[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.) 327 Plusieurs membres : L’ajournement! l’ajournement! M. de Pardieu. Je demande que le pouvoir exécutif soit chargé de s’assurer de l’authenticité de la lettre. M. Prieur. Les ministres ont envoyé une note, dans laquelle ils ont déclaré qu’ils ne savaient pas bien quels étaient les fonctionnaires absents, ni par conséquent ceux qu’il fallait remplacer. Je demande, moi, que dans le délai que vous fixerez, ils justifient l’exécution de votre décret sur la résidence des fonctionnaires publics. M. d’Estourmel. Dans le troisième titre concernant la régence, il existe un article concernant les fonctionnaires publics. Avant de déterminer la manière dont on traitera les fonctionnaires publics, il faut, à ce qu’il me semble, déterminer ce que l’on entend par fonctionnaires publics. Or, je déclare qu’un maréchal de France qui n’a pas de commandement, qui n’a point d’existence reconnue dans aucune partie du roya-sme, parce qu’il est maréchal de France, n’est pas fonctionnaire public. M. le Président, Ce n’est pas là la question. M. d’Estourmel. Je demande donc, non pas un ajournement indéfini, mais un ajournement après que l’Assemblée nationale aura statué srur le troisième titre de la loi des fonctionnaires publics. Je demande l’ajournement jusqu’après la discussion sur le projet de loi de la régence et des fonctionnaires publics. (L’Assemblée ferme la discussion et ajourne à quinzaine la proposition de M. Voidel.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur la régence du royaume (1). M. Thouret, rapporteur. Nous arrivons, Messieurs, aux articles du projet de décret relatifs à l’élection du régent lorsqu’un parent du roi mineur ne réunirait pas les qualités requises. Voici ces articles : « Art. 6. Si un roi mineur n’avait aucuns parents réunissant les qualités ci-devant exprimées, le régent sera élu ainsi qu’il va être dit aux articles suivants. « Art. 7. Les citoyens actifs convoqués en assemblées primaires nommeront des électeurs conformément aux vingt premiers articles de la section première du decret du 22 décembre 1789. « Art. 8. Les assemblées primaires seront convoquées d’après une proclamation du Corps législatif, s’il est réuni; et, s’il était séparé, le ministre de la justice sera tenu de faire cette proclamation dans la première semaine du nouveau règne. « Art. 9. Les électeurs nommés parles assemblées primaires de chaque département se réuniront en une seule assemblée, et nommeront, au scrutin individuel et à la majorité absolue des suffrages, dix citoyens éligibles à l’Assemblée. « Art. 10. Les dix citoyens nommés en chaque département seront tenus de se rassembler dans (4) Voyez ci-dessus, séances des 22 et 23 mars 1791, pages 200 et 295. la ville où le Corps législatif aura tenu sa dernière séance, le 50a jour au plus tard, à partir de celui de l’avénement du roi mineur au trône; et ils y formeront le corps électoral, qui procédera à la nomination du régent. « Art. 11. L’élection du régent sera faite au scrutin individuel et à la majorité absolue des suffrages. « Art. 12. Le corps électoral ne pourra s’occuper que de l’élection, et se séparera aussitôt qu’elle sera terminée. » Il se présente sur ces articles la question de savoir si l’élection du régent sera faite ou par la nation au moyen direct et plus constitutionnel du corps électoral qu’elle nommera, ou si cette nomination sera déléguée aux législatures. C’est à cette question qu’il faut s’arrêter. Je répéterai simplement ce que j’ai exposé à l’Assemblée dans mon rapport, que nous n’avons pas cru que la nomination du régeat pût être attribuée au Corps législatif. Par la première raison, c’est qu’elle ne peut faire partie des fonctions qui lui sont confiées. Une législature sera un pouvoir constitué, cette législature n’a, par sa mission naturelle, que le pouvoir de faire des lois et autres actes de la législation, mais pas du tout celui de faire une élection qui appartienne directement à la nation. Il arriverait à la vérité, et vu les circonstances du fait, que la mission de nommer un régent entrerait trop rarement dans l’intention précise des électeurs qui nommeraient les députés au Corps législatif. On peut même prouver aisément que, lors de l’ouverture de la régence, le cas n’aurait pas même éié prévu au moment de la nomination. (Murmures.) Un Corps législatif qui a le droit d’élire le régent s’arrogerait le droit de déterminer les droits de la régence. De là une influence très préjudiciable aux droits de la nation, qui ne peuvent subsister que par l’équilibre parfait entre les deux pouvoirs législatif et exécutif. Je ne dis pas que le mode que nous proposons soit sans inconvénient; mais, dans la balance des inconvénients, s’il y a un grand principe qui doit dominer, c’est que le droit d’élire les fonctionnaires publics est le droit de la nation : c’est que le droit de la nation n’est pas délégable à un pouvoir constitué, quelque éminent qu’il soit; nous ne pouvons pas transiger sur ce droit-là. En conséquence, nous persistons dans le projet qui vous a été présenté de faire nommer le régent par le corps électoral. M. Gonpil-Préfeln. Messieurs, l’état actuel de la famille royale ne nous laisse encore voir que dans un lointain avenir, qui peut-être n’arrivera jamais, une régence à établir, sans qu’il y ait des personnes habiles à être insvesties légalement de l’auguste fonction de la régence du royaume. Mais, enfin, Messieurs, si le cas arrivait, quel serait le résultat, si dans plusieurs siècles il arrivait que personne ne se trouvât dans la famille royale en état d’exercer la régence d’un roi mineur, quel est le plan que l’on vous présente ? Une assemblée électorale formée dans tous les départements, plus considérable même en nombre que l’Assemblée nationale qui procéderait à cette nomination. Mais, Messieurs, a-t-on bien vu qu’une position aussi délicate, aussi critique, éveillerait bien des ambitions, mettrait en jeu tous les orages et toutes les passions! Et c’est au moment d’une fermentation pareille qu'il y aurait au sein de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.) 328 l’Empire deux assemblées qui se prétendraient et qui seraient, sous différents rapports, l’une et l’autre représentative de la nation : la première, pour exercer les fonctions de la législature, et une assemblée électorale pour disposer du pouvoir et des fonctions augustes de la royauté temporaire; car enfin il ne faut pas perdre de vue qu’une régence est, au fond et au titre près, une véritable royauté, mais seulement temporaire. Si, par les suggestions d’un ambitieux, une assemblée électorale allait tout à coup se déclarer Convention nationale, dans quelle affreuse crise se trouverait l’Empire! Ne voyez-vous pâs la dissolution de la monarchie, et la guerre civile qui résulterait d’une latitude de pouvoir aussi épouvantable ! A Rome, les consuls avaient des pouvoirs très circonscrits par les lois de l'Etat; et cependant quand les circonstances critiques l’exigeaient, le Sénat passait un décret dont l’histoire nous a conservé la formule : ne guid detrimenti respu - blica capiat. En vertu de ce décret, les consuls étaient momentanément chargés de tout le pouvoir qui était nécessaire pour conserver la chose publique. Si, dans le cas d’un roi mineur, il ne se trouvait personne qui fût par la Constitution de l’Etat susceptible d’exercer la régence, eh bien! dans ce cas-là seul et pour ce cas-là seul, chargée de la confiance de la nation pour lui donner des lois, l’Assemblée nationale serait aussi chargée de nommer la personne dans laquelle résiderait, pendant la minorité du roi, l’exercice du pouvoir exécutif. Oui, c’est vainement que l’on vient vous dire que, pour une nomination pareille, il faut une délégation nationale, parce qu’il est absolument égal ou d’avoir la délégation nationale expresse, ou de l’avoir d’une manière fixée par la Constitution de l’Etat. La délégation momentanée a infiniment plus d’inconvénients, parce qu'elle prête aux intrigues. Au contraire, la législature n’a pas été appelée pour cela; c’est une régence qui n’a pas été prévue; la législature se trouve tout d’un coup chargée d’y nommer, et le choix des personnes n’en est que plus sûr, parce qu’il n’a pas été influencé par la passion, parce qu’il n’a point été déterminé par l’intrigue. En conséquence, Messieurs, et par ces considérations, je demande la question préalable sur tous les articles 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 du projet du comité, et je demande que l’on y substitue celui-ci : « Si un roi mineur n’avait aucun parent réunissant les qualités ci-devant exprimées, le régent sera élu par le Corps législatif. » M. Bai*» ave. J’avais la parole; mais, comme mon opinion est dans le sens de celle de M. Goupil, il faut que quelqu’un parle contre. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. Thouret, rapporteur. Messieurs, votre intention est sans doute de décréter cette question-ci avec votre maturité ordinaire et comme je n’ai pas cru que la discussion prendrait sur cela l'importance qui vous paraît déterminante contre le plan du comité au premier aspect, je n’ai pas donné à mon rapport tous les développements dont il est susceptible. M. La vie. Si! si! Eh! qu’en savez-vous? M. Thouret, rapporteur. J’ai annoncé dans mon rapport que le comité avait eu deux motifs de proposer un corps électoral : 1° le respect du droit national ; 2° le danger politique de confier l’élection au Corps législatif. Comme noire opinion a été combattue, je vais en développer les bases. Le droit d’élire les fonctionnaires publics est le droit essentiel du peuple, droit qu’il doit toujours exercer le plus directement qu’il est possible; droit qui n’est pas délégable de sa nature, et dont il se ferait cependant une véritable délégation, toutes les fois qu’il serait transporté à un corps constilué, quelque éminent qu'il fût. La législature sera un corps constitué pour faire les lois et les autres actes du ressort de la législation; tout ce qui est dans l’ordre de ce pouvoir lui appartient proprement; mais toute attribution d’un autre genre serait une attribution extraordinaire. La délégation du droit d’élire le régent serait de cette classe. Gela est si vrai que, si le droit d’élire le régent n’était pas conféré expressément aux législatures par le pouvoir constituant, elles ne pourraient pas valablement l’exercer. On a dit que, quand ce droit sera délégué aux législatures par le pouvoir constituant , elles l’exerceront légitimement. Cela est vrai dans la rigueur du droit positif qui serait ainsi établi ; mais la question est de savoir si nous pouvons, si nous devons faire cette disposition, et si les principes et la justice que nous devons au peuple français, nous permettent de lui ôter son droit propre et direct d’élire le régent, pour en investir les législatures. Les principes établissent que le droit des élections populaires n'est délégable à aucun des pouvoirs constitués , et jusqu’à présent nous avons respecté religieusement cette maxime. L’équité ne nous permet pas, quand nous usons du droit du peuple pour faire la Constitution, de lui enlever le droit de l’élection qu’il peut exercer pour nommer son représentant dans l’ordre du pouvoir exécutif, comme il nomme ceux qui le représentent au Corps législatif. Dira-t-on que le droit du peuple est conservé, parce que les membres de la législature sont ses représentants, et qu’en formant un corps électoral, le peuple ne nommerait de même que par l’intermédiaire des électeurs? Prenons garde qu’il n’y aurait làqu’un sophisme. Aussitôt que les citoyens des départements ont élu leurs députés au Corps législatif, il s’établit entre eux une relation qui, par cela même que les uns sont représentants et les autres représentés, fait que la nation reste une chose très distincte et très différente du Corps législatif. Ainsi, quand il s’agit de déléguer un droit de la nation qu’elle peut exercer indépendamment du Corps législatif, et par un nouvel acte qu’elle peut faire sans son intervention, il n’est pas vrai que ce soit conserver à la nation l’exercice propre et direct de son droit, que de l’attribuer au Corps législatif. Celte vérité devient évidente par l’exemple suivant : Si la famille du roi était éteinte, et que le trône fût devenu électif, oserait-on bien proposer d’attribuer au Corps législatif l’élection du nouveau roi? Et croirait-on faire agréer à la nation cet envahissement de son droit propre, en lui disant qu’elle a joui de ce droit, parce que le Corps législatif qui anommé, et elle, sont la même chose? Quand les peuples s’éclairent, ils n’admettent pas de pareilles illusions pour des réalités; et si, rendus dans nos foyers, le cas d’élire un régent ou un roi arrivait, nous sentirions bien qu’une Constitution qui aurait at- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2i mars 1791.] 329 tribué l’élection à une législature, n’aurait pas assez respecté le droit national, puisqu'elle nous aurait privés de la faculté de participer à l’élection, soit en nommant nos mandataires spéciaux pour la faire, soit en devenant électeurs nous-mêmes. _ Cette évidence du droit de la nation et le sentiment du respect religieux qui lui est dû nous ont paru des motifs impérieux, dominant sur toute autre considération, et n’admettant aucun tempérament. Que nous a-t-on opposé? Absolument rien contre le principe, mais des inconvénients présentés avec assez de gravité pour faire quelque impression. J’exposerai aussi les inconvénien ts graves attachés au système de faire élire par les législatures. Mais, avant d’entrer dans cette comparaison des dangers respectifs, il y a cette première réflexion à faire, que, quand on ne peut objecter contre l’exercice directe d’un des droits du peuple que les inconvénients accidentellement possibles dans cet exercice, ce n’est pas le droit qu’il est permis de sacrifier à la crainte des inconvénients; mais il faut prévenir et affaiblir les inconvénients, autant qu’il est possible, par la prévoyance delà loi. Je ne m’arrête pas cependant à cette réponse; et j’examine les dangers de l’élection nationale. On' craint le rassemblement des assemblées primaires dans les temps de minorité qui ont toujours été des temps de troubles et d'orages. — On craint que des hommes puissants sur le peuple ne profitent de ces temps orageux pour se faire nommer avec des mandats inconstitutionnels. — On craint le conflit d'un corps électoral et d'une législature , ou rivalisant de fonctions, ou soutenant deux contendants divers , d'où résulterait la guerre civile. L’idée première, fondement de tant d’inquiétudes, n’est qu’une réminiscence des faits de l’histoire : les troublesdesanciennes minorités avaient leur source dans les vices du temps, des institutions et"du gouvernement, lorsque dans la vigueur du régime féodal les grands vassaux trouvaient dans l’étendue de leurs domaines, dans la dépendance de leurs hommes de fief, dans leur presque égalité avec les rois, la puissance d’inquiéter ceux-ci pendant leur vie, et d’agiter tout l’Etat à leur mort. Mais où seront désormais ces moyens de puissance, d’entreprises, d’influence et de domination des particuliers, quels qu’ils soient, dans le royaume? Où seront les titres et les dignités qui éblouiront des citoyens tous égaux? Où seront les fonctions et les emplois qui en imposeront à un peuple libre, qui sait que tout pouvoir émane de lui, et que tout fonctionnaire est son obligé? Quelle sera i’mfluence des richesses sur des hommes qui n’y reconnaîtront plus le véhicule nécessaire pour parvenir à la considération publique et aux distinctions sociales? Est-il vrai en fin qu’on se battra désormais en France, et que la nation, qui vient de tant sacrifier pour s’unir, se dissoudra pour servir l’ambition de quelques individus qui ne seront, après tout, que de simples citoyens? Non : le temps des troubles et des orages politiques est passé : la Constitution en a étouffé tous les germes ; et tant que cette Constitution sera chère à ce peuple qui l’a achetée par tant de courage et de patience, le moment d’une minorité, même élective, ne compromettra ni son repos, ni sa liberté. De même, on ne verra cette désorganisation complète qui résulterait des commettants donnant des mandats destructifs de la Constitution, des mandataires électeurs voulant faire les lois, des législateurs voulant faire l’élection, et de la nation autorisant ces scandales par son assentiment formel, ou les tolérant par sa léthargique indifférence, qu’à l’époque où le civisme, la liberté et la Constitution auraient déjà péri avant ces événements. Ce ne sont pas eux qui perdraient la nation, mais il n’y aurait déjà plus de nation lorsqu’ils arriveraient. Je vais, raisonnant dans le même sens, et rétorquant l’argumentaiion, esquisser le tableau des inconvénients, possibles aussi, de l’élection confiée aux législatures. Je vois d’abord, l’éligibilité étant ouverte à tous les citoyens, un essaim d’ambitieux et d’intrigants qui s’agitent, et tous les ressorts de la corruption, de l’adulation et de l’hypocrisie mis en jeu. C’est au Corps législatif, dans ce sanctuaire qui doit être inaccessible aux passions et aux intrigues du dehors, que toutes les brigues et les captations viennent se concentrer. Comme il est permanent pendant 2 ans, il peut être pratiqué de longue main : les relations que donnent les affaires publiques auraient ouvert l’accès, et établi les liaisons des prétendants avec les députés. Il n’en serait pas de même d’un corps électoral, formé inopinément, à l’instant même, et qu’on n’aurait pu aborder et travailler d’avance. Et comme on m’a objecté la supposition du corps électoral et de la législature abusant en même temps de leurs fonctions, je peux bien aussi supposer à mon tour une législature se laissant en partie corrompre, en partie séduire, et livrant la régence par la prostitution de ses suffrages. C’est ici que se découvre l’énorme danger d’exposer ainsi un Corps législatif : la corruption qui s’y serait introduite, à raison de l’élection, pourrait se communiquer à toute la suite de ses décrets, et empoisonner la source de la législation jusqu’à l’époque du renouvellement. Mais voici bien un autre danger politique, en sens inverse ! La législature exerçant un des deux pouvoirs souverains, la liberté publique n’est garantie que par le contre-poids de l’indépendance du roi, soit lorsqu’il sanctionne, soit lorsqu’il agit comme chef du pouvoir exécutif. Si le Corps législatif avait la disposition de la régence, combien ne lui serait-il pas facile de prétexter de longs retards de nomination pour s’emparer du double pouvoir, ou de ne nommer qu’une créature dont l’interposition confidentiaire mettrait la sanction et le pouvor exécutif à la merci de la législature? Disposant par là de tous les pouvoirs, elle aurait l’armée à ses ordres ; et qui l’empêcherait de se continuer après son temps fini, d’appuyer ses décrets par les baïonnettes, et de s’emparer ainsi du gouvernement, dont elle changerait la nature et la forme? Certes, en admettant la base des suppositions de nos adversaires, savoir que la Constitution serait méconnue, les lois dans le mépris, le peuple favorisant le désordre par son adjonction ou par son silence, ces dangers que j’expose sont tout aussi possibles que ceux dont on voulait nous alarmer. Ne croyons pas qu’il n’y ait nulle précauiion à prendre contre la tendance aux abus de pouvoir que, dans la longue suite des temps, quelques circonstances favorables pourraient donner à une législature. Quelque avantage que j’eusse à mettre ces sujets de crainte en parallèle avec les dangers attribués au corps électoral, il faut bien que j’y renonce, parce que de part et d’autre cette manière d’argumenter est très vicieuse : elle détourne de 330 (Assemblée nationale.] faire le bien, sans ga'antir du mal. Ne faisons pas, dit-on, de corps électoral, car malgré la circonscription clairement énoncée de sa fonction, et sa disparité tant matérielle que légale de la législature, il pourrait y avoir conflit et entreprise de pouvoirs. — Je réponds que si la nation reste attachée à la Constitution, ce désordre n’arrivera pas, ou sera réprimé. Mais la nation, dites-vous, sera de moitié. Alors elle ne voudra plus la Constitution; et, dans cette donnée, également applicable à tout ce que nous avons fait, et à tout ce qui nous reste à faire, il n’y aurait eu rien à commencer, et il serait assez inutile de finir. En faisant des lois, on ne peut raisonner que conséquemment à l’exécution présupposée de ces lois, et à la volonté de la nation de les reconnaître et de les suivre. Ainsi, faisons un bon corps électoral pour la nomination du régent, et déterminons bien son pouvoir : il ne sera pas dangereux tant que la Constitution subsistera. Ne rejetons pas l’établissement nécessaire de ce corps électoral, de neur qu’il ne serve d’instrument pour détruire la Constitution : car la Constitution ne périra que quand la nation ne voudra plus la soutenir ; et, au moment où elle n’aura plus celte volonté, tout s’anéantira, le décret même que vous rendriez aujourd’hui pour attribuer l’élection au Corps législatif, et rejeter le corps électoral. Quelle est la plus sûre base de stabilité? C’est de faire une Constitution dont la nation soit contente. Elle en sera d’autant plus contente, qu’elle y remarquera un plus grand respect pour ses droits. Or, c’est à elle d’élire les fonctionnaires publics ; et l’élection la plus importante est celle dont elle doit se montrer plus jalouse. S’il y a plus de régularité, il y a donc aussi plus d’intérêt et d’avantage réel à se tenir encore ici fixement attaché au principe qui commande l’élection directe du régent du royaume par le peuple. Je persiste, Messieurs, dans le projet du comité. ( Applaudissements .) M. Barrère de Wienzac. Je viens attaquer le plan du comité comme dangereux pour la liberté publique, et pour te repos de la nation. Dans les cas extraordinaires, heureusement rares, où la régence doit être nécessairement élective: quels seront les électeurs? Suivant le comité, ce sera un corps électoral particulier et différent du Corps législatif. Selon mon opinion, ce doit être aux représentants de la nation, composant la législature, que la Constitution déléguera le pouvoir d'élire. Je soutiens que toutes les considérations s’élèvent contre le plan du comité, que je crois inacceptable sous tous les rapports. Il ne sera pas difficile de prouver que ce droit peut appartenir à la législature, et de réfuter quelques objections du comité. On oppose le respect dû au droit national; mais la Constitution peut et doit déléguer tous les pouvoirs dont il est nécessaire de déléguer l’exercice lorsque l’intérêt national l’exige; voilà un principe incontestable. On oppose encore que la Constitution porte que le pouvoir d’élire appartenant au peuple n’est pas délégable. Ce principe est vrai pour les élections données aux citoyens par la Constitution ; mais le corps constituant étant l’image de la nation, c’est donc la nation même qui renonce, et qui peut renoncer, par sa Constitution, à l’exercice de tel droit particulier d’élection qu’elle trouve nécessaire de déléguer à une classe de 124 mars 1791. j se3 représentants. Ce n’est donc pas manquer de respect au droit national, que de déléguer par la Constitution à une Assemblée nationale un droit d’élection dans un cas qui s� présentera une fois peut-être dans quatre siècles. On oppose encore la coalition du pouvoir législatif et du régent qu’il aura nommé. Mais ces deux pouvoirs ne sont-ils pas naturellement rivaux et ennemis même? Ne croyez pas que jamais ils se réunissent pour opprimer la nation qui surveillera ses pouvoirs. Ne croyez pas que jamais ils se réunissent pour opprimer la liberté publique; des représentants temporaires ne le pourraient devant une nation éclairée, et qui punirait aussitôt, par une sainte insurrection, une coalition aussi coupable. Ainsi, l’opinion publique et les droits nationaux s’opposent à cette invasion concertée de la puissance. Je pourrais opposer à mon tour l’exemple de l’Angleterre, dont le parlement nomme toujours les régents; je pourrais citer l’exemple même de nos anciens Etats généraux, qui nommaient les régents, Mais qu’importent les exemples ; quand on peut invoquer les principes, et de fortes considérations. C’est une des meilleures maximes de l’organisation des empires qu’il faut compliquer le moins possible la machine politique... Un corps électoral, assemblé expressément pour élire à la régence, serait non seulement unesuper-fluité indigne du corps constituant, ce serait encore un nouvel obstacle au mouvement intérieur de l’Etat ; ce serait un embarras dangereux et une occasion de rivalités funestes et de chocs de pouvoirs que vous devez éviter. Un corps électoral, chargé d’une élection de cette importance, s’il était excité par des intrigues puissantes ou des factieux hardis, pourrait bientôt se permettre d’autres procédés réservés aux Conventions nationales, et altérer ou renverser la Constitution selon les temps et les circonstances. Représentez-vous dans la capitale, à côté du Corps législatif assemblé à cause de la vacance du trône; représentez-vous un corps électoral plus nombreux, revêtu de mandats nationaux, investi de la confiance de tous les citoyens, et créant par leur suffrage une espèce de roi; représentez-vous une coalition secrète entre le régent nouveau et ceux qui lui ont donné ce titre éminent ; donnez-lui quelques idées ambitieuses : supposez à 830 électeurs quelques projets inconstitutionnels, et dites-nous si la liberté est alors sans danger; dites-nous si ces deux corps puissants, formés des mêmes éléments, exerçant tous deux un pouvoir national, ne diviseront pas lanation en deux factions rivales, et ne porteront pas sans cesse dans leur sein le germe affreux des discordes civiles. Vous qui avez rejeté l’élection de la régence par amour pour la paix et l’ordre public, vous ne souffrirez pas sans doute qu’un nouveau mode d’élection, proposé par le comité, vienne ajouter encore aux troubles et aux factions presque inévitables dans des élections de cette importance. D’ailleurs, combien d’inconvénients se présentent encore. Ce corps électoral arriverait bien tard à une élection toujours urgente ; car, pendant que les assemblées primaires tiendraient seulement leurs séances, tout pourrait être en combustion autour du trône, surtout dans ces premiers moments où le changement de roi cause tout à coup l’explosion violente des passions diverses et des intérêts politiques de tous les hommes puissants ou ambitieux. Convoquer pour l’élection à la ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.] 331 régence toutes les assemblées primaires du royaume, ce serait intéresser personnellement tous les citoyens au choix d’une espèce de roi provisoire, les livrer tous à l’agitation des cabales, mettre tout le royaume en mouvement ou en convulsion, et jeter partout à la fois d’innombrables étincelles de guerre civile. Pourquoi donc ne pas préférer, pour l’élection à la régence, la législature, qui peut, pour les cas rares et extraordinaires, faire les fonctions de corps électoral, qui est toujours prête à s’assembler, sans causer aucune agitation dans le royaume. Si l’élection à la régence n’entre pas dans la mission du Corps législatif, c’est à la Constitution à déléguer ce pouvoir aux législatures qui, pour l’intérêt public, sont susceptibles de toutes les délégations possibles. Les membres du Corps législatif, ayant déjà obtenu la confiance publique pour des objets bien plus importants que l’élection d’un régent, d’un tuteur momentané, pour la formation des lois de l’Etat, ne sont-ils pas censés, à plus forte raison, revêtus de toute l’autorité nécessaire pour cette élection, qui ne peut jamais compromettre le bonheur de l'Etat que quelques instants? Eh 3uoi! l’on refuserait au Corps législatif Je droit Mire le régent, à cause des dangers de la corruption et de l’intrigue qui pourraient agiter les membres de cette Assemblée. Mais n’avez-voos pas donné au Corps législatif le terrible droit d’enchaîner les générations futures, par les lois, et d’embraser l’Europe par la guerre ; et vous eraignez de lui confier l’élection d’un régent, dans un cas qui se présentera peut-être une ftbs dans deux siècles? La formation des lois, la déclaration de paix ou de guerre sont-elles donc des objets étrangers aux passions humaines? Le projet d’intriguer ou de corrompre pour une mauvaise loi ou pour une guerre désastreuse, n’est-il pas aussi naturel, plus facile à prévoir, et surtout plus actif que le projet d’intriguer et de corrompre pour un pouvoir précaire, pour des fonctions de quelques mois, de quelques années, et pour l’orgueil de quelques membres d’une famille? Craindrait-on enfin de donner à la législature une occasion d’être corrompue par les ambitieux et d’être déchirée par les factions? Mais n’aurait-on pas les mêmes dangers à redouter pour le corps électoral, plus facilement trompé, plus facilement investi par les passions et l’intrigue que le Corps législatif?... D’ailleurs, comment pourriez-vous vous permettre de refuser et d’interdire aujourd’hui à la nation que vous représentez, le droit et la faculté de témoigner à ses députés, à ses législateurs, cette confiance honorable pour l’élection d’un régent? Pourquoi forceriez-vous la nation à diviser ainsi sa confiance entre le Corps législatif et le corps électoral, tandis qu’un seul, sans réunir des pouvoirs disparates ou ennemis, pourrait obtenir cette confiance tout entière. Vos lois constitutionnelle-, si vous ne voulez être des représentants impolitiques, doivent être fondées non seulement sur la volonté actuelle et connue de tous, mais encore sur la volonté future, quand vous avez de grandes raisons de la présumer. Une dernière considération décide impérieusement la question. Vous avez décrété avant-hier, f>ar l’article 1er, qu’aussitôt que la régence aura ieu, le Corps législatif se rassemblera sans délai. Vous avez préjugé ainsi qu’il pourra servir à l’élection d’un régent, car il ne serait pas rassemblé pour être le spectateur inutile des opérations du corps électoral. Le comité propose de laisser au Corps législatif le choix du parent à qui la garde du roi sera déférée dans certains cas. Le Corps législatif est donc reconnu comme pouvant exercer le pouvoir électoral. Enfin, vous vous rappellerez ce qu’on disait il y a deux jours à cette tribune : il faut, disait M. Barnave en combattant le système électoral de M. Thouret,il faut donner le choix au Corps législatif. Tout ce qui peut donner aux représentants du peuple plus de respect et de dignité tient essentiellement à la liberté nationale. En lui donnant l’élection du régent, vous servirez donc à la fois la nation et la liberté. Je conclus à ce qu’on donne, dans les cas prescrits, l’élection du régent au Corps législatif. Voici l’article que je propose de décréter : « Art. G. Si un roi mineur n’avait aucun parent réunissant les qualités ci-devant exprimées, le régent sera élu par le Corps législatif assemblé en exécution de l’article premier. » M. liegrand. Messieurs, je crois qu’on ne doit jamais composer avec les principes. Or, les principes de votre Constitution sont non seulement de diviser le pouvoir exécutif du pouvoir législatif, mais encore d’empêcher que le pouvoir législatif n’influe sur toutes les branches du pouvoir exécutif. Vous avez tellement regardé ce principe comme de religion, Messieurs, que naguère encore, lorsqu’on vous a proposé de surveiller par vous-mêmes, ou au moins par vos mandataires, le Trésor public, lorsqu’on vous a proposé la nomination de commissaires à la trésorerie, vous avez rejeté loin de vous cette idée, et vous vous êtes dit ces grandes vérités : Dès le moment que le Corps législatif se permettra de disposer de la moindre place, dès ce moment il aura perdu ses droits à la confiance publique, dès ce moment il sera susceptible par qui ie voudra d’être payé, d’être séduit; aussi vous êtes-vous interdits les moindres places qui avaient trait au pouvoir exécutif. Comment voulez-vous nommer celui qui, pour un temps, deviendra le chef de ce pouvoir? Vous ne pouvez donc pas nommer te régent; car si le Corps législatif nomme le régent, il peut traiter avec le régent; s’il nomme le régent, il peut convenir qu’il serarég nt lui-même ; vous avez tout à craindre de ce danger. Vos législatures ne seront précieuses à la nation, que lorsque la nation se dira : Tous les moyens possibles par lesquels la législature pourrait usurper un genre de pouvoir que la nation ne lui a pas confié, tous ces moyens lui sont interdits. Je vous rappellerai à ce principe incontestable de la souveraineté de la nation, qu’elle ne délègue que les pouvoirs qu’elle ne peut pas exercer, et que ses délégués sont très circonscrits dans leurs pouvoirs. La nation, par votre organe, a délégué deux pouvoirs très distincts : le pouvoir de faire les lois, celui de les faire exécuter. Si vous admettez en principe constitutionnel un cas où le corps, à qui la nation a délégué le pouvoir de faire les lois, pourra influer sur l’execution de ces lois, vous confondez absol ument les pouvoirs, et la nation a le droit de vous dire : Vous attribuez à la législature un pouvoir que je ne lui ai pas donné; elle avait celui de faire la loi; elle n’a jamais eu celui d’influer sur l’exécution. Ainsi, Messieurs, vous ne pouvez donc accorder la nomination du régent à la législature. Les inconvénients qu’on vous a proposés contre le système du comité s’évanouiront bien facile- lAsseu.blée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791. j 332 ment. On vous a dit, Messieurs, que vous établiriez un corps rival; que le corps des électeurs du régent se mettrait à votre place, se regarderait comme un corps constituant. Mais, Messieurs, lorsque vous avez établi des corps électoraux dans les départements, n’avez-vous pas dit. comme loi constitutionnelle, que toute leur mission, tout leur pouvoir se bornaient à faite des élections. Qui vous empêche donc, Messieurs, de suivre cette même progression, ce même système dans un corps électoral? Ne devez-vous pas dire, et ne l’avez-vous pas dit, que tout corps électoral soit borné à la seule mission d’élire? Eh ! qu’avez-vous donc à craindre d’un corps électoral, rassemblé parles assemblées primaires, réuni de différents lieux en peu de temps, nommant le régent, et se dissolvant par votre Constitution même? J’insiste donc pour l’avis du comité. M. Duport. Je crois qu’avant de combattre le plan du comité-, il est convenable rte répondre à l’objection qui m’a paru la plus importante, celle de conserver la pmeté des principes du droit de la nation. On a dit que le principe de la sûreté nationale exigeait que la nation nommât les différents fonctionnaires publics. Je reprends les propres termes de M. Thouret, il en résulte que tel est le droit délégué par la Constitution au peuple français, qu’il ne peut être gouverné et administré que par des hommes qu’il aurait choisis; mais, Messieurs, on a oublié que ce principe seul ne pouvait terminer la question qui nous occupe en ce moment. Vous avez toujours voulu, et vous avez eu raison, placer à côté de ce principe un autre plus important encore, c’est celui de l’utilité générale et celui de la nécessité; ainsi, lorsque, par la force du principe que votre comité réclame, il serait certain que le peuple français devrait élire un roi aussitôt que celui qui occupe le trône est mort, cependant vous avez dérogé à ce principe, qui est le même qu’on réclame en ce moment, parce que vous avez senti que toutes Jes convenances et tous les principes venaient se résoudre dans un principe général, qui est celui de l’utilité publique; et malgré la force, je le répète, de ce principe, vous avez établi que le trône serait héréditaire, et que le peuple renoncerait, pour son intérêt, à l’exécution de ce droit. Vous avez été plus loin, et quoique la régence ne soit que l’exercice momentané et personnel du droit do la royauté, et que par conséquent le principe qui veut que la nation ait le droit d’élire ses fonctionnaires publiques pût s’appliquer d’une manière moins dangereuse, en cette occasion vous avez encore résolu la question par le droit plus évident et plus important de la nécessité publique : vous avez dit que la régence ne serait point élective. Voyons si maintenant le principe que l’on met en avant, que le peuple doit élire ses fonctionnaires publics, et par conséquent Je régent, delà manière dont il élit tous les autres fonctionnaires publics, dans le cas où il n’y aurait pas de membre de la famille royale majeur, ne doit pas ici recevoir la même exception qu’il a déjà reçue; si j’ai prouvé que l’utilité publique l’exige, la question sera bientôt résolue. Or, Messieurs, je le demande, si le cas n’était pas aussi rare qu’heureusement il le sera, et s’il pouvait se renouveler à chaque règne, je demande si l’Etat pourrait subsister un instant avec une convocation d’assemblées primaires pour nommer les électeurs, et avec l’intervalle nécessaire pour que cette élection fut consommée. Il y a, comme vous le savez, Messieurs, une nécessité qu’au moins il se passe trois mois avant que la dernière élection faite dans la capitale pût être consommée : Or, je demande si un royaume comme la France, peut être trois mois ou même un mois, sans qu’il y ait un roi ou un régent. Avec une Constitution telle que celle qui existe, lorsque le despotisme n’est point dans la main de celui qui exerce l’autorité, mais lorsque l’autorité s’exerce par le balancement du pouvoir du Corps législatif et du roi, je demande s’il y a un homme raisonnable qui puisse me dire qü’il est possible que le royaume puisse se passer de roi ou de régent pendant deux mois, quand on m’aura démontré cela, je commencerai à entrer dans l’esprit de ceux qui désirent donner au peuple le droit d’élection. Maintenant je dirai : Aucun de ces inconvénients n’existera avec le Corps législatif, car c’est un principe de votre Constitution qu’il y aura toujours, tant qu’elle durera, un Corps législatif, ou assemblé, ou qui peut l’être sur la simple convocation. Ainsi vous avez par là le moyen le plus prompt qu’on puisse avoir, lorsque l’hérédité ne le fournit point, vous avez, dis-je, le moyen Je plus prompt pour qu’il y ait un vœu national exprimé, à l’effet de nommer un régent. Ainsi l’extrême différence dans l’inter valle de temps est ici en faveur du Corps législatif; d’ailleurs on a prétendu que le Corps législatif était circonscrit par la Constitution à faire des lois, et qu’il ne pouvait être chargé d’aucune autre fonction par la Constitution. Mais, Messieurs, cela est une inversion de principes; il s’agit de savoir, dans ce moment, que nous sommes corps constituant, que nous faisons une Constitution ; il s’agit de savoir à qui l’utilité publique bien démontrée demande que l’on remette le droit dénommer le régent. Quandil seradéterminé quele Corps législatif aura reçu, par la considération de l’intérêt général, cette mission de nommer le régent, elle entrera dans ses devoirs ordinaires, et dès iors il sera très constitutionnel que le Corps législatif puisse faire cette nomination. Le comité a proposé que le Corps législatif nomme celui qui aura la garde du roi, quand il n’aura point de parent majeur ou de mère à qui naturellement elle est déférée: je demande si, cette garde donnée au Corps législatif, quelqu’un veut me soutenir que cela soit dans l’ordre des fonctions du pouvoir législatif. Cela n’y est pas, mais votre comité a senti, non sans raison, qu’elle devrait être confiée à un corps qui puisse promptement s’assembler; et pour éviter Jes longueurs résultant d’une assemblée d’électeurs, il l’a confiée au Corps législatif, quoique ce ne soit pas une loi à faire. Et moi maintenant je suis persuadé, que l’intérêt général exige que le droit de nommer le régent soit déféré au corps représentant la nation, qui peut, d’une manière la plus simple et la plus prompte, s’assembler, c’est-à-dire ail Corps législatif. Maintenant, Messieurs, j'e demande que, par le balancement des inconvénients qui peuvent résulter de l’adoption de l’un ou l’autre cas, vous veuillez bien vous déterminer. Songez, ainsi que le préopinant l’a dit, que vous ne pourriez voir sans frémir l’idée d’un corps électoral plus nombreux que la législature assemblé près, d’elle. 11 est une autre circonstance que l’on n’a point fait valoir ; c’est qu’il n’y aurai t pas dans le moment de régent; c'est que la législature serait paralysée, puisqu’il faut un pouvoir qui sanctionne [Assemblée nalionale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791. J es lois, sans quoi elles ne seraient rien. Il n’existerait plus dans l’Etat de pouvoir véritable. Ainsi, les électeurs arrivant, n’auraient besoin ue d’un mouvement d’opinion pour se regarer comme souverains. Qui empêche la législature de se constituer comme pouvoir constituant et comme souverain? C’est qu’il y a au-dessus le roi et le régent, qui tempèrent son action et qui exercent une portion de la volonté nationale. Mais lorsque les électeurs s’assembleront, il n’y aura ni roi, ni régent. Cela est bien clair; il n’y aurait donc aucune espèce de contre-poids à cette autorité et dans les luttes, qu’elles quelles soient, entre le corps électoral et la législature qu’est-ce qui serait le modérateur? Je suppose qu’ils veulent l’un et l’autre se disputer quelques droits, il n’y a plus de tiers pour les accorder, il n’y a ni roi ni régent. Ainsi vous plongeriez le royaume dans un état déplorable et immanquablement dans l’anarchie. Tout le monde sait bien que lorsque tout un peuple est agité et qu’il n’y a pas de point commun et déterminé qui puisse le ramener, qui puisse lixer sa route, avec les meilleures intentions, il est bien près de s’égarer. Si le Corps législatif est pur, le corps électoral, ayant aussi les meilleures intentions, pourrait encore troubler l’Etat. Que serait-ce si, comme on n’en peut douter, ils étaient en butte à l’esprit de parti? Je pense que l’Assemblée verra et pèsera tous les inconvénients du plan du comité, et qu’il en pourrait résulter une telle anarchie, que tous les corps pourraient se dissoudre, les corps administratifs chacun prendre l’autorité, ou les tribunaux s’en emparer, puisqu’il n’y aurait plus de lien qui les retînt. D’après ces observations, je demande que la nomination du régent soit donnée au Corps législatif. M. ïje Chapelier. Après les observations faites par M. Thouret, qui a exprimé le vœu du comité de Constitution; j’ai peu d’observations à faire pour montrer leur évidence. Nous traitons une question presque métaphysique. Il y a apparence qu’il aura passé deux ou trois Conventions nationales qui auront examiné la Constitution que nous faisons, avant que le cas que nous voulons prévoir, et pour lequel nous voulons faire des règles, puisse arriver. Cette observation me coudait à vous faire celle-ci : c’est que nous paraîtrons d’autant plus attentifs à ménager des principes consignés dans notre Constitution, que nous éviterons de nous en écarter sous le prétexte d’un frivole danger presque chimérique. Le plus grand de tous les principes, c’est que les droits que le peuple peut exercer par lui-même, sont des droits indélégables. Je conviens avec le préopinant que si la Constitution avait délégué au Corps législatif le pouvoir de nommer un régent ou un roi, le Corps législatif serait investi de ce pouvoir, de manière à avoir le droit de l’exercer; mais ce n’est pas là où réside la question; elle consiste au contraire à savoir si un tel pouvoir est délégable par le peuple, d’après notre Constitution. Or, le droit certainement qu’il peut et qu’il doit exercer, c’est le droit d’élire ses fonctionnaires publies. Or, comme le premier, le plus important est le chef suprême du pouvoir exécutif, soit qu’il soit à vie, soit qu’il soit temporaire, il faudrait singulièrement altérer nos principes pour transporter dans un corps constituant, 333 pour déléguer au pouvoir législatif le droit et le pouvoir que le peuple peut exercer par lui-même. Ce principe, une fois bien reconnu, quelques réflexions sur les dangers d’une pareille délégation au Corps législatif et sur les avantages d’un corps électoral ad hoc suffiront pour s’en convaincre. Je vous prie de considérer, Messieurs, que par la nature même des choses si vous donnez l’élection du régent, qui a temporairement les fonctions royales, au Corps législatif, le Corps législatif, chargé de cette fonction, devient par la nature des choses Convention nationale, en ce que d’une part il peut retarder l’élection, de l’autre il peut imposer des conditions à son élu, et en troisième lieu qu’il peut même ne pas faire l’élection, et qu’alors il change la forme du gouvernement comme une Convention nationale aurait le droit de la changer, et voilà ce qui porte atteinte à la Constitution. Je vous prie ensuite de remarquer que si le Corps législatif élit uu régent ou un roi, les électeurs qui lui auront donné leurs suffrages seront par la nécessité même, par la force des choses coalisés avec lui, de manière que ce sera pour la liberté publijue la réunion la plus funeste de deux pouvoirs qui doivent se balancer, et presque être opposés l’un à l’autre; car pensez-vous que ceux qui, travaillés de toute manière pour donner à un homme puissant la qualité de régent qui est la fonction la plus éminente du royaume, croyez-vous, dis-je, que ces électeurs ne se coaliseront pas avec lui, et qu’il ne se coalisera pas avec eux; croyez-vous qu’il ne fera pas tout ce qu’ils voudront et qu’ils ne feront pas tout ce qu’il voudra? Imaginez-vous qu’il n’existera pas un pacte secret entre eux, par lequel si on n’ose pas avouer les conventions faites pour décider l’élection, ces conventions-là n’en existeront pas moins, et leur exécution sera d’autant plus alarmante qu’elle sera plus sûre? Si, au contraire, il y a un corps électoral, il donnera au Corps législatif le coopérateur qui forme la loi. Ce n’est pas sans doute au Corps législatif à créer lui-mème les coopérateurs de ses travaux, ce n’est pas à lui à créer celui qui doit donner l’exécution de ses décrets par la sanction qu’il doit y apposer. C’est, Messieurs, la destruction de la Constitution de ce système; c’est, avec des inconvénients énormes préparer la perte de la liberté publique. On vient de nous objecter tout à l’heure que par notre projet nous avions délégué au Corps législatif le droit de nommer celui qui aurait la garde du roi mineur dans le cas où il n’y aurait pas de parents. Nous répondrons à cela que la garde du roi mineur n’est pas à vrai dire une fonction publique, parce qu’elle ne tient pas aux fonctions de gouvernement, que le Corps législatif peut et doit être même établi administrateur et surveillant général de tout ce qui intéresse la nation, et que la conservation de celui qui doit par droit d’hérédité avoir les fonctions royales peut appartenir au Corps législatif, et que sans inconvénients, sans blesser nos principes, nous pouvons autoriser le Corps législatif de nommer le surveillant à la conservation du roi; mais sans blesser nos principes nous ne pouvons pas autoriser le Corps législatif à nommer celui qui doit concurremment avec lui faire des fonctions pour faire les règles qui doivent gouverner le royaume. Je dis que le danger dont on a cherché à vous frapper qu’un corps électoral qui chercherait à s’élever contre le Corps législatif, est un danger ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [u mars 1791.] 334 [Assemblée nationale,] purement chimérique. Il faudrait que le corps électoral fût soutenu du vœu de la nation, et comme le disait fort bien M Thouret, si le corps électoral était soutenu du vœu de la nation, c'est que la nation voudrait changer sa Constitution, autrement il n’y a pas de corps électoral qui voulût se mettre eu insurrection coupable contre le Corps législatif et la Constitution. Je reviens an principe qui doit vous fixer, c’est queledroitestindélégable,c’e?tqu’il ya beaucoup moins d’inconvénients à placer dans un corps électoral l’élection presque métaphysique d’un régent ou d’un roi que de placer dans un Corps législatif, dans un corps qui serait dangereux parce qu’il existerait depuis quelque temps et qu’il serait entouré beaucoup plus qu’un corps électoral de toutes les séductions qui peuvent conduire à un mauvais choix. {Murmures). Je réponds à une autre objection, c’est la longueur d’un interrègne qui pourrait exister. Je vois qu’il y aura vraisemb!abiemenf, dans ce cas donné, un intervalle entre le moment où l’on pourra élire et le moment où l’élection sera nécessaire. Notre gouvernement est désormais tel qu’il faut un roi, et que son pouvoir existe dans la sanction de la loi. Il_y aura véritablement pendant un mois une stagnation à l’émission des lois ; mais nous ne sommes pas sans doute assez malheureux pour avoir besoin d’une loi tous les jours surtout lorsque la Constitution sera affermie, et l’on aurait sur les autres objets, comme aujourd’hui, la responsabilité des ministres. Aussi l’objection avec laquelle on a cherché à écarter notre système est donc une objection détruite d’avance. Je demande donc qu’on mette aux voixle principe en n’insistant nullement, pour le moment, sur la forme du corps électoral qui, je crois, peut être perfectionné. {Applaudissements.) Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. M. Barnave. Je demande que la discussion ne soit pas fermée. Je m’offre à prouver que le comité a absolument dénaturé la question en confondant l’élection d’un régent avec l’élection d’un roi, attendu que la famille venant à défaillir, l’élection d’un roi est travailler à la Constitution, est continuer la forme de gouvernement en mettant une nouvelle famille royale à la place de celle qui est épuisée. Nommer un régent au contraire, lorsque la famille royale existe encore, c’est agir avec la Constitution, et ce n’est pas par conséquent l’emploi d’une Convention nationale. Il ne faut donc pas confondre ces deux questions; car quoique même, dans le système des membres du comité, un corps électoral ne fût pas plus propre que la législature à l’élection d’un roi, puisqu'un corps électoral n’est pas mieux une Cou ven tion nationale que la législature, et qu’il y eût plus de danger encore à laisser à celui-là le doute, l’incertitude et la faculté par conséquent d’entreprendre sur les fonctions d’une Convention nationale, il n’est pas moins parfaitement vrai que la question devant être réduite non pas à faire ou à travailler une Constitution, mais bien à l’exécuter, un corps constitutionnel tel que le Corps législatif peut recevoir la délégation de nommer le régent nécessaire aux mouvements du gouvernement. Comme la question ne peut pas être extrêmement imposante sous le point de vue de la rareté de l’événement, elle est extrêmement importante cependant, attendu que le système qu’on vous propose tend à plonger le royaume dans un bouleversement absolu, toutes les fois que les circonstances se présenteraient. Je demande que l’Assemblée ne se détermine pas avant un examen plus mûr et plus approfondi. � M. Briols-Beaumetz. Je me joins au préopinant pour demander que la discussion soit continuée; niais, avant, il me paraît absolument nécessaire de relever une erreur bien manifeste dans laquelle j’ose croire qu’il ne serait pas tombé, s’il s’était écouté lui-même; car il vous a dit, Messieurs, que nommer un roi dans le cas de ligne faillie, ce serait travailler à la Constitution, changer la Constitution, et eu même temps continuer la forme du gouvernement. Or je vous demande comment on peut concilier deux idées aussi contradictoires : travailler à la Constitution et en même temps continuer la forme du gouvernement? Comme si la Constitution était autre chose que le gouvernement. J’observe en outre que ce n’est pas travailler à la Constitution que de substituer une nouvelle race à une race faillie, que substituer uu régent électif à un régent légitime. Lorsque la race est tellement faillie qu’il n’y a plus de régent décidé par la loi, le cas est absolument le même ; c’est le cas de donner à la nation un chef du pouvoir exécutif perpétuel et héréditaire, ou un chef du pouvoir exécutif transitoire tel qu’un régent ; c’est absolument le même cas, ce sont les mêmes fonctions à exercer. Vous avez décrété que, quant aux effets, la régence serait égale à la royauté tan: qu’elle durerait; que le régent serait également chef du pouvoir exécutif;, qu’il serait également personne inviolable; qu’il ne différerait en rien quant aux pouvoirs du roi : donc c’est absolument la même chose que de donner à la nation un roi pour 15 ans ou donner à la nation un roi qui doit également transmettre le trône à sa famille. Cette question est absolument identique : les droits du peuple sont les mêmes dans l’un et l’autre cas; il ne nous est pas plus permis, eu aucun cas, de donner que de ne pas même donner le droit d’élection, car il ne nous appartient pas de donner des droits à la nation à qui tous les droits appartiennent, il s’agit ici, non pas de lui en donner, mais de ne pas Jui ôter ceux qui sont les siens; ces droits imprescriptibles sont un droit de souveraineté beaucoup au-dessus d’une Convention nationale : ce droit que, quand même nous lui ôterions aujourd’hui, elle aurait toujours le droit de reprendre demain. {Applaudissements.) M. de Mirabeau. Je ne demande pas à discuter la question ; d’abord parce que ce n’est pas l’ordre de la parole, ensuite parce que j’ai une considération qui tend à reculer cette discussion et que je veux seulement avoir l’honneur de vous soumettre. Je crois, je l’avoue, Je mode du projet du comité vraiment acceptable sous tous les rapports. Je ne sais pas ce que c’est que des électeurs qui s’assemblent pour nommer d’autres électeur-, qui se réunissent pour faire un choix dans une occasion, il est vrai, si imaginaire, sireculable dans les bornes du possible; mais dont, puisqu’on s’en occupe, il faut une détermination raisonnable et sage. D’un autre côté, je trouve des inconvénients énormes, et qui seront aisés à déduire quand il [Assemblée natioaale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.] en sera temps, à faire, en quelque occasion que ce soit, pour quelque prétexte que ce soit, du Corps législatif un corps électoral. C’est là, selon moi, une dérogation à toutes les théories régulières avec laquelle il est absolument impossible à jamais de composer. Dans cette alternative, Messieurs, et tout le monde convenant qu’assurément la supposition n’est pas pressée, qu’assurément on a le temps de chercher un mode sur lequel tout le monde soit d’accord, qu’assurément le comité peut revoir son ouvrage à cet égard, et vous, Messieurs, y apporter votre contingent de réflexions et de lumières. Pourquoi nous arrêtons-nous dans ce moment, lorsque le comité abandonne presque lui-même son mode d’élection. Messieurs, peut-être trouverez-vous que le plus sage serait d’ajourner cette question particulière, de la renvoyer à une plus pure méditation et de continuer l’examen du reste du projet de décret. ( Applaudissements .) Plusieurs membres : Aox voix l’ajournement! M. de Mirabeau. Et que le comité présente un nouveau mode. M. Thouret, rapporteur. Je n’ai qu’un mot à dire sur la proposition d’ajournement; on ne veut sans doute l’appliquer qu’au mode d’élection et il est impossible de prendre ce mode en considération, si le principe n’est pas décrété. Jusqu’ici la discussion a roulé sur la question de savoir si ce serait le peuple ou le Corps législatif qui nommerait le régent ; tant que ce principe ne sera pas décrété, nous n’avons rien à faire. Décrétez donc le principe et renvoyez ensuite le mode d’élection au comité. M. Barnave. Il est facile, en paraissant répondre, de répandre toute espèce de voile sur des opinions quelconques ; on a voulu établir l’identité de cette éleciion du régent avec l’élection du roi; mais on n’a pas fait une réflexion, c’est qu’élire un roi, c’est réellement travailler la Constitution. Plusieurs membres : Non! non! M. Barnave. Il faut chercher la vérité pure et simple; il est impossible d’ajourner la question sans l’ajourner tout entière. Quant à moi, il me semble qu’il serait utile de trouver un corps électoral qui put remplacer le Corps législatif, quoique être nommé par le Corps législatif ce soit aussi être nommé par le peuple. (Murmures.) Quoi qu’il en soit, Messieurs, ce n’est cependant pas la question actuelle. La question actuelle est qu’on ne peut pas décider la question et l’ajourner ensuite; pour savoir véritablement si, oui ou non, il sera nécessaire de déléguer aux membres du Corps législatif la qualité d’électeurs éventuels de la régence, il faut auparavant examiner s’il y a un autre mode de corps électoral qui ne présente pas les inconvénients que présente le mode du comité. Je demande donc, comme M. de Mirabeau, que la question soit ajournée, mais qu’elle soit ajournée dans son entier. Plusieurs membres demandent la question préalable sur l’ajournement. M. Lanjuinais. Je demande aussi l’ajourne-335 ment de la question entière, car j’avoue que, dans ce qui a été dit par le comité, j’ai aperçu une grande confusion et de mots et d’idée s mais il n’est pas possible de décider la question et de l’ajourner ensuite, comme vous l’a dit M. Barnave. Nous n’avons pas entendu demander au comité un nouveau travail avant d’avoir prononcé sur le sien ; nous demandons que la question lui soit renvoyée pour être examinée de nouveau; ou bien, Messieurs, si vous voulez la décider, il faudrait certainement rouvrir la discussion. M. Démeunicr. Je n’ai à faire qu’une observation simple. Vous pouvez ajourner la question à la première Convention nationale; mais il est impossible que, pressés comme nous le sommes, nous prononcions un ajournement qui nous ferait perdre le fruit de la discussion commencée. Si l’on veut la continuer, nous arriverons bientôt à un résultat. L'opinion de la majorité de l’Assemblée ne tardera pas à se former. Ou a eu tort de confondre le mode d’élection et la discussion du principe. Il faut réduire la question à ces termes simples : « Dans le cas où un roi mineur n’aurait aucun parent réunissant les qualités requises, le régent sera-t-il élu par le Corps législatif, oui ou non? » ou bien ajourner la totalité de la discussion à la première Convention nationale, et je déclare que ce n’est pas mon avis. J’aimerais mieux que la discussion continuât sur les principes. M. de Folleville. Je demande que l’ajournement ne soit pas prononcé ou tout au moins, si la question est ajournée, qu’elle soit décidée dans cette session même parce que, si elle ne l’était pas, elle serait sans doute décidée en faveur du Corps législatif, qui, le cas échéant, prononcerait certainement en sa fav< ur. Et, ce faisant, il prononcerait absolument contre la Constitution, car elle a tracé une ligne qui ne doit jamais être franchie, entre les fonctions des membres du Corps législatif et les fonctions des électeurs. Je demande donc que la question soit décidée sous la forme de rédaction que je vais dire : « Les législatures n’ayant pas le droit de déléguer aucun pouvoir, jamais elles ne pourront nommer à la régence. » (Murmures.) M. de Tonlongeon, En somme, la question se réduit à ceci : « Le cas arrivant, le pouvoir législatif nommera-t-il le pouvoir exécutif? » Décider l’affirmative, ce serait, ce me semble, nous écarter de nos principes. (Applaudissements.) M. Tliouret, rapporteur. La délibération serait faite et devrait être exécutée ; mais c’est du côté des principes de l’équité et du bien public qu’il faut examiner la difficulté. Or, nous nous sommes appuyés au comité sur une base qui nous a paru inébranlable; c’est que le droit d’élire un régent étant le droit d’élire un des plus importants des fontionnaires publics, c’est le droit du peuple. Je sais bien que, quand le peuple ne peut pas exercer lui-même le droit qu’il a, il faut, pour son utilité même, qu’il le désigne ; imiis est-il vrai qu’il y ait une nécessité absolue d’ôter à la nation le droit naturel et essentiel qu’elle a de nommer des représentants, dans l’ordre du choix du pouvoir exécutif, comme el'e nomme ses représentants dans l’ordre du pouvoir législatif? Il ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.] 336 [Assemblée nationale.] faudrait sur cela balancer les inconvénients, car cela se réduit à une question de fait. Je crois, Messieurs, qu’en y réfléchissant encore avec un peu de temps, on conviendrait que les plus grands inconvénients sont dans le système de donner au Corps législatif le droit d’ élection; car, quand on corromprait un corps électoral, la corruption ne frapperait que sur l’élection du régent; et nous sommes à peu près convenu que ce ne serait pas une chose meurtrière. Mais si c’est le Corps législatif qui nomme le régent et qui soit corrompu à raison de l’élection de la régence, la corruption se continuera sur tous les autres actes du Corps législatif. {Applaudissements.) La discussion se réduit à savoir si, quand les pouvoirs sont divisés parce qu’ils doivent se balancer en politique et en Constitution, il est douteux que les représentants du peuple ne puissent pas nommer l’autre représentant du peuple à la tête du pouvoir exécutif. N’est-il pas indubitable qu’il pourrait arriver de là des coalitions, que les deux pouvoirs se trouveraient dans la même position et qu’il n’y aurait plus ni gouvernement, ni Constitution? On a proposé d’ailleurs deux modes d’ajournement : celui à la première Convention nationale est un prétexte de la provoquer sans qu’elle soit sollicitée par des intérêts pressants. Le second mode ne tend qu’à reiarder la décision. Elle n’offrira pas moins de difficultés dans deux mois. On peut donc mettre à la délibération le principe; et s’il était décidé, nous pourrions présenter de nouvelles idées sur la formation du corps électoral. Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée sur l’ajournement. (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) Un membre demande que l’Assemblée divise la proposition de l’ajournement, suivant la demande du rapporteur. (Cette division est adoptée.) M. le Président. Je vais mettre aux Yoix la demande d’ajournement du principe; puis, je consulterai l’Assemblée sur l’ajournement du mode d’élection et des détails qui y sont relatifs. (L’Assemblée décide qu’elle décrétera le principe et ajourne le mode d’élection.) M. Bnzot. Comme le mode est ajcmrné et qu’il ne reste plus que le principe, je n’ài rien à dire. Plusieurs membres demandent à aller aux voix sur le principe. M. Lanjoinais. J’ai un amendement à faire. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix I M. le Président. Voici ce sur quoi vous avez à prononcer : dans le cas où il y aurait lieu d’élire le régent, le Corps législatif pourra-t-il faire cette élection, ou ne le pourra-t-il pas? C’est ainsi que je vais mettre la question aux voix. M. de Pazalès. Je demande à faire trois ou quatre réflexions; l’impatience de l’Assemblée m’avertit d’être court et je le serai. Ce ne serait pas l'objet d’une discussion que d’avoir à décider si la manière de pourvoir à un gouvernement quelconque, par la voie de l’élection, ne vaut pas mieux que celle de se soumettre à la voie de l’hérédité ; sans les inconvénients attachés à l’élection, sans les graves malheurs qu’elle peut occasionner par la discussion, par les guerres civiles (Murmures.), par les orages excités parmi les peuples, sans doute l’élection serait préférable. Mais cependant nous sommes obligés d’arriver à une élection quelconque pour la régence, lorsque les membres de la dynastie à laquelle elle a été attribuée par vos précédents décrets, seront épuisés, lorsqu’il n’en existera plus. 11 ne s’agit donc que de prendre le mode d’élection le moins sujet aux inconvénients attachés à l’élection. (Murmures.) Plusieurs membres : Ce n’est point là la question. M. de Cazalès. Il me semble que la délibération se réduit à ce seul point : élire un régent de la manière la moins sujette aux troubles et aux dissenssions.... (Murmures prolongés.) M. le Président. Monsieur, vous n’êtes point dans la quesiion. M. de Cazalès. Monsieur le Président, c’est là la question... Plusieurs membres à gauche : Non! non! M. de Cazalès... et si l’Assemblée nationale veut me laisser aller jusqu’à la fin, elle verra ue je suis dans la question, et j’entre à présent ans le sens qui lui est donné, selon les lumières de l’Assemblée : ainsi je prie qu’elle m’écoute. L’objet de la discussion actuelle est d’éviter dans l’élection les dangers évidents que renferme en elle-même toute élection... Un membre : Nous n’en sommes pas sur le mode. M. de Cazalès... Si donc l’objet de votre délibération est d’adopter le principe, le mode d’élection sera ajourné. M. le Président. Non! Plusieurs membres à gauche : Non! non! M. de Cazalès. Mais, Monsieur le Président, comment pouvez-vous... (Murmures prolongés.) M. le Président. Permettez, Monsieur, que je vous remette dans la quesiion. L’Assemblée a décrété que tout ce qui avait rapport au mode d’élection dans le cas prévu, était ajourné. Elle a déterminé qu’elle allait prononcer sur le principe de savoir si le Corps législatif était apte à exercer l’élection de la régence. M. de Cazalès. Je demande à M. le Président comment on peut me démontrer que le principe d’élire la régence soit hors de la question de parler des inconvénients du mode d’élection, quand il faut déterminer ce principe. Il est évident que si par exemple l’Assemblée nationale décrète que l’élection appartiendra au Corps législatif.... Plusieurs membres : Il a raison, Messieurs, il a raison. M. de Cazalès... alors les inconvénients résultant d’un mode d’élection, d’un corps électo-