[Assemblée nationale'.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.) 479 7° tous les produits des impôts indirects que l’Assemblée décrétera se verseraient dans les mêmes caisses, et toutes dans celle de la nation. » M. Delley d’Agier. Je considérerai l’impôt territorial en nature, comme établi généralement sur toutes les municipalités, et comme seulement toléré pour celles qui jugeront ce mode plus convenable. En général, il présente de grands inconvénients : 1° la difficulté et les frais de la perception, Sera-il perçu par la nation ou par les fermiers? Par la nation, la chose est impossible : vos besoins sont fixes, vos recettes doivent l’être. Quant au fermier, on est obligé, pour les exploitations ordinaires, de lui donner un quart du produit net. Que sera-ce quand il sera exposé à de grandes non-valeurs, aux frais considérables de transports sur de petites masses; du grand nombre des agents à employer pour percevoir l’impôt sur une récolte qui se fait le même jour, sur une immense étendue ! Que sera-ce, si l’on considère la casualité des récoltes liquides, les dépenses des instruments vinaires, etc. 1 Ainsi on ne trouverait aucun fermier sans lui abandonner 30 0/0 du produit net de l’imposition. 2° La difficulté de percevoir l'impôt en nature sur différentes récoltes, la dîme, portant en général sur les blés et les boissons, et tout ce qui se met en mesure sur le lieu. Mais l’impôt en nature com-e rendra aussi les foins, les prairies artificielles. n coup de soleil, l’approche d’un orage peuvent déterminer à serrer promptement une récolte de cette nature : que fera le propriétaire ? Enverra t-il chercher le percepteur ? Mais le temps presse. Attendra-t-il? Sa récolte sera détériorée. Lais-sera-il seulement sa contribution? Mais cette portion se détériorera également. Dans tous les cas il peut y avoir perte ou procès; 3° impossibilité sur d’autres récoltes. Quand j’ai planté en mûriers, puis-je donner une partie de mes cocons, qui ont exigé des soins, des dépenses, et dont le produit est très variable? Pourrait-on lever l’imposition sur les récoltes qui se font progressivement et pendant plusieurs semaines ? Par exempiecelle des noix : on ramasse longtemps le fruit sous l’arbre avant de battre le noyer ; 4° l’impôt en nature n’évitera pas l’embarras du cadastre. La contribution doit se lever sur le produit net. Il m’en coûte de culture et d’engrais 100 livres dans un bon terrain pour re-cuillir 300 livres, et dans un mauvais 200 livres pour obtenir le même produit. Au malheur d’avoir un même terrain, joindrais-je celui de payer double ? On dit qu’on estimera les terres. Si l’on fait une estimation, il faut donc toujours un cadastre ? {On applaudit.) Ma dernière observation regarde le pauvre industrieux. Par l’impôt en nature on veut le soulager, et moi je crois que ce mode lui serait extrêmement funeste. Un paysan pauvre ne possède que quatre arpents ; il y passe tous les jours de l’année ; il y consacre toutes ses forces et toutes celles de sa famille, que nourrit le produit arraché à ce champ par tant de sueurs et de travaux. Si ces quatre arpents rapportent 400 livres, tandis quatre autres arpents du propriétaire riche ne produisent que 100 livres, le pauvre sera imposé sur 400 livres et perdra une partie considérable de ce qu’il ne doit qu’à son active industrie. {On applaudit.) lime paraît donc impossible d’admettre l’impôt en nature. Cependant plusieurs membres se borneraient à désirer qu’on laissât aux municipalités la liberté de répartir leur contribution en nature, pourvu qu’elles en versassent le montant en argent ; on pourrait laisser cet espoir. Mais comme loi générale il faut décider qu’il n’y aura pas d’impôt territorial en nature. {On applaudit.) M. l’abbé Charrier. Si l’Assemblée veut renvoyer la discussion à demain, je me charge de répondre victorieusement à M. Dédelay. M. Féraud. Il y a dans mon département 200 municipalités qui ont des baux faits avec des fermiers, pour lever leur contribution en nature et la payer en argent au" Trésor public, et les laisser comme elles sont. M. Rœderer. On peut mettre aux voix deux questions. La première, il aura-t-il une imposition en nature ? La seconde aura pour objet l’exception proposée. M, d’André. Je demande que les deux questions soient décidées ensemble, puisque la seconde n’est qu’un amendement de la première. Quelle est l’intention de la nation ? C’est que les impôts soient payés facilement. Il faut donc que les communautés aient la faculté de payer soit en fruits, soit en argent. Il y a des pays où si vous décidiez que l’impôt ne pourra se payer en fruits, vous dérangeriez toute l’économie politique. On a dit que cela romprait l’unité constitutionnelle et les bases de l’imposition. L’unité doit être que chacun paye proportionnellement à ses facultés; le reste n’est qu’accessoire. Je conclus à ce que l’amendement au payement en nature soit adopté. M. Martineau. Il est une infinité de municipalités dont le territoire appartient à des étrangers. Une doit pas être au pouvoir des municipalités de dire que l’impôt se perçoive en nature plutôt qu’en argent. Cette détermination ne peut être prise que dans une assemblée générale de tous les propriétaires du territoire. (La discussion est fermée et la décision ajournée au lendemain.) M. Malouet. Conformément à vos décrets, votre comité a demandé au ministre un plan d’organisation de la marine: ce plan lui a été adressé hier par M. de La Luzerne. Je suis chargé de vous demander l’impression de ce plan et du travail de votre comité. (L’Assemblée décide que le plan du ministre et le travail du comité seront imprimés.) (La séance est levée à 3 heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 6 OCTOBRE 1790. Nota. —Le document ci-dessous ayant été imprimé et distribué à tous les membres de l’Assemblée nationale, nous avons pensé qu’il devait être inséré dans les Archives parlementaires. Rapport de MM. Coppens et Ferdinand Dubois , çom-missaires nommés par le roi , pour V exécution du , décret de l'Assemblée nationale , en date du 480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.] 7 août 1790, relatif à l'affaire du régiment Royal - Champagne. Messieurs les officiers du régiment de Royal-Champagne, cavalerie, se confient dans la justice de l’Assemblée nationale, et dédaignent de répondre à toutes les inculpations par lesquelles l’on a voulu attaquer leur conduite dans plusieurs imprimés, et notamment dans le mémoire de la section de Mauconseil. Tous ces écrits ne sont remplis que d’imputations calomnieuses contre les officiers dudit régiment. Tous les faits en sont controuvés; les pièces prétendues justificatives, sans aucune autorité. Messieurs les députés de l’Assemblée nationale sont priés de lire avec attention ce rapport. Tous les procès-verbaux et autres pièces qui en constatent la vérité sont déposés au comité, surtout les rapports du directoire de district de Montreuil et du directoire du département du Pas-de-Calais : toutes ces pièces s’accordent à justifier la conduite sage et mesurée de la municipalité d’Hesdin. L’on reconnaîtra aussi dans celle de Messieurs les officiers du régiment de Royal-Cham-pagne, cavalerie, leur soumission aux décrets de î’Assembléenationale.etquel’on ne peut leur faire d’autre reproche que d’avoir voulu maintenir l’ordre et la subordination. D’Aubignan, lieutenant , député du régiment Royal-Champagne (cavalerie). Rapport des commissaires du roi , sur V affaire du régiment de Royal-Champagne, cavalerie , en garnison à Hesdin. Les commissaires chargés par la proclamation du roi du 5 septembre, sur un décret de l’Assemblée nationale du 4, de prendre connaissance de tous les faits qui ont suivi l'exécution du décret concernant le régiment de Royal-Champagne, en date du 7 août dernier, et d’en rendre compte à l’Assemblée nationale dans le plus court délai : croyant devoir se renfermer scrupuleusement dans les bornes qui leur sont prescrites, et après avoir donné une idée de la situation de la ville d’Hesdin, où était alors le régiment de Royal-Champagne, ils entreront dans le détail des faits postérieurs à la publication dudit décret dans cette ville, époque à laquelle ce décret a commencé d’y avoir une existence légale. Nous ne doutons pas qu’il avait existé, à cette époque, des troubles à Hesdin, puisque l’Assemblée nationale par le décret du 7 août, aimprouvô la conduite d’une partie des sous-officiers et cavaliers de ce régiment et a déclaré qu’ils s’étaient permis les actes d’insubordination les plus déplacés ; que d’ailleurs la municipalité avait cru devoir demander, par précaution, à M. Biaudos, commandant pour le roi dans la ci-devant province d’Artois, d’envoyer dans cette vilie des détachements de la garnison d’Arras. Ces détachements y étaient en effet arrivés le 9 dudit mois d’août et avaient été cantonnés dans les faubourgs et dans les villages voisins : au surplus, M. Biaudos avait cru devoir prendre la précaution de priver de service le régiment de Royal-Ghampa-gne, et la municipalité avait fait clouer les ponts et les portes, afin qu’on ne pût pas, en cas d’une insurrection, interdire l’entrée de la ville aux détachements de la garnison d’Arras. Dès le 7, la municipalité avait fait aussi transporter dans la cour de l’hôtel de ville quatre pièces de canon, dans la vue sans doute d’en imposer à ceux qui auraient pu tenter quelque violence ou voie de fait. Nous avons peu de chose à dire sur ces mesures qui sont antérieures à l’époque de notre mission; il paraît qu’elles ont été approuvées par les uns et improuvées par les autres. Les premiers ont dit qu’elles avaient rassuré les bons citoyens; les seconds, qu’elles avaient troublé leur repos ; l’événement est en faveur de la municipalité, puisque les sous-officiers et cavaliers qui, suivant le décret du 7, s’étaient permis, le 2, les actes d’insubordination les plus déplacés, ont été contenus, et qu’il n’est arrivé aucun événement fâcheux. Il paraît d’ailleurs, par la pièce cotée NN, que le directoire du district a envoyé deux commissaires sur les lieux, pour y examiner les faits; que l’un d’eux a rapporté l’affaire à ce directoire qui a approuvé la conduite de la municipalité. La pièce cotée 00 63 prouve aussi que le directoire du département, après avoir vu les différents procès-verbaux et autres pièces relatives à cette affaire, a pensé comme le directoire du district. Cependant, le 12 août, vingt-six sous-officiers et cavaliers du régiment de Royal-Champagne s’étaient rendus à l’hôtel de ville, avaient été y reconnaître leurs torts ; et cette démarche, qui n’était pas faite pour plaire à ceux de leurs camarades qui ne partageaient pas les mêmes sentiments, fit croire qu’il était important de les séparer ; en conséquence, on les logea dans un quartier qu’on nomme du Royal, ou vieux quartier. Tel était l’état des choses, lorsque le décret du 7 est arrivé le 13 à Hesdin. Ce décret fut adressé à M. de Laustande, major, commandant le régiment Royal-Champagne, qui fit aussitôt appeler chez lui les sous-officiers du régiment, et leur en fit faire une première lecture. Le lendemain 14, le régiment fut assemblé sur la place de la ville, et là on fit, à haute voix, la publication dudit décret, dont lecture faite par un officier, chef d’escadron. Le plus grand nombre des dépositions porte que cette lecture fut écoutée en silence par le régiment, qui parut se soumettre au décret. Cependant une seule déposition annonce que, sur la place même, les nommés Hangoubert et Réthel, maréchaux des logis, se permirent de dire que c'était une bêtise, que ce n'était rien que cela , et que cela ne leur faisait pas peur. Si cette déposition n'est pas appuyée, plusieurs autres portent que le même jour et les jours suivants, les nommés Argot, adjudant ; Campagnol, Bertin, Buisson, Réthel, Hubert, Aubry, Marchand, Hangoubert, maréchaux des logis ; Tournier, brigadier; Le Fèvre, Solanet, Jean-Perret, Delorrier et autres cavaliers, tinrent les propos les plus méprisants contre les décrets et les plus insubordonnés. Les uns disaient qu’ils se f..... des décrets, qu’il fallait casser et chasser tous ces coquins d’officiers ; les autres, qu’il fallait bien se tenir et que l’on ne vaincrait jamais le régiment; d’autres, qu’il ne fallait pas faire attention aux décrets, que c’était l’ouvrage de M. de Fournèse et du ministre; qu’il fallait attendre la nouvelle organisation ; qu’en attendant il fallait tenir bon et engager les cavaliers à persister dans leurs projets, et autres propos de cette nature. Il paraît aussi qu’un jour ou deux après la lecture du décret, le nommé Baudry, maréchal des logis, proposa à ses camarades, en soupant, de marquer leur soumission à leurs chefs, en leur demandant pardon en présence de la municipar 481 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.) lité et des troupes qui étaient cantonnées dans les environs de la ville; mais cette proposition fut rejetée par les nommés Campagnol, Hangou-bert, Rethel, Marchand, Aubry, Hubert et Buisson, qui dirent que cette conduite les humilierait trop, qu’ils auraient mieux aimé être renvoyés que de faire de pareilles soumissions qui les déshonoreraient, à des personnes à qui ils n’avaient point affaire et qu’ils ne regarderaient jamais que comme leurs ennemis. Ils prirent alors un autre parti, celui de demander au commandant du régiment ce qu’il fallait faire pour rentrer dans le devoir. Cependant le 15, quatre cavaliers, et le 16 trois autres avaient été aussi faire à la municipalité leur déclaration de soumission. Nous ne devons pas omettre de dire que ceux-ci, ainsi que ceux qui avaient fait leur déclaration le 12, sont accusés, dans les dépositions, d’avoir été corrompus par les ofticiers et d’avoir reçu de l’argent de leur part. 11 parait en effet que ledit jour 12, les officiers leur ont envoyé à souper ou de l’argent pour s’en procurer, parce qu’ils n’avaient pas soupé avec les autres ; c’est tout ce que nous avons pu découvrir à cet égard ; mais ceux qui n’avaient pas partagé leurs démarches, lorsqu’ils les rencontraient, les insultaient, les menaçaient. Ils faisaient plus, ils passaient par troupes devant les fenêtres du quartier où les autres étaient logés et qui donnait sur le rempart; et, en passant, ils les accablaient d’injures, et ils leur répétaient que les fossés leur serviraient de cimetière. Les nommés Point, adjudant, et Chevreuil, brigadier, n’étaient pas alors à Hesdin; ils s’étaient rendus à Paris pour justifier ou excuser auprès de l’Assemblée nationale et du ministre, la conduite qu’eux et leurs camarades avaient tenue. Ils écrivirent au sieur Argot le 13, c’est-à-dire six jours après que le décret avait été rendu, une lettré qui est jointe aux dépositions. Ils avaient alors connaissance du décret, ainsi qu’il le paraît par cette lettre qui nous a été remise par M. Dau-digné, chef d’escadron du régiment de Royal-Champagne, qui la tenait de M. de Vacquier, officier audit régiment, à qui M. Bussy, également officier, l’avait remise, après l’avoir reçue du sieur Bonnet, cavalier audit régiment, dont la femme nous a déclaré l'avoir trouvée dans une veste qu’on lui avait donnée à laver. Ayant voulu savoir de cette femme à qui appartenait la veste dans laquelle cette lettre avait été trouvée, elle nous a dit n’avoir de linge à laver dans ce moment qu’aux nommés Charvieux et Meunier qui nous ont déclaré l’un et l’autre n’avoir aucune connaissance de cette lettre : quoi qu’il en soit, elle dévoile les sentiments des sieurs Point et Chevreuil, et elle paraît trop importante pour ne pas être transcrite entièrement dans le présent rapport. A la même lettre est jointe aussi une lettre du sieur Duvont, officier audit régiment, dont la teneur suit : « Paris, le 13 août 1790. <> D’après votre lettre en date du 10 du courant, je me suis rendu au comité des rapports, pour m’informer auprès du Président duuit comité, s’il était arrivé un mémoire de la garde nationale, qui concernait le régiment ; il m’a répondu qu’il n’avait été encore rien remis à ce sujet; nous attendons cette pièce avec impatience, pour poursuivre nos ennemis, et démontrer leur tyrannie en prouvant à la France entière que le décret, qu’ils ont surpris à l’Assemblée, n’est l’effet que ire Série. T. XIX. de l’intrigue des noirs et du ministre de la guerre. Jusqu’à ce jour, nous n’avons pu agir contre eux, attendu que nous n’avons aucune pièce authentique : un jour viendra que nous montrerons les dents. En attendant, nous nous faisons des amis; nous vous recommandons toujours la paix et l’union, c’est le vrai moyen pour parvenir à notre but. Lorsque vous écrirez, ayez attention de faire vos lettres comme il faut, attendu que nous nous en servons, et que quelquefois une phrase donne des doutes; quand il sera question de nous instruire de quelque chose qu’on ne voudra point rendre public, vous voudrez bien le mettre sur un morceau de papier. Nous sommes, en attendant une bonne réussite, vos meilleurs amis. « Signé : POINT. » Au dos de cette lettre était ce qui suit : « Faites tout votre possible, chers camarades, pour vivre en union avec les détachements qu’on vous a envoyés; si, par malheur, il arrivait une querelle,, que cette querelle ne devienne pas générale; car vous ferez triompher vos ennemis. A l’égard de tous les bruits qu’on a fait courir, que le régiment allait être cassé, c’est le produit de la méchanceté; qu’avez-vous donc fait pour que l’Assemblée nationale en vienne à ces extrémités ? Aviez-vous contrevenu au décret? non, tant s’en faut. Je vois que tous ces bruits partent de vos ennemis, mais je suis surpris que vous en ayez été inquiets un seul instant ; car enfin, vous devez savoir que le ministre, le roi même n’a pas le droit de priver un militaire de son emploi sans un jugement légal; à plus forte raison, n’a-t-il pas le droit de casser un régiment. Ainsi, tranquillisez-vous à cet égard, nous sommes ici pour plaider vos intérêts; et dans peu, comme vous l’a écrit Point, nous dévoilerons toutes les méchancetés des ministériels ; mais, mes chers camarades, de l’union, de la patience et de la tranquillité, tout ira bien. « Signé : Louis Davout, « Votre meilleur ami. » A la suite était écrit : J’appuie la motion de ces deux messieurs, et je vous assure qu’il est absolument nécessaire de suivre leurs conseils. Sous peu, nous ferons une autre motion que, j’espère, vous appuierez. Adieu, je vous embrasse tous un million de fois. « Signé : CHEVREUIL. » Il ne paraît pas que les officiers aient eu alors connaissance de cette lettre; mais l’insubordination qu’on continuait à remarquer dans le régiment, les propos qu’on entendait souvent, la manière dont on traitait les officiers, les menaces qui étaient faites continuellement aux cavaliers du vieux quartier donnaient lieu de çraindre une explosion, lorsqu’on retirerait les détachements de la garnison d’Arras qui, néanmoins, ne pouvaient pas toujours rester cantonnés autour de la ville d’Hesdin. Cette position embarrassante lit prendre le parti d’envoyer rendre compte à Arras à M. de Biaudos, par M. de Vacquier, officier au régiment de Royal-Ghampagne : M. de Biaudos conseilla à M. de Vacquier de se rendre à Paris pour informer le ministre de l’état de choses. M. de Vacquier, arrivé dans cette capitale, se réunit à deux officiers de son régiment, qui y étaient déjà en députation; et tous trois, après avoir été chez le ministre, se rendirent, le 18 du 31 m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.] mois d’août, au comité militaire, à qui ils exposèrent la situation du régiment. En conséquence, le comité militaire écrivit à M. de La Tour-du-Pin qu’il n’avait rien trouvé, dans les décrets de l’Assemblée nationale, qui empêchât le roi, chef suprême de l’armée, de congédier des soldats dont les services n’étaient plus agréables ou utiles ; qu’on ne pouvait pas leur expédier de cartouches infamantes; mais qu’à cela près, l’Assemblée n’a pas défendu l’emploi de la mesure proposée par MM. les officiers de Royal-Champagne, et que le comité croit qu’il dépend absolument du ministre d’apprécier et d’employer. Il paraît qu’après avoir reçu celte lettre, le ministre prit les ordres du roi et les intima à M. de Biaudos par M. de Yacquier qui en fut le porteur et qui les remit à ce général. M. de Yacquier fut chargé, le 20, de les transmettre à M. de Grammont qui commandait les détachements cantonnés autour d’Hesdin; le même jour 20 au soir, M. de Biaudos se rendit lui-même à Marconne, près d’Hesdin, et écrivit dès le matin, le 21, à la municipalité, la veille, les intentions du roi : la lettre de M. de Biaudos à la municipalité avait pour but de prendre des mesures relatives à l’exécution des ordres du roi. Le procès-verbal de la municipalité, à qui M. de Grammont avait déjà communiqué, dudit jour 21 , contient le récit exact de ce qui s’est passé dans cette occasion ; il est joint dépositions. On y trouve aussi la copie de la lettre du ministre qui prescrit à M. de Biaudos la conduite qu’il doit tenir et la copie de l’ordre du roi, dont ce général a fait lecture en présence du régiment. Nous nous contenterons de dire ici que la garde nationale d’Hesdin et les détachements de la garnison d’Arras ayant été rangés autour de la place d’Hesdin, les quatre pièces de canon étant devant l’hôtel de ville, chargées à cartouches, avec les mèches allumées, et la municipalité étant aussi descendue sur la place, le maire et les deux premiers officiers municipaux se rendirent au quartier du régiment de Royal-Champagne qui était assemblé sans armes, et le sommèrent de se rendre sur la place, ce qu’il fit. Lorsqu’il eût été introduit dans l’enceinte, M. de Biaudos, au nom du roi, appela et fit sortir des rangs vingt cavaliers, trois appointés, un brigadier, neuf maréchaux des logis et un adjudant, dont la liste avait été faite préalablement dans une assemblée de tous les officiers, qui avaient désigné chacun les plus insubordonnés à leurs compagnies respectives. On leur donna des cartouches blanches qui portaient leur congé et l’ordre de se rendre directement dans leur pays; des cartouches semblables furent destinées au sieur Point, adjudant, et au sieur Chevreuil, brigadier, qui élaient encore à Paris. Les cavaliers congédiés, à mesurequ’ilsétaient nommés, étaient conduits hors la ville par des fusiliers de la garde nationale et des troupes de la ligne de la garnison d’Arras. Les maréchaux des logis furent conservés jusqu’au lendemain, pour qu’ils pussent rendre leurs comptes, et ils furent gardés jusqu’après cette reddition de comptes par la garde nationale et les troupes de la ligne; ils furent ensuite également conduits hors de la ville. Nous devons ajouter ici que, dès le lendemain, la municipalité requit la maréchaussée de faire perquisition dans les villages voisins de la ville, à l’effet de s’assurer si en effet les congédiés s’étaient soumis aux ordres du roi, et s’étaient acheminés vers leur pays. Lorsque cette expédition fut finie, M. de Biaudos lut au reste du régiment l’ordre du roi dont nous avons déjà parlé ; et il paraît qu’on n’entendit aucun murmure, que tout le régiment eut l’air de se soumettre aux volontés du roi et ne donna aucune marque d’improbation sur ce qui venait de s’exécuter. Cependant une ou deux dépositions porte que cette soumission n’était qu’apparente, qu’on n’était retenu que par la présence des troupes d’Arras et que le mécontentement ne cherchait que l’occasion de se manifester : dès le jour même et dans l’après-dîner les cavaliers donnèrent une marque authentique du désir qu’ils avaient de se réconcilier avec les officiers et de leur prouver leur déférence et leur soumission; ils s’assemblèrent et furent assurer combien ils étaient pénétrés de ces sentiments; ils firent plus encore, ils offrirent d’eux-mêmes de se charger de nouveau du pansement des chevaux de ces officiers, ce qu’ils avaient cessé de faire depuis quelque temps. Le calme continua à paraître tellement rétabli, dès le lendemain 22, que M. de Biaudos ne balança pas de faire prendre, le 23, la route d’Arras aux détachements de la garnison de cette ville; le même jour 23, un certain nombre de citoyens se présenta à la municipalité et demanda à s’assembler pour délibérer sur un mémoire qu’on disait avoir été envoyé à l’Assemblée nationale par M. Varlet, commandant de la garde nationale, et par quelques autres officiers de ladite garde. Cette assemblée eut lieu chez M. Le Comte, capitaine des grenadiers de la garde nationale; on y signa une adresse de la munici-1 alité; mais il paraît que les 224 citoyens actifs ou non actifs qui signèrent cette adresse, n’assistèrent pas tous à la délibération; que cette adresse resta déposée chez le sieur Le Comte, où plusieurs allèrent la signer, quelques-uns sans trop savoir ce qu’elle contenait, d’autres déterminés par des sollicitations, des men aces ou autrement; d’autres encore uniquement par déférence pour la municipalité. Parmi tous ces signataires, quelques-uns ont rétracté leurs signatures. On accuse même le sieur Le Comte d’avoir offert et donné à boire de l’eau-de-vie à plusieurs d’entre eux, et cette accusation ne paraît pas sans fondement. Néanmoins, on voit sur cette liste les noms d’une grande partie des citoyens les plus connus de la ville d’Hesdin, et de ceux surtout qui, par leur état et leurs facultés, paraissent devoir être le plus à l’abri de la séduction. Le 26, 53 maréchaux des logis, brigadiers et cavaliers signèrent une adresse à l’Assemblée nationale; et le même jour, quarante-six d’entre eux signèrent une lettre qui n’a pas de titre dans l’imprimé qui est joint aux dépositions et qui cependant paraît adressée à toute l’armée. Dans ces deux pièces, les signataires reconnaissent les torts du régiment, les désavouent et pro mettent pour l’avenir une conduite à toute épreuve. 11 y a encore des réclamations contre ces signatures, mais en petit nombre, et ceux qui réclament disent n’avoir pas eu connaissance du contenu de ces adresses ; les réclamations ne paraissent pas avoir eu lieu dans le temps que les adresses parurent, et le calme continua à régner dqqp le régiment ; mais au bout de quelque temps et vers les derniers jours du mois d’août, des lettres venues de Paris, de la part des maréchaux des logis, brigadiers ou cavaliers renvoyés, annoncèrent qu’ils n’étaient pas sans espoir de rentrer dans le régiment. Ces nouvelles excitèrent quelque fermentation parmi ceux qui leur étaient plus particulièrement attachés. Ceux qui étaient à Paris |6 octobre 1790. J (Assemblée nationale.) s’étaient rencontrés avec le sieur Girard, citoyen d’Hesdin, dont la femme était dans cette ville. Un nommé Benoit Renaud, cavalier du régiment, fut introduit chez cette dame, où il n’avait jamais été auparavant : il déclara dans sa déposition qu’à sa sollicitation et à la vue des papiers dont elle lui donna la communication, il se détermina à faire une adresse pour demander le retour de ses camarades congédiés; il colporta cette adresse dans les chambrées du régiment, et obtint, sur un exemplaire de ladite adresse, soixante signatures, et, sur un autre, soixante-quatre. Cette adresse, revêtue de ses signatures, fut portée audit Girard, qui sans doute l’envoya à l’Assemblée nationale. Cette démarche du sieur Benoît donna de l’inquiétude au commandant du régiment, qui le fit venir en sa présence et la lui reprocha; il paraît que ledit Benoît répondit d'une manière peu respectueuse à son chef, qui le condamna au cachot. Quelques dépositions portent qu’il y fut mis avec les fers aux pieds et aux mains ; mais il résulte des dépositions dudit Benoît, de celle du geôlier et du maréchal des logis qui l’y conduisit, que ce dernier fait est faux. Pour le cachot, il est évident qu’il y a été condamné, et il soutient y avoir été mis ; mais le geôlier le nie. Les esprits étaient déjà assez émus par ces différentes circonstances; il arriva le 6 septembre un événement inattendu et qui contribua à les émouvoir encore davantage. Il y avait alors, à très peu de distance d’Hesdin, une espèce de fête ou kermesse, où grand nombre de citoyens et de cavaliers du régiment étaient réunis pour se divertir, lorsque, vers les cinq heures de l’après-midi, un commissionnaire ou domestique envoyé à M. Varlet, commandant de la garde nationale, qui était aussi à cette fête, vint lui apprendre que des députés de la garde nationale de Paris l’attendaient chez lui. Le bruit s’en répandit aussitôt, et la maison dans laquelle ils étaient ne laissa pas lieu de doute qu’ils apportaient la nouvelle du rétablissement des congédiés. Ils est facile d’imaginer la sensation que produisit une telle nouvelle, surtout lorsqu’on connaît les deux esprits qui animaient alors le régiment de Royal-Ghampagne et les citoyens d’Hesdin. Dans le régiment, ceux qui avaient partagé les torts vrais ou supposés des congédiés, ranimés par l’espoir de leur justification ou de leur impunité, reprenaient une nouvelle vigueur et se repentaient des actes de subordination auxquels ils avaient consenti. Ceux, au contraire, qui n’avaient jamais participé à ces torts ou qui en avaient un véritable regret, prévoyaient, avec crainte, le retour de ceux qu’ils regardaient comme la cause des improbations que leur régiment s’était attirées. Parmi les citoyens, ceux qui avaient fomenté les principes qui avaient produit les troubles du régiment, voyant la cause qu’ils croyaient apparemment la meilleure, prête à l’emporter, se préparaient à leur triomphe ; les autres, au contraire, qui s’étaient déclarés si hautement par leur adresse à la municipalité, les approbateurs du renvoi qui avait été fait, s’attendaient à voir renaître les maux dont ils se croyaient délivrés; et ces divers sentiments ne pouvaient produire qu’une grande agitation. Nous croyons, sans passer les bornes de notre mission, puisqu’elle tend au maintien de la tranquillité publique, pouvoir nous permettre ici une réflexion sur la démarche de la section de Paris, que son zèle l’a sans doute porté à faire. Nous avons peine à croire qu’elle puisse être avouée 483 parla ville de Paris, qui n’a pas sans doute soutenu si vigoureusement les droits de la liberté pour la compromettre, en établissant dans son sein une sorte d’inspection sur les autres villes du royaume: nous croyons qu’aucune ville quelque grande, quelque peuplée qu’elle soit, ne peut se permettre de donnera personne la commission d’aller examiner ce qui se passe dans uneautre.Les municipalités et les corps administratifs sont seuls établis par la Constitution poury veiller; et lorsque ces corps abusent de leurs pouvoirs, c’est au Corps législatif et au roi à y pourvoir et à donner des délégations à cet effet : s’écarter de cette règle, ce serait tomber dans l’anarchie, confondre ions les pouvoirs, empiéter sur les droits des cités et sur les libertés des citoyens qui ne doivent avoir d’autres inspecteurs et d’autres juges que ceux que la loi leur donne, et qu’ils ont choisis eux-mêmes. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point. L’Assemblée nationale en a déjà prévu les inconvénients en décrétant, depuis cette époque, qu’aucune corporation ne pourrait entretenir de correspondance avec les régiments. Sa sagesse lui inspirera sans doute aussi de décréter qu’aucune autre ville n’aura d’inspection sur une autre, encore moins une section d’une ville. Quoi qu’il en soit de ces réflexions générales, nous n’avons pas de reproches particuliers à faire aux délégués de la section Mauconseil: nous sommes un peu étonnés qu’ils aient attendu aussi longtemps, c’est-à-dire jusqu’au lendemain de leur arrivée, à onze heures et demie, à se présenter à la municipalité, dont le droit et le devoir sont de connaître tous les étrangers qui s’introduisent dans la ville; nous le sommes encore qu’ils aient prolongé leur séjour aussi longtemps dans la ville d’Hesdin, lorsque notre arrivée y rendait notre mission au moins inutile; mais nous ne nous sommes pas d’ailleurs aperçus qu’ils aient donné aucuns mauvais conseils. ,La fermentation que leur présence a occasionnée ôtait inhérente à leur démarche, mais ne donne Jieu à aucun reproche contre eux. Nous ne trouvons pas plus d’occasion de leur en faire, dans deux ou trois dispositions qui ne leur sont pas défavorables, mais dont chacune ne présentant que des faits isolés et non appuyés, ne donne lieu à aucune inculpation. Dès le jour de leur arrivée, ils se présentèrent au commandant du régiment, pour lui demander un officier qui les accompagnât dans toutes les chambres des cavaliers; Je commandant ne crut pas devoir leur permettre ni leur défendre cette visite, mais leur déclara qu’il ne leur donnerait pas d’officier. Ils prirent alors le parti d’envoyer aux cavaliers une adresse qui ne contient que de bons conseils, et à laquelle plusieurs sous-officiers et cavaliers firent une réponse qui nous a paru fort sage. Les députés, néanmoins, furent vus de mauvais œil par les citoyens d’Hesdin, opposés aux congédiés dont ils se déclaraient hautement les protecteurs; mais ilsfurentextrêmementbien acceuil-lis par ceux du parti contraire. Leur séjour donna lieu à beaucoup d’assemblées de cavaliers, tantde jour que de nuit, chez les citoyens qui leur faisaient cet accueil, et le repas que leur donna, le 9 septembre, le sieur Girard avec qui ils étaient arrivés de Paris, produisait des circonstances qui sont dignes de remarques. Le sieur Girard, pour mieux fêter ses hôtes dont un logeait chez lui, invita à ce repas plusieurs personnes qui paraissaient avoir été de-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 4 84 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790. J vouées aux congédiés. Vers la fin du dîner, le sieur Rebillot, écrivain du régiment de Royal-Ghampagne, se présenta dans cette maison pour y réclamer une lettre dont un de ses oncles, demeurant à Paris, avait chargé M. Girard, à son retour, et que ledit sieur Rebillot venait d’apprendre avoir été remise à M. Girard, par une au-ire lettre qu’il avait reçue de ce même oncle par la poste. Le sieur Rebillot fut extrêmement bien accueilli dans cette maison où il entrait pour la première fois; on l’invita de s’asseoir, et il y consentit; on l’entretint de tout ce qui se passait dans le régiment, on lui donna à lire des papiers qui y avaient rapport, on lui fit des questions et il y répondit. Son séjour s’élait déjà prolongé lorsqu’on aperçut par les fenêtres qui donnent sur la rue, que des officiers du régiment se promenaient dans cette rue et guettaient ceux qui entraient et sortaient; on vil même un enfant regarder à la fenêtre et qu’un des convives aperçut bientôt causant avec les officiers. Il paraît que la fréquentation de cette maison et de quelques autres avait été défendue par les officiers. Le sieur Rebillot surtout, à cause de sa qualité d’écrivain, craignait que la visite qu’il y avait faite le rendît suspect et l’exposât à des reproches et même à des punitions, et il s’obstina à ne pas sortir; les officiers de leur côté s’obstinèrent à ne pas se retirer. On fît alors beaucoup d’instances paur déterminer le sieur Rebillot à sortir et à se montrer, et il a déposé qu’un des députés de la garde nationale de Paris, sur ce qu’il disait qu’il pourrait être envoyé en prison, dit qu’il désirerait qu’il y fût mis. Le sieur Rebillot ne put se déterminera s’y exposer. Gomme il était entre huit et neuf heures et que la rivière passait derrière la maison du sieur Girard, on prit le parti de faire demander au meunier de mettre les eaux basses et le sieur Rebillot, à l’aide d’une paire de bottes, sortit de chez le sieur Girard en traversant cette rivière. Nous croyons devoir placer ici tout ce qui a rapport à ce dîner. Un des convives, dont nous reçûmes la déposition, nous déclara que le sieur Rebillot avait dit dans cette maison qu’il connaissait toute la trame qui avait été ourdie par les officiers pour perdre le régiment, et que, s’il était appelé à serment, il découvrirait bien des choses; qu’au surplus, avant de sortir, il avait dit à Mme Girard, et que cette dame après sa sortie, avait déclaré qu’il avait en effet de justes raisons pour ne pas vouloir être vu par les officiers. Lorsque le sieur Rebillot parut devant nous, nous l’interrogeâmes sur ces propos qu’il nia, et comme une seule personne en avait déposé, nous ne poussâmes pas nos perquisitions plus loin. Mais plusieurs autres convives ayant déposé depuis qu’il avait tenu ces propos, Mma Girard elle-même l’ayant confirmé et ayant déclaré qu’il lui avait été dit que c’était fait de lui s’il était aperçu par ses officiers, nous crûmes devoir mettre un grand intérêt à le faire parler, puisque, s’il y avait eu vraiment une trame ourdie par les officiers pour perdre le régiment, il nous paraissait extrêmement important de la connaître. Nous demandâmes donc de nouveau le sieur Rebiilot, et nous le poussâmes extrêmement, après lui avoir fait prêter serment de dire la vérité, de nous déclarer s’il avait dit chez le sieur Girard, en présence de plusieurs personnes, qu’il avait le secret des officiers, qu’il connaissait la trame odieuse qu’ils avaient employée pour la perte du régiment, et que, s’il était appelé à serment, il découvrirait bien des choses. Il nous a répondu qu’il persiste à soutenir qu’il n’avait pas tenu de semblables propos, qu’il était bien éloigné d’en avoir l’intention, puisque non seulement il n’avait pas eu de connaissance qu’aucune trame eût été ourdie par les officiers pour perdre le régiment, et qu’il était même persuadé qu’il n’en avait jamais existé; que n’ayant jamais eu connaissance de rien, il ne pouvait rien découvrir. Nous lui avons encore demandé si, lorsqu’on lui faisait des instances pour sortir par la rue, il n’avait pas dit, soit à une seule personne, soit à plusieurs, que ce serait fait de lui si les officiers qui le guettaient le voyaient sortir. Il a répondu qu’il n’a jamais tenu ce propos à qui que ce soit ; qu’il n’a jamais soupçonné ses officiers qui ne l’ont jamais ni puni ni repris, d’avoir voulu se défaire de lui. Nous ajouterons, en finissant ce long récit, que les officiers qui se relevaient, restèrent jusque vers onze du soir dans la rue, et que le sieur Rebiilot, qui leur fit le lendemain l’aveu de son aventure, reçut une forte réprimande et ne subit pas d’autre punition. Nous avons insisté longtemps sur ce fait, parce qu’il nous a paru extrêmement important dans l’affaire, puisqu’il pouvait nous conduire à découvrir une trame quelconque. Nous terminerons par observer que la seconde déposition du sieur Rebillot mérite d’être lue, examinée et pesée tout entière avec beaucoup de soin et d’attention. A peu près à l’époque de ce dîner, il s’éleva dans le régiment deux rixes particulières dont nous avons depuis cherché à éclaircir les motifs et les suites. Il résulte des dépositions qu’un cavalier nommé Goudrecourt, et qui paraît d’un caractère assez violent, étant pris de boisson, tint d’assez mauvais propos à quelques-uns de ses camarades, qui ripostèrent d’autant plus vivement que l'agresseur était du nombre de ceux qui s’étaient retirés au vieux quartier, et que ceux qu’il attaquait étaient du parti opposé. Un maréchal des logis parvint à les séparer; un officier condamna Goudrecourt à la prison, et nous y avons reçu sa déposition. A peu près dans le même temps, un brigadier, nommé Fourrier, encore du nombre de ceux qui avaient été attester leur soumission à l’hôtel de ville, se prit de paroles avec un nommé Cham-pigni, et s’oublia au point de donner à celui-ci un soufflet qui le renversa sur le pavé. Nous nous sommes assurés que Fourrier, qui avait tort, avait été puni ; et nous ne nous sommes arrêtés sur ces deux faits particuliers, que parce qu’ils ont été l’objet de plusieurs dépositions; qu’on y dit même que, dans cette occasion, les officiers ont agi avec partialité, attendu que ces hommes étaient du nombre de ceux qui s’étaient déclarés en leur faveur; mais il est notoire qu’ils ont été punis, et il paraît que la punition a été proportionnée à la faute. Tel était l’état de choses lorsque nous nous trouvâmes réunis à Hesdin, le 13 septembre au malin. Le même jour, nous eûmes la visite de quelques cavaliers qui nous présentèrent une lettre non cachetée et signée de 134 d’entreeux ; on demande, dans cette lettre, le retour des congédiés ; on y dit qu’ils sont innocents, et que dans le cas où ils seraient coupables, tous ceux qui ont signé le sont, puisqu’ils ont partagé les mêmes tons. Le lendemain 14, presque tous les sous-officiers et brigadiers et plusieurs cavaliers du régiment se rendirent à notre logement et vinrent nous déclarer, après avoir protesté de leur soumis- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.] 485 sion aux décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le roi, et de leur obéissance envers leurs chefs, qu’ils approuvaient toute la conduite qui avait été tenue à l’égard de plusieurs insubordonnés qui avaient été renvoyés de leur corps. Nous avons cru devoir tenir sur le champ procès-verbal de cette déclaration à laquelle plusieurs autres ont adhéré les jours suivants, 15, 16 et 17 septembre. Enfin ce môme jour, 17, quatre sous-officiers et cavaliers nous ont remis une lettre du détachement qui est à la Roche-Guyon en Normandie, une autre du détachement qui est à Gaillon, et enfin une lettre adressée au ministre par les détachements de Gaillon, Vernon et la Roche-Guyon; toutes lettres dans lesquelles ces détachements blâment la conduite du régiment, qui a été improuvée par l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons apprécier ces dernières pièces; quant à celles qui nous ont été présentés le 13, et celle qui a été signée devant nous les 14, 15, 16 et 17, on les a attaquées réciproquement. On a reproché à celle qui nous a été remise le 13 d’avoir été mendiée et signée par plusieurs cavaliers sans savoir ce qu’ils signaient; et, en effet, quelques-uns de ceux qui l’ont signée, l’ont déclaré, et même ont signé le procès-verbal des 14, 15, 16 et 17, qui contient des pétitions contraires; d’une autre part, on a reproché à ceux qui ont signé le procès-verbal des 14, 15, 16 et 17, de l’avoir fait par complaisance pour les officiers, d’y avoir même été sollicité par eux, d’avoir été conduits par leur propre intérêt qui les engage à empêcher le retour des congédiés, qui retarderait leur avancement. Il se peut que ces reproches ne soient pas sans fondement de part et d’autre; mais pour donner lieu d’apprécier encore mieux ces deux pièces, nous déclarerons d’abord que le nombre des soüs-officiers et cavaliers alors au régiment était de 227, que 81 ont signé le procès-verbal des 14, 15, 16 et 17, et 134 la lettre à nous remise le 13. Il en résulterait qu’il resterait 12 indifférents, s’il n’y en avait pas quelques-uns qui ont signé des deux côtés. Parmi les 81 opposants au retour sont tous les maréchaux de logis, presque tous les brigadierset beaucoup d’anciens cavaliers ; parmi les 134 signataires de la lettre à nous remise le 13, il y a beaucoup de jeunes gens, en sorte que les 81 ont plus d’années de services entre eux que les 134. Ayant commencé à recevoir des dépositions le 14 septembre, nous avons continué lesjours suivants jusqu’au 30. Le 19, vers midi, nous avons eu la visite d’un grand nombre de citoyens, qui sont venus nous déclarer qu’ayant signé chez le sieur Le Comte, le 23 août et jours suivants, l’adresse dont nous avons déjà parlé, ils persisteraient dans les déclarations qu’ils avaient déjà faites dans cette adresse : en conséquence, qu’ils applaudissaient à la conduite que la municipalité a tenue, qu’ils blâmaient celle de plusieurs citoyens, et d’une partie de la garde nationale, qu’ils accusent de ne pas avoir pour la municipalité les égards et la soumission qu’ils lui doivent. Ils se plaignent surtout de l’entreprise de la section Mauconseil de la ville de Paris, qui s’était permis d’envoyer une députation dans leur ville, et nous chargeaient spécialement d’en porter leurs plaintes à l’Assemblée nationale et au roi; nous dressâmes procès-verbal de cette déclaration, qui fut signée à l’instant par les citoyens présents, et qui continua de rester ouvert, d’après le désir des signataires, jusqu’au 23 du mois, pendant lequel temps un assez grand nombre de citoyens vint y adhérer. La partie de la garde nationale inculpée dans cette adresse ne voulut pas demeurer eu reste et elle se présenta le lendemain devant nous avec mémoire non signé. Comme nous étions dans ce moment à recevoir les dépositions de quelques personnes que nous avions mandées à cet effet, nous ne pûmes pas recevoir ledit mémoire et le faire signer en notre présence; l’un de nous proposa à ces messieurs de revenir dans un autre moment avec toutes les personnes qui se proposaient de signer, ou que quelques-uns d’eux le rapportassent tout signé : on choisit ce dernier parti, et le mémoire nous fut remis le 27 au soir ; ce dernier mémoire et le procès-verbal qui avait été signé devant, nous le 19 et les jours suivants, occasionnèrent beaucoup de tracasserie dans la ville. On prétendit, de part, et d’autre que beaucoup de signatures étaient mendiées ; on fit des efforts pour arracher des rétractations; il est prouvé dans les dépositions, par l’aveu même de ceux qui nous remirent le mémoire le 27, qu’un coiffeur de femmes, nommé Du Jardin, fut le colporteur de ce mémoire, et le présenta dans plusieurs maisons pour le faire signer, qu’il en est qui n’en prirent pas même lecture. Enfin, une pièce curieuse eu ce genre est la déposition 157 ; on eut la maladresse de charger un homme peu éclairé d’apporter cette déposition écrite, et que le ridicule de ses réponses autant que son aveu démontrent lui avoir été fournie ; le trait qui le caractérise le mieux, c’est qu’ayant déposé que les discours des députés de la section de Mauconseil avaient produit un grand bien dans la ville, d’Hesdin ; sur la demande que nous lui fîmes si ces députés étaient venus dans la ville il nous répondit qu’il n’en savait rien. Un autre qui nous présenta une déposition à peu près semblable, nous déclara formellement le nom du sieur Euvrard qui la lui avait fournie. Nous avons voulu traiter de suite ce qui a rapport aux habitams d’Hesdin ; mais nous allons revenir sur nos pas, pour parler d’une nouvelle déclaration qui nous fut faite le 19 septembre, par la plupart des sous-officiers, brigadiers, et par les cavaliers qui avaient signé celle du 14; ils confirmaient à peu près ce qu’ils avaient dit sur la première, en y ajoutant que le calme avait été parfaitement rétabli après le départ des congédiés. Le 24, il nous fut remis une lettre des sous-officiers et cavaliers durégiment de Royal -Champagne, détachés à Gaillon, Vernon et la Roche-Guyon, datée du 19 septembre, par laquelle tous ceux qui composent ces détachements, nous suppliaient de mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale et du ministre, que leur vœu unanime est de voir à jamais exclus du régiment ceux qui leur ont attiré deux fois l’approbation de l’Assemblée nation ale dont ils jurent tous de maintenirlesdécrets sanctionnés par le roljusqu’à la dernière goutte de leur sang. U paraissait, par cette lettre, que le détachement de la Roche-Guyon avait voulu revenir sur cette prem ère déclaration et le détachement de Vernon semblait désapprouver les réflexions de celui de la Roche-Guyon; mais des lettres des détachements de la Roche-Guyon et de Vernon, datées du 27, détruisent tous les doutes, et les signataires y assurent qu’ils s’en tiennent à la premièredéclarationet persistent à désirer que le renvoi de leurs camarades soit confirmé. Ges dernières lettres nous ont été remises le 486 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 octobre 1790.] 30 septembre au matin; à cette époque, persuadés que nous avions tiré tous les éclaircissements dont cette affaire était susceptible après nous être transportés la veille dans toutes les chambres des cavaliers pour leur annoncer notre départ et leur déclarer que, si quelqu’un avait encore quelque chose à nous dire, nousétions prêts à les entendre, nous sommes partis de la ville d’Hesdin, après avoir appris que le ministre avait donné ordre que le régiment en partit aussitôt après que nos opérations auraientété terminées, ce que nous croyons être de la plus instante nécessité, puisqu’il est évident, par les dépositions, que les citoyens d’Hesdin, sont partagés en deux opinions sur le sort des congédiés. Les uns désirent vivement leur rappel, les autres le redoutent, et quelle que soit la décision de l’Assemblée nationale, elle n’aurait pu que causer beaucoup de trouble dans cette ville, si le régiment s’y était encore trouvé. Hans cette circonstance, nous croyons qu’il importait très fort à la tranquillité du régiment et de la ville qu’ils fussent séparés et que la réunion des détachements de Normandie et de la partie du régiment qui était à.Hesdin, ne peuvent aussi que contribuer à la rétablir. Nous croyons devoir encore observer que dans la supposition où les congédiés rentreraient dans le régiment, presque tous les officiers que nous avonsentendusnous ont déclaré qu’ilsdonneraient leur démission, et presque tous les sous-officiers et cavaliers qui ont signé le procès-verbal des 14, 15, 16 et 17 septembre, malgré l’ancienneté du service de plusieurs, ont aussi déclaré qu’ils demanderaient la permission de se retirer; tandis que ceux du parti opposé disent, et surtout quelques-uns qui nous ont paru les plus animés, que si leurs camarades sont coupables, ils le sont aussi et doivent être punis comme eux. Une autre observation qui ne doit pas aussi nous échapper c’est que d’après ce qui s’était passé avant le 14 août, et l’improbation donnée par l’Assemblée nationale aux actes d’insubordination de quelques sous-officiers et cavaliers du régiment, nous avons cru devoir questionner particulièrement ceux qui paraissent avoir eu quelque part, à leur façon de penser, sur les sujets de mécontentement que les officiers pourraient leur avoir donnés, et nousavons vu, avec surprise, que presque tous n’ont aucun reproche à leur faire, et que ceux, en petit nombre, qu’on a articulés et que nous avons pu vérifier, se sont trouvés peu fondés. Nous ajoutons encore que, dans tout ce qui est venu à notre connaissance, tant dans le régiment que dans la ville, nous n’avons rien aperçu qui parût tendre, en aucune manière, vers une contre-révolution. Nous croyons avoir rempli le but de notre mission et avoir mis l’Assemblée nationale, à l’aide des dépositions et des pièces qui y sont jointes, en état de prendre Un parti définitif sur le sort des sous-officiers et cavaliers congédiés, et sur celui du régiment du Royal-Ghampagne. A Arras, le 6 octobre 1790. COPPENS, président du département du Nord. FERDINAND Dubois, président du département du Pas-de-Calais. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ, EX-PRÉSIDENT. Séance du mercredi 6 octobre 1790, au soir (1). Le séance est ouverte à six heures et demie dû soir. M. d’André, ancien président, occupe le fauteuil en l’absence de M. Emmery, président. M. Bouche demande la parole et donne lecture d’une adresse des officiers de la garde nationale d’Orange et d’une délibération des officiers municipaux delà même ville, où ils rendent compte des motifs qui ont déterminé l’arrestation de différentes caisses d’armes conduites au Comtat, et supplient l’Assemblée nationale de leur faire parvenus ses ordres sur la conduite qu’ils ont à tenir, tant sur les onze caisses déposées à la maison commune, que sur celles qui pourraient passer à l’avenir, en réitérant leurs vœux pour la réunion de l’Etat d’Avignon et du Comtat Venaissin à l’Empire français. Ces deux pièces sont renvoyées aux comités diplomatique et d’Avignon. Un de MM. les secrétaires donne lecture de différentes lettres et adresses ci-après, savoir : Adresse deM. de Montmorand, maire de Saint-Marcellin, contenant l’hommage présenté par cette ville à l’Assemblée nationale, des honneurs funèbres rendus par les gardes nationales de ce chef-lieu de district, aux mânes de leurs frères d’armes morts à Nancy. Tous les corps ecclésiastiques, religieux, politiques, administratifs ou civils, tous les citoyens et citoyennes de toutes les classes, ont concouru pour rendre cette cérémonie auguste, imposante, majestueuse. Les détails touchants de celte adresse portent l’empreinte de la profonde douleur et du patriotisme d’une ville dont le zèle pour la Constitution, et l’énergie contre tout germe de contre-révolution ne se sont jamais démentis. Lettre de M. de Bouillé, qui fait part à l’Assemblée d’une lettre qui lui a été adressée par les officiers, sous-officiers et cavaliers du régiment d’Artois, cavalerie, en garnison à Strabourg, par laquelle ils prient ce général de faire accepter à l’Assemblée nationale, pour les veuves et orphelins des malheureuses victimes du patriotisme qui ont péri à Nancy, l’offre qu’ils font d’un jour de paye entière de chaque individu qui compose le régiment. Adresse des administrateurs composant le directoire du département de la Manche, contenant le procès-verbal de la fédération et de la réception de la banuière de ce département. Adresse des citoyens de la commune des Baux, district de Tarascon, département des Bouches-du-Rhône, qui remercient vivement l’Assemblée d’avoir placé dans la ville de Saint-Remy le tribunal de district. Adresse des municipalités et gardes nationales de la communauté de Lésigueux, district de Montbrison, et de celle de Longeville, contenant le procès-verbal de là fête civique célébrée par tous les citoyens le jour du 14 juillet, dans laquelle (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .