366 [Assemblée nationale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 4790.] que la séance s’est prolongée outre mesure ; il rnend le manuscrit de M. le vicomte de Mirabeau jour le transmettre au comité des recherches. Voy. ce document annexé a la séance de ce jour.) M. le Président lève la séance à huit heures du soir et indique celle de demain pour dix heures du matin. annexe A la séance de l’Assemblée nationale du 28 janvier 1790. Dénonciation par M. le vicomte de Mirabeau (1) des excès commis dans le Bas-Limousin, le Quercy et la Bretagne (2). Messieurs, les deux députés de la noblesse du Bas-Limousin étant absents, plusieurs relations vraiment affligeantes de ce qui s’est passé dans cette partie de la province qui m’a honoré de sa confiance m’ont été adressées; et je crois devoir déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale celle qui m’a le plus frappé, et dont l’authenticité ne peut être contestée. Il paraît prouvé que quelques municipalités, averties à l’avance des désordres qui devaient avoir lieu, n’ont pris aucune précaution, et comme ces refus de maintenir l’ordre public se multiplient à l’infini dans plusieurs provinces du royaume , j’imagine qu’une dénonciation formelle peutêtre utile ; il me le paraîtaussi de donner une grande publicité à ces événements, en regrettant de ne pouvoir en donner autant aux moyens employés pour les déterminer. Extrait du procès-verbal de ce qui s’est passé au château de Saint-Julien près Cressensac, le 10 de janvier 1790. M. le comte d’Aubery, connu pour le meilleur des hommes, qui a toujours été l’ami et le protecteur de ses vassaux; M. le marquis de Lastei-rie, son gendre, colonel du premier régiment des carabiniers, qui, depuis trente-deux ans, sert dignement son roi et son pays, habitant leur château de Saint-Julien en Bas-Limousin, ont été attaqués, ce 10 janvier, par une troupe d’environ trois cents brigands armés de fusils. Le marquis de Lasteirie, qui avait été instruit du complot, leur a fait lecture de la loi martiale, montré le drapeau rouge, et ordonné de se retirer. Ce qu’ayant refusé, le marquis de Lasteirie est monté à cheval, lui onzième, a chassé ces brigands sans tirer un seul coup. De leur côté ils ont tiré trois coups de fusil, dont un a percé le chapeau d’un cavalier de maréchaussée ; M. de Lasteirie a été secouru par la brigade de Meissac (commandée par M. Bout-tant, dont la conduite ferme et prudente mérite des éloges, ainsi que son zèle pour le bien public), quelques amis et ses domestiques; les défenseurs de Saint-Julien sont dignes de l’estime publique ; malheureusement dans ce moment d’anarchie, il (1) Ce docnment n’a pas été inséré au Moniteur. (2) J’ai réclamé la parole pour faire la dénonciation dont il s’agit : l'ordre du jour et entre autres discussions celle relative aux juifs do Bordeaux, a forcé M. le Président à me renvoyer au comité des rapports où j’ai remis l’original signé de moi. Je désire qu’on y sente la nécessité de prendre promptement un parti sur un objet aussi important. ( Note deM.le vicomte de Mirabeau.) faut avoir un vrai courage pour oser défendre les citoyens irréprochables. Les gens intéressés aux malheurs publics, n’avant pu soulever les censitaires du seigneur de Saint-Julien, ont mis des affiches incendiaires dans beaucoup de paroisses, pour engager les mauvais sujets à venir piller et brûler Saint-Julien; la plus grande partie des habitants de Guremonte ont sonné le tocsin, se sont armés, et ont formé la grande partie de l’attroupement pour avoir part au pillage ; les municipalités et les milices des petites villes qui avoisinent Saint-Julien ont été prévenues plusieurs jours d’avance des projets des brigands, et ont prouvé par leur conduite dans cette occasion que si elles ne fomentaient pas, au moins elles toléraient les attroupements. Je ne me permettrai aucunes réflexions, parce que je n’ai aucunes données pour assigner les vraies causes de cet événement, qui, de tous ceux qui viennent de se passer en Bas-Limousin et en Quercy, est celui qui a en lieu les suites les moins fâcheuses-, je me contente d’articuler les faits et de m’engager à en fournir la preuve ; des troubles de la même espèce viennent d’avoir lieu dans le Quercy, dans le Rouergue et dans l’Auvergne. Les détails doivent en être parvenus à votre comité de rapports. Quant aux événements de même nature qui ont eu lieu en Bretagne, j’en ai reçu hier une relation détaillée. Je vais commencer par donner lecture de la lettre qui me les annonce, et des détails qui ne viennent pas de la même personne, mais dont jem’engage aussi à fournir les preuves. Quelle douleur ne serait pas la vôtre, Messieurs, si l’on pouvait soupçonner que quelques-uns des discours prononcés dans' cette tribune, lors de l’affaire du parlement de Rennes, ont été les causes premières de ce soulèvement, qui n’est autre chose qu’une nouvelle jacquerie, c’est-à-dire la guerre de ceux qui n’ont rien contre ceux qui possèdent ; que les invitations qu’on a faites au peuple breton de compter les bras, et que d’autres phrases, que je n’ose qualifier, sont peut-être le germe de ces nouvelles insurrections. Je dirai plus, Messieurs, et je le dirai, convaincu de la douleur que doivent éprouver les députés bretons, leur dernière adresse à leurs commettants a été lue dans les paroisses. Elle désigne la noblesse et le clergé comme les ennemis du peuple et à l’époque de sa publicité les châteauxont été pillés, les archives brûlées et les personnes des nobles menacées. Une dernière observation préliminaire que j’invite l’Assemblée à faire, c’est que les paroisses de Maxant et d’Augan, d’où est parti le premier essaim de brigands, sont celles de la province de Bretagne qui ont fourni le plus de mauvais sujets dans tous les temps ; que sept à huit habitants de ces lieux furent roués pour assassinats, il y a quelques années, c’était le digne foyer d’une aussi criminelle insurrection dans lequel le choix des complices pourrait déceler les auteurs. Nota. Je crois ne devoir publier aucune signature, mais je me rends garant de ce qui est énoncé dans les lettres. Rennes, ce 23 janvier. Permettez-moi, Monsieur, de mettre sous vos yeux les désordres affreux qui remplissent cette province, et les scènes d’horreurs qui s’y succèdent avec une rapidité effrayante, et une atro- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] 367 cité inconcevable. Vous frémirez, Monsieur, d'apprendre que ces attentats restent impunis, et ue les chargés de l’autorité de la commune de ennes sourient avec dédain aux maux qui accablent des gens que leur jalousie repousse, mais que le moindre soupir d’humanité devrait leur rendre sacrés, puisqu’ils sont indignement persécutés. Je ne sais, Monsieur, si, dans ce moment où la lenteur de notre constitution à s’établir, et de vos lois à se faire respecter, nous met si près de l’anarchie, il est possible à l’Assemblée nationale de détruire tous les maux qu’elle connaît. Mais, au moins, suis-je assuré que la cause de l’opprimé ne saurait avoir un plus zélé défenseur. Ceci ne peut être un doute pour celui qui a suivi la fermeté inébranlable de votre âme, dans vos nouveaux devoirs. Voici le détail des faits : je suis témoin oculaire. Si leur atrocité provoquait votre esprit à quelques doutes, je vous prie de croire la vérité de cet exposé. L’horreur m’épouvante, mais la crainte ne me trouble pas. Les paysans s’ameutent dans plusieurs lieux de la province, partout leur but est le même. Peu contents des décrets de votre justice, ou plutôt indignement abusés, ils veulent s’affranchir de tous droits féodaux. Les armes à la main, ils incendient les archives, brûlent les châteaux, et forcent les seigneurs qu’ils rencontrent à la renonciation de tous leurs droits : Cède ou meurs , voilà leur cri de guerre, D’abord, ces troupes étaient composées de paysans ; ils n’en voulaient qu’aux titres de leurs seigneurs. Bientôt elles se sont recrutées de scélérats et de bandits, dont le seul espoir est dans le crime. On en compte 16 ou 1800, divisés en trois bandes, et renforcés successivement des habitants des pays qu’ils parcourent, et qu’ils obligent par force à les suivre. Depuis plusieurs jours ils brûlent et pillent les châteaux qu’ils rencontrent. Trois sont brûlés dans le voisinage de Rennes: la Chapelle-Bouexic, le Bois-Sauvage, et le château des Champs. Le premier à M. de Pignieux, le second à M. de la Châtaigneraye, le dernier à M. de Piré ; en soustrayant à leurs rapines les effets les plus précieux, cinquante gentilshommes ont quitté leurs campagnes dévastées ou menacées, pour se réfugier ici. La commune a entendu leurs réclamations et repoussé leurs plaintes. C’est à l’auguste Assemblée, dont vous êtes membre, à juger leurs raisons ; ils disent que les gentilshommes, par leur serment (qu’ils n’ont point encore été dans le cas de rétracter, n’ayant pas été assemblés en corps), sont privés de tous les droits de citoyens, et ne doivent point attendre protection de la force publique. Pourtant ils contribuent aux impôts, aliments de la force publique ! Pourtant ils servent la patrie, militaires, magistrats, ou particuliers; il n’en est aucun qui ne désire ardemment sa prospérité. Cette affaire, discutée hier à la commune, il a été décrété n’y avoir lieu à délibérer. Les droits se plaident les armes à la main, la Bretagne se peuple de brigands, vos décrets sont ignorés ou méprisés, la commune d’une grande ville tolère ces excès. Tolérer pour le gouvernement est approuver, et cette ville aura l’imprudence de faire retentir vos voûtes sacrées des fausses expressions de son patriotisme. Relation des entreprises des paysans contre les gentilshommes, habitant leurs châteaux et tous seigneurs de fiefs (1). La trêve de la Chapelle, entre Ploërmel et le Pont-du-Rox, a été à main levée abattre les fossés de Brilhac, a fait dire à M. de Brilhac, que s’il se présentait, on tirerait sur lui ; elle a menacé de mettre le feu à son château. Les paroissiens d’Augan, et une partie de ceux de Guer et de Reminiac, ont été chez MM. de Cintré fils, le douairien de Voltairs, Dubot de la Gré, et chez mademoiselle de Guincy et M. de Langan, leur ont demandé leurs titres qui ne leur ont pas été donnés, ont fait beaucoup de tapage, et ont exigé une renonciation aux reates, et à tous droits féodaux, en y faisant déclarer qu’ils s’étaient comportés avec toute la décence possible, menaçant, cependant, de mettre le feu, si on ne leur donnait pas ce qu’ils demandaient. Tous ces messieurs ont donné leurs renonciations, étant obligés de le faire. Les habitants des paroisses de Maure* de Guer, Loutehel, Campel, Comblessac, Pletan, Maroent, et la trêve des Brûlais, ont été chez M. de Guer, au nomhre d’environ cinq cents, armés de fusils, fourches, faucillons et autres armes; y ont tiré nombre de coups de fusil sur les volailles et pigeons, y ont fait un tapage affreux, ont enfoncé les caves, ont bu et mangé et emporté toutes les viandes, le pain, et même celui des journaliers, ont pris plusieurs fusils à deux coups ; ils ont cassé plusieurs portes et fenêtres, ont mené avec eux au château de Coelbot le sénéchal de Guer, le procureur fiscal, le receveur des devoirs, de la Dimardais et ses deux fils ; ont demandé les titres qui n’y étaient plus, et ont exigé de l’homme d’affaires de M. de Guer, qu’il lui mandât de venir, ou d’envoyer une renonciation, pour le passé et l’avenir, aux rentes et tous droits féodaux ; de plus, que s’ils n’avaient pas cette renonciation sous le dimanche 24 janvier, présent mois, ils emploiraient d’autres moyens pour l’avoir, en menaçant du feu. M. de Guer a envoyé sa renonciation, telle que ces gens l’avaient dictée. En allant chez M. de Guer, ces gens ont rencontré dans le bourg de Guer, M. et Mme de Cintré ; ils ont maltraité la femme de chambre, battu les chevaux, et tiré un coup de fusil sur la voiture, et ne les ont laissé passer qu’après s’être convaincus qne ce n’était pas M. etM“e de Guer. Dès l’été dernier, M. de Guer avait prêté au comité de ce bourg, sur la prière par écrit qu’il lui en avait faite, et d’après la proposition que M. de Guer avait prié M. le sénéchal de leur faire, des fusils et petits canons dont M. de Guer a le reçu. Ges malfaiteurs ont aussi tiré des coups de fusil dans les fenêtres de M. Dubot de la Grée, ont détruit les fossés d’une métairie, et ont voulu le forcer d’y donner le premier coup de tranche ; il a seulément obtenu de n’envoyer qu’un de ses domestiques. (1) Cette relation est telle qu’elle m’a été adressée, elle était seulement précédée de cette phrase: comme nous ne pouvons douter de la part que vous prenez à ce qui regarde notre province, permettez que je vous instruise des évènements fâcheux qui s’y passent dans ce moment; je puis vous assurer la relation ci -jointe vraie. 368 JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790. Depuis ces premiers malheurs, il y a eu plusieurs châteaux dévastés, entre autres celui de la Chapelle appartenant à M. de Puisieux. Ces malfaiteurs y ont brûlé tous les titres et autres papiers, brûlé les meubles et volé 9 ou 10,000 livres. Le château est totalement ruiné. De là ils ont été chez M. de la Ghâtaigneraye, où ils ont brûlé tous les papiers, meubles, livres, et ensuite mis le feu au château (de même qu’à celui de Lohéac, appartenant à M. de Piré). Après le départ des malfaiteurs, on a sauvé la moitié du château, mais l’autre est incendiée. Ces gens continuent toujours leurs ravages. L’on dit encore plusieurs châteaux incendiés. On en a parlé à la municipalité de Rennes, qui jusqu’à présent n’a rien fait dont on ait connaissance; on dit même qu’elle a dit qu'il n'y avait l ieu à délibérer. Modèledela renonciation telle qu'on l'a exigée. Je déclare renoncer à mes fiefs, dîmes, rôles, afféagements, lods et ventes, rachats et droits de recette dont je fais remise pour le passé et l’avenir aux habitants de la paroisse de. ...... , sur la demande qu’ils m’en ont faite, et de plus je déclare que les dits paroissiens sont de très honnêtes gens et se sont comportés avec toute la décence possible. J'ajouterai que l’adresse des députés bretons à leurs commettants a infiniment contribué à disposer les paysans à l’insurrection dont je me promets de vous envoyer une esquisse. Les recteurs ont été forcés de la publier au prône de leur grand’messe, et ceux qui ne l’ont pas voulu absolument, malgré les menaces, ont eu le désagrément de la voir publier par les séculiers dans leur église même. J’ajouterai que plusieurs d’entre les particuliers, qui ont souffert de cette insurrection, m’ont assuré que, parmi ces paysans malfaiteurs, il n’y a pas de ménagers, quelques-uns de leurs enfants au plus; et cela sans leur agrément. Ils m’ont dit même que les métayers, bons propriétaires et paysans, étaient désolés de toutes ces horreurs, et qu’ils les ont vus en pleurer. Enfin il n’y a d’habitants des campagnes dans cette troupe que les coupe-jarrets, lesquels paraissent être conduits par des gens intelligents, dont la figure n’est point usée par les travaux des campagnes. Les paysans eux-mêmes ont déclaré ne pas connaître ces personnes, quoique sous leurs habits. On a même observé que, dans cette troupe, peu nombreuse au commencement, il y en avait qui parlaient latin. Ils ont un plan de campagne, et on ne peut douter que les victimes ne soient désignées ; mais on est persuadé qu’ils outrepasseront leurs ordres, tant par la barbarie que par l’amour du butin, vu qu’après n’avoir exigé au commencement que l’abandon des droits féodaux, ils en sont venus après jusqu’à piller, ce qui fait accroître la bande visiblement. Ils ont commencé la campagne au nombre de 300, et ils sont actuellement 1500, et peut-être au moment où je vous parle, deux mille; et ils ne projettent rien moins que de brûler tous les châteaux de Bretagne; ce qui sera facile, vu l’insouciance des villes et en particulier celle de Rennes, qui refuse même de seconder les dragons d’Orléans, qui sont disposés à partir depuis trois jours. A cette dévastation des campagnes succédera le pillage des petites villes, surtout si on n’arrête cet incendie. A tous les malheurs, j’ajouterai que les citoyens de toute la province, même de l’Anjou, excepté toutefois ceux de Vannes, Quimper et Morlaix, sont assemblés à Pontivy, ils s’y sont déclarés permanents; de là ils écrivent à leurs députés, aux Etats-généraux, leur envoient des mémoires, dont l’un tend à demander que l’Assemblée nationale condamne les quatre gentilshommes qui ont signé la relation des affaires des 26 et 27 ; enfin qu’ils soient autorisés à s’en saisir, et ils ont principalement en vue M. le chevalier de Guer. Ils demandent aussi qu’il soit enjoint à la noblesse de Bretagne de s'assembler pour abjurer son serment et prêter celui requis. Iis ont mis à prix les têtes de MM. la Rué et Botmon, qui, en conséquence, sont fugitifs. Extrait d'une lettre écrite de Bretagne à M. le vicomte de Mirabeau , en date du 27 janvier. ......... Cinq cents paysans des paroisses de Maxan-Mermel, etc., ayant ou n’ayant pas à leur tête des jeunes gens déguisés, ont été au château du comte de Pinieux, ont brisé tous ses meubles, volé onze mille francs en argent, mis le feu aux archives; ils ont aussi brûlé ou dévasté onze châteaux dans les environs, dont est celui de M. de la Châtaigneraye, du marquis de Guer, de M. de la Voltais, de M. de Cintré, dont la femme, un de ses fils et une femme de chambre ont couru de grands risques; de M. du Brossai, de M. Desgre, deM. de Langan, etc. Voilà le fruit des adresses et des pamphlets que l’on fait circuler dans les campagnes. On veut montrer la haine des vassaux contre leurs seigneurs, on ne prouve que leur ingratitude envers ceux qui les soulagent; on ne leur demande que des crimes pour les affranchir de toutes redevances ; il est aisé alors de leur montrer leurs seigneurs comme des oppresseurs. La municipalité de Rennes, instruite de ces désordres, a arrêté, dit-on , qu’elle ne pouvait y remédier, jusqu’à ce que les gentilshommes qui réclamaient son appui n’eussent prêté serment à la nation : ainsi on les considère comme hors de la protection de la loi. La bonté est une arme trop faible à opposer à l’intrigue, à la férocité, pour qui tous les moyens sont bons. . , Tels sont les faits. Messieurs; c’est à vous à juger de la nécessité et de la promptitude du remède qu’il faut apporter aux maux qui désolent plusieurs grandes provinces. Les nobles ne sont-ils pas citoyens? ne sont-ils pas sous la sauvegarde de la loi? C’est en leur faveur que je réclame votre justice. Je ne fais pas l’injure à l’Assemblée d’imaginer qu’une question préalable, ni un ajournement, puissent éloigner les justes réclamations d’un grand nombre de citoyeus dépouillés par la force, et dont l’existence est menacée, le renvoi au pouvoir exécutif serait illusoire ; il gémit en ce moment de son impuissance à rétablir l’ordre, et plusieurs fois il s’est adressé à vous pour en trouver les moyens. Je vous proposerai, Messieurs, le modèle de décret suivant, dont je crois l’exécution seule capable de rétablir le calme dans les provinces agitées. « L’Assemblée nationale, sur le rapport à elle fait des excès commis dans les provinces du Bas-Limousin, du Quercy, de l’Auvergne et de la Bretagne, a déclaré que tous les citoyens sont sous la sauvegarde immédiate de la loi, et a décrété que le pouvoir exécutif sera invité à faire inar- jAssemblee nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] 369 cher des troupes contre les brigands qui dévastent les campagnes, et donner les ordres nécessaires contre ces ennemis publics, et à prendre enlin les moyens les plus prompts pour rétablir le calme dans ces différentes parties du royaume ; « Enjoint aux municipalités de déployer toutes les forces dont elles disposent, pour contribuer au rétablissement de l’ordre et à l’exécution du présent décret.» SUPPLÉMENT à la dénonciation des excès commis dans le Bas-Limousin, le Quercy et la Bretagne, faite à V Assemblée nationale , le 28 janvier 1790, par M. le vicomte de Mirabeau, et remise par ordre du Président au comité des rapports (1). Voici le supplément que j’ai annoncé. Je désire que le rapport de toutes ces horreurs accumulées presse celui qui doit en être fait à l’Assemblée, et sur lequel elle doit prononcer. J’ai appris avec plaisir qu’un député breton, M. de Corol-ler Dumoustoir, membre du comité des rapports, avait bien voulu se charger de celui relatif à ma dénonciation ; je suis convaincu que l’intérêt de sa patrie en danger sollicitera de lui une attention plus particulière, et un travail plus prompt que je n’eusse été dans le cas de l’attendre de tout autre. L’honorable membre qui présidait par intérim, le premier jour où je sollicitai la parole sur cet objet important, avait eu la bonté de me rassurer un peu, en me disant que l’un de Messieurs les députés, bretons qui lui avait parlé de ces commencements de troubles, l’avait assuré qu’ils n’auraient pas de suite. J’ai depuis reçu des lettres qui entretiennent mes craintes et me forcent de solliciter de nouveau un prempt remède. Quelques personnes ont prétendu que, dans une première dénonciation, j’avais rendu un compte exagéré ; je me suis déclaré garant des faits que j’ai affirmés vrais. Les on-dit y sont présentés comme tels; il est possible que quelque nom propre, mal écrit, ait occasionné quelque erreur, que la promptitude avec laquelle, j’ai livré à l’impression des copies incorrectes, ait encore entraîné quelques fautes typographiques ; mais il serait un peu extraordinaire qu’on m’en crut responsable. Je dis plus, quand bien même il y aurait eu dans les récits qu’on m’a fait quelques exagérations, elles seraient pardonnables; on écrit mal l’histoire à la lueur de ses passions en feu, et il serait bien excusable en pareil cas d'oublier quelques circonstances ; on m’a reproché encore d’avoir cité les troubles du Quercy, et de n’avoir administré aucunes preuves. J’ose croire qu’après la lecture de ce supplément, on ne me fera pas le même reproche. 0 mes concitoyens, ô vous, mes collègues, qui représentez la nation, regardée jusqu’ici comme la plus policée et la plus douce de l’Europe, lisez, frémissez et prononcez. Copie d’une lettre du grand prévôt de la maréchaussée d’Auvergne au commandant de la province. Riom, le 23 janvier 1790. J’ai eu l’honneur de vous rendre compte, par (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. ire SÉRIE. T. XI. ma lettre en date du 16 du présent, des désordres qui affligent la ville de Maurs et les contrées qui l’avoisinent, jusque dans le Luran ; j’ai celui de vous envoyer, ci-joint, copie d’un procès-verbal qui constateles excès auxquels le peuple attroupé s’est porté ; le brigadier qui me l’a fait passer, m’ajoute qu’il s’est formé un attroupement de cent hommes armés, pour détruire un étang qui appartient à M. de Saint-Santin, qu’il n’est point en force pour le dissiper, et que la municipalité de Maurs s’oppose même à ce qu’il désempare la ville. Il est aussi question, dans ce procès-verbal, de l’assassinat commis sur la personne du lieutenant général du Galvinet et autres citoyens; il dit que des particuliers ont été chassés de leurs domaines; que dans d’autres endroits les maisons ont été dévastées et pillées; que les crimes en tout genre se multiplient. Finalement, ce brigadier me marque que le peuple de Maurs a fait connaître par des menaces et des attroupements, son mécontentement sur ce que la maréchaussée, soutenue de vingt-cinq citoyens, avait repoussé trois à quatre cents hommes, qui s’étaient emparés de la place; d’où il résulte qu’il est évident que le peuple des villes et celui des campagnes sont au moment de faire cause commune, avec d’autant plus de facilité que tout est en armes, et que l’imposition des privilégiés devient un prétexte auquel les habitants de la campagne ajoutent les prétentions de la lin de non-recevoir sur les cens et rentes. J’ai eu l’honneur de vous prévenir, mon général, que j’ai fait passer au Maurs, onze cavaliers et un brigadier, sous le commandement d’un sous-lieutenant; j’avais prévenu M. de Chazot, commandant le bataillon des chasseurs d’Auvergne, sur la nécessité de faire passer un détachement à Maurs ; il prit la peine de me répondre qu’il ne lui était permis de déplacer sa troupe qu’en vertu des ordres du ministre. J’apprends aujourd’hui que, sur la réquisition de la municipalité de Maurs, qui a réclamé l’assistance du comité de Clermont, et d’après une longue délibération de ce comité, auquel M. de Chazot a assisté, qu’il s’est décidé à faire partir un détachement de cinquante chasseurs et un nombre de soldats de la milice bourgeoise, dont le départ n’est cependant point assuré. Je crains que le départ de ce secours n’ait produit de fâcheux effets : je compte cependant sur la sensation résultant de l’arrivée du détachement de maréchaussée qui doit être actuellement à Maurs, mais qui ne produira qu’un calme momentané, s’il n’y a des exemples de sévérité frappants, et si l’on donne le temps de la réflexion à ce peuple féroce qui a souvent prouvé qu’il n’était poinT effrayé des rigueurs de la justice dans un temps où les criminels n’étaient point rassurés par la présence d’un conseil. Toutes les montagnes vont être embrasées, et le massacre y sera horrible; le même esprit aura bientôt gagné les habitants de la Basse-Auvergne, dont les murmures et les menaces se font entendre de toutes parts. Telle est, mon général, la situation de cette province, dont il est instant que l’Assemblée nationale soit instruite pour arrêter et prévenir de plus grands désordres. Je rends le même compte au ministre. Votre silence me met toujours dans de grandes inquiétudes sur votre santé, et je ne me rassure que d’après l’aperçu de vos occupations. Je suis avec respect, etc... 24 370 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] Procès-verbal joint à la lettre. Aujourd’hui, 5 janvier 1790, nous, Annet La Roche, brigadier de maréchaussée, lieutenance de Saint-Flour, brigade de Maurs, accompagné de Jean-Baptiste Arnal, François Bresson et Antoine Mauzin, tous trois cavaliers, avons été requis par messieurs les officiers municipaux, à l’effet de rester à la résidence, étant prévenus subitement que les habitants de la paroisse de Saint-Cirque, au nombre de trois à quatre cents hommes, armés de fusils, sons prétexte de faire rendre compte de sa perception au sieur Cavaignac, citoyen de Maurs, fermier des dîmes et rentes de Saint-Cirque, altaient faire une incursion dans la ville. En effet, environ une heure après midi, cette troupe s’est présentée à l’entrée de la ville, où elle a d’abord manifesté les motifs qui l’amenaient. Le conseil de ville s’est extraordinairement assemblé : malgré toutes les mesures qu’il a pu prendre, cette troupe s’est rendue sur la place publique, y a d’abord dansé en criant et tenant différents propos qui annonçaient qu’elle était disposée à tout entreprendre contre le bon ordre. Le conseil de ville a de nouveau usé de moyens sages vis-à-vis d’eux, mais tout a été inutile. Il y a plus : un instant après, la même troupe s’est rendue devant la porte du sieur Ga-vaignac, qui fait face à l’hôtel-de— ville, et menaçait de vouloir l’entourer et de le massacrer, ainsi que sa famille, lorsque, pour prévenir ce malheur, les officiers municipaux ont fait publier la loi martiale, escortés d’environ vingt-cinq citoyens, à la tête desquels j’étais avec ma brigade : les ayant repoussés avec la plus grande fermeté, et les ayant mis en joue plusieurs fois, les habitants de Saint-Cirque se sont éloignés d’environ cinquante pas, où ils nous ont alors menacés de tirer sur nous; mais notre bonne contenance ne s’étant point démentie, ainsi que celle des bons citoyens que j’avais l’honneur de commander, ladite troupe s’est encore retirée jusqu’à l'entrée de la ville, où elle nous a de nouveau menacés. Cependant, soit qu’ils aient été entièrement intimidés par notre fermeté et le tocsin, qui a sonné à l’instant, tout l’attroupement a enfin consenti à se retirer, pourvu que le sieur Cavaignac voulût bien leur donner de l’argent, tant pour payer les écots qu’ils avaient faits dans la ville, que pour aller boire dans les environs de leur paroisse. Nous n’avons pas été plutôt rentrés dans la ville que le peuple, qui avait eu le temps de se rassembler, a manifesté de la manière la plus authentique son improbation, et a même fait ce soir-là, de même que le lendemain, de violentes menaces, sous prétexte que la cause des mutins de Saint-Cirque était la leur. Depuis cette époque le mécontentement augmente, de manière que je vois avec regret que malgré toute l’activité et la vigilance que je puis employer, il m’est impossible de rétablir le bon ordre. Depuis quelque temps cinq assassinats se sont commis sur les personnes des sieurs Miquel, lieutenant général, de Calvinet, Moissenac, bourgeois de Glenat, et autres. Les paroisses voisines, telles que celles de Saint-Etienne par Lan, Quezac, leïriaulon, Bom-hiac, Saint-Sautin, toutes voisines de Maurs, se sont successivement attroupées pour aller chez les seigneurs, leurs fermiers et différents particuliers à qui ils devaient, pour les obliger à leur faire quittance des cens et rentes échues cette année et précédemment, ou pour les forcer de leur remettre les contrats qu’ils avaient chez eux; d’autres ont chassé de chez eux des particuliers sous prétexte que leurs domaines avaient anciennement appartenus à leurs ancêtres ; d’autres enfin ont pillé les maisons, emporté les meubles et lâché le vin dans les caves. De tout quoi ! nous avons fait et rédigé le présent procès-verbal et avons signé avec nos susdits cavaliers. Signé : La Roche, Arnal, Bresson , Maugin. Pour copie conforme à l’original, resté en nos mains. A Rion, le 23 janvier 1790. Signé. Lettre à un membre de l’Assemblée par un officier de maréchausée (6 janvier 1790.) Par ce même courrier, j’adresse à M. le comte de la Tour du Pin un état des effets qui ont été volés à la dame Dumblau, bourgeoise du bourg de l’Au-ville, principauté de Marcillac, dans la nuit du 21 au 22 de ce mois, par une bande de brigands d’environ 40 à 50, tous montés à cheval, armés de sabres et de pistolets, habits uniformes des troupes patriotiques. Voici le deuxième vol considérable qu’ils ont commis dans cette province. Tous les honnêtes citoyens, bourgeois et autres, des campagnes, sont daus les alarmes. J’ai cru, M. le marquis, devoir vous rendre compte de ces événements funestes, comme le représentant de cette province, afin que si vous le trouviez convenable vous pussiez en rendre compte à l’Assemblée nationale. Les gens de l’Auville, où je me suis transporté pour constater les différentes fractures, m’ont promis qu’ils en rendraient compte à l’Assemblée, ainsi qu’à M. le duc de la Rocne-foucault. Le vol consiste en 3,000 liv., deux montres en or, vingt-quatre couverts d’argent, trois grandes cuillères, des bracelets, des pendants d’oreilles et beaucoup de linge. Ces brigands annoncèrent, en entrant dans la maison, qu’ils venaient de la part du comité; qu’il leur fallait de l’argent pour payer les dettes de l’Etat : ils firent brûler les pieds de cette dame pour leur indiquer où elle avait caché son argent, parce qu’ils croyaient qu’elle devait en avoir davantage. La maison est au milieu du bourg, entourée de murs de 12 et 14 pieds de hauteur ; il n’y a point de maison dans la province qui puisse y résister. Je suis avec respect, etc. Extrait d’une lettre écrite deSaint-Ciré , le 5 janvier de l’an 1790. ... Ma qualité de président du comité patriotique de cette ville m’impose la loi de vous instruire des désordres affreux qui désolent ces cantons, afin que vous en donniez connaissance à l’Assemblée, et que vous obteniez de sa justice des ordres pour les faire cesser ; toutes les paroisses voisines sont en feu, les esprits sont dans la plus vive fermentation, les propriétés de tout le monde sont menacées et attaquées : en divers endroits, on va à main armée dans les églises ; on en enlève tous les bancs indistinctement et on les brûle sur les places publiques ; on a planté plusieurs potences pour pendre le premier qui paiera la rente. 11 est à craindre que l’on ne prenne les mêmes voies pour se soustraire au paiement de la dîme et même des impôts. Tous les propriétaires de rentes, seigneurs, justiciers et autres, éprouvent le même sort; on insulte les châteaux en plusieurs en droits, les relations sont interrompues, parce qu’il y a du danger à voyager, rencontrant 371 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] partout dans son chemin des gens armés, et on n’entend parler chaque jour que de meurtres et d’assassinats. L’anarchie et la licence les plus affreuses sont à leur comble. Extrait d'une lettre écrite de Figeac en Quercy, le 3 janvier de l’an 1790. Ne pouvant pas vous entretenir, Monsieur, des nouvelles affligeantes du pays, je ne vous ferai qu’un narré succinct des troubles qui nous désolent ; ce canton-ci qui, dans les premiers temps de la révolution, ne nous offrait que l’expression de la joie, est devenu tout-à-coup un théâtre de brigandage et d’horreur ; presque dans toutes les terres voisines il y a de la rumeur, des attroupements de gens armés qui vont dans les châteaux sous de vains prétextes , attaquent les seigneurs, les fermiers, les notaires, veulent brûler les papiers ; certains seigneurs ont voulu requérir les milices, mais soit qu’elles examinent leur institution, leurs pouvoirs, soit qu’elles craignent de s’exposerdans une pareille guerre, elles refusent; par le refus de ce faible secours on expose toutes les maisons des campagnes aisées à devenir la proie des brigands ; on a tué sept à huit seigneurs ou fermiers; cette contagion gagne peu à peu; il y a, dit-on, des moteurs secrets qui animentle peuple; que deviendrons-nous si cette fureur gagne les villes et de quel secours seront nos milices, presque toutes composées de gens dont on craint la révolte ; je ne sais comme elles sont composées ailleurs, mais ici on a été obligé de se conformer au mot égalité qui n’est pris et entendu que quant aux personnes. Dans ce moment où je vous écris, Monsieur, nous sommes bien tristes, chacun se demande que deviendra tout ceci ; la misère est à son comble, l’artisan ne fait plus rien, et nous sommes absolument sous la tyrannie de la population qui profite de la suspension des lois pour se permettre tous les attentats détaillés-ci-dessus. Voilà en raccourci le tableau exact du moment présent. Extrait d’une lettre écrite à M. le Comte d’E... Aurillac , le 16 janvier 1790. Je viens vous faire part, Monsieur, de la mauvaise nouvelle que le sieur Monteil, votre juge de St-Chamans, m’annonce par sa lettre du 7 que j’ai reçue le 10 ; certains particuliers de Monceaux, s’étant attroupés le jour des Rois, enlevèrent de leur église tous les bancs et les firent brûler devant la porte; ils plantèrent un mai, après quoi ils furent chez M. de Q..., gentilhomme du lieu, qui a quelque peu de rentes dans la paroisse, lui disant qu’ils ne voulaient plus de seigneur, et voulaient brûler son petit château, et qu’ils en feraient autant de celui de St-Ghamans; à force de représentations, ils se calmèrent, et le seigneur en a été quitte pour trois battes devin. Ceux de St-Chamans ont aussi fait brûler tous les bancs de leur église, à l’exception du vôtre qui est placé dans une embrasure, et qui est détruit ainsi que le mausolée de marbre, sauf des pleureuses, ils ont aussi enlevé, ce même jour des Rois, l’horloge qui était au haut de la tour de votre château, et l’ont portée dans l’église. Le sieur Monteil ajoute qu’il a fait déposer secrètement le nouveau terrier en maison sûre, à Argentât, mais que pour les vieux terriers, il n’oserait prendre sur lui de les déplacer à cause de leur volume; ces mutins se proposaient d’aller brûler votre château le 10 du courant. Voilà le contenu de la lettre du sieur Monteil, je suis surpris de ne pas avoir eu hier une nouvelle lettre à ce sujet, mais je viens d’apprendre par un de nos négociants qui arrive d’Argentat, qu’on lui avait assuré que ces incendiaires s’étaient cotisés pour ramasser dans la paroisse de S.-Ghamans ou Monceaux, 400 livres pour être employés en poudre et paille, afin de brûler votre château, celui de Soulager et de Neuville; que la maréchaussée, je ne sais par quel organe, s’était portée à St-Ghamans, et que par voie de représentation on avait gagné ces malheureux : il faut espérer qu’ils en resteront là. Extrait d’une lettre écrite de Cahors, le 13 janvier 1790. Vous savez, Monsieur, le soulèvement des environs de Martel, et le refus qu’on fait de payer les rentes partout; il est impossible de payer les impositions que les rentes doivent supporter ; je ne puis payer les impositions d’un revenu dont je ne jouis pas ; je vais refuser de payer la partie des impositions qui concernent les rentes, jusqu’à ce qu’on me les paie ou qu’on les rachète. Je n’entre pas dans plus de détails; vous êtes sûrement instruit de tout ce qui se passe à cet égard Extrait d'une lettre du Quercy, à Saint-Crépin , le 19 janvier de l’an 1790. La nuit du jeudi au vendredi dernier, on fut forcé de sonner le tocsin dans douze paroisses avoisinant Salagnac, où il se rassembla‘quatre à cinq mille personnes, contre le fils deM, D ..... G ...... deSouliac; ce pauvre misérable fut arrêté au milieu de Salagnac, et conduit comme un criminel de Ièse-majesté dans les prisons les plus obscures de Salagnac : il n’en est sorti que pour être conduit dans celles de Sarlat, de la manière la plus ignominieuse et la plus cruelle, chacun se faisant un mérite de lui donner son coup. Son corps était couvert de plaies, tant les coups étaient multipliés ; et la seule grâce qu’il demandait était qu’on lui ôtât la vie; ces traitements inouïs l’ont fait trouver mal plusieurs fois, et il est arrivé à Sarlat presque nu, chacun voulant avoir une partie de ses habits; on a cru que deux mille hommes d’escorte suffiraient pour le conduire à Sarlat : le reste s’est retiré en mettant à contribution toutes les maisons apparentes qu’ils rencontraient. Je n’ai pas été exempt de pareilles visites, et on menace tous ceux qui sont soupçonnés d’un peu d’aisance, de leur donner un nombre d’individus proportionné à leurs facultés. Il vous est impossible de vous former une idée des horreurs que nous éprouvons; vous pouvez croire que j’irai me cacher au loin, pour n’en être ni le spectateur ni la victime; si l’Assemblée nationale ne met un terme à cette barbarie, nous sommes tous perdus. Voilà donc l’effet de la liberté du port d’armes. Extrait d’une lettre écrite du, Poussât, le 16 décembre 1789. On ne croirait jamais que des hommes plus mal famés, et qui ont déjà plusieurs décrets sur leur compte, puissent se flatter, aujourd’hui, de re- 372 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1790.] cueillir tous les suffrages du public, au préjudice des plus sages et des plus instruits. Ces gens ont eu l’art de gagner cette confiance en persuadant à une nombreuse classe cl’aveugles qu’il ne fallait point payer de dîmes ni de rentes; ajoutant que ceux qui leur conseillaient le contraire étaient payés de la part des intéressés ; en sorte que les nvis des hommes sages sont non-seulement inutiles, mais encore ils courent risque d’attirer sur eux des insurrections. Il est à craindre que ces mauvais sujets ne se mettent à la tête des municipalités, si l’auguste Assemblée n’exclut cette engeance de gens qui sont mal famés, et qui succombent sous le poids de leurs décrets. Extrait d'une lettre écrite de Gluges, près Martel , le 11 janvier 1790. On n’avait rien vu, jusqu’à présent, dans nos cantons; mais en revanche, l’insurrection devient générale ; la partie du Périgord du côté de Sala-gnac,et la partie du Limousin du côté de Lissac-Beaulieu, ont semé dans nos cantons l’anarchie la plus complète. Arrivé de Giniac, le jour des Rois, je me suis mis à la tête de ma paroisse, et j’ai eu la consolation de jouir des bonnes dispositions et de la confiance de mes brebis, qui m’ont écouté, et s-ans m’en donner la gloire, j’ai arrêté des malheurs dont MM. M... et P... auraient été les victimes ; je ne suis cependant pas certain de dissiper les impressions fâcheuses qui sont encore dans l’esprit de mes paroissiens, contre M. P ..... Ce dernier est venu ici jeudi dernier, et la première chose qu’on a exigée de lui fut de signer la délibération des chemins ; on lui fit aussi signer une délibération concernant un four commun qu'on fait bâtir, en l’obligeant à payer sa portion ; le tout se fit militairement ; il essuya les reproches les plus humiliants pour un honnête homme, et il ne répondit mot : il y a tellement d’effervescence dans les paroisses voisines, surtout à Flonac, Saint-Denis et Rayrac, que je crains à tout moment. On s’est mis sur le pied d’aller visiter les châteaux et les maisons des curés ; MM. la Garde, de la Choyé, de Briance, Vaisière, de Coutrejours, en ont été quittes pour du pain, du vin et de l’argent. Voilà, mon cher ami, la situation où nous nous trouvons ; je vois avec douleur que l’anarchie la plus complète va s’établir au tour de nos foyers. J’ai quitté les malheurs de ma famille pour te peindre ceux publics : j’y reviens : mon frère partit heureusement dans la nuit du 4 au 5 de ce mois, et se rendit à l’hôpital Issendolus, où il est encore. La paroisse de Giniac est gouvernée, depuis deux ou trois mois, par certaines personnes dont la tôle est un peu chaqde ; il y avait déjà trois jours qu’on sonnait le toscin; le dimanche avant les Rois, au son de ce toscin, on se rendit à l’église, et on fit main basse sur tous les bancs ; mon frère part le soir du dimanche pour Martel, porte plainte, et demande qu’il soit permis d’assigner des témoins pour dire la vérité; j’ai vu la plainte, je n’inculpe personne; son projet était de faire cesser de sonnerie toscin, et d’empêcher les troubles et alarmes qui se répandaient partout; il s’obstina, malgré mes représentations réitérées, à suivre son idée : il fait partir le lundi, M.... l’huissier, pour cela ; ce dernier donne les assignations, il est pris, on déchire les assignations, on exerce sur lui les plus horribles persécutions, on parle de le pendre, de le brûler; on le garde fort avant dans la nuit, et cependant on vient à bout de le faire évader. On a sonné le tocsin pendant vingt-quatre heures, six paroisses se sont rendues tour à tour, on a bu et mangé aux dépens de mon frère, on s’est rendu à Martel pour le chercher ; on a aussi bu et mangé à Martel à ses dépens, et on a exigé de lui la déclarations la plus humiliante, devant notaires et témoins; on exige de lui, entre autres choses, qu’il ne donnera aucune suite à celte affaire, et qu’il n’en instruira même pas l’Assemblée nationale. Je prévois que de longtemps nous ne serons en sûreté, ni pour nos biens ni pour nos personnes. Extrait d’une lettre écrite de Souillac , le 9 décembre 1789. ... J’ai eu l’honneur de prévenir M. l’abbé de la dégestion des banalistes, que je n’ai pas jugé à propos, dans ce moment d’effervescence, de faire assigner personne ; les esprits montèrent comme ils sont dans ce moment; il y a tout à craindre pour sa vie et pour ses biens, c’est ce qui m’a décidé à ne faire aucune diligence. L’on ne paye-plus de rentes; les seigneurs de nos voisinages sont dans la plus grande consternation, voyant que leurs vassaux se refusent ouvertement à leur payer la rente. MM. Debar de la Faurie et Debrain-que, auxquels on a refusé, net, le paiement de leurs rentes, ont, en outre, été menacés d’être brûlés dans leurs châteaux. M. Delissac de la Porte a essuyé tous les évènements possibles; à la fin, il a succombé à l’aspect effrayant d’une potence qu’on planta devant sa porte; cette vue terrible lui occasionna une attaque d’apoplexie, dont il expira sur le champ. Extrait d'une lettre écrite de Martel, le 9 décembre 1879. Dans le moment où je croyais que la tranquillité régnait, mon métayer de la Brande, sénéchaussée de Brives, est venu m’avertir que trois quidams se sont introduits chez moi; qu’ils ont enfoncé les portes de la maison, et qu’ils ont déclaré n’en vouloir sortir. J’ai été hier à Brives pour les dénoncer au prévôt, il s’est trouvé à Limoges; son sous-lieutenant, à qui j’ai voulu faire ma dénonciation, m’a fait réponse qu’il n’avait ni greffier, ni procureur du Roi. Je me suis retourné du côté du lieutenant-criminel qui m’a dit qu’il fallait aller chez celui qui fait les fonctions du procureur du Roi : ce dernier m’a répondu qu’il ' prendrait ma plainte, mais qu’il n’en pouvait agir au nom du Roi. Ainsi, comme vous le voyez, je suis le jouet de ces messieurs et de ces brigands. Je ne suis pas la seule victime de ces attentats : on a fait des incursions chez M. Delissac de la Porte. On prétend que la frayeur qu’il a eue lui a procuré une attaque, de laquelle il est mort avant hier. On a fait des incursions chez le vicaire de Juzale, chez M. Debort de la Faurie et chez bien d’autres. Nous avons tout lieu de craindre que ces brigandages ne finiront pas si l’Assemblée ne donne des ordres ou ne prend des précautions pour les arrêter et nous faire défendre... Extrait d'une lettre écrite de Bitaille , le 6 janvier 1790. Le feu a pris, et il s’étend ; on ne sait combien les destructions seront grandes. On refuse de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1790.] payer les rentes, persuadé que l’on est que l’Assemblée en a prononcé l’abolition. Plus de rente : quiconque n’a que cela pour vivre meurt de faim, et cela est affreux. Le comité féodal est bien lent dans son opération. On a arraché d’abord les poteaux seigneuriaux, à la place on y a mis des mais. Tout a été brisé dans leséglises, bancs et chaises : la frénésie et la fureur ont même été portées jusqu’à les brûler. On parle de brûler les châteaux, de faire restituer aux seigneurs ce qu’ils ont, soit disant, mal acquis. Il paraît certain que des municipalités promptement organisées, des troupes nationales formées et mises de suite en activité dans tous les lieux, fournissaient les meilleurs moyens d’arrêter les progrès du mal. Tirez-nous de là au plus tôt, il n’y a pas de temps à perdre. Le peuple doit être tiré de toute incertitude sur ce qu’il a droit de prétendre; l’Assemblée ne saurait trop se hâter de donner ses intentions précises relativement surtout aux rentes et aux dîmes. L’opinion ici est que les rentes et les dîmes ne doivent plus être perçues, et que les rentes doivent être rachetables au prix courant. Tout le monde attend ici la vente des biens ecclésiastiques pour en acheter quelques débris : on dirait, en vérité, qu’ils sont bénis d’une manière particulière. La cure de Bitaille même a près d’elle quelques lambeaux de terre, eh bien! c’est à qui les aura. Voilà en peu de mots ce qui s’est passé et ce qui se passe journellement à Bitaille... Extrait d'une lettre écrite par M. de M. D. C. Z., de Crozès, le 13 janvier 1790. L’esprit d’insurrection se manifeste avec tant d’éclat dans cette contrée, que l’alarme est générale, et que le bourgeois, comme le gentilhomme, craint pour ses propriétés et pour ses jours : des menaces terribles se font entendre de toutes parts : on ne parle que de raser les châteaux, d’incendier les maisons, de dresser des potences à la porte des seigneurs et de tous ceux qui s’arment de courage pour faire régner la paix et la justice. On s’attroupe, on s’arme, et dans cet équipage on va dans les maisons forcer les propriétaires à donner à boire et à manger. Ce qui rend le danger plus éminent, c’est que la plupart de ces brigandages se font la nuit. Nous sommes sans secours; les maréchaussées ne sont point assez fortes pour réprimer le peuple. Les seigneurs sont menacés d'être contraints à remettre les droits d’arpentements et de reconnaissances, qui n’ont été perçus que conformément au tarif usité. On ne saurait peindre les horreurs que le peuple commet, et jusqu’à quel point il pousse l’in justice et l’audace: les églises n’ont pas même été épargnées: on a arraché les bancs pour lesquels on avait payé un droit à la fabrique : on a aussi démoli les balustrades des chapelles. Je rends au lecteur de ces détails la justice de croire que son âme est émue, et comme je les destine principalement à mes collègues, je 'leur dois la vérité toute entière, quelque pénible qu’elle soit à énoncer. En Bretagne, dans une des possessions de l’un de mes parents, les paysans, interrogés sur la cause de l’acharnement qu’ils mettaient à piller un homme qui les avait comblés de bienfaits, répondirent : nous en sommes bien fâchés , mais c'est l’ordre de l’Assemblée nationale. Malheureux peuple, comme on vous abuse ! mais le comble de l’horreur est ce qu’on a imprimé dans ce pavs-là, et que j’ai vu répété dans l’une 373 des productions éphémères des journalistes de la capitale. Les seigneurs, y dit-on, ont fait mettre exprès le feu dans leurs châteaux pour faire sor-tir des villes la milice nationale et l’exterminer plus facilement. G’est ajouter l’insulte aux autres mauvais traitements, et c’est le comble de l’atrocité ! 11 me reste une observation bien singulière à présenter, et qui tient à un rapprochement qui peut aider à trouver la clef de toutes ces calamités ; elle est relative à l’époque du 10 janvier, à laquelle les nouveaux troubles ont commencé dans presque toutes les provinces ; on se souviendra qu’à celle de juillet, toutes les communautés s’armèrent contre les brigands annoncés et créés par l’imagination d’êtres mal intentionnés ; une combinaison conduit à une autre, mais le fil se perd. Je ne puis que vous le répéter, mes collègues, lisez, frémissez et prononcez. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU, EX-PRÉSIDENT. Séance du vendredi 29 janvier 1790 (1). M. l’abbé de Montesquiou, dernier président, ouvre la séance, en annonçant que la santé de M. Target ne lui permettant *pas de présider, il va le remplacer, suivant le réglement. M. Barrère de Vleuzac, l’un de MM. les secrétaires , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Bertrand demande que, dans le décret concernant le département de la Haute-Auvergne, on veuille bien changer les mots: Saint-Flour aura la priorité, en ceux-ci : La première tenue de session du département sera à Saint-Flour. L’Assemblée consent la modification. M. Schwendt, député de l’Alsace. Je demande que l’on ajoute au décret rendu en faveur des juifs portugais, que l’Assemblée n’a rien entendu préjuger à l’égard des juifs d’Alsace. Cette addition est absolument essentielle pour établir la tranquillité publique en Alsace, et y assurer l’existence de vingt-six mille juifs allemands. M. Bouche. La dénomination d'Avignonais, qui se trouve dans le décret, semble ne comprendre que les juifs habitants de la ville d’Avignon et exclure ceux qui habitent dans le comtat Yenaissin, qui sont de la même classe; je propose d’ajouter à l’expression Avignonais, ceux-ci : et Comtadins. M. Démeunier. Je pense qu’il serait dangereux de délibérer sur la motion, parce que la moindre manifestation de doute sur ce point donnerait lieu, dans beaucoup d’endroits, d’élever des difficultés, même contre celles des classes de juifs qui sont comprises dans le décret. En l’état présent, on ne refusera pas les droits de citoyen (1) Cette séance n’est pas au Moniteur.