SÉANCE DU 30 THERMIDOR AN II (17 AOÛT 1794) - N° 10 217 Citoyen président, Je t’adresse environ 36 vers. La lecture en serait si tôt faite que j’oserais presque prier la Convention de vouloir me l’accorder personnellement ou d’en charger un secrétaire; si je ne puis obtenir aucune de ces faveurs, je te serais très obligé, citoyen président, de faire en sorte que mes vers soient au moins renvoyés au comité d’instruction publique, désirant pour la satisfaction de mon cœur que mes sentimens, les vrais, dans la circonstance touchante qui me les a inspirés, acquièrent quelque publicité, ainsi que mon amour et mon respect pour la Convention. S. et F. ! Dauvergne ( employé à la trésorerie nat.). [P. -S.] Le citoyen, présent, attendra l’événement de sa pétition. Sentimens d’un citoyen témoin de l’élargissement de plusieurs prisonniers depuis le supplice de Robespierre. Un tyran sanguinaire, un despote orgueilleux L’infâme et traître Robespierre A ses projets les plus affreux Sacrifiait la France presqu’entière. Il n’est plus... Quel spectacle a frappé mes regards ? J’ai vu s’ouvrir - ô moment plein de charmes ! Mes yeux à cet aspect se sont mouillés de larmes - J’ai vu s’ouvrir de toutes parts Ces séjours ténébreux où souvent l’innocence Victime de la haine et de l’ambition Gémissait sans espoir dans un morne silence Sous le poids de l’oppression. Ils sont passés ces jours de terreurs et de peines. Partez, volez, qu’attendez-vous Pères chéris, tendres époux ? Allez, dégagés de vos chaînes, D’une aimable moitié ranimer les appas Qu’avaient flétri la langueur, la tristesse. Que dis-je ? Au-devant de vos pas, Versant des pleurs de joye et de tendresse, Je la vois qui s’empresse et qui vous tend les bras. A ses côtés sont ses modestes filles Et de petits marmots joyeux et sautillans; Enfin dans toutes les familles En tous lieux, quels transports, quels doux embrasemens ! La sensible amitié partage cette yvresse. Moi-même, de douleur n’a guères oppressé, Dans le sein d’une ami je me suis élancé. 0 vous à qui l’on doit cet excès d’allégresse, Du peuple souverain dignes représentans, Combien plus que jamais d’épouses et d’en-fans A qui par ce bienfait vous redonnez la vie, Vous nommeront dans leurs ravissemens Les vrais pères de la patrie ! Et quelles voix en ces heureux instans, Aux miens unissant leurs accens, Ne feraient retentir cet auguste portique De ce cri de l’amour : Vive la République ! 10 La société populaire de Fougerolles, département de la Mayenne, félicite la Convention nationale sur ses travaux et sur son énergie, lui témoigne sa reconnoissance et lui annonce qu’en réjouissance de nos victoires signalées, elle a célébré une fête civique dont elle donne les détails. La Convention nationale décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin et le renvoi au comité d’instruction publique (1). [La sté popul. de Fougerolles, à la Conv.; Fougerolles, 30 mess. II] (2) Citoyens représentants, La gloire que nos frères d’armes ont acquise dans les campagnes de Fleurus a aussy exalté nos âmes républicaines. Nous avons aussytôt voté une fête civique à la victoire et une adresse à la Convention qui, par sa sagesse et son énergie, l’a enfin naturalisée dans nos climats. Nous ne vous répéterons plus : restez à votre poste. La République entière a parlé, vous avez obéi et la République est sauvée. Grâces immortelles à vos traveaux ! Nous sommes libres, les tirans pâlissent, tous les peuples soupirent et bientôt ils diront avec nous : grâces immortelles à vos traveaux ! Le décadi 30 messidore devoit retracer aux yeux de nos concitoyens tous les genres de victoires que nous devons à la bravour républicain et à l’empire de la raison. L’enceinte du ci-devant château de Goué en étoit le théâtre. On y avoit réuni tous signes de la tyrannie, royalle, fœodale et sacerdotale. Une partie de la force armée ne s’étoit déterminée qu’à regret à en affecter momentanément la deffence. Desjà l’autre marchoit en bon ordre au sons des airs chéris des Français pour enlever aux yeux des spectateurs ces emblèmes qui, en leur rappelant la honte de leur servitude passée, nourrissoit leur amour pour la liberté et leur reconnoissance pour ses fondateurs. On en vint aux mains. Le plan de deffense, aussy bien conçu que celuy d’attaque, ne tint pas à l’exécution. Plusieurs redoutes emportées à l’arme blanche (la poudre, le peu que nous en ayons, nous la réservons pour les Chouans) nous laissèrent bientôt paroître devant la place. Le désespoir livra au courage un combat assez opiniâtre mais enfin les barricades cédèrent aux haches et les deffenseurs au feu des assaillants. Les cris de vive la République, à bas les tirans, vive la Convention, à bas les fœdéraliste ! remplirent l’air et accompagnère notre jeunesse dans l’enceinte où elle se saisit bientôt de tous les emblèmes qu’on lui disputoit encore. L’infâme drapeau blanc traîné dans la poussière fut, avec eux, mis entre les mains des officiers munici-peaux et concoucoururent (sic), avec les vain-(1) P. V, XLIII, 270. Mentionné par Bm, 2 fruct. (suppl1). (2) C 316, pl. 1268, p. 7. 218 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE eus désarmés, à orner le retour des vainqueurs. Les spectateurs les accompagnèrent jusqu’au rendez-vous. Le besoin, la fatigue suspendirent le désir de voir livrer aux flammes tous les signes de la puissance des grands et de l’oppression des peuples. Il étoit 2 heures après midy. On se sépara pour aller prendre un repas gay, prompt et sobre. On se réunit en société populaire dont on ne sortit que pour aller danser autour de l’autodafé qu’on avoit préparé. L’allégresse ne fut point suspendue jusqu’à la nuit. Des danses régulières se succédèrent sans cesse jusqu’à ce que la décence obligeât les acteurs à aller porter dans leur famille les sentiments fraternels que tous s’étoient jurés. Extrait du procès-verbal de la séance de la société populaire républicaine de Fougerolles, chef-lieu de canton, district d’Ernée, département de la Mayenne. Du 30 messidore l’an 2 e de la République démocratique, une et indivisible. Au bruit de la sonnette les cris de Vive la République, vive la Convention ! se sont fait entendre. Après quoi le citoyen Destain, président, a dit : « Citoyens, la victoire, si souvent volage s’est fixée dans le camp des républicains. Plus prompte que leur marche rapide, elle poursuit dans ce moment l’Autrichien jusque dans les places étrangères. Ces esclaves, chassés du sol de la liberté, n’osent se fier à leurs propres murailles. Bientôt ils n’auront de resource que dans la clémence du peuple français. La majesté de celuy-ci a anéanty celle des rois. Le département de Gemmape arraché à l’esclavage, la Belgique reconquise, la communication des Anglais avec les armés combinés presque interceptées : tels sont les fruits de la bataille de Fleurus, qui a fait le principal objet de cette fête. Voici les détails de ces importantes nouvelles ». Il a fait lecture des derniers journeaux, qui a inspiré le plus vif interrest. On a crié encore : vive la République ! Elle vivera, s’est écrié un républicain en montant à la tribune; tous les tirans de l’Europe coalisée contre notre liberté, leurs vils esclaves épuisant leur trésors, versant leur sang, ne riveront que leurs propres fers. Le peuple français, lutant seul contre cette ligue monstrueuse, triomphera toujours par les seules forces que luy inspire la liberté. Des colonnes d’Hercule aux Orcades, du fond de la Sibérie jusqu’aux bords du Rhin, que dis-je ? du fond des deux Indes jusqu’aux portes et souvent jusque dans l’intérieur de nos places-fortes et maritimes, le despotisme, le féroce despotisme conspire notre perte et l’esclavage de l’univers. Mais la France qui semble ne travailler que pour elle, fonde en effet la liberté du genre humain que le stupide et vain Espagnol, depuis longtems courbé sous le joug avilissant de l’Inquisition, tente de nous rendre aussy méprisable que luy. Je n’en suis pas surpris. La superstition et l’orgueil rendent tout légitime, et le sang de plusieurs millions de malheureux Amairicains et Asiatiques, qui demande ven-gence de leur férocité, luy parroist encore un holocauste digne du ciel et de son roy. Que Frédéric-Guillaume, qui n’a hérité de son père que d’un troupeau d’esclaves sans avoir rien de sa philosophie, employé aussy contre nous des forces qui ne devroient être destinées qu’à faire respecter son peuple : le brigand qui savouroit déjà les dépouilles de la Pologne que le lâche Stanislas luy abandonnoit, espéroit plus encore du partage de nos fertiles et riantes contrées. Après avoir ainsy successivement apostrophé le Batave qui outrage si ignominieusement les vertus de ses ancêtres, le tiran d’Autriche et ses coétats dans l’empire, le despote piémontais que l’orateur poursuit jusque dans ses montagnes où il ne trouvera pas un asile; le lâche Napolitain que la nature a puni de sa soumission aux ordre de Pit avant que le peuple français eût encore jetté sur luy un regard de vengence; le pontif romain qui a joué la dernière fois une comédie qui ne luy a que trop réussy pour le malheur des peuples mais qui ne peut plus rien contre l’authorité suprême d’une raison mûre et éclairée. Il continue : Mais toy, fier Anglais, qui a acheté le nom de liberté que tu usurpe encore au prix de tant de sang, de tant de sacrifices de toute espèce, toy qui lûtes sans cesse contre les prétentions usurpatrices de ta monarchie, toy qui semblais gémir de l’oppression du genre humain et voter son retour aux droits sacrés dont les tirans l’ont partout dépouillé, non content d’être entré des premiers dans la coalition, je t’ai vu seul employer les menaces et la force pour y lier les puissances subalternes que la crainte ou l’amour de la justice retenait dans la neutralité. Et de quel voile couvre-tu tes féroces attentats contre nos droits ? Jaloux de l’avence que nous avions pris sur toy dans la carrière de la liberté, tu affecta à ton ordinaire l’empire de l’élément indomptable des mers; le cour si libre des fleuves, tu voulus l’enchaîner à tes caprices et l’Escaut fut témoins de ton insolence et de tes vaines prétentions. Il falut bien se résoudre à les réprimer. Cependant notre révolution touchait à sa fin. Notre dernier tiran venoit d’expier ses forfaits. La sélérate Autrichienne alloit payer de sa vie ses turpitudes et ses projets de sang et le triomphe éclatant qui ne devoit qu’exciter ton émulation fit trembler ton despote. L’heure de reconquérir ta liberté étoit sonnée, mais un ministre, qui sera bientôt l’opprobre des nations dont il est l’oppresseur, profita de ta foiblesse et te fit dire : donnons-leur un roy constitutionnel. O lâche et perfide Anglais ! Va, ton nom ne sortira plus de ma bouche. Je l’abhore avec toute ma nation. Crois-moy, les autres esclaves que tu sers si bien rient eux-même de ta bassesse et détestent en secret ta mauvaise foy. Ils ne t’en puniront pas parce qu’elle leur est utile, mais la France est là, et bientôt tu ne seras plus, ou tu deviendra juste et humain comme nous. Mesure les malheurs que te prépare le prétendu génie de ton ministre par les abimes qu’il a desjà creusés sous tes pas et qui ne seront comblés que longtems après une paix que tu désire sans doute mais qu’il ne goûtera jamais. Jette les yeux sur le port infâme que la corruption de son or a livré entre tes mains. SÉANCE DU 30 THERMIDOR AN II (17 AOÛT 1794) - N° 11 219 Compare l’issue de ses perfides manœuvres avec ses brillantes promesses et juge de ce que peut un esclave contre les resources sans cesse renaissantes d’un peuple libre ! Il entre ensuite dans les détails du siège de Toulon, de l’exemple que cette commune a donné à la République. Il décrit de même le but, les moyens et l’issue de l’affaire navale pour les Anglais, retourne aux Espagnols dont la lâcheté s’est sy bien peinte à la reprises de Collioure, Port-Vendres, etc. et a fait un contraste si frappant avec l’héroïsme des Français, esquisse rapidement les principales affaires de la guerre infernalle de la Vendée, de la révolte de Lion, etc., et met en évidence la perfidie anglaise et celle des autres coalisés qui y prenaient une part si active par leur gens et leur trésors, pour revenir enfin aux victoires plus rapprochés qui forment la plus brillante époque de notre révolution : les Français se portant presque en même tems partout où il y a des esclaves, ceux-ci se précipitant sur leur arrières-gardes et entraînant toutes leurs forces comme pour assiéger leurs propres enceintes, tel est le tableau animé qu’il termine. O mes concitoyens, s’écrie-t-il en finissant. Que nous manque-t-il pour être le premier peuple de l’univers ? Les Romains eux-même, trop célèbres pour le peu d’heureux qu’ils ont fait, combien ils sont éloignés des Français régénérés ! Encore un pas, et notre gloire sera à son comble. Elle sera impérissable comme la République qui en tirera un nouvel éclat. Nous ne pouvons pas tous partager les glorieux périls de nos deffenseurs. Nous ne pouvons pas tous partager leur victoire sur le territoire des esclaves. Mais combien de victoires dans un autre genre peuvent nous illustrer encore ! Que de préjugés arrêtent notre énergie ! Que de passions nous retiennent au-dessous des vrais principes d’un républicain, et, pour ne parler que de l’interrest propres qu’on nomme égoïsme dont la plus part d’entre nous ne sont pas assez guéris, oh combien il contredit l’égalité sainte à laquelle la nature nous a soumis, et la douce fraternité, le premier lien de la société. Levons-nous donc aussy en masse pour combattre chez nous et hors de nous tout ce qui peut nuire à l’interrest national. Faisons-en ici le serment de tout sacrifier à la patrie. Nous ne perdrons rien : une conscience pure, la jouissance du bien public vaut une usurpation criminelle sur le bonheur de nos semblables. Que les réjouissances qui vont nous rassembler soient l’aurore de cette douce union. Commençons-la par le refrain chéry : vive la République ! Un jeune républicain de la compagnie des enfants a succédé à la tribune. Tous les regards se sont fixés sur le jeune orateur dont les premiers mots étoient l’expression du patriotisme et de la reconnoissance. Citoyen président, a-t-il dit, et nous aussy nous voudrions bien pouvoir combattre les ennemis de la République. Tu as déjà formé au maniment des armes plusieurs de nos frères qui sont aux frontières. Notre tour viendra et nous n’avons encore que la bonne volonté. Je require aussy au nom de mes jeunes camarades tes soins et ton zèle, et demande que nous soyons dès ce moment admis avec nos aînés au service de la garde de la commune. Cette pétition, convertie en motion par un membre et applaudie par la société, a été adoptée à l’unanimité. On a chanté ensuite plusieurs hymnes patriotiques et après les cris répétés de : vive la République une et impérissable ! on s’est séparé pour aller terminer la fête de la victoire. Destain ( libre président). 11 La société populaire de Blamont, département du Doubs, envoie à la Convention nationale l’hommage des sermens civiques qu’elle a prononcés le jour de l’anniversaire du 14 juillet. Elle a juré guerre à mort au despotisme, à l’erreur et à tout genre de corruption. Elle lui renouvelle son invitation de rester à son poste et fait passer quelques pièces composées pour son instruction. La Convention nationale décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin et le renvoi au comité de salut public (1). [La sté popul. montagnarde et régénérée de Blamont, à la Conv.; Blamont, 1er therm. II) (2) Liberté, égalité, fraternité. Guerre aux tyrans ! Paix aux chaumières ! Ainsi la raison et la liberté marchent d’un pas égal. Tandis que les bayonnettes de nos intrépides guerriers portent l’effroi chez tous les despotes et font le désespoir de leur âme de sang, les vrais principes de morale se répandent et font la consolation du sage. Dans peu l’homme et le ciel seront vengés. Oui elles tomberont ces chaînes honteuses dont l’ignorance avoit laissé accabler l’humanité. Elles tomberont aussi ces pompeuses rêveries par lesquelles on avoit défiguré la divinité et avili son culte. Fiers des traits de grandeur que nous a imprimés notre Dieu, orgueilleux de la place distinguée qü’il nous a assignée parmi ses ouvrages, jaloux de ses droits et des nôtres, nous ne souffrirons plus de barrière entre nous et lui; nous ne reconnoîtrons plus d’autre empire que celui de ses loix; nous ne rendrons plus d’autre hommage que celui de nos vertus. On nous avoit dérobé son cœur, nous le retrouvons et nous ne permettrons jamais qu’on nous le ravisse de nouveau. Citoyens représentans, c’est là le serment solemnel que nous avons prêté à la célébration de l’anniversaire du 14 juillet 89. Alors nous avons dit d’une commune voix : point de trêve avec les tyrans ! Point de paix avec le crime ! Guerre à mort et au despotisme et à Terreur et à tout genre de corruption ! Et ce serment qui (1) P.V., XLIII, 270. Mentionné par B‘n, 2 fruct. (suppl1). (2) C 316, pl. 1268, p. 8, 9, 11.