A [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] L’Assemblée retombe dans la confusion et reste longtemps dans l’inaction. La question préalable sur les amendements est redemandée. M. le Président dit que le règlement n’en parlant pas, il doit consulter l’Assemblée. M. le comte de Mirabeau et M. de Beaumets veulent parler sur l’amendement; mais l’Assemblée refuse de les entendre, et l’on décrète qu’il n’y aura pas de discussion sur l’amendement. Ce décret est censuré par plusieurs membres ; ils réclament la liberté de la parole. Un membre demande l’ajournement, puisque l’Assemblée défend la discussion. M. Target offre de retirer son sous-amendement; mais ni l’un ni l’autre ne sont écoutés. Enfin, dans un court moment de calme, on lit les articles rédigés hier par M. Desmeuniers , avec cette addition sur la fin de l’article neuvième : « sans entendre rien préjuger sur l’effet des renonciations. » On propose d’aller aux voix par assis et levé ; d’autres demandent l’appel nominal; de violents murmures se font entendre. Enfin l’appel nominal est décidé, et il est arrêté que l’on opinera par oui ou non. M. Emnicry prétend que c’est presser sa conscience ; que, d’un côté, il ne peut refuser le oui sur les principes de l’hérédité, de l’indivisibilité et de l’inviolabilité; etque, de l’autre, il est forcé de dire non quant à la rédaction ; il dit qu’il faut décréter les principes, et aller aux voix sur la rédaction. M. Duval d’Eprémesnil observe que c’est demander la division de l’arrêté de M. le comte de Mirabeau, déjà refusée. (Mouvement d’humeur entre MM. de Mirabeau et d' Eprémesnil. L’Assemblée devient plus tumultueuse que jamais. Chacun veut faire triompher son opinion.) M. le Président rappelle à l’ordre. Ce n’est qu’une erreur de mots, dit-il, et il serait bien malheureux si le caractère français empêchait la correction d’un mot. M. le Président avait interrompu M. Em-mery. On lui conteste le droit d’interrompre ; il s’excuse en disant que c’était pour rétablir le calme; et ses efforts pour ramener l’ordre sont inutiles. H propose d’aller aux voix par assis et levé sur les principes, et par appel nominal sur la rédaction. Un grand nombre de membres consentent à cette proposition ; d’autres veulent un moyen tout à fait contraire. Au milieu de cette opposition, le président s’écrie qu’il emploiera tout son zèle et toute sa fermeté à maintenir le bon ordre dans l’Assemblée. Sur la proposition de M. le président, on va aux voix. Deux épreuves sont faites : toutes deux sont douteuses. La première parait être en faveur de l’opinion de M. le président ; et la seconde contre son opinion. 11 décrète l’appel nominal; mais personne n’entend la prononciation du décret. Les uns le contestent, les autres le soutiennent. On demande que l'on aille aux voix par l’appel nominal, pour savoir le vœu de l’Assemblée ; mais la noblesse et le clergé persistent et ne veulent pas aller contre ce prétendu décret. M. Guillotin et M. le duc de Liancourt réclament, mais inutilement; leurs voix sont étouffées par les murmures. Enfin on se sépare à quatre heures. MM. les curés, ayant observé l’austérité du jeûne, demandent que la séance soit levée. M. le président renvoie à demain la question de la validité du décret sur l’appel nominal. Séance du soir. M. le Président, après avoir dit que le comité de rédaction s’assemblerait demain pour donner la dernière forme aux articles et aux amen dements sur les subsistances, décréléshier dans la séance du soir, rend compte d’une lettre de M.Gau me, aumônier de la manufacture de Sèvres, qui, pour concourir à la libération des dettesde l’Etat, a envoyé 300 livres, somme équivalente à une année de ses honoraires; d’une seconde lettre de M Lemoine, avocat en Parlement, qui, d’après les mêmes vues, a envoyé 100 pistoles, avec le projet d’établissement d’une caisse nationale, où tous les individus pourraient verser leurs contributions volontaires. L’Assemblée témoigne sa satisfaction sur ces offres patriotiques,ainsi que sur celles dont on a rendu compte dans la séance du matin. Un député de la province du Maine expose les vexations commises envers un citoyen de sa province au sujet du commerce des grains : il demande qu’on envoie au comité de Saint-Calais les décrets de l’Assemblée concernant la libre circulation des grains dans l’intérieur du royaume, et que, pour l’indemnité due au sieur curé d’Evaillé, à raison des torts qu’il a soufferts, l’affaire soit renvoyée au pouvoir exécutif. L’Assemblée a renvoyé l’affaire au Roi. L’ordre du jour appelle ensuite la discussion sur un projet de décret du comité des finances, concernant les gabelles, qui est ainsi conçu : PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, informée du tort manifeste qui résulte, pour le Trésor public et pour l'intérêt national, de la résistance que les contribuables opposent dans plusieurs provinces à l’acquittement des droits établis sur plusieurs denrées, et notamment sur le sel ; considérant que, par son décret du 17 juin dernier, elle a maintenu la perception dans la forme ordinaire de toutes les impositions qui existent, jusqu’au jour de la séparation de cette Assemblée, et que l’exécution de ce décret importe essentiellement au maintien de l’ordre public et à la solidité des engagements que la nation a pris sous sa sauvegarde, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. Les administrations provinciales, les juridictions et les municipalités du royaume, tant dans les villes que dans les campagnes, veilleront aux moyens d’assurer le recouvrement des droits subsistant que tous les citoyens acquitteront avec la plus grande exactitude ; le Roi sera supplié de donner les ordres les plus exprès pour le rétablissement des barrières et des employés, et pour le maintien de toutes les perceptions. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] 5 Art. 2. A compter du l'r octobre prochain et provisoirement, le sel ne sera plus payé que 30 livres par minot dans tous les greniers de grande et petite gabelle, et par quintal dans les recettes de la Lorraine et des Trois-Évèchés, et dans tous les lieux où il excède celte fixation. Art. 3. A compter du ler janvier prochain, n’auront lus lieu les règlements qui, dans plusieurs villes, ourgs et paroisses des provinces de grande gabelle, ont établi le sel d’impôt, ainsi que ceux qui, dans les mêmes provinces, ont soumis les particuliers imposés à plus de 3 livres de taille ou de capitation à lever annuellement dans les greniers de leur ressort une quantité déterminée de sel, et qui leur ont défendu de faire de grosses salaisons sans déclarations ; en conséquence, tout habitant des provinces de grande gabelle jouira, comme il en est usé dans les petites gabelles et les gabelles locales, de la liberté des approvisionnements de sel nécessaire à sa consommation, dans tels greniers ou magasins de la province qu’il voudra choisir. 11 lui sera libre aussi d’appliquer à tel emploi que bon lui semblera, soit de menues, soit de grosses salaisons, le sel qu’il aura ainsi levé ; il pourra même faire à son choix les levées, soit aux greniers, soit chez les regratiers, et il se conformera pour le transport aux dispositions du règlement qui ont été suivies jusqu’à présent. Art. 4. Les amendes prononcées contre les faux saulniers, coupables du premier faux saulnage, et non payées par eux, ne pourront être converties en peines afflictives; et quant aux faux saulniers en récidive, les lois qui les soumettent à une procédure criminelle et à des peines afflictives sont également révoquées ; ils ne pourront être condamnés qu’à des amendes doubles de celles encourues pour le premier faux saulnage. M. le comte de la Galissonnïère fait la motion suivante sur la gabelle (1) : Messieurs, le comité des finances a rendu compte à l’Assemblée nationale, dans la séance de l’après-midi du 7 de ce mois, d’un projet sur l’impôt de la gabelle. Ce projet consiste à réduire le prix du sel à 6 souslalivre dans les provinces dites de grande gabelle, ainsi que dans celles où le prix en est supérieur, et de proposer à l’Assemblée nationale de rendre un décret provisoire, pour en ordonner la distribution à ce prix jusqu’au premier juillet prochain. Ce plan adopté par le comité des finances, d’après le mémoire du ministre de ce département, au 27 août, donne lieu aux trois objections suivantes : Première objection. L’impôt du sel est détruit de fait, puisque la plupart des provinces de grande gabelle sont approvisionnées au moins pour une année, et que la distribution, prorogée jusqu’au premier juillet prochain, est illusoire. L’Assemblée nationale ne doit jamais rendre de décret dont la nature des choses rend l’exécution impossible, afin de ne pas compromettre sa dignité. Deuxième objection. Le premier ministre des finances se trompe, lorsqu’il assure que la réduction du prix du sel à 6 sous occasionnera une diminution de revenus de 30 millions; il est loin de la vérité. Le compte rendu en 1788 porte la fixation du produit du sel pour le compte du Roi, dans les provinces de grande gabelle, à 39,500,000 livres. (1) La motion de M. delà Galissonnïère n’a pas été insérée au Moniteur. Le prix du sel ne changeant presque pas dans le reste de la France, la diminution des revenus ne portera que sur les provinces de grande gabelle. Ainsi, en remettant au fermier 30 millions sur le prix de son de bail, il ne rendrait plus au Trésor royal, pour cette partie, que 9.500,000 livres. Mais la fixation du produit du sel dans les provinces de petite gabelle, monte dans ce même compte à 54 millions. A la vérité, le sel s’v vend 33 livres 10 sous le quintal ; il faudrait le réduire à 30 livres et cette réduction abaisserait le produit des petites gabelles à 12,537,313 livres. Or, suivant M. Necker, la population des petites gabelles est à celle des grandes gabelles, comme 46 à 83 ; ce qui doit donner, pour la fixation du produit du sel dans les provinces de grande gabelle, 22,599,933 livres. Cette somme soustraite de 39, 500,000 livres que produisent les grandes gabelles au prix actuel, il reste 1 6,900,064 livres auxquelles il faudrait ajouter 1,462,187 livres, diminution que souffrirait la recette des petites gabelles; total 18,362,751 livres. Cette somme serait la diminution réelle, et la remise qu’on devrait faire au fermier. Ce n’est donc pas 30 millions. 11 paraît faux, au premier coup d’œil, que le sel au prix de 62 livres le quintal, rendant au Roi 39, 500, 000 livres, ce même sel, au prix de 30 livres puisse rendre 22,599,933 livres. Mais il faut observer que jamais le fermier n’a rendu un compte exact de la quantité des ses ventes. Car il ne les porte, suivant M. Necker, dans les provinces de grande gabelle, qu’à 760,000 quintaux, qui, à 62 livres le quintal, produisent 47,120,000 livres. 11 en rend au Trésor royal 39,500,000 livres. Il ne lui resterait donc que 7,620,000; sur quoi il faut qu’il trouve la rentrée de ses achats, ses frais de garde et son profit. Or, le sel lui revenant pour prix d’achat, frais de transport, de magasinage, et déchet, à environ 2 sous lalivreou 10 livres le quintal, prix moyen, les 760,000quintaux lui coûtent 7,600,000 livres. Il en résulte qu’au lieu de gagner sur son entreprise il ne lui resterait que'20,000 livres pour payer tous ses agents. Ainsi, malgré cette impossibilité apparente, il est donc vrai que le sel, réduit à 6 sous dans les provinces de grande gabelle, doit produire de 22 à 25 millions, peut-être 30 millions, à cause de l’accroissement de la consommation, et peut-être les 39,500,000 livres, sousuneadministration sage et surveillée. La diminution dans la réduction du prix du sel à 6 sous la livre n’en occasionnerait donc pas dans les revenus une de 30 millions: elle ne serait, ainsi qu’il vient d’être prouvé, que d’environ 17 millions delivres dans les provinces de grande gabelle. Mais, comme d’une part la contrebande aurait diminué, et que de l’autre, la consommation aurait augmenté, non-seulement à cause du moindre prix de la denrée, mais encore par le peu de bénéfice du faux saulnage, il en résulterait une baisse très-faible dans les revenus actuels : je crois même, d’après les calculs précédents et les raisons données, qu’ils n’en éprouveraient pas. Troisième objection. L’exécution du projet de diminuer de trois cinquièmes le prix du sel dans les provinces de grande gabelle n’occasionnerait-elle pas une grande fermentation dans les provinces de petite gabelle? Pourquoi celles-ci ne partageraient-elles pas le soulagement procuré aux premières? La première loi estd’êlre juste. Aussi, dansl’ob-