160 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’il a reçues l’empêchent de continuer son service. Or, il résulte d’un autre arrêté des mêmes représentons du peuple, du 10 vendémiaire, que le payeur général de l’armée a dû lui payer la somme de 600 livres par forme d’indemnité provisoire, et que le comité des Secours publics est invité à augmenter cette indemnité qui n’équivaut pas au quart des pertes et dépenses que ce brave militaire a faites en servant si honorablement sa patrie. D’après les renseignemens, d’après le décret de la Convention nationale, qui charge son comité des Secours de lui faire un rapport, dans le plus court délai, sur les indemnités dues à ce guerrier, votre comité a pensé, à l’unanimité, qu’il étoit de toute justice de lui accorder 2 400 L d’indemnité, indépendamment des 600 L qu’il a dû recevoir; et il s’est félicité d’avoir à délibérer sur un objet d’autant plus recommandable, d’autant plus urgent que Druge et ses parens jouissent de peu de fortune, et sont du nombre des bons, des véritables républicains sans-culottes. En conséquence, le comité des Secours m’a chargé de vous présenter le décret suivant (101) : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des Secours décrète : Article premier. - La Trésorerie nationale, sur le vu du présent décret, paiera au citoyen Druge, capitaine au septième régiment des hussards dits de la Liberté, la somme de 2400 L d’indemnité à lui due pour les pertes et dépenses que ce brave militaire a faites en servant la patrie avec la plus haute distinction, et ce indépendamment de 600 L qu’il a reçues. Art. II. - Renvoie les pièces de cet intrépide guerrier à son comité de Salut public, avec injonction de proposer l’avancement auquel il a droit par ses actions héroïques et par les blessures honorables qu’il a reçues. Art. III. - Le rapport et les faits dont parlent les représentans du peuple sur l’armée du Rhin, seront insérés en entier dans le bulletin (102). Faits héroïques du capitaine Druge. [Le capitaine Druge aux représentans du peuple près l’armée du Rhin] (103) Lorsque les Français eurent déclaré la guerre aux tyrans coalisés, les chasseurs du huitième régiment furent désignés pour concourir à la composition de l’armée du Rhin, et leur marche fut désignée vers Wissembourg. (101) Bull., 24 brum. F. de la Républ., n° 53, mention. (102) P.-V., XLIX, 125-126. Bull., 24 brum.; Moniteur, XXII, 486 ; F. de la Républ., n° 53 ; M. U., n° 1341 ; J. Perlet, n° 780. (103) Bull., 24 brum. (suppl.). Pour parler en détail de toute ma vie militaire, comme défenseur du peuple, il faudroit que je fasse l’histoire des différens corps dans lesquels les circonstances m’ont placé. Sous ce rapport, il me seroit infiniment glorieux d’avoir à participer à des actions éclatantes, dont les fruits ont été cueillis par la main de la liberté ; mais ce sont mes propres actions qu’on veut connoître, et je ne dois parler que d’elles. 1. Jusqu’à la retraite de Francfort, je n’eus point d’occasion pour me faire connoître d’une manière spéciale; mais pendant cette retraite, je vis dix de nos frères d’armes au pouvoir de l’ennemi. Je crie, à moi camarades : je fuis suivi par quelques uns ; nous tombons furieux sur les ennemis qui étoient en nombre supérieur, et nous ramenons les infortunés, après avoir paré tous les coups, et en avoir porté de mortels. 2. Le 24 décembre (vieux style), deux de mes camarades et moi sûmes que quelques ennemis étoient dans le village de Bibry, nous y fumes, et leur tuâmes cinq chevaux. 3. A Bingles, deux compagnies de volontaires alloient être cernées par l’ennemi, de l’autre côté d’une petite rivière; Wimphen m’invita à les aller faire replier. Je partis ventre à terre ; j’arrive, et quoique l’ennemi fut très près, je les fais rétrograder et marcher devant moi : ils traversèrent la rivière dans des petites barques. Lorsque tout est passé, je lance mon cheval à l’eau, je le mets à la nage ; alors une grelle de balles pleut autour de moi, mais aucune ne me blesse, et je me sauve à la nage. 4. A la retraite de Mayence, étant en tirailleur, j’attaque un cavalier ennemi qui se défend avec courage; mais ses efforts sont vains, il est fait prisonnier, et je l’amène avec son cheval. 5. A Rhimberg, trois volontaires sont pris par six hussards bleus, je cours à leur secours ; moi troisième, nous nous battons avec intrépidité, et nous ramenons nos trois républicains. 6. Le 19 juillet, parti de Linctback avec l’armée pour marcher sur Mayence, mis en avant en tirailleur, un Autrichien fait feu sur moi et me manque; je l’ajuste et le mets à terre : je prends son sabre et sa carabine, dont je fis présent au général Férinaud; je pris aussi son butin que je donnai à un volontaire qui étoit dépourvu. 7. Le lendemain, je fais la rencontre d’un ennemi, je me bats et le fais prisonnier. 8. Le 22 juillet, cadet Boucher et moi fûmes sur la droite de Daum en tirailleurs, nous voyons quatre grenadiers de la Corrèze pris par une patrouille de l’ennemi; nous fonçons sur elle, nous nous battons ; bientôt nos frères sont délivrés, malgré les efforts réunis de huit ennemis, et dans le même instant nous arrachons encore des mains des Autrichiens un écrivain de l’état-major, nommé François. 9. En nous retirant, je fus provoqué par un ennemi qui me donnoit le défi d’aller me battre : je cours à lui; du premier coup de sabre qu’il me porte, il coupe mon casque, et me blesse légèrement : à l’instant même je lui en porte un autre qui lui perça la poitrine ; il tombe mort, je m’empare de son cheval et l’emmène. SÉANCE DU 22 BRUMAIRE AN III (12 NOVEMBRE 1794) - N° 28 161 10. Après cela, le camarade de celui qui venoit de périr, me crie : arrête, coquin ; je fais un demi tour; bientôt nos sabres sont lancés; il me porte un coup qui coupe le pan de mon habit ; et au même instant, je lui en porte un, lui coupe la figure et lui ouvre le crâne ; il tombe mort : je prends son cheval et le conduis avec le premier. 11. Mais voyant que quatre autres volontaires de la Corrèze étoient pris par trois hussards ennemis, j’abandonne les deux chevaux et cours à leur secours ; je me bats contre ces trois esclaves, et je délivre les quatre républicains. 12. Après tout cela, je vais prendre un instant de repos ; mon ardeur ne me permet qu’un moment : je repars pour les avant-poste; chemin faisant, je rencontre un dragon ennemi ; je fonds sur lui, il se met en défense, mais je le renverse mort et prends son cheval. 13. À l’instant même j’entends crier : Druge, à moi! Je cours ventre-à-terre au secours du nommé Frison, du seizième régiment de Dragons, qui étoit entre deux hussards Autrichiens dont il avoit été déjà désarmé et fait prisonnier; je me bats et le sauve, après avoir reçu un coup sur la tête, qui coupa la crinière de mon casque. 14. Toujours, dans la même journée, pressés par un régiment de cavalerie qui chargeoit nos troupes et qui nous avoit fait replier, je fais un demi-tour, et vois un de nos chasseurs aux prises avec un dragon blanc; celui-ci, à mon approche, demande grâce ; mais je fonce sur lui et lui mets bas la moitié de la tête. 15. Notre infanterie fait dans ce moment un feu de file qui arrête l’ennemi. J’avois pris auparavant une espingole à l’ennemi, je l’avois chargée à douze balles ; je marche contre sept dragons ennemis et seul je les mets en fuite ; trois d’entr’eux se réfugient dans un village, et vont se cacher dans une grande cour; je les poursuis, et d’un coup de mon espingole, j’en jette deux à bas et blesse un cheval ; je tombe sur le troisième et le tue ; je conduis les trois chevaux au cantonnement. 16. Le 23, ou lendemain, nous battons en retraite jusques sur les lignes de Weissem-bourg; je fus blessé à l’avant bras d’un coup de feu dans une affaire qu’il y eut proche de Stein-feld. 17. Quelques jours après, étant sur les hauteurs de Balberatte, je tue un officier autrichien qui étoit à 200 pas de moi, avec ma carabine. 18. Peu de jours après s’étoient écoulés lorsque nous nous trouvâmes sur les hauteurs de Bergzabem : l’ennemi chargeoit les hussards de la Liberté, l’un deux étoit près de tomber à son pouvoir ; je m’en aperçois, je cours à lui ; il étoit démonté, je le fais monter derrière moi et le sauve. 19. Trois jours après, je fis sept prisonniers de la légion Rohan, secondé par un hussard de la liberté, nous les conduisîmes à Weissem-bourg : comme nous les amenions, j’ai reçu une balle qui traversa mon casque. 20. La victoire, dans cette journée, ayant couronné mon zèle contre les ennemis de la patrie, le général Landremont et le représentant du peuple me firent part de l’intention qu’ils avoient de me faire officier ; mais ils me dirent qu’ils préféroient me faire chef d’un corps de nouvelle organisation, qu’on nommeroit Partisans ; qu’il serait formé de cinquante hommes tirés des dragons, chasseurs et hussards, en prenant cinq hommes de chaque régiment. Je ne fus pas longtemps à ramener à Wissem-bourg, au représentant du peuple et au général ma petite troupe : alors on me donna carte blanche, passer et repasser les avant-postes à quelque heure que ce fut, et me dirent qu’il fal-loit que je vive à mon corps défendant ; moi, ma troupe et mes chevaux, étant Partisans. 21. Quelques jours après étant parti avec mon nouveau corps, nous fûmes dans un village situé dans les gorges des montagnes du Palatinat ; nous y arrivâmes ventre à terre, moi à la tête ; nous n’y trouvâmes que des émigrés que nous surprîmes, et qui prirent la fuite en chemise dans les bois; nous nous emparâmes de tous leurs bagages, qui, par l’ordre du général et du représentant du peuple, furent vendu à notre profit à Wissembourg. 22. Trois jours après je partis avec ma troupe, et me rendis au village de Damu, où nous nous battîmes pendant deux jours : nous tuâmes un hussard, et prîmes son cheval. J’abandonnai cette position qui n’étoit pas avantageuse, et me rends à Bitche pendant la nuit, où après plusieurs stratagèmes de guerre pour surprendre l’ennemi nous fonçâmes sur une garde de quinze hommes. Après avoir tué la sentinelle, toute cette garde fut hachée : il étoit onze heures et demie du soir. De-là je poursuivis sur les postes du centre de l’ennemi, et chacun de nous crioit : bataillon, escadrons, régimens, artillerie de gauche en avant; ces ruses nous réussirent si bien, que l’ennemi prit la fuite, en se cachant dans les bois en désordre ; nous les poursuivîmes jusque dans leur cantonnement. Toujours poursuivant ventre à terre, nous entrâmes dans un village, où nous trouvâmes 23 pièces de canon que nous ne pûmes malheureusement point emmener, vu le petit nombre que nous étions; nous sabrons à droite et à gauche, plusieurs tombent sous nos coups. Comme le jour commençoit à paroître, nous fûmes forcés de nous retirer; 23. Après plusieurs marches, plusieurs attaques, plusieurs avantages qui durèrent pendant quelques jours, parvenus à Montmelon, où nous avions été repoussés, je fis faire alte et demi-tour à droite. Alors nous chargeâmes l’ennemi, lui tuâmes deux hussards, et lui prîmes deux chevaux; à cette affaire je fus blessé par un coup de feu au talon. 24. Je prie ensuite le chemin de Saveme dont les environs étoient occupés par l’ennemi ; nous arrivâmes sur un village voisin de cette ville, où nous chargeâmes cinq fois l’ennemi, le débuscâmes, et prîmes ce poste. 25. Le 21, averti que la légion Mirabeau-Cra-vatte étoit dans un village, sur la droite de Saveme, à faire contribuer, je cours. En nous voyant les lanciers de cette légion prenent la 162 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE fuite, nous nous emparons d’un convoi composé de 28 boeufs, 10 chevaux, du beurre, froment, vin, etc., que les houlans conduisoient ; nous fîmes prendre au convoi le chemin du quartier général, en protégeant la marche peu* des combats qui se répétèrent souvent, et que nous nous soutîmes, quoique en force inférieure; nous tuâmes un cheval et un homme ; le lendemain, nous leur prîmes 300 moutons qui furent conduits au quartier-général. 26. Trois jours après, nous avons été dans un village entre Saveme et Strasbourg; de là nous nous sommes portés sur une petite hauteur, d’où nous avons apperçu la grande garde de l’ennemi, toute composée de Hongrois ; nous l’avons chargée, tué quinze hommes hussards, parmi lesquels étoit l’officier du poste; nous avons pris sept chevaux que j’ai fait amener au quartier-général. 27. Deux jours après, l’ennemi battant en retraite, nous le poursuivîmes et le chargeâmes : un de mes partisans eut son cheval tué sous lui. Cet accident ne fit que redoubler notre courage, et nos efforts furent couronnés en moins de dix minutes par la prise de trois hommes et trois chevaux, dont un fut donné à Gillet, démonté, et les autres conduits au quartier général. 28. Les avantages qu’on retiroit de mon corps firent concevoir au Représentant et au général Pichegru le projet de l’augmenter, il fut porté à 100 hommes, et on nomma un commandant, sans que j’en aie pu découvrir la cause ; mais je restai capitaine, et j’ai toujours été content du poste qui m’a rendu utile à ma patrie. 29. Lorsque l’armée ennemie fut repoussée de devant Strasbourg, notre corps se porta sur la gauche de Haguenau où l’ennemi chargea, et repoussa plusieurs bataillons qui avoient perdu leurs drapeaux, leurs pièces de canon, et au moins 400 fusils : notre corps chargea, et parvint à reprendre le tout qui fut rendu aux bataillons; c’étoit celui de ci-devant Bourbon-nois, avec les honneurs de la guerre. 30. Le lendemain l’ennemi continua sa retraite, nous nous portâmes sur lui, et chargeâmes les hussards de Mirabeau, les cuirassiers d’empire vinrent à leur secours, le combat s’engagea; il y eut 15 hommes de tués, parmi lesquels j’en renversai trois, et reçu deux coups de sabre, un sur la poitrine et un au dos, qui ne me mirent pas hors de combat; j’entendis même ces esclaves m’appeler Druge, Druge, viens avec nous, nous te ferons capitaine. Le plus grand mépris, et des coups de sabre furent ma réponse, et je leur enlevai encore un cheval. 31. Deux jours après nous étant trop engagés, l’ennemi nous charge et nous force à la retraite; le lieutenant de ma compagnie ayant eu son cheval abattu, se trouva en arrière et entre les mains des ennemis, qui le lui avoient déjà pris et l’avoient deshabillé. J’entendois crier hache ce coquin-là. Alors je commande à ma troupe un demi-tour à droite; le commandant n’étoit pas présent : nous chargeons pour secourir notre camarade, que nous délivrons; nous prîmes 4 chevaux et tuons l’officier ennemi qui crioit : hache-moi ce coquin-là ; un cheval fut donné à celui qui avoit été démonté. Dans cette affaire je fus blessé à la main par un coup qui coupa aussi la bride de mon cheval sur mon poignet, un coup de feu traversa la fonte droite de mon pistolet, et blessa légèrement mon cheval ; au même instant, je sors mon pistolet, je le tire sur un hussard, il fait long feu, de colère, je le lui jette à la tête et le mets en bas de son cheval. 32. Le lendemain, j’entre le premier à Wis-sembourg par la porte de Landau, à la tête de ma compagnie, détachée, tandis que les autres compagnies entroient par celle de Haguenau : en entrant, j’enlève la sentinelle que je fais prisonnière et cent autres ennemis, et quantité d’effet de guerre tombèrent à notre pouvoir. 33. Je reçois ordre de me porter avec ma compagnie seulement sur la route de Landau; chemin faisant, je prends à Bellikain 15 ennemis, deux voitures chargées d’effet : à une demi-lieue plus loin, j’arrête trois impériaux, j’amène le tout à Landau, et les mets entre les mains du général Lombader. 34. Sorti de Landau, une heure après, à trois quarts de lieue de cette ville, je fis rencontre d’une grande garde de dragons blancs ; je charge rapidement, je tue trois hommes, et prends les trois chevaux sans perdre personne. 35. Le lendemain étant à la découverte, je fais rencontres d’une arrière-garde de hussards gris ; ma compagnie fut chargée ; je commande alte, et fais faire demi-tour : nous fondons sur l’ennemi, sabre à la main ; tuons deux hommes, et prenons deux chevaux, aucun de nous ne fut blessé. 36. Deux jours après ayant rencontré à Wackmine 50 hommes, nous les chargeâmes quoique nous ne fussions que 25. Nous leur tuâmes deux hommes et prîmes deux chevaux ; j’eus quatre hommes dangereusement blessés; mais aucun n’est mort là. Je reçus un coup de sabre sur le dos, l’ennemi prit la fuite. 37. Après cette affaire, j’ai reçu ordre du général Michaud d’aller à Kaiserlautern ; je commandois alors les trois compagnies, mon chef ayant perdu la confiance. Le lendemain de notre arrivée, le général Frimont me donna ordre de me porter en avant à la découverte : ayant fait deux lieues, je fis rencontre des hussards bleus; je les charge ventre à terre, j’en fais 7 de prisonniers, et pris 7 chevaux, entre lesquels j’en avois pris deux personnellement, et pendant bien du temps, il ne se passoit pas de jours que je ne fisse amener des prisonniers de guerre et des chevaux au quartier-général. 38. Quelques temps après je fus envoyé, avec mon corps, à Wackeim, sous les ordres du général Vieux, après m’avoir donné pour nouveau commandant des partisans, le citoyen Bonar-del, aide-de-camp du général Frimont, nous laissa cantonnés dans cet endroit. Le 12 floréal, notre avant-garde voulant fourrager, j’ai reçu ordre du général Vieux, de me porter en avant sur la droite avec dix partisans et dix hussards, pour couper une grande garde de l’ennemi. Je marche jusqu’à deux lieues de Turkeim ; je trouve l’avant-garde composée d’environ SÉANCE DU 22 BRUMAIRE AN III (12 NOVEMBRE 1794) - N° 28 163 30 hommes; je la charge; je fais 2 hommes prisonniers et prends les chevaux, et le reste prend la fuite. 39. Après ces succès, nous continuâmes notre marche jusqu’à une lieue au delà de Kreustadt, où nous rencontrâmes les avant-postes de l’ennemi. Nous sommes chargés ; nous avons 7 hommes de pris, quoique seulement au nombre de 13 contre 30. Je fais faire halte et demi-tour; nous chargeons, et reprenons nos camarades. Nous sommes chargés de nouveau, et on nous les reprend : nous les chargeons, et bientôt nos camarades sont à nous, ou plutôt à la République. 40. Un instant après, les forces de l’ennemi arrivent; je me vois forcé de me reployer, me voyant poursuivi de près ; ensuite, étant proche des avant-postes républicains, je fais faire halte et demi-tour; je charge et prends le commandant des hussards rouges, que j’amenois prisonnier; mais ses hussards m’ayant coupé à droite et à gauche, je reçus un coup de sabre sur la tête, qui coupa mon bonnet : au même instant un coup de fusil tiré sur moi, traverse le col de mon cheval; je suis forcé d’abandonner le commandant que j’avais saisi ; mais malgré ces revers, je recharge et dans la démêlée, plusieurs coups de sabre abattent le mien qui tombe à terre, et sur le champ Otil, maréchal des logis de mes partisans, me voyant désarmé, court à moi, et me donne celui qu’il venoit d’arracher des mains d’un ennemi, nous continuons de sabrer à droite et à gauche, et nous prîmes trois chevaux que je ramenai ; nous en avions perdu nous-même trois, et le mien, qui m’étoit très précieux, mourut de sa blessure. 41. J’ai reçu ordre, le 3 prairial, veille de la fameuse journée qui força l’armée à se retirer sous les lignes à Guermersheim, d’aller à la découverte avec 20 hommes. J’observai que l’ennemi avoit fait tous les préparatifs pour nous attaquer, et qu’il devoit le faire sur trois points, à deux heures et demie du matin : une femme m’ayant instruit de tout, comme cela arriva effectivement. D’après mon rapport, les troupes se mirent en défense. 42. Je fus commandé pour aller soutenir la retraite, je pars et fais faire demi-tour devant l’ennemi, pour suspendre sa marche que je ne pus que ralentir, mais assez pour que l’infanterie pût filer, ce qu’elle faisoit en effet avec assez de facilité, puisqu’elle n’a rien perdu. Comme nous ne soutenions que difficilement, Bonardel, commandant de mon corps, me dit : « Druge, fais faire un demi-tour à droite » je l’exécute sur-le-champ : pour ne pas perdre notre fermeté, nous chargeons, et dans la démêlée, j’ai reçu trois coups de sabre : un qui coupa la monture de mon sabre, l’autre sur le dos, et le dernier sur le talon gauche. 43. Retiré sur une petite hauteur, j’y rencontrai le général Femiand, qui m’ordonna de charger sur la porte de Traicheim; j’exécutai, et je reçus un coup de feu au genou droit et mon cheval est blessé à la cuisse gauche : je fus hors d’état de me battre pendant un mois. Dans cet intervalle le corps des partisans fut réuni aux hussards de la Liberté. 44. Le 25 messidor, étant en tirailleur avec quarante hussards, je tombe sur un hussard rouge qui emmenoit un de nos caissons, et je le tue. 45. L’ennemi bat en retraitre, nous le poursuivons et le chargeons jusqu’auprès de Neus-tadt. Dans cette course je tue un hussard rouge et prends son cheval. 46. Le 12 thermidor, toujours en tirailleur, je fus en avant sur la droite de Monchereim à la tête de quarante hussards, ainsi que j’en avois reçu l’ordre d’un adjoint qui m’avoit ordonné de prendre le village; je me trouve entouré de huit hussards bleues, je porte un coup de sabre à l’un d’eux, un autre me jette par terre, moi et mon cheval; alors, je suis assailli par une multitude de coups de sabres que je pare de mon mieux; j’étois couvert de sang moi et mon cheval. Dans cette circonstance, deux coups de sabres me sont portés sur la tête, un autre sur les épaules, et trois à l’avant bras ; tous les esclaves me crient, rends-toi, Trouche ; un s’empare de mon cheval et l’ammène. Dans cet instant, transporté par la colère, je me dégage, prends la course, mon sabre aux dents : d’un élan je saute sur mon cheval, je mets mon sabre à la main, j’en donne un coup à celui qui l’emmenoit, je lui coupe le poignet, et la bride tombe ; je donne un coup de plat de sabre à mon cheval, le presse avec mes éperons et reviens à la tête de mes hussards. Etant arrivé, je fis mettre mes quarante hommes en bataille, et nous chargeons : chemin faisant, mon sang couloit, la douleur m’emporte et mon bras tombe; je ne puis point me venger, et je fus contraint de me retirer. Citoyens Représentans, vous m’avez ordonné de vous présenter les actions qui m’ont conduit au grade de capitaine : je suis soldat, je ne fais qu’obéir; ce que j’ai fait, tout autre eût pu le faire à ma place ; et si je m’en félicite, c’est par la douce satisfaction de savoir que mes services ont été de quelqu’utilité à la République, à qui ma vie appartient toute entière. Voilà le tableau de ma vie depuis que j’ai le bonheur de servir ma patrie dans le métier des armes; j’en consacrerai le reste à mieux faire encore, s’il est possible. Jaloux de l’estime de la Convention nationale, de celle de tous les républicains et de l’amitié de tous mes concitoyens, je sais qu’on ne peut l’acquérir ou la conserver que par une résignation et un dévouement sans bornes, et sans intérêt, au triomphe de la liberté, de l’égalité, de la république une et indivisible. Les représentans du peuple près l’armée du Rhin, considérant l’impuissance où je suis dans ce moment de revoler au combat, m’ont autorisé à rentrer, jusqu’à ma guérison, dans le sein de ma famille, où je vais m’acquitter des devoirs de la nature envers mes vieux parens : puisse ma guérison être aussi hâtive que je le souhaite, et je revoie de suite au champ de l’honneur, où j’espère de vaincre ou de périr. Vive la République! Vive la Convention nationale! Périssent tous les ennemis de la liberté, de l’égalité, tous les traîtres et tous les ambitieux ! Salut et fraternité. Signé, DRUGE. 164 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Certifié véritable par les représentans du peuple près les armées, et par tous les généraux et commandans de toutes armes. A Neustadt, le 9 vendémiaire, l’an troisième de la République une et indivisible. Suivent les signatures. 29 Un membre du comité de Salut public [CARNOT] annonce, au nom de ce comité, la prise de Nimègue et du fort de Schenck par l’armée du Nord. Le même membre instruit l’Assemblée que Y Alexandre, vaisseau anglois de soixante-quatorze canons, a été pris, et que quarante-trois bâtimens de commerce ont été pris et coulés à fond par les frégates et corsaires de la République (104). CARNOT, au nom du comité de Salut public a fait le rapport suivant (105) : Citoyens, Le comité de Salut public m’a chargé de vous annoncer les nouveaux succès de nos armées de terre et de mer. L’armée du Nord a pris Nimègue et le fort de Schenck; la division navale du contre-amiral Nielly a pris le vaisseau anglais l’Alexander, de 74 canons, commandé par le commodore Rodney-Blinc ; et enfin 43 vaisseaux de commerce ennemis ont été pris ou coulés à fond par les frégates et corsaires de la République. Citoyens, c’est donc en vain que de coupables et lâches libellâtes ont tenté d’énerver le courage des armées françaises en s’efforçant de leur ôter la confiance qu’elles ont dans la Convention nationale et dans les membres du gouvernement qu’elle a choisis. La honte écrase les pamphlétaires, la gloire couvre les défenseurs de la République, et l’ennemi des factions brave également et le poignard de l’assassin et la dent du reptile; il a une horreur égale et pour ceux qui vivent de sang et pour ceux qui vivent de fiel. L’homme dont la vie est sans reproche repose en paix sur sa conscience, et ne craint la calomnie que parce qu’elle le sort de l’obscurité qu’il désire. Quelque impure que soit la source, il s’en afflige, non pour lui-même, mais pour la probité qu’elle blesse, pour l’esprit qu’elle égare, pour la représentation nationale qu’elle avilit et qu’elle outrage (106). (104) P.V., XLIX, 126. (105) Pour l’ensemble du rapport nous suivons Bull., 22 brum. J. Mont., n° 32, indique que Carnot, au nom du comité de Salut public, paraît à la tribune au milieu des applaudissements qui annoncent la victoire. Rép., n° 53 (suppl.). (106) Bull., 22 brum. Moniteur, XXII, 487 ; Débats, n" 780, 743-744; F. de la Républ., n° 53; J. Perlet, n° 780; J. Fr., n° 778; Gazette Fr., n° 1046; Ann. Patr., n° 681; Ann. R. F., n° 52 ; Débats, n° 780, 743. Voici la lecture des dépêches. [Les représentans du peuple français près les armées du Nord et de Sambre-et-Meuse, Bellegarde et Lacombe (du Tarn), aux membres composant le comité de Salut public, le 18 brumaire an III\ (107) Nimègue, du dix-huitième jour de brumaire, l’an troisième de la République française une et indivisible. Nous vous annonçons, citoyens collègues, la prise de Nimègue. Nous n’avons pas besoin de vous en démontrer l’importance; nous y avons pris trois bataillons, formant à peu près douze cents hommes, quatre-vingts bouches à feu, presque toutes en bronze. Nous n’avons pas encore les détails des poudres, munitions et autres objets, ni des vivres qui peuvent s’y trouver; les officiers de chaque arme procèdent en ce moment à l’inventaire des objets qui les concernent. La reddition de cette place paroît due aux dispositions savantes qui ont été faites par le général Moreau, et à la prise du fort de Schenck ; tous les moyens ayant été rassemblés pour faire, au-dessous de ce fort un passage sur le Wahal, les ennemis se sont crus tournés et n’ont pas voulu tenter le sort d’une bataille. Les Anglais ont donné une marque de leur loyauté ordinaire. Ils ont fait les premiers la retraite, et, quant ils ont eu passé le Wahal, ils ont tiré sur les Hollandois, détruit entièrement le pont, de sorte que ceux-ci ont été obligés de se rendre prisonniers. Ils ont, ce matin, déposé les armes sur les glacis de la ville, et vont en France prisonniers de guerre. Voilà donc le fameux duc d’York qui fuit de loin devant les Français qu’il méprisoit tant, et qui paroît avoir autant de loyauté vis-à-vis des alliés de sa nation que de bravoure vis-à-vis de ses ennemis. Les Français ont montré leur intrépidité ordinaire. Une sortie de 5 000 hommes ennemis a été repoussée par les simples gardes de la tranchée et par un bataillon que commandoit le général de brigade Jardon. Nos troupes ont fondu, avec une telle impétuosité sur l’ennemi, que 400 de ces derniers sont restés sur la place, la sortie entière repoussée jusqu’au chemin couvert, et nous n’avons eu dans notre retraite que 60 hommes tant tués que blessés par le canon de la place. Les canonniers ont tiré avec leur adresse ordinaire : deux batteries, composées de six pièces en tout, ont rompu deux fois le pont de bateaux du Wahal, malgré le feu croisé des batteries ennemies, qui étoient composées de plus de quarante pièces de canon. Salut et fraternité. Signé, Lacombe (du Tarn), Bellegarde. (107) Bull., 22 brum. Moniteur, XXII, 487-488; Débats, n° 780, 744-745 ; J. Mont., n° 32 ; Rép., n° 53 (suppl.) ; résumés dans F. de la Républ., n° 53 ; Mess. Soir, n° 817 ; C. Eg., n° 817; M.U., n° 1340; J. de Paris, n° 53; J. Fr., n° 778.