[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mai 1790.] 358 cret soit renvoyé au comité féodal et au comité d’agriculture et°de commerce. (Ce renvoi est ordonné.) M. l’abbé Grégoire. Je demande qu’on accorde des primes pour le dessèchement des marais : c’est de l’argent que vous placerez à gros intérêt, car la terre compense avec usure les travaux et les peines de ceux qui la cultivent. Lorsqu’on a tant consommé d’argent en déprédations, dont le Livre rouge, que nous n’avons encore qu’en partie, n’a donné qu’une idée bien imparfaite; lorsque l’on a une foule d’ambassadeurs qui n’ont point encore prêté serment à la Constitution, et qui cependant sont payés moitié plus qu’il ne faut, craindrait-on d’employer une somme pour favoriser le commerce et la culture des terres? Je voudrais que l’on fit cette addition au premier article de décret • « Sont compris sous la dénomination de marais les terrains inondés pendant six mois de l’année, ceux que la mer couvre dans les nouvelles lunes, et seulement aux équinoxes. Il sera formé une caisse de 1,200,000 livres pour les avances des entrepreneurs de dessèchements; on ne pourra prêter que pour cinq années, jusqu’à la concurrence de 40,000 livres, et les terres desséchées seront hypothéquées au payement de la somme. » M. Pervinquière. Sous le nom de marais, on peut comprendre des terrains très utiles et très fructueux. Je demande qu’il soit ajouté au décret que l’on n’entend comprendre ceux qui, sous la dénomination de marais, seraient des pâturages utiles. M. Regnand (de Saint-Jean-d' Angely). Je demande qu’on autorise les particuliers ci-devant seigneurs, aujourd’hui propriétaires, à défricher leurs marais en concédant aux usagers, s’il y en a, une portion de marais en propriété, suivant un expertage fait sous l’inspection des administrateurs de département. M. de Robespierre. Les propriétés qui ne sont point cachées sous les eaux et qui sont nécessaires ou utiles aux propriétaires ne doivent pas être comprises dans le présent décret. Je demande qu'aux mots : chaque commune , on substitue ceux-ci ; chaque département. Si mon amendement n’était pas adopté, il en résulterait un grand dommage pour plusieurs parties du royau me, surtout en Flandres et en Artois où, sous le nom de marais, On comprend des terres qui, presque toute l’année, servent de pâturages et fournissent des tourbes pour le chauffage. M. Rouche, député d'Aix. Je propose à l’Assemblée de décréter le principe du dessèchement et de renvoyer à un autre temps la discussion des détails et l’examen sérieux des difficultés qu’il présente. M. Heurtanlt de amer ville , rapporteur. Il sera aisé de concilier les différents intérêts qui viennent d’être signalés. Quelques-unes des difficultés proposées aujourd’hui sont déjà résolues par le comité, à la satisfaction des membres qui les ont exposées. Il n’y a pas de raison valable pour ajourner la discussion du projet de décret. M. le Présîdetit consulte l’Assemblée, qui rejette la demande d’ajournement. M. SIeurtauR de SLamervilie, rapporteur , présente une nouvelle rédaction de l’article premier. Cet article est mis aux voix et adopté ainsi qù’il suit : « Art. 1er. Chaque assemblée de département s’occupera des moyens de faire dessécher les marais, les lacs et les terres de son territoire ha bituellement inondées, dont la conservation, dans l'état actuel, ne serait pas jugées d’une utilité préférable au dessèchement pour les particuliers ou les communautés dans l’arrondissement desquelles ces terres sont situées, en commençant, autant qu’il sera possible, les améliorations par les marais les plus nuisibles à la santé, et dont le sol pourrait devenir le plus propre à la production des subsistances, et chaque assemblée de département emploiera les moyens les plus avantageux aux communautés pour parvenir au dessèchement de leurs marais. » M. le Président lève la séance à dix heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du dimanche 2 mai 1790 (1). M.dcLa Reveillère de Lépeanx, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier matin. Plusieurs membres demandent qu’il y soit fait mention du décret par lequel l’Assemblée a décidé de ne pas tenir compte de la lettre des deux députés d’Alençon. D'autres membres objectent que ce serait faire mention de la lettre elle-même et aller de la sorte contre l’intention de l’Assemblée. M. Goupil de Préfelu dit que le seul moyen de satisfaire les réclamants serait d'exprimer1 au procès-verbal qu’une lettre ayant été lue, il a été décidé qu’il ne serait fait aucune mention de son contenu. L’ordre du jour est réclamé, mis aux voix et adopté, M. M signet de lanthou, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier soir. Il ne se produit aucune réclamation. M. le Président rappelle qu’il y aura séance le soir, tous les jours de cette semaine, pour discuter l’organisation municipale de Paris. Il prie les membres de l’Assemblée d’être exacts et d’arriver de bonne heure. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l’ordre judiciaire M. le Présiderai. La délibération va porter sur la question suivante: Les juges d’appel seront' ils sédentaires ou non? M. ÉSégrales*, député de Nancy. Ceux qui (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . 359 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mai 1790.] croient que les juges ne doivent pas être sédentaires envisagent la question de deux manières: ou dans ce sens queles juges se transporteront dans les districts pour y juger les causes d’appel, ou dans le sens proposé par M. Thouret. Je préférerais celui-ci ; mais je ne puis admettre les juges ambulants. Les qualités qui font priser un homme dans la société sont aussi les qualités nécessaires pour administrer la justice. Un bon père de famille possède ces qualités ; mais, aimé des siens et des autres, voudra-t-il quitter tout ce qui remplit son âme de ces affections douces qui font le bonheur de la vie, pour aller courir de ville en ville, de campagne en campagne, pendant une grande partie de l’année? Il ne le voudra pas; les citoyens se trouveront donc privés du bonheur de remettre leurs intérêts les plus chers entre les mains du citoyen le plus recommandable. Le juge-voyageur ne pourra donc pas être le meilleur juge que la société puisse s�procurer. Livré à lui-même, à ses propres ressources, à ses lumières naturelles, distrait de l’application nécessaire pour remplir avec réflexion, avec sagesse, un ministère difficile et délicat, il ne pourra donc, sous ce rapport, rendre à la société tous les services qu’elle attendait de lui. . . L’institution des juges ambulants sera donc contraire à l’intérêt public... On a voulu, en proposant cette institution, rapprocher la justice des justiciables, et déjouer l’intrigué et la partialité, j’observerai: l°que vous pourrez multiplier les tribunaux, et dès lors les éloigner très peu des justiciables : il faut cependant les tenir à une distance assez éloignée pour refréner l’ardeur litigieuse, loin de l’encourager ; 2° il dépend de vous d’organiser les tribunaux de manière que la partialité ne soit pas à craindre. Par exemple, ne pouvez-vous pas prendre un juge dans chacun des districts des départements? Tous ces juges seront sans doute mus quelquefois par l’amour de leurs concitoyens et de leur patrie : mais ses amours particuliers se réprimeront les uns par les autres, et il en résultera l’amour général de la justice. Songez surtout que vous avez fait d’autres institutions : vous avez donc tous les remèdes possibles contre la partialité. Je me résume et je dis : L’objet sur lequel vous délibérez tient essentiellement à la liberté publique et il y tient tellement que vous la détruiriez en adoptant les juges d’assises! Vous avez en effet senti, lorsque vous avez rendu au peuple tous ses droits, qu’il ne les exercerait pas entièrement s’il ne jouissait pas de la plénitude de liberté du choix ; car plus vous mettez d’obstacles à cette partie plus vous anéantissez les effets de la constitution. Or, je vous le demande, pensez-vous que des citoyens honnêtes et tranquilles, honorés de l’estime et de la confiance de leurs compatriotes, acceptent des places qui, en les exposant à des voyages continuels, les enlèveront pour toujours à leurs familles? Non, sans doute, ils ne le feront pas et s’ils le faisaient, ils ne seraient plus dignes du choix de leurs compatriotes. Ainsi, par le décret qui admettrait les Assises, vous écarteriez indirectement des charges civiles les personnes les plus estimables delà société et vous ne les verriez plus remplies que par des gens sans patrie et qui portant dans tous les pays l’indifférence du cosmopolite traîneraient à leur suite ces vices que cet esprit, si stérile pour le bien public, produit toujours. Qu’on ne nous oppose point les dangers d’un tribunal sédentaire ; qu’on ne nous effraie plus par des craintes puisées dans les défauts de l’ancien régime: qu’on ne tente pas d’affaiblir ainsi le patriotisme des personnes qui rejettent l’instabilité des juges parce qu’ils ne pourraient conserver une impartialité combattue par la force de l’habitude ; présenter de tels périls, c’est attribuer à la nouvelle institution, les effets de l’ancienne ; c’est nous reprocher des abus que nos travaux tendent à détruire; vous avez fait d’autres institutions, vous avez donc fait d’autres hommes et vous ne devez plus redouter que des citoyens se livrent à des injustices et à des vexations dont les anciens magistrats ont donné quelquefois l’exemple. Je conclus à ce que les juges d’appel soient sédentaires. M. Thouret (1). Messieurs, la composition des tribunaux d’appel est la partie la plus délicate de l’organisation judiciaire. Il faut craindre, dans l’ordre politique, que, tentés par l’exemple de ceux auxquels ils vont succéder, ils ne cherchent à abuser de leur autorité légitime, pour en usurper une qui serait anticonstitutionnelle. Il faut obtenir, dans l’ordre de la justice distributive, que leur service produise tous les avantages que la nation a droit d’en attendre. Sous le rapport de la finance, il est important qu’ils ne grèvent pas le Trésor public d’une dépense trop considérable. Enfin, sous le rapport de l’égalité constitutionnelle qui, suivant l’esprit de la nouvelle division du royaume, doit exister entre tous les départements, il serait bien désirable que chacun possédât son établissement judiciaire complet, comme il a son établissement administratif. C’est sous ces quatre points de vue que je vais examiner les deux système proposés d’une cour de vingt juges par trois ou quatre départements, et d’un tribunal d’appel en chaque département, composé de deux sections, l’une sédentaire et l’autre ambulante, comme j’ai eu l’honneur de vous l’expliquer dans mon second discours. 1. Le dernier système me paraît mériter une grande préférence dans l’ordre politique. C’est toujours le sentiment de la force qui produit l’insubordination d’abord, et bientôt après les usurpations de pouvoir. Il faut donc éviter dans fa composition des nouveaux tribunaux d’appel tout ce qui pourrait ou lés rendre puissants, ou leur inspirer cette présomption. N’admettons ainsi ni des corporations trop considérables, dont la force est toujours en proportion du nombre de leurs membres, ni des associations permanentes, dont V esprit de corps est le produit inévitable, ni une trop grande étendue des ressorts territoriaux qui déterminent le degré d’influence des tribunaux qui les dominent. Des cours supérieures de vingt juges toujours réunis, et tenant sous leur autorité le territoire et la population de quatre départements, présentent des corporations qui, sans être aussi formidables que celles que la Constitution vient d’anéantir, peuvent cependant donner encore quelques inquiétudes. Chacune d’elles est assez nombreuse pour qu’il s’y forme un esprit de corps oppressif pour les justiciables ; et si plusieurs d’entr’elles renouvelaient, dans les circonstances difficiles, ce système de confédération dont les parlements ont donné l’exemple, qui peut savoir jusqu’à quel point elles pourraient troubler la tranquillité publique? (1) Le Moniteur ne donne qn’une analyse du discours de M. Thouret. 360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mai 1790.] Un tribunal en chaque département, composé de peu de juges, parce que son ressort est petit, divisé en deux sections, dont une seule est sédentaire, et dont l’autre, faisant le service dans quatre départements, n’est attachée exclusivement à aucun, dissipe complètement toutes ces alarmes. Il n’y a là ni corporation inquiétante, ni association permanente, ni force matérielle par le nombre, ni force morale par l’esprit de corps. L’intervention périodique de la section ambulante dérange ou rectifie saüs cesse les vues et les affections particulières de la section permanente, et la première, associée transitoirement à des collègues différents dans les lieux divers, est toujours préservée de la contagion du préjugé local et de l’esprit particulier. II. Cette organisation du tribunal d’appel offre encore de grands avantages dans l’ordre de la justice distributive. Jusqu’àprésent un des plus graves inconvénients de l’appel était la trop grande distance où les cours se trouvaient de la plus nombreuse partie de leurs justiciables. Pouvons-nous nous dissimuler que cette aggravation ne serait qu’adoucie, et non entièrement sauvée, par l’établissement d’une seule cour pour quatre départements? Il serait impossible de trouver partout une ville située exactement au centre des quatre départements, et la nécessité géographique établirait en plusieurs endroits un éloignement de 25 à 30 lieues de différents points du ressort au chef-lieu d’une cour. Cet éloignement serait très à charge aux citoyens peu aisés que la suppression de la présidialité obligerait de plaider à la cour supérieure pour des causes d’un médiocre intérêt. La justice d’appel ne sera donc véritablement rapprochée des justiciables que lorsqu’ils ne seront pas obligés d’aller la chercher hors des limites de leur département ; et cela devient surtout indubitable, si l’Assemblée retranche, comme beaucoup de membres en ont marqué le désir, le degré intermédiaire du tribunal de département proposé par le comité. La mesure territoriale des départements a été calculée sur la distance quia été jugée convenable aux besoins et à la commodité des administrés. Il serait difficile d’expliquer comment une autre mesure pourrait convenir à leurs besoins et à leur commodité dans l’ordre judiciaire. Mais s’il est évident que le principe déjà adopté et les mêmes motifs de bien public toujours subsistants, commandent l’établissement d’un tribunal d’appel en chaque département ; il ne l’est pas moins que la combinaison que j’ai proposée est la seule praticable pour éviter l’énorme dépense qu’occasionneraient quatre-vingt-trois cours supérieures, si elles étaient permanentes, et tenues au complet pendant toute l’année. La division de chaque tribunal d’appel en deux sections produira cet autre avantage, que l’utilité particulière des assises se trouvera réunie à celle des tribunaux permanents. La section sédentaire fera un service continu qui pourvoira à tous les cas urgents; elle fournira des juges studieux et appliqués qui prépareront avec maturité le rapport des affaires. La section ambulante se réunissant à la précédente au temps des assises, rendra le tribunal plus imposant, sans offrir le danger d’une grande corporation permanente. Elle assurera davantage l’impartialité des jugements, en apportant en chaque département un esprit exempt de toute prévention locale. Soit que l’on considère la sûreté de l’ordre politique, soit que l’on s’attache à la bonne administration de la justice privée, il me semble qu’aucune autre organisation ne réunit autant de bons effets, et ne sauve mieux tous les inconvénients. L’ambulance ainsi réduite au seul degré de l’appel, et à une partie seulement des juges d’appel, ne peut plus être combattue par les objections qui avaient tant de poids contre le système de n’établir qu’une justice ambulatoire dans toutes les parties de l’ordre judiciaire. Vous avez décrété des tribunaux permanents, et un service continu pour la juridiction au premier degré. Les tribunaux d’appel seront encore permanents, et le service n’y sera jamais interrompu pour tout ce qui requiert célérité. L’intermittence de ce service et la périodicité des sessions d’assises n’auront lieu que pour le jugement des affaires qui sont susceptibles de ce régime sans inconvénients. Enfin, le nombre des juges ambulants sera très peu considérable; il deviendra facile de remplir convenablement ces places, et d’y attacher un traitement qui soutienne avec décence l’état de ceux qui y seront appelés. Craindrait-on que le tribunal, tel que je l’ai proposé, ne fût pas assez nombreux pour garantir la bonté de ses jugements ? Trois juges, hors le temps des assises , jugeront, à l’audience, les affaires provisoires et les incidents d’instruction. Cinq juges, aux sessions d’assises , jugeront le fond des appels sur le rapport d’un sixième. Ce tribunal est suffisant, car les bons jugements dépendent moins du nombre que de la capacité et de la propriété de ceux qui les rendent ; pour les obtenir il ne suffit pas d’avoir quelques bons juges, il faut n’en avoir que de tels, et pour cela, il faut en avoir peu. Plus il y a déjugés, plus il y a de chances contre la justice ; parce que plusily ad’hommes, plus il y a de chances pour l’erreur. C’est le plus petit nombre qui a reçu de la nature les qualités propres à la difficile fonction déjuger. Que font à côté de ceux-ci, des hommes qui n’ont pas ces qualités ? S’il se laissent guider par eux, il sont nuis personnellement ; s’ils les contrarient, ils détruisent la justice. III. L’économie dans les frais d’établissement judiciaire est un troisième rapport, sous lequel les tribunaux de département en deux sections sont préférables aux cours de vingt juges pour trois ou quatre départements. En examinant les convenances locales, on demeure convaincu, que dans plusieurs endroits du royaume, il serait indispensable de réduire à trois départements le ressort d’une cour de vingt juges. L’Assemblée peut regarder comme constant que, si elle adopte ces cours, elle sera forcée d’en établir au moins vingt-cinq, qui exigeront cinq cen ts juges. Suivant l’autre plan, il y aurait quatre-vingt-trois tribunaux de département, qui, à raison de la section sédentaire de trois juges pour chacun, emploieront deux cent quarante-neuf juges; plus soixante-trois pour les vingt et une sections ambulantes, àraison d’une pour quatre départements; en tout, trois cent-douze juges. Il y aurait ainsi, par ce dernier plan, une réduction de deux cinquièmes des juges pour le degré de l’appel. La même réduction de deux cinquièmes se trouverait aussi pour le premier degré, en ne mettant que trois juges, que je crois être très suffisants, au lieu de cinq dans les tribunaux de district. Ajoutez la suppression des cinq juges que le comité avait proposés pour former ie tribunal intermédiaire de chaque département; il arriverait ainsique la dépense de l’établissement judiciaire, que le comité avait calculée entre 9 à 10 millions, se trouveraient abaissée à environ 7 millions. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 mai 1790.] 361 La considération de cette économie serait nulle, sans doute, si elle ne pouvait être obtenue qu’en nuisant à la bonté du service; mais puisque les objets qui doivent la produire sont sollicités en même temps par l’intérêt public, et se trouvent avantageux à la constitution de l’ordre judiciaire, nous serions doublement inexcusables de n’y pas donner toute notre attention. IV. Enfin, Messieurs, comme il y a une unité d’esprit et d’objet dans les principes de notre constitution, il doit y avoir uniformité de procédé dans les différentes parties dont elle se compose. Rappelons-nous que dans nos discussions sur la nouvelle division du royaume, nous remarquions, parmi les abus des divisions anciennes’ celui de leur diversité pour les différentes espèces de pouvoirs , en ce que la division établie pour l’administration était autre que celle adoptée pour la justice, et qu’aucune des deux ne servait encore ni pour le gouvernement militaire, ni pour le régime ecclésiastique. Rappelons-nous aussi, qu’après avoir été frappés, surtout par cette raison, de la nécessité d’une nouvelle division, nous l’avons combinée, toujours dans le même esprit, de manière à rendre praticables, dans chaque département, des établissements uniformes et complets dans tous les genres de pouvoirs. La réalisation de ce grand dessein est intéressante pour unir dans notre constitution, à la sublimité du fond, l’excellence et la régularité de la forme. Ce ne sera pas d’ailleurs une vaine décoration; c’est par là que tous les départements, créés égaux, seront traités également dans l’ordre judiciaire, comme ils le sont dans l’ordre administratif; c’est par laque vous préviendrez les mouvements d’envie et d’indisposition qui s’élèveraient contre celui qui posséderait dans son sein une des cours supérieures, de la part de ceux qui s’en verraient privés ; c’est par là que vous éviterez à tous le débat fâcheux qui ne manquerait pas de les agiter et de les diviser, si vous n’aviez qu’une seule cour à distribuer pour quatre. Il est facile, Messieurs, d’analyser les principaux avantages que le projet d’un tribunal d’appel en deux sections dans chaque département vous présente. Désirez-vous l’organisation la plus simple, et qui emploie le moins déjugés? Ce projet vous la donne. Cherchez-vous l’institution la moins coûteuse? Vous la trouvez dans ce plan. Voulez-vous éviter le danger des grandes corporations judiciaires et de l’association permanente des juges qui la composent? Nulle autre combinaison ne vous en garantit avec autant de sûreté. Aspirez-vous à rendre la justice d’appel la plus expéditive, la plus rapprochée des justiciables, la plus impartiale, et la moins exposée qu’il soit possible à la séduction des impressions et des affections locales? C’est par ce pian, mieux que que par tout autre, que vous remplirez toutes ces vues si essentielles pour la bonté du service judiciaire. Votre intention n’est-elle pas enfin de maintenir l’unité des bases constitutionnelles, de remplir le grand objet de la nouvelle division du royaume, et de faire jouir également toutes les sections de la nation, des avantages qui leur ont été promis? La réunion de plusieurs départements sous une même cour détruirait cette intention qui ne peut être remplie que pour l’institution d’un tribunal d’appel en chaque département; mais un tribunal en chaque département ne peut pas être composé sans une surcharge de dépense énorme, de tous juges permanents. Je conclus à ce que l’Assemblée nationale décrète que pour rendre la justice par appel, il y aura un tribunal supérieur en chaque département, composé de deux sections , l'une sédentaire , et l'autre ambulante. M. Prugnou. Un ancien disait que le Jupiter olympien de Phidias... [Un mouvement de l'Assemblée empêche d'entendre le reste de la phrase.) Il faut que le monument que vous allez élever, également auguste et sage, attire le respect des hommes pour la justice. Si la religion est la chaîne qui lie les hommes au ciel, la justice est la chaîne qui lie les hommes aux hommes... Les tribunaux seront-ils sédentaires? Cette question ne devrait pas faire une question. On connaît la réponse de cette femme qui vint demander à un juge de lui faire retrouver son troupeau, qu’on lui avait volé pendant qu’elle dormait. Le juge lui dit : Vous dormiez donc d’un sommeil bien profond? Oui, répondit cette femme; je croyais que la justice veillait sur moi. Là où il n’y a point de juges, il n’y a point de justice qui veille. Ainsi la permanence, en cause d’appel, est nécessaire.. L’ambulance dégrade la dignité de juge; elle est contraire à l’économie du temps et à celle de l’argent. Il n’y a qu’un pas du mépris du juge au mépris delà justice. La justice est une espèce de Providence : on l’a senti. On a fait du tribunal un sanctuaire, parce qu’on a voulu que là où il y a delà justice, il y eût un temple. Les juges arriveront donc comme des postillons ; ils paraîtront comme des charlatans. Le juge ne doit connaître que l’audience et son cabinet, que le travail après le travail : il ne connaîtra que la course après la course ; les grands chemins les retiendront bien plus longtemps que les grandes causes, le livre des postes sera le plus souvent our les juges le livre des lois. Il faudra de onnes voitures pour conduire la déesse... La justice doit être expéditive; tout le monde en convient : avec des juges ambulants, elle serait à longue échéance... Locke, d’Aguesseau, Montesquieu et L’Hôpital, s’ils étaient de votre comité de constitution et qu’on voulût qu’ils réformassent tout, donneraient bien vite leur démission. On a comparé notre code au Louvre, qui offre de l’architecture de tous les siècles ; mais aussi vous y voyez une belle colonnade. Vous avez aussi, dans votre code, une belle colonnade qu’il faut respecter; il le faut, et vous ne pouvez pas faire autrement, parce que vous n’avez pas une nouvelle fabrique d’hommes. Vous avez en ce moment non l’homme de la nature, mais l’homme de l’homme; régénérez donc l’homme. Des hommes que je respecte, mais qui, comme des géomètres, voient des lignes sans étendue, des points sans surface, ont proposé des plans... M. le Dauphin disait à l’évêque de Verdun, en lui montrant le plan d’un édifice : « Savez-vous ce qu’il y a de beau dans ce palais ? c’est que jamais il ne sera bâti qu’en idée.» J’espère qu’on en pourra dire autant des plans qui vous sont proposés. M. Terrais, député du Roussillon , rappelle les usages et les franchises de sa province, et demande dans chaque département un tribunal avec des juges sédentaires. M. Tronelset. Je crois devoir ramener la dis- 3g2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790. cussion mise à la seule question de l’ordre du jour. Les juges du tribunal d’appel seront-ils sédentaires? Examinons d’abord lé but direct de toute organisation judiciaire, et ses rapports avec la qualité du juge. Il se présente quatre conditions absolument nécessaires : il faut que la justice soit d’un abord facile, qu’elle soit expéditive et peu dispendieuse; enfin, il faut qu’elle soit éclairée, et, si j’ose m’exprimer ainsi, il faut que la justice soit juste. On n'a pas besoin d’être près de son juge; la plupart des plaideurs ne viennent pas dans le iieu du tribunal, ou bien iis y viennent pour faire des sollicitations qui sont une véritable séduction. Pour rendre facile l’abord de la justice, il n’est pas indispensable d’avoir des assises. Sans doute, il convient que la justice soit briève, mais il ne faut pas qu’elle soit trop hâtive ; il est souvent nécessaire d’accorder des délais aux parties. Toutes les affaires d’un tribunal ne sont pas toujours prêtes. On juge un procès pendant que l’autre s’instruit. Avec des assises, celui qui pourrait être prêt quinze jours après le départ des juges sera renvoyé à l’année suivante. Vous ne préviendrez pas cet inconvénient par des jugements provisoires; vous ferez péricliter mes droits par un délai, pendant lequel mon débiteur deviendra insolvable. La justice ne sera donc pas plus prompte. Sera-t-elle moins dispendieuse? Il faut sans doute soustraire les plaideurs à l’avidité des avocats et des procureurs, qui s’abreuvent du plus pur de leur sang. Les assises ne remédieront pas à ces abus : la réforme du code peut seul les détruire. C’est l’intégrité, ce sont les lumières du juge qui peuvent conduire à une bonne justice. Si le juge n’est point intègre, vous aurez beau le faire changer de lieu ; la séduction, qui saura pouvoir l’atteindre, le suivra au galop. Il faut aux juges des lumières extérieures, des lumières personnelles et des qualités morales. Les lumières extérieures tiennent à l’instruction de l’affaire. Vous concevez que si l’appel a lieu dans le même endroit où la première instance a été intentée, si les défenseurs ont mal instruit, ils instruiront mal encore. L’appel deviendra donc un bénéfice inutile. Quant aux lumières personnelles, l’étude est un magasin ; mais il est des cas nouveaux où le juge le plus instruit est obligé de consulter les livres. Mais, qu’ai-je dit, les livres? on prétend qu’il faut les brûler, qu’il faut livrer au feu tous ces gros in-folio qui garnissent nos bibliothèques. Heureusement pour nos libraires, que l’on n’a pas dit qu’il fallait livrer aux flammes les livres d’histoire, de science et de littérature. Quant à ceux que vous avez rendus inutiles, j’en ferais volontiers le sacrifice; mais je demande grâce pour quelques autres, parce que je leur dois le peu que je vaux. Je n’aurai jamais de confiance dans un juge qui viendra décider de ma fortune en portant toute sa science en croupe sur son cheval. Considérons maintenant la question sous son rapport avec l’ordre politique. Voici à quoi se réduisent tontes les objections : si vous faites des tribunaux souverains sédentaires, ce seront des parlements, et vous n’en voulez pas. Je n’en veux pas plus que vous; mais des tribunaux sédentaires, tels que je les conçois, ne ressembleront pas à des parlements : les causes qui ramèneraient cette ressemblance ne peuvent plus exister, puisque ces causes sont l’origine des parlements, la qualité des personnes, l’influence de ces tribunaux dans la législation, et leur autorité sur les tribunaux subalternes. Quant aux trois premières causes, l’impossibilité de leur réexistence me parait démontrée; j’observerai seulement, à l’égard de la quatrième, que les j«ges des cours n’auront pas de supériorité sur les autres juges : c’est le hasard de l’élection qui fera parvenir à tel ou tel tribunal. Il y aura aussi de grands obstacles à toute entreprise dangereuse : la résistance à l’oppression, autorisée par la Déclaration des droits et la présence perpétuelle de la législature. Je conclus à ce que les tribunaux d’appel soient sédentaires. (On demande que la discussion soit fermée.) La manière de poser la question au fond donne iieu à quelques débats. — L’Assemblée ne délibère pas, et continue la discussion à demain. La séance est levée à trois heures. . ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’àBBÉ GOUTTES. Séance du lundi 3 mai 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le comte de Crillon, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Ce procès-verbal est adopté. M. le comte de Mazancourt, suppléant de M. le comte de Barbançon, démissionnaire, est admis à la place de ce dernier, en qualité de député de Villers-Cotterets, et prête le serment civique. M. Merlin, membre du comité féodal, donne lecture de la série entière des articles précédemment adoptés sur le mode et le taux du rachat des droits féodaux. Dans le cours de cette lecture, le rapporteur propose, à l’égard du 14e article, la modification suivante : Après les mots ; s'il n’y en a pas dans le lieu , terminer l’article par un paragraphe ainsi conçu : « Pour former l’année commune, on prendra les quatorze années antérieures à l’époque du rachat; on en retranchera les deux plus fortes et les deux, plus faibles; et l’année commune sera formée sur les dix années restantes. » (Ce changement, mis aux voix, est adopté par l’Assemblée.) M. Tronchet, autre membre du comité féodal . Un grand nombre d’articles additionnels vous ont été présentés, mais ils n’offrent pas assez d’intérêt pour faire la matière d’une délibération ; nous nous bornons à vous proposer trois articles nouveaux qui nous paraissent nécessaires pour compléter la loi du rachat des droits féodaux. En conséquence, je demande que vous placiez à la suite de l’article 35 de la série qui vient d’être lue, un article relatif à une disposition particulière de la coutume du grand Perche, dans les termes suivants : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .