SÉANCE DU 21 THERMIDOR AN II (8 AOÛT 1794) - N° 27 351 seraient assimilés aux représentans du peuple s’ils ne pouvoient être traduits au tribunal révolutionnaire que par un décret de la Convention. MERLIN [de Douai] demande qu’on assimile les généraux de brigade aux généraux en chef, puisqu’ils ont quelquefois des commande-mens aussi importans. L’amendement de MERLIN est adopté sans réclamation, et l’article [XXVI] est maintenu tel qu’il avoit été proposé par le rapporteur]. Art. XXVI. Les membres et adjoints des commissions exécutives, les généraux en chef, ceux de division et les généraux de brigade ne pourront être traduits au tribunal révolutionnaire que par un ordre de la Convention nationale, ou par un arrêté des comités de salut public et de sûreté générale réunis. BREARD demande qu’il soit ajouté : à la charge de rendre compte à la Convention, dans le plus court délai, des motifs de l’arrestation et de la traduction au tribunal (1). Un membre demande l’ordre du jour motivé sur la déclaration des droits de l’homme. La discussion est fermée, et la Convention nationale rend le décret suivant : Sur la proposition faite par un membre, que nul ne pourra être traduit au tribunal révolutionnaire pour des faits antérieurs aux lois qui les ont prohibés et leur ont infligé des peines, la Convention nationale, considérant que par l’article XIV de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, nul ne doit être jugé et puni qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement au délit; que la loi qui puniroit des délits commis avant qu’elle existât, seroit une tyrannie, et que l’effet rétroactif donné à la loi seroit un crime : déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer (2). Les titres I, II, III, IV du projet de loi pour l’organisation du tribunal révolutionnaire, sont décrétés : la discussion du surplus est ajournée à demain (3). 27 [BARÈRE parroît à la tribune, et l’on voit aussitôt flotter à la barre plusieurs drapeaux, signes éclatans des nouveaux succès dont il avoit à rendre compte]. [Vifs applaudissments] (4). Un membre [BARÈRE], au nom du comité de salut public, rend compte des nouvelles officielles arrivées de l’armée des Pyrénées-occidentales. Il fait lecture des lettres (1) J. Paris, nos 586 et 587; Audit, nat., n° 684; Ann. patr., n° DLXXXV; C. Eg„ n° 720; J. Perlet, nos 685 et 687; ME, XLII, 349-350; 361-362; J. Sablier (du soir), n° 1487; J. Fr., nos 683, 684, 685; Ann. R.F., nos 251, 252; J.S.-Culottes, nos 540, 541, 542; J. Mont., n° 101; F.S.P., nos 400, 401. (2) P.-V., XLIII, 119. Décret n° 10 317. Rapporteur: Le-cointre de Versailles. (3) P.-V., XLIII, 119. (4) Rép., n° 231. des représentans du peuple près cette armée, et du général. Il en résulte que la terrible redoute de Saint-Martial, et toutes celles qui en dépendoient, au nombre de 48, le fort de Figuier, et enfin Fontarabie sont au pouvoir de la République, et lui ont acquis dans la journée du 14 de ce mois 200 bouches à feu, des tentes pour 15 à 20 000 hommes, 2 000 prisonniers, 6 à 7 000 fusils, des magasins considérables en subsistances et effets militaires. Le rapporteur donne lecture de toutes les pièces officielles et de la capitulation de Fontarabie. Ce rapport est souvent interrompu par les plus vifs applaudissemens. L’assemblée, à la nouvelle de la prise de Fontarabie, se lève toute entière aux cris répétés de vive la République (1) ! BARÈRE : Citoyens, vous avez vu naguère comparaître à votre barre les drapeaux des esclaves de Londres, d’Amsterdam, de Vienne et de Berlin. Aujourd’hui le courage de l’armée de l’Occident vous envoie les drapeaux du tyran de Madrid. Il n’y a qu’un instant l’armée des Pyrénées-Orientales faisait mettre bas les armes à 7 000 Espagnols qui signaient une capitulation honteuse et digne d’esclaves. Dans ce moment l’armée des Pyrénées-Occidentales a vaincu les hordes espagnoles; un petit nombre de républicains a fait capituler, au nom de la République, une garnison trois fois plus considérable, et retranchée dans des fortifications fameuses. Ainsi, tandis que les armées républicaines soumettent la Flandre, s’emparent de la Belgique, abaissent la Hollande, resserrent le royaume du roitelet de Sardaigne, font trembler l’Italie, rendent captives les troupes d’Autriche, font fuir les soldats de la Prusse, s’emparent du Palatinat et des bords du Rhin, ruinent les électeurs de l’Empire, et menacent l’Angleterre, une armée, que sa tardive organisation n’empêche plus d’égaler les armées les plus formidables de la République vient de se signaler par l’entreprise la plus hardie, et frapper l’Espagne dans l’endroit le plus sensible et dans la partie la mieux fortifiée par l’art et par la nature. Vous ne pouvez l’oublier, citoyens, le tyran de la Castille menaçait à la fois, il y a une année, Perpignan et Bayonne; la première de ces places était trahie, et la seconde était indéfendue. Des armées désorganisées ou incomplètes étaient notre seule défense dans les Pyrénées. Les vainqueurs de Toulon sont venus, et les Pyrénées-Orientales se sont élevées à la hauteur de la gloire des autres armées de la République. L’armée des Pyrénées-Occidentales s’est formée dans le silence, s’est organisée en combattant, s’est électrisée par l’exemple de ses émules : elle avait des positions difficiles à garder, des obstacles insurmontables à faire disparaître, des troupes à fournir à la Vendée et à Perpignan, des redoutes multipliées à (1) P.-V., XLIII, 119. 352 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE renverser, une rivière à passer presque sans moyens, des rochers et des canons à combattre presque à chaque pas, et des villes fortifiées au milieu des montagnes à faire capituler et à emporter d’assaut. Aucun de ces obstacles ne l’a arrêtée; elle a entendu la voix de la Convention nationale, qui publiait les exploits des autres armées, et elle s’est dit : « Et moi aussi je vaincrai les troupes du tyran qui nous insulte ». Je viens vous apprendre qu’elle les a vaincues. Une partie des Espagnols est restée sur le champ de bataille; une autre a pris la fuite, en jetant ses armes et en abandonnant ses magasins; une autre a honteusement capitulé; et nos troupes sont réduites, après cette action honorable, à chercher inutilement l’armée espagnole, qui paraît s’être vouée à Saint-Sébastien, où les Français la poursuivent. Citoyens, c’est par vous, c’est par vos décrets de bien mériter de la patrie, c’est surtout par votre exemple qu’il existe dans toutes nos armées une émulation de gloire et un amour de la patrie supérieurs à tous les dangers, accélérateurs des événements de la révolution et conducteurs de la victoire. Vous allez en juger par des faits que l’histoire tracera d’une manière remarquable dans les annales de la République. Je vous rapportais, il y a deux jours, les événements militaires de l’armée des Pyrénées-Occidentales, arrivés le 6 et le 7 thermidor. Vous vous rappelez l’emparement de la belle vallée de Bastan, la prise du fort Maya, du camp de Bera : ce n’était là que le prélude d’une plus grande victoire : le plan d’attaque était décisif et d’une exécution aussi difficile que dangereuse. Il s’agissait d’attaquer, le 14 de ce mois, dans la matinée, une montagne couverte de canons et de troupes, une montagne qui s’élève de la rivière de la Bidassoa, et qui était défendue par 30 redoutes formidables, appelées les redoutes de Saint-Martial et d’Irun. Il était audacieux, il était républicain, le projet d’attaquer à la fois cet amphithéâtre d’artillerie, ces redoutes et ces troupes espagnoles, qui se portaient au nombre de 14 à 15 000. Deux colonnes avaient ordre de passer par la montagne de Haya, de se réunir derrière la montagne appelée des Quatre-Couronnes; mais l’intempérie des saisons, que les républicains ne calculent plus dans les chances militaires, un brouillard épais, les a empêchées d’avancer et de remplir l’objet de leur marche. L’Espagnol, posté sur la montagne de canons, va donc triompher; ils sont 15 000; il ne reste plus pour les attaquer que 6 000 Français, et ils ont une rivière profonde à passer, et une pluie de boulets et de balles à éviter. Vous doutez peut-être du succès. La destinée de la République est supérieure aux troupes et à l’artillerie des rois. Déjà, avant de savoir si les deux colonnes avaient secondé l’attaque par derrière la montagne des Quatre Couronnes, 8 compagnies de grenadiers, commandées par Grangé, avaient passé l’eau, et ils en étaient venus aux mains avec les soldats de l’Inquisition. Les grenadiers ont fait des prodiges de valeur. Frégeville apprend la stagnation des deux colonnes : il n’en est que plus décidé à suivre l’attaque commencée. Il fait passer l’eau aux troupes qu’il commande; l’attaque des redoutes est générale; la poudre est économisée; le pas de charge est battu, et dans moins de deux heures l’arme inventée dans Bayonne se rend maîtresse des redoutes. Les Espagnols n’ont d’autre ressource que la fuite en voyant comme on défend la liberté. Une partie périt sur les canons; la majeure partie jette les armes et prend la fuite. Ils ont fait présent à la République, par cette belle retraite un peu forcée, de magasins immenses, de 2 000 fusils, de tentes pour 25 000 hommes, de fer, de boulets et de munitions immenses. Ils ont aussi le même jour abandonné à la France 6 drapeaux, 200 canons ou obusiers, presque tous de bronze. Ce don magnifique d’artillerie est accompagné de 2 000 prisonniers, dans lesquels sont deux régiments entiers qui ont mis bas les armes. Brigands couronnés de l’Europe, voilà donc les braves défenseurs de la royauté, et les puissances co-partageantes du territoire français ! Quand est-ce que les peuples qui se laissent vendre et dévorer par vous sortiront de leur sommeil et cesseront d’arroser la terre de leur sang, pour cinq ou six familles dévorantes qui savent à peine se gouverner elles-mêmes ! L’histoire de cette guerre est utile à tracer pour l’Europe, et elle devient la leçon des peuples et le jugement dernier des rois. L’Espagne surtout, dont le gouvernement avait cj quelque sagesse par sa lenteur et sa nullité, apprendra sans doute dans les deux extrémités des Pyrénées ce qu’il en coûte d’attaquer une République puissante et de s’allier à l’Angleterre perfide. Tandis que vous célébrez un aussi beau triomphe remporté par l’armée des Pyrénées-Occidentales, apprenez que le soir de la bataille, les représentants du peuple ont lu aux troupes victorieuses les détails de la bataille politique que vous avez remportée sur les trois tyrans que nous venons de renverser. Les soldats se joignent aux législateurs pour applaudir à tous les nouveaux succès de la République. (Vifs applaudissements). Une armée de Français, disent-ils, ne peut appartenir qu’à la République; celle qui combat et hait les tyrans, celle qui a un respect et un attachement profond pour la Convention nationale, ne sera jamais l’armée d’un dictateur, et chaque soldat est le magistrat né de sa patrie pour poignarder un tyran, quels que soient ses talents et ses services. Si les Romains avaient pu compter de tels républicains dans leurs légions maîtresses du monde, César n’eût pas passé le Rubicon, et les douze tyrans n’auraient eu ni l’histoire à déshonorer, ni des crimes à commettre. Voici la lettre des représentants du peuple près cette armée. [Les représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Occidentales aux représentants du peuple composant le comité de salut public]. Fontarabie, ville espagnole, le 15 thermidor, l’an 2e de la République une et indivisible. 352 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE renverser, une rivière à passer presque sans moyens, des rochers et des canons à combattre presque à chaque pas, et des villes fortifiées au milieu des montagnes à faire capituler et à emporter d’assaut. Aucun de ces obstacles ne l’a arrêtée; elle a entendu la voix de la Convention nationale, qui publiait les exploits des autres armées, et elle s’est dit : « Et moi aussi je vaincrai les troupes du tyran qui nous insulte ». Je viens vous apprendre qu’elle les a vaincues. Une partie des Espagnols est restée sur le champ de bataille; une autre a pris la fuite, en jetant ses armes et en abandonnant ses magasins; une autre a honteusement capitulé; et nos troupes sont réduites, après cette action honorable, à chercher inutilement l’armée espagnole, qui paraît s’être vouée à Saint-Sébastien, où les Français la poursuivent. Citoyens, c’est par vous, c’est par vos décrets de bien mériter de la patrie, c’est surtout par votre exemple qu’il existe dans toutes nos armées une émulation de gloire et un amour de la patrie supérieurs à tous les dangers, accélérateurs des événements de la révolution et conducteurs de la victoire. Vous allez en juger par des faits que l’histoire tracera d’une manière remarquable dans les annales de la République. Je vous rapportais, il y a deux jours, les événements militaires de l’armée des Pyrénées-Occidentales, arrivés le 6 et le 7 thermidor. Vous vous rappelez l’emparement de la belle vallée de Bastan, la prise du fort Maya, du camp de Bera : ce n’était là que le prélude d’une plus grande victoire : le plan d’attaque était décisif et d’une exécution aussi difficile que dangereuse. Il s’agissait d’attaquer, le 14 de ce mois, dans la matinée, une montagne couverte de canons et de troupes, une montagne qui s’élève de la rivière de la Bidassoa, et qui était défendue par 30 redoutes formidables, appelées les redoutes de Saint-Martial et d’Irun. Il était audacieux, il était républicain, le projet d’attaquer à la fois cet amphithéâtre d’artillerie, ces redoutes et ces troupes espagnoles, qui se portaient au nombre de 14 à 15 000. Deux colonnes avaient ordre de passer par la montagne de Haya, de se réunir derrière la montagne appelée des Quatre-Couronnes; mais l’intempérie des saisons, que les républicains ne calculent plus dans les chances militaires, un brouillard épais, les a empêchées d’avancer et de remplir l’objet de leur marche. L’Espagnol, posté sur la montagne de canons, va donc triompher; ils sont 15 000; il ne reste plus pour les attaquer que 6 000 Français, et ils ont une rivière profonde à passer, et une pluie de boulets et de balles à éviter. Vous doutez peut-être du succès. La destinée de la République est supérieure aux troupes et à l’artillerie des rois. Déjà, avant de savoir si les deux colonnes avaient secondé l’attaque par derrière la montagne des Quatre Couronnes, 8 compagnies de grenadiers, commandées par Grangé, avaient passé l’eau, et ils en étaient venus aux mains avec les soldats de l’Inquisition. Les grenadiers ont fait des prodiges de valeur. Frégeville apprend la stagnation des deux colonnes : il n’en est que plus décidé à suivre l’attaque commencée. Il fait passer l’eau aux troupes qu’il commande; l’attaque des redoutes est générale; la poudre est économisée; le pas de charge est battu, et dans moins de deux heures l’arme inventée dans Bayonne se rend maîtresse des redoutes. Les Espagnols n’ont d’autre ressource que la fuite en voyant comme on défend la liberté. Une partie périt sur les canons; la majeure partie jette les armes et prend la fuite. Ils ont fait présent à la République, par cette belle retraite un peu forcée, de magasins immenses, de 2 000 fusils, de tentes pour 25 000 hommes, de fer, de boulets et de munitions immenses. Ils ont aussi le même jour abandonné à la France 6 drapeaux, 200 canons ou obusiers, presque tous de bronze. Ce don magnifique d’artillerie est accompagné de 2 000 prisonniers, dans lesquels sont deux régiments entiers qui ont mis bas les armes. Brigands couronnés de l’Europe, voilà donc les braves défenseurs de la royauté, et les puissances co-partageantes du territoire français ! Quand est-ce que les peuples qui se laissent vendre et dévorer par vous sortiront de leur sommeil et cesseront d’arroser la terre de leur sang, pour cinq ou six familles dévorantes qui savent à peine se gouverner elles-mêmes ! L’histoire de cette guerre est utile à tracer pour l’Europe, et elle devient la leçon des peuples et le jugement dernier des rois. L’Espagne surtout, dont le gouvernement avait cj quelque sagesse par sa lenteur et sa nullité, apprendra sans doute dans les deux extrémités des Pyrénées ce qu’il en coûte d’attaquer une République puissante et de s’allier à l’Angleterre perfide. Tandis que vous célébrez un aussi beau triomphe remporté par l’armée des Pyrénées-Occidentales, apprenez que le soir de la bataille, les représentants du peuple ont lu aux troupes victorieuses les détails de la bataille politique que vous avez remportée sur les trois tyrans que nous venons de renverser. Les soldats se joignent aux législateurs pour applaudir à tous les nouveaux succès de la République. (Vifs applaudissements). Une armée de Français, disent-ils, ne peut appartenir qu’à la République; celle qui combat et hait les tyrans, celle qui a un respect et un attachement profond pour la Convention nationale, ne sera jamais l’armée d’un dictateur, et chaque soldat est le magistrat né de sa patrie pour poignarder un tyran, quels que soient ses talents et ses services. Si les Romains avaient pu compter de tels républicains dans leurs légions maîtresses du monde, César n’eût pas passé le Rubicon, et les douze tyrans n’auraient eu ni l’histoire à déshonorer, ni des crimes à commettre. Voici la lettre des représentants du peuple près cette armée. [Les représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Occidentales aux représentants du peuple composant le comité de salut public]. Fontarabie, ville espagnole, le 15 thermidor, l’an 2e de la République une et indivisible. SÉANCE DU 21 THERMIDOR AN II (8 AOÛT 1794) - N° 27 353 Nous reçûmes hier, à 4 heures du soir, chers collègues, votre lettre du 10 de ce mois, par laquelle vous nous instruisez que Robespierre, son frère, Couthon, Saint-Just et Lebas s’étaient placés au rang des conspirateurs et avaient médité la ruine du peuple qu’ils voulaient dominer. Soyez tranquilles, chers collègues, sur le compte de la brave armée des Pyrénées-Occidentales : elle n’appartient à aucun individu, elle est tout entière à la République et à la liberté. Les seuls sentiments qui l’animent sont l’amour de la patrie, la haine des tyrans et des dominateurs, le respect et l’attachement le plus absolu à la Convention. Une pareille armée ne sera jamais celle d’un dictateur, quels que soient ses talents et les services qu’il aurait pu rendre; et bien loin de combattre pour lui, elle le poignarderait. Ses vœux, les nôtres seront toujours pour que la Convention fasse une prompte et sévère justice de tous les traîtres. Il faut enfin que la terre de la liberté en soit purgée. Les généraux et les officiers penseront, nous l’espérons, comme les soldats. S’il en était quelques-uns qui voulussent profiter de cette circonstance pour occasionner des troubles, la justice prompte que nous en ferons aura bientôt déjoué les trames des malveillants, et l’ennemi ne tirera aucun avantage de cet événement, quelle que soit l’espérance dont il ait pu se flatter. S. et F. Cavaignac, Garrau. BARÈRE : Qu’il est beau ce langage d’une armée victorieuse, et qu’il est digne de la Convention de le faire imprimer pour l’envoyer aux départements et aux armées ! Il confirmera tout ce que les citoyens présument de leur courage et de leur fidélité; il apprendra aux tyrans et au duc d’York ce qu’ils peuvent espérer d’une nation de tyrannicides, et des armées qui écrivent sur le champ de bataille leurs témoignages d’attachement à la représentation nationale. Je n’ai pas encore raconté tous les succès de l’armée des Pyrénées-Occidentales; ' car je ne vous ai pas dit qu’une ville, fameuse par son siège sous le quatorzième Capet, une ville bien autrement fortifiée depuis cette époque, et qui coûta à Berwick 8 000 hommes et une longue attaque, a été prise en peu de temps par une partie de l’armée. Fontarabie, dont les fortifications semblaient devoir défendre longtemps les habitants et surtout la garnison dans des casemates très bien combinées, Fontarabie est au pouvoir de la République, et l’armée doit être dans ce moment maîtresse du fameux port du Passage. Ce succès a des détails trop singuliers pour être omis dans ce récit. Le soir du même jour, 14 thermidor, Garrau, représentant du peuple, marcha vers Fontarabie, avec 300 hommes, braves soldats. Lamar-que, adjoint à l’état-major, capitaine des grenadiers, celui-là même qui est dans ce moment, à votre barre, porteur des drapeaux espagnols, commandait cette troupe républicaine. Il prend un poste au-dessus de Fontarabie, après avoir essuyé une décharge à mitraille qui a tué trois soldats à côté de Garrau; celui-ci, maître de la hauteur, fait sommer Fontarabie de se rendre; Lamarque entre dans la ville en qualité de parlementaire, et menace de l’assaut si elle ne se rend pas dans quelques heures. Le conseil de guerre était assemblé; on y voyait deux Capucins, un curé, le commandant, le major de la place, le chef de l’artillerie et quelques officiers. Les Capucins insistent d’abord pour se défendre; ils invoquent Dieu et les saints de leur temple, et demandent aux habitants s’ils consentiront jamais à abandonner tant de biens pour les ennemis de la religion. Ils demandent 24 heures pour délibérer. Lamarque apporte la sommation suivante, et dit que les lois de la guerre les obligeront de passer aussi les Capucins au fil de l’épée, si la place ne se rend pas dans le délai fixé par le représentant du peuple. Voici la sommation : Copie de la sommation faite par le représentant du peuple Garrau au commandant de la place de Fontarabie Le commandant de la place de Fontarabie est sommé de la livrer à l’armée de la République : il ne lui est accordé que 6 minutes pour délibérer. Ce délai passé, il ne sera écouté aucune capitulation; la garnison et lui seront passés au fil de l’épée. De la redoute dite des Capucins, le 14 thermidor, l’an 2e de la République une et indivisible. Le représentant du peuple, signé GARRAU. Il y avait 800 Espagnols dans la place. La peur a présidé au conseil; les Capucins n’ont pas voulu essayer l’exécution des lois de la guerre, et Fontarabie s’est rendue à 6 heures et demi du soir. La capitulation est faite au nom de la République, en ces termes : Au nom de la République française, Nous, représentant du peuple français et général en chef de l’armée des Pyrénées-Occidentales, sur la demande faite par le commandant de la place de Fontarabie, de 24 heures pour se décider à la livrer à l’armée de la République, lui répondons que l’armée qui, par une suite de ses victoires, se trouve maîtresse de faire la loi à la ville dont le commandement lui est confié, ne lui accorde que jusqu’à cinq heures pour se rendre aux conditions suivantes : Art. 1er. La garnison sortira avec tous les honneurs de la guerre, déposera ses armes devant l’armée de la République, et sera prisonnière de guerre. IL Tous les magasins d’artillerie et autres bouches à feu, armes, munitions, etc., seront remis à la nation française, dans le même état où ils se trouveront dans le moment actuel. III. Il ne sera accordé aucun chariot couvert. Fait à Fontarabie, le 1er août 1794. Signé Vicente de LOS Reyer, commandant de la place; Muller, général en chef de l’armée de la République; Pinet aîné, Cavaignac, Garrau, représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Occidentales. Pour copie conforme à l’original : Signé Garrau, Cavaignac, Pinet aîné. 23 354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les représentants du peuple près l’armée des Pyrénées-Occidentales aux représentants du peuple membres du comité de salut public de la Convention nationale. Fontarabie, le 15 therm. II. Citoyens collègues, nos dernières dépêches vous ont porté la nouvelle des grands succès remportés sur l’Espagnol; nous venons aujourd’hui avec une bien vive satisfaction vous en annoncer de plus considérables encore. La terrible redoute de Saint-Martial et toutes celles qui en dépendaient, Irun, le fort du Figuier, et enfin Fontarabie, sont à la République; 200 bouches à feu, des tentes pour 15 à 20 000 hommes, 2 000 prisonniers, des munitions de guerre en abondance, 6 ou 7 000 fusils, des magasins considérables en subsistances et effets militaires, tels ont été les résultats de la journée d’hier, de cette belle journée si avantageuse à la République et si glorieuse pour la brave armée des Pyrénées-Occidentales. Voici, citoyens collègues, quelques détails rapides sur des succès incroyables pour qui n’en a pas été le spectateur. Notre dernière, datée de Lesaca, vous disait que les divisions réunies de Moncey et de Laborde allaient se mettre en marche pour tourner Saint-Martial, Irun, etc., en passant par la montagne de Haya, ou autrement des Qua-tre-Couronnes. Frégeville, général de la division de droite, devait, de son côté, passer à gué la Bidassoa au-dessous du rocher. Le but de ce plan était d’attaquer sur des points différents tous les retranchements de nos ennemis, de nous assurer par là un succès plus prompt, plus certain, de mettre les Espagnols entre deux feux, de leur couper la retraite, et de les empêcher d’enlever leur artillerie. Le 13 au matin, les deux colonnes de Moncey et d§ Laborde, auprès desquelles étaient Pinet et Cavaignac, s’ébranlèrent et arrivèrent à la vue de la montagne de Haya; mais le temps affreux qu’il fit la plus grande partie de ce jour-là, des brouillards qui empêchaient de s’apercevoir à quatre pas, ne permirent pas d’entreprendre de parvenir au sommet d’une montagne presque inaccessible, et défendue par 1 200 Catalans et Aragonais, les meilleures troupes de l’ennemi. L’attaque fut remise au lendemain. Le soir même, vers les 11 heures, l’armée se mit en marche sur 2 colonnes, et, après des difficultés infinies, parvint au pied de la montagne. Cette montagne terrible a deux chemins accessibles, ceux d’Irun et d’Oyarson : celui que nous prenions ne pouvait pas présenter l’aspect d’un chemin; la nature paraissait s’être plu à agglomérer là les obstacles pour rendre la montagne inabordable; mais les républicains ne connaissent point de difficultés insurmontables. Nos soldats, pour gravir, étaient obligés de passer l’un après l’autre, de se pousser et de se soutenir mutuellement, de s’accrocher aux rochers avec les pieds et les mains, et de se tenir suspendus au-dessus de précipices aussi affreux que profonds. Tels sont les obstacles contre lesquels ces braves militaires ont eu à lutter pendant 6 heures avant d’être parvenus à l’Espagnol. Avec 100 hommes, des pierres et du courage, l’ennemi nous faisait tous périr, et jamais le passage des Thermopyles n’offrit des difficultés pareilles à celles que nos troupes, harassées de fatigue, ont surmontées avec ardeur, avec gaîté, et avec le seul sentiment du désir de parvenir enfin à joindre son ennemi, qui, après les avoir fusillés quelque temps, étonné de tant d’audace, abandonna ses camps, près de 150 tentes, et s’enfuit du côté d’Oyarson. Dans le même instant où les divisions de Moncey et Laborde gravissaient le rocher pour joindre les Espagnols, celle de Frégeville, auprès de laquelle était Garrau, traversait la Bidassoa, avec de l’eau jusqu’à mi-corps, sous le feu croisé de 2 batteries ennemies. Nos soldats opposaient à cette artillerie formidable, vomissant la mort au milieu d’eux, l’ordre, le calme et l’intrépidité : cette manière de se présenter, le souvenir de ce qui s’était passé à Commissari, et cette ardeur héroïque avec laquelle nos soldats s’avançaient au milieu des boulets et des balles qui pleuvaient sur eux, intimidèrent l’Espagnol dans ses formidables retranchements. Dans le même instant il aperçut les divisions de Moncey et Laborde sur la sommité de la montagne de Haya, et allant le tourner par ses derrières; la tête acheva de lui tourner : il abandonna tous ses retranchements, dont il fit sauter une partie; il fuit de toutes parts, laissant son artillerie, ses munitions, ses magasins, à plusieurs desquels il mit le feu, et se retira du côté d’Hernani. Nos colonnes le poursuivirent vivement, et les divisions de Frégeville, de Moncey et de Laborde se réunirent à Oyarson. Sur le champ nous envoyâmes une sommation au commandant de Fontarabie pour rendre la place à l’armée de la République; il demanda 24 heures pour délibérer; nous lui en accordâmes 6, en le prévenant que, le délai expiré, le décret de la Convention nationale serait appliqué à la garnison et à lui. A 6 heures du soir la place nous fut rendue, et la garnison, forte d’environ 7 à 800 hommes, est prisonnière de guerre. Qu’ils viennent donc apprendre, ces célèbres généraux anciens et modernes, des soldats de la République l’art de battre les ennemis et de prendre leurs places ! Sous le despote Louis XIV, ce fameux Berwick ne prit Fontarabie qu’après y avoir sacrifié la plus grande partie d’une armée de vieux soldats, et au bout d’un temps infini; aujourd’hui la même place, dont les fortifications n’ont pas reçu un seul coup de canon, qui n’est pas même investie, et qui compte 60 bouches à feu en batterie, tombe devant l’attitude fière des jeunes enfants de la liberté, à la première sommation. Cinq drapeaux sont tombés en notre pouvoir; nous vous les envoyons par le jeune Lamarque, capitaine de grenadiers qui a donné des preuves d’intelligence et de courage dans la belle journée d’hier; il est chargé par nous de les présenter à la Convention, et de lui en faire hommage au nom de la brave armée des Pyrénées-Occidentales, qui désire ardemment voir ses trophées placés à côté de ceux des armées du Nord et du Midi. Nous en avons deux autres dans la vallée de SÉANCE DU 21 THERMIDOR AN II (8 AOÛT 1794) - N° 27 355 Bastan, que nous vous enverrons également. S. et F. Signé Garrau, Cavaignac, Pinet aîné. [Le général en chef de l’armée des Pyrénées-Occidentales au comité de salut public]. Au quartier général d’Irun, ce 15 therm. II Citoyens représentants, victoire ! victoire ! nos républicains sont des républicains. Nous avons hier attaqué l’ennemi, et il a été battu sur tous les points, comme je vous l’avais mandé; les colonnes qui avaient traversé la vallée de Bastan et emporté le camp de Bera se sont réunies derrière la montagne des Quatre-Cou-ronnes, mais, à cause d’un brouillard épais, ou, pour mieux dire, d’une nuit qui empêchait de rien discerner, elles n’ont pu avancer et remplir leur destination. J’en ai donné avis à Frégeville, qui, avec 6 000 hommes, devait attaquer de front; quand il lui est parvenu, 7 à 8 compagnies de grenadiers avaient passé l’eau et en étaient aux mains. Ge général aussitôt prit sa détermination, qui est le coup le plus hardi que peut-être on ait jamais entrepris; il a passé l’eau, et a attaqué, avec ses 6 000 hommes, 12 à 15 000 Espagnols retranchés et enfermés dans une trentaine de redoutes, qui, placées en amphithéâtre et croisant sur tous les points, semblaient inexpugnables. Tout a cédé aux efforts surnaturels de nos troupes : la baïonnette a tout emporté dans moins de 2 heures; tous les camps, toutes les redoutes, des magasins immenses, 10 à 12 000 fusils, des tentes au moins pour 25 000 hommes, 200 bouches à feu, 2 000 prisonniers, dans lesquels 2 régiments entiers, voilà le fruit de notre matinée. Ce n’est pas tout : Fontarabie s’est rendue vers les 6 heures du soir. Cette reddition si prompte est due à l’audacieuse témérité du représentant du peuple Garrau, qui, après avoir poursuivi l’ennemi sur la route d’Oyarson, s’est brusquement jeté, avec 300 hommes qui avaient à leur tête Lamarque, adjoint à l’état'-major, sur les chaussées qui conduisent à la place. Il s’est avancé au milieu de la mitraille jusqu’à portée du pistolet de la place, et, après avoir pris les positions sur les hauteurs, il a fièrement ordonné, avec 300 hommes, à 800 Espagnols, défendus par 50 bouches à feu, de se rendre dans 6 minutes, sous peine d’être passés au fil de l’épée. Le gouverneur, fatigué du bombardement qui avait détruit une garde partie de la ville, et effrayé de l’audace des assiégeants, s’est rendu prisonnier de guerre avec toute sa garnison. Vous ne sauriez vous peindre leur étonnement quand ils n’ont vu dans leurs vainqueurs que 300 républicains. L’adjoint Lamarque, qui est chargé de vous porter les drapeaux, et qui a été parlementaire avec le citoyen Nollet, capitaine au 1er régiment des hussards, vous étonnera à son récit. Les colonnes qui n’avaient pu nous joindre n’ont pas perdu leur temps; quand elles ont entendu le feu, elles se sont portées sur Oyar-son, après avoir fait une marche qui n’a pas d’exemple, et s’en sont emparées; elles doivent à présent être près du port du Passage, qui serait une bonne capture pour la République. Nous allons nous reconnaître, et chercher si nous pouvons trouver l’ennemi. S. et F. Muller, général en chef. [Garrau à Carnot, son ami et son collègue]. Fontarabie, le 15 therm. IL Quelle victoire, mon cher ami, que celle que nous venons de remporter sur les esclaves du tyran de Madrid ! Il m’est impossible de t’en donner les détails; je ne sais par où commencer; ils sont tous des plus intéressants; mais en voici le résultat : Trente redoutes hérissées de canons, fortifiées par l’art et par la nature, une ville de guerre dite pucelle, devant laquelle Berwick a failli perdre sa gloire et son armée, dix à douze mille hommes pour soutenir et défendre tous ces ouvrages, une rivière à passer sous des batteries nombreuses et supérieurement placées : eh bien, mon ami, tout cela a été pris et enlevé par 6 000 républicains dans l’espace de 10 à 12 heures. Les soldats de cette armée ne sont pas des hommes, mais des démons ou des dieux. Moi, chétif personnage, j’ai aussi joué mon rôle et j’ai eu part à l’action. Avec 300 braves soldats je me suis porté sous les murs de Fontarabie, à portée de pistolet, et, au moment où je m’emparais de la porte, les coquins d’Espagnols m’ont tiré à mitraille. J’ai eu trois hommes tués à mes côtés; mais, ne perdant pas courage, je me suis emparé d’une hauteur à demi portée de canon de la place, et, de là, j’ai sommé le commandant de se rendre de suite, sous peine d’être passés, lui et la garnison, au fil de l’épée. La peur s’est mise de la partie. Ne pouvant concevoir comment des hommes pouvaient se porter à une démarche aussi hardie, il a demandé 24 heures pour délibérer; je lui en ai accordé 3, et la place a été rendue à 6 heures et demi du soir. Les prises que nous avons faites dans cette brillante journée sont incalculables; elles consistent en 2 000 prisonniers, 200 bouches à feu, 10 à 12 000 fusils, 15 à 1 600 tentes, et en plusieurs magasins pleins de subsistances et de munitions de guerre; de plus, en 30 à 40 chaloupes de pêcheurs; 3 petits navires à 2 mâts, une barque canonnière armée d’un canon de 24 et d’un obusier, etc. Je pense que pour cette fois l’assemblée conventionnelle décrétera que l’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie. Adieu. Nous vous envoyons les drapeaux pris sur l’ennemi. Le porteur de ces drapeaux s’est supérieurement conduit. Garrau. BARÈRE : Non, vous ne fûtes jamais insensibles aux plus légers traits de patriotisme et de bravoure. Ces braves soldats doivent donc sentir d’avance comme Vous récompenserez la journée de Fontarabie; oui, vous décréterez que l’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie, principalement dans la journée du SÉANCE DU 21 THERMIDOR AN II (8 AOÛT 1794) - N° 27 355 Bastan, que nous vous enverrons également. S. et F. Signé Garrau, Cavaignac, Pinet aîné. [Le général en chef de l’armée des Pyrénées-Occidentales au comité de salut public]. Au quartier général d’Irun, ce 15 therm. II Citoyens représentants, victoire ! victoire ! nos républicains sont des républicains. Nous avons hier attaqué l’ennemi, et il a été battu sur tous les points, comme je vous l’avais mandé; les colonnes qui avaient traversé la vallée de Bastan et emporté le camp de Bera se sont réunies derrière la montagne des Quatre-Cou-ronnes, mais, à cause d’un brouillard épais, ou, pour mieux dire, d’une nuit qui empêchait de rien discerner, elles n’ont pu avancer et remplir leur destination. J’en ai donné avis à Frégeville, qui, avec 6 000 hommes, devait attaquer de front; quand il lui est parvenu, 7 à 8 compagnies de grenadiers avaient passé l’eau et en étaient aux mains. Ge général aussitôt prit sa détermination, qui est le coup le plus hardi que peut-être on ait jamais entrepris; il a passé l’eau, et a attaqué, avec ses 6 000 hommes, 12 à 15 000 Espagnols retranchés et enfermés dans une trentaine de redoutes, qui, placées en amphithéâtre et croisant sur tous les points, semblaient inexpugnables. Tout a cédé aux efforts surnaturels de nos troupes : la baïonnette a tout emporté dans moins de 2 heures; tous les camps, toutes les redoutes, des magasins immenses, 10 à 12 000 fusils, des tentes au moins pour 25 000 hommes, 200 bouches à feu, 2 000 prisonniers, dans lesquels 2 régiments entiers, voilà le fruit de notre matinée. Ce n’est pas tout : Fontarabie s’est rendue vers les 6 heures du soir. Cette reddition si prompte est due à l’audacieuse témérité du représentant du peuple Garrau, qui, après avoir poursuivi l’ennemi sur la route d’Oyarson, s’est brusquement jeté, avec 300 hommes qui avaient à leur tête Lamarque, adjoint à l’état'-major, sur les chaussées qui conduisent à la place. Il s’est avancé au milieu de la mitraille jusqu’à portée du pistolet de la place, et, après avoir pris les positions sur les hauteurs, il a fièrement ordonné, avec 300 hommes, à 800 Espagnols, défendus par 50 bouches à feu, de se rendre dans 6 minutes, sous peine d’être passés au fil de l’épée. Le gouverneur, fatigué du bombardement qui avait détruit une garde partie de la ville, et effrayé de l’audace des assiégeants, s’est rendu prisonnier de guerre avec toute sa garnison. Vous ne sauriez vous peindre leur étonnement quand ils n’ont vu dans leurs vainqueurs que 300 républicains. L’adjoint Lamarque, qui est chargé de vous porter les drapeaux, et qui a été parlementaire avec le citoyen Nollet, capitaine au 1er régiment des hussards, vous étonnera à son récit. Les colonnes qui n’avaient pu nous joindre n’ont pas perdu leur temps; quand elles ont entendu le feu, elles se sont portées sur Oyar-son, après avoir fait une marche qui n’a pas d’exemple, et s’en sont emparées; elles doivent à présent être près du port du Passage, qui serait une bonne capture pour la République. Nous allons nous reconnaître, et chercher si nous pouvons trouver l’ennemi. S. et F. Muller, général en chef. [Garrau à Carnot, son ami et son collègue]. Fontarabie, le 15 therm. IL Quelle victoire, mon cher ami, que celle que nous venons de remporter sur les esclaves du tyran de Madrid ! Il m’est impossible de t’en donner les détails; je ne sais par où commencer; ils sont tous des plus intéressants; mais en voici le résultat : Trente redoutes hérissées de canons, fortifiées par l’art et par la nature, une ville de guerre dite pucelle, devant laquelle Berwick a failli perdre sa gloire et son armée, dix à douze mille hommes pour soutenir et défendre tous ces ouvrages, une rivière à passer sous des batteries nombreuses et supérieurement placées : eh bien, mon ami, tout cela a été pris et enlevé par 6 000 républicains dans l’espace de 10 à 12 heures. Les soldats de cette armée ne sont pas des hommes, mais des démons ou des dieux. Moi, chétif personnage, j’ai aussi joué mon rôle et j’ai eu part à l’action. Avec 300 braves soldats je me suis porté sous les murs de Fontarabie, à portée de pistolet, et, au moment où je m’emparais de la porte, les coquins d’Espagnols m’ont tiré à mitraille. J’ai eu trois hommes tués à mes côtés; mais, ne perdant pas courage, je me suis emparé d’une hauteur à demi portée de canon de la place, et, de là, j’ai sommé le commandant de se rendre de suite, sous peine d’être passés, lui et la garnison, au fil de l’épée. La peur s’est mise de la partie. Ne pouvant concevoir comment des hommes pouvaient se porter à une démarche aussi hardie, il a demandé 24 heures pour délibérer; je lui en ai accordé 3, et la place a été rendue à 6 heures et demi du soir. Les prises que nous avons faites dans cette brillante journée sont incalculables; elles consistent en 2 000 prisonniers, 200 bouches à feu, 10 à 12 000 fusils, 15 à 1 600 tentes, et en plusieurs magasins pleins de subsistances et de munitions de guerre; de plus, en 30 à 40 chaloupes de pêcheurs; 3 petits navires à 2 mâts, une barque canonnière armée d’un canon de 24 et d’un obusier, etc. Je pense que pour cette fois l’assemblée conventionnelle décrétera que l’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie. Adieu. Nous vous envoyons les drapeaux pris sur l’ennemi. Le porteur de ces drapeaux s’est supérieurement conduit. Garrau. BARÈRE : Non, vous ne fûtes jamais insensibles aux plus légers traits de patriotisme et de bravoure. Ces braves soldats doivent donc sentir d’avance comme Vous récompenserez la journée de Fontarabie; oui, vous décréterez que l’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie, principalement dans la journée du 356 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 14 thermidor, et l’on ne parlera plus dans nos annales de cette Fontarabie, orgueilleuse de son site et de son inviolabilité, que pour rappeler la gloire de l’armée des Pyrénées-Occidentales. C’est à elle qu’il appartient de décoaliser l’Espagne, de dicter la loi au Capet qui règne sur ce peuple superstitieux, et de faire trembler les inquisiteurs et les monstres de Madrid. Cette armée a disputé tous les postes avec un courage ferme et modeste : des colonnes marchaient, depuis l’ouverture de la campagne, des journées entières, et souvent la nuit, à travers des rochers, des pièges et des montagnes escarpées; ils n’emploient que la baïonnette, et ne trouvent plus l’Espagnol sur leurs pas. Six mille de ces esclaves se sont retirés sur Saint-Sébastien et sur Ernani, jusqu’à ce que le pas de charge leur fasse choisir une autre position. Au milieu de ces succès nous pouvons nous féliciter de ne compter que 80 morts parmi les républicains. On ne pourrait concevoir le peu de proportion de l’attaque et de la perte, si l’on ne savait que l’audace abrège le danger, et que le courage conserve les armées. Dans les révolutions politiques comme dans les batailles, la mort est pour les lâches et pour les esclaves. Citoyens, honorons ce triomphe, en le célébrant par des inscriptions honorables dans la fête qui aura lieu dans 2 jours, en mémoire de la victoire du 10 août, et décrétons que l’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie, principalement dans la journée de Fontarabie, du 14 thermidor. C’est ainsi que nous affermirons la République sur les flots mobiles de la révolution, et que nous verrons les événements, les intrigues, les ambitions particulières et les trônes se briser sous les regards de la Convention nationale. C’est là que la République a acquis 50 canons de bronze, des approvisionnements immenses en subsistances et des munitions, 35 chaloupes de pêcheurs, 3 petits navires à deux ponts et une barque canonnière. Quelles expressions croyez-vous qui soient sorties de la bouche des soldats sur le rempart de Fontarabie et sur la montagne où étaient les redoutes ? Ils s’écriaient tous : « Pour cette fois on parlera de nous à la Convention nationale, et on lui fera un rapport de notre conduite ». Citoyens, voilà le vrai républicain; un regard de la patrie, un signe de justice donné par les représentants du peuple; voilà la récompense, voilà la monnaie de la République (1). [Vifs applaudissements]. Sur quoi la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de salut public, décrète : (1) B?n, 21 therm. et 21 therm. (suppl1); Moniteur (réimpr.), XXI, 426-428, 433-434; Débats, nos 687, 364-371; n° 688, 373-378; Mess. Soir, nos719 et 720; Rép., n° 232; J. Sablier, nos 1487, 1488; Audit, nat., n° 684; J. univ., n° 1719; M.U., XLII, 350-351; Ann. patr., n°DLXXXV; J. Mont., n° 101; J. Fr., n0S683, 684; F.S.P., n° 400; J. Paris, n° 586; J. Perlet, n° 685; C. Eg., n° 720; Ann. R. F., n° 250; J.S. -Culottes, n° 540. Art. 1er. L’armée des Pyrénées-Occidentales a bien mérité de la patrie, principalement dans la journée du 14 thermidor. IL Les nouvelles officielles de cette armée sur la prise de Fontarabie et des redoutes de Saint-Martial et d’Irun seront imprimées et envoyées sur le champ aux autres armées de la République (1). 28 La Convention admet à la barre le citoyen Lamarque, adjoint à l’état-major de l’armée des Pyrénées-Occidentales, et capitaine de grenadiers : il se félicite d’avoir été chargé de l’honorable mission d’apporter à la Convention nationale les drapeaux conquis sur les Espagnols par nos braves frères d’armes. Ils étoient défendus, dit-il, par 200 bouches à feu; mais les baïonnettes guidées par la haine des tyrans, et l’amour de la liberté, vous en font hommage comme un présage assuré de succès encore plus grands (2). L’adjudant général LAMARQUE : Citoyens représentants, vos collègues près l’armée des Pyrénées-Occidentales m’ont chargé d’apporter à la Convention nationale les drapeaux pris à Fontarabie aux esclaves espagnols. Citoyens, cette place était défendue par une forte garnison et par de la grosse artillerie; mais nos baïonnettes ont pris les canons qui portaient la mort à une lieue. (On applaudit). Je puis vous répondre, citoyens, que l’armée des Pyrénées-Occidentales, guidée par les représentants du peuple, dont les panaches se font toujours distinguer au milieu des combats, remportera de nouvelles victoires qui mériteront les applaudissements de la Convention. (On applaudit) (Z). Le rapporteur du comité de salut public [BARÈRE] reprend la parole; il rend compte que c’est le citoyen Lamarque, présent à la barre, qui, à la tête de 300 républicains, et accompagné du représentant Garrau, a commandé l’attaque de Fontarabie, et forcé la reddition de la garnison de 800 hommes. Un membre demande que le comité de salut public soit chargé de donner de l’avancement au brave Lamarque. Un autre propose que la Convention lui confère à l’instant le grade de chef de bataillon : de toutes parts on appuie cette dernière proposition; l’on demande en outre que le président lui donne l’accolade fraternelle. Elle lui est donnée au milieu des applaudis-semens, et la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale, sur le compte qui lui a été rendu par son comité de salut public, de la bravoure et de l’intelligence que (1) P.V., XLIII, 120. Décret n° 10 315. Rapporteur: Ba-rère. Reproduit au Bm, 21 therm. (suppl1), (2) P.-V., XLIII, 120. Reproduit au B"1, 21 therm. (3) Moniteur (réimpression), XXI, 434; Débats, n° 688, 378.