[18 Janvier 1790.] 227 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TARGET. Séance du lundi 18 janvier 1790 (1). M. l’abbé de Montesquiou a d’abord annoncé le résultat du scrutin pour la nomination de son successeur et de trois secrétaires; et dans l’élection du président, sur 834 votants, il s’est trouvé 476 voix pour M. Target, 317 pour M. de Gazalès, et 41 voix perdues. Sur le scrutin des secrétaires, MM. l’abbé Expilly, le vicomte de Noailles et de la Borde de Mereville ont réuni la majorité des suffrages. M. l’abbé de Montesquiou, ancien président, a prononcé le discours suivant avant de quitter le fauteuil : t Messieurs, en m’ordonnant de monter à la place difficile d’où je vais descendre, vous n’avez pu attendre de moi que l’hommage de mes faibles moyens. Cet hommage, vous l’avez reçu tout entier : heureux s’il eût été plus digne de vous! Mais qu’il me soit permis de vous le dire, c’est votre indulgence qui m’a appelé, c’est elle qui m’a soutenu; j’ai donc quelque droit à demander de n’être jugé que par elle. » M. Target , nouveau président , remplace M. l’abbé de Montesquiou et prononce le discours suivant : « Messieurs, beaucoup de zèle pour le succès de vos nobles travaux, quelque assiduité aux fonctions dont vous m’avez chargé, le soin de recueillir les lumières de ceux que vous m’avez donnés jour collègues, un vif amour de la liberté et du jonheur public, voilà jusqu’ici tous mes titres à 'honneur que vous m’accordez : je n’en aurais aucun, si vous n’aviez pas daigné donner le prix des talents et des services au seul désir d’être utile. J’ose vous demander, pendant que je remplirai cette place, les mêmes bontés qui vous ont inspiré le dessein de me la confier. Personne n’eut jamais plus de droit à votre indulgence; car vous allez vous rappeler sans cesse, et comment pourriez-vous l’oublier? ce rare et aimable assemblage de fermeté et de douceur, de sagacité et de précision, qui caractérise le président auquel vous avez voulu que je succédasse, et qui ne me laisse que le désespoir de le remplacer. » L’Assemblée a unanimement voté des remerciements pour M. l’abbé de Montesquiou, et a ordonné que ce vœu fût exprimé dans le procès-verbal; elle a observé en même temps qu’il aurait dû être fait mention des remerciements qui avait été votés de même après la présidence de M. Démeunier, et a voulu que cette omission fût réparée. M. Trellhard, l’un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal des deux séances du samedi 16 janvier. M. le marquis de Tafayette vient prendre sa place dans l’Assemblée. M. Goupil de Préfeln. Messieurs, le décret que vous avez rendu dans l’affaire de Toulon est (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. digne, sans doute, de votre profonde sagesse ; je ne puis cependant vous dissimuler que l’envie, toujours occupée à déprécier le mérite et surtout le plus transcendant, peut abuser de ce décret pour répandre quelques nuages sur la gloire que le comte d’Albert s’est acquise. Le monde entier sait avec quelle supériorité et quelle intelligence, quelle valeur sagement intrépide, ce guerrier a soutenu l’honneur du pavillon français. J’en appelle à témoin le héros qui m’entend (M. de La-fayette); compagnon de ses nobles travaux, il est plus à portée que qui que ce soit de rendre justice à M. d’Albert. L’histoire parlera de ses ex= ploits; ne permettez pas qu’elle ait à dire à nos neveux que l’Assemblée auguste qui relevait si glorieusement l’antique et majestueux édifice de la liberté française, contristât,' sans le vouloir, l’âme d’un des plus illustres défenseurs de l’empire. Rien ne peut flétrir les lauriers du comte d’Albert; cependant quel sentiment peut produire dans une âme aussi énergique que la sienne le plus léger soupçon, l’ombre seule d’une humiliation? Nous sommes Français; la gloire fut toujours l’idole de nos aïeux-/ elle ne cessera pas d’être la nôtre. Nous transmettrons son noble enthousiasme à nos enfants, ainsi que le devoir patriotique d’honorer la valeur qui s’est rendue redoutable à nos ennemis et respectable à l’Univers. Je conclus à ce que M. le président soit chargé de transmettre à M. d’Albert de Rioms le décret du 16 de ce mois, en lui témoignant que l’Assemblée n’a jamais cessé d’avoir pour lui l’estime due à ses glorieux services. M. Ricard de Séalt. Je demande que le même témoignage d’estime soit commun aux autres officiers impliqués dans la même affaire et je réponds que la garde nationale de Toulon applaudira à cette démarche. M. Bouche. On vous a beaucoup parlé de M. d’Albert, on ne vous a rien dit du peuplede Toulon. C’est cependant lui qui, dans la guerre de la succession, ne cessa de contribuer aux impôts pour le paiement des matelots; c’est lui qui se sacrifia pour Louis XIII à une autre époque; c’est lui qui, le premier des peuples de France a juré de venir au secours de l’Etat et de défendre, dans la Révolution actuelle, les représentants de la nation envers et contre tous. Je m’étonne que l’on parle ici d’écrire une lettre de satisfaction à M. d’Albert, sans faire mention du peuple de Toulon. Je m’oppose formellement à ce qu’on écrive à M. d’Albert, si l’on n’écrit également aux officiers municipaux et à la garde nationale de Toulon. M. Ic marquis de Lafayette. Ce n’est pas comme compagnon d’armes de M. d’Albert ; ce n’est pas au nom d’une nation libre, la meilleure alliée de la France ; c’est comme soldat national que j’appuie la motion de M. Goupil de Préfeln et je pense que la garde nationale de Toulon y applaudira. On demande la question préalable sur les amendements de M. Bouche. La question préalable est rejetée et les amendements sont adoptés. M. le Président rappelle la motion principale avec l’adjonction des deux amendements qui viennent d’être admis. 228 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1 790.J M. Muguet de Üanthou, qui avait le plus fortement soutenu, sans cependant parler à la tribune, que cette motion devait être adoptée, propose de la rejeter par la voie de la question préalable. M. Duport s’écrie que la question préalable n’est pas proposable contre une motion à laquelle il a été ajouté deux amendements décrétés par l’Assemblée. M. Gaultier de Biauzat demande que le membre qui a proposé la question préalable soit invité à la motiver à la tribune. M. Muguet de Hanthou dit que sa réponse est courte, mais décisive. Tous les peuples du royaume ont donné des preuves de patriotisme ; en conséquence, il ne saurait convenir à l’Assemblée nationale de reconnaître cette vertu particulièrement dans le peuple de Toulon. La question préalable est rejetée et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale a chargé son président de transmettre àM d’Albert de Rioms le décret du 16 de ce mois, et de lui témoigner l’estime qu’elle n’a jamais cessé d’avoir pour un guerrier dont les services ont si dignement soutenu la gloire de la nation. » Elle le charge en même temps d’un témoignage honorable pour MM. les officiers de marine impliqués dans l’affaire de Toulon ; charge de plus son président de témoigner la satisfaction de l’Assemblée sur les sentiments patriotiques que les officiers municipaux et la garde nationale de Toulon n’ont cessé de témoigner dans toutes les circonstances. » M. le chevalier de Boufflersjit ensuite les adresses et les offres de dons patriotiques, ainsi qu’il suit : Adresse des officiers municipaux de la ville de Luxeuil en Franche-Comté, remise par M. de Fer-rier, maréchal-de-camp, député extraordinaire de ladite ville; ils se répandent en éloges les plus flatteurs sur les religieux bénédictins de cette ville; ils annoncent qu’ils ont envoyé à la monnaie de la capitale l’argenterie la plus précieuse de leur église, du poids de 234 marcs 2 onces. Dans le cas que des circonstances impérieuses exigent] la suppression de cette célèbre abbaye, ils supplient l’Assemblée de daigner, dans sa sagesse, y substituer un établissement également utile dans lequel la plupart de ces dignes religieux s’empresseraient à montrer le même zèle pour le bien public, en se consacrant à l’éducation de la jeunesse et au soulagement des pauvres. Adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville de Mont-Louis; elle justifie qu’elle s’est toujours empressée d’exécuter les décrets de l’Assemblée, notamment ceux relatifs au maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Adresses du même genre de la ville de Provins, de celle de Semur en Auxois, et de celles de Valabrègues et Florac en Languedoc; ces deux dernières demandent que la ville de Nîmes soit le siège d’un tribunal supérieur; la ville de Florac fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Adresses du même genre des villes de Barjols et de Tarascon en Provence, de la ville d’Aigues-Mortes en Languedoc, de celle de Tarbes, capitale du Bigorre, de celles de Garnache, d’Aisnai, de Tiffauges, de Montaigu, et de vingt-quatre paroisses voisines de cette dernière en Poitou ; toutes ces villes demandent chacune d’être chef-lieu de district et le siège d’une justice royale. La ville de Barjols fait offre du moins imposé en faveur des anciens taillables. Adresse de cinq religieux d’un couvent de Pontoise, qui approuvent le projet sur les religieux proposé par le comité ecclésiastique. Adresse du chapitre de l’église royale et collégiale de Notre-Dame de Gusset, qui adhère avec une respectueuse admiration aux décrets de l’Assemblée nationale, et notamment à ceux concernant les biens ecclésiastiques. Adresses des comités et municipalités de Di-goin en Bourgogne, Dion-sur-Loire, Dompierre Baulon, Pierrefitte, Scey, Ghassenard, Molinet, Coulanges, Gilly-Patay, Thiet, Garnat, Cindré, Bon-cès et Montaigu en Bourbonnais, qui adhérent avec reconnaissance et soumission aux décrets de l’Assemblée nationale, et la supplient avec instance de conserver le célèbre monastère de Sept-Fonts, encore plus austère que celui de la Trappe. Adresse du bataillon des chasseurs de Roussillon, en garnison au Saint-Esprit, et de 6,000 gardes nationales de différentes villes et communautés du Languedoc, Provence et Dauphiné, autorisées par leurs municipalités, qui se sont réunies sous les murs du Saint-Esprit et les armes à la main, avec la plus grande solennité possible, ont juré d’être à jamais fidèles à la nation, au Roi et à la loi, et de sacrifier leurs biens et leurs vies pour la gloire et le bonheur de notre auguste monarque, et l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. Cette fédération a nommé des commissaires pour correspondre avec celles de l’Etoile, Montélimart et Saint-Paul-Trois-Châteaux. Adresse des corps des ferblantiers, fripiers, ta-bletiers, tourneurs et faiseurs de chaises de la ville de Marseille, qui présentent à l’Assemblée nationale l’hommage de leur soumission respectueuse à ses décrets, et la supplient d’ordonner la plus prompte exécution de celui qui renvoie la procédure prevôtale à la sénéchaussée de cette ville. Les ferblantiers et fripiers font le don patriotique de tout ce qui leur est dû par le gouvernement en capital et intérêts. Adresse des corps des tanneurs, corroyeurs, blanchers, marchands, revendeurs de cuirs de la ville d’Aix, qui font le don patriotique d’un capital de 1750 livres 10 sols, qui leur est dû par Sa Majesté, ainsi que des arrérages d’intérêts. Délibération de la communauté de Baume, bailliage de Poligny, qui, indépendamment de la contribution patriotique, offre le produit du moins imposé au profit des anciens taillables. Adresse de la communauté de Sillans en Provence, qui fait le don patriotique de la somme de 600 livres. Adresse de la ville de Charlieu en Lyonnais portant l’offre de 33 marcs 5 onces 3 gros provenant de la fonte de l’argenterie de leur église, et en outre, du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés; elle insiste pour obtenir d’être chef-lieu de district et le siège d’une justice royale. Adresse des officiers municipaux de la petite ville de Marennes en Saintonge, portant l’assurance d’une pleine et entière adhésion de leur oart à tous les décrets de l’Assemblée nationale, a suppliant de regarder la conservation des co-onies françaises, et celle du commerce maritime, comme deux moyens inséparables de pros-