en quatre-vingts départements, nous les vivifions par le régime le plus sage et le plus fécond que l’esprit humain ait pu concevoir (les assemblées provinciales) ; mais, comme si l’argent et le crédit n’étaient pas nécessaires partout à l’industrie, nous rendrons impossibles à chaque province les secours d’une banque locale qui soit, avec son commerce ou ses manufactures, dans un rapport aussi immédiat que son administration. Car enfin, Messieurs, le privilège de la nouvelle Banque fût-il limité à la capitale (ce qu’on ne nous dit pas), quelle banque particulière subsisterait ou tenterait de s’établir à côté de celle qui verserait dans la circulation des billets garantis par la société entière? Tels sont les points de vue généraux sous lesquels se présente le contrat que M. Necker nous 131 propose de passer avec la caisse d’escompte. Et quelle urgente nécessité nous entraîne donc à de telles résolutions? Je le répète: la nécessité d’attendre une année pour commencer à percevoir 170 millions, dont la recette sera complétée 17 mois après. Représentons-nous, Messieurs, un prince ennemi nous dictant ces mêmes lois, et se croyant sûr de nous y soumettre, parce que, faute de 170 millions, nous ne pouvons pas mettre en mouvement nos armées. Avec quel méprisant sourire nous repousserions ce lâche traité, et néanmoins nous épargnerions du sang en l’acceptant ! Grâce au ciel, la caisse d’escompte ne nous obligera pas à en répandre : nous pouvons lui résister à moin de frais; nous n’avons à combattre que de vains fantômes, que de frêles sophismes; car n’oubliez pas, Messieurs, que la Banque proposée porte sur notre crédit, et notre crédit sur des recettes désignées: en sorte que si l’opinion publique n’embrassait pas ces espérances eomme des réalités, la caisse d’escompte n’y suppléerait point, et cet échafaudage s’écroulerait de lui-même. Osons, Messieurs, osons sentir enfin que notre nation peut s’élever jusqu’à se passer, dans l’usage de son crédit, d’inutiles intermédiaires. Osons croire que toute économie qui provient de la vente qu’on nous fait de ce que nous donnons, n’est qu’un secret d’empirique. Osons nous persuader que, quelque bon marché qu’on nous fasse des ressources que nous créons pour ceux qui nous les vendent, nous pouvons prétendre à des expédients préférables, et conserver à nos provinces, à tous les sujets de l’empire, des facultés inappréciables dans le système d’une libre concurrence. Quel sera le fruit de ce facile courage? De vaines inquiétudes sur la nécessité d’exalter la caisse d’escompte, se dissiperont. La question que vous avez à décider se présentera sous son vrai point de vue; vous reconnaîtrez dès ce moment, que notre pénurie, notre discrédit actuels, ne justifieraient pas ces arrangements que le ministre ne nous propose qu’avec une extrême défiance. 11 se plaignait naguère de nos amendements à ses projets d’emprunts, et maintenant il nous conjure d'examiner, d’ approfondir par nous-mêmes l’importante question qui fait l’objet de son mémoire. Rapprochons ce langage de cette longue conspiration des administrateurs de la caisse d’escompte pour en étendre le domaine, et de la position critique où, jusqu’à ce jour, ils ont réussi trop souvent à mettre le ministère des finances: peut-être verrons-nous qu’il s’agit bien moins d’ériger une Banque nationale que de tentatives, exigées ou promises, pour obtenir de nous, s’il était posssible, des concessions que le ministre craindrait d’avoir à se reprocher. Et quelle réflexion fait-il lui-même sur le contrat qu’il nous propose? Ce moyen, nous dit-il, s’écarte des principes généraux d'administration , principes, ajoute-t-il, dont l'observation sévère m’a seule attaché, JUSQU’A PRÉSENT, au maniement des affaires publiques. Sommes-nous donc réduits à cette honteuse nécessité? Au moment même où nous nous occupons à restaurer l’empire, faut-il s'écarter des principes généraux d' administration! M. Necker nous déclare qu'il n’accepterait point que nous nous en rapportassions à lui par un sentiment de confiance... Eh bien l si nous n’acceptons pas de confiance, il faut donc voir , ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 132 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] si nous pouvons accepter de principe et d’honneur; il faut donc examiner scrupuleusement si la demande qu’on nous fait du manteau national pour couvrir la nudité de la caisse d’escompte n’est pas une surprise faite à la bonne foi du ministre, un calcul impolitique autant qu’immoral, dont on lui a déguisé la marche et les conséquences; une aggravation terrible de la décadence générale, pour des intérêts obscurs, faussement présentés îusqu’ici comme des mouvements de patriotisme. Entrons dans de plus grands détails. Qu’est-ce q ui fait le crédit des billets de banque ? La certitude qu’ils seront payés en argent, à présentation; toute autre doctrine est trompeuse. Le public laisse aux banques le soin de leurs combinaisons, et, en cela, il est très-sage. S’il ralentissait ses besoins par égard pour les fautes ou les convenances des banques, si l’on voulait qu’il modifiât ses demandes d’après les calculs sur lesquels le bénéfice des banques est fondé, on le mènerait où il ne veut pas aller, où il ne faut qu’il aille : il lui importe de ne pas confondre son intérêt avec celui de quelques particuliers. Si la Banque d’Angleterre a eu des moments de crise, elle a su les cacher ; jamais elle n’appela l’autorité à son secours pour en obtenir des délais ; jamais elle ne s’est tachée par des arrêts de surséance Pour que nous puissions retirer quelque avantage réel des billets que la Banque nationale nous prêterait sous notre timbre, il faudrait évidemment qu’elle pût attacher à ces billets l’opinion, qu’ils seront payés à présentation. Est-ce là ce que le ministre nous promet ? Non. Son mémoire ne fixe aucune époque où les payements en argent et à bureau ouvert pourraient être rétablis. Il faudrait donc que l’Assemblée nationale fît l’une de ces deux choses : Ou qu’elle prolongeât indéfiniment l’arrêt de surséance. — Je vous le demande, Messieurs, oserez-vous prononcer un semblable décret ? - Ou qu’elle déclarât que les billets de la Banque seraient payables a sa volonté, et non à celle du porteur. Ici revient cette question : Pour mettre DANS LA CIRCULATION DE SEMBLABLES BILLETS, EST-IL besoin d’une Banque nationale ? Je vois bien que le ministre espère qu’un moment viendra où les billets de banque pourraient être payés à bureau ouvert ; mais ce n’est qu’un espoir vague. Que d’efforts ne fait-il pas pour s’inspirer une confiance que sa raison combat encore 1 Examinons toutefois ce que nous pouvons espérer. M. Necker fixe à70 millions le numéraire effectif dont la présence dans les caisses de la Banque suftirait pour établir le payement , à bureau ouvert, de 240 millions de billets. Mais celte proportion, qui représente peut-être dans des temps calmes la situation moyenne d’une banque parfaitement accréditée, peut-elle garantir une banque sans principes une banque qui a d’excellents statuts et qui les a tous violés ; une banque qui se réfugie encore dans le plus dangereux et le plus destructeur des moyens, celui de nous vanter comme une preuve de patriotisme l’abandon de la foi publique ; une banque enfin dont l’unique loi a été jusqu'ici de tout assujettir à ses convenances ? Non, Messieurs, nous ne sommes plus au temps des miracles politiques, et celui-ci s’accomplirait d’autant moins, que le véritable état de la caisse est dans la plus profonde obscurité. Ainsi, sans mauvaise intention, sans encourir le reproche (P aucune manœuvre à dessein d’embarrasser la Banque , le public pourrait, par de justes motifs, sonder les forces effectives de la caisse. Au moment où, munie de nouveaux fonds fastueusement annoncés, elle ouvrirait ses bureaux, chacun s’empresserait à réaliser ses billets. On répond à cette objection embarrassante, que le public sera retenu par la garantie nationale. — Mais songez donc, Messieurs, qu’il ne s’agit pas ici d’une confiance relative à la solidité générale de la Banque, mais d’une certitude sur ce point d’administration. — Lorsqu’on aura besoin d’argent EFFECTIF, EN AURA-T-ON A L’HEURE MÊME ? Or, que fait à cet égard la garantie nationale? Tel est donc le discrédit où l’ambition de la caisse l’a jetée, que ce fonds de 70 millions ne suffit pas aujourd’hui pour fournir aux demandes, lorsqu’elle voudra payer ses billets à présentation. Mais ce n’est pas tout. Ces 70 millions en espèces effectives, la caisse d’escompte ne les a point; il faut, pour lui en assurer seulement 50, créer 12,500 actions nouvelles à 4,000 livres. Qui les achètera? Les anciennes actions sont à 3,600 livres. Beaucoup d’autres effets, déjà garantis par notre honneur et notre loyauté, offrent la perspective de bénéfices plus considérables. Examinons les expédients du ministre pour associer de nouveaux actionnaires à un état de choses qu’ils ne connaissent pas. 11 propose : 1° de morceler les actions, c’est-à-dire, de multiplier les aliments de l’agiotage. Or, de tous les passe-temps d’une nation, c’est là le plus dispendieux. Nous devons donc, en économes sages, mettre en ligne de compte cette dépense, quand nous évaluons le bas intérêt auquel la Banque nationale nous prêtera les secours que nous lui donnerons. 2° Il demande que, non contents de garantir les opérations de la Banque nationale, nous assurions encore 6 0/0 d’intérêt à ses actionnaires : c’est peu pour des agioteurs; c’est beaucoup pour la nation. Mais voulez-vous connaître la conséquence nécessaire de cet encouragement? Il enhardira les opérations de la Banque, qui ne doivent jamais être hardies. En effet, quel sera son pis-aller? de nous demander annuellement 9 millions, ou le supplément de 9 millions, pour l’intérêt à 6 0/0 de 37,500 actions ; car enfin le fonds de la Banquefpourrait être altéré ou perdu, que la nation ne serait pas quitte envers les actionnaires : autre dépense à mettre en ligne de compte pour évaluer le bas intérêt auquel la Banque nationale nous prêtera les secours que nous lui donnerons. 3° Le ministre propose que dès le premier de janvier prochain, les 12,500 actions nouvelles, quoique non encore levées, participent au profit de la Banque (c’est-à-dire qu’elles moissonnent là où elles n’auront pas encore semé). Or, cela revient précisément à prendre dans la poche des anciens actionnaires; conséquemment à dépriser les anciennes actions; conséquemment à rendre le débit des nouvelles encore plus difficile; conséquemment à multiplier les marches et contre-marches de J’armée des agioteurs ; conséquemment à conserver le foyer de l’usure; conséquemment à multiplier les pertes nationales, bien faiblement compensées par 170 millions de nos billets que la Banque nous prêtera à 3 0/0. Le ministre nous dit, il est vrai, que, le pro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] 433 duit des nouvelles actions formant le fonds mort de la Banque nationale, celte disposition ne causera aucun préjudice aux anciennes actions. Mais le ministre se trompe en appelant un fonds mort, le principe* sans lequel les billets de banque seraient sans vie ; et mon observation reste dans toute sa force. 4° Le ministre propose, pour soulever ces 12,500 actions, d’ouvrir une souscription qui n’aurait d’effet qu’autant qu’elle serait remplie. Il ne faut pour cela, dit-il, que bien choisir le moment. M. Necker ignore-t-il donc que l’arène de la Bourse a bien changé? Elle n’est plus comme au temps où il croyait qu’un administrateur des finances pouvait y descendre, pour diriger les mouvements du crédit. S’il est des agioteurs de bonne foi, que le ministre les interroge; ils lui diront combien le seul projet d’une souscription en rend le moment difficile à choisir. Le mémoire pjopose encore de faire crédit du capital des actions nouvelles, pourvu que les acquéreurs s’engagent à les payer en espèces dès la première réquisition. On a souvent essayé de ronder de cette manière le numéraire effectif nécessaire aux banques ; elle n’a jamais réussi. Il faut, pour former ce payement, pouvoir faire vendre les actions, et cette opération est contraire au crédit de la banque. Ce moyen exposerait encore à des manœuvres d’agioteurs, dirigées contre son numéraire, pour faire baisser le prix des actions. Enfin, une dernière ressource pour déterminer les spéculateurs à tenter fortune sur les nouvelles actions, serait de leur abandonner des primes; c’est encore là un moyen de maintenir bas le prix des anciennes actions, et il faudrait au contraire l’élever. Cette création d’actions nouvelles est donc tout à la fois incertaine dans son succès, et ruineuse dans ses conséquences. Que de pénibles efforts, que de moyens incertains et contradictoires, pour donner à la caisse d’escompte une nouvelle existence, pour rajeunir une vierge flétrie et décriée, pour l'unir indissolublement avec nos provinces, avec nos villes, qui ne la connaissent que par une réputation peu faite pour préparer une telle union ! Je n’examine pas, Messieurs, si cet acte important est en notre pouvoir, ou si nous devons nous le permettre sans consulter du moins toutes les villes du royaume; mais j’ose répondre pour elles et répudier en leur nom cette alliance. Elles nous demanderaient ce que nous avons voulu favoriser : ou la dette publique, ou le commerce. Si c’est la dette publique, elles nous diraient qu’une administration exclusive de tout autre objet et indépendante des ministres est enfin devenue absolument nécessaire, pour que cet incommode fardeau tende invariablement à diminuer. Elles nous diraient que celte administration est la seule qui puisse mériter leur confiance, parce que d’elle seule peut sortir cette suite indéfinie de mesures utiles, de procédés salutaires que les circonstances feront naître successivement; parce que, rien ne la distrayant de son objet, elle y appliquerait toutes ses forces physiques et morales; parce que la surveillance nationale ne permettrait pas quel’on y troublât, un instant l’ordre et la régularité, sauvegarde sans laquelle les débiteurs embarrassés succombent enfin, quelles que soient leurs richesses. A ce prix seulement, les villes et les provinces peuvent espérer le retour de leurs sacrifices, et les supporter sans inquiétude et sans murmure. Elles nous diraient que des billets de crédit sortis du sein d’une caisse nationale uniquement appropriée au service de la dette, et constituée d’après des principes aussi simples que son but, sont l’institution la plus propre à ramener la confiance. Elles nous diraient que ces billets faits avec discernement, et hypothéqués sur des propriétés disponibles, auraient, dans les provinces, un crédit d’autant plus grand, que leur remboursement pourrait se lier à des dispositions locales, dont un établissement particulier et circonscrit dans son objet, est seul susceptible. S’agit-il de favoriser le commerce? Les villes et les provinces nous demanderaient pourquoi nous voulons les enchaîner éternellement à la capitale par une banque privilégiée, par une banque placée au milieu de toutes les corruptions . Que leur répondrions-nous pour justifier l’empire de cette banque, pour leur en garantir l’heureuse influence sur tout le royaume? leur montrerions-nous, comme dans la métropole anglaise, une république d’utiles négociants, instruits à peser les vrais intérêts du commerce, à les garantir de toute concurrence dangereuse ? La Seine réunit-elle à Paris, comme la Tamise à Londres, les négociants par un vaste entrepôt d’où les productions du globe puissent se distribuer dans toutes ses parties? Vanterions-nous aux provinces les cris de la bourse; ces agitations perpétuelles que tant de honteuses passions entretiennent, et que nous avons encore la folie de considérer comme le thermomètre du crédit national ? c Quoi! nous diraient nos commettants, vous voulez que la nation se rende solidaire pour les engagements d’une Banque assise au centre de l’agiotage? Avez-vous donc mesuré l’étendue de cette garantie que le ministre vous propose de décréter? « Il réduit à 240 millions les billets qui seraient timbrés; et pour vous montrer que l’Etat ne courrait aucun risque par cette garantie, il réunit aux 70 millions que la caisse lui a prêtés en 1787, l'avance de 170 millions qupla Banque nationale lui ferait encore contre des assignations ou des rescriptions sur les deniers publics . « Mais ces avances seront éternelles, ou elles ne le seront pas. « Le ministre prétend-il qu’elles soient éternelles? nous demandons alors, non-seulement s’il convient à la nation de contracter de tels engagements, mais encore, s’ils n’entraînent pas les conséquences les plus effrayantes ? Car enfin, la Banque nationale aurait la liberté de négocier les rescriptions qui lui seraient délivrées par le gouvernement ; et le préjudice qui pourrait résulter pour elle de ces opérations momentanées devrait lui être bonifié par le Trésor public. G’est là une lourde méprise : une telle disposition place au sein de la Banque nationale un levain continuel d’agiotage, et même un principe de dilapidation; et il faut encore ajouter à cette grave erreur l’engagement qu’on ferait prendre à la nation d’assurer à jamais aux actionnaires 9 millions de revenus annuels pour l’intérêt de leurs actions. Dira-t-on que la Banque nationale ne vendra ces rescriptions que dans le cas où elle voudra diminuer la masse de ses billets de circulation ? Mais, quoi! lorsque la Banque nationale aura rompu, ou pour le gouvernement et pour le commerce, ou pour l’agiotage, l’équilibre qu’elle doit 434 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789. maintenir, il faudra que ce soit aux frais de la nation qu’il se rétablisse! « Les anticipations ont fait, de tout temps, le malheur et la ruine de ce royaume. Consentirions-nous à les perpétuer pour assurer à la Banque nationale des profits, ou pour que la nation ne garantisse pas sans caution 25(3 millions de billets? « On nous dit que ces anticipations seront à l'avenir peu coûteuses en comparaison du passé. Soit; mais ce n’est pas uniquement parce que les anticipations sont coûteuses, que l’homme d’Etat doit les proscrire, c’est parce qu’elles fournissent d’incalculables moyens de dissiper et d’abuser. « Si notre dette envers la Banque nationale n’est pas éternelle, nous deviendrons alors caution, sans aucune sûreté, et toujours obligés à garantir 9 millions de rentes aux actionnaires. « D’ailleurs, connaît-on quelque banque dont le nombre des billets soit limité ou n’ait pas franchi ses limites? et si l’on veut que la Banque nationale répande les siens dans tout le royaume, si l’on veut que partout elle se présente pour animer nos ressources productives, la tiendra-t-on limitée à 240 millions de billets? Cette disposition est-elle compatible avec les fonctions qu’on lui assigne? ou bien faudra-t-il qu’elle ait des billets politiques et commerciaux, qu’elle fabrique du papier forcé et du papier de confiance qu’elle soit Banque nationale pour les uns, et banque privée pous les autres ? » Que répondrons-nous, Messieurs , à cette pressante logique? dirons-nous que les statuts delà caisse d’escompte seront perfectionnés ? Eh! je vous le répète, on n’en fera pas de plus sages ; vous serez étonnés des leçons de prudence qu'ils renferment; tout y est* prévu, et les embarras du gouvernement/et les crises politiques du royaume; c’est en les violant articleVpar article, ligne à ligne, mot à mot, que la caisse d’escompte prétend nous avoir rendu des service essentiels, comme si ce qui faisait sa sûreté, ne contribuait pasàlanôtre! comme si ces services exigeaient la violation d’un régime destiné spécialement à fonder la confiance! comme s’il y avait de la générosité à répandre des billets, a les prêter même, lorsqu’on se dispense de les payer ! Croirons-nous rassurer nos provinces en donnant à la Banque nationale vingt-quatre administrateurs? Mais dans toute entreprise qui repose sur des actions, plus les administrateurs sont nombreux, moins les vues sont uniformes. Voilà donc encore une fausse précaution. Le public n’a pas besoin d’administrateurs actionnaires, mais de surveillants pour son propre intérêt. Ce système d’administration est loin de celui de la Banque de Londres. Deux gouverneurs à vie sont dépositaires de son inviolable secret. Voyez, Messieurs, ce qu’exigent les banques que l’on veut lier tout à la fois aux affaires de la politique et à celles du commerce. Ce secret, critique et cependant nécessaire à toute banque politique et commerciale, l'admettriez-vous ? « Eh bien! nous dira-t-on, laiserez-vous donc périr la caisse d’esCompte, malgré son intime connexité avec les finances et les affaires publiques , malgré le souvenir des services qu’on en a tirés ?» Certes, cette ironie est trop longue et trop déplacée. Ah! cessez de parler de ces services ! C’est par eux que notre foi publique a été violée ; c’est par eux que notre crédit, perdu au dehors, nous laisse en proie à toutes les attaques, ou de la concurrence étrangère, ou de cette industrie plus fatale, qui méconnaît tout esprit public ; c’est par ces prétendus services que toutes nos affaires d’argent sont bouleversées, c’est par eux que nos changes, depuis que je vous en ai prédit la continuelle dégradation, s’altèrent chaque jour à un degré que personue n’eût osé prévoir! Et cependant l’on ne doute pas maintenant que nous ne voulions acquitter notre dette. Non, ne parlez pas de ces services ; ils sont autant de pièges tendus au ministre des finances, qui, de son aveu, se voit entraîné hors de ses propres principes. C’est par eux encore que l’on cherche à séduire les hommes inattentifs. Ecoutez les partisans de la caisse d’escompte, on lui doit l’Assemblée nationale ; on lui doit ses travaux ; on lui doit la réunion des ordres, la déroute de l’aristocratie, les biens du clergé; en un mot, tout ce dont l’esprit de liberté se glorifie. Les insensés! Nous sommes libres parce qu’on n’a pas su sacrifier quelques millions quand ils étaient nécessaires pour éviter la honte des arrêts de surséance (et combien ne coûte pas cette imprudente parcimonie) ! Nous sommes libres parce qu’on a prêté au gouvernement des billets qu’on ne payait pas! Nous sommes libres parce que les actionnaires de la caisse d’escompte ont craint d’altérer leur dividende ! Nous sommes libres, parce qu’un établissement dont le premier devoir serait d’influer sur les changes, n’en a pas eu, ou l’intelligence, ou le courage! Eh! si le despotisme eût été vainqueur, la caisse d’escomptene se prosternerait-elle pas à ses pieds avec les mêmes titres qu’on ose nous étaler aujourd’hui ? M. l’archevêque de Sens, les ministres qui ont avant lui puisé dans la caise d’escompte, étaient-ils des amis de la liberté? où trouvaient-ils donc des secours d’argent, sans lesquels on ne fait point de conspiration, ceux qui, disposant des troupes, se sont si longtemps efforcés d’intimider la volonté nationale? Le peu pie de Paris, qui adéployé tant de courage, était-il soudoyé par la caisse d’escompte? En supposant que cette banque était l’unique source où pouvait puiser le Trésor royal, n’était-ce pas le plus souvent pour soutenir la cause du despotisme aristocratique et ministériel? A quoi a-t-il tenu que le porte feuille de la caisse d’escompte ne fût enseveli sous les ruines de la Bastille? Contre qui cette banque voulait-elle se mettre en sûreté, quand elle a demandé au baron de Breteuil un ordre pour que ses fonds pussent y être déposés? Elle comptait bien plus alors sur la forteresse du despotisme que sur la valeur des citoyens. Les caisses d’escompte sont au service de ceux qui les payent : voilà la vérité ; et c’est manquer à cette Assemblée que de lui parier de reconnaissance pour des services qui sont aux ordres de tout le monde (1). Songeons, Messieurs, aux provinces ; la capitale, les créanciers de l’Etat en ont besoin, comme à leur tour les provinces ont besoin et de la capitale et des créanciers de l’Etat. Une caisse nationale telle qu’elle a été proposée réunira tous les intérêts. Une fois résolue, vingt-quatre heures ne s’écouleront pas sans qu’elle nous donne un plan sage, adapté à la nature des choses, exempt de fâcheuses conséquences, et tout au moins propre à ramener promptement le crédit. (1) Cet alinéa n’a pas été prononcé : je l’intercale ici pour indiquer la facile réponse à M. Dupont, qui a voulu touclier l’Assemblée en faveur de la caisse d’escompte, en lui attribuant la révolution. 435 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] La caisse d’escompte est créancière de l’Etat ; nous payerons sa créance comme toutes les autres. Si elle ne se mêle pas de nos arrangements, ils ils n’en seront que plus solides ; ils amélioreront son sort bien mieux que ne le ferait son inutile métamorphose ; tandis que si la caisse d’escompte intervient encore dans nos finances, ne ouvant nous aider que par des propriétés sem-lables à celles des autres créanciers, on se défiera de ses vues, on la considérera comme maîtresse de se payer par ses mains, à l’aide du maniement des propriétés de tous. Loin de détruire la caisse d’escompte, la caisse nationale lui rendra la vie ; elle créera des valeurs que la Banque nationale fondée sur la caisse d’escompte ne créerait point ; des valeurs plus rapprochées du numéraire effectif, que ne peuvent l’être des billets qui ne nous laissent d’alternative que de prolonger les arrêts de surséances d’en implorer bientôt le renouvellement ou de succomber. Non, Messieurs, si la caisse d’escompte ne renferme pas dans son sein un mal qu’on ne guérirait pas, en l’entrelaçant de plus en plus à nos finances, elle ne périra point. Les secours pour le commerce, les affaires d’argent entre particuliers lui resteront. M. Necker en porte les bénéfices à 3,200,000 livres et les regarde comme susceptibles d’augmentation. N’est-ce donc rien pour une compagnie de finance que 3 millions de rente? Faut-il abandonner pour elle de plus grandes vues ? Le bien de l’Etat exige-t-il qu’on lut donne des affaires à proportion d’un nombre quelconque d’actions, ou qu’on l’obligea proportionner ses actions à ses affaires ? Qu’elle renonce à cette volonté impérieuse de vouloir tout forcer ; qu’elle se soumette aux circonstances. C’est à ceux dont elle a favorisé les entreprises à contribuer maintenant par leurs secours à la remettre au rang des banques accréditées. Je m’arrête, Messieurs ; j’en ai dit assez sur cet intarissable sujet, puisque j’ai prouvé invinciblement que la caisse d’escompte, transformée en Banque nationale, ne peut nous prêter que notre propre crédit ; Que par conséquent elle nous est inutile; Que les motifs qui nous détermineraient à cette institution ne sauraient la justifier; Qu’aucune des dispositions qu’on nous propose ne rétablit, même à une époque éloignée, le payement immédiat des billets à bureau ouvert; Que la garantie nationale a des conséquences qui nous font un devoir de nous y refuser ; Qu’une telle garantie ne peut s’accorder que pour des opérations parfaitement déterminées, dont tous les futurs contingents soient entièrement connus et limités; Que le privilège exclusif accordé à une banque violerait tous nos principes ; qu’il détruirait dans une partie essentielle le bienfait des assemblées provinciales ; Que le commerce des provinces et leur industrie ne pourraient recevoir aucun avantage d'une banque établie dans la capitale ; Qu’en nous refusant aux demandes du ministre nous ne détruisons pas la caisse d’escompte, dont la ruine ne peut venir que d’un vice intérieur et caché ; Que si ce vice n’existe point, les secours de la caisse d’escompte seront rendus au commerce, et aux affaires entre les particuliers ; Que l’établissement de la caisse nationale est plus salutaire pour la caisse d’escompte elle-même, que les arrangements dont le succès paraît douteux au ministre qui les propose contre ses propres principes (1). Je conclus à ce que le ministre des finances soit informé que l’Assemblée nationale attend que le plan général qu’il lui annonce lui soit communiqué, pour prendre une dernière résolution sur les arrangements les plus propres à pourvoir aux besoins de l’Etat et à ses engagements ; Qu’en attendant, elle décrète que les fonds destinés à l’acquittement de la dette publique et au payement des intérêts seront séparés des autres dépenses, et soumis à une administration particulière, sous la surveillance de la nation. Un grand nombre de membres demandent que le discours de M. le comte de Mirabeau soit imprimé. — L’impression est ordonnée. M. le prince de Poix. M. le président ayant entre ses mains des mémoires sur la caisse d’escompte, je demande qu’on nomme six commissaires qui en rendront compte vendredi prochain. M. liavcnue, député de Bazas , dit qu’il regarde le projet de M. Necker comme tellement funeste, que M. Necker lui-même effacerait avec ses larmes ce qu’il a écrit de sa main, s’il pouvait en prévoir les suites. M. Lavenue examine les inconvénients et les avantages du plan de M. Necker. Les avantages, dit-il, sont très-apparents dans le mémoire du ministre ; ils consistent à procurer, à un très-mince intérêt, 170,000,000 à l’Etat, et à diminuer de 5 à 4 0/0 les intérêts que le gouvernemen t paie déjà à la caisse d’escompte. Les inconvénients sont plus nombreux et aussi manifestes: 1° Le plan du ministre tend à couvrir les abus de la caisse d’escompte. 2° 11 expose cette caisse à faillir une troisième fois, et à faire partager à la nation le déshonneur d’une banqueroute : épuisons-nous plutôt en sacrifices pour que notre liberté soit pure et que notre honneur soit entier. 3 II expose la nation à l’agiotage, qui a défi) Le Moniteur ajoute au discours de M. de Mirabeau les alinéas suivants, qui ne figurent ni dans l’impression ordonnée par l’Assemblée nationale, ni dans le Courrier de Provence, ni dans le Recueil des œu~ mes de Mirabeau (édition de Barthe). « Avant qu’on me persuade que nous devons sacrifier des mesures plus sages et d’un succès plus certain, il faut qu’on me prouve que la caisse d’escompte n’est pas en prévarication, et que nous n’y serons pas nous-mêmes, si nous adhérons au pacte qui nous est proposé... « Qui de nous ne s’est pas attendu à voir porter une lumière pure et resplendissante dans cette administration mystérieuse, avant qu’on nous engageât à prendre une détermination? Si l’on ne veut pas nous tendre je ne sais quel piège, pourquoi ne nous a-t-on pas préparé des réponses même avant nos questions ? Pourquoi a-t-on laissé pour la fin ce qui devait être au commencement ? Je ne puis voir dans ces manèges qu’un voile épais, qu’on veut doubler d’un autre voile. « Il faut, comme elle-même l’a voulu, mettre la caisse d’escompte au rang des créanciers de l’Etat. On n’a pas besoin d’une banque pour la dette ; la nation est l’origine de tout crédit, elle n’a pas besoin d’acheter le créait qu’on n’aurait pas sans elle.* 136 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] voré la substance du peuple, et qui avilirait et discréditerait le sceau et les billets de la nation. 4° 11 attribue un intérêt usuraire à des prête-noms, et non à des prêteurs. M. Lavenue développe ces inconvénients ; il répondra, dit-il, dans ses développements, une lumière si vive et si pénétrante, qu’il se mettra à la portée de tout le monde. Il présente ensuite des détails historiques sur la conduite de la caisse d’escompte ; il finit par annoncer un projet pour la création d’un papier-monnaie national, sous la surveillance et la direction de commissaires nommés par l’Assemblée, Cette opération faite, on apurerait les comptes de la caisse, et on lui payerait avec ce papier ce qui lui est dû par le gouvernement. M. liavenue laisse sur le bureau la proposition suivante: 1° D’ajourner à vendredi prochain la motion qu’il fait, d’examiner l’état actuel de la caisse d’escompte, et de régénérer cet établissement très-utile à la circulation du numéraire dans la capitale, en lui donnant un nouveau régime convenable, et en le restreignant aux vues de son institution ; 2° De décréter qu’il sera créé des billets d’Etat ou nationaux, à concurrence de 350, millions remboursables à diverses époques, et dont le remboursement sera affecté: 1. sur la recette de la la contribution extraordinaire de cette année; 2. sur le produit des dispositions que l’Assemblée nationale fera des revenus des biens ecclésiastiques ; 3. sur le prix de l’aliénation des biens ruraux du domaine ; 4. et subsidiairement sur le produit de l’extinction des rentes viagères et les intérêts destinés au renouvellement des anticipations qui seront éteintes par les billets d’Etat ou nationaux ; et qu’à cet effet, il sera établi un receveur particulier de ces fonds et revenus publics ; 3° Qu’il sera nommé par bureaux et un comité de six personnes pour la rédaction d’un projet de création de billets d’Etat ou nationaux avec les développements convenables. M. Camus. Dans un discours prononcé par M. Lavoisier à l’assemblée générale de la caisse d’escompte, cet administrateur a dit que la nation a délégué à cet établissement, par décret, du 6 octobre, 60 millions sur la contribution patriotique. J’ai lu les articles 18 et 19 de ce décret, et il en résulte que la nation n’a pas fait de délégation et que, s’il a été pris des arrangements, l'Assemblée doit en être instruite par ses commissaires. On ne manque pas de nous instruire de ce que uous devons en masse, mais on ne nous donne jamais ni les détails ni les tableaux de la dette. Je m’inscris en faux contre l’assertion de M. Lavoisier, et je demande que ma motion soit inscrite au procès-verbal. M. le €’oulteux de Canteleu. Avant d’inculper M. Lavoisier de faux, il faut entendre les administrateurs de la caisse d’escompte qui demandent à faire connaître leur gestion. M. de Montmorency. L’observation du préopinant n’empêche point d’insérer au procès-verbal une réclamation aussi juste que celle de M. Camus. M. Ktegnaud de Saint-Jean-d'Àngely. M. le prince de Poix a demandé que six commissaires fussent chargés d’examiner les opérations de la la caisse d’escompte. — Si cette motion est adoptée, je propose d’exclure les financiers de la commission. Ces diverses motions sont ajournées. M. le Président. M. Dupont (de Nemours) a la parole sur le projet du ministre des finances. M, Dupont (de Nemours) (1). Messieurs, malgré les éclairs multipliés qui vous ont frappés dans le discours de M. le comte de Mirabeau, et la lumière vive et pénétrante que M. Lavenue s’est efforcé de répandre sur la matière qui vous occupe, je crois qu’il existe encore quelques vérités utiles qui n’ont pas été suffisamment élucidées et qui méritent d’être soumises à votre considération. M. de Mirabeau vous a vanté comme un des attributs les plus importants de la Banque d’Angleterre le secret impénétrable dont elle est enveloppée. Deux seuls administrateurs, vous a-t-il dit, inamovibles et à vie, sont dépositaires de ce secret. C’est donc sur les apparences extérieures, sur la régularité habituelle de ses payements dans un pays qui jouit de la plus grande prospérité , et sur la périlleuse parole de deux hommes que l’Angleterre croit , et que nous croyons après elle, que sa Banque a quelque solidité. J’ignore s’il a jamais été utile de mener les affaires publiques par l’illusion, et de gouverner les humains en les trompant ; mais je sais que cette-manière ne convient pas à un siècle éclairé, ni à l’Assemblée nationale de France. H me paraît que nous devons prendre une connaissance approfondie des choses sur lesquelles nous avons à décider ; qu’il faut que nous examinions à quoi les circonstances nous obligent, que nous pesions ce que la prudence peut exiger, et que nous prenions ensuite notre résolution avec franchise et avec fermeté, sans rien nous dissimuler à nous-mêmes ni aux autres. On nous propose d’employer les secours d’une banque. Pour savoir si ce conseil est utile, il faut d’abord nous former une idée nette de la chose proposée. Une banque, Messieurs, est un établissement imaginé pour procurer aux débiteurs solvables , mais qui ne peuvent cependant pas payer dans le moment, l’apparence d’un moyen présent de payer, et pour leur vendre à bon marché ce moyen fictif. La banque à cet effet échange contre des titres de créances solides, à époques fixes et prochaines, des titres de créances exigibles sur elle-même, et dans l’espérance ou la spéculation qu’on ne se présentera que successivement pour en être payé, elle promet de les acquitter à vue. Elle tient parole tant qu’elle n’est pas pressée, parce qu’elle forme son entreprise avec un capital libre destiné à payer ses billets en attendant l’échéance des valeurs qu’elle a reçues en échange, et qui doivent alimenter journellement sa caisse. Elle manque nécessairement à cette parole dès que les demandes qu’on lui fait absorbent son capital libre et continuent d’être plus rapides que les rentrées. Dans le premier cas, qui est celui que présente le cours ordinaire des choses, l’imitation de paye-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Dupont (de Nemours.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789,] {37 ment, qui se fait avec les billets ’de la banque, diffère très-peu de la réalité; elle en produit les principaux effets, car il est à peu près égal de recevoir de l’argent ou des billets que Ton peut à volonté réaliser eu argent : les billets ont même l’avantage de tenir moins de place et de ne point coûter de frais de transport. Une banque est donc une institution belle, ingénieuse et utile ; mais ce n’est pas une institution inébranlable, ni en aucun sens à l’abri des révolutions. Une banque est élevée à son point de perfection lorsque ses billets trouvent une multitude d’emplois plus profitables que celui de les rapporter à sa caisse : de sorte qu’on n’en présente pas à celle-ci plus qu’elle ne peut en payer. Et la précaution la plus sûre, quoiqu’elle ne soit pas toujours suffisante, pour empêcher qu’on nerapporte à la banque une trop forte quantité de ses billets, c’est non-seulement de persuader comme en Angleterre, mais de convaincre parfaitement les porteurs de billets, qu’il est impossible de perdre avec la banque. Cette conviction ne peut exister lorsque les affaires de la banque sont un secret. On a payé, donc on payera , n’est pas un argument démonstratif. Mais lorsque la banque a beaucoup plus de moyens de payer que d’engagements, c’est un fait que des bilans fréquents et publics peuvent constater, et qui donne à la confiance une base assurée. Le secret qu’on vous a présenté comme si nécessaire aux banques n’est donc utile qu’à celles qui veulent pouvoir tromper, et par conséquent dont il faut que l’on se défie. Le secret doit être dédaigné par les banques bien constituées et bien administrées : car elles n’en ont pas besoin. 11 leur convient que leurs affaires soient très-connues , la publicité qu’on leur donne devant ajouter au crédit de l’établissement. En effet, Messieurs, une banque bien administrée ne met jamais en circulation un seul de ses billets qu’en échange contre des valeurs exigibles et solides. Elle a donc d’abord dans son portefeuille l’équivalent de ses billets; et il faut qu’elle ait en outre un capital qui soit dans une forte proportion avec leur masse. Alors, pourvu que le placement de ses billets ait été fait avec assez de sagesse pour qu’on ne puisse perdre sur les effets qui ont été pris en retour d’une somme égale à celle du fonds de caisse ou du capital libre , il devient évidemment impossible de perdre avec la banque, et les secousses passagères qu’elle peut éprouver ne détruisent pas son crédit. Telle a toujours été la situation de la caisse d’escompte, dont on vous a parlé , Messieurs , beaucoup trop légèrement. Dans ses plus grandes calamités, il aété démontré qu’elle avait en portefeuille la valeur de ses billets, et qu’elle avait de plus un capital considérable, égal au tiers de cette même valeur , tellement qu’il aurait fallu que sur des effets commerçâmes, choisis avec sévérité, il y eût néanmoins à essuyer des pertes qui montassent au-dessus du tiers de la totalité, pour que la propriété des porteurs de billets fût en danger. C’est en ce sens que les malheurs même de la caisse d’escompte, en éloignant tout secret de ses affaires, ont constaté sa solidité et ont servi à soutenir la confiance qui lui a été accordée par le public, malgré les fautes multipliées par lesquelles le gouvernement aurait totalement détruit cette confiance si elle n’avait pas eu un fondement très-manifeste. La caisse d’escompte a essuyé quatre arrêts de surséance. Lors du premier, qu’elle pouvait éviter si le minislère eût osé permettre les payements en piastres, ce qui devrait toujours être permis, et surtout s’il eût voulu et pu rembourser les avances que la caisse d’escompte lui avait faites, il fut vérifié dans la huitaine que l’actif de la caisse excédait d’un tiers son passif. Lors du second, son actif excédait sou passif du double, et de plus du double, de 13 millions au delà. Aujourd’hui même encore, au moment d’une révolution, et après une crise de quinze mois consécutifs, son passif étant de 114 millions, son actif est de 216 ou presque double. Voilà ce qui soutient la valeur des billets. Ils ne la doivent point aux arrêts de surséance, qui de tous les moyens possibles sont les plus propres à décrier la valeur des effets commerçables. Le gouvernement s’est donné à lui-même arrêt de surséance pour les remboursements à époques fixes, auxquels il s’était engagé; et vous voyez que, malgré la juste confiance que doit inspirer la garantie nationale , les effets dont le remboursement est suspendu perdent depuis 8 jusqu’à 18 et 20 0/0. C’est que l’état de vos finances, quoique présentant par la nature des choses, et selon le rapport de votre comité, la perspective la plus favorable, est, pour le moment, très-visiblement embarrassé. 11 n’est pas encore prouvé à tout le monde, comme il le sera dans quelques mois, et comme il me l’est à moi , dès aujourd’hui , que vos moyens de payer sont fort au-dessus de vos besoins. Ainsi le crédit de la caisse d’escompte, tant décriée, est dans une situation beaucoup plus favorable que le crédit de la nation elle-même. Une raison assez puissante a contribué à soutenir ce crédit de la caisse d’escompte et à prévenir la perte sur ses billets. La caisse ne s’est pas prévalue des arrêts de surséance qui ont été publiés, en apparence en sa faveur, et dans le vrai pour dispenser le gouvernement de rembourser les sommes considérables qu’il lui doit. Elle a continué de payer mieux qu’aucune autre banque ne l’a jamais fait dans un temps de crise, et autant qu’il était nécessaire pour le service principal auquel une banque ne doit jamais refuser de l’argent, celui des sommes destinées aux menues dépenses courantes et aux salaires journaliers des ouvriers, qui ne peuvent être payés en papier. Elle a régulièrement acquitté 100,000 écus au moins tous les jours. La Banque d’Angleterre, qui vous a été donnée pour modèle, est très-loin de s’être aussi bien conduite. Elle a totalement suspendu ses payements par son propre fait en 1697 , sous le seul prétexte d’une refonte des monnaies, lors de laquelle elle devait payer en anciennes espèces jusqu’au jour où le produit de la fabrication l’aurait mise à portée de payer en espèces nouvelles. En 1745, elle a payé en schellings et demi-schellings comptés un à un; sous cette forme elle ne pouvait solder par jour plus de 1,000 à 2,000 livres sterling, et dans cette dernière évaluation j’exagère : c’était donc à 47,000 francs de notre monnaie tout au plus que se main tenaient en tremblotant les payements journaliers de cette banque, qu’on vous peint comme inébranlable. Et quel était lé terrible événement qui produisait cette effrayante lenteur, qu’aucune loi n’autorisait ni ne pouvait autoriser? C’était un événement qui ne comportait J 88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] en lui-même nul danger; c’était le Prétendant se présentant avec 1,500 montagnards d'Ecosse pour conquérir les trois royaumes britanniques, riches, puissants, affectionnés depuis longtemps à la maison de Hanovre, et qui regardaient leur constitution, qui leur est si chère, comme liée au destin de cette maison. 1,500 paysans à quarante-cinq lieues de distance, sans aucune apparence de succès ébranlaient à ce point la Banque d’Angleterre. Le secret de son administration l’avait laissée dénuée de son numéraire; et je vous demande, Messieurs, si les orages auxquels le royaume est en proie, et la situation dans laquelle gémissent depuis trop longtemps nos finances, ne sont pas tout autrement désastreux, tout autrement alarmants, que ne l’était la position de l’ÀDgleterre en 1697, et en 1745? Je vous demande si l’on doit accumuler les qualifications injurieuses sur notre caisse d’escompte payant au moins 100,000 écus par jour, souvent davantage, depuis quinze mois, au milieu d’une inquiétude générale et fondée, et malgré l’autorisation expresse qui lui a été donnée de se dispenser de tout payement, tandis qu’on prodigue les éloges à la Banque anglaise, payant au plus 47,000 francs par jour, ou même ne payant point, dans des circonstances bien moins pénibles, et qui ne devaient donner lieu à aucune raisonnable inquiétude. « Mais, dit M. le comte de Mirabeau, le principe des banques et la base de la confiance qu’elles inspirent, étant la promesse qu’elles font que les porteurs de leurs billets pourront toujours les échanger à leur caisse, à présentation, contre de l’argent comptant, une banque qui dissémine ses payements, et qui ne réalise pour chaque porteur, que la somme nécessaire aux dépenses journalières et aux appoints du commerce, jusqu’à ce qu’elle ait fait le tour de ceux qui se présentent, et acquitté à chacun d’eux une somme égale, est, dans un état, absolument contraire au but de son institution. Elle ne mérite aucune confiance ; elle ne peut prêter à la nation que le crédit de la nation elle-même ; et il y a, pour la nation, une sorte d’avilissement à y avoir recours. » Il me semble, Messieurs, que tel est l’extrait du discours éloquent que vient de prononcer cet honorable membre. Je ne puis rendre l’éclat de son style ; je tâche de ne pas oublier et de ne pas affaiblir ses raisons. Elles portent sur une fausse supposition, entièrement contraire à la nature des choses, et qui ne dérive que de notre crédulité exagérée pour les promesses des instituteurs et des prôneurs de banques, qui disent : venez à ma caisse, et vous serez toujours payés comptant ; comme le dentiste du carrefour, qui crie qu’il extirpera la dent, sans mal, ni douleur. Mais il ne faut pas croire aux phénomènes qui ne sauraient exister. Il ne faut pas croire qu’aucuns entrepreneurs remplissent des conditions qui ne peuvent être remplies, et dont leurs prospectus comme leurs statuts constatent l’impossibilité; et lorsqu’une nation asanctionné d’avance cette impossibilité, elle ne doit pas être étonnée de la voir se manifester plus tôt ou plus lard; elle ne doit pas s’irriter contre ce qu’elle a jugé convenable d’autoriser. Une banque, d’après l’expérience de ce qu’exige le remboursement des billets qu’on lui rapporte dans un temps ordinaire, annonce par ses règlements, qu’elle aura un fonds de caisse égal à la valeur du quart et même du tiers des billets qu’elle mettra en circulation ; elle déclare donc très-disertement qu’il lui sera impossible de payer à présentation plus du tiers ou du quart de ses billets, et que, s’il arrive un moment de crise où on lui en présente davantage, le surplus ne sera payé qu’après qu’elle aura pu réaliser des fonds. Une nation ou un gouvernement, en prenant sous leur protection l’établissement d’une banque, déclarent donc implicitement que la banque ne pourra être forcée de payer à présentation que jusqu’à concurrence des fonds libres de sa caisse, et que le surplus des engagements qu’elle aurait pu contracter ne deviendra exigible qu'à mesure que la rentrée des fonds fournira les moyens de retirer ses billets; car on ne peut contraindre personne à faire l’impossible. Enfin, lorsque des particuliers font usage des billets d’une banque pour la commodité de leur commerce, c’est encore sous la condition indispensable et très-connue d’eux-mêmes, que les billets seront acquittés à la caisse tant que l’on n’y en présentera pas un trop grand nombre, et qu’ils attendront leur tour s’il y a trop de porteurs qui veulent réaliser à la fois. Cette condition nécessaire est fondamentalement liée à l’essence de toute banque de secours. Il serait physiquement impossible qu’aucune de ces banques existât, si, comme l’a supposé M. Lavenue, elle devait toujours avoir dans sa caisse une somme égale à la valeur totale de ses billets. La Banque de Hollande doit avoir dans ses caves la totalité de ses fonds; mais c’est que la Banque de Hollande n’est qu’une caisse de dépôt, qui ne prête à personne, qui se fait même payer pour garder l’argent; ce n’est pas une véritable banque : elle n’a d’autre avantage que d’épargner au commerce une partie des frais du transport des métaux; elle n’a pas, comme les autres banques, celui d’en économiser le capital, puisqu’elle exige, ou est censée exiger une masse d’or ou d’argent, aussi considérable que la valeur de ses billets ; elle ne peut, comme les autres banques, faire baisser l’intérêt de l’argent. Une banque de secours, au contraire, comme celles d’Angleterre et d’Ecosse, ou comme la caisse d’escompte de France, a cet avantage inestimable, de faire baisser l’intérêt de l’argent, parce qu’elle peut prêter à meilleur marché que tout autre capitaliste. Et pourquoi peut-elle prêter à meilleur marché? précisément parce qu’elle n’a besoin que d’un capital inférieur à la masse de ses billets, et que leurs porteurs conviennent tacitement avec elle que, s’ils sont tous empressés de toucher leur argent à la fois, plusieurs d’entre eux attendront. A la faveur de cette convention plus ou moins formelle de la part des porteurs, mais très-nettement exprimée dans les statuts et règlements de la banque, celle-ci peut emprunter à 6 0/0 et prêter avec profit à 4 ou même à 3, parce que, ces 6 0/0 ne portant que sur un capital égal à celui du tiers de ses billets, la somme exprimée par ceux-ci ne lui revient réellement qu’à 2 0/0. Sans cette combinaison, il serait impossible et absurde d’emprunteràô 0/0 pour prêterà4, ainsi que l’exigeraient, dans leurs spéculations, les profonds politiques qui vous disent, Messieurs, qu’une banque doit toujours avoir en caisse Ja valeur de ses billets (1). (1) Un de mes collègues m’a observé qu’une banque devait prévoir les moments de crise, et se pourvoir d’avance de fonds extraordinaires. Prévoir tous les événements ! Il y en a qui sont absolument impossibles [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il suffit qu’elle ait en caisse et en valeurs un tiers de plus que le montant de ses billets. C’est sur cette combinaison que sont fondés les bénéfices, et par conséquent la possibilité de toutes les banques. Et quand on veut des banques, soit qu’on les autorise comme législateurs, soit qu’on les protège comme pouvoir exécutif, soit qu’on fasse usage de leur ministère comme particulier, c’est à ces charges et conditions auxquelles on ne peut échapper, attendu qu’on ne fait pas violence à la nature des choses, et qu’il faut ou renoncer à s’en servir, ou se soumettre à leurs inconvénients. Si quelqu’un, Messieurs, vous propose une banque quelconque et vous promet davantage, dites qu’il se trompe, ou qu’il veut vous tromper. Les premiers axiomes dont il faut se pénétrer relativement aux banques sont donc qu’il est impossible de perdre avec elles, lorsqu’elles sont à prévoir ; et de ce nombre est une grande partie de ceux que nous avons depuis dix-huit mois sous les yeux. Je ne sais si la caisse d’escompte prévoyait : au mois d’avril 1788, elle avait la plus forte somme d’argent, relativement à ses billets, qu’aucune banque de secours ait jamais eue. Ce n’était pas seulement le quart, ni même le tiers, c’était plus des cinq douzièmes, Srès de moitié de la valeur des billets en circulation. lais cela même ne pouvait suffire à payer la totalité. 11 parait par les faits, que la caisse d’escompte n’a pas négligé les moyens extraordinaires pour se procurer des métaux, puisque depuis l’arrêt qui la dispense de payer, elle a continué ses payements, au point de renouveler cinq fois le capital en argent qui doit faire la base de sa caisse; et l’on doit considérer que si dans un temps paisible il est facile de se procurer de grosses sommes en métaux, dans les moments de crise cela devient d’une extrême difficulté, de sorte qu’avec le meilleur crédit la mécanique même de l’opération exige un délai indispensable. Il faut considérer encore que, si une banque de secours ne voulait que se tirer d’embarras et se borner à faire honneur à ses engagements, elle a toujours moyen d’y parvenir en très-peu de temps : il lui suffirait de cesser les escomptes, et les rentrées de son portefeuille absorberaient bientôt la totalité de ses billets. Mais les administrateurs d’une banque ne doivent pas être de métal, comme les fonds de leur caisse : lorsque leur entreprise a augmenté le crédit de tous les citoyens, et que l’usage de ce crédit a étendu toutes les affaires, elle ne pourrait le retirer à ceux qui sont accoutumés de s’en servir, sans occasionner une multitude de banqueroutes, qui renverseraient tout le commerce du royaume et le sien même. La banque est donc obligée par tous les sentiments du patriotisme, de l’humanité, et de la prudence, de partager ses efforts entre le soin de se procurer des capitaux en argent, celui de retirer une partie de ses billets, et celui de soutenir une masse considérable d’escomple, sans laquelle le commerce habitué à rouler sur les escomptes éprouverait la plus grande calamité. 11 faut rendre justice à qui elle est due : la caisse d’escompte pouvait, depuis le 18 août 1788, choisir deux spéculations : l’une, de cesser les payements, comme elle y était autorisée, d’étendre les escomptes à la faveur de son papier-monnaie, et de se procurer par là des bénéfices qui n’eussent, il est vrai, été que passagers, qui eussent été immoraux, mais qui eussent pu être énormes ; l’autre, de cesser l’escompte sans pitié, de n’aider ni la patrie en général, ni aucun de ses concitoyens en particulier, et de se mettre ainsi à l’abri de toutes les imputations qu’on lui fait aujourd’hui. Elle n’a pris ni l’un ni l’autre parti : elle a ralenti ses payements sans les discontinuer ; elle a fait de grandes dépenses pour se procurer des fonds à cet effet ; elle n’a pas cessé d’aider à la fois le gouvernement et le commerce. 11 faut que ses administrateurs aient eu beaucoup de sens, de courage et de morale; et les actionnaires qui ont approuvé leur conduite doivent avoir part à l’éloge. [20 novembre 1789.] 139 bien constituées, et non moins impossible de les obliger de payer à présentation, dès qu’il arrive un moment de crise. On peut avec sagesse les empêcher de discontinuer leurs payements, en les ralentissant et les proportionnant à l’état et aux rentrées de leur caisse; et lorsqu’on est convaincu qu’il n’y a rien à perdre pour personne, leur crédit n’en est pas altéré : car, quelle que soit la rigueur des conventions à vue, dès qu’on est sûr que dans les circonstances qui en arrêtent l’exécution, il n’y a ni fraude, ni danger, la justice et la nécessité persuadent les hommes, même avant qu’ils se soient donné la peine d’en analiser les détails. Parmi les inconvénients inséparables des banques, il en est encore un assez grave auquel il faut se résigner comme aux autres, lorsqu’on sent l’utilité ou le besoin de cette espèce d’établissement. Les banques, auxquelles on ne songe pour l’ordinaire que lorsque les opérations publiques et privées sont gênées par la rareté du numéraire, augmentent inévitablement cette rareté. En effet, Messieurs, toutes les choses humaines prennent naturellement un certain niveau qu’elles ne peuvent outrepasser; nul service social ne saurait employer plus de capitaux que le besoin ne l’exige: car il faut acheter ces capitaux, et en payer ou en perdre l’intérêt, quelque usage que l’on en veuille faire. Or, chacun craignant les dépenses où il ne trouve point d’avantages, les habitudes du commerce repoussent les instruments qui ne leur sont pas absolument nécessaires. On ne se procurait des métaux, et on ne les convertissait en monnaie, que parce qu’on s’apercevait, dans la société, que la monnaie était utile et commode ; mais, lorsqu’un papier qui inspire de la confiance supplée, dans une grande partie des achats et des ventes, à l’usage de la monnaie, on a moins besoin de celle-ci; dès lors les métaux que l’on y avait consacrés sortent de la circulation dans laquelle les billets les remplacent, et ces métaux servent à faire de l’argenterie et des bijoux, ou passent à l’étranger en achats de marchandises, que les capitalistes et les consommateurs jugent plus utiles à leur commerce et à leurs jouissances. Si j’osais vous exprimer cet effet par une comparaison simple, mais claire, je vous dirais qu’il en est des besoins de la société et du commerce, par rapport au numéraire, comme d’une éponge qui absorbe une certaine quantité d’eau, ‘ mais qui ne peut en contenir une seule goutte de plus qu’il n’en faut pour l’imbiber complètement : versez y plus d’eau, elle s’écoulera dans l’instant. Répandez dans le public plus de numéraire qu’il n’en a besoin pour le service journalier des ventes et des achats, ce numéraire ne pourra rester dans le pays; les métaux qu’il employait changeront de forme, ou sortiront. Notre gouvernement, qui croyait autrefois multiplier les capitaux en achetant des métaux, a constamment tiré d’Espagne des sommes énormes en piastres, et ces piastres, ou les écus dans lesquels on les a transformées, sont passés chez l’étranger avec une égale rapidité. C’est ce qui fait que l’Europe entière est couverte de notre monnaie, tandis qu’on y trouve très-peu de celle d’Angleterre, quoiqu’en Angleterre on fasse beaucoup moins usage de la monnaie qu’en France, parce qu’il y a beaucoup plus de papier circulant. Les inconvénients qu’ont les banques de chasser Je numéraire sont liés à un de leurs avantages qui a été très-bien développé par le célèbre Smith 140 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] c’est celui de suppléer aux métaux avec plus d’économie. Le capital en métaux monnayés nécessaireaux besoins du commerce dans un pays où l'on fait peu d’usage du papier est énorme, et c’est un capital dont l’intérêt se trouve perdu pour la société; de sorte que, la dépense en étant répartie entre tous les achats et toutes les ventes, la société est servie, mais par un instrument dont l’achat coûte cher, et qui a de plus l’inconvénient que son transport est dispendieux. Ainsi, lorsque l’on peut solder en papier, c’est-à-dire par des échanges de titres de créances, tous les engagements qui portent sur de grosses sommes, la société se trouve mieux servie encore, avec plus de rapidité et à moins de frais. Mais, quelque chose que l’on fasse, il reste toujours une infinité d’usages de la monnaie, pour lesquels il est impossible au papier de la suppléer. Tels sont les appoints, les consommations journalières, le salaire des ouvriers, le soulagement des pauvres et la paye des troupes. Il serait fort dangereux que l’abondance du papier, surtout s’il était en petits billets, fût telle qu’elle fit disparaître le numéraire indispensable pour ces différents payements qu’il faut sans cesse renouveler. Le terme delà perfection à cet égard est celui où l’usage du papier, c’est-à-dire de l’échange des titres de créances, peut aisément acquitter toutes les grosses sommes qui sont réciproquement dues, et où il reste assez de métaux monnayés pour toutes les dépenses courantes. Lorsqu’il y a longtemps que les banques durent, que la paix règne dans un pays et que le commerce y prospère, cet équilibre s’établit de lui-même; dans les temps de misère et de trouble, il est sujet à de grandes et fâcheuses oscillations. Chez les nations emprunteuses , l’Etat ne devant jamais sans qu’une multitude de particuliers se doivent aussi mutuellement des sommes très-considérables, l’échange de créances devient plus facile et plus utile : un papier de banque alors peut avoir un beaucoup plus grand emploi. C’est ce qui fait qu’une banque peut être une excellente ressource pour une nation obérée, pressée dans ses engagements, et qui, ayant une grande masse de dettes exigibles ; ne peut néanmoins les solder que successivement. Les billets de banque équivalent d’abord à un versement réel d’espèces ; ils deviennent par là un assez bon remède à cette fâcheuse et honteuse maladie qu’on appelait autrefois les dettes exigibles, et que votre comité de finances a nommé justement, c’est-à-dire d’une manière à la fois plus énergique et plus humiliante, les dettes criardes. Mais par cette raison même que la banque, qui a la propriété de tripler par les engagements qu’elle contracte et dans l’usage habituel le capital qu’elle possède réellement, peut être un remède et même un remède salutaire, par la même raison, dis-je, il doit être dosé avec une grande prudence, et l’on ne peut en user qu’avec une extrême sobriété ; car un remède n’est point un régime, et l’on ne vit pas de médicaments. Les banques ne peuvent, sans le risque le plus effrayant , étendre leurs secours que jusqu’au niveau des usages utiles de leurs billets et des besoins de la circulation. Si elles excèdent cette mesure, les billets, après avoir chassé le numéraire, se chassent eux-mêmes ; ne trouvant point d’emploi préférable à celui de les rapporter à la caisse, ils y reviennent de toutes parts ; et avec quelque art que la banque puisse manifester l’impuissance de payer toujours à vue, qui est dans son essence et constatée par ses statuts, le partage même de ses payements successifs, qui semble, en ce cas, prescrit par l’équité, entre des porteurs de billets dont le droit est parfaitement égal, et qui est d’ailleurs commandé par la prudence, n’empêche pas que la caisse ne doive être tarie en assez peu de temps. Les banques alors font des efforts prodigieux pour se procurer des métaux: et comme elles n’en trouvent qu’avec difficulté dans le pays d’où leurs billets les ont éloignés, elles en font revenir à grands frais de chez l’étranger, où ils retournent presque aussitôt qu’ils sont arrivés. Cette opération peut devenir si coûteuse qu’elle absorbe tous les profits de la banque. Elle peut les excéder ; et en ce cas, si elle ne devait pas être passagère, la banque finirait par être ruinée. C’est ce qui peut arriver un jour à la Banque d’Angleterre, qui garde son secret ; c’est ce qui ne peut arriver à la caisse d’escompte, qui dit le sien au moins une fois tous les ans ; de sorte que, si ses affaires allaient mal, on l’obligerait de solder ses comptes avant qu’elle fût dans l'impuissance de le faire ; nouvel exemple de l’avantage immense que la franchise de notre nation a sur la politique mystérieuse de nos voisins. D’après ce que je viens de vous exposer, Messieurs, vous voyez combien il est important, lorsque l’on veut employer le secours d’une banque, de le borner au plus strict nécessaire, et d’ouvrir à ses billets une multitude d’era plois utiles et attrayants qui puissent en absorber la masse et faire qu’il n’en soit rapporté à la caisse que ce qui est absolument indispensable pour le besoin journalier des menues dépenses courantes. Law avait entrevu la nécessité de cette précaution. Il déploya une jjprodigieuse habileté et toute l’activité d’une imagination très-féconde pour créer des emplois aux billets de sa banque, et pour offrir des perspectives de profits à ses actionnaires. Mais Law n’avait aucune expérience de l’administration; il connaissait les hommes et ne connaissait pas les choses. Il éprouva que le pouvoir du génie ne saurait assurer de succès aux entreprises qui excédent les bornes que la nature et les circonstances assignent aux travaux humains. L’illusion des fantômes de bénéfices, impossibles à réaliser, que sa magie avait d’abord rendus éblouissants, ne tarda pas à se dissiper. Un vide affreux s’ouvrit sous ses pieds, et sa banque, et la fortune publique, et la plupart des fortunes privées y furent englouties. M. Necker, beaucoup plus habile que Law, ayant les idées plus sages et plus liées, concevant des pensées plus profondes, exercé aux travaux de l’administration, et plus particulièrement encore aux spéculations d’un art dont il s’est occupé toute sa vie, mettant au salut de l’Etat et le zèle qu’il vous a voué et tout l’intérêt de sa gloire, est peut-être le seul homme en France qui conçoive bien quel est le péril de la ressource dont les conjonctures actuelles l’obligent de vous faire la proposition. Aussi voyez-vous à quel point craint d’en abuser. Il ne demande que 17Ü millions; et cependant il vous dit que pour que cette somme lui suffise il faut que les recouvrements n’éprouvent point de retard, que l’équilibre entre les revenus et les dépenses soit rétabli, que le remplacement de la gabelle soit effectué. J’espère que ces événements auront lieu, ou que vous y suppléerez par d’autres ressources ; mais un ministre peut en douter, et vous voyez [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] \.A\. que cette inquiétude n’engage pas le premier ministre des finances à demander à la banque rien au delà des 170 millions qui seront nécessaires même dans les suppositions les plus heureuses ; il aime mieux marcher sous le poids du besoin que sous le glaive du danger. Jugez par sa prudence quelle doit être la folie de ceux qui vous proposent de jeter sur la place 400 millions, 600 millions, 1 milliard, 2 milliards, 3 milliards de papier ; tous ces milliards ne seraient qu’une banqueroute, par laquelle vous suppléeriez aux titres actuels de créances sur la nation d’autres titres de créances sans intérêt, ou avec un intérêt plus faible que celui que produisent aujourd’hui les anciens. Vous altéreriez la propriété des créanciers de l’Etat, que vous avez mis sous la garde de l’honneur et de la loyauté Française. Vous l’altéreriez d'autant plus, que vos billets, qui excéderaient les besoins de la circulation, ne pouvant pas être réalisés, tomberaient en perte à l’instant même. S’il y a quelque chose à craindre dans le plan que vous propose M. Necker, c’est que, malgré sa modération scrupuleuse, il ne vous ait encore demandé trop de billets pour le débouché qu’il leur ouvre. L’aliénation des domaines n’est pas faisable aujourd’hui. La nation y éprouverait une perte excessive. Les domaines ne sont point en valeur. Il faut attendre que les assemblées administratives les y aient mis, et que leurs revenus soient triplés, comme ils peuvent et doivent l’être, avant d’en réaliser le capital. Les biens du clergé demandent, pour être aliénés, encore quelques décrets de votre part et la constitution des assemblées administratives . Les édifices mêmes et les terrains situés à Paris ne peuvent être réellement à votre disposition que lorsque vous aurez décrété la suppression des ordres monastiques, et pris les mesures de justice et d’humanité que vous prescrivent en ce cas les droits et les besoins des religieux, dont les corporations seront détruites pour le bonheur de leurs membres et pour l’intérêt public. Cependant le ministre des finances, retenu par la répugnance qu’inspirent aujourd’hui les emprunts, n’ose vous montrer qu’en perspective cet emploi pour les billets surabondants de la banque; mais je vous invite, Messieurs, à n’adopter son plan qu’à la charge qu’il sera constamment ouvert un emprunt dont les conditions soient avantageuses pour la nation et attrayantes pour les prêteurs, sans être immorales. La dernière fois que vous avez daigné m’écouter avec bonté sur la matière importante des finances , je vous ai soumis des idées que je crois saines, dont l’exécution me semble facile, dont le succès me paraît assuré pour l’institution d’un tel emprunt (1). Les emprunts ont été redoutables quand leurs stipulations dépravaient les mœurs, quand leurs capitaux servaient d’aliment aux dissipations, quand leurs intérêts aggravaient d’année en année le fardeau de l’Etat, et nécessitaient, chaque jour, des impositions nouvelles. Mais les emprunts libératifs, dont les vues seront conformes aux sentiments les plus naturels et les plus honnêtes, dont l’attrait pour les prêteurs sera suffisant et même puissant, dont le taux de l’intérêt sera cependant modéré ; enfin, qui, sous la sur-(1) Voyez le Discours sur tétai et les ressources des finances (t. IX des Arch. pari., p. 147 et suite). veil lance de l’Assemblée nationale et sous la garantie de la responsabilité des ministres, ne pour-rontétre employés qu’au remboursement des dettes les plus onéreuses, sont une condition indispensable de la régénération de l’empire ; ils sont le plus efficace moyen de diminuer progressivement les charges du peuple ; et de plus, il est impossible de se passer d’eux pour servir d’écoulement aux billets de la banque, dont la somme pourrait surpasser les besoins de la circulation, et la faculté de la réalisation en espèces. Celle-ci ne doit jamais être interrompue : elle doit être proportionnée aux besoins journaliers du commerce et du travail ; mais on ne doit pas trouver étrange qu’elle soit réglée de manière à partager les espèces entre tous les porteurs qui y ont un droit égal, et à réserver à la banque la facilité d’effectuer ses rentrées et de nourrir sa caisse par son portefeuille, lorsque ceux qui ont reçu ses billets ne les ont pris qu’à cette condition, notoirement énoncée dans l’institution, en vertu de laquelle la banque ne doit avoir en argent qu’une partie de son capital, condition qui a été sanctionnée sur ce pied par l’autorité publique, et sans laquelle aucune banque ne pourrait ni s’établir, ni subsister. Voilà, Messieurs, ce que j’avais à vous dire sur les banques en général. Je devais leur ôter leur masque. Je devais réduire à ses plus justes bornes la confiance qu’elles ont droit d’inspirer. Je devais montrer qu’il faut rire de leurs fastueuses et absurdes promesses de payer toujours à vue et comptant toute quotité de sommes, lorsqu’elles ne peuvent former leur capital qu’en empruntant à un taux d’intérêt plus cher que celui auquel elles prêtent ; lorsqu’elles ne peuvent exister qu’à la condition de n’avoir qu’un capital de beaucoup inférieur à celui des billets qu’elles mettent en circulation; lorsqu’elles déclarent cette condition au public dans leurs prospectus, leurs statuts et leurs règlements. Je devais établir en même temps que c’est avec raison que leurs billets ont cours et suppléent au numéraire, puisqu’il est impossible de perdre avec elles ; leurs billets n’étant donnés que contre des valeurs égales, et leur avoir surpassant nécessairement leurs dettes de toute la valeur de leur capital primitif. Je devais enfin indiquer les précautions qu’exige leur usage , et celles qui me paraissent devoir être ajoutées au plan que vous a soumis le premier ministre des finances. II me reste à opposer quelques vérités aux imputations que j’ai entendu faire, dans cette tribune, à la caisse d’escompte; car c’est à raison de l’indignité qu’on lui suppose, qu’on veut vous priver de cette ressource, et vous conduire, soit à la création d’une autre banque qui n’aura de préférable que de n’avoir rendu aucun service, soit à l’usage du despotisme pour appuyer la mauvaise foi, et pour forcer nos créanciers, dont vous avez garanti les droits, au nom de votre honneur et de votre loyauté, de perdre néanmoins, ou sur le capital, ou sur les intérêts de leurs créances, ou plutôt sur l’un et sur l’autre à la fois : conduite qui me semble à tous les égards bien plus indigne de vous et de la majesté des nations. Mais si la caisse d’escompte est irréprochable, et j’avoue qu’elle me paraît plus qu’irréprochable, qu’elle me paraîtlouable dans ce qu’elle a fait pour l’Etat, les flots d’éloquence qu’on a répandus contre elle s’écouleront avec la rapidité du torrent qu’ils formaient ; il restera les faits, la convenance, l’utilité publique, les seuls motifs de votre détermination. M. Lavenue vous a dit que la caisse d’ès- 142 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] compte était dans un état de banqueroute. 11 a beaucoup appuyé sur ce mot, et l’a retourné de plusieurs façons. Je suis surpris qu’un jurisconsulte éclairé* n’ait pas distingué la banqueroute de la suspension et du ralentissement des payements. Un négociant qui, par des circonstances majeures, se trouve obligé ou de suspendre tout à fait ses payements, ou de ne les effectuer qu’eu partie, est en faillite, et cet état, sans doute, est fâcheux ; mais si son actif est supérieur à son passif, si cet actif est de la plus grande solidité, s’il nefaut qu’attendre, et même qu’attendre peu, pour être complètement payé ; enlin, si la certitude de la solvabilité est telle que, chacun étant convaincu qu’il est impossible de perdre avec lui, ses billets ne perdent en effet rien sur la place, le négociant n’est pas en banqueroute ; et il n’est pas permis à des gens qui connaissent les principes du commerce et le texte des ordonnances de lui faire cette inculpation. C’est le cas où se trouve la caisse d’escompte. Elle existe, il est vrai, sous des arrêts de suspension ; mais ces arrêts ne lui étaient nullement nécessaires; ils ne l’étaient qu’au gouvernement, qui voulait éviter de secourir les faiseurs de services qui l’avaient aidé en s’aidant eux-mêmes de la caisse d’escompte ; qu’au gouvernement qui avait prévu le discrédit que les suspensions de ses propres payements entraîneraient, le reflux de demandes qui devait en résulter sur la caisse d’escompte, et la possibilité que, cette caisse s’épuisant, le Trésor royal, dépositaire des deux tiers du capital de la caisse, à titre de cautionnement, ne se trouvât dans l’obligation, qu’il ne pouvait satisfaire, de remplir les conditions de ce cautionnement en faveur des porteurs de billets qui ont un droit évident à le réclamer. C’est donc à lui-même que le gouvernement a donné sur ce point une suspension -, et il devait d’autant moins hésiter à s’accorder un tel répit sous le nom de la caisse, qu’il se donnait directement dans le même temps la permission de ne pas effectuer les remboursements auxquels il s’était engagé, et qu’il créait même au moment du premier de ces arrêts un papier-monnaie sous le nom de billets du Trésor royal pour les deux cinquièmes de tous les arrérages. Le ministère qui a suivi a supprimé cette dernière partie de la faillite du gouvernement; pour ranimer la confiance, il a dit qu’il payerait, et il a payé comme il a pu les dépenses courantes; mais il ne l’a pu pour une très-grande partie de ces dépenses, qu’avec les billets de la caisse d’escompte, qui remplissaient les caisses publiques. Et depuis que des branches entières de revenu sont anéanties, que la perception des autres éprouve les plus grandes difficultés, il lui est devenu encore plus difficile de marcher sans le secours de cette caisse. Celle-ci conservait du crédit, on savait que ses créances et son capital étaient fort au-dessus de ses dettes : elle avait eu la prudence, l’équité supérieure à celle de l’autorité publique, le courage de continuer ses payements, non pas, il est vrai, à toute quotité de sommes, ce qu’aucune banque ne peut faire dans les moments de crise, et ce qui, comme j’ai l’honneur de vous le prouver, est défendu à toutes les banques par la plus irrésistible des puissances, par leur essence même, qui ne comporte pas qu’elles aient en argent la totalité de leur capital ; mais elle les a continués dans la proportion de 3 à 400,000 francs par jour, ou de 8 à 10 millions par mois. Pendant une époque d’inquiétude aussi longtemps prolongée, c’est un des plus grands efforts qu’on puisse espérer d’une banque ; il est, comme vous avez déjà eu occasion de le remarquer, au-dessus de toute comparaison avec la conduite qu’a tenue la Banque d’Angleterre, qui payait à peine 40,000 francs par jour dans des circonstances bien moins fâcheuses. La caisse d’escompte a fait cet effort envers les porteurs de billets, malgré l’autorité qui l’en dispensait, et tandis qu’elle se trouvait entraînée par les conjonctures et par son zèle à en faire d’autres plus considérables, sans lesquels, Messieurs, nous ne serions pas ici. Vous savez quelle était la situation du Trésor royal lorsque le ministre actuel des finances en a repris l’administration. 400,000 francs, c’est-à-dire les fonds nécessaires à la dépense de l’Etat pour un quart de jour, soupiraient sans espoir au milieu du vide immense des caisses publiques (1). L’archevêque de Sens avait tout épuisé: l’argent demandé à la charité des âmes sensibles pour la construction des hôpitaux, celui qui avai tété destiné à secourir les provinces accablées par la grêle, ces dépôts sacrés, ne l’avaient pas été pour ce prélat. A cette époque, M. Neeker est arrivé, fort de sa réputation, de son zèle, de son expérience et de la confiance universelle, faible de moyens, car la situation de la chose publique ne lui en donnait aucun. Les Etats généraux étaient annoncés, mais il fallait les convoquer, il fallait que les provinces donnassent des instructions à leurs députés ; il fallait de longues discussions et de grands changements pour que les prétentions exagérées des différents ordres se fondissent dans un seul esprit public. On ne pouvait savoir quel serait le résultat de tant d’événements incertains; on ne pouvait prévoir si les représentants des provinces garantiraient ou ne garantiraient pas la dette publique ; il n’existait plus aucune forme sous laquelle on pût donner la moindre légalité aux nouvelles dettes qu’il fallait contracter encore ; on ne pouvait prêter qu’à la probité personnelle du Roi qu’à l’estime qu’inspirait le ministre, qu’à votre honneur et à votre loyauté qu'on présumait. Ces gages étaient sûrs ; ils n’ont démenti l’attente de personne ; mais la garantie qu’ils présentaient n’avait rien de physique : une légère variation dans les opinions pouvait en déranger l’effet; des banquiers pouvaient, sans honte, exiger une autre hypothèque, et il était démontré, de mille manières, qu’il n’y en avait aucune autre. C’est dans ces circonstances, c’est sur un abîme ouvert et connu, que la caisse d’escompte a risqué, pour l’Etat, son honneur et sa fortune; qu’elle s’est dévouée, comme une chaloupe au milieu d’une mer orageuse, pour sauver l’équipage d’un navire en perdition; et ce vaisseau, c’était la France ; il est arrivé au port de l’Assemblée nationale. Si la plus honteuse banqueroute, qui était l’intérêt du despotisme et l’espoir de l’aristocratie, ne les a pas fait échapper à la nécessité de consulter la nation, si elle n’a pas élevé les moyens des vizirs fort au-dessus de leurs dépenses, si la probité du Roi et celle du ministre ont été secourues, si les représentants de la nation française ont été assemblés, si une fois réunis ils ont ce senti qu’ils devaient être, si le clergé n’est plus (1) ....................... deceptus et exspes Nequicquam fundo suspiraret nummus in imo. Perse ( Sat . II, 50). [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] {43 une corporation, si la noblesse n’est plus un ordre, si les pays d’Etats ne sont plus des républiques, si les parlements sont à vos pieds, vous le devez, Messieurs, à la caisse d’escompte. Ce n’est pas que je prétende qu’une nation doive être asservie, même par la reconnaissance ; mais je dis que l’arithmétique, dont vous avez daigné remarquer que je ne négligeais pas le secours, en soumettant mes idées à vos lumières, ne doit pas être le guide unique des nations; je dis que les considérations morales ont aussi leur poids, que c’est principalement par elles que l’on gouverne les empires, et que, chérissant mes concitoyens comme moi-même, j’aimerais mieux qu’ils passassent pour malhabiles que pour ingrats. Je ne voudrais pas porter ce sentiment jusqu’à faire acheter trop cher à nos compatriotes un service public qui doit, comme tous les autres services, subir la loi de la concurrence. Si quelque autre banque vous offre des conditions plus avantageuses que la caisse d’escompte, je dirai avec vous qu’elle doit être préférée, mais seulement après que vous aurez demandé à la caisse d’escompte, si elle ne peut pas remplir les mêmes conditions. Cette nouvelle banque, Messieurs, que vous substitueriez à la caisse d’escompte, devrait réunir beaucoup d’autres moyens que l’esprit, les lumières, les talents et le génie ; il faudrait qu’elle vous donnât, lorsque vous remercieriez l’ancienne banque, de quoi la rembourser : 1° Des 70 millions qu’elle a déposés au Trésor royal, non pas en billets sans valeur, comme vous Ta dit M. Lavenue, mais en actions qui ont été vendues au profit de l’Etat, argent comptant; 2° Des 25 millions que les actionnaires de cette caisse ont prêtés au commencement de cette année ; 3° Des 29 millions que leur caisse a encore avancés sans savoir si vous les rembourseriez; 4» Enfin des 60 millions qu’elle a fournis depuis l’autorisation que vous avez donnée au gouvernement pour traiter avec elle, ou avec d’autres compagnies de finance. Ce total de 184 millions, outre ce qui serait nécessaire pour former le fonds de la caisse de la nouvelle banque, me paraît, dans la situation présente du crédit public et privé, et dans l’urgence des besoins qui ne permettent aucun retard, une bien grande difficulté que le projet d’abandonner la caisse d’escompte aurait à vaincre ; je m’en rapporte à votre sagesse. M. de Mirabeau vous a dit que la caisse d’escompte ne pouvait prêter à la nation que le crédit qui appartient déjà à la nation elle-même. Sans doute on ne prête pas aux gens qui n’ont point de crédit; et sur quoi voudrait-on que la nation empruntât, si ce n’est en effet sur la confiance qui lui est due? Les banquiers aussi qui empruntent à la caisse d’escompte ne trouvent l’usage de son crédit qu’à raison de celui qui leur est propre. L’union de deux crédits est, comme toute autre union, un moyen de force et de félicité. Elle ressemble à celle de deux arbres qui, séparés, seraient trop faibles pour résister aux coups du vent, mais qui se soutiennent pressés l’un contre l’autre, et entremêlant leurs branches et leurs racines. Malgré la perte qu’éprouvent aujourd’hui les effets publics, et malgré le peu de succès des deux emprunts que vous avez ouverts, je suis encore convaincu que la France a le germe d’un très-beau crédit; mais ce germe a un besoin visible d’être cultivé; et comment le crédit national peut-il être diminué en s’aidant de celui d’une compagnie qui a un capital de plus de 100 millions libres, et qui peut payer, sans effort, 8 à 10 millions par mois? Pensez-vous que ce ne soit rien qu’un capital de 100 millions de plus à vos ordres ; et croyez-vous que des payements effectifs de 100 à 120 millions par année, réalisés régulièrement sur le pied de 3 à 400,000 francs par jour, ne soient pas de grands moyens d’entretenir la confiance? Ne voyez-vous pas combien elle est, combien elle a toujours été plus grande pour les effets qu’on rembourse, que pour ceux qu’on ne rembourse point? Je n’entends pas ce qu’on veut dire dans le projet du premier ministre des finances, ni dans celui de votre comité, ni dans le discours de M. de Mirabeau, par une caisse nationale, séparée de la caisse d’administration et particulièrement appliquée aux dettes. Pourquoi multiplier ainsi les dépenses de caisses et d’administrateurs? Pourquoi appréhender de vous voler vous-mêmes et d’intervertir la destination des fonds publics? C’était à faire aux rois, qui craignaient leurs ministres, leurs maîtresses et leurs passions ; c’était à faire aux ministres, qui se craignaient l’un l’autre. Mais vous, l’assemblée permanente d’une grande nation, vous ne vous croiriez pas capables de faire effectuer par une seule caisse les payements divers que vous aurez décrétés 1 et vous voudriez inspirer la confiance que vous n’auriez pas en vous-mêmes ! Comment la rendrez-vous générale ? ce n’est pas en créant une caisse que vous indiqueriez comme plus nationale ou plus privilégiée qu’une autre, ce qui serait petit et insensé ? tous vos établissements publics doivent être également nationaux, nul besoin ne doit être privilégié que les plus urgents ; et pensez-vous que, si la caisse d’administration n’avait pas de quoi payer les troupes, vous pourriez ou devriez empêcher la caisse nationale de venir au secours? Pensez-vous qu’il y ait quelque enfant qui le croie? C’est en mettant la totalité de vos revenus au-dessus de vos dépenses, et non pas en partageant entre diverses caisses des revenus qui seraient insuffisants, que vous rétablirez votre crédit. Les déprédateurs n’y sont plus ; s’ils y étaient, s’ils pouvaient renaître, vos précautions de caisses particulières seraient impuissantes contre eux. Ne donnez point à penser que vous puissiez redouter de le devenir vous-mêmes. Apprenez à vous estimer ce que vous valez, connaissez votre dignité, et n’oubliez pas que vis-à-vis du peuple elle tient beaucoup à l’économie et à la simplicité de l’administration. Si, abandonnant l’idée d’une très-inutile et très-dispendieuse caisse nationale, qui ferait croire que vous avez deux intérêts, le Trésor royal veut user de son propre crédit et répand des billets : ou ces billets porteront, comme plusieurs personnes le proposent, un intérêt de 5 0/0, et alors le Trésor royal sera en faillite; il atermoiera d’autorité, et il payera cette situation désagréable et forcée au prix de 2 0/0 plus cher sur les intérêts que ne le propose la caisse d’escompte ; Ou il n’attachera point d’intérêt à ses billets, et alors il fera banqueroute, au moins de la valeur des intérêts à ceux qui seront obligés de recevoir les billets en payement. . Enfin, dans l’un et dans l’autre cas ; ou le Trésor royal n’indiquera qu’une époque éloignée pour retirer les billets qu’il aura donnés, et alors ses billets perdront sur la place, la banqueroute sera plus cruelle et plus ruineuse ; ou il ouvrira une 144 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] caisse afin de payer chaque jour comme la caisse d’escompte, pour 3 à400, 000 livres de billets; alors le Trésor royal sera une banque qui commencera son établissement par la nécessité de payer 184 millions à l’ancienne banque que vous aurez . réprouvée, et que vous aurez réprouvée pourquoi? à cause de l’embarras passager où l’ont mise les services qu’elle vous a rendus et la difficulté que vous trouvez à vous acquitter envers elle. Encore le Trésor royal n’aura-t-il pas, comme la banque, le juste espoir de pouvoir payer à toutes demandes, des que la confiance sera rétablie. C’est un cercle, Messieurs, dont nous ne pouvons pas nous tirer : ou nous emploierons la caisse d’escompte; ou nous la punirons des secours qu’elle a donnés à l’Etat, et nous emploierons une seconde banque, qui devra commencer par le remboursement deFla première ; ou nous transformerons le Trésor royal en une troisième banque, sous la même condition ; ou négligeant tous ces palliatifs, nous manquerons nettement aux engagements qui ont été pris sur la foi publique, après les avoir nous-mêmes consolidés avec une phrase imposante, et oubliant notre honneur et notre loyauté, nous ferons banqueroute au moins partielle sur le capital, sur l’intérêt, ou sur l’un et sur l’autre. Banque ou banqueroute, vous avez le choix ; ou plutôt vous ne l’avez plus, car vous avez proscrit jusqu’à la dernière expression, et ce n’est pas moi qui vous ai fardé la première : c’est moi, au contraire qui, la dépouillant de tout artifice, viens de vous dire, au grand étonnement des projeteurs, jusqu’où il fallait limiter la confiance dans les promesses des gens d’esprit qui voudraient vous persuader qu’une banque payera toujours tous les billets qu’on pourra lui présenter. Je me suis borné à vous exposer que l’on ne peut perdre avec une banque raisonnablement administrée et constituée, et qu’elle pourra payer constamment des demandes sagement proportionnées aux deniers de sa caisse. Si ces conditions tirées de la nature de la chose ne vous inspirent pas une invincible répugnance (et pourquoi répugnerait-on à ce que la nature des choses exige?), si les Etats pauvres sont, comme les particuliers pauvres, obligés d’aider leur crédit du crédit d’autrui ; si le pire des maux est d’exercer l’autorité pour se dispenser de payer ses dettes; si c’est une des injustices dont le peuple a toujours été le plus choqué, vous adopterez le projet du premier ministre des finances. C’est à quoi je conclus, Messieurs, en vous priant seulement d’y apporter quelques modifications. Le ministre vous a demandé d’y faire celles que vous jugeriez utiles, et il en est trois qui me paraissent d’une indispensable nécessité: La première est d’abandonner l’entreprise des banques aux lois de la liberté du commerce. Je n’ai pas compris ce que le ministre a voulu dire en vous parlant d’un privilège pour la caisse d’escompte. Si ce privilège renferme quelque chose d’exclusif, vous devez le refuser : vous êtes venus ici pour détruire les privilèges exclusifs, et non pour en créer de nouveaux. Si l’on n’entend par privilège que la décoration d’un titre, j’y vois peu d’utilité, peu d’inconvénients; mais aussi dans ce sens l’expression est peu française. Le second amendement que je demanderai aux propositions qui vous ont été faites est relatif aux anticipations. Je ne crois pas que vous eu deviez conserver aucunes. Je crois que vous devez imposer au gouvernement la loi de les rembourser toutes. Il serait impossible, avec des anticipations, d’établir un ordre parfait de comptabilité; il serait impossible de faire de toutes les caisses de recettes, des caisses de dépenses; et j’ai eu l’honneur de vous démontrer, dans une autre occasion, qu’indépendamment de la simplicité et de la clarté qui en résulteraient pour les comptes publics, ily a 20 millions par an à gagner à cette utile opération. La troisième modification que je vous prie d’agréer est de tenir constamment ouvert un emprunt à 4 1/2 0/0 , dont 4 en perpétuel, et 1/2 en tontines, duquel les fonds puissent toujours être faits, soit en effets suspendus, soit en billets de caisse, et soient toujours employés, sous l’inspection de l’Assemblée nationale, et sous la garantie de la responsabilité des ministres, au remboursement des dettes les plus onéreuses. Avec cette précaution, je ne crains pas que les billets de la caisse d’escompte, bornés à 240 millions, surabondent; et je vois que la petite gêne même qui pourrait durer encore quelque temps dans le payement des billets de la caisse assurera le succès de l’emprunt. Sans elle, je crois, comme le premier ministre des finances, que les billets pourraient surabonder, et je serais effrayé, comme lui, de la ressource qu’il vous présente, tandis qu’il me parait d’ailleurs si nécessaire d’en faire usage, et que jointe à celles que vous vous êtes déjà préparées, elle me semble l’unique moyen d’amener les finances au degré d’équilibre et de prospérité dont je vous avais offert un aperçu que le rapport de votre comité des finances confirme. Je désire. Messieurs, que les vérités que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer justifient les propositions que je vais vous lire et que je remettrai ensuite sur le bureau. PROPOSITIONS. Adopter le plan du premier ministre des finances, à la charge : Que le privilège de la caisse d’escompte ne sera pas exclusif; Que rétablissement des banques sera libre comme toute autre entreprise de commerce; Que toutes les anticipations seront remboursées ; Que toutes les caisses de recette deviendront des caisses de dépense ; Et qu’outre l’emploi offert aux billets de caisse, dans le rachat des dîmes et l’acquisition des biens-fonds qui sont à la disposition de la nation, il sera constamment ouvert un emprunt, à des conditions à la fois exclusives de toute immoralité, attrayantes pour les prêteurs, et avantageuses pour la nation, afin d’assurer, de toutes parts, aux billets de caisse, un débouché qui les empêche d’excéder les besoins de la circulation. Voix nombreuses : L’impression du discours de M. Dupont (de Nemours ). L’impression est ordonnée. La suite de la discussion est ajournée et l’Assemblée passe à son ordre du jour de deux heures. M. Ilébrard rend compte, au nom du comité des rapports, des difficultés qui se sont élevées entre le district des Cordeliers et les représentants de la commune de Paris. II donne lecture des articles 2, 3 et 4 du plan provisoire que les districts ont au moins adopté tacitement. La