ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 550 [Assemblée nationale.] des officiers du siège royal et principal de la Basse-Marche, établi en la ville du Dorât, et de ceux de la sénéchaussée delà Basse-Marche, séant à Bellac ; delà municipalité de Monchampsen Poitou ; des officiers municipaux de la ville de Thouart; des communes de la Marche ; de la Gar-nache en Bas-Poitou ; de tous les citoyens de la ville et campagne de Beaufort en Anjou ; de la ville de Charlieu en Lyonnais ; de la ville de Moyenvic ; du comité permanent de la ville de Tours ; de la ville de Compiégne ; des officiers de la justice de Cosne-sur-Loire; du corps municipal de Mabrien en Languedoc; du comité permanent du district de Quincey en Franche-Comté ; de la ville de Mées ; de tous les citoyens de la ville de Gardanne en Provence, et de la ville de Saissac en Languedoc. MM. les secrétaires ont rendu compte de différentes lettres: 1° de M. Tascher, président au parlement de Metz, qui fait hommage à la nation d’un brevet de pension de 1 ,200 livres, et demande qu’une autre pension de 800 livres placée sur sa tète, soit transférée sur celle de sa mère âgée de plus de quatre-vings ans ; 2° de M. le comte de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre ; 3° du sieur Mongeot, directeur d’une instruction gratuite en faveur des ouvriers de Paris; du sieur deMarcombe, de Tours; du sieur Aubry, médecin ordinaire du Roi, qui demande le titre de médecin de l’Assemblée nationale ; enfin, des procès-verbaux de la prestation de serment du premier bataillon de Bassigny, et du bataillon auxiliaire en la ville de Port-Louis enBaetagne; de la prestation de serment des troupes en garnison à Montpellier, et de l’assemblée de la noblesse de la Basse-Marche, qui renouvelle les pouvoirs de son député à l’Assemblée nationale, et l’autorise à délibérer sur tous les objets qui seront proposés. La liste des membres qui ont été élus par les généralités, pour composer le comité des droits féodaux, a été lue à l’Assemblée. 11 a été aussi donné lecture du procès-verbal de la séance du 31 au matin ; et quelques difficultés s’étant élevées au sujet de la rédaction de ce procès-verbal, dont la réforme entière avait été demandée, l’Assemblée a été aux voix, et a décidé que le procès-verbal ne serait point réformé, sauf quelques légères corrections. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion relative à la sanction royale. M. Crénière. La question que nous agitons a donné lieu à des discussions très-savantes ; l’on a opposé des systèmes à des systèmes contraires ; des opinions différentes à d’autres opinions; les gouvernements ont été jugés; tous les peuples ont été appelés en témoignage ; en un mot. on a tout dit, excepté la vérité, oui, Messieurs, tout dit excepté la vérité; et je vais la faire entendre ; et si mes efforts ne sont pas vains, je ne me plaindrai pas delà tâche qui m’a été laissée. L’on doit d’abord s’apercevoir de la différence qu’il y a entre te veto et la sanction, comme de celle qu’il y a entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; l’un, dit-on, appartient au peuple, l’autre est confié au Roi. L'on avoue ensuite que le peuple a le droit de faire des lois, et que le Roi est chargé de les faire exécuter. Je conclus de tout cela qu’il faut s’armer contre l’évidence meme pour vouloir investir du droit de veto le pouvoir exécutif. 11 est aussi absurde de soutenir une pareille thèse, qu’il le serait de dire : Puisque vous [3 septembre 1789.] accordez au pouvoir exécutif le droit d’empêcher le pouvoir législatif de faire des lois nouvelles, il faut aussi, par une juste réciprocité, que le pouvoir législatif puisse empêcher le pouvoir exécutif de faire exécuter les lois anciennes ; car ces deux pouvoirs étant égaux, ils doivent avoir la même influence, et de là il résultera un très-bel ordre de choses. Mais, dit-on, nous n’accordons pas ce droit, il appartient au Roi; il est partie intégrante du pouvoir législatif. Mais alors que pourra donc le pouvoir législatif s’il ne peut faire des lois? et qu’est-ce qu’un pouvoir qui ne peut rien ? qu’est-ce qu’un Corps législatif qui peut décréter et qui ne le peut pas ? qu’est-ce qu’un législateur qui veut, et un roi qui ne veut pas ? Que l’on m’explique donc toutes ces contradictions! En attendant, je raisonne ainsi : Personne n’a le droit d'empêcher une nation de faire des lois ; une nation peut faire une Constitution, doue personne n’a le droit de l’en empêcher. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai démontré qu’aucune aulori té n’est légitime qu’autant qu’elle est nécessaire; que le Roi n’en doit avoir qu’autant qu’elle est suffisante pour défendre notre liberté, et non pour l’attaquer. Eh ! que serait le Roi, s’il pouvait tout contre la nation, s’il pouvait rendre nul à son gré le pouvoir législatif? Souvenez-vous que la souveraineté réside dans le peuple, souvenez-vous que vous avez ordonné la responsabilité des ministres; souvenez-vous aussi des effets du veto, et demandez-vous à vous-mêmes s’il est nécessaire. Le Roi ne pmt empêcher l’exercice du pouvoir législatif. 11 me reste à démontrer s’il faut adopter le veto suspensif. Le Roi ne peut connaître les limites de son autorité qu’après avoir ratifié et sanctionné la Constitution ; que l’on ne s’y méprenne pas : j’entends par sanction l’acte par lequel le souverain s’oblige à la faire publier et la faire exécuter. Je ne distin-ue ici ni le veto absolu ni le veto limitatif ou moitié. Je discute les principes. Ainsi, nous disons tous que la loi est l’expression de la volonté générale; mais chacun adapte cette définition à son système. Les uns entendent la volonté manifestée par des députés ; et c’était là le système des représentants ; d’autres veulent que l’on ajoute la volonté du prince, et, selon eux, l’Etat sera libre ; d’autres enfin veulent un sénat, et le peuple français, dit-on, sera le peuple le plus heureux de la terre. Mais je définis ainsi la volonté générale : c’est celle de la majeure partie des citoyens français. Il est impossible de reconnaître deux volontés générales, et cependant il y aurait celle du peuple et celle du prince; mais il est possible de recueillir les voix des citoyens, et cela vaut mieux que de s’en rapporter à celles des représentants et du Sénat. Or, alors il n’est nullement question de veto ; ce n’est donc que dans le cas où la volonté générale qui fait la loi est maintenue, d’autant qu’il peut y avoir de la difficulté. Or, on considère dans quel embarras jette le désordre de vos délibérations celui qui met de l’ordre dans ses idées. Le veto sera donc conditionnel, et je m’explique. Si le peuple jouit de la liberté de faire des lois, il en doit jouir sans aucune restriction ; si le peuple n’en jouit que par ses représentants, il n’aura pas alors usurpé le pouvoir législatif, et [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1789.] 551 je m’écrierais alors : 0 mes concitoyens ! puisque vous méconnaissez le poids de l'esclavage, puisque le prince laisse retomber dans vos mains une partie de ses pouvoirs, n’accordez pas un seul veto , accordez-hii en mille ! Ainsi je déclare que si le pouvoir législatif se trouve organisé de telle manière que tout citoyen puisse concourir à la confection de la loi, il ne peut y avoir de veto... Mais si des représentants divisés en deux chambres, ou réunis dans une seule, permanente ou non, croient avoir la souveraineté en main, alors même je réclame un veto individuel pour chaque citoyen français. Je déclare encore que comme il est impossible que l’esprit de parti soit l’esprit de justice, il est également impossible que je me range d’aucun parti; que la servitude etla licence étant opposées à la liberlé, je déteste ces deux excès ; je déclare encore qu’il n’est aucune puissance humaine qui puisse commander à ma conscience ni moditier ma volonté. M. Goupil de Préfeln. Un des orateurs a judicieusement commencé par demander : qu'est-ce que la sanction ? elle n’a pas élé jusqu’ici assez bien définie. Les luis romaines, qui sont ce qu’il y a de plus pur eu législation, nous disent que si les hommes voulaient toujours se conduire par la raisou, ils feraient eux-mêmes les lois; mais telle est leur faiblesse qu’il faut recourir à la force pour en commander l’exécution. La sanction u’est rien autre chose que le pouvoir exécutif qui reçoit la loi pour la mettre en vigueur. Or, elle ne peut être mise en vigueur qu’après avoir été promulguée: c’est là un principe incontestable. Or, observez que la promulgation doit avoir un caractère solennel, pour qu’on ne confonde point les actes du pouvoir législatif comme ces papiers éphémères, colportés dans les places publiques: voilà du nouveau, donné tout à l’heure! Comment la loi de la promulgation peut-elle être changée? Ce n’est que par une loi nouvelle, et cette loi nouvelle doit elle-même être promulguée dans les formes anciennes. De là la question de savoir si l’Assemblée nationale peut résoudre, sans l’intervention du prince, la sanction royale. Vous savez tous que nos lois ont élé jusqu’ici publiées sous les auspices du monarque. En France, il faut qu’elles soient munies du sceau royal. Dans l’anarchie féodale, nos rois avaient perdu ce droit, et ils ont fait, conjointement avec les barons représentant les provinces qu’ils avaient assujetties, différentes ordonnances pour le leur ressaisir. Dans la suite, le diplôme législatif a été envoyé aux cours, et alors elles en ont attesté l'authenticité. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale est réunie pour faire des lois ; ces lois seront promulguées, elles le seront même dans une forme nouvelle ; mais il faudrait un diplôme législatif, muni du sceau royal et du cachet de l’Assemblée, pour annoncer ce "nouveau changement. On nous conduit à la nécessité d’approfondir la question de la distinction des pouvoirs. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif donnent des fonctions différentes, et ils appartiennent au même corps politique. La .Constitution doit arrêter les entreprises d’un pouvoir sur un autre, et ce n’est que dans l’autorité royale que l’on peut en trouver le moyen, parce qu’alors elle circonscrit le pouvoir législatif. On a voulu excepter de la sanction royale la Constitution ; on a invoqué le sentiment de M. de Cazaux: Une constitution, dit-il, est une manière de gouverner et d’être gouverné. Mais ce gouvernement doit avoir des règles, qui, comme les autres lois, sont nécessaires à la promulgation et à la sanction. La sanction est donc nécessaire pour la Constitution. Nous ne venons pas dire ici, comme cet ancien philosophe : Donnez-moi du mouvement et de la matière, et je ferai un monde. Nous ne venons pas faire une Constitution, mais raffermir la Constitution ancienne ; c’est ici que je réclame mes cahiers ; les électeurs n’ont pu prescrire aux députés la subversion de la Constitution, parce que ceux-ci n’en avaient pas le pouvoir. Je pense donc que, vis-à-vis de l’Assemblée, le veto doit être suspensif. Voici l’arrêté que je propose : « L’Assemblée nationale arrête que tous les décrets faits et à faire seront présentés au Roi, avec supplication de faire expédier des lettres-patentes scellées du grand sceau, lesquelles seront envoyées d’abord à l’Assemblée nationale pour être déposées dans les archives, ensuite dans toutes les cours de justice, pour y être enregistrées et publiées, pour être les décrets exécutés suivantleur forme et teneur; et, dans le cas où le Roi refuserait, il fera connaître son intention et les motifs de son refus. Alors l’Assemblée mettra de nouveau la matière en délibération ; et, dans le cas où elle persisterait, elle ferait imprimer son décret, l’exposition des raisons du prince et la justitication de l’Assemblée. La matière serait jugée dans la prochaine session : il faudrait les trois quarts des voix dans les assemblées élémentaires, et les trois quarts dans l’assemblée générale ; alors le Roi ne pourrait se dispenser de donner des lettres-patentes sur ce décret. » M. le baron de Jessé plaide la cause du veto suspensif; il dit que le vélo absolu est vide de sens ; que le veto anglais est dangereux ; que quand le parlement présente un biil, le Roi répond qu’il le croit dangereux pour son autorité ou pour le peuple, que si le pouvoir exécutif persiste dans son refus et que le pouvoir législatif persiste également, le premier dissout le second. 11 se détermine pour le veto suspensif. Ici la discussion est interrompue, et l’on demande à aller aux voix. M. Target observe que l’on ne doit arrêter l’article de la sanction royale qu’avec tous les autres articles proposés par M. le vicomte de Nouilles; qu’il faut consacrer le reste de cette journée à la discussion delà sanction, et demain. discuter celle de la permanence. M. l’abbé Maury pense qu’il ne faut point faire de longs discours pour présenter le vœu de ses commettants. La motion de M. Target est adoptée, et l’on reprend la discussion. M. le chevalier de ILamelh. On oppose le vœu des commettants en faveur de la sanction. J’avoue qu’elle est renfermée dans la majorité des cahiers; mais ils n’ont point arrêté la forme fixée, l’étendue déterminée, l’organisation des pouvoirs; ils nous ont dit de donner à la France une Constitution, d’assurer le pouvoir législatif au peuple, et de remettre le pouvoir exécutif dans la main d’un seul ; c’est donc à notre conscience qu’ils s’en sont rapportés sur la nature du veto. Au reste, les temps sont bien changés depuis que nous avons reçu nos mandats. Dans le temps des assemblées élémentaires, le peuple avait à se plaindre des déprédations ministérielles ; depuis il a 552 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1789.] été sur le point d’être frappé par le coup le plus terrible, la dissolution des Etats, et une généreuse insurrection lui a rendu ses droits. La question de là sanction royale peut être saisie sous deux rapports, soit sur la Constitution, soitylans la Constitution : le premier point a été suffisamment éclairci, je ne m’arrêterai que sur le second. La souveraineté réside dans la nation ; de là la nécessité de choisir des représentants pour exercer cette souveraineté, pour faire la Constitution et organiser les pouvoirs. La Constitution ne consiste que dans leur distribution; l’un est législatif, l’autre est exécutif; et c’est en les divisant que l’on est sûr de jouir de la liberté; c’est pour qu’ils ne se combattent pas sans cesse que le veto devient nécessaire. Mais sera-t-il absolu ou suspensif? Les représentants font une loi, la présentent au Eoi; le Roi la "rejette sous prétexte qu’elle est contraire aux lois constitutives ; les représentants persistent ; qui l’emportera, du Roi ou des représentants? Le seul juge, c’est la nation; c’est elle qui est vraiment constituée pour faire son bonheur. Ainsi, l’appel au peuple devient indispensable ; il lui donne le temps de s’éclairer ; les passions s’apaisent, et si les nouveaux représentants exigent la même loi, le Roi est forcé de la sanctionner. Que l’on ne dise pas que la dignité du Roi est blessée. Le Roi peut désobéir aux délégués, mais non à la volonté générale. La difficulté des élections ne sera pas non plus un obstacle ; elles deviendront faciles quand elles se feront par districts; la dissolution des Etats deviendra très-rare, la crainte de. l’improbation retiendra le souverain. Une mutuelle circonspection contiendra les pouvoirs dans de justes bornes. L’on nous a proposé l’exemple de l’Angleterre : Que la France l’ait désiré dans un temps, cela ne prouve pas sa perfection. Un peuple gouverné par les intendants, les commandants militaires, les lettres de cachet, les financiers, pouvait fort bien désirer le gouvernement anglais. Les Anglais ont été obligés de composer avec les préjugés dans leur Constitution. Au reste, il faut moins consulter les exeihples que les principes. L’appel au peuple est le vœu général, et la Constitution doit donner au Roi le veto suspensif. M. de (’astellanc. La question tient tellement à l’organisation des pouvoirs, à la question de savoir si l’Assemblée nationale sera composée en deux Chambres, si elle sera permanente, que l’on n’a pu se dispenser de les examiner. Les préopinants ont établi la permanence, et la majeure partie de l’Assemblée paraît y adhérer. C’est dans cette supposition que je vais examiner la question de la sanction. Vous avez consacré un grand principe dans la déclaration des droits : c’est que tous les pouvoirs sont émanés du peuple. Cette nation, en se choisissant un chef, n’a pu se donner un maître. Les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois. Il en résulte qu’il est soumis à la volonté générale. Le peuple français nous a revêtus de sa puissance : notie autorité est la sienne; et les Français nous ont chargés de faire une Constitution conforme à leurs intérêts. Vous ne souffrirez pas que la volonté particulière soit contraire à la volonté générale. La nation nous a chargés d’arrêter ses lois constitutives, et le Roi n’y peut mettre d’obstacle ; il serait juge dans sa propre cause. Puisque vous n’avez pas demandé la sanction pour tous vos décrets, puisque le Roi les a fait publier, pourquoi demanderiez-vous la sanction sur ceux que vous allez faire? Il faut un veto; mais sera-t-il absolu ou suspensif? Le Corps législatif ne peut détruire les lois fondamentales; il n’a que le droit de les maintenir. Gela posé, il est facile de se former une idée juste de la sanction. Le Roi, s’il est éclairé, décidera lui-même ; il dira : vos représentants ont fait une loi ; je l’ai vue contraire à vos intérêts ; jugez. La nation ne répond que par des députés. Si elle persiste, le roi doit sanctionner; mais il ne faut pas que la même Assemblée représente deux fois la même loi. Je pense comme M. de Beaumetz ; La loi ne sera représentée que par une seconde Assemblée. Pendant l’intervalle, la nation s’éclairera, le roi s’instruira également; et alors, si les députés la représentent, il n’aura cédé qu’à la volonté générale. M. Barnave vous a peint avec énergie les oppositions qui s’élèveront entre les pouvoirs. Ce tableau a paru faire impression; mais j’ajouterai qu’il faut craindre également le sommeil du pouvoir législatif. A toutes les raisons que M. Barnave a mises en usage pour faire rejeter le veto absolu, j’ajouterai que ce veto ne serait jamais que celui du ministère, puisque le roi ne pourrait se refuser à la volonté générale, qui toujours est sage et prudente. Que l’on réfléchisse aux attentats que commettront de mauvais ministres; que l’on réfléchisse aux séductions qui peuvent mettre l’Assemblée dans la dépendance du ministère. Si le veto absolu passait, que deviendrait notre liberté? notre condition serait pire qu’il y a un an. L’on ne verrait plus en France qu’un sultan, des vizirs, des pachas, des esclaves. L’on nous cite l’exemple de l’Angleterre : ne copions pas jusqu’à ses erreurs. Si jles Anglais sont un objet d’émulation, nous ne devons pas leur envier leur veto, leur magistrature, leur imperfection . Les Anglais sont libres, parce que tous veulent être libres, qu’ils ont tous la conscience de leur dignité. Ce u’est pas en un instant que l’on arrive à cette perfection : ce n’est que par une participation graduelle des particuliers à la liberté; ce n’est qu’après une longue éducation politique. Si nous voulons égaler les Anglais en bonheur, il faut les surpasser en bonnes lois. M. l’abbé îllaury. L’on s’est étendu avec beaucoup d’érudition sur le mol sanction. Il vient du rnot latin sandre, qui, dans la bonne latinité, signifie confirmer. Le mot sanction n’est pas un mot nouveau parmi nous. Nous avons la Prag-matique-Sanction de saint Louis, nous avons celle de Charles VII, qui ordonne l’exécution des décrets du concile de Bâle. Les jurisconsultes emploient aussi le mot sanction pour signifier l’application du châtiment à la peine. Ce n’est pas une chose nouvelle dans le droit public, Les Romains, qui ont joui de la liberté pendant huit siècles, connaissaient la sanction. D’après ces notions, il est facile d’en donner une définition. C’est le pouvoir négatif du roi qui, faisant partie intégrante du Corps législatif, a le droit d’en suspendre les actes. Le lui refuser, c’est lui enlever la qualité de colégislateur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1789.1 553 Cela posé, je pense que, dans tous les cas, soit de la permanence ou de la périodicité, de l’unité ou de la multiplicité des Chambres, je pense, dis-je, qu’il est de votre intérêt, car ce n’est pas la cause du roi que je défends, c’est la vôtre, c’est la mienne, il est de votre intérêt que le veto absolu soit laissé au roi. Cette question étant liée à la permanence, je pense que si nous voulons assurer notre liberté, il faudrait aussi ordonner que le Corps législatif s’assemblât tous les ans ; mais sans le veto, ce corps si puissant, qui représente la nation entière, ne reparaîtrait que pour tout changer, au lieu de tout consolider ; et cet esprit de conquête sur les pouvoirs la plongerait dans l’éternel chaos de la confusion et de l’anarchie. C’est avec raison que la sanction royale est la première question soumise à votre discussion; car dans une législation politique la nation ne fera poiut de lois sans la participation du souverain. Le plus grand nombre des lois auront été accueillies par la majorité des suffrages. Le roi ne tes rejettera pas sans les motifs les plus puissants. L’on nous a montré le roi opposé à la nation ; mais n’est-il pas de son intérêt de se confondre avec son peuple? Quel est le peuple sage qui, par l’organisation des pouvoirs, ne se prémunit pas contre celui qui peut tout, et qui voudrait tout exécuter? Il oppose au pouvoir législatif l’autorité royale. Remarquez avec moi que tous les empires qui ont voulu tant limiter l’autorité du roi ont presque toujours perdu leur liberté. La Suède a voulu ériger son sénat en sénat perpétuel, et elle a plus perdu qu’elle n’avait usurpé. Il est une grande vérité : c’est que quiconque abusé de son autorité la perd inévitablement. J'en appelle ici à votre propre expérience ; toutes les fois que le roi a abusé de sa puissance, il l’a perdue; toutes les fois que le peuple a voulu ressaisir l’autorité royale, il a fini par tomber dans l’esclavage. A la lin du dernier siècle, deux souverains ont attiré tous les regards de l’Europe, Charles II et Louis XIV. Croit-on qu’ils ont dû, dit M. Hume, leur haute puissance à leur génie et à leurs ministres? Non sans doute; l’un ne l’a due qu’à la guerre de la Fronde, le peuple honteux n’osa rien faire contre son souverain ; et l’autre a trouvé la source de son pouvoir dans l’échafaud de son malheureux père. L’Angleterre a changé neuf à dix fois de dynastie, et n’a jamais eu aucun roi anglais. Les Romains, le Danemark, la Suède, la maison d’Orange, de Brunswick, lui ont donné successivement des maîtres. Aussi a-t-elle fixé depuis à son souverain un pouvoir raisonnable ; par là ils ont fait que leur souverain a celui de résister. La sanction n’esf pas la prérogative du peuple, mais celle du roi ; le roi ne peut faire de loi; mais il me semble qu’une émulation de concours assure le bonheur du peuple. Si le roi est aveuglé, si la nation est emportée dans un moment d’insurrection ou de fanatisme, n’est-il pas désirable que ces deux pouvoirs se rapprochent au lieu de se combattre? Il est nécessaire que le pouvoir exécutif soit libre et impartial : le serait-il, si le Corps législatif faisait des lois sans sa participation, et surtout si vous en pouviez faire contre lui? S’il est dépendant de l’Assemblée nationale, il aura recoursàces infâmes moyens employés parbiendes princes, d’acheter la vertu d’une partie de leurs sujets pour écraser l’autre. 11 en est de même du pouvoir judiciaire; son concours est nécessaire, parce qu’il ne faut qu’un seul pouvoir exécutif, et il y en aurait nécessairement deux, si la nation avait le droit de faire exécuter les lois. Vous avez sous les yeux l’exemple de la Hollande : pressée entre les flots de l’Océan et l’inquisition, elle a déposé dans les mains d’un stathouder un pouvoir qui n’a aucune influence sur le pouvoir militaire et judiciaire; pour remédier à cet excès, on lui a donné la nomination des places. Les représentants des Provinces-Unies lui ont demandé de ne nommer que dans une certaine classe, et cette classe était celle de la noblesse. Aussi de là est née la plus monstrueuse aristocratie. Séparez-vous vos pouvoirs au premier choc, vous tomberez dans l’anarchie! On propose un parti bien étrange: le veto absolu pour l’Assemblée nationale, et le veto suspensif pour le peuple; mais cela revient au même; l’Assemblée nationale fait partie de la nation, et par là ne serait exposée qu’au veto suspensif. Toute autorité, dit-on, vient du peuple, mais cette autorité ne réside plus dans ses mains; il a réglé les pouvoirs, il les a distribués, et il ne peut les ressaisir à son gré sans le plus grand désordre. Dans un siècle éclairé, il est une puissance supérieure à toutes les autres; c’est l’opinion publique. La liberté de la presse est à jamais assurée, et il est évident que c’est le plus grand bienfait que l’Assemblée nationale ait pu accorder à la nation. La presse est libre, le genre humain est sauvé; il n’y aura plus de despote. Prenez garde qu’avec un veto suspensif le peuple et le Roi ne soient tyrannisés. Que l’on ne craigne pas les ministres; Richelieu Jui-même eût étouffé son génie despotique devant une Assemblée aussi solennelle. Voici le projet d’arrêté que je vous propose : « Les représentants du peuple français, réunis en Assemblée nationale, considérant qu’il est de l’intérêt de la liberté que le plus parfait concert règne entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif; que le Roi en est partie intégrante; qu’aucune loi n’est obligatoire, si elle n’est solennellement consentie par la nation et sanctionnée par le Roi : « Arrête, par un décret perpétuel et irrévocable, qu’aucune loi ne sera reconnue comme loi de l’Etat, que lorsqu’elle aura été proposée par l’Assemblée nationale et sanctionnée par le Roi, sans être obligé de motiver son refus dans le cas où il la rejetterait. Arrête, en outre, que le présent arrêté sera porté au Roi par une députation solennelle, o La séance est levée. Séance du soir. M. le Président propose à l’Assemblée de s’occuper de l'affaire relative à l’approvisionnement de Saint-Domingue. M. de Cocherel lit un mémoire sur le provisoire. , dans lequel il cherche à prouver que les ordonnances rendues par M. du Ghilleau, gouverneur général de Saint-Domingue, ont sauvé cette île précieuse; mais qu’elle est dans le plus