402 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Article premier. - Il sera incessamment procédé à l'estimation exacte et rigoureuse des bâtimens, cour, jardin, clos, terres, près et étangs, moulins et autres dépendances restant à vendre de la ci-devant abbaye des Prémontrés, district de Chaulny [Chauny], département de l’Aisne. Cette estimation sera faite par trois experts nommés, l’un par la commission des Revenus nationaux, le second par le directoire du département de l’Aisne, le troisième par le directoire du district de Chaulny [Chauny] ; Art. II. - Ces experts opéreront en présence d’un autre expert nommé par le citoyen Cagnon, qui aura voix instructive : ils adresseront leur procès-verbal d'estimation au comité des Finances, qui en fera son rapport à la Convention nationale, à l’effet de décréter l’aliénation, s’il y a lieu. Art. III. - L’adjudicataire paiera le prix des objets qui lui seront aliénés, dans les termes et de la manière prescrite pour l’aliénation des domaines nationaux. Art. IV. - L’adjudicataire sera tenu de réaliser l’établissement proposé, dans une année, à compter du décret d’aliénation, et de le maintenir au moins pendant l’espace de dix années. Faute par l’adjudicataire de remplir ces conditions, il sera évincé des bâtimens et autres propriétés à lui adjugés, et ne pourra répéter le premier paiement qu’il auroit fait, en conformité de l’article précédent (110). 47 Un des secrétaires fait lecture d’une adresse des citoyens de la commune de Nantes [Loire-Inférieure] et de la société populaire. Ils dénoncent Carrier, représentant du peuple, à la Convention nationale, qu’il a voulu avilir et au peuple entier, dont il a trahi la confiance et compromis la souveraineté, et ils retracent les crimes qu’ils lui imputent. La Convention nationale décrète l’impression de cette adresse, autorise ses secrétaires à en coter et parapher toutes les pages et à la remettre ensuite à sa commission des Vingt-un (111). [Les citoyens soussignés, de la commune de Nantes et de la société populaire, à la Convention nationale (112)] Nantes, le 9 brumaire, l’an 3e de la république française, une et indivisible. (110) P.-V., XL IX, 291-292. Moniteur, XXII, 539-540. (111) P.-V., XLIX, 292. Rapporteur Chazal selon C* II, 21. (112) Moniteur, XXII, 544-546. Ann. Patr., n° 688; Gazette Fr., n° 1053 ; J. Perlet, n° 787 ; Mess. Soir, n° 824 ; C. Eg., n° 823; Ann. R. F., n° 59; J. Univ., n° 1819; Rép., n° 60; Débats, 788, 857 ; Ann. R. F., n° 59. Citoyens représentants, c’est dans le temple de la justice et de la liberté, c’est au milieu des mandataires fidèles d’un peuple magnanime, que les Nantais, constants dans leurs principes énergiques et purs, toujours pénétrés de la même confiance dans la représentation nationale, s’empressent de déposer dans son sein leurs justes craintes et leur indignation. Représentants du peuple français, vous qui, déjà convaincus que ce n’est pas par la terreur, dont l’empire affreux ne s’élève qu’au milieu des forfaits et des désolations, qu’on peut consolider un gouvernement heureux; vous dont les actions sublimes prouveront à jamais que le règne seul des vertus assure la prospérité des républicains, nos coeurs, en s’épanchant dans votre sein paternel, se remplissent déjà d’espérance et de joie. Mais que veulent donc encore ces hommes féroces, toujours si prompts à criminaliser l’innocent, à accuser ceux qui les démasquent ; qui n’invoquent la punition du coupable que pour écarter un témoin qu’ils redoutent, et anéantir une preuve de conviction; qui ne s’agitent que pour défendre leurs complices, et voiler leurs attentats?... Ils voudraient entraver la marche du temps; mais que peuvent tous leurs efforts réunis contre sa puissance!... Ils s’élèvent contre la vérité; mais rien ne peut obscurcir ses rayons bienfaisants... Ils ne font que retarder leur supplice... Leurs accusateurs sortent du fond même des tombeaux où ils croyaient les avoir engloutis!... Le triomphe de l’homme probe est assuré ; la dernière heure du crime a sonné... Mais craignons encore jusqu’à son ombre même, redoutons toujours le méchant; il conspire sans relâche contre la vertu ; son existence est odieuse, et son impunité est un acte d’accusation contre la sécurité de l’homme de bien. Et nous qui avons combattu avec tant de courage pour la liberté, nous qui déclarons une guerre à mort à tous ses oppresseurs, nous qui avons bien mérité de la patrie, nous serions, par notre silence, les complices du crime, nous aurions la lâcheté d’oublier un grand coupable!... Non!... non!... Citoyens représentants, comme vous, fidèles à nos serments, nous vous dénonçons l’infâme Carrier : ses forfaits s’élèvent de toutes parts contre lui; tout ici les atteste; ... nous le dénonçons à la représentation nationale, qu’il a voulu avilir ; nous le dénonçons au peuple entier dont il a trahi la confiance et tant de fois compromis la souveraineté!... Carrier s’est rendu coupable de ces crimes en donnant les ordres les plus arbitraires à des hommes justement exécrés, à tous ces agents qu’il trouvait si dociles à servir sa fureur, ces monstres qui voulaient tout détruire dans cette cité, jusqu’à la racine (ce sont leurs expressions) ; à des Fouquet, à des Lambertye, dont le glaive de la justice a terminé l’affreuse existence; ces animaux féroces, que Carrier appelait ses meilleurs amis, des patriotes par excellence, et qui, de tant de victimes innocentes qu’ils firent périr, ne conservèrent que deux femmes ex-nobles, qu’ils ne réservèrent encore que pour leurs vils plai- SÉANCE DU 29 BRUMAIRE AN III (19 NOVEMBRE 1794) - N° 47 403 sirs et ceux du tyran Carrier ; en donnant à des hommes déjà éprouvés par l’opinion publique les pouvoirs d’arrêter indistinctement toutes les personnes qui leur paraîtraient suspectes et celles qui leur seraient dénoncées comme telles. « Permis, disait-il dans l’un de ses ordres, aux citoyens Fouquet et Lambertye de passer partout où besoin sera, avec un gabareau chargé de brigands, sans que personne puisse les interrompre ni troubler dans ce transport. Carrier, représentant du peuple près l’armée de l’Ouest, requiert le nombre des citoyens que Guillaume Lambertye voudra choisir à obéir à tous les ordres qu’il leur donnera pour une expédition que nous lui avons confiée ; requiert les commandants des postes de Nantes de laisser passer, soit de nuit, soit de jour, ledit Lambertye et les citoyens qu’ils conduira avec lui; défend à qui que ce soit de mettre la moindre entrave aux opérations que pourra nécessiter leur expédition. » Nantes, le 16 frimaire, l’an 2 de la république une et indivisible.» Signé, Carrier. En ordonnant de faire incarcérer tous les courtiers et agents de change sans distinction, soit qu’ils exercent cette profession, soit qu’ils l’aient exercée avant la révolution; En ordonnant l’arrestation de tous les acheteurs et acheteuses, de tous les vendeurs et vendeuses de denrées de première nécessité; En ordonnant au tribunal criminel du département de la Loire-Inférieure de faire guillotiner sans jugement des brigands pris, disait-il, les armes à la main, et parmi lesquels étaient des femmes et des enfants de treize et quatorze ans ; il appelait ces jeunes enfants des louveteaux qu’il fallait étouffer; En se mettant en fureur lorqu’on se refusa de faire périr sans jugement les prisonniers en masse, et en reprochant au président du tribunal criminel de ne pas juger aussi légèrement qu’il l’aurait désiré; En menaçant de sabrer et en maltraitant les administrateurs qui venaient lui parler au nom de la chose publique; En abusant du nom de la loi pour dissoudre sans aucun motif, la société populaire de Vincent-la-Montagne, où il ne se présentait jamais que comme un forcené, le sabre à la main; où il prêchait sans cesse la subversion des principes, et provoquait le peuple au meurtre et au pillage ; où, quelques jours avant son rappel trop longtemps différé, il osa dire : « Encore un instant, et je déclare la ville de Nantes en rébellion, et je ferai marcher contre elle les troupes de la République. » En repoussant les commissaires de cette société qui venaient lui communiquer des mesures sur la guerre de la Vendée, et lui indiquer des moyens sûrs pour arrêter Charette, chef des brigands ; En frappant indignement un autre commissaire, le citoyen Malgogue, qui venait lui porter une lettre de la société sur le même objet, et qu’il aurait étranglé dans sa fureur, s’il n’avait pas été retenu par quatre militaires, témoins de cette horible scène; En renvoyant avec cruauté le maire de la commune de Nantes et un notable qui venaient lui demander du pain pour leurs concitoyens exténués de fatigues et de besoins, regrettant seulement que la sentinelle ne leur eût pas passé sa baïonnette au travers du corps, et recevant même devant eux les dégoûtantes caresses de ces femmes dissolues dont il était toujours entouré. C’est à l’une d’elles, qu’il instruisit à trahir son mari, qu’il dit avant son départ : « Sois tranquille, ma bonne amie, tous mes amis me sauveront; mais les Nantais se rappelleront le nom de Carrier : il faut que Nantes périsse par l’eau et le feu; » En dînant avec les bourreaux sur les bâtiments encore chargés des dépouilles de leurs victimes, buvant à la santé de ceux qui venaient, disaient-ils, de boire à la grande tasse, sur ce même fleuve qui jadis semblait porter avec orgueil les denrées les plus précieuses pour l’utilité commune, et qui, depuis le règne du tyran, ne roulait plus qu’en gémissant ses flots ensanglantés ; En s’abandonnant chaque jour à la débauche la plus eflrenée ; en prolongeant ses orgies, qui n’étaient interrompues que pour lui demander ce qu’il fallait faire des hommes, des femmes, des femmes enceintes et des enfants, que l’on amenait par centaines. « Belle demande ! répondait-il ordinairement; qu’on les égorge, qu’on les noyé, qu’on les fasse boire dans le verre des calotins; » et lorsqu’on lui demandait si c’était là sa dernière sentence : « Suis-je donc représentant du peuple, disait-il, ou ne le suis-je pas ? Voulez-vous aller à leur place? » Alors on se retirait en obéissant... C’est avec cette férocité qu’il insulta au malheur d’une jeune fille, qui venait lui demander la liberté de son frère, Michel Brévet, marchand de bœufs, détenu arbitrairement; il ne répondit aux gémissements de cette infortunée que par ces abominables imprécations : « Que son frère serait bientôt f... à l’eau, qu’il en périrait bien d’autres avec lui, que les trois quarts de la ville de Nantes y passeraient... » Elle revint le lendemain demander à Carrier quel sort enfin l’on réservait à son frère... « Leur jugement à tous est prononcé dès leur arrivée à Nantes, lui répondit-il, celui d’être noyés sans autres formalités ; que lui seul rendait ces jugements; que, si elle récidivait, il la ferait f... à l’eau avec les autres... » Elle voulut insister, il la jeta à la porte, en la maltraitant. Elle était à peine au bas de l’escalier qu’il la rappela et lui promit la liberté de son frère, si elle voulait se laisser aller à sa passion. Sa réponse fut sublime, mais inutile... : « Je ne veux pas d’un malheur en faire deux, lui répondit-elle avec l’accent de la douleur la plus profonde; d’ailleurs mon frère n’en serait pas mieux. » Il la renvoya au comité révolutionnaire, où il était convenu qu’elle serait reçue avec la même barbarie... L’infortunée qui sollicite pour l’innocence, pour son frère, ne se rebuta point. Elle revint chez le tyran lui demander au moins la grâce de porter du pain à son trop malheureux frère... 404 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Elle n’en put arracher que ces mots affreux : « Il n’en a pas besoin, il a assez bu... » C’est par cette conduite atroce que Carrier a prolongé la guerre de la Vendée ; c’est en faisant fusiller impitoyablement des communes entières qui se rendaient volontairement qu’il a tout réduit au désespoir, en mettant ainsi les brigands entre la mort et le crime ; et lorsqu’il rappelle avec tant de complaisance, dans son mémoire, les horreurs qu’ils ont commises, c’est sans doute pour faire oublier ses forfaits. C’est alors que Carrier, coupable de tous ces attentats, se plaignant de ne pas recevoir de nouvelles de la Vendée, à l’instant même où les brigands augmentaient de force et d’audace, s’était retiré dans une petite maison auprès de Nantes, où il croyait apparemment pouvoir se soustraire aux regards des hommes vertueux... où il prolongeait bien avant dans la nuit ses orgies bruyantes, où ses satellites et lui buvaient à la coupe du crime, et se réjouissaient à la pensée du massacre, et ces bals scandaleux dont les Messalines faisaient tout l’ornement, cherchant sans doute, au milieu de ces bacchanales modernes, à étouffer, non ses remords, mais les gémissements des malheureux que les échos et les vents plus sensibles auraient pu reporter jusqu’au sein de ses plaisirs. Et Carrier ose dire, dans ce qu’il appelle un rapport, ce mémoire indigeste, aussi calomnieux que perfide, qu’iZ n’avait fait que passer à Nantes; Il n’a fait que passer!... Eh! ces infortunés qui lui redemandent le pain et les vêtements qu’il leur arrache, le champ qu’ils fertilisaient et qu’il fit dévaster, les fruits de leurs pénibles travaux qu’il livra au pillage, et l’humble toit qui leur servait d’asile devenu la proie des flammes... ne disent-ils pas assez que Carrier parcourut ces contrées?... Il n’a fait que passer!... Eh! ces déserts qu’il créa... ces routes de sang qu’il ouvrit près de nos remparts, ne sont-ils pas des monuments qui attestent à jamais sa présence?... Il n’a fait que passer!... Eh! ces pères tendres, ces mères éplorées qui cherchent en vain leurs enfants... ces fils désespérés qui ne retrouvent plus leurs parents,... ces amis sensibles qui ne peuvent exister sans leurs amis, qu’il fit périr de même;... eh! ces faibles et touchantes créatures qui appellent encore à grands cris leurs mères, et qui, privées d’un lait nourricier, expirent loin du sein maternel;... tout ne prouve-t-il pas que Carrier ne vécut que trop longtemps au milieu de nous?... Il n’a fait que passer!... Eh! ne compte-t-il donc pour rien les quatre mois consécutifs où sa présence a pesé sur nos têtes?... Il n’a fait que passer!... C’est la lave enflammée du volcan qui détruit, dessèche, brûle tout ce qui se trouve sur son passage,... qui porte partout l’épouvante et la désolation... Carrier ! on ne peut songer à ce monstre, sans frémir encore d’indignation et d’horreur!... On ne sait comment exprimer sa scélératesse... Les noms manquent aux crimes... Mais, citoyens représentants, vous ne pouvez vous le dissimuler, Carrier n’est que le lieutenant d’une faction pour qui le bonheur du peuple semble être un malheur; cette faction qui voulait ensevelir la liberté sous des monceaux de cadavres, assassiner les vertus, insulter au génie en détruisant les monuments des arts, outrager la nature en avilissant ses plus belles productions, en voulant dégrader l’espèce humaine... ; cette faction implacable qui déteste tout ce qui est beau et grand, et pour qui l’humanité même est un crime. Représentants du peuple français, ah! craignez que cette faction n’emploie tout pour suspendre le supplice de Carrier, afin de détruire les témoins qui pourraient le confondre, ou pour soustraire à un jugement ce criminel dont elle appréhende les révélations! Citoyens représentants, vous frémissez! ... Que serait-ce donc si vous aviez été témoins des forfaits de Carrier ! Mais vous nous avez entendus... nos maux sont déjà adoucis... le crime sera puni! Les citoyens de la commune de Nantes et la société populaire soussignés. Suit un grand nombre de signatures. (113) [LE COINTRE (de Versailles) : On a annoncé dernièrement qu’il n’y avait point de témoin contre Carrier : en voila 4000 qui se présentent. Je demande donc l’impression, la distribution de cette adresse et le renvoi à la Commission des Vingt-et-Un. Cette proposition est décrétée.] (114) La Convention en ordonne l’impression et le renvoi à la commission des Vingt-et-Un. 48 La Convention nationale, après avoir entendu [RAFFRON, au nom de] son comité d’Agriculture et des arts, nomme le citoyen Lhéritier le jeune, à la place de second commissaire de la commission d’Agriculture et des arts, devenue vacante par l’incarcération et la non occupation du citoyen Gatteaux; en conséquence, rapporte son décret du 26 de ce mois, qui nommoit Lhéritier le jeune à la place de commissaire adjoint dans cette commission, vacante par la mort du citoyen Thuillier (115). RAFFRON : au nom du comité d’Agriculture et des arts : Citoyens, vous avez nommé le 26 de ce mois, le citoyen Lhéritier jeune, à la place de second commissaire de la commission d’Agriculture et arts, sur la proposition qui vous en a été faite par votre comité d’Agriculture et arts. (113) Mess. Soir, n° 824, indique 4000 signatures; J. Per-let, n° 787, indique 8 pages de signatures ; F. de la Rép., n° 60, indique 6 pages de signatures. (114) M.U., n° 1347. Débats, 788, 857. C. Eg„ n° 823. J. Soir, n° 785. (115) P.-V., XLIX, 293.