SÉNÉCHAUSSÉE DE BORDEAUX CAHIER De l'ordre du clergé de la sénéchaussée de Guyenne (1). Le clergé de la sénéchaussée de Bordeaux, désirant, autant qu’il est en lui, seconder les vues bienfaisantes et paternelles du monarque en éclairant sa sagesse sur les causes, le nombre, les excès des abus, et sa bonté sur les moyens d'y pourvoir et d’en prévenir efficacement le retour ; persuadé d’ailleurs que c’est préparer une double harmonie entre les droits respectifs du souverain et ceux imprescriptibles de la nation ; que c’est assurer la stabilité des uns et des autres que de tracer la ligne destinée, non pas à marquer leur séparation mais leur correspondance, non pas leur confusion mais leur concours, pensant enfin uela tranquillité du monarqueet celledes peuples oivent résulter de la dénomination des principes constitutionnels qui servent à la fois de base commune à l’autorité, à la liberté, à la propriété, il a cru devoir recommander à ses députés de demander : 1° Que les lettres de cachet et autres actes arbitraires contre les citoyens de tout ordre soient supprimés, sauf les cas où la sagesse des Etats généraux reconnaîtrait la nécessité de l’intervention de l’autorité, en pourvoyant toutefois aux précautions nécessaires pour en écarter tout abus. 2° Qu'avant tout il soit arrêté de la manière la plus solennelle etcomme principe constitutionnel, que tout impôt sera indispensablement consenti par la nation, ainsi que le Roi l’a déclaré lui-même à la dernière assemblée du clergé de France, et que pareillement nul emprunt ne sera fait, et nulle loi générale et permanente établie, que d'après le consentement formel des Etats généraux. 3° Que l’Assemblée nationale réglera l’organisation et la forme de convocation des prochains Etats généraux ; quelle fixera l’époque qui lui paraîtra la plus convenable pour la tenue suivante, mais avec cette condition qu’elle n’excédera pas le terme de cinq ans ; que jamais, à l’avenir, les Etats généraux ne se sépareront sans avoir déterminé la convocation suivante et que l’impôt consenti ne pourra, dans aucun cas, être prorogé que de six mois au delà de l’époque qui aura été fixée. 4° Que l’antique distinction des trois ordres sera reconnue aux Etats généraux inviolable et constitutionnelle. 5° Qu'il soit établi desEtats provinciaux, lesquels seront organisés dans le sein même des Etats généraux, que les députés seront choisis dans les différents ordres et librement élus dans les provinces ; que le second ordre du clergé y sera appelé dans une proportion équitable et en raison (1) Nous reproduisons ce cahier d’après un mauuscrit des Archives de l'Empire . de son nombre et de son imposition ; qu’enfin dans lesdits Etats provinciaux la représentation du clergé sera toujours égale à celle delà noblesse. 6° Que l’impôt soit simplifié le plus qu’il sera possible ; et nous enjoignons à nos députés de présenter aux Etats généraux, au nom du clergé de cette sénéchaussée, le vœu unanime que l’impôt ne frappe jamais la classe des journaliers qui, dans les campagnes, ne subsistent que du travail de leurs mains. 7° Le clergé consent à être imposé en raison de ses facultés et dans une juste et exacte proportion avec tous les ordres de citoyens, après la vérification contradictoire de ses propriétés ; nos députés sont même autorisés à offrir le sacrifice de nos formes actuelles de répartition, si le bien public l’exige, sauf à les rectifier équitablement dans le cas où elle seraient conservées. 8° Lorsque les Etats généraux auront fixé la somme générale des impôts que devra fournir le royaume, ils régleront la quotité que devra supporter chaque province, pour que la répartition y soit faite sous la direction des Etats provinciaux. 9° Les députés consentiront la consolidation de la dette publique, après l’avoir constatée, et en détermineront l’acquittement par les moyens qui leur paraîtront les plus convenables et les moins onéreux pour la nation. 10° Les députés seront chargés de demander la fixation des dépenses tant durables qu’à terme, tant fixes que viagères, tant ordinaires qu’extraordinaires, la publicité annuelle de l’état des pensions et de leur motif, celle des comptes de finances, leur examen en la forme qui sera trouvée la plus convenable et la révision desdits comptes par les Etats généraux, suivant la réforme, la simplification de la comptabilité ainsi que la recherche vigoureuse de ceux qui auraient malversé ; enfin qu’il soit pris les mesures les plus convenables pour prévenir dans tous les cas, soit l’inconduite, soit l’incapacité dès ministres. 11° Ils demanderont aussi que la dette du clergé contractée pour l’Etat soit réputée et reconnue dette de l’Etat, et que l’on y comprenne les dettes des diocèses qui ont la même origine. 12° Qu’il soit pris les moyens les plus convenables pour supprimer la milice, comme la charge la plus onéreuse pour les campagnes. 13° Que la corvée soit abolie et qu’on y substitue une prestation en argent sous la direction des Etats provinciaux et supportable par tous les ordres des citoyens. 14° Nous chargeons très-expressément nos députés aux Etats généraux, de représenter avec le plus grand zèle qühme des causes principales de dépravation dans les campagnes est i’impéritie des chirurgiens et des accoucheuses ; ils proposeront aussi d’établir un meilleur ordre pour le choix des notaires dans les campagnes. 15° Il sera pris les mesurss les plus convenables pour parvenir à supprimer les exactions do- [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Bordeaox.l 393 maniales, à modifier les droits trop onéreux, surtout en faveur des pauvres, et ne maintenir que des dispositions et des tarifs clairs, précis, publics et à la portée de tout le monde. 16° Us demanderont l’entière liberté du commerce dans l’intérieur du royaume et le recule-ment des douanes aux frontières ; ils proposeront aussi de s’occuper des moyens de détruire l’esclavage des nègres ; ils insisteront pour la suppression des loteries; ils voteront pour les moyens qui seront jugés les plus propres à abolir la mendicité, comme aussi pour un régime plus convenable pour conserver les enfants trouvés et en diminuer le nombre par les institutions les plus propres à engager les mères à nourrir leurs enfants. 17° Ils solliciteront la réforme des Godes civil et criminel, les moyens d’abréger les procès et de réformer les abus dans l’administration de la justice et spécialement par rapport aux décrets. 18° Ils proposeront aussi d’établir dans les campagnes, par paroisse ou par arrondissement, dés bureaux de charité pour les pauvres et de conciliation pour prévenir etaccommoder les différends. 19° Ils demanderont que les cours souveraines continuent, comme par le passé, d’être les dépositaires des lois générales consenties par les Etats généraux, d’en surveiller l’exécution, mais sans pouvoir en changer ou modifier les dispositions. 20° Que les abus de committimus et des évocations soient réformés, afin que les droits de committimus et les évocations soient réduits au cas de droit. 21° Nos députés concourront avec les Etats généraux pour prévenir les inconvénients de la licence de la presse et établir en cette partie une sage police. 22° Qu’il ne soit jamais établi de commission qui tendrait à ravir le citoyen à ses juges naturels. 23° Quant à la manière de voter ou par ordre ou par tête, le clergé de la sénéchaussée s’en réfère aux Etats généraux. 24° Nos députés seront chargés de demander aux Etats généraux de sanctionner le maintien de la religion catholique et romaine, étant {g. seule vraie, la seule dominante dans le royaume, et la seule à laquelle appartient le culte public ; que les catholiques réputés tels par leur naissance ou par la profession publique de la religion ne puissent, en aucun cas, être admis à se marier avec des non catholiques ; ils demanderont aussi la suppression de l’édit concernant les non catholiques, qui donne aux curés la faculté de publier les bans des non catholiques, l’ordre du clergé déclarant ne pouvoir pas prêter son ministère pour des mariages autres que ceux qui sont contractés suivant le rit catholique. 25° Le lustre et la splendeur de la religion ne pouvant plus sûrement se perpétuer qu’au moyen des conciles nationaux et provinciaux recommandés par les conciles généraux eux-mêmes, nous chargeons nos députés de demander expressément le rétablissement de ces assemblées et fixer, au plus tard un an après la clôture des prochains Etats généraux, l’époque du premier concile provincial dans chaque métropole. 26° La chambré ecclésiastique voudra bien s’occuper de l’éducation publique et de donner un plan général qui puisse remédier à la décadence des mœurs et des bonnes études. 27° Nos députés demanderont l’exécution de toutes les lois et ordonnances portées pour le maintien des mœurs, et notamment de celles qui défendent l’établissement des maisons particulières d’éducation de l’un et de l’autre sexe, sans l’autorisation des supérieurs ecclésiastiques. 28° Ils emploieront leur influence en faveur des corps religieux, ils réclameront que leur existence et leurs propriétés soient sous la protection du Roi et de la nation, comme celles des autres citoyens. 29° Ils représenteront aussi que la fixation des vœux à vingt et un ans prépare de plus en plus l’anéantissement des corps religieux et qu’il paraîtrait plus convenable que cet âge fut fixé à dix-huit ans. 30° Nos députés insisteront aussi auprès des Etats généraux pour le maintien et l’exécution des lois ecclésiastiques et civiles qui intéressent la religion, et les mœurs, et le culte publie, et dont l’infraction, devenue si fréquente et si publique, excite les plus justes réclamations. 31° Ils demanderont que l’amortissement étant rappelé à son institution primitive, les gens de mainmorte soient affranchis des extensions rigoureuses du lise ainsi que des droits vexatoires auxquels ils sont assujettis, soit quand ils réparent d’anciens bâtiments, soit quand ils en construisent de nouveaux sur leurs fonds déjà amortis ; ils demanderont aussi d’être délivrés de la dure et injuste obligation d’obtenir la permission du conseil ou de l’intendant pour de nouvelles constructions ; ils demanderont aussi la réformation et la modification des dernières lois concernant les défrichements, et spécialement pour l’intérêt des décimateurs dans les landes de Bordeaux et dans le Médoc, ils solliciteront une loi qui fixe invariablement dans toute la sénéchaussée les fruits sujetsaux menues dîmes etle taux desdites dîmes. 32° Un des premiers soins des députés sera d’insister sur tous les moyens justes et convenables d’améliorer le sort des curés et vicaires non suffisamment dotés, d’abord en y employant les dîmes qui y sont spécialement hypothéquées, ensuite par l’application des bénéfices moins nécessaires, conformément aux vues du concile de Trente, même de ceux qui dépendent du patronage royal, ci qu’on se flatte que Sa Majesté voudra bien sacrifier à une destination aussi privilégiée; il conviendrait aussi de supplier Sa Majesté d’assigner, en attendant l’époque des jouissances qui doivent résulter desdites unions, dès pensions sur les bénéfices qui viendront à vaquer à sa nomination aux cures dont la situation réclame les plus prompts secours. La diversité des besoins des curés et des vicaires suivant les localités et les circonstances, et la variété dans le produit des dîmes n’exigeant ou ne permettant pas d’assigner partout une dotation uniforme, on se contentera d’observer que la cherté des denrées dans cette sénéchaussée exige la plus forte fixation, que les calculs présentés à l’assemblée établissent que le revenu de tout curé de ce diocèse, congruiste ou non, suffisamment doté, soit porté pour le nécessaire à la somme de 1 ,800 livres et celui des vicaires à celle de 930 livres. Nos députés représenteront aussi que la situation des curés de la ville de Bordeaux exige une attention toute particulière, surtout si, comme il est désirable, on supprime le casuel qui leur est aujourd’hui nécessaire, et dont ils demandent eux-mêmes la suppression. Qu’on ne peut se dissimuler que, si, d’une part la dotation ecclésiastique permet d’aspirer à remplir des objets aussi importants, il est juste, d’un 394 [Etats gên. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Bordeaux. autre côté, de prévenir le trop grand préjudice ou Ja ruine d’établissements chers et précieux à la religion et à l’Etat, et que par conséquent il est expédient de pourvoir à leur équitable indem nité. Qu’il est également nécessaire d’assurer dans chaque diocèse des moyens d’éducation gratuite pour les pauvres clercs, des moyens� d’une retraite honnête pour les curés et autres prêtres que l’âge ou les infirmités contraignent à quitter les fonctions du saint ministère, et enfin une dotation convenable pour les fabriques indigentes. Qu’il est juste et nécessaire que les curés et vicaires dépendant de l’ordre de Malte jouissent d’un sort égal aux autres, le tout à la charge des commanderies, et que lesdites cures soient inamovibles comme les autres. Et pour mieux mettre nos députés en état de faire valoir ces demandes, MM. les curés sont invités à leur fournir des mémoires sur les moyens qu’ils estimeront les plus convenables pour opérer leur succès. Ils demanderont enfin que les novales soient déclarées appartenir aux curés comme par le passé, nonobstant les arlicles 4, 10 et 14 de l’édit de 1762, desquels on demandera la révocation. 33° Ne pourront néanmoins consentir définitivement aucun impôt jusqu’à ce qu’une loi solennelle ait assuré la périodicité, des Etats généraux, la nécessité de leur consentement pour tout impôt ou emprunt, la liberté individuelle et les propriétés, et sera la loi qui interviendra sur ces quatre objets adressée à toutes les cours souveraines pendant la tenue même des Etats généraux, pour y être déposée et • promulguée dans tout le royaume. 34° Nos députés seront enfin chargés de représenter aux Etats généraux l’état déplorable où a été réduite l’église métropolitaine de Bordeaux, par l’incendie du 25 août 1787, qui en a consumé les combles et l’a dégradée dans presque toutes ses parties ; que ce monument, si précieux à la religion, si recommandable par son antiquité, la beauté de son ensemble et sa qualité de première église de cette province, est d’autant plus intéressant pour cette ville, que c’est le lieu où se réunissent, à certains jours de l’année, pour les cérémonies publiques, les divers ordres de citoyens qui ne s’y voient assemblés aujourd’hui qu’avec la crainte et le danger d’être écrasés par la chute des voûtes considérablement endommagées par le feu; qu’il est d’autant plus instant de pourvoir à sa restauration, qu’un plus long retard en entraînerait la ruine totale; que cette église, en faveur de laquelle les rois de France se sont plu en diverses époques à signaler leur zèle et leur amour pour la religion, excitera sans doute encore les dispositions bienfaisantes du monarque qui nous gouverne, pour parvenir à son rétablissement; qu’en conséquence nos députés seront chargés très-expressément d’engager les Etats généraux ou du moins la chambre entière du clergé à demander au Roi une des abbayes actuellement vacantes ou la première qui viendra à vaquer pendant la tenue des Etats généraux d’un revenu suffisant pour pouvoir entreprendre successivement lesdites réparations, d’après le procès-verbal et devis juridique qui en a été envoyé au gouvernement, et les revenus de ladite abbaye y être employés jusqu’à leur entière confection . Signé Gouge, et l’archevêque de Bordeaux. CAHIER. DE L’ORDRE DE LA NOBLESSE DE LA SÉNÉCHAUSSÉE DE GUYENNE, remis à ses députés aux Etats généraux (1). La noblesse de la sénéchaussée de Guyenne, pénétrée du plus profond respect pour son Roi, animée du zèle le plus pur pour le bien de l’Etat, voit renaître avec transport l’occasion heureuse d’offrir à son prince et à sa patrie un hommage et des sentiments dont elle se fera toujours gloire de montrer l’exemple. C’est en conciliant les intérêts du trône et de la nation trop longtemps séparés, qu’elle s’est livrée aux travaux qui doivent concourir à régénérer la France. Puissent ses efforts assurer à jamais le bonheur d’un souverain, assez grand pour ne l’avoir point trouvé au faîte du pouvoir! Puisse le résultat de ce grand œuvre national cimenter la prospérité d’un peuple auquel il ne manque que la précieuse influence dhme bonne administration ! A la vue du travail immense, préparé par le temps, par l'oubli des principes les plus sacrés, et par une multitude de causes secondes, l’esprit s’étonne, mais le patriotisme s’éveille; il n’est pas possible, sans doute, de se flatter que, dans une première session des Etats généraux, leur zèle et leur activité puissent rendre à la vie, réformer ou créer tant d’objets différents qui seront soumis à leur examen ; Aussi est-ce d’après cette considération que l’ordre de la noblesse croit devoir tracer à ses députés une marche qui, sans rien négliger, présentera tous ces objets divers, suivant la graduation. de leur importance, dans quatre sections destinées à les classer. SECTION PREMIÈRE. Objets préalables, fondamentaux et constitution - nels, qui doivent être arrêtés avant de pouvoir passer à aucune autre discussion. Art. 1er. Attendu que la manière de voter ne peut être réglée que d’après le consentement de chaque ordre en particulier, il est enjoint aux députés de ne point s’écarter, à cet égard, de la forme antique et constitutionnelle de voter par ordre. Art. 2. Quoique Sa Majesté, par une prévoyance bien digne de sa justice, et par des expressions pleines de bonté, ait cru devoir éloigner toute idée de gêner les suffrages, cependant, comme le passé doit instruire pour l’avenir , il est indépensable d’arrêter préalablement que tous les membres des Etats généraux seront regardés comme personnes inviolables, placées sous la sauvegarde de la foi publique, et libres de faire tous les efforts raisonnables pour l’exécution d’un mandat dont ils ne doivent être responsables qu’en-vers leurs constituants. Art. 3. Après s’être assurés de la liberté absolue des avis et des personnes, pendant la tenue des Etats généraux, les députés de la noblesse réclameront le maintien de la constitution monarchique, et demanderont à faire constater : 1° La succession au trône, telle que celle qui, par une suite constante et non interrompue jusqu’à nos jours, nous a évité les troubles indispensablement attachés à tout autre ordre de choses. (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Corps législatif,