[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 septembre 1789.] 587 gouverneurs est trop peu considérable pour que les Chambres législatives en soient envieuses, et cherchent à la diminuer pour augmenter la leur. D’ailleurs, les prérogatives des gouverneurs ou présidents américains sont sous la sauvegarde de tous ceux qui peuvent espérer de leur succéder. Comme ils ne possèdent leur place que pour un petit nombre d’années, il est peu de membres du Corps législatif qui ne conçoivent l’espérance d’y parvenir un jour. L’autorité du Roi de France doit être, au contraire, très-grande pour le bonheur de ses sujets ; elle doit être héréditaire.„Tous les efforts peuvent être dirigés contre elle ; il faut que la Constitution lui assure les moyens de s’en garantir. Plusieurs de ceux qui reconnaissent la nécessité de la sanction du monarque pour toutes les lois, prétendent qu’on ne doit pas la demander pour la Constitution. Ils se fondent sur une supposition métaphysique ; ils disent que l’Assemblée actuelle, étant une Convention nationale pour fixer la Constitution, exerce tous les droits du peuple français, et qu’elle doit régler tous les pouvoirs, sans que le consentement du prince soit nécessaire. Voici mes réflexions sur ce sujet. J’ignore pourquoi on se plaît à considérer une nation comme une société sans gouvernement, sans lois, sans magistrats, et enfin comme un corps désorganisé ; j’ignore pourquoi on cite des hypothèses chimériques, car vingt-quatre millions d’hommes ne peuvent être réunis dans une seule assemblée ; et s’il était possible qu’ils fussent réunis, je demande si la puissance royale une fois établie cesserait d’exister. Un peuple en corps, qui ne reconnaîtrait aucun chef, serait dans les convulsions delà plus horrible anarchie. Ainsi, supposer que l’Assemblée nationale représente une nation sans monarque, une société naissante, est vraiment une supposition absurde. Si l’Assemblée nationale est ce qu’on nomme chez les Anglais une Convention, il faut au moins reconnaître qu’elle a été formée pour agir de concert avec le Roi, et que la puissance du monarque qui l’a convoquée existait avant elle. On ne peut sans doute comparer cette Convention à ctdle qu’établirent les Anglo-Américains lors de leur insurrection contre l’Angleterre. Ce peuple avait brisé tous les liens qui l’attachaient à la Grande-Bretagne; il était rentré dans son indépendance naturelle ; il n’avait aucun pouvoir à maintenir ; il avait pour ainsi dire tout à créer. Ainsi la Convention de chaque Etat ne devait consulter nue la pluralité des suffrages de ses membres. L'Assemblée nationale de France, au contraire, a été convoquée par le Roi. La nation n’a jamais eu le dessein de porter atteinte aux véritables principes de la monarchie ; elle a voulu seulement qu’on déterminât des limites pour qu’elle ne dégénère pas à l’avenir en puissance arbitraire. Tous Tes députés trouvent à cet égard leurs devoirs écrits dans les mandats. Il leur est recommandé de joindre leurs efforts à ceux du prince pour rétablir sur des bases solides la félicité générale. S’il est vrai que jusqu’à ce jour on ait pu dire que le peuple français n’avait point de Constitution, on ne doit pas cependant le considérer comme dépourvu de tout gouvernement. L’Assemblée nationale est chargée par ses commettants de faire respecter l’autorité du Roi. Si elle avait le droit de fixer la Constitution, sans qu'il y prît aucune part, il faudrait en conclure qu’elle aurait le droit ae disposer à son gré de toutes les prérogatives de la Couronne. Je suis loin de comparer l’influence qui peut appartenir au Roi sur la Constitution, avec celle qui doit lui être réservée sur les lois. Il peut refuser des lois sans en expliquer les motifs, tandis qu’il n’aurait pas le droit de déclarer qu'il s’oppose à l'établissement d’une Constitution ; car, après avoir appelé ses sujets à la liberté, il ne peut dire : je ne veux pas qu’ils soient libres. Je soutiens seulement qu’étant intéressé à la Constitution, étant chargé de la faire observer, ayant un pouvoir antérieur qu’elle doit régler, et non pas détruire, il est nécessaire qu’il la signe et la ratifie. S'il trouvait dans quelques articles de grands inconvénients, il pourrait demander-qu’ils fussent changés ; et les représentants verraient à leur tour si les changements exigés ne compromettraient point la liberté publique. M. Mounier a été applaudi d’un côté, et im-prouvé de l’autre. La séance est levée. Séance du soir. Un membre du comité des rapports rend compte de l’affaire de M. te marquis de La Salle, qui avait fait charger un bateau de poudre vieille et grasse destinée à être travaillée de nouveau avant de pouvoir servir. Le peuple a été inquiet et des soupçons ont été conçus sur les intentions de M. de La Salle qui a été livré à la justice, seul moyen de le soustraire à la faveur populaire. Les représentants de la commune de Paris consultent l’Assemblée nationale sur le parti qu’ils doivent prendre à l’égard du détenu. L’avis du comité est que l’Assemblée nationale doit autoriser son président à écrire aux représentants de la commune de Paris que M. le marquis de La Salle n’étant prévenu d’aucun crime qui puisse autoriser sa détention, que son innocence même étant constatée par les pièces remises au Comité de rapport, et spécialement par l’extrait du procès-verbal des représentants de la commune de Parisien date du 28 août dernier, il n’y avait aucun motif de prolonger cette détention. La question mise à la discussion, puis en délibération, l’Assemblée a décrété que M. le président écrirait conformément à l’avis du comité. Un membre du comité des subsistances a fait rapport d’un arrêté de la commune de Paris, en date du 2 de ce mois, présenté par MM. Charpentier et Bourdon de la Grosnière, députés de cette commune, qui, craignant pour ses subsistances, prie l’Assemblée de pourvoir aux moyens de les lui assurer. Il a été exposé que ces moyens dépendaient de l’exécution du décret pris par l’Assemblée, le 29 août dernier, pour la libre circulation des grains et farines dans le royaume ; mais que cette circulation étant empêchée par l’inquiétude où étaient encore les habitants des villes du district de manquer de subsistances pour eux-mêmes, et par la crainte qui retenait les fermiers d’exposer leurs personnes en se transportant à Paris il n’y avait que deux partis à prendre pour assurer l’exécution du décret :l’un, d’y employer la force ; l’autre, de mettre les habitants des villes voisines hors d’intérêt, en assurant la fourniture de leurs marchés. Sur quoi le comité a proposé de s’en rapporter provisoirement au pouvoir exécutif. 588 [Assemblée nationale.] L’avis mis en discussion, plusieurs amendements ont été proposés. D’autres membres craignant que le décret de l’Assemblée, étant encore imparfait, ne fût modifié par le pouvoir exécutif, ont voulu qu’il fût sursis à délibérer jusqu’à ce que le comité eût fait le règlement dont l’Assemblée l’a chargé pour le développement de son décret. Un membre du comité a dit alors que le travail était fait. Il a demandé et obtenu d’en faire la lecture. Cette lecture finie, et le règlement discuté, on en a renvoyé le plus ample' examen à une autre séance. Puis revenant au premier objet, l’Assemblée a décrété de renvoyer la demande delà ville de Paris au pouvoir exécutif. M. le Président a levé la séance qu'il a remise au lundi matin à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE, DUC DE LANGRES. Séance du lundi 7 septembre au matin (1). Lun de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du 5 septembre. M. le Président annonce que plusieurs citoyennes de la ville de Pans, femmes ou filles d’artistes, animées par le patriotisme et par le désir de propager leur exemple, ont réuni les ornements et bijoux dont elles s’étaient jusqu’à présent parées ; qu’elles désirent en faire hommage à la nation pour contribuer au payement de la dette publique, et que si l’Assemblée consent à recevoir leur députation, elles se présenteront pendant le cours de la séance. Il est unanimement arrêté que la députation sera admise. M.Ie Président annonce que la discussion va être reprise sur la permanence et l' organisation du Corps législatif et sur la sanction royale. M. lianjuinais (2). Messieurs, quanta la division des Chambres, elles sont égales en puissance si elles sont composées avec égalité, sans distinction et au scrutin. Dans cet ordre de choses, proposé déjà par M. l’abbé Sieyès, j’entrevois l’avantage d’une grande maturité. Mais si l’on admettait une Chambre haute, le petit nombre commanderait au plus grand ; les intérêts particuliers seraient mis à la place des intérêts généraux. L’Assemblée nationale serait paralysée ; et sur les ruines de cette noblesse, qui maintenant n’est que ce qu’elle peut et ce qu’elle doit être, vous élèveriez le plus mons-treux monument d’aristocratie qui puisse exister ; aristocratie aussi funeste au Roi qu’au peuple. Ceux qui veulent que ces deux Chambres exis-(1) Celte séance est incomplète au Moniteur. (2) Le Moniteur attribue le discours à M. Dangevil-lers : il n’y avait pas de député de Ge nom. — Le Point-du-Jour l’attribue à M. Lanjuinais. Du reste, l’erreur est rectifiée dans ce sens à la table du Moniteur, qui restitue ce discours à M. Lanjuinais. (7 septembre 1789.] tent s’égarent avec les auteurs dont ils invoquent le suffrage. Loin d’ici le sentiment de l’inconséquent Delolme, de ce Montesquieu qui n’a pu se soustraire aux préjugés de sa robe. Loin d’ici le suffrage de l’Anglo-Américain, M. Adams, de ce Don Quichotte de noblesse, le précepteur corrompu d’un grand seigneur ; ils ne nous imposent plus. On sait que l’Anglelerre, livrée à l’inertie du veto, manque de bonnes lois, et que ses bonnes lois sont mal exécutées ; qu’en Angleterre tout est si mal, que les ministres gouvernent plus par l’or, l’argent et la faveur, qu’avec les talents. L’on nous parle du sénat américain -, là il peut y être nécessaire, puisqu’il n’y a pas d’influence royale. Ge ne sont au surplus que des sénateurs à rubans et à médailles. Point de distinction de rang, point de nomination royale. 11 suffit que les députés, divisés eu deux Chambres, puissent mettre une grande et sage maturité dans leurs délibérations. Je croirais même cette division inutile dans le cas où le Roi exercerait le veto suspensif d’une session à l’autre. Car, pour le veto absolu, je n’en parle pas : l’histoire le réprouve, la politique le fait voir comme un moyen dangereux. Mais quel est cet acte que l’on décore du nom de sanction ? Le Roi est le suprême dépositaire du pouvoir exécutif ; et étant chargé de faire exécuter les lois, l’acte par lequel il ordonne son exécution s’appelle sanction royale. Libre ou forcée, la sanction est l’acte qui ordonne, soit implicitement, soit explicitement, l’exécution de vos décrets. Vous en avez eu vous-mêmes deux exemples dernièrement. Le Roi a publié deux déclarations qui ne contenaient autre chose que vos décrets, et qui n’ordonnaient rien autre que leur exécution. Telle est la véritable sanction du Roi ; et ce serait l’anéantir que d’accorder au roi un liberum veto , un droit négatif. S’il y a deux pouvoirs séparés qui se détruisent mutuellement, il n’y a plus de liberté, puisque le pouvoir législatif sera sans cesse usurpé ou paralysé par le pouvoir exécutif. C’est une grande erreur que de croire que le Roi ait en France le droit absolu. Sous les deux premières races, croit-on que la loi ripuaire et la loi salique ont paru sous le nom du prince ? Comment se faisait cette sanction? Quelle était-elle ? Un ancien historien nous l’apprend : Scele-bat rex in scella regia, circumstante omni exerci-tu , quidquid decrctum erat à Francis . On dira peut-être que l’armée n’était pas la nation : mais je ne réfuterai pas cette objection ; on sait ce qu’était alors la nation, puisque les citoyens n’étaient que des soldats. Dans la seconde race, qu’est-ce que ces capitulaires qui ont paru ? C’était le résultat des assemblées nationales ; c’était ce que le peuple ordonnait, quidquid à Francis decretum erat. Ces remarques expliquent parfaitement l’édit de Pistes, et maintenant l’on comprend facilement ce que veulent dire ces mots : lex sit con-sensû populi et constitutione regià. Le temps de la confusion des ordres est enfin arrivé, et alors tous les principes se sont également confondus. Nous venons aujourd’hui pour y remédier, et l’on ne dira pas que nos cahiers soient des obstacles à cette réforme salutaire. Dans les cahiers de la noblesse et du clergé, l’on voit que ces deux ordres admettent le principe du veto, qu’ils ne veulent pas de loi sans sanction. Mais c’est par une raison bien simple : ARCHIVES PARLEMENTAIRES.