[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S novembre 1789.] 699 93e Mende ou le Gevaudan. 94e Rodez, ou le Rouergue. 95e Montpellier, Lodève. 96e Béziers, Narbonne. 57e Châlons, Beaune, Àutun, 58« Dijon, Auxonne. 59e Langres, Chaumont. 60e Châtillon-sur-Seine, Semur. QUINZIÈME PROVINCE. Nivernais et Berry. 61e La Charité, Nevers, Saint-Pierre-le-Moutier. 62e Bourges. 63e Issoudun. 64e Châteauroux, SEIZIÈME PROVINCE. Poitou et Aunis. 65e Poitiers ou haut Poitou. 66e Fonlenay-le-Comte, ou bas Poitou. 67e Aunis, lies de Ré, d’Oléron, Brouage et Saint-Jean-d’Angély. DIX-SEPTIÈME PROVINCE. Angoumois , Saintonge , Périgord, Limoges et La Marche. 68e Saintes. 69e Périgueux, Sarlat. 70e Bergerac. 71e Limoges. 72e Guéret. 73e Le Dorât, DIX-HUITIÈME province. Le Bourbonnais et l’Auvergne. 74e Moulins, Montluçon, 75e Tulle. 76e Aurillac. 77e Saint-Flour, Brioude. 78e Clermont, Riom, Ambert, etc. Dix -neuvième province. Lyonnais, Vivarais et Velay. 79e Bourg-en-Bre?se, Gex, Belley. 80e Roanne, Montbrison, Saint-Etienne. 81e Lyon. 82e Beaujolais, Trévoux. 83e Le Vivarais. 84e Le Puy-en-Velay. VINGTIÈME PROVINCE. Dauphiné, 85e Grenoble, Gap, Embrun, Barcelonnette. 86e Vienne, Valence et Roman. 87e Montélimart, Die, Saint-Buis. VINGT-UN1ÈME PROVINCE. La Provence. 88e Forcalquicr, Sisleron, Digne, Senez. 89e Vence, Grasse, Antibes, Fréjus, 90e Toulon, Saint-Tropez, 91e Aix, Marseille, Arles, Nota : Les deux dernières cours supérieures ci-dessus ne composent que 1,419,000 habitants. VINGT-DEUXIÈME province. Le Languedoc vers le Lyonnais. 92e Beaucaire, Nîmes, Alais, Pont-Saint-Esprit. vingt-troisième PROVINCE. Le Roussillon et le Languedoc méridional, 97e Roussillon ou Perpignan. 98e Limoux, Carcassonne, Castelnaudary. 99e Comté-de-Foix, Couserans. 100e Toulouse. 101e Castres, Albi. 102e Cahors, Montauban ou le Quercy. vingt-quatrième provincé. La Guyenne , etc. 103e Agen. 104e Condom et Bazas. 105e Libourne. 106e Bordeaux. VINGT-cinquième province. Pays de Labour, Grandes-Landes , Béarn et Navarre. 107e Bayonne, Âlbret, Tartas. 108e Navarre, Soûle, Béarn. 109e Bigorre, Nébousan, les Quatre-Vallées. On ne se permet qu’une seule réflexion sur la nouvelle division territoriale du royaume ; c’est qu’il paraît qu’on en presse un peu trop la décision. S’il en était d’une opération semblable comme de celles qui n’exigent que du raisonnement, on croirait la question suffisamment discutée ; mais, a dit M. Thouret, « établir la Constitution, c’est travailler pour les siècles, et élever un édifice auquel il est très-désirable qu’on ne soit pas dans la nécessité de retoucher souvent. » Or, pour se servir encore de ses expressions, « il doit être également malfaisant et inconsidéré de précipiter ce qui doit être combiné avec maturité. » 2e ANNEXE A la séance de l'Assemblée nationale du 5 novembre 1789. MÉMOIRE présenté à l’Assemblée nationale et communiqué au Comité de constitution, sur les villes d'Aicc et de Marseille , -relativem,ent à la DIVISION DE LA Provence, par Charles-François Bouche, député d'Aix (1). Je serais coupable aux yeux de mes commettants, si je laissais sans réponse le mémoire que je vais tâcher de réfuter dans ses parties les plus marquantes; il est certainement la preuve du zèle, des talents et de l’activité des députés de la (1) Le mémoire de M. Bouche n’a pas été inséré au Moniteur. 700 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] sénéchaussée de Marseille ; il prouve combien ils sont dignes de la confiance dont leurs concitoyens les ont honorés ; mais on ne saurait leur pardonner de l’avoir produit mystérieusement à MM. du comité de constitution, et de ne l’avoir pas distribué dans les bureaux pour en donner connaissance à tous les membres de l’Assemblée nationale, enfin de ne l’avoir pas communiqué expressément à tous les députés de Provence, ou pour les forcer de lui rendre justice, ou pour les inviter à le combattre. Les députés de la sénéchaussée de Marseille veulent que cette ville forme un département séparé. Tel est d’abord le fond et le but du mémoire. Voici comment ils s’y prennent. Pour assurer leur système, ils commencent par se qualifier de députés de la ville de Marseille. Ce fait n’est point exact, ils sont députés de la sénéchaussée, et non de la ville de Marseille. Cette observation affaiblit l’intérêt que Marseille est bien capable de faire naître, et que personne n’éprouve plus que moi. Ce genre de députation manifeste déjà la confusion, bien loin d’être une preuve nécessaire de la séparation que les députés marseillais sollicitent. Ils disent que leur motion du 2 novembre, tendant à laisser à Marseille une administration séparée, n’a été ni discutée, ni jugée; qu’elle est restée dans son intégrité, et qii’ils en réclament le jugement définitif. Leur motion a eu le sort de celles de tant d’autres députés ; elle a eu le sort de la mienne, tendant à laisser à la Provence un seul département ou assemblée provinciale, et à laisser aux provinces et villes du royaume le soin de se localiser, à la charge de se conformer aux règles générales que la sagesse de l’Assemblée nationale leur dicterait. Le décret fut rendu après et sans égard pour la motion des députés de la sénéchaussée de Marseille, et pour les motions de tous les autres députés qui se tinrent et se tiennent pour condamnés, quoiqu’on n’ait pas discuté parle menu et en détail leurs motions particulières. Les députés marseillais savent bien que l’usage de l’Assemblée nationale n’est point, et ne peut pas même être de laisser la liberté à cette manière de discuter; les affaires deviendraient interminables dans une assemblée de douze cents personnes, où on trouverait douze cents motions à discuter et à juger. Le 12 novembre, j’eus le courage de me déclarer opposant à tous les décrets qui seraient rendus sur la constitution municipale et provinciale de la Provence, si ses députés n’étaient pas entendus. Je demandai acte de mon opposition ; il me fut refusé, et je me soumis avec respect. Le 13 novembre, voyant que le procès-verbal ne faisait pas mention môme du rejet de ma motion, je me plaignis avec force ; car, enfin, je voulais me justifier aux yeux de mes commettants ; la mention même du rejet de ma motion de la veille me fut refusée encore. Je gardai un silence respectueux ; je me tins pour condamné, et je restai convaincu que l’Assemblée nationale était plus éclairée que moi. Revenons. Par son décret général, l’Assemblée nationale jugea donc que la ville de Marseille ne devait pas être distinguée des autres villes du royaume, quant à l’administration. Premier déboutement. Dans le comité particulier des députés de Provence, 'dont les auteurs du mémoire parlent, on n’a point agité avec eux la question de savoir si Marseille serait ou non annexée à quelque département provençal, mais si l’on établirait en Provence un ou plusieurs départements ou assemblées provinciales. Je fus d’avis de n’y en établir qu’un ; mon avis ne fut pas du côté le plus nombreux. Dès le premier mot que les députés de la sénéchaussée de Marseille prononcèrent sur la séparation de cette ville, tous les membres du comité se réunirent pour les repousser. Second déboutement. Le 17 décembre, il y eut une assemblée des députés de Provence au comité de constitution. Les députés marseillais essayèrent de remettre sur le tapis la séparation de Marseille. Les députés de Provence se réunirent encore contre eux. Troisième déboutement. Du calcul qu’ils font, pages 6 et 7 de leur mémoire, il résulte que la Provence contient 859,000 habitants. Il est de fait qu’elle n’en a que 698,500 ; on en compte communément 700,000. . Il résulte encore des pages susdites que la Provence a 1,301 lieues carrées de surface. La Provence ne contient qu’environ 900 lieues carrées de surface, dont plus de la moitié est dans une infertilité rebelle à tout genre de culture. Me défiant de mes faibles lumières, je l'ai fait mesurer par d’habiles géographes, sur des cartes fidèles que je me suis procurées. Je l’ai divisée, sous-divisée, cantonnée, districtée, départemen-tée en cinq systèmes différents, et toujours je me suis convaincu qu’elle n’avait qu’environ 900 lieues carrées de surface. M. Necker, dit-on, a avancé le contraire dans son ouvrage sur Y administration des finances de France. Gela est vrai ; mais je prie qu’on observe que M. Necker n’a donné à la Provence que 1 ,146 lieues et non 1,301 : qu’il lui adonné 754,400 habitants et non 859,000, comme les députés marseillais l’ont écrit dans leur mémoire. Dans son calcul, M-Necker a compris une partie des terres anciennes de la Provence, et il a donné plus de surface et plus d’habitants. M. Necker a écrit d’après les états déposés dans les bureaux du ministère. Ges états sont inexacts. J’ai eu, l’hiver dernier, l’occasion fréquente de m’en convaincre. Avec un texte pareil, M. Necker a écrit des erreurs en fait de population et d’étendue, au moins provençales. A présent, veut-on savoir le pourquoi des calculs exagérés des députés marseillais ? le voici tel que je le présume ; car ils ne m’en ont pas fait la confidence. Ils ont dû dire : en donnant beaucoup d’étendue, beaucoup d’habitants à la Provence, un seul département paraîtra trop grand; deux ne satisferont pas tout le monde ; trois seront suffisants, et, alors, Marseille se sauve à travers tant de lieues et tant d’individus, et elle forme un quatrième département. Je ne sais pas si je me trompe, mais je crois avoir pris leur intention sur le fait; il ést possible que je les calomnie, en ce cas je leur en demande pardon. Quoi qu’il en soit, Marseille, peuplée d’hommes intelligents, actifs, laborieux et de bons citoyens, riche, commerçante, savante et guerrière, est faite pour illustrer et soutenir toutes les associations auxquelles on voudra l’adjoindre. Les députés marseillais, ne pouvant plus espérer d’obtenir par là un département particulier, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 novembre 1789.] 701 demandent à annexer Marseille au département de la Provence orientale. Les députés de la ville de Marseille sont trop judicieux, je les honore trop pour que je croie que les vieilles querelles de l’an 2440, avec l’occident de la Provence, aient part à cette demande ; mais je sens qu’il n’y aurait point d'égalité parmi les divers départements de Provence, si Marseille passait du côté de l’orient et était réunie aux villes, bourgs et villages du côté de la Méditerranée. Riche, peuplée et industrieuse comme elle l’est, Marseille accroîtrait par sa masse la masse de la population et de richesses qui sont, pour ainsi dire, concentrées dans Ja partie orientale et maritime. Les autres parties, ou pauvres ou médiocres, surchargées d’une multitude de grands chemins, de ponts, de chaussées et d’édifices publics, se trouveraient sans soutien. Il n’est pas certainement dans l’intention de la ville de Marseille de rendre les Provençaux de l’occident et du septentrion malheureux d’une simple satisfaction dont ils jouiraient, sans accroître sa gloire et son opulence, qui sont au plus haut point possible. Mais, disent les députés de la sénéchaussée de Marseille, l’administration de cette ville est différente et ne peut s’allier avec d’autres. Je prie ces Messieurs de se ressouvenir que l’administration n’a été différente qu’en ce qu’elle était sous la main tortionnaire des intendants , lorsque l’administration des autres communautés était dans celle des Etats. La vallée de Barcelonnette et les terres adjacentes pourraient faire la même objection que Marseille ; mais elles n’osent pas la faire, parce qu’elles en sentent la faiblesse. Dans tout le reste, toutes les communautés de Provence se ressemblaient ; mais il ne s’agit plus ici d’une différence d’administration. Bientôt, des Alpes aux Pyrénées, des rivages du Rhin aux bords de l’Océan et de la Méditerranée, toutes les administrations municipales et provinciales seront les mêmes : qui en connaîtra une les connaîtra toutes ; ainsi cette objection des députés de Marseille expire de faiblesse. 11 est une observation décisive, la voici : Si Marseille appartenait au département de l’orient et maritime, tout le dépârtement occidental resterait chargé de la construction et de l’entretien des grands chemins par lesquels on transporte chez elle les productions et les fabrications de la France ; elle jouirait sans contribuer aux frais de ses jouissances : cela ne serait ni juste, ni politique, ni moral ; ce serait outrager les Marseillais que de leur supposer une exemption semblable. Les pays agricoles, réplique-t-on, ne peuvent s’allier avec les pays commerçants. La partie occidentale n’est que cultivatrice. Les pays agricoles peuvent se soutenir par eux-mêmes, les pays commerçants ont besoin des pays agricoles. Sans ceux-ci, ceux-là ne seraient rien ou presque rien. Les navigateurs marseillais qui fréquentent les ports de Sardaigne, des Etats clu pape, de la Sicile et de l’Afrique, prouvent cette vérité. Du côté de l’orient, ajoute-t-on, Marseille trouverait des villes commerçantes qui ont les mêmes habitudes et la même profession. Du côté de l’orient, je ne vois que Toulon , que le commerce de Marseille occupe continuellement, tout le reste est agricole. Enfin, on dit que Marseille a des dettes. Elle en aura du côté de l’orient, comme du côté de l’occident , placée sur l’un comme sur l’autre point, elle les payera, parce que ses dettes n’intéressent qu’elle. Réunie aux pays agricoles, elle sera obligée d’entrer dans des détails qu’elle appelle minutieux et de parcimonie; elle sera gênée dans ses grandes vues, dans les réparations qu’elle est obligée de faire pour son port, ses rues, etc. Voilà ce qu’on objecte encore. Eh ! fut-elle jamais plus gênée que sous l’administration des intendants, dont la suppression doit être comptée parmi les biens infinis que l’Assemblée nationale a faits à la France ? Sous l’administration des intendants , les administrateurs municipaux de Marseille ne pouvaient pas, sans leur permission écrite, dépenser plus de cinquante livres. En se faisant des associés, Marseille s’acquerra de nouveaux amis ; les détails de parcimonie leur deviendront utiles. Telles sont les parties les plus marquantes du mémoire que je voulais réfuter. Les députés de la sénéchaussée de Marseille sont trop raisonnables pour trouver mauvais que, lorsqu’ils font tant d’efforts pour cette ville intéressante à tant d’égards, lorsqu’ils prouvent par leur zèle et leurs talents qu’ils furent dignes de la confiance dont elle les honore , je donne de mon côté des preuves que j’aime ma province entière, et que je fasse quelques efforts pour son bonheur. Ce bonheur, je ne l’ai point vu dans la séparation absolue des parties qui n’en faisaient qu’un corps , et j’ai eu le courage de le soutenir jusqu’à trois fois dans le sein de l’Assemblée nationale, et le soutenir dans tous les comités de Provence. Si la belle, la consolante Constitution que l’Assemblée nationale donne à la France s’affaiblissait jamais; si le gouvernement redevenait entreprenant ; si le despotisme , écrasé par des mains courageuses, s’agite un jour sous la main de quelque ministre audacieux ou adroit , si un ennemi étranger entre dans nos terres, trois parties séparées et indépendantes les unes des autres, sous le même ciel et sur le même sol, seront envahies pièce à pièce, une à une, sans qu’elles puissent se défendre.Un esprit d’égoïsme, un caractère de solitude éloigneront les âmes en distinguant les intérêts. Telles sont mes craintes pour ma province, puissent-elles être vaines ! Dans tous les pays delà terre, le gouvernement peut être comparé à un loup affamé, sans cesse brûlé parune faim dévorante. Si vous voulez essayer de, le contenir en lui opposant soixante-quinze ou quatre-vingt-cinq petits roquets, il les dévore; mais si, au contraire, vous lâchez contre lui trente-deux dogues, il est effrayé, se retire, et le troupeau est sauvé. C’est l’histoire des départements et des provinces. Celles-ci réunies constamment à l’Assemblée nationale, leur conducteur et leur centre, auraient eu, ce me semble, bien plus de force : rien, cependant, n’aurait empêché que les provinces fussent divisées en plusieurs districts correspondant, dans leur propre sein, à un centre commun et unique. Il est possible que l’amour du bien m’ait aveuglé sur le bien même que l’Assemblée nationale a fait et veut faire encore, par l’établissement de tant de petits corps politiques vivant à la porte les uns des autres, et toujours, cependant, sur un terrain différent ; en ce cas, ma bonne foi doit me servir d’excuse. Un cœur aimant est toujours en peine pour l’objet aimé; et je con- 702 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PÀRLEMÊNTÀlUES. [5 noverhbre 1789.] viendrai quec’est avec douleur quej’ai vu qu’on ait voulu faire dans ma province trois corps d’un seul déjà faible, épuisé et bien p�tit. Vers la fin du xie siècle, la Haute-Provence voulut avoir une administration indépendante de celle de la Basse-Provence. Lors du dénombrement général fait en 1200, les habitants de la première furent obligés de déclarer que l’appui des habitants de la seconde leur était absolument nécessaire, puisque sans elle ils ne pourraient ni contenir les torrents qui ravageaient leurs campagnes, ni payer tous leurs devoirs au comte. Depuis cette époque, le sort de la Haute-Provence a bien empiré ; elle a perdu plus d’habitants , de terres et de bois en acquérant plus de dépenses particulières et publiques , plus de digues à construire et plus de chemins à entretenir et à réparer. Ces raisons, et une foule d’autres que je passe sous silence quant à présent, m’obligent donc de regarder comme très-funeste à la Provence la triple division sous laquelle elle a été meurtrie ; mais ce qui m’épouvante, c’est la cessation des travaux publics entrepris à frais communs; c’est la liquidation des caisses publiques; c’est la répartition des charges provinciales et nationales ; c’est l’apurement des obligations communes à tous les habitants de la province. Des provinces , autant et même plus étendues et plus peuplées, ont eu du moins la prévoyante et sage sobriété de ne se diviser qu’en deux départements. La raison, la politique et la nature appelaient la mienne à n’en former qu’un. Richesse, médiocrité et pauvreté, qui forment les trois caractères locaux, ne peuvent pas se séparer sans se nuire. Après m’être occupé de la Provence entière, je dois faire quelques réflexions concernant la ville d’Aix. Mon caractère de député me donne le droit de porter mes regards sur la Provence entière ; mais , député de la sénéchaussée d’Aix , je dois surtout le plus grand intérêt à cette ville. Aix n’a ni terroir fertile, ni commerce, ni industrie, ni entrepôt. Sans cesse pompée parla ville de Marseille, dont l’aspiralion, principalement depuis 1669, se porte sur les hommes et sur les choses d’un bout de la Provence à l’autre , elle n’a jamais pu subsister que par les secours de la politique. L’hiver dernier lui a enlevé ses oliviers, et lui a fait une plaie que trentre ans suffiront à peine pour cicatriser. Tous les cultivateurs et les propriétaires sont donc condamnés à languir dans le besoin pendant cette longue succession d’années. Depuis cent vingt-quatre ans avant Jésus-Christ, tous les tribunaux civils, religieux, politiques et militaires sont dans le sein de la ville d’Aix. Ces divers établissements attiraient chez elle les Provençaux et les étrangers, et leur concours alimentait ses habitants. Peuplée aujourd’hui d’environ vingt-quatre mille individus , ce serait prononcer contre eux un arrêt de misère et de mort que de ne pas la rendre chef-lieu d’un département et des tribunaux de justice et souverains qui seront établis. Elle n’a pas été, ni ne sera aussi riche, aussi brillante , aussi heureuse, aussi peuplée que la ville de Marseille ; mais elle est plus ancienne qu’elle; elle est mieux située qu’elle; elle soutint Marseille dans son berceau : cette ville voudrait-elle déchirer aujourd’hui le sein qui la réchauffa et exténuer celle qui accueillit avec tant d’humanité les dieux et les débris de la fortune de ses fondateurs , et qui leur fit généreusement don du précieux local que leurs descendants occupent aujourd’hui ? Plus rapprochée du centre, la ville d’Aix est plus à portée des administrés et des justiciables* On ne lui conteste pas l’avantage de renfermer dans son sein le plus grand nombre d’hommes les plus propres à être administrateurs ou juges, et que l’espérance d’y jouir d’un état acquis à grands frais y avait amenés et fixés. Qu’on se représente pour un moment une ville, ancienne capitale de sa province et d’une grande souveraineté, accablée de dettes et d’impôts, ou sont 24,000 individus sans commerce, sans terroir et sans manufactures, tous utiles, tous bons citoyens; qu’on se représente, dis-je, cette ville privée tout d’un coup des établissements qui l'alimentaient, et sous la foi desquels ses habitants s’étaient rassemblés! . . . La sensibilité et la justice m’ordonnent de me taire et m’imposent la loi d’attendre , pour la ville d’Aix, des amis et des protecteurs parmi tous ceux qui m’entendent et qui me liront. Ces déchirantes réflexions ne paraîtront pas hors de propos lorsqu’on saura que Marseille, qui possède tout l’or et presque tous les habitants de la Provence, qui correspond avec toutes les nations de l’univers; qui, en envois ou en retours, en fabrication ou en matières qui attendent la vente, fait un commerce annuel de près de 600 millions; qui est peuplée de près de 90,000 habitants, dans laquelle entrent ou sortent journellement plus de 25,000 étrangers; qui jouit, dans tous les genres, de l’utile, du nécessaire, du commode et du voluptueux, ces réflexions, dis-je, ne paraîtront pas hors de propos lorsqu’on apprendra que Marseille, changeant de système, et consentant de faire partie du département de l’occident, demande de devenir le chef-lieu du département et de l’administration. Combien l’ambition est quelquefois inconséquente! Ici, pour satisfaire celle qu’on attribue à Marseille, les députés de sa sénéchaussée oublient qu’ils ont tiré de la différence d’administration un de leurs moyens de séparation. Marseille appelle à l’appui de sa demande sa supériorité dans tous les genres. Eh ! c’est précisément parce qu’elle jouit de sa supériorité, que la saine politique et la raison publique ordonnent qu’elle ne soit point augmentée. Marseille ne s’aperçoit pas qu’elle s’égorge avec ses propres armes. L’Assemblée nationale veut rendre tout égal et répandre partout ses bienfaits. Elle détruirait ses décrets et ne les détruirait qu’en faveur de Marseille, si, à l’ascendant inconcevable dont cette ville jouit en Provence, elle réunissait d’autres moyens qui l’accroîtraient, au préjudice d’une ville qui a des droits incontestables à être chef-lieu d’un département et résidence des tribunaux de justice, à divers titres : 1° Elle est peuplée de 24,000 individus qui n’ont de ressources, tant en corps qu’individuellement, que dans l’abord des étrangers. 2° Elle ne peut imposer que sur les consommations et payer ses charges que par elles : moins il y arrivera d’étrangers, moins il y aura de consommations. 3« Avant la mortalité de ses oliviers, elle ne faisait une récolte médiocre que tous les deux ans. On sait que l’olivier ne produit utilement que de deux ans l’un. Ses oliviers étant morts, de trente ans la ville d’Aix ne récoltera rien. Tous les jours, à toute heure, à tout moment, Marseille emmaga- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sine tous les biens, toutes les productions des quatre parties du globe. 4° L’Université d’Aix est désertée, son séminaire n’a jamais été bien fréquenté, son chapitre est peu nombreux, les revenus de son archevêché se consomment ailleurs, ses maisons religieuses vont lui être enlevées. 5° Elle a contracté avec les autres communautés de la province des engagements pécuniaires qu’il faut qu’elle tienne, au moins pour la part dont elle restera chargée après l’apurement général. Elle sera dans l’impossibilité absolue de faire face à ses engagements, si on lui en ôte les moyens. 6° Un palais de justice, presque aussi grand que la moitié du château des Tuileries, est commencé, et est à peine à deux toises hors de ses fondements. Il était destiné à loger quatre différents tribunaux; il aurait pu servir à en loger un cinquième, la cour des Monnaies, si Marseille ne s’était enrichie de la possession de ce tribunal et de la monnaie, depuis trois ou quatre ans. La ville d’Aix n’a pas encore cicatrisé les plaies que cette translation lui a occasionnées. Que fera-t-on de cet édifice, si la ville d’Aix n’est plus ce que sa situation, ses besoins, sa population demandent qu’elle soit? 7o En perdant les détails et la correspondance de l’administration générale qu’elle avait des tribunaux nombreux, divers particuliers riches, l’abord. des étrangers, et les consommations, la ville d’Aix perdrait les moyens de faire face aux charges locales, de département et de l’Etat. Le décret que Marseille sollicite, sans autre raison que celle de ne pas dépendre d’une autre ville qui la vaut, à tous égards, par le patriotisme et les commodités locales, et qui vaut mieux qu’elle par son ancienneté et par ses titres, ce décret suffirait-seul pour anéantir la ville d’Aix dans moins de dix ans. En un mot, il n’est pas, et ne peut pas être dans les équitables intentions de l’Assemblée nationale de mettre d’un côté toutes les ressources, et de l’autre toute la misère et la dépopulation. Ce que j’ai dit jusqu’à présent ne concerne que la ville d’Aix. J’ai eu pour juges les Provençaux qui m’ont entendu. Je serai jugé par ceux qui me liront. Je vais les appeler plus fortement au secours de mon opinion, et solliciter surtout celle des Provençaux du département d’occident. Les décrets de l’Assemblée nationale portent que les administrés et les justiciables seront voisins des administrateurs et des juges autant qu’il sera possible. Voilà la loi. Marseille, située précisément sur le dernier pouce du terrain du département d’occident, obligerait, si elle devenait le chef-lieu de l’administration, les habitants de ce département de faire cinq ou six lieues de plus qu’ils ne feraient si le cher-lieu était à Âix, vrai centre de ce département, et la loi serait éludée, au grand préjudice des administrés et des justiciables. Pour se convaincre de ce fait, il n’y a qu’à jeter les yeux sur la carte. La même objection peut être faite très-solidement à Marseille, si, réunie, ce qui ne peut pas être, au département de l’orient, elle y portait les mêmes prétentions. Résumons. Marseille, voulant former, contre la lettre même des décrets de l’Assemblée nationale, une administration séparée, place sur la lisière la ville d’Aix, qui, dès ce moment, par son site, ne serait plus bonne à rien, pas même à être chef de district. [3 novembre 1789.] 703 Marseille voulant, contre l’ordre dés choses, appartenir au département de l’orient, produit le même désavantage contre la Ville d’Aix, et la détruit. Marseille, portant dans le département de l’orient les mêmes prétentions que dans le département d’occident, détruit encore la ville d’Aix, en la plaçant sur la lisière, et force les administrés et les justiciables de son département oriental de faire sept ou huit lieues de plus pour venir chercher administration et justice; grand inconvénient auquel les habitants des départements doivent s’opposer de toutes leurs forces. Tout, jusqu’à sa richesse et sa population, appelle Marseille au département d’occident de la Provence, et l’y appelle en second. Ses richesses et son commerce lui conserveront toujours l’éclat delà première place. Ayant sous les yeux les décrets de l’Assemblée nationale, la carte de Provence, un état exact de ses forces, un souvenir très-présent des titres d’Aix et de Marseille, une connaissance profonde de l’impossibililé (absolue de la première pour se soutenir, si elle reste sans le titre de chef-lieu de département, et privée des tribunaux de justice; convaincu de la grande facilité de la seconde à continuer de fleurir, sans ce double secours, j’ai rédigé cette opinion. Eh ! combien de choses il me resterait à dire, si le temps, les circonstances et une suite pressée d’affaires me le permettaient! Tout ce qu’on a dit, tout ce qu’on dira, tout ce qu’on pourrait dire, en faveur de Marseille, d’agréable et d’avantageux, n'aboutirait jamais qu’à donner des preuves plus fortes de son extrême supériorité sur Aix et les autres villes de Provence, et à ruiner sa cause, puisqu’il s’agit ici de porter du secours aux faibles contre les puissants. L’Assemblée nationale ne peut prononcer sur cette cause que d’après les règles générales qu’elle a dictées, et qui condamnent Marseille ; mais je prendrai, pour prononcer sur les circonstances qui la constituent, des hommes bien éclairés, bien instruits des localités, de bons et généreux citoyens, les députés de Provence. Si l’un d’eux me convainc de mensonge sur une de mes assertions, je consens d’être regardé comme faux sur toutes, et mon mémoire doit être foulé aux pieds. Personne ne dira jamais de Marseille plus de bien qu’elle n’en mérite ; personne n’en dira jamais plus que moi; mais il faut que justice soit faite, et que lorsque la Provence et toutes les nations commerçantes de l’univers s’épuisent pour Marseille, Marseille ne réponde pas à ce dévouement en dépouillant des voisins qui ne veulent et ne peuvent pas lui nuire, et qui se félicitent de sa gloire. En traçant ce mémoire, j’ai consulté mon cœur, la justice, les convenances et les décrets de l’Assemblée nationale. J’ai osé m’ériger en organe de 24,000 individus intéressants, qui ont compté sur mon zèle, comme ils espèrent tout de la justice des législateurs de la France.