36 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. La seconde base est l’unité. Vous avez voulu que l’Etat fût un grand corps et un corps unique. Vous n’avez point voulu que dans cet Etat il existât une société particulière, qui eût ses statuts, quelquefois directement opposés aux lois mêmes de la Constitution. Vous avez voulu que tout le monde fût régi par les lois qui protègent la liberté : vous n’avez voulu faire des lois que pour empêcher que la liberté fût gênée ; et vous n’avez pas voulu que, tandis que vous déclariez hautement la liberté de tout citoyen, il se formât des associations qui la contrariassent. Voilà Ie3 principes que nous devons appliquer aux ordres de chevalerie. La constitution de ces ordres présente plusieurs considérations principales; dans les uns, c’est la distinction, la prérogative de naissance qu’il fallait avoirpour y être admis; dans ceux-ci, il fallait 4 degrés de noblesse; dans tel autre, un plus grand nombre de degrés ; dans d’autres encore, on exigeait un certain état, par exemple, le célibat; on exigeait quelquefois une profession solennelle de vœux réguliers, un certain rang, un certain état. Dans ces mêmes ordres, vous aviez des statuts particuliers, des serments par lesquels on s’obligeait à l’observation de ces statuts; et peut-être que si l’on examinait avec scrupule, ou les statuts, ou les serments qui obligeaient à les observer, on y trouverait une foule de dispositions qui sont contraires aux lois que vous avez établies, aux lois que vous avez fait dériver de ces grands principes d’éternelle vérité. Enfin, dans ces mêmes ordres, on peut considérer la récompense nonorifique et la distinction qui y était accordée. Par exemple, il y avait tel ordre dont le nombre de membres n’était point limité, qui ne donnait point à chacun de ses membres une certaine portion des biens appartenant à l’ordre, ce qui, à l’égard d’un très grand nombre d'individus, ne pouvait être regardé, sauf peut-être une condition que l’on exigeait, que comme une distinction militaire. Tel est donc l’état des différents ordres qui existent dans le royaume. Vous voyez, Messieurs qu’il y a une partie de ce qui se rencontre dans ces ordres, qui est absolument inconciliable avec votre Constitution. Lorsqu’il n’existe plus de noblesse, il est impossible de concevoir une corporation quelconque reconnue par la loi de l’Etat, dans laquelle on ne pourrait entrer qu’en justifiant de ce qui n’existe plus : il n’est pas possible de justifier du néant, il n’est pas possible de justifier de la noblesse en France, pour être admis dans aucun ordre. (Applaudissements.) Mais il y a dans quelques-uns de ces ordres d’autres parties qui ne sont pas inconciliables avec la Constitution. Dans la loi du 23 août, relative aux pensions, vous distinguez les récompenses à accorder par l’Etat, en récompenses honorifiques et en récompenses pécuniaires. Vous avez donc entendu qu’il existerait des récompenses honorifiques? Ces récompenses honorifiques entraîneraient-elles une distinction ou ne l’entraîne-raient-elies pas? Ce n’est pas ce que vous avez à examiner aujourd’hui, parce que ce n’est pas le point que vous avez voulu décider relativement aux ordres; et à cet égard, la question doit rester parfaitement entière. Il serait imprudent de vouloir décider que les distinctions seront de telle ou telle nature; il serait aussi imprudent de décider que, dès ce moment, il ne restera plus aucune distinction, pas même la décoration militaire, que vous avez confirmée par plusieurs de vos décrets. [30 juillet 1791.} Vos comités ont pensé qu’ils n’étaient chargés que d’examiner ce qui, dans les ordres, était contraire à la Constitution, et que, quant à ce qui n’y était pas contraire, ils devaient absolument les laisser intacts, pour en délibérer quand vous le jugerez à propos; tels ont été les premières vues de vos comités relativement aux ordres qui existent en France. Relativement aux ordres étrangers, vos comités n’imaginent pas que vous ayez à statuer sur leur conservation ou abrogation; mais ce qui vous appartient, c’est de savoir si vous voudrez que des Français se lient à des établissements que vous regardez comme inconstitutionnels en France. Gomment serait-il possible, par exemple, que la noblesse n’existe plus, et ne pouvant plus se prouver, un français pût espérer l’admission dans une corporation où l’on ne peut entrer qu’en justifiant d’une noblesse? Il s’ensuivrait donc qu’un français serait noble, et il est impossible qu’un français soit noble, dans le sens dont on l’entendait autrefois. (Rires à droite.) Je dis comme on l’entendait autrefois, parce que actuellement les Français possèdent la véritable noblesse (Murmures a droite.), celle qui dérive de la liberté, de l’égalité et des vertus, tandis que l’ancienne noblesse, telle qu’on l’entendait jadis, n’était que le droit de devenir un valet de cour. (Applaudissements réitérés dans la partie gauche et dans les tribunes.) M. de Croix. C’était souvent aussi pour avoir le droit de sacrifier sa fortune et de verser son sang pour la patrie; il ne faut pas accuser tout un ordre des bassesses de quelques individus. M. Camus, rapporteur. Ces principes-là étant incontestables, vos comités ont pensé que puisque vous avez décrété, le 23 août, qu’aucun français ne pouvait accepter une pension d’une puissance étrangère, à plus forte raison, aucun français ne pouvait conserver son admission dans un ordre étranger où l’on exige des preuves du genre de celles dont j’ai parlé; qu’ils restent, s’ils veulent, dans ces ordres; mais qu’ils sachent qu’alors ils ne seront plus français. (Murmures à droite.) Le dernier objet à considérer relativement aux ordres, c’est la possession de leurs biens; et à cet égard, il faut distinguer encore les ordres français existants et les ordres étrangers. Par rapport aux ordres français, il pourra y avoir des précations particulières à prendre. Relativement aux ordres étrangers, pourquoi ne posséderaient-ils pas des biens en France sous la sauvegarde de la loi, de même que des princes étrangers peuvent en posséder? Mais les comités ont pensé que ce n’était pas non plus aujourd’hui le moment d’examiner cette question. Vous n’avez voulu vous occuper aujourd’hui que du principe constitutionnel. D’après ces considérations, voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités militaire, diplomatique, ecclésiastique et des pensions, décrète ce qui suit : « Art. 1er. La Constitution française n’admettant aucun ordre, association ni corporation particulière dans l’Etat, l’Assemblée nationale déclare que la décoration militaire actuellement existante ne peut être la base d’une corporation; que toute récompense honorifique n’est qu’individuelle et personnelle, et qu’il ne saurait y avoir dans le royaume aucun ordre ou corporation