ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1789.] j22 [États généraux.] ces peuples célèbres que M. de Mirabeau avait cités ; que Ton disait le peuple athénien, le peuple anglais mais que l’on n’avait jamais dit le peuple assyrien lorsqu’il obéissait à des satrapes ; que, quant au droit de neto, d’après les raisons de M. Camus, il paraissait inutile de demander la sanction royale, dont le défaut, quoiqu’en dise M. de Mirabeau, n’amènerait pas le despotisme-, que ses alarmes et ses craintes sur l’anarchie, dont il menaçait la nation, ne seraient pas l'effet de l’autorité législative résidant dans la nation ; que, loin de retomber dans le despotisme, on tomberait plutôt dans les malheurs de la guerre civile ; que ce serait alors que la nation en aurait l’honneur ; que ce serait alors que M. le comte de Mirabeau, qui, descendant du rang où la naissance l’avait placé, n’a pas craint de descendre au milieu delà nation pour défendre ses intérêts, ne balancerait sans doute pas de se montrer à sa tète pour la protéger de son courage, et opposer sa poitrine aux coups qu’on voudrait lui porter. Plusieurs personnes discutent encore les trois motions principales. Un jeune homme, appelé M. Robert, parle avec une éloquence rare, une précision au-dessus de son âge. On demande de toutes parts à aller aux voix. M. Legrand demande la parole. On la lui refuse pendant longtemps. Il annonce une motion tout à fait différente, des idées nouvelles, et il obtient la parole. M. Legrand, député du Berry (1). L’Assemblée considérant : 1° Que la dénomination d’Etats généraux du royaume est corrélative entre les trois ordres de citoyens qui sont appelés à représenter la nation; que cette dénomination n’est pas applicable à la circonstance présente, tant que la plus grande partie des membres qui représentent le clergé et la noblesse ne se réuniront pas aux autres députés pour y faire connaître leur qualité par la vérification commune dans leurs pouvoirs ; 2° Que ces deux classes privilégiées ne sont pas la nation, mais dans la nation ; 3° Que la nation en admettant dans son sein des classes distinctes de citoyens, n’a jamais pu consentir que l’absence des représentants de ces classes l’empêcherait elle-même de se constituer dans ses représentants. Que si cela était, il s’ensuivrait qu’un peuple, composé de vingt-quatre millions d’individus, cesserait d’être un corps politique et national, ne pourrait se constituer, parce que les députés de trois ou quatre cent mille hommes de la na ion s’opposeraient à sa constitution et à sa représentation légale ; 4° Qu’une telle maxime, que l’abus du pouvoir des grands a établie dans les gouvernements aristocratiques, est absolument contraire au gouvernement monarchique ; ce serait une autorité élevée contre le Roi et la nation, ce serait détruire les principes de la monarchie, que l’Assemblée soutiendra toujours dans toute leur intégrité; 5° Que l’Assemblée reconnaît que les députés des ordres privilégiés ont le droit, comme représentant une partie des citoyens, d’assister et d’être membres de l’Assemblée générale des représentants de la nation, mais qu’ils n’ont pas celui de s’arroger deux seuls cette qualité, en vérifiant leurs pouvoirs en particulier, qu’ils ont encore (1) La motion de-M. Legrand n’a pas été insérée au Moniteur. moins celui de détruire et d’anéantir l’Assemblée des représentants de la nation, en refusant de s’y réunir ; A arrêté de se constituer en Assemblée nationale ; A arrêté en outre que les députés, de quelque ordre qu’ils soient, qui n’auront pas encore fait vérifier leurs pouvoirs dans la salle commune, seront toujours admis à le faire et à prendre ensuite part aux délibérations. Elle a arreté qu’elle ne reconnaîtra dans les députés non vérifiés dans son sein, aucun droit ni qualité, même partielle, de représentants de la nation. Enfin elle a déclaré qu’elle ne pourra être arrêtée dans ses délibérations par aucun droit de veto, que nul ordre de représentants de la nation ne peut opposer à ses; co -représentants et qui serait destructif de l’indivisibilité d’une Assemblée nationale. I Cette motion est suivie de vifs applaudisse-* ments. M. Pison du Bail and présente une autre motion en ces termes (1) : Les députés du clergé et des communes de France, dont les pouvoirs ont été reconnus légi-1 times dans les séances de la présente Assemblée1 des 13 et 14 de ce mois et autres jours suivants, ! constituent dès à présent, l’assemblée active et LÉGITIME DES REPRÉSENTANTS DE LA NATION FRANÇAISE; mais elle se fait une loi de déclarer qu’une partie du clergé et de la noblesse ont été vainement invités à se réunir à cette Assemblée, pour concourir à la régénération de l’État ; qu’elle ne reconnaîtra jamais d’empêchement ou veto de leur part, entre elle et son souverain, et qu’elle ne cessera de les inviter et de les attendre, sans néanmoins qu’aucun retard ou refus puisse mettre obstacle à l’activité nécessaire au besoin de l’Etat et à l’établissement de la félicité publique. M, Bailly, doyen , propose de délibérer ; les uns le veulent, les autres prétendent qu’il faut continuer la discussion. ; La séance est levée à 2 heures et remise à 5 heu-i res du soir. Séance du soir. M. le Doyen a ouvert la séance a 5 heures. M. Laurent, curé d’Huillaux (2) , député du j clergé du Bourbonnais, est. entré, et a dit : Messieurs, quarante-deux jours se sont écoulés en j vœux inutiles : et nous venons vous assurer I qu’aucun de ces jours précieux n’a fini sans que j nous en ayons amèrement regretté la perte; et le j lendemain nous a constamment trouvés plus af-j fermis dans la résolution de nous unir à vous , ; Messieurs, pour opérer le bien commun. La con-! tradiction, les longues discussions de ce projet ■ nous en ont de plus en plus fait connaître la sagesse, Hâtons-nous donc de porter des mains se-eourables à ce grand édifice, qui s’écroule de toutes , parts ; réparons, par une plus grande activité, nos premières lenteurs et le malheur de n’avoir pu ob-(1) La motion de M. Pison du Galand n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Le discours de M. Laurent n’a pas été inséré au M oniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1789.] 123 [États généraux.] tenir l’ unanimité dans tous les représentants de la nation ; espérons-la toujours, et gardons-nous de calomnier les intentions de ceux qui hésitent. Vous gémissez sur les maux qui affligent vos pasteurs: oubliez leurs intérêts, Messieurs, ou-bliez-les pour un moment. De plus grands désastres appellent votre attention : oubliez-les pour toujours s’il le faut; c’est le soulagement, c’est le bonheur de nos paroissiens que nous vous demandons avant tout, et à quelque prix que ce soit. M. Laurent a remis ses pouvoirs sur le bureau, et a pris séance sur les bancs du clergé. MM. le duc du Châtelet, le vicomte de Noai lies , le marquis de Digoine, des Fossés, le prince de Broglie, et le comte de la Marck, députés des membres delà noblesse, se sont présentés, et ont été reçus en la forme ordinaire. Ils ont pris place sur les bancs de la noblesse, et ont communiqué un arrêté des députés de leur ordre, qu’ils ont bemis sur le bureau après en avoir fait lecture. Teneur de cet arrêté: « An été que l’ordre de la noblesse nommera des commissaires à l’effet de se concerter avec ceux des autres ordres, pour aviser aux pro-positionsquiluiont été faites par l’ordre du clergé, et examiner les moyens de remédier à la cherté des grains et à la misère publique. Signé : Montmorency-Luxembourg, Bouthillier. » M. le Doyen a répondu : Messieurs, vous nous voyez occupés de l’exécution de la délibération dont nous avons eu l’honneur de vous donner connaissance vendredi dernier. Quand nous serons constitués, nous nous occuperons sans relâche d’un objet aussi pressant. MM. Clerget, curé d’Onan; Longpré, chanoine tjleChamplitte ; Rousselot, curédeThiennaut, tous trois députés du clergé du bailliage d’Amont en Franche-Comté; Joubert, curé de Saint-Martin, député du clergé du bailliage d’Angoulême ; et Lucas, recteur de Minitri, député du clergé du diocèse de Tréguier, sont entrés, et ont pris séance sur les bancs de MM. du clergé. M. Joubert a dit: Messieurs, pénétrés de la grandeur de notre caractère, connaissant toute l’étendue des obligations qu’il nous impose, nous p’avions pas besoin d’être entraînéspar l’exemple de ceux de nos confrères qui nous* ont précédés dans la noble carrière du patriotisme. Intimement persuadés que la force de la raison, la solidité des principes, et surtout l’intérêt de la nation, exigeaient que la vérification des pouvoirs fût faite en commun, soyez persuadés, Messieurs, que l’espèce de délai que nous avons apporté à notre démarche a été le sacrifice le plus douloureux à notre cœur, et n’a été motivé que par l’espérance de réunir à notre opinion tous ceux que nous avons vus avec une amère douleur, faire les plus grands efforts pour consacrer d’iniques usages qui perpétueraient les abus que nous sommes venus détruire. Pressés par les mouvements de notre conscience, altérés du bonheur public, effrayés des funestes conséquences que produiraient infailliblement les irrésolutions perpétuelles de la Chambre du clergé , honorés, ainsi que vous, Messieurs, du titre glorieux de députés de la nation française à ses Etats généraux, nous vous apportons nos titres, nous soumettons nos ouvoirs à votre vérification, en vous priant de ous donner également connaissance des vôtres, et d’étre intimement convaincus que notre seule ambition, le désir le plus cher à notre cœur, est de coopérer efficacement avec vous au grand œuvre de la félicité de la nation. M. ILo3t£prc a dit (]}: Nous venons enfin, Messieurs, rendus à nos vœux les plus chers, paraître au milieu des représentants de la nation, y produire le titre honorable qui nous associe à leur travail et à leur zèle, et reconnaître ceux à qui elle a confié ses plus grands intérêts, l’ouvrage immortel de son bonheur. Nous aurions peut-être dû, Messieurs, donner plus tôt l’essor au patriotisme qui nous anime, nous hâter de le confondre avec celui de nos concitoyens; sûrs de trouver parmi eux la lumière et des guides, cet attrait puissant devait doubler notre ardeur. Notre empressement plus tardif n’en était moins réel ; dans les premiers, il a ôté un sentiment ardent qui n’a pu se contenir et se défendre. Celui qui, mesurant sa marche, a cherché à se communiquer et à se répandre; celui qui a combiné ses forces pour mieux en assurer l’effet; celui qui regrettant, dans les liens de la confraternité, de ne pouvoir entraîner avec lui tous les esprits et tous les cœurs, n’est pas moins digne de vous être offert. M. Xucas a pareillement fait un discours, mais il ne l’a pas déposé. MM. Clerget, Longpré, Rousselot, Joubert et Lucas ont remis leurs pouvoirs sur le bureau. La discussion sur la question du mode de constitution est reprise. M. Mounier donne de nouveaux développements à sa motion, et combat les réponses de M. l’abbé Sieyès. Vous vous constituerez, dit-il, Assemblée composée de la majorité en l’absence de la minorité. Depuis que les hommes délibèrent, ils doivent céder, obéir à la majorité, nonobstant les refus, les oppositions de la minorité : or, par le titre de cette constitution, vous auriez incontestablement le droit de tout faire, de tout décider, puisque vous êtes la majorité; et ce droit ne dérivera pas de celle de M. l’abbé Sieyès. Il est encore une autre argument, c’est que vous seriez forcés d’abandonner le titre qu’il vous présente, puisqu’il ne vous appartiendra pas à vous seuls, puisque les autres Chambres se disent vérifiées, et que vous leur laissez le droit de le dire. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, la manière dont un des honorables membres a parlé, je ne dirai pas contre ma motion, elle reste entière, mais contre la dénomination que j’ai choisie pour nous constituer représentants du peuple français ; l’approbation qu’ont donnée aux objections plusieurs de ceux qui ont parlé après l’honorable membre, m’ont causé, je l’avoue, une extrême surprise. Je croyais avoir énoncé clairement mon opinion touchant la séparation des ordres, et l’on m’accuse d’avoir favorisé la séparation des ordres. Je croyais avoir présenté une série de résolutions qui montraient les droits et la dignité du peuple ; et l’on m’apprend que ce mot de peuple a une acception basse, qu’on pourrait nous adapter exclusivement. Je me suis peu inquiété de la signification des mots dans la langue absurde du préjugé; je parlais (1) Le discours de M. Longpré n’a pas été inséré au Moniteur.