[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1789.] 460 du tumulte; où l’on produit une émeute par les moyens qu’on prend pour la prévenir ; où il faut sans cesse de la mesure, et où la mesure paraît équivoque, timide, pusillanime ; où il faut déployer beaucoup de force, et où la force paraît tyrannie; où l’on est assiégé de mille conseils, et où il faut le prendre de soi-même ; où l’on est obligé de redouter jusqu’à des citoyens dont les intentions sont pures, mais que la défiance, l’inquiétude, l’exagération rendent presque aussi redoutables que des conspirateurs ; où l’on est réduit même, dans des occasions difficiles, à céder par sagesse, à conduire le désordre pour le retenir, à se charger d’un emploi glorieux, il est vrai, mais environné d’alarmes cruelles; où il faut encore.au milieu de si grandes difficultés, déployer un front serein, être toujours calme, mettre de l'ordre jusque dans les plus petits objets, n’offenser personne, guérir toutes les jalousies, servir sans cesse, et chercher à plaire comme si l’on ne servait point. Je vous propose, Messieurs de voter des remer-cîments à ces citoyens, pour l’étendue de leurs travaux et leur infatigable vigilance. On pourrait dire, il est vrai, que c’est un honneur réversible à nous-mêmes, puisque ces citoyens sont nos collègues. Mais ne cherchons point à le dissimuler, nous sentirons ûn noble orgueil, si l’on cherche parmi nous les défenseurs de la patrie et les appuis de la liberté, si l’on récompense notre zèle, en nous donnant la noble préférence des postes les plus périlleux, des travaux et des sacrifices. Ne craignons donc point de marquer no’re reconnaissance à nos collègues, et donnons cet exemple à un certain nombre d’hommes qui, imbus de notions faussement républicaines, deviennent jaloux de l’autorité au moment môme où ils l’ont confiée, et lorsqu’à un terme fixé ils peuvent la reprendre; qui ne se rassurent jamais ni par les précautions des lois, ni par les vertus des individus ; qui s’effraient sans cesse des fantômes de leur imagination; qui ne savent pas qu’on s’honore soi-môme en respectant les chefs qu’on a choisis ; qui ne se doutent pas assez que le zèle de la liberté ne doit point ressembler à la jalousie des places et des personnes; qui accueillent trop aisément tous les faux bruits, toutes les calomnies, tous les reproches. Et voilà cependant comment l’autorité la plus légitime est énervée, dégradée, avilie; comment l’exécution des lois rencontre mille obstacles ; comment la défiance répand partout ses poisons ; comment, au lieu de présenter une société de citoyens qui élèvent ensemble l’édifice de la liberté, on ne ressemblerait plus qu’à des esclaves mutins qui viennent de rompre leurs fers, et qui s’en servent pour se battre et se déchirer mutuellement. Je crois donc, Messieurs, que le sentiment d’équité qui nous porte à voter des remerciements à nos deuxcollègues est encore une invitation indirecte, mais efficace, une recommandation puissante à tous les bons citoyens de s’unir à nous pour faire respecter l’autorité légitime, pour la maintenir contre les clameurs de l’ignorance, de l’ingratitude ou de la sédition, pour faciliter les travaux des chefs, leur inspection nécessaire, l’obéissance aux lois, la règle, la discipline, la modération, toutes ces vertus de la liberté. Je pense enfin que cet acte de remerciement prouvera aux habitants de la capitale que nous savons, dans les magistrats qu’ils ont élus, honorer leur ouvrage et les respecter dans leur choix. Nous unirons, dans ces remerciements, les braves milices, dont l’intrépide patriotisme a dompté le despotisme ministériel; les représentants de la commune et les comités de district, dont les travaux civiques ont rendu tant de services vraiment nationaux. La proposition de M. de Mirabeau est unanimement adoptée. M. Bailly. Recevez, Messieurs , tous mes remerciements de l’honneur que vous me faites : il appartient plus à M. de Lafayette qu’à moi. Je n’ai pu faire encore aucun bien. Mes efforts ne sont pas sans récompense, puisque votre présence a ramené la paix. M. le marquis de Lafayette. Excusez, Messieurs, l’émoiion que j’éprouve; elle est un gage certaiu de ma profonde reconnaissance. Il m’est bien glorieux d’avoir mérité l’estime de l’Assemblée nationale, sous les ordres du chef qui a dirigé mes travaux. Je saisis cette occasion de rendre à la garde nationale la justice qu’elle a toujours usé de sa force d’une manière digne des motifs qui lui ont fait prendre les armes... M. Bailly. La commune a aussi bien des droits à votre bienveillance: c’est à elle que sont dus les succès de nos travaux. L’Assemblée vote des remerciements à la commune et à la garde nationale, M. le Président annonce que M. Huard, député de Rennes, est mort à Versailles. M. Varin, son suppléant, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est autorisé à prendre séance et voix délibérative dans l’Assemblée nationale. On reprend la discussion sur les municipalités. M. Aubry du Bochet offre de nouveaux détails sur le plan de division du royaume qu’il avait déjà présenté, et expose des vues générales sur les espérances du peuple; il demande l’établissement de deux comités : l’un assisterait à la vérification delà division qu’il a faite, l’autre recevrait sur cet objet les observations des provinces. M. BrIIlat-Savarin représente la division du comité comme inutile, impraticable et dangereuse. Inutile : dans la division actuelle de la France, les bases de la population et de la contribution, sont déjà connues. A raison de la diverse fertilité du sol, celle de l’étendue serait destructive de l’égalité de représentation. Impraticable: il faudrait que la France fût plane et sa circonférence régulière ; ajoutez à cette considération les obstacles et les divisions naturelles, les fleuves, les montagnes; les productions, les climats, les usages: nulle harmonie, nulle tendance au même but. Dangereuse . chaque province croirait y perdre, elle se plaindrait, et nous pourrions seulement lui répondre: il fallait pour une juste symétrie que la France fût réduite en quatre-vingts carrés égaux. Ainsi, les plus fortes raisons font un devoir de rejeter le premier article et de conserver la division en provinces. M. le baron d’ilarambure ne voit nul inconvénient dans l’article, si les provinces consentent aux légers changements proposés, et elles y consentiront si les assemblées primaires et élémentaires sont placées dans un lieu de marché ou de foire; il propose quelques articles en conséquence.